Le contractualisme de David Gauthier
intérêts. Il relève ainsi le défi sceptique tel qu’exprimé par le person-
nage de l’insensé chez Hobbes5, qui demande : pourquoi respecterai-
je les obligations ? La thèse de Gauthier est que la force des obli-
gations morales ne réside pas ailleurs que dans la rationalité elle-
même, exactement : elle consiste en une contrainte rationnelle sur
la satisfaction de nos intérêts, de nos désirs et utilités.
Gauthier, tout comme Hobbes6, considère qu’il n’y a pas de bien
et de mal en soi. On a donc affaire à un certain subjectivisme. C’est
peut-être ce qui rend la théorie peu populaire. Il faut pourtant no-
ter qu’une bonne partie de la philosophie politique accepte l’idée de
base de la théorie des choix rationnels – formaliser les problèmes en
considérant la structure de choix des acteurs en présence permet-
tant d’apporter des solutions rigoureuses, au sens mathématique du
terme –, et que la question du statut des valeurs est indifférente.
Gauthier, en effet, ne tient pas absolument au subjectivisme au sens
où celui-ci aurait une place centrale dans sa théorie et pour ses dé-
monstrations. Cet aspect n’est donc pas essentiel ; il résulte d’une
application du rasoir d’Occam dont la règle s’énonce comme suit :
ne pas multiplier les entités inutiles. Le point de départ de la théorie
se veut minimal en ce sens et le moins controversé possible.
La théorie de l’action de Gauthier est par définition individualiste.
Pour autant, elle n’est ni égoïste (du moins à proprement parler7) ni
hédoniste. Qu’est-ce à dire ? Si la conception de Gauthier est égoïste,
5Voir Thomas HOBBES,Léviathan, ou Matière, forme et puissance de l’État chrétien
et civil, Paris, éd. Folio Essais, Gallimard, trad. de Gérard Mairet, 2000 (1651, date de
première publication), livre I, chap. 15 : « Des autres lois de nature ».
6Voir Thomas HOBBES,Éléments de la loi naturelle et politique (Elements of Law Na-
tural and Politic, 1640), Paris, Le Livre de Poche, trad. par Dominique Weber, 2003, I,
7, 3, p. 118-119 ; Le Citoyen ou les fondements de la politique (De Cive, 1642), Paris, éd.
Garnier Flammarion, trad. de Simone Goyard-Fabre, 1982, I, 1, 10, p. 97 ; Léviathan,
op. cit., I, 6, 7, p. 127. Faisons remarquer ici qu’il y a lieu cependant de distinguer
entre le contractualisme de Hobbes et le contractualisme hobbesien. Voir à ce sujet
l’excellent article de Christophe BÉAL, « Hobbes et le contractualisme hobbesien »,
dans Ludovic CHEVALIER (dir.), Le politique et ses normes. Les débats contemporains en
philosophie politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, coll. « L’univers
des normes », p. 57-68.
7David GAUTHIER,op. cit., p. 39.
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