Rencontre du néoplatonisme
Autor(en): Trouillard, Jean
Objekttyp: Article
Zeitschrift: Revue de théologie et de philosophie
Band (Jahr): 22 (1972)
Heft 1
Persistenter Link: http://doi.org/10.5169/seals-380980
PDF erstellt am: 18.04.2017
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RENCONTRE DU NEOPLATONISME ¦
Cet exposé apporte un témoignage et un itinéraire intellectuel. Non
que je veuille présenter des «Confessions »ou un genre d'autobiographie.
Il faut être saint Augustin pour réussir dans cet ordre. Et finalement
rien n'est moins néoplatonicien. Evitant l'anecdote, j'essaierai de me
tenir sur le plan des raisons objectives. Mais se tenir dans la pure objec¬
tivité n'est sans doute ni possible ni souhaitable. Je ne me dissimule pas
qu'en cherchant ces raisons, je m'efforce de comprendre et de justifier ma
propre histoire, et je côtoie le plaidoyer. Mais je pense qu'en philosophie
il faut s'offrir au jugement des autres pour mieux se juger soi-même.
Pour passer des temps modernes au néoplatonisme, j'userai de trois
approches successives et je vous dirai :
i) ce qu'un philosophe peut attendre aujourd'hui de l'histoire de la
philosophie ;
2) ce qu'il peut demander àla sagesse antique ;
3) ce que peut lui apporter le néoplatonisme.
1. Histoire et Philosophie
Comment un philosophe peut-il encore aujourd'hui quêter sa
pitance dans l'histoire, alors que l'histoire va si vite
La tâche de l'historien est relativement claire quand il ne cherche
àdécouvrir et àenchaîner que des faits. Je sais bien que le fait pur
n'est qu'une limite, et que dès le départ l'historien des monnaies, des
chars ou de l'architecture rencontre des problèmes de signification.
Mais ces problèmes sont strictement définis. Ils demeurent enfermés
dans une spécialité, ils ne mettent pas en cause les raisons de vivre ni
les catégories fondamentales de l'historien. D'où chez lui un certain
confort intellectuel, que parfois le philosophe se surprend àenvier.
1Texte lu le 24 novembre 1971 devant le Groupe neuchâtelois de la Société
romande de philosophie.
2JEAN TROUILLARD
Le vieil érudit d'Anatole France, M.'Bergeret, garde intacte sa vision
du monde, quelles que soient les découvertes, même révolutionnaires,
qu'il fera dans la technique des constructions navales romaines. Il
ale sentiment rassurant d'ajouter des broderies àune tapisserie déjà
solide par elle-même.
Et souvent la répulsion que l'historien éprouve vis-à-vis du philo¬
sophe vient de la crainte qu'il éprouve que le philosophe ne défasse la
tapisserie tout entière. Pour prendre un exemple plus frappant, suppo¬
sons un sculpteur qui met tous ses soins àciseler une gargouille en
haut d'un clocher. Et voici qu'il apprend qu'un contestataire est en
train de creuser une sape sous le clocher et de la bourrer d'explosifs.
Ce perpétuel contestataire, c'est le philosophe. Et les explosifs
sont les idées qu'il manipule. Quand le philosophe s'occupe d'histoire,
il lui arrive de déterrer des mines qui ne sont pas toutes désamorcées.
Il extrait alors des faits qui menacent de saper tous les autres faits
et la notion même de fait. Dites àun paléontologue que son dinosaure
n'est pas derrière lui, mais devant lui, qu'il est avant tout une entité
culturelle, il goûtera sans doute médiocrement ce propos.
La tentation de l'historien sera donc de regarder les idées comme
de simples événements offerts ànotre seule curiosité. Et puisqu'il
s'intéresse souvent àun passé lointain dont nous ne sentons plus la
morsure, il sera porté àtraiter les théories philosophiques comme des
faits morts, bons àmettre au Musée.
Ilest d'ailleurs confirmé dans ce parti pris par l'attitude de certains
philosophes qui estiment que seule est vivante la dernière née des
doctrines. Tout penseur est tenté de sonner le glas de tous ses prédé¬
cesseurs (sauf son maître immédiat) et de les enterrer joyeusement.
Qu'avons-nous besoin, en effet, de l'histoire de la philosophie si nous
détenons la vérité Nous ne lui demanderons que des confirmations
ou des repoussoirs. Dans ce cas, il est préférable de ne pas mettre de
nom sur les doctrines qu'on évoque, car au fond on s'en soucie peu.
Mais il est facile de réfuter et difficile de comprendre, facile d'enterrer,
difficile de créer. Et peut-être un jour quand on sera fatigué d'avoir
raison et de tourner dans un cercle étroit, reviendra-t-on àl'histoire de
la philosophie.
Celle-ci s'offre ànous, en effet, comme une ascèse de dépaysement
et de renouvellement. Elle ne nous invite pas seulement àmeubler de
nouveaux contenus nos normes et nos catégories, mais àmettre en
question nos critères eux-mêmes. Elle nous donne du recul sur notre
propre pensée.
Allons même jusqu'à dire que seule l'histoire nous permet de véri¬
fier nos positions. Une affirmation isolée, on l'a souvent remarqué,
n'est ni vraie, ni fausse. Tout dépend de la série des démarches dans
laquelle elle est insérée. Il yaune manière de récupérer l'erreur en
RENCONTRE DU NÉOPLATONISME 3
l'intégrant dans un organisme qui la justifie et dégage son sens caché.
Ilyaune façon de gâcher la vérité en portant àl'absolu une perspec¬
tive toujours partielle et en la retournant contre elle-même. On peut
corrompre ainsi le plus éclairant des systèmes. Quiconque n'en con¬
naît qu'un seul est toujours convaincu par lui ou braqué contre lui
(ce qui est la même chose), et son état est alors «la mauvaise
bonne foi ».
Mais cet usage de l'histoire de la philosophie suppose qu'on accepte
de considérer les faits comme des idées, ou encore, pour parler un
langage platonicien, que l'histoire ne soit pas seulement la mémoire
du passé, mais la réminiscence de l'éternel.
Ici apparaît la limite de l'érudition. Sans doute elle est indispen¬
sable dans l'histoire des idées et parfois décisive. Je ne dirais pas
avec Valéry :
«L'érudition n'est qu'une laborieuse facilité, qui mène insensible¬
ment au crime contre l'esprit ».
Mais il faut reconnaître que, dans le domaine philosophique,
l'érudition conduit au sommeil ou àla cécité quiconque s'enferme en
elle. Parlant d'un érudit et imitant un mot célèbre, un ironiste disait :
«Il sait tout, mais rien de plus ». Ce plus n'est évidemment rien.
Mais c'est lui qui fait tout voir et qui ouvre dans le réel des espaces
infinis. Un néoplatonicien yverrait la puissance de négation qui
engendre la plénitude des affirmations. Et peut-être est-ce grâce à
elle que les esprits communiquent et deviennent contemporains
malgré l'écoulement du temps.
On l'a souvent remarqué. Il yadans l'art, dans la poésie par
exemple, une fontaine de Jouvence qui ne se laisse pas tarir par lafuite
des siècles. «Homère est nouveau ce matin, et rien n'est plus vieux que
le journal d'aujourd'hui ». Il ya, en effet, dans la beauté une certaine
puissance d'incantation qui, par-delà l'utile et le discours, nous
ramène àune simplicité ou àune pureté originelle.
Toutes proportions gardées, nous éprouvons quelque chose de
semblable quand nous consentons la longue patience que réclame
l'étude d'un vrai philosophe. Peu importe le siècle il avécu. Son
message sera toujours une méthode de conversion. La philosophie ne
progresse pas en ligne droite, ajoutant les raisons aux raisons comme
l'érudit ajoute les faits aux faits. Elle remet sans cesse en question
ses principes. Elle est essentiellement un retour àl'origine.
Elle construit, bien sûr, des systèmes, mais ce ne sont que des
médiations toujours révisibles, destinées ànous servir de verbe pour
découvrir notre point de départ. La puissance d'une philosophie n'est
pas avant tout dans la formation d'un univers, mais dans sa valeur
d'analyse. L'invention d'une nouvelle problématique est celle d'une
nouvelle critique.
4JEAN TROUILLARD
Voilà pourquoi une doctrine philosophique ne peut se réduire àun
pur événement ni être enfermée dans ses coordonnées spatio-tempo¬
relles. Elle en dépend certes dans son contenu. Mais si elle ne le retour¬
nait pour délivrer ce dont ilprocède, elle ne serait pas une philosophie,
mais une pseudo-science.
Par conséquent, si le néoplatonisme aaujourd'hui quelque chose à
nous dire malgré l'abîme qui nous sépare de lui, c'est en tant qu'ins¬
trument critique et méthode de conversion. C'est parce qu'il est
une radicale Ka9ap<jiç.
2. L'Idéal de la Sagesse antique
Je viens d'emprunter quelques mots au petit livre de Pierre
Hadot, Plotin ou la simplicité du regard. «Un abîme nous sépare de
lui », écrit-il dans sa conclusion. J'ai demandé àl'auteur ce qu'il
mettait dans cet abîme :le christianisme, le marxisme ou autre chose
encore
En attendant la réponse, je vais essayer de jeter un pont sur cet
abîme. Ce ne sera peut-être qu'une toile d'araignée. Mais une toile
d'araignée permet àune araignée de passer. Il suffit de se rendre
léger.
Quand on tente de définir la différence entre l'homme antique et
l'homme moderne ou contemporain, on dit souvent que l'un professe
le primat de la contemplation et l'autre celui de l'action. C'est ce
qu'affirmait encore récemment Gilson.
Cette antithèse est très critiquable.
Platon certes admet le primat de la 8eu>pia. Mais elle est pour lui
la médiation de l'action pohtique (qui est son principal projet) et de
toute efficacité sur l'homme et la nature. Les idées que le sage doit
contempler ne sont pas seulement des foyers d'illumination, mais des
normes réalisatrices, des impératifs. Et le Bien lui-même, Atlas qui
porte l'univers, est l'exigence suprême qui «donne connexion et cohé¬
sion parce qu'elle oblige »àyaoòv koi òéov Suvbeîv Kai auvéxeiv (Phédon
99c).
Aristote de son côté ne met rien au-dessus de la pensée contem¬
plative, qui définit la divinité. Mais, d'après lui, elle n'est accessible
qu'à peu d'hommes et pour peu de temps.
Quand nous arrivons aux Sceptiques et aux Cyniques, la contem¬
plation disparaît, n'ayant plus d'objet. Les dieux, qu'en sait-on
L'ordre du monde, vain problème La métaphysique se dissipe en
contradictions. Ce qui intéresse les Cyniques, ces clochards ou ces
hippies qui refusent la société de consommation et même toute insti¬
tution, c'est un art de vivre tout pratique. Ils lui demandent l'affran¬
chissement de toute servitude par le retranchement de tout désir,
même de celui de la science.
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