QUEL CAPITALISME? Les politiques ne pensent plus. Heureusement les patrons assurent la relève. La semaine dernière Pierre Bergé, le PDG de Saint Laurent, prenait ici même violemment à partie une gauche qui se laisse gagner par le capitalisme libéral. Avec un style bien différent, Michel Albert, dans son dernier livre « Capitalisme contre capitalisme » (1), s'alarme de la même dérive. Pour le patron des AGF, l'effondrement du communisme met en évidence l'opposition entre deux modèles de capitalisme. L'un, le « bon », fondé sur l'investissement, l'épargne et le consensus, est économiquement efficace et socialement juste. L'Allemagne, les pays nordiques, mais aussi d'une certaine manière le Japon, pratiquent ce modèle (< rhénan ». L'autre, le « mauvais » capitalisme, fondé sur la réussite individuelle et le profit à court terme, ne débouche que sur l'« économie-casino » et l'aggravation des inégalités. Les Etats-Unis et l'Angleterre de Thatcher ont porté ce modèle à son paroxysme. Mais malheureusement, affirme Michel Albert, dans ce western économique, le « méchant » a tendance à l'emporter sur le « bon ». A droite comme à gauche, on ne peut être qu'en désaccord avec cette thèse. La parole est à Max Gallo, socialiste contestataire, et au libéral Alain Madelin. c. m. (1) Capitalisme contre capitalisme », Seuil, 317 pages, 120 F. 92 /120BS ÉCONOMLE LIE CAPITALISME "RHÉNAN" ? UN ARCHAÏSME I) ans quel type de capitalisme vouions-nous vivre ? C'est là question que pose avec une clarté pédagogique Michel Albert, le président des AGF. Il est urgent d'y répondre, car, dit cet adepte de toujours de l'économie de marché, le capitalisme, maintenant qu'il n'a plus d'adversaire, est redevenu dangereux. Il y a moins d'un an l'écOnomiste Alain Cotta nous lançait la même mise en garde (1). Le système vainqueur serait atteint en effet, précise Michel Albert, d'une dérive périlleuse née avec la révolution conservatrice de Thatcher et de Reagan. Une « économie-casino » s'est mise en place, qui sacrifie l'avenir à la spéculation immédiate. Elle aggrave les inégalités, détruit la cohésion sociale, remet en question les politiques de santé, d'éducation et même le fonctionnement de la démocratie. (taux d'abstention). Michel Albert ne veut pas de ce « modèle néo américain ». Il y oppose un « capitalisme à visage humain », celui. de l'économie sociale de marché, qu'il appelle le « modèle rhénan.» (en y incluant... le Japon, ce qui ne convainc pas !). Ainsi, après bien d'autres Delors, Rocard —, Albert fait l'apologie de la « Sozialmarktwirtscimft » le mot à la mode ! —, mariage du capitalisme, de la social-démocratie et de l'éthique chrétienne. Problème : ce modèle rhénan recule devant un modèle néo-américain qui ne le vaut pas. « Ce paradoxe-M, écrit Albert; je le trouve inouï, - aberrant. » Mais, et c'est là que le bât blesse, il n'explique pas ce qu'il constate avec une lucidité aiguë.: Avancer en effet que le « modèle rhénan n'est pas sexy » alors que le modèle néo-américain a les couleurs séduisantes d'un feuilleton de Hollywood, que l'hégémonie culturelle américaine et l'évolution des médias sont les chevaux de Troie de l'économie-casino, ou bien que la régression des « valeurs » éthiques provoque ce recul, ne fait que déplacer le problème. Dire que la progression du modèle néo-américain 'est le résultat de la faillite du système collectiviste de l'Est et du basculement idéologique que cela entraîne est un argument plus fort ; de même il faut retenir le rôle dé la « globalisation financière » et du « privilège monétaire » du dollar. Mais tout cela ne semble pas suffisant. Michel Albert ne fait pas du tout allusion à la formidable révolution scientifique et technique qui depuis les années 70 bouleverse les conditions de la production. Et aux modifications que cela apporte dans les rapports qui existent entre travail-investissements-profits. André Gorz avait, dès les années 80, évoqué cette modification fondamentale du capitalisme (2). Si la Bourse et la spéculation l'emportent, n'est-ce pas parce que l'investissement productif ne génère plus suffisamment de profits ? Si l'éthique du travail liée à la durée, à l'effort s'efface, n'est-ce pas parce que le travail — tel qu'on pouvait le définir depuis le milieu du ne siècle — n'est plus au coeur du système productif ? Autrement dit le modèle rhénan — quelles que soient ses vertus sociales évidentes qu'il faut tenter de préserver — n'est-il pas, quand on se place dans la logique profonde du développement impétueux du capitalisme — qui draine comme tout phénomène « naturel » le meilleur et le pire — un « archaïsme » ? N'est-ce pas ainsi qu'on peut expliquer le recul du modèle rhénan, alors qu'il offre tant d'avantages ? Peut-il être encore un modèle ou bien simplement un point d'appui pour inventer d'autres formes d'équilibre qui, à l'intérieur du capitalisme, seront adaptées à l'avenir du système, dont le modèle néo-américain est la forme brute ? L'échec de la social-démocratie suédoise ne montre-t-il pas que la nouvelle phase de développement du capitalisme bouscule les compromis les mieux enracinés ? Michel Albert a certes une solution miracle : les « Etats-Unis d'Europe », seule manière de consolider, par un pouvoir politique fédéral, le modèle rhénan face au modèle néo-américain. Mais en même temps il précise que le grand marché de 1992 est d'inspiration largement -