Les villes du Golfe aux deux océans : fondations

LesvillesduGolfeauxde u x océans:fondations,mobilisations
etmondialisation
Programme de recherche collectif de l’équipe du GREMMO pour le quadriennal 2011 – 2014 dans le
cadre de la proposition de la participation de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée au projet
d’Institut des Mondes Urbains.
Depuis les premiers regroupements humains au néolithique, la ville s’est progressivement imposée
comme le mode de vie de la majorité de l’humanité. En 2005, et pour la première fois dans l'histoire
de celle-ci, la ville était le mode de vie de plus de la moitié de la population de la planète et le
phénomène va encore progresser au XXIème siècle. On estime que la population urbaine en Chine et
en Inde va passer de 25 % à 75 % d’urbains durant ce siècle, provoquant les plus gigantesques
migrations de l’histoire. Dans le monde arabe et musulman la population est urbanisée à plus de 75
% ; dans des pays comme Qatar ou Koweït c’est même le cas de la quasi-totalité de la population. Le
clivage urbain/rural a disparu par l’intégration des campagnes dans des espaces polarisés par les
villes. Le rural « profond » est de plus en plus marginal. Il demeure dans les espaces périphériques :
les montagnes du pourtour méditerranéen, le Yémen, les steppes syriennes, mais l’essentiel de la
population « rurale » réside aujourd’hui dans des régions urbaines ou périurbaines au sens large.
De l’Atlantique à l’Océan Indien en passant par le Golfe, cette région est donc un important laboratoire
pour l’étude du phénomène urbain dans une perspective transdisciplinaire. Les premières villes de
l’histoire y sont apparues, les cités antiques s’y sont épanouies, l’islam a fait de la ville le lieu
d’épanouissement de sa civilisation, la modernisation européenne a transformé ces villes
« orientales » sur le plan urbanistique mais elles ont conservé leur mode de fonctionnement hérité. La
mondialisation s’appuie sur des métropoles puissantes capables d’intégrer les territoires dans l’espace
économique mondialisé réceptacles de marchandises, de flux, d’hommes et d’informations. Ces
métropoles fonctionnent comme des hubs, des territoires à part, qui possèdent un territoire qui n’est
pas forcément contigu. Ces nouvelles formes d’organisation territoriale et urbaine s’opposent à celles
qui ont prévalu dans le cadre étatique précédent. On peut néanmoins se demander jusqu'à quel point
elles diffèrent fondamentalement des formes urbaines qui ont dominé sous l’Empire ottoman, et même
durant l’islam classique.
Si l’urbanisation et la métropolisation sont des phénomènes concomitants à la mondialisation, les
formes qu'elles prennent ne sont pas identiques dans toutes les régions du monde. La connaissance
de l’histoire, des sociétés et des cultures est indispensable pour comprendre les spécificités du
développement urbain passé et actuel. Le but de ce programme de recherche est de comprendre la
façon dont les villes et les sociétés urbaines évoluent et se transforment en référence aux processus
mondialisés et aux spécificités de l’aire culturelle arabe et musulmane. Interroger le passé pour mieux
comprendre le présent et croiser les disciplines pour explorer toutes les dimensions du monde urbain,
tels sont les objectifs méthodologiques de ce programme qui s’articule autour de trois axes :
- villes et fondations, animé par Saba Farès, Sylvia Chiffoleau, Alexandrine Guerin, et Katia
Zakharia
- villes et mobilisations, animé par Chérif Ferjani, Karine Bennafla, Jean-François Legrain,
Daniel Meier, Ali Sheiban, Christian Velud.
- villes et mondialisation, animé par Fabrice Balanche, Thierry Boissière, Jean-Claude David,
Yves Gonzalez, France Métral, Marc Lavergne, Cyril Roussel et Salah Trabelsi.
Les thèmes des chercheurs peuvent être sécants à plusieurs axes mais pour plus de lisibilité nous les
avons inscrits dans l’axe où ils étaient le plus investis.
A – Villes et fondations
L’objectif de cet axe est de comprendre les conditions de la fondation réelle, supposée et imaginaire
des villes, ainsi que leur extension depuis l’islam classique. A l’heure de la refondation urbaine induite
par la modernisation et la mondialisation, il convient également de s’interroger sur les permanences
culturelles constitutives de ces villes. Les principaux thèmes sont :
- Sédentarisation et création des villes
- Récits mythiques de fondation
- Extension de la ville
Temporalités urbaines (Sylvia Chiffoleau)
La ville n’est pas seulement espace ; elle se vit selon des temporalités qui lui sont propres et qui sont
souvent précurseurs des changements qui affectent les sociétés dans leur ensemble. Le Moyen-
Orient, où sont nés les premiers calendriers de l’humanité, est particulièrement riche de computs de
temps : calendriers copte, julien, musulman, calendriers fiscaux califal puis ottoman… ont de tout
temps socialisé les populations à une pluralité de temps sociaux. Or c’est sur cette situation déjà fort
complexe que viennent se greffer les mutations temporelles liées à l’introduction de la modernité
occidentale, lesquelles affectent en premier lieu les villes. Au début du XIXe siècle, les villes
continuent, pour l’essentiel, à fonctionner selon le calendrier lunaire et religieux réglé par le rythme
des prières et des fêtes religieuses. L’introduction d’une administration moderne, de l’école et de
l’hôpital, du travail salarié, impose un temps compté, institué, profane, en rupture avec ces rythmes
ancestraux. À travers l’observation de pratiques sociales (l’enseignement et la santé notamment) au
cours de la période charnière du XIXe et du premier XXe siècle, on s’attachera à explorer les modalités
par lesquelles le temps « occidental » s’est finalement imposé, tout en maintenant le vécu de certains
registres de la vie sociale selon d’autres temporalités. Par ailleurs, on peut faire l’hypothèse que
l’imposition du temps « moderne » obéit à des modalités et des rythmes différents au Moyen-Orient,
qui demeure sous la tutelle unificatrice de l’Empire ottoman, et au Maghreb, où c’est la colonisation
qui vient brutalement imposer un temps « rationnel ». Afin de tester cette hypothèse, on travaillera sur
trois terrains qui seront soumis à comparaison : la Syrie ottomane, l’Algérie coloniale et le Maroc,
demeuré hors de la suzeraineté ottomane et tardivement colonisé.
Fabrication des identités urbaines (Saba Farès)
Le gouvernement jordanien mise depuis 1996 sur le Wadi Ramm pour développer son tourisme,
première ressource économique du pays. La population, résidant encore en grande majorité dans le
désert, s'est installée dans le village en peu de temps pour profiter de la manne apportée par le
tourisme. Ce mode de vie a exposé la population à un nouveau modèle de société, celui des
représentants de l'État, citadins, et celui des touristes occidentaux. Exclus au départ du débat par les
représentants locaux du gouvernement, ces nomades sédentarisés y ont été progressivement
impliqués grâce à une mobilisation de type tribal. Ils participent ainsi au développement urbain de
Ramm : construction des maisons fixes (habitat « immobile »), mise en place d'un réseau de
transport, accès aux informations (télévision, journaux) et aux communications (téléphones fixe et
cellulaire). Les habitants de Ramm ont ainsi adopté le mode de vie « sédentaire », mais sans
abandonner pour autant l'habitat traditionnel mobile (la tente : chaque maison contient, dans sa cour,
une tente. De plus, ils s'approprient l'espace urbain selon le mode de vie nomade : chaque quartier est
occupé par une famille, mais la ville est elle-même occupée par les membres d'une même tribu ou par
des familles qui ont demandé protection à la tribu dominante. Ce mode de vie contribue à maintenir
l'identité nomade dans un espace urbain dans lequel ses habitants sont appelés à vivre et au
développement duquel ils participent. Mais, en retour, ce mode de vie urbain influence celui des
nomades. Les deux modes s’entremêlent et la culture urbaine prend inévitablement le pas sur celui
des nomades. Afin d’éviter une désintégration totale de l’identité nomade, les parents veillent à
amener leurs enfants dans le désert, à ce qu’ils y séjournent, et à ce qu’ils y apprennent la vie du
désert. On observe ce phénomène dans d’autres villes de la péninsule Arabique comme Riyadh. Si le
mode de vie sédentaire y a pris le pas sur la vie nomade pourtant, les anciens nomades y conservent
les symboles du mode de vie de leurs ancêtres en organisant les quartiers par familles, et en allant, à
la fin de la semaine, dans le désert (sous une tente climatisée !) où ils pratiquent la chasse.
Sédentarisation et extension (Alexandrine Guerin)
La création des villes (zone bâtie et planifiée) dans les régions côtières du Golfe arabo-persique est
relativement récente particulièrement dans l’Émirat du Qatar (fin XVIII° siècle ? - début XIX° siècle) et
le plus souvent sous influence extérieure (monde occidental, colonie et protectorat britannique).
Région constituée de déserts en contact avec la mer, le Qatar révèle après des investigations de
terrain, une série d’implantations datée de la période abbasside (750 à 1258 ap. J.-C.) et dont un
certain nombre de sites archéologiques sont attestés d’une occupation restreinte au seul IXe siècle.
L’étude de ces structures de l’époque abbasside (maisons, mosquées, forteresses et caravansérails)
montre un processus complet de sédentarisation de la population utilisant un territoire binaire – désert
et mer – indispensable à sa survie, tant physique qu’économique.
Les zones bâties – population sédentarisée ou en cours de sédentarisation - et son territoire binaire
sont indissociables et forment un ensemble socio-économique (espace domestique, monument
religieux, centre du pouvoir, zone de commerce et d’échange) que l’on doit expertiser en prenant en
compte le substrat géographique déterminant dans l’implantation humaine de ces régions : le
phénomène saisonnier (été/hiver), impliquant des phases de nomadisation et de sédentarisation ainsi
qu’une intendance des ressources alternant pâturage, pêche et commerce.
L’étude des « villes du Golfe » est à considérée dans la perspective d’une extension en satellite des
territoires bâtis et donc lien avec ses territoires socio-économiques.
A travers ces analyses nouvelles de la ville islamique, il s’agira, en un deuxième temps, de confronter
ces modèles médiévaux aux paramètres utilisés lors de la création des villes contemporaines de cette
région. Le croisement des sources historiques écrites avec des données archéologiques (prospection,
fouille, typochronologie), et la comparaison avec le monde moderne et contemporain
(ethnoarchéologie) seront les outils employés lors de cette recherche.
Les récits de mythes de fondation des villes dans le monde arabo-musulman médiéval :
l'exemple du Mu'jam al-Buldân de Yâqût (Katia Zakharia)
Le dictionnaire géographique de Yâqût (m. 626/1229) est l'un des ouvrages les plus célèbres dans
son domaine. A partir d'un dépouillement systématique des notices qu'il propose, un descriptif des
mythes de fondation des villes mentionnées sera établi. Il sera analysé et les références religieuses
qu'il met en jeu seront mises en lumière et commentées, notamment dans leurs ramifications
lointaines et, le cas échéant, non islamiques. Considérant l'ouvrage de Yâqût comme un texte
charnière, seront ensuite étudiées les occurrences des mêmes récits dans les principaux ouvrages
antérieurs et leur persistance dans les ouvrages postérieurs. Un travail dont il convient d'indiquer dès
à présent qu'il ne pourra être réalisé que grâce à l'apport précieux des bibliothèques virtuelles. Ainsi,
seront mises en lumière la vie de ces récits mythiques et leurs transformations à travers les siècles.
Les liens de ces changements avec les grands courants idéologiques marquant les différentes
périodes concernées seront étudiés. Ce travail permettra d'esquisser, dans sa phase finale, une
typologie des récits islamiques en langue arabe des mythes de fondation des villes et de la mettre en
relation avec les récits de même type dans d'autres espaces culturels.
B- Villes et mobilisations
Cet axe cherchera à identifier les rapports entre les processus de sécularisation et ceux de
remobilisation du religieux dans des phénomènes sociaux, politiques et culturels relevant de la vie
urbaine : les partis politiques, les ONG, les syndicats, les mouvements de jeunes, les mouvements
féministes, la production juridique, la création artistique (architecture, peinture, cinéma, théâtre,
médias, littératures), pour y déceler la part de sécularisation et d’opposition aux traditions religieuses
et la part de sollicitation de ces traditions en les réifiant ou en les réinventant. Les principaux thèmes
sont :
- Fabrication des identités urbaines
- Mobilisations politiques et religieuses
- Villes frontières
Mobilisations et politiques de développement dans les zones périphériques du territoire : le
cas du Maroc (Karine Bennafla)
Comme d'autres pays des Suds, le Maroc a été secoué au cours de la dernière décennie par des
mouvements populaires de protestation sociale, exprimant des revendications pragmatiques : meilleur
accès aux services publics (santé, eau, électricité), subventions pour les produits de première
nécessité, création d'emplois etc. Au Maroc, ces mobilisations ont touché plus particulièrement les
petites et moyennes villes ainsi que les bourgs des confins ou de zones montagnardes enclavées, très
souvent oubliés par les politiques de développement territoriales impulsées et très médiatisées depuis
le règne de Mohamed VI (1999).
Nous nous appuierons sur le cas de Sidi Ifni, ancienne capitale de l'Afrique occidentale espagnole
(restituée en 1969 au Maroc) et aujourd'hui située à proximité des Provinces du Sud (ou « Sahara
Occidental ») pour étudier ces mobilisations, en particulier leurs enjeux (socio-économiques, politiques
et territoriaux), les imaginaires réactivés (dans les slogans et discours) par les leaders de la
contestation (mythe de la tribu montagnarde rebelle, reconstruction nationaliste) et la gestion de ces
débordements par les pouvoirs publics (concessions/répression).
La petite ville de Sidi Ifni (20 000 hab.) a été le siège d'une dynamique protestataire collective entre
2005 et 2009. Les habitants y étaient représentés par un organe fédérant partis, associations et
syndicats (« le Secrétariat local Sidi Ifni-Aït Baamrane ») et réclamaient l'intervention de l'État pour
mettre fin à la marginalisation de leur cité, impulser un développement local et garantir le bien être des
habitants. Ancienne « perle espagnole », Sidi Ifni connaît une régression socio-économique depuis sa
réintégration au territoire marocain.
Permettant de revenir sur les turbulences tribales multiséculaires qui agitent les marges territoriales
du royaume et sur leurs modes de gestion, l'exemple de Sidi Ifni donne l'occasion de se pencher sur
le déploiement des politiques de développement nationales depuis le règne de Mohamed VI,
d'observer la politique de décentralisation administrative actuellement en cours au Maroc (Sidi Ifni a
été promue préfecture en janvier 2009) et d'aborder sous un angle rénové la question du Sahara et
aussi celle des migrations (puisque la contrée se situe en face des îles Canaries et est une zone de
départ pour les candidats à l'émigration).
Villes et religion dans l’espace méditerranéen (Chérif Ferjani)
Quelles que soient les villes et les religions, nous trouvons des liens très anciens et étroits, qui
perdurent jusqu’à nos jours, entre sacré et espace urbain. Les mythes fondateurs des villes attestent
l’importance de ces liens : association d’une ville à une figure divine, attribution de l’origine, du choix
du site, voire du plan, à une volonté divine ou un personnage religieux élevé au rang de « saint patron
de la ville » qui veille sur sa destinée. La structuration de l’espace urbain autour de fonctions
religieuses considérées comme vitales pour la vie en cité, n’est pas étrangère aux liens historiques
entre villes et religions. L’évolution moderne des logiques et des formes urbaines marque une certaine
sécularisation qui semble se détacher des préoccupations religieuses. Cependant, le religieux
continue à peser sur ces logiques que ce soit en inspirant l’architecture et la place des monuments qui
symbolisent ce détachement, ou en continuant à y occuper une place importante.
Palestine : le parti comme dépassement des solidarités citadines, villageoises et réfugiées des
camps (Jean-François Legrain)
Dans la lignée de deux de mes précédentes recherches -Les Palestines du quotidien. Les élections
de l’autonomie (janvier 1996), Beyrouth, Centre d’Études et de Recherches sur le Moyen-Orient
Contemporain (CERMOC), 1999, 452 p. et : "La ville dans la tête" : Bethléem 1996-2006, Lyon, Site du
GREMMO/Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 2006, 264 p.) - je me propose de continuer à
interroger les métamorphoses de la mobilisation politique en Palestine dans ses rapports avec
l’espace et l’idéologie. La mise en œuvre de l’analyse factorielle de correspondances dans le
traitement des scrutins législatifs de 1996 et 2006 et municipaux de 2005 m’avait permis de mettre au
jour le passage d’un mode de mobilisation « traditionnel » basé sur les liens du sang élargis au
localisme à la mobilisation d’un « électorat rationnel », au sens politiste du terme. A l’encontre des
représentations habituelles, cependant, ce passage n’a été effectué que par les électeurs islamistes. Il
s’agira donc, à l’occasion des prochaines élections législatives et municipales, de voir si l’expérience
du pouvoir islamiste a, d’une part, conduit l’électorat nationaliste à lui aussi adopter un mode de
mobilisation partisan et, d’autre part, conforté l’électorat islamiste dans son fonctionnement
habituellement qualifié de « moderne ».
Liban : identité et mobilisation communautaire chiite à Beyrouth (Daniel Meier)
Dans le cadre d’une recherche en cours sur les relations entre identités et frontières (tant symboliques
que physiques) qui marquent et délimitent/définissent les groupes au Liban, je me propose d’étudier
dans une perspective diachronique les étapes de la mobilisation des musulmans chiites dans la ville
de Beyrouth en me centrant sur la période de l’après-guerre civile (1990 à 2010). Trois sites privilégiés
peuvent être retenus afin d’observer ce processus de démarcation identitaire et de mobilisation
politique : la reconstruction (projet Elyssar puis après 2006 l’action de Jihâd al-Bina), le marquage
territorial par les signalétiques partisanes (logos, affiches commémoratives, portraits de
guides/martyrs) et la dimension communautaire repérable dans les principales interventions
médiatiques des leaders des deux partis dominant la communauté chiite (Hassan Nasrallah pour le
Hezbollah et Nabih Berri pour Amal).
Analyse de la structure et de l'évolution du champ intellectuel iranien (Ali Sheiban)
Élément incontournable du discours savant sur le monde social, le binôme Modernité/Traditions
pourrait être considéré comme la matrice du discours social des 15 dernières années. Or,
indépendamment de l'objet de notre recherche qui s'articule dans un premier temps autour de
l'évolution des thématiques des discours intellectuels, la relation entre ville et modernité, ville et
mobilisations politiques et religieuses est étroite.
Si le vocable intellectuel au sens général ne peut être exclusivement conçu comme vocable
« urbain », par contre une certaine « fonction intellectuelle » est intimement liée à la ville et au
développement urbain. C'est cette fonction que nous visons dans l'analyse du champ intellectuel
iranien. L'époque moderne inscrit la « fonction intellectuelle » dans une sphère d'activité relativement
autonome, ou du moins tendant vers l'autonomie. L'évolution du champ de la philosophie et des
sciences sociales en Iran, de ses clivages, de sa structure et de ses thématiques est fortement
imprégnée des logiques politiques et/ou religieuses. Ce qui met ce champ d'activité très souvent au
cœur de la mobilisation politiques et des mouvements collectifs.
La construction de la Syrie contemporaine : logiques coloniales, mouvement national et
résistances identitaires. Le cas de la Jézireh (Christian Velud)
L’exemple de la Syrie comme illustration de l’émergence des nouveaux États nations de l’Orient arabe
au lendemain de la première guerre mondiale est particulièrement instructif si l’on se place au niveau
local/régional. C’est en effet à partir d’un territoire, celui de la Jézireh syrienne, de ses frontières
extérieures et internes, de ses villes créées de nulle part, de ses populations mosaïques, nomades et
sédentaires, chrétiens, Arabes et Kurdes, que j’étudie depuis de nombreuses années le passage
inachevé d’une région d’empire, dans le cadre ottoman, à un État imposé par la volonté contraignante
et sans vision d’une puissance coloniale européenne : la France.
Une grande part des problèmes politiques très contemporains de la Syrie d’aujourd’hui ne sont que
l’héritage d’une politique menée sous le mandat français : les questions liées à la
construction/intégration nationale et celles des résistances à cette construction, se trouvent en grande
partie concentrées dans ce que l’on appelle aujourd’hui « la question kurde de Syrie ».
Qui sont les Syriens qui habitent aujourd’hui les villes, petites et moyennes, de Jézireh, qui peuplent
les vallées fluviales de l’Euphrate et de ses affluents, qui constituent la « ceinture verte » le long de la
frontière turque ?
Plus de 60 ans après la fin de la période mandataire, le problème n’est certainement pas réglé.
Peuplée désormais majoritairement de Kurdes qui revendiquent à la fois leur autonomie et la
reconnaissance de leurs droits comme citoyens syriens à part entière, la Jézireh est le théâtre
d’affrontements violents et répétés entre populations arabes et kurdes depuis plusieurs années. Ces
mouvements, qui vont se radicaliser à partir de 2003 et l’occupation américaine de l’Irak, et qui seront
durement réprimés par l’armée syrienne, Damas n’acceptant pas la remise en cause du dogme de
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