Proposition de dissertation guidée

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Proposition de dissertation guidée
« De la revanche du socialisme allemand à l’ostalgie : le paradoxe de l’Allemagne de l’est. »
Analyse du sujet :
1) Bornes chronologiques : elles sont larges. « L’évolution paradoxale de l’Allemagne de l’est » nous
invite à considérer toute la période d’existence de l’Allemagne de l’est, à savoir 1949 – 1990. »
D’autre part, le fait d’évoquer « le nouveau modèle socialiste et antifasciste » nous amène à
évoquer les racines historiques de l’Etat est-allemand et du socialisme allemand et à évoquer la
résistance au nazisme. Enfin, l’idée d’ « ennemi intérieur » nous oriente vers deux dates clés : le 17
juin 1953 et le 13 août 1961. Pour finir, évoquer « l’ostalgie » nous amènera à parler de
l’Allemagne réunifiée.
2) Bornes thématiques. Pourquoi « paradoxale » ? Parce que les fondateurs de l’Allemagne de l’est,
contrairement aux autres pays de l’est, ont une responsabilité supplémentaire : ils se voient comme
l’incarnation de la lutte allemande contre le nazisme et ils sont également face-à-face avec
« l’ennemi capitaliste ». Il s’agit donc de mettre en place un Etat idéal qui permettra de réaliser
enfin les promesses du socialisme allemand qui, à bien des égards, peut se considérer comme la
véritable matrice du marxisme-léninisme (Marx était allemand et avait estimé que l’Allemagne
était le pays présentant les véritables conditions historiques de la révolution prolétarienne). Cet
Etat idéal ne peut se mettre en place, à la fois dans la tradition révolutionnaire, marxiste-léniniste et
soviétique qu’en faisant en sorte de lutter contre l’ennemi intérieur, ce qui va être le rôle de la Stasi
mais également le rôle, plus préventif, des institutions est-allemandes, telles que le SED et le
syndicat unifié.
Remarques : A la question : « faut-il évoquer l’Allemagne de l’ouest » la réponse est assurément oui. Elle
est présente en toile de fond et il s’agit de l’ennemi extérieur, celui qui permet à l’Allemagne de l’est de
construire son identité. C’est l’autre monde et l’ennemi tout à la fois et elle est en réalité toujours présente
dans l’ouvrage de Maxim Léo même si elle est rarement directement évoquée.
Problématique : Comment se met en place et évolue en Allemagne de l’est un régime qui passe de l’utopie
répressive à l’autoritarisme préventif ?
Plan : Le sujet est évolutif. D’autre part la chronologie se confond ici quelque peu avec l’approche
thématique, on adoptera donc le plan suivant :
I – L’Allemagne de l’est, Etat héritier d’un long combat politique
a) L’héritage du socialisme allemand
b) La création des deux Allemagnes
II – Encadrer la société est-allemande
a) Deux modèles concurrents
b) 17 millions de suspects
III – Ennemi extérieur et intérieur
a) La sclérose inévitable et la chute du régime
b) Réunification et ostalgie
Introduction :
L’Allemagne de l’est a connu 41 ans d’existence, presque jour pour jour, puisqu’elle a été fondée le 7
octobre 1949 et a disparu le 3 octobre 1990. Au moment de la chute du mur de Berlin, Erich Mielke, tout
puissant chef de la STASI de 1957 à 1990, aurait déclaré : « s’agit-il d’un nouveau 17 juin 1953 ? »
L’événement avait en effet traumatisé le personnel politique du jeune Etat dont on comptait faire une
véritable vitrine du socialisme, non seulement soviétique, mais également allemand, en donnant une réalité
à l’utopie d’une véritable société sans classe, unifiée par le SED, le Parti Socialiste Unifié d’Allemagne de
l’est. Dans le contexte de quarante ans de guerre froide et dans cet Etat qui se trouve plus que tout autre par
sa position et son histoire en contact direct avec « l’autre monde », celui de l’ouest, on peut se demander
comment s’est mis en place et a évolué en Allemagne de l’est ce régime qui est passé de l’utopie répressive
à l’autoritarisme préventif ? Il est possible de l’examiner en revenant sur la question des racines historiques
et idéologiques du régime et sur son projet de société soutenu par le biais d’un régime autoritaire. On
pourra voir enfin de quelle manière cette société a été condamnée à la sclérose et de plus en plus mise en
question par une dissidence dont les tentatives d’ « encadrement douces » déployées par les responsables
n’ont pas été en mesure d’enrayer le développement.
I – L’Allemagne de l’est, Etat héritier d’un long combat politique
L’Allemagne fut considérée par ses fondateurs comme un véritable Etat pionnier de l’antifascisme
et du socialisme allemand. Un socialisme allemand qui avait connu une épopée malheureuse.
a) L’héritage du socialisme allemand
Comme partout en Europe, l’Allemagne est marquée au XIXe siècle par un mouvement de laïcisation des
sociétés et la naissance de nouveaux modèles sociaux. Le modèle socialiste allemand s’est développé dans
des contextes politiques très divers : Empire, république de Weimar, IIIe Reich, RFA/RDA et Allemagne
réunifiée. On voit dès 1871 l’apparition des premiers syndicats libres en Saxe puis, au congrès de Gotha,
l’union des deux partis socialistes et enfin la création du SPD (parti social-démocrate) en 1891 par Edouard
Bernstein qui rompt de fait avec les spartakistes révolutionnaires (querelle du révisionnisme de Bernstein).
Les syndicats sont véritablement organisés l’année suivante et les années 1890-1914 voient la mise en place
progressive d’une véritable législation sociale (sous l’impulsion de Bismarck, lui-même inquiet des progrès
des socialistes). Le socialisme allemand représente la 4e force politique du pays en 1877 (presque 10% des
suffrages) et il engrange 20% des voix en 1890, en dépit des lois antisocialistes. Dans le même temps, le
mouvement syndical s’amplifie : 300000 adhérents en 1892, 2,7 millions en 1913 (36% des salariés du
secteur secondaire). Dans ses modes d’action, le syndicalisme allemand choisit plus volontiers les solutions
négociées que le recours à la grève, c’est une victoire culturelle du réformisme. La chute de l’empire le 9
novembre 1918 et la révolution russe de 1917 ont un double impact sur le socialisme allemand. Mais le
SPD participe en 1919 à la répression du mouvement spartakiste, ce qui lui aliène le soutien de la gauche
au moment où Hitler entame son ascension. Le nazisme met en place une autre forme de socialisme d’Etat.
Le SPD, devenu un parti de classes moyennes, et le KPD, créé en décembre 1918, sont interdits (le KPD en
février 1933, le SPD en juin).
b) La création des deux Allemagnes
En Hongrie, le parti des petits propriétaires est le vainqueur des élections de 1945 avec 57% des suffrages.
Son secrétaire général, Béla Kovacs, est arrêté pour « complot contre la sécurité de l’Armée rouge » puis
suivent les arrestations de grandes personnalités politiques. Ensuite, les partis, privés de leurs principaux
défenseurs, sont dissous progressivement (= « tactique du salami » – Matyas Rakosi, secrétaire général du
PC hongrois), en commençant par la droite et en finissant par les sociaux-démocrates (entre 45 et 50, 5 000
sociaux-démocrates sont arrêtés en secteur soviétique allemand dont 4 000 vont mourir en détention).
Enfin, le parti unique est instauré. Le « coup de Prague », en juin 1948, qui fait de la Tchécoslovaquie un
satellite de l'URSS, est vu par les Occidentaux comme le signe du danger de l'expansionnisme soviétique.
États-Unis, Royaume-Uni et France décident donc d'accélérer dans leur zone la reconstitution d'un État
allemand économiquement et politiquement fort, capable de faire barrage au communisme. Cette « trizone
» est pour Staline une violation des traités ; il décide d'en faire autant en fermant les liaisons terrestres entre
Berlin et l'Allemagne occidentale, qui n'avaient pas fait l'objet d'accords entre les quatre puissances
occupantes, contrairement aux accès aériens. Une épreuve de force s'engage, qui préfigure le véritable
début de la guerre froide, car les armées des deux blocs y sont face à face. La réaction américaine au blocus
est immédiate et consiste en un pont aérien de C-54 pour ravitailler Berlin-Ouest. Après 11 mois, en mai
1949, Staline doit renoncer au blocus. Cette première crise de Berlin est révélatrice, car elle officialise
concrètement la dislocation de la Grande Alliance et révèle les règles implicites de la guerre froide : les
Occidentaux n'ont pas cherché à forcer le blocus terrestre et les Soviétiques n'ont pas entravé le pont aérien,
cette maîtrise réciproque évitant la guerre. Cette situation aboutit à la constitution en septembre/ octobre
1949 de deux États, la RFA (République fédérale d'Allemagne) et la RDA (République démocratique
allemande). Elle est aussi à l'origine de la signature, en avril 1949, du traité de l'Atlantique Nord, avant la
mise en place l'année suivante de l'organisation du même nom (OTAN). C'est aussi par peur d'une
renaissance du militarisme allemand que certains États européens essaient de lancer la construction
européenne en créant la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), en avril 1951. Le refus
de la France du projet d'une armée commune (CED, Communauté européenne de défense), en 1954, pousse
les Américains à imposer l'intégration de la RFA dans l'OTAN dès octobre 1954, ce qui a pour effet
d'entraîner aussi un réarmement de la RDA et surtout la création du pendant oriental de l'OTAN, le pacte de
Varsovie, en mai 1955. La crise de Berlin transforme la ville symbole de l'hitlérisme en un symbole de
résistance à l'expansion du communisme et confirme la réintégration rapide de l'Allemagne occidentale
dans le camp des démocraties libérales. Berlin-Ouest est pour les Américains une position géopolitique
exceptionnelle et peut donc devenir pour les Occidentaux une « ville du front » de la guerre froide, un
avant-poste de l'Occident, une vitrine scintillante du capitalisme au cœur d'un monde socialiste démuni.
C'est aussi une base d'espionnage et de propagande avancée et un bureau de recrutement aisément
accessible pour la main-d'œuvre allemande qui souhaite passer d'Est en Ouest. Berlin-Est se veut un modèle
de socialisme architectural, un foyer révolutionnaire.
II – Encadrer la société est-allemande
a) 17 millions de socialistes
Le 8 mai 1949, la Loi Fondamentale est adoptée à Bonn. Le statut est fédéral : la République Fédérale
d'Allemagne (RFA), créée le 23 mai 1949, sera constituée de 10 Länder largement autonomes. La nouvelle
constitution prévoit deux chambres : le Bundestag, et le Bundesrat, émanation des Länder. Le président de
la République, élu par le Parlement, n'a qu'une fonction symbolique, le pouvoir exécutif est confié au
chancelier, élu par la majorité du Bundestag. Entre 49 et 63, la vie politique ouest-allemande est dominée
par la personnalité du chancelier Adenauer, qui dirige une coalition fortement marquée par l'empreinte
catholique et anti-nazie, avec l'appui du FDP. En 1969, les élections vont donner naissance à une nouvelle
coalition du SPD et du FDP, sous la direction de Willy Brandt. Depuis 1959, le SPD s'est officiellement
rallié à " l'économie sociale de marché ", marquant ainsi une séparation nette avec les communistes et
l'acceptation des lois du marché, tempérées par l'Etat dont le pouvoir de régulation doit assurer une plus
juste répartition de la richesse nationale.
C'est davantage par sa politique étrangère que Willy Brandt marquera son mandat, en particulier dans le
domaine de l'Ostpolitik : normalisation des rapports avec la Pologne, reconnaissance des frontières
orientales de l'Allemagne (la ligne Oder-Neisse), normalisation des relations avec Berlin-Est qui se traduit
par la signature du " Traité fondamental ", en 1972.
Afin de mettre en œuvre leur politique, les Soviétiques n'hésiteront pas à s'appuyer notamment sur le
Nationalkomitee Freies Deutschland(« Comité national pour une Allemagne libre » ou NKFD) organisation
de résistance anti-nazie fondé le 12 juillet 1943, à Krasnogorsk (à proximité de Moscou), dans le camp
modèle no 27, par les membres du comité central du Parti communiste d'Allemagne (Kommunistische
Partei Deutschlands - KPD) exilés en URSS et par quelques soldats allemands prisonniers (tant hommes de
troupe qu'officiers). Même si le comité sera dissout le 2 novembre 1945, leurs membres communistes les
plus influents, Wilhelm Pieck et Walter Ulbricht deviendront néanmoins par la suite les futurs dirigeants de
la RDA.
Ulbricht est chargé avec 9 autres membres du KPD réunis au sein du groupe qui porte son nom, de poser
les bases de la reconstruction allemande dans un programme en 4 points :
1.
Réforme agraire (die Bodenreform) ;
2.
Essor de l’industrie nationalisée : mines, chimie, etc. ;
3.
Organisation d’élection libre et secrète ;
4.
Réalisation de l’unité de la classe ouvrière.
Après que le XVe congrès du Parti communiste d'Allemagne (KPD) et le XLe Congrès du Parti socialdémocrate d'Allemagne (SPD) se sont prononcés à l’unanimité pour la fusion entre les deux organisations,
les deux groupes se réunissent dans un contexte d'intimidation massive2, les 21 et 22 avril 1946 pour
former le Parti socialiste unifié d'Allemagne (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands – SED), ces
délégués représentent respectivement les 620 000 communistes et les 680 000 sociaux-démocrates
d'Allemagne orientale. Wilhelm Pieck et Otto Grotewohl, leaders respectifis des deux partis, furent élus
conjointement présidents de la nouvelle formation. Les fonctions de direction furent réparties en respectant
la parité entre membres issus du KPD et ceux du SPD. Il est également décidé de fusionner les deux
organes de presse. Là aussi, la répartition paritaire entre les communistes et les sociaux-démocrates est
respectée. Dès l'origine, l'emprise du SED sur la vie politique est-allemande est totale. Sous la pression de
l'administration militaire soviétique, le parti social-démocrate allemand (SPD) et le parti communiste
allemand (KPD) fusionnent en avril 1946 pour devenir le parti socialiste unifié (SED = le parti communiste
est-allemand). Les différentes formations politiques rassemblées dans un "bloc anti-fasciste" doivent
désormais constituer une liste commune de candidats qui les placent en fait sous le contrôle du SED, dont
la prééminence est encore renforcée par le trucage des élections. "Instrument du prolétariat", le parti
s'aligne sur l'idéologie marxiste-léniniste. Son comité central, organe de direction du SED, élit le bureau
politique à l'origine des décisions importantes. Walter Ubricht, le premier secrétaire du parti, dirige le
comité central jusqu'en 1971. Erich Honeker lui succède et prend le titre de Secrétaire général. Le
pluralisme de façade ne remet nullement en cause le rôle de parti unique du SED qui étend ses
ramifications dans toute la RDA et crée de nombreuses organisations de masse qui constituent autant de
courroies de transmission du parti. Le SED et l'Etat ne font qu'un. Les consultations électorales ne sont que
des mascarades dans la mesure où les électeurs se voit présenter une liste unique. L'élection, purement
formelle, se résume au pliage du bulletin de vote avant son introduction dans l'urne. Pour autant, s'abstenir
de voter revient à voter contre la liste unique et donc le socialisme. L'abstention s'avère donc marginale. Le
SED, parti de masse, est en réalité un parti de cadres dans lequel les travailleurs sont sous-représentés. Le
cumul des fonctions de dirigeants vieillissants devient une règle. La RDA (7 octobre 1949) est donc un
produit, comme sa rivale de l’ouest (24 mai 1949), de la guerre et de la formation des blocs. Afin de
réaliser le modèle de la « communauté d’hommes socialiste » vantée par Walter Ulbricht en 1967, le SED
met en place un modèle à la fois communautariste, collectiviste et patriarcal d’organisation sociale parfois
assimilé à une véritable société d’ordre qui fait de la RDA une société relativement inégalitaire dominée
par la catégorie des privilégiés du régime. Le projet socialiste est basé sur une conception optimiste de
l’individu dont les possibilités d’amélioration et d’éducabilité sont infinies si on lui offre les conditions
propices à son développement.
b) 17 millions de suspects
Le parti unique organise un contrôle totalitaire sur la population grâce à des organisations de masse
encadrant la société : jeunesse libre allemande (FDJ - Freie Deutsche Jugend), confédération des femmes
allemandes, société d'amitié avec l'Union soviétique… Ces organisations offrent au SED le monopole de la
scolarisation, de la politique culturelle, des vacances… Les syndicats organisés par branches industrielles
sont rassemblés dans la Fédération Libre des Syndicats Allemands (FDGB - Freie Deutsche
Gewerkschaftsbund) soumise au SED. La FDGB vise moins à défendre les droits des travailleurs qu’à
stimuler la productivité et à éviter les revendications salariales (droit de grève supprimé en 1961). La
population est surveillée de près par la STASI, créée en 1950 et forte de 90 000 fonctionnaires et de 170
000 informateurs, qui réprime toute opposition. Cependant, la domination du SED n’est pas sans provoquer
certaines oppositions.
La disparition de Staline en mars 1953 et le relèvement de 10 % des normes de production en RDA (ce qui
équivaut à une augmentation du temps de travail sans augmentation de salaire) provoque le soulèvement
des ouvriers dans la plupart des villes du pays. Le 17 juin 1953, aux cris de « Nous ne sommes pas des
esclaves ! », « Élections libres », « Grève générale », des dizaines de milliers de manifestants se heurtent à
la police de Berlin-Est renforcée par les chars soviétiques, à l'appel du stalinien Walter Ulbricht. On estime
le nombre des victimes, pour l'ensemble de la RDA, à 500 morts. La révolte berlinoise déstabilise
profondément le SED qui prend conscience de la précarité de ses positions. Le régime ne doit son salut qu'à
l'intervention soviétique, ce qui contribue un peu plus encore à sa soumission.
La répression des manifestations ouvrières de 1953, motive le passage à l'ouest d'un flot important d'estAllemands. Jusqu’en août 1961, ces départs restent faciles d’un secteur à l'autre de Berlin où par la
frontière encore perméable qui sépare les deux Allemagne.
Ainsi, entre 1949 et 1961, 3,5 millions d’individus désertent l’Allemagne de l’Est (par la « brèche »
berlinoise pour 95% d'entre-eux). Fuyant l'absence de libertés et les faibles niveaux de vie, ce sont les plus
jeunes et les plus qualifiés qui se réfugient en RFA.
Or, l'ampleur de cette hémorragie menace l'existence même de la RDA. Les Soviétiques redoutent en outre
l'effet déstabilisateur sur les autres pays limitrophes. Walter Ulbricht, premier secrétaire du SED réclame
donc avec insistance l’autorisation de Nikita Khrouchtchev pour ériger un mur infranchissable entre les
deux secteurs de Berlin. La construction débute le dimanche 13 août 1961 vers deux heures du matin.
Stupéfaits, les Berlinois découvrent au réveil des fils de fer barbelés, bases du mur à venir.
III – Ennemi extérieur et intérieur
a) La sclérose inévitable et la chute du régime
Après l'érection du mur, la population conçoit la nécessité d'engager une série d'arrangements avec un
régime qui semble fait pour durer. Le contrôle social intense impose l'acceptation d'un certain nombre de
règles. En contrepartie, le régime conçoit la nécessité d'apporter une certaine amélioration aux conditions
d'existence d'une population lassée des pénuries et privée des libertés fondamentales. Aussi, dans la mesure
du possible, le SED fait de la RDA un modèle de société de consommation socialiste qui se traduit par la
diffusion des appareils ménagers, de la télévision et de la Trabant dont se dotent environ 15% des
Allemands de l'Est à a fin des années 1960. (6) A partir du milieu de la décennie, ces derniers disposent
d'une troisième de congés payés qui permet pourquoi pas de profiter des séjours sur les côtes de la Baltique
ou sur les rives du lac Balaton (Hongrie).
Reste que, en dépit de tous ses efforts, l’État ne parvient pas à contrôler totalement la société. La population
se ménage des espaces de repli (au sein des groupes religieux, lors de réunions privées). Les datchas, les
maisons de campagne à la russe, et les jardins privatifs (7) deviennent des refuges permettant d'échapper au
contrôle tatillon du parti et de ses organes.
La société se veut à la fois à la pointe du socialisme et acteur d’un régime original, épiant les secrets de son
voisin capitaliste; une partie des habitants a partagé cette espérance, pas seulement à cause des chars
soviétiques. Le discours officiel en RDA, paradoxal, affirmait avoir dépassé les antagonismes de classes, il
rejetait à l’extérieur la contradiction, construisant une rupture avec le national-socialisme du régime nazi et
avec le capitalisme de la RFA. Son modèle est le socialisme utopiste du siècle précédent, scientifique de
Marx ou réel de la Révolution d’octobre, à l’héritage tout récent, puisque le passé millénaire d’une
civilisation chrétienne est en partie déconsidéré. Il se donne comme objectif de dépasser le régime
capitaliste par plus de justice et d’efficacité, fiert d’avoir réussi la greffe du matérialisme historique, d’avoir
apporté un certain niveau de développement économique et un niveau de vie plus satisfaisant à la
population. Les dirigeants de l’Etat et les intellectuels de la RDA pensent alors le régime comme alternative
à la mondialisation capitaliste et au marché libéral, comme un exemple original, précurseur de l’avenir de
l’humanité tout entière.
Le développement de cette "société de niches" s'accompagne du repli sur la vie privée et la sphère
familiale avec l'essor de pratiques (naissances hors mariage, divorces) qui ne s'inscrivent pas dans le
modèle traditionnel de la famille nucléaire voulue par le pouvoir.
De même, le recours accru aux pratiques contraceptives rend inefficace les mesures natalistes adoptées par
le régime et le problème de la dénatalité affecte la RDA à partir de la fin des années 1960.
Une série d’événements internationaux fragilisent le mythe de la révolution invincible : Gorbatchev et la
Perestroïka, la politique à l’Est de Jean-Paul II à la suite du Concile Vatican II (le pape dénonce les
mensonges d’État et le régime communiste tout comme le «mirage consumériste de l’Ouest »), les effets de
la catastrophe de Tchernobyl. L’Europe de l‘Est ne peut rester artificiellement isolée face à l’accélération
des grandes mutations technologiques, la téléphonie, la télévision hertzienne ou les programmes
d’ordinateurs. L’émergence d’une opposition interne au pays rejoint la montée des mécontentements des
classes moyennes devant les disparités des niveaux de vie, parfois au nom des principes affichés du régime,
parfois contestant celui-ci. Les résultats économiques médiocres à partir des années 70 et le développement
des inégalités entre la majorité de la population et les cadres du parti renforcent la contestation du régime.
Cette dernière s’accentue avec les réformes entreprises par Gorbatchev en URSS à parti de 1986 car le SED
s’oppose à toute évolution qui risquerait de déstabiliser le régime. A l’automne 1989, des manifestations
conduisent à la chute du régime, symbolisée par la destruction du mur de Berlin le 9 novembre, soit 71 ans,
jour pour jour, après la destitution de Guillaume II.
b) De la réunification à l’ « ostalgie »
Après la chute du communisme en RDA, des élections libres sont organisées à l’Est, le 18 mars 1990, et
consacrent la victoire d’une coalition de trois partis (48%), comprenant les Chrétiens démocrates. Le SPD
n’obtient que 21,8% des voix et le Parti du Socialisme Démocratique (PDS - Partei des Demokratischen
Sozialismus) qui remplace le SED que 16,3%. La CDU bénéficie de la victoire contre la dictature
communiste tandis que le PDS est encore perçu comme héritier de la RDA et que le SPD paye ses
hésitations quant à la réunification et à la politique économique à choisir. Dans le même temps, le FDGB
communiste s’autodissout et ses membres rejoignent la DGB, liée au SPD. De 1990 à 1998, le SPD se
trouve dans l’opposition. Pour reconquérir le pouvoir, le SPD modifie son discours social-démocrate en
acceptant la privatisation de l’économie et en développant de nouveaux thèmes autour du droit des femmes
ou de l’environnement. C’est d’ailleurs à la tête d’une coalition avec les Ecologistes que le SPD retrouve le
pouvoir, en 1998.
Le gouvernement de Gerhardt Schröder vote des lois écologiques et sociales mais doit faire face à la
nécessité de lutter contre le chômage et contre les effets négatifs de la mondialisation. Il décide alors, en
2005, de renforcer la compétitivité de l’économie allemande au dépend de son modèle social. Ce
programme de réformes libérales, connu sous le nom d’Agenda 2010 ou lois Hartz, libéralise les conditions
de travail et réduit les dépenses sociales (réforme des retraites, remise en cause de l’Etat-providence…).
Cette politique provoque une forte opposition de la part des syndicats et d’une partie du SPD qui lui
reproche de renier la social-démocratie. A l’opposé, la droite salue les mesures prises par le gouvernement
Schröder car elles ont renforcé la compétitivité de l’économie allemande. Cela montre à la fois un
effacement du clivage droite-gauche mais aussi une crise idéologique au sein de SPD qui se manifeste par
une multiplication des partis à la gauche du SPD. En 2005, des militants déçus du SPD et des syndicalistes
fondent l'Alternative Electorale Travail et Justice Sociale (WASG - Wahlalternative Arbeit und soziale
Gerechtigkeit). Dans le même temps, le PDS, héritier du SED, change de nom et devient le Parti de Gauche
(Linkpartei). En 2007, WASG et le Linkpartei fusionne pour former La Gauche (Die Linke), un
mouvement antilibéral proche des communistes. Aux élections de 2009, Die Linke obtient 12% des voix
contre 23% pour le SPD.
Après la réunification allemande, la situation de la DGB est difficile. L’économie post-industrielle qui se
met en place, l’essor des classes moyennes, l’apparition de nouvelles préoccupations non liées au travail et
le recul de l’idéal de solidarité réduisent le recrutement de la Confédération syndicale : elle passe de 12
millions d’adhérents en 1991 à 7 millions en 2004. S’ajoute à cela la politique menée par le SPD, entre
1998 et 2005, dont elle est proche, et qui provoque de nombreuses grèves organisées pour protester contre
la perte des acquis sociaux. Cependant, le syndicalisme allemand reste puissant par rapport aux autres
syndicalismes européens.
+ [ostalgie]
Conclusion :
La RDA ne se distingue pas toujours des démocraties populaires des pays de l’Europe de l’Est pour ce qui
est de son imprégnation par l’idéologie communiste, ni par sa manière de concevoir le marxisme-léninisme.
Elle partage les principes soviétiques et les réseaux économiques des démocraties populaires sous
l’assistance des troupes du pacte de Varsovie. C’est dans leur application sur le terrain, au niveau
pragmatique, dans les conditions spécifiques de la RDA et dans leur application au niveau local que se
manifeste son originalité. Tout d’abord par le fait qu’elle est proche, par la culture, la langue, les religions
et par l’histoire de son voisin de l’Ouest, la République fédérale. Car l’histoire de l’Allemagne est
particulière en Europe : dans les milieux universitaires, la notion de Sonderweg connut, en tant
qu’explication historique, un engouement certain, puis une spectaculaire désaffection. L’optimisme dans le
progrès social prolonge l’idéal d’un monde rationnel apporté par les Lumières. Désormais, grâce à la
science et au marxisme, il est possible de changer les rapports sociaux et d’apporter davantage d’égalité
entre les hommes ; il y a un sens à l’histoire dans l’industrie avec les soviets et l’électricité ; dans
l’agriculture, avec les coopératives, le tracteur et les engrais. Une troisième voie utopiste entre l’Est et
l’Ouest n’est pas envisageable. La partition en deux États opposés symbolise les (deux seules) voies du
développement ; elle postule deux modèles normatifs de croissance économique, c’est-à-dire l’existence
d’une alternative communiste à la « voie normale », occidentale, américaine, française ou britannique, par
opposition à la déviance allemande du troisième Reich. Mais la dictature du prolétariat devient en fait
dictature sur le prolétariat. En voulant abolir la lutte des classes, paradoxalement elle l’exacerbe. Elle
suppose que sa nature générale n’est pas le despotisme mais l’hégémonie d’un pouvoir despotique sur
l’ensemble de la vie sociale, l’incarnation de l’arbitraire dans la bureaucratie, la subordination de tous les
rapports sociaux au premier secrétaire.
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