L’expérimentation classique souffrait par ailleurs de quelques lacunes : la difficulté à s’insérer en milieu «
naturel » ainsi que les affronts moraux de certaines expériences, par exemple, les expériences de Zimbardo ou Milgram.
Robert Pagès et Serge Moscovici réintroduisent donc la psychologie sociale expérimentale en France en
s’attachant à développer un regard neuf sur le rôle de l’expérimentation et la place de la discipline et des
thèmes abordés dans la société. Pagès s’intéresse notamment à l’insertion du dispositif social
expérimental en situation sociale naturelle, soulignant l’importance de l’affabulation et du débriefing
(donner une « fausse » explication pour amener le sujet à passer l’expérimentation sans se douter de son but,
puis renseigner par la suite le sujet sur l’expérience à laquelle il vient de participer). L’affabulation est une
nécessité technique pour réaliser l’expérimentation de manière écologique (sans dénaturer le milieu social
naturel) mais il est tout aussi nécessaire du point de vue éthique d’informer les sujets de la teneur de cette
expérimentation.
La psychologie sociale et l’expérimentation peuvent également s’insérer au sein d’une réflexion
sur la société et les phénomènes culturels, elles ne sont pas limitées à l’analyse de phénomènes prenant
naissance dans les groupes restreints. Moscovici est ainsi à l’origine de deux courants de recherches qu’il
va mettre en lien avec un niveau social supérieur à celui des micro-groupes étudiés habituellement.
la Représentation sociale : il créé ce terme en 1961 lors de l’étude approfondie de « la façon dont les gens
perçoivent la psychanalyse », et définit la représentation sociale comme le maillon intermédiaire entre la représentation
individuelle et la représentation collective. Elle constitue un ciment partagé par de grands groupes sociaux, un savoir de
sens commun qui permet de gérer la réalité sociale, en même temps qu’il accorde une certaine stabilité dans
l’ensemble social (plus grand que le groupe mais moins que la société). La représentation sociale est à ce titre un
facteur de cohésion et de maintien des sociétés.
l’Influence minoritaire : Si l’influence majoritaire a fait la démonstration de son existence lors de
nombreuses expérimentations précédentes (conformisme, persuasion…), elle ne constitue avant tout
qu’un facteur de stabilité au sein des sociétés et des groupes, et empêche son évolution. Pourtant, les
groupes, tout autant que les sociétés, subissent des changements parfois radicaux. Selon Moscovici, l’influence
minoritaire constitue le moteur de changement des ensembles sociaux. En étudier les mécanismes revient alors à
étudier l’évolution des sociétés.
Avec le renouveau européen, d’autres auteurs vont initier des travaux sur des thèmes proches, comme la
catégorisation sociale et l’identité sociale de Henry Tajfel : l’idée défendue est que l’individu
cherche une place dans un groupe avec lequel il partage des valeurs. L’appartenance groupale nivelle, à ces yeux,
les différences entre les membres de ce groupe, et exacerbe les différences intergroupes. L’individu se définit
quant à lui par rapport aux valeurs véhiculées par son groupe d’appartenance. Là encore le regard sur la société
et son fonctionnement prend une place importante dans la réflexion de l’auteur.3. Cognitivisme et neurosciences
socialesDepuis une trentaine d’années déjà, la psychologie sociale s’inspire plus ouvertement
d’autres sciences ou disciplines de la psychologie. Si la méthodologie devenue classique donne naissance à des
courants encourageants (par exemple, théorie de l’engagement, Beauvois et Joule, 1980), de nombreuses
recherches se tournent vers des méthodologies éprouvées en neurosciences ou en psychologie cognitive.
L’une de ces évolutions les plus marquantes est l’intervention d’outils tels que l’IRM dans la
mesure des comportements sociaux. Un champ vaste d’étend dans le domaine des corrélations entre faits
sociaux, émotions, et activité cérébrale, et la méthodologie cognitive intervient de plus en plus en psychologie sociale
pour exprimer et mesurer les données individuelles. En parallèle avec ce champ de recherches, l’essor de
l’internet et des ordinateurs offre de nouveaux outils et champs d’investigation prometteurs (nouveaux
réseaux sociaux, publicité, simulations sociales gérées par l’IA). La psychologie sociale atteint
vraisemblablement un nouvel âge d’or pour lequel ses applications prennent une importance toute particulière,
dans une société globalisante ou les contacts sociaux se diversifient et se multiplient sans cesse.(1) Lewin K., (1943),
Forces behind food habits and methods of change, Report of the committee on food habits. Washington, Bulletin Nat.
Res. Counc. CVIII, 35-65
(2) Sherif, M. (1935). A study of some social factors in perception. Archives of Psychology, 27(187) .
(3) Asch, S. E. (1951). Effects of group pressure upon the modification and distortion of judgment. In H. Guetzkow (ed.)
Groups, leadership and men. Pittsburgh, PA : Carnegie Press.
Moscovici S., (2003). Psychologie sociale, Paris PUF.
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