ANNEXE : TEXTE A LIRE AVANT DE TRAITER LA PARTIE II
À l’automne 1934, Keynes participa avec d’autres intervenants à une série d’émissions
radiodiffusées intitulée « La pauvreté dans l’abondance ». On trouvera ci-dessous un extrait
de ce qu’il a dit dans l’une d’elles.
J’ai dit que nous nous répartissions en deux groupes principaux. D’où vient le clivage qui
nous divise ainsi ? Il y a d’un côté ceux qui croient que le système économique existant est,
dans le long terme, un système qui s’autorégule, même si c’est avec des grincements, des
gémissements, des secousses et des retards, sans compter les interférences extérieures et les
erreurs. […] Ces personnes ne croient pas, bien sûr, que le système s’ajuste de lui-même,
automatiquement ou immédiatement. Mais ils croient qu’il possède une tendance inhérente à
l’auto-ajustement, s’il ne subit pas des interférences ou si l’action du changement ou du
hasard n’est pas trop rapide.
De l’autre côté, il y a ceux qui rejettent l’idée selon laquelle le système existant peut-être
qualifié, en quelque sens que ce soit, d’autorégulateur. Ils pensent que si la demande effective
n’atteint pas le niveau de l’offre potentielle, alors même que, du point de vue psychologique,
elle est très loin d’être satisfaite pour grande majorité des individus, c’est pour des raisons
bien plus fondamentales. […]
Le gouffre qui sépare ces deux écoles est plus profond, je pense, que la plupart de ceux qui
se tiennent de part et d’autre ne s’en rendent compte. De quel côté réside la vérité essentielle ?
C’est la question vitale que nous avons à résoudre. C’est de ce problème majeur que ces
allocutions doivent vous faire prendre clairement conscience, si elles doivent atteindre leur
objectif. […]
La force de l’école de l’auto-ajustement repose sur le fait qu’elle a derrière elle la quasi-
totalité du corpus de la pensée économique et de la doctrine de ces cent dernières années.
C’est une puissance formidable. Ce corpus est le produit d’esprits aiguisés et a convaincu la
majorité des personnes intelligentes et désintéressées qui l’ont étudié. Il jouit d’un grand
prestige et exerce une influence bien plus étendue qu’il n’y paraît. Car il constitue l’arrière-
plan de l’éducation et des façons de penser habituelles, non seulement des économistes, mais
des banquiers, des hommes d’affaires, des fonctionnaires et des hommes politiques de tous
bords. Ses éléments essentiels sont acceptés avec ferveur par les marxistes. De fait, le
marxisme dérive en droite ligne de l’économie ricardienne […]. A tel point que, si l’économie
ricardienne devait s’écrouler, un des fondements intellectuels essentiels du marxisme
s’écroulerait avec elle.
[…] Je suis bien obligé d’admettre qu’une grande part du corpus établi de la doctrine
économique est largement correcte. Je ne la mets pas en doute. Je ne serai donc pas satisfait
tant que je n’aurai pas mis le doigt sur la faille de cette partie du raisonnement orthodoxe
conduisant aux conclusions qui, pour différentes raisons, me paraissent inacceptables. Je
pense que je suis en train d’y parvenir. Il y a, j’en suis convaincu, une faille fatale dans la
partie du raisonnement orthodoxe traitant de ce qui détermine la demande effective et le
volume global de l’emploi […].