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1. Introduction
Depuis bien longtemps, la vie de Molière est une énigme jalonnée de mystères, de
rumeurs et de légendes spectaculaires. Cette tendance a été encouragée par le manque de
manuscrits ou de correspondance de sa main. Ceci pose un problème fondamental. Une légende
populaire est née de cette carence de témoignages écrits de l’époque: aux alentours de 1820 un
paysan se serait présenté à la Bibliothèque Nationale, avec dans sa charrette tirée par un âne
« tous les papiers de Molière »1. On aurait renvoyé le paysan qui disparut avec tous les
documents.
« Molière avait-il une philosophie? Ou peut-être en avait-il plusieurs? Peut-être n'a-t-il
jamais choisi2 » ? Que savons-nous vraiment de Molière qui a laissé si peu de traces hormis ses
pièces de théâtre ? « On ne connaît de Molière […] que deux fois quatre lignes autographes, et
encore suspectes : deux quittances pour de l’argent reçu au nom de sa troupe »3. De nombreux
biographes ont tenté de reconstruire la vie de Molière, jusqu’à aller dans les plus menus détails,
tel Grimarest, par exemple.
Est-il seulement concevable qu’un des plus grands écrivains du XVIIe siècle n’ait laissé
aucune trace ? On ne conserve de lui que quelques signatures en bas d’actes d’état-civil ou de
contrats. En 1919 Pierre Louÿs avance d’un pas en lançant la théorie que l’auteur des
nombreuses comédies de Molière n’était autre que Corneille. Cette théorie se base surtout sur des
préjugés utilisés par les ennemis de Molière au XVIIe siècle : un farceur et un autodidacte
n’aurait pas pu écrire de telles comédies et connaître une telle ascension dans le monde théâtral.
Cette popularité reviendra cher à Molière, accusé de débauche, de libertinage et d’inceste ( il
aurait épousé sa propre fille).
Molière était-il un grand comédien ou un bouffon farceur ? Avait-il des intentions édifiantes
ou cherchait-il simplement à faire rire son public ? Les historiens et les critiques ont vu en
Molière une multitude de personnalités différentes. Jusqu’au début du XXe siècle l’Église, par
exemple, cherchait toujours à dépeindre Molière comme un bouffon, athée par sa propre
ignorance. Si toutes ces histoires et légendes sont intéressantes pour connaître l’importance de
Molière du XVIIe siècle à nos jours, elles ne constitueront pas le principal argument de cette
étude. Nous allons tenter d’identifier l’influence ou non de la philosophie du XVIIe siècle dans
1 Roger DUCHENE, Molière, Fayard, Paris, 2006, p. 7.
2 Henri BUSSON, La Religion des Classiques (1660-1685), Presses Universitaires de France, Paris, 1948 , p. 229.
3 Roger DUCHENE, op.cit., p. 7.