Thérapeutique du symptôme ou symptôme thérapeutique

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Thérapeutique du symptôme ou
symptôme thérapeutique
Jean-Pierre Klotz
Pourquoi considère-t-on spontanément qu’un symptôme est un déficit ou une anomalie
qu’il conviendrait de combler ou d’éradiquer ? Sans doute cela tient-il à ses liens avec la
médecine. Il équivaut dès lors aux signes d’une maladie à soigner, à traiter, à guérir.
Distinct de sa cause, son traitement n’est que palliatif, allègement local risquant parfois
de masquer l’essentiel, celui que vise le traitement étiologique. Il est moyen, mais n’est
jamais sa propre fin.
Le discours du maître
Certes, dans la psychanalyse, on prend soin de distinguer le symptôme du signe, et le
symptôme analytique du symptôme médical. On lui prête attention pour son sens, sans
forcément méconnaître sa consistance propre, voire même ce que nous appelons sa
jouissance, sous les espèces de la résistance qui s’attache à sa persistance. On y tient au
symptôme, et même, on s’y tient au-delà. Mais l’orientation première demeure l’appel au
sens, au sens caché qu’il s’agira de révéler, de déchiffrer, avec un effet de libération
identifié à une domination qu’on obtiendrait sur lui. C’est l’hypothèse de la domination
par la solution. Vaincre le symptôme avec les moyens du sens, cela devrait vous fabriquer
des guéris par allégeance à la splendeur du vrai inculquée par le maître.
Le résultat de cette psychothérapie réputée psychanalytique est du même ordre que la
démocratisation « polémothérapique » supposée des Irakiens attendue ces derniers temps
de l’effet de bombes pleines de sens. Le sens n’opère que véhiculé par un réel, là comme
ailleurs, il faut le souligner. Ce qu’on ignore devant la fascination de cette édifiante
histoire, c’est qu’il ne s’agit que de la vérité du symptôme de ce maître, d’une suggestion
qui, dans l’expérience, n’a pas besoin de bombes pour être imposée : le transfert y suffit
— le temps qu’il dure, et le temps, dans la psychanalyses c’est du réel, d’autant plus réel
que non mesurable par le chronomètre, un inaliénable instant séparant un avant d’un
après! L’effet produit y est suspendu. Là où l’on croit à l’éradication, par contre, il n’y a
qu’imposition d’un symptôme avec renforcement de la méconnaissance, inaperçue dans
le fracas du changement supposé. Il s’agit là d’une authentique politique
psychothérapique, c’est-à-dire toujours d’un traitement par ce que Lacan a nommé le
discours du maître. Le thérapeute, voilà une bonne définition du maître moderne,
dispensateur du bien contre le mal.
Psychothérapie, psychanalyse et symptôme
Pardonnez ma désinvolture un peu cavalière, ou bien, pour être plus moderne, son style
char d’assaut, destinée pourtant à ne frapper ici que des idées reçues. Il ne s’agit même
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pas de récuser les bienfaits, s’il y en a, de la thérapie, psycho- ou autre, mais de ne pas la
confondre avec la psychanalyse, même dite «appliquée», même considérée quant aux
effets de soulagement ou de résolution qu’elle peut apporter à qui s’en sert. La
psychanalyse appliquée l’est d’abord au symptôme, lequel est le cadre, le commencement
et la fin du traitement psychanalytique. Il n’est en psychanalyse de traitement que
symptomatique, le symptôme y incluant la cause, qui n’est pas-toute, le symptôme qui est
le partenaire du sujet.
Car le sujet ne saurait pas ne pas avoir de partenaire, du début à la fin de l’expérience
analytique, terme que Lacan préfère à celui de traitement. Ce qui peut s’y produire
d’imprévu ou même d’inédit est à considérer, plutôt que l’établissement a priori de fins
thérapeutiques — ou de fins didactiques, pas moins impossibles à anticiper, puisque
dépendantes de l’expérience, sans automatisme. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas
d’effets thérapeutiques mais qu’ils se produisent « de surcroît » comme Freud et Lacan
l’ont avancé. Voilà une thèse, eu égard à la structure de l’expérience, qui n’est pas de
surcroît, elle en est partie intégrante — même si elle désintègre sa totalisation avec le
symptôme. Nous retrouvons ici ce dernier, avec sa place, sa fonction et sa structure, dans
le contexte d’une expérience visant le réel, au-delà des limites du sens, et même au-delà
du sens bien connu du symptôme considéré comme une formation de l’inconscient.
Sur le symptôme
Le malentendu sur le symptôme en psychanalyse, structure passant pour Une et
néanmoins hétéroclite par le réel qu’elle véhicule, est souvent repéré. Il n’en est pas
moins souvent rencontré, encore et encore. La répétition s’y déploie en acte. Le
symptôme vu comme signe de dysfonctionnement, et la recherche des symptômes (au
pluriel) pour aider au bon diagnostic, ou permettre de déchiffrer la possible dimension de
sens, est facilement vu comme au premier plan commun des préoccupations du sujet et de
l’analyste, supposés travailler ensemble dans la même direction, celle de la recherche du
mieux-être. Déchiffrer, apprendre à lire les formations de l’inconscient, et parmi elles le
symptôme, cela se voudrait produire un soulagement automatique.
Freud s’est pourtant lui-même heurté à ce qu’il a étrangement nommé « la réaction
thérapeutique négative », soit l’absence d’effet là où il était attendu au nom de cet
automatisme du traitement par le sens. La raison de ce heurt est que l’expérience
analytique n’est pas une simple affaire de sens, que tout ne peut pas se dissoudre dans le
symbolique. Il y a un reste qui correspond à ce que Lacan nomme abusivement,
mensongèrement, puisqu’il s’agit d’un impossible à dire, le réel. Ce pas-tout symbolique
est d’abord le pas-tout symbolique du symptôme analytique.
Il y a deux pôles dans le symptôme, celui du message qui peut être traduit
symboliquement, et celui du réel, de la jouissance du symptôme que Lacan dans son
dernier enseignement a appelé «sinthome» — un mot de vieux français dont il a fait un
vrai néologisme, soit une invention symbolique visant à démarquer un réel. Pour le sujet
qui y est impliqué, le symptôme est don le sien propre, une invention qui suit sa propre
route. Il a sa propre voie de connexion avec le réel.
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Le symptôme thérapeutique
Telle est aussi la raison pour laquelle nous pouvons dire que le symptôme comme tel,
avant de requérir un traitement comme signe d’une maladie est lui-même un traitement
du réel par le symbolique. L’expérience analytique peut produire un changement — ce
que nous appelons couramment un traitement — qui est avant tout un changement dans la
/ relation, dans le partenariat avec le symptôme, un changement dans la position du sujet
dans le symptôme. Il est impossible de prendre en considération la psychanalyse dans sa
dimension effective, active, sans un tel changement.
Les conséquences, par exemple, devraient être cherchées au niveau de ce que Lacan
appelait la « psychanalyse pure », quand il parle dans ce contexte d’ «identification au
symptôme». Mais elles doivent aussi se rencontrer au niveau de la «psychanalyse
appliquée », cette partie de l’expérience qui s’occupe des effets thérapeutiques, comme
traitement appliqué au symptôme, par le symptôme, visant le symptôme, n’allant pas audelà du symptôme. Avec le symptôme comme pierre de touche, nous pouvons ne pas
errer du côté de la fallacieuse psychothérapie éradicatrice du mal il n’y a pas d’effet
thérapeutique sans symptôme, du début à la fin, et au-delà.
Cet accent sur le symptôme déplace l’accent vers son repérage, son édification, sa mise
en place. L’analyste y est inclus, il le mobilise dans un partenariat où le maniement du
transfert, soit celui du temps et du silence, par exemple, interdisent tout tableau descriptif.
Mais la formation du psychanalyste au symptôme — qui n’est pas forcément distincte de
sa capacité, conquise dans son propre passage par l’expérience analysante, à le
désubjectiver pour qu’un autre sujet puisse venir s’y prendre — doit laisser au sujet
analysant le choix de se servir de la psychanalyse à la mesure de son symptôme à lui. La
relation inter-symptomatique, tel est le résultat pour le sujet, qui s’en traite à la mesure de
son choix, sans que le psychanalyste ait à lui imposer ses propres symptômes, lesquels ne
seraient que ceux du sujet qu’il a appris à ne pas être lorsqu’il occupe sa place d’analyste.
Prenons l’exemple du symptôme le plus classique en psychanalyse, la conversion
hystérique, cette participation du corps au discours que Lacan a pu noter dans L ‘envers
de la psychanalyse comme refus du corps lié à une « jouissance d’être privé ». Cette
conversion, soi-disant disparue dans la modernité — alors que les épidémies subjectives
identificatoires fourmillent et que les récits de viols intra-familiaux dans l’enfance font
comme jamais la une des gazettes — ne suffit pas à qualifier le symptôme analytique. Il
faut y adjoindre l’analyste en position de partenaire présentifiant un réel travesti dans les
avatars du transfert, avec un jeu du temps et de la représentation silencieuse à côté des
mots de la passion. La solution que constitue le symptôme dans l’instauration de ce
partenariat, toujours nouveau quand il se produit, peut être considérée comme une
solution forgée au non-rapport sexuel. L’avancée sur ce chemin se fait à la mesure de
chaque cas, les possibilités d’arrêt dépendant de ce qui peut se stabiliser d’une position
particulière.
Cette prise en compte du symptôme thérapeutique consonne avec la thèse de la fonction
de la suppléance dans la psychose ayant servi à Lacan pour définir le sinthome avec
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Joyce. Il illustre de la façon la plus éloquente ce que peut vouloir dire la guérison en
psychanalyse. On peut ici rappeler que nulle part chez Freud ne figure de façon plus nette
ce qu’il en est de la guérison qu’à propos du délire de Schreber, ancêtre de la dite
suppléance.
Le parcours de la cure, ou du soin, va donc de la demande de guérison du symptôme au
symptôme thérapeutique, ou, comme Jacques-Alain Miller le disait au début de son cours
sur « Le partenaire-symptôme», du symptôme comme dysfonctionnement au symptôme
comme fonctionnement. Il ne saurait y avoir d’autre fonctionnement pour le
psychanalyste que symptomatique. Symptomatiser les troubles et par là les traiter, audelà de tout automatisme, telle est l’orientation de la psychanalyse faisant de la
thérapeutique l’affaire du sujet selon son choix, non individuel.
Publié dans Mental No 13, Décembre 2003, Soigner par la psychanalyse.
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