SEISMES–ERUPTIONS–GLISSEMENTSDETERRAIN Phénomènestelluriquessurleterritoirefrançais: ObservaEon,recherche,surveillance,alerte. Quelsrôlespourlacommunautéacadémique? Livre blanc de la communauté scientifique académique __________________________________ Novembre 2017 – Document de travail INSTITUT NATIONAL DES SCIENCES DE L’UNIVERS Mise en garde Ce document n’est pas encore achevé à ce stade et demeure au stade de document de travail. Il est soumis jusqu’au 31 décembre 2016 à l’avis de la communauté scientifique des spécialistes du domaine Terre solide du CNRS-INSU. Après avoir reçu les remarques et recommandations des spécialistes, le groupe de travail achèvera la rédaction de ce document pour aboutir à la version finale qui sera éditée et transmise en premier lieux aux autorités et tutelles, aux organismes partenaire, à la direction du CNRS, à la communauté scientifique . Il est demandé aux scientifiques qui souhaitent contribuer à cette réflexion de transmettre leurs remarques à une (ou la) personne du groupe de travail de leur laboratoire. Pour les laboratoires qui n’ont pas de représentant dans le groupe de travail, merci d’adresser vos remarques simultanément à : [email protected] (coordinatrice) 2 SOMMAIRE AVANT PROPOS p. 4 GROUPE DE TRAVAIL P. 5 SYNTHESES DES RECOMMANDATIONS p. 6 PREAMBULE , Observation, surveillance, alerte, aléas et enjeux associés p. 11 CHAPITRE I. Institutions impliquées ou en charge de la recherche, de l’observation, de la surveillance, de la prévision et de l’alerte p. 13 CHAPITRE II. Les grands processus à l’origine des catastrophes telluriques et implications pour la prévision A. La dynamique terrestre à l’origine des séismes et des éruptions volcaniques B. Les séismes et le cycle sismique C. Eruptions volcaniques : types, précurseurs, approches prédictives D. Tsunamis p. 18 CHAPITRE III. Les phénomènes sismiques en France A. Le cas de l'hexagone et des zones limitrophes B. Le cas des Antilles C. Autres régions : Nouvelle-Calédonie et Vanuatu p. 35 CHAPITRE IV. Les phénomènes volcaniques en France A. Le volcanisme en France B. La Réunion et le Piton de la Fournaise C. Soufrière et Montagne Pelée : les volcans français des Antilles p. 70 CHAPITRE V. Les phénomènes gravitaires en France A. Contexte phénoménologique B. Typologie et exposition historique et contemporaine C. Quel dispositif vis-à-vis des autorités en cas de crise, quelles autorités ? p. 89 CHAPITRE VI. , Situation de crise, responsabilité, information, communication p. 96 A. Comment définir l’évolution d’une crise, décider de son début et de sa fin ? B. L’information des autorités en cas de crise intérieure et en cas de crise extérieure pouvant impacter le territoire français C. La communication vers les media et le public 3 AVANT PROPOS A la suite du séisme de L’Aquila (Italie 2009) et des événements judiciaires qui ont suivi impliquant la communauté des sismologues italiens, la communauté scientifique françaises concernée par les risques telluriques et la direction de l’Institut national des sciences de l’Univers du CNRS (INSU) se sont interrogés sur le degré de préparation de la communauté scientifique française en cas de catastrophe majeure survenant sur le territoire métropolitain ou dans les départements d’outremer. Après le travail d’un groupe d’experts mis en place par la direction de l’INSU et l’auto saisine du Comité d’éthique du CNRS, la Commission spécialisée du domaine Terre Solide de l’INSU a organisé une table ronde sur le thème des risques telluriques en France dans le cadre de son travail de prospective, qui s’est conclu à Cabourg en novembre 2014, lors d’un colloque de restitution. La conclusion de cette table ronde a été d’énoncer la nécessité de faire un état des lieux complet, sous la forme d’un livre blanc destiné principalement à informer les autorités, sur : l’avancée des connaissances concernant les processus telluriques (séismes, éruptions volcaniques, glissement de terrain) ; l’état des moyens mis oeuvre pour l’observation, la recherche, et dans certains cas la surveillance et la prévision des catastrophes telluriques ; la responsabilité et l’implication de la communauté académique en cas de catastrophe majeure, la communication des scientifiques en cas de crise. La préparation de ce livre blanc a été confiée, sous l’égide de l’INSU, à un groupe de travail comprenant volcanologues, sismologues, géophysiciens issus d’une dizaine de laboratoires concernés dont le CNRS est co-tutuelle. Elle s’est donc effectuée dans le cadre du CNRS. Les tsunamis ayant précédemment fait l’objet d’un travail de réflexion inter-organismes qui a conduit à la mise en place du CENALT en 2009, les tsunamis n’ont pas été traités spécifiquement dans ce document. Le document présent marque la fin d’une première étape, celle de l’état des lieux réalisé par le groupe de travail. Ses conclusions et recommandations doivent maintenant être soumises à l’avis de la communauté scientifique concernée afin d’achever ce travail et d’éditer le livre blanc demandé. La journée atelier-débats, prévue le 17 novembre 2016 à l’Institut de physique du globe de Paris sera le moment, pour le groupe de travail, de recueillir l’avis et l’engagement à ses côtés de la communauté scientifique en charge des aléas telluriques avant d’achever sa mission. 4 GROUPE DE TRAVAIL AGRINIER Pierre (Institut de physique du globe de Paris), BACHELERY Patrick (Laboratoire magmas et volcans/OPGC, Clermont-Ferrand), BERNARD Pascal (Institut de physique du globe de Paris), DELOUIS Bertrand (GéoAzur, Sophia Antipolis), DEVERCHERE Jacques (Laboratoire Domaine Océanique/IUEM, Brest), DIAMENT Michel (Institut de physique du globe de Paris), GIBERT Dominique (Institut de physique du globe de Paris), GRASSO Jean-Robert (Institut des sciences de la Terre/OSUG, Grenoble), HUMLER Eric (Institut national des sciences de l’Univers), JAUPART Claude (Institut de physique du globe de Paris), MARTEL Caroline (Institut des sciences de la Terre d’Orléans/OSUC), VERGNE Jérôme (Institut de physique du globe de Strasbourg/EOST), VIGNY Christophe (Laboratoire de géologie de l’ENS, Paris). Avec la contribution de : CLOUART Valérie (Institut de physique du globe de Paris, OVSM, Martinique), DESSERT Céline (Institut de physique du globe de Paris, OVSG, Guadeloupe), GUEGUEN Philippe (Institut des sciences de la Terre/OSUG, Grenoble), LE FRIANT Anne (Institut de physique du globe de Paris), MANGENEY Anne (Institut de physique du globe de Paris), PELTIER Anne (Institut de physique du globe de Paris, OVSR, La Réunion), SCAILLET Bruno (Institut des sciences de la Terre d’Orléans/OSUC), SCHLUPP Antoine (Institut de physique du globe de Strasbourg/EOST), VILLENEUVE Nicolas (Institut de physique du globe de Paris, OVSR, La Réunion). Coordination GRAPPIN Christiane (Institut national des sciences de l’Univers), 5 SYNTHESE DES RECOMMANDATIONS Chapitre I. Institutions • Rendre publiques sans limitation les données récoltées par les opérateurs et œuvrer pour une conscience commune des opérateurs et des structures académiques. • - Pour les tâches de surveillance et d’alerte réalisée par les labos académiques : Etablir des textes « stables » et raisonnés qui lient les instances de recherche en charges des réseaux d’observations et de l’alerte avec les « opérateurs » du risque ; en fixent les attributions et définissent les responsabilités de chacun. Donner aux structures, qui en sont chargées, les moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs missions/tâches d’observation et d’alerte, c’est-à-dire : régler notamment les problèmes d’astreintes) ; les protéger des aléas budgétaires tant que leur contribution à la sécurité publique est avérée. Ne pas couper les structures de surveillance et d’alerte de celles « chargées » de la fonction recherche d’excellence qui est indispensable pour progresser dans la connaissance du risque, de sa gestion, et de l’alerte… - - • Mettre les Antilles, région la plus active de France au centre des préoccupations en matière de risque tellurique. Chapitre II. Les grands processus • Les études sur les processus physiques, là où ils s’expriment de part le monde, et sur les méthodes d'observation et de caractérisation des phénomènes telluriques (séismes, éruptions volcaniques, mouvements gravitaires, tsunamis) sont essentielles pour faire progresser notre connaissance de ces phénomènes et la chaîne détection-analyse-prévision. Ces approches fondamentales et observationnelles doivent être maintenues, encouragées, intensifiées. Chapitre III. Les séismes • Pérenniser le dispositifs d’observation sismologiques et géodésiques en assurant leur fonctionnement long terme et leurs indispensables évolutions, de manière à faire progresser les connaissances fondamentales nécessaires à une meilleure estimation de l’aléa sismique. 6 • Poursuivre les actions initiées dans l’axe transverse « Sismicité » de RESIF afin de mettre en place des produits issus des données des observatoires (catalogue et bulletin de référence de la sismicité, cartes d’intensités, ShakeMap, …), et favoriser leur utilisation par d’autres acteurs que ceux de la recherche académique. • Renforcer des actions de recherche fondamentale et appliquée impliquant significativement la communauté académique sur l’estimation de l’aléa, la vulnérabilité et le risque associés aux séismes naturels et induits, et allant de l’échelle locale à celle de tout le territoire. • Développer et favoriser les interactions entre les acteurs de la recherche académique et ceux des autres organismes fortement impliqués dans l’estimation de l’aléa et du risque sismique et sa gestion pendant et hors périodes de crise. • Chapitre IV. Les éruptions volcaniques • Il faut toujours avoir présent à l’esprit qu’aucune éruption volcanique n’est vraiment inoffensive. Même les coulées de lave peuvent se révéler mortelles. • La prévision ne peut se limiter à une déclaration sur la probabilité d’une éruption. Il faut aussi donner des informations sur son intensité, son régime, sa durée potentielle. • Il est indispensable de prendre en compte le fait qu’en volcanologie les crises peuvent être longues (plusieurs mois/années). Ceci doit être anticipé. • La prévision des éruptions nécessite une bonne connaissance des modes de fonctionnement propres à chaque édifice volcanique. Cela implique que chaque volcan soit l’objet d’études géologiques et volcanologiques (au sens de l’étude des dynamismes et régimes éruptifs passés), et qu’il soit l’objet d’une observation à long terme de son activité géophysique, géochimique et magmatologique. • Les observatoires volcanologiques sont au cœur du dispositif en matière de prévision et de suivi des éruptions. Ils assurent une observation (surveillance) instrumentale continue du volcan. Ils constituent le centre de décision et de diffusion de l’information. • En revanche, ils ne disposent pas des moyens pouvant être consacrés aux missions d’alerte et de communication de l’alerte. 7 • L’absence d’organisation préalable du système de communication en période de crise est une faiblesse. Chapitre V. Phénomènes gravitaire • Dans le contexte, nous proposons ci dessous les bases de propositions d’actions scientifiques qui ont pour objectifs d’améliorer la compréhension de la physique des instabilités gravitaires et son impact sur la gestion des aléas associés. Il est important que ces actions couvrent les 3 volets initiation – déclenchement - propagation tant pour la physique de ces phénomènes que pour les impacts sur la gestion de l’aléa. • Nécessité d’augmenter (et de pérenniser) le nombre de bases de données quantitatives partagées (de préférence multidisciplinaires) sur des épisodes (y compris de courte durée) représentatives de cas spécifiques dans les alpes françaises. Cet effort doit couvrir les 3 phases précédemment citées comme, phase d’initiation du mouvement gravitaire, phase de déclenchement et phase de propagation de ce dernier. • Nécessité d’évoluer depuis une notion d’aléa spatial statique (carte), vers un aléa probabiliste indépendant du temps, puis dépendant du temps (sur la base des mesures de réseaux de déformations et d’endommagement au sol et via l’imagerie satellitaire régionale, couplées à des mesures hydro-météorologiques). Par ce dernier aspect on doit ici pouvoir accéder au couplage multi-aléas où par exemple la réponse à de fortes pluies (ou séisme) peut déclencher une cascade d’événements gravitaires, ces derniers induisant des lac-barrages. Dans le contexte volcanique, la cascade gonflement du volcan, instabilités de flanc, avalanches de débris fait émerger le phénomène tsunami local avec les impacts associés. Ces thémes soulignent l’importance du développement d’axes de recherche transversaux. • Prise en compte quantitative d’un couplage multi-aléa, en particulier réponses aux séismes et changement climatiques. Ici encore dans le contexte de modifications des propriétés hydro-mécaniques du sous sols à différentes échelles de temps (endommagement lié aux séismes ou éruption volcaniques ; épisode pluvieux ; cycle annuel gel-dégel ; réchauffement climatique) la transversalité des analyses doit être renforcée entre spécialistes de terre interne et ceux des enveloppes externes, pour aboutir vers des arbres de décisions opérationnels concernant ces phénomènes rares, tant pour l’analyse de la robustesse des phénomèmes précurseurs, que pour les larges fluctuations des distances de propagations liées aux variables mécaniques de l’écoulement gravitaire. 8 • Amélioration des liens entre recherches académiques et gestionnaires du risque, qui au delà du partage des mesures doit permettre des transferts de méthodologies et des interactions sur des axes de recherche pour répondre à des problématiques de gestions opérationnelles. Chapitre VI. Situation de crise, responsabilité, information, communication, • Demander la participation des scientifiques à la rédaction des dispositifs spécifiques ORSEC « Volcan », « Séisme » et « Tsunami » avec les autorités départementales ou zonales. • Afin de tisser des liens pérennes au plus haut niveau entre responsables des tutelles, (ministère de l’intérieur, ministère de l’environnement de l’énergie et de la mer, ministère en charge de la recherche), des organismes de recherche, de la protection civile, et des opérateurs du risque, organiser une rencontre annuelle des responsables de toute la chaîne du risque qui permette de dresser régulièrement un état des lieux concernant les moyens, l’avancée des connaissances et des circuits de transfert d’information en période de crise, ainsi qu’en dehors des crises. • Au niveau régional, des liens étroits sont à établir ou renforcer entre les responsables scientifiques, les acteurs locaux des collectivités territoriales et des gestionnaires des crises. • Pour l’information de tous les publics et une meilleure connaissance partagée de tout ce qui concerne les processus, aléas, risques telluriques, proposition d’une « Journée nationale annuelle de sensibilisation et d’information sur les risques telluriques », mobilisant les organismes de recherche, les autorités, les acteurs du risque et les media, les scolaires. • Proposition d’édition d’un corpus de fiches/affiches ou livret guide/affiches, en partenariat avec les ministères, les organismes et acteurs du risque, donnant (à diffuser via des sites d’information) aux médias, enseignants, public, préfectures, pompiers… regroupant les notions de base que chacun devrait connaître, à actualiser régulièrement. • Poursuite des actions volontaires des scientifiques en période « calme » pour sensibiliser les médias et le public, lors de conférences ou visites de laboratoires, sur le rôle et les attributions des observatoires. • Formation des autorités, acteurs du risque, media, à proposer par les scientifiques à l’échelon local. 9 • Pour le CNRS, écrire et mettre à la disposition des scientifiques et laboratoire les procédures de communication en cas de crise, ainsi que les recommandations de base sur la manière de gérer une requête des media et de se préparer à une interview. • Pour répondre aux mieux aux sollicitations médiatiques en temps de crise il est proposé de mettre en place un réseau d’experts scientifiques communicants, inter organismes, volontaires et habilités à s’exprimer dans les médias en cas de crise, et formés à la communication de crise. Chacun étant identifié pour un type d’expertise particulière. • Proposer aux scientifiques du domaine, dans le cadre de la formation permanente, une formation à la communication de crise. • Il n’existe pas en volcanologie de structure équivalente à la cellule post-sismique, il est conseillé que le SNOV mette en place un dispositif équivalent. • Devront être examinés la question des applications grand public, de l’utilisation des réseaux sociaux, de portail d’information unique, inter-organismes. • Solliciter la Mission Interdisciplinaire du CNRS pour développer des programmes dans ce domaine sur les scénarios de crise et leurs impacts sociaux économiques. 10 PREAMBULE Observation, surveillance, alerte, aléas et enjeux associés Les progrès dans la compréhension des processus telluriques naturels, séismes et volcans, requièrent l'intégration de plusieurs approches, observationnelles, théoriques, numériques, et expérimentales. Dans ce contexte, les équipes de recherche associées au CNRS-INSU ont en particulier fortement développé les réseaux d'observation denses, sur le territoire français mais aussi à l'international sur des « sites instrumentés », qui nourrissent une recherche académique de pointe. Ces recherches, qui visent à caractériser tant les processus actifs que les structures géologiques dans lesquelles elles se développent, permettent aussi de préciser les aléas associés, estimant la probabilité d'occurrence d'événements destructeurs à différentes échelles de temps : à long terme, en recherchant et en analysant les données géologiques, historiques, géophysiques et instrumentales ; et à court terme, par la détection de phénomènes « précurseurs ». En particulier, le caractère continu des mesures sismologiques, géodésiques, et géochimiques, permet de suivre dans le temps, sans interruption, l'évolution du système complexe étudié. Ces mesures peuvent ainsi révéler le processus complet de la préparation et de l'initiation des épisodes extrêmes – grands séismes, éruptions, glissement de terrain. Ainsi, par exemple, l'évolution spatio-temporelle de la sismicité de faible niveau, pour l'essentiel non ressentie, apporte des informations importantes sur les transferts d'efforts mécaniques dans la croûte terrestre et sur le taux de chargement des failles menaçantes. Pour ces mesures continues des réseaux d'observations, dont une grande part est accessible en temps réel aux chercheurs, on peut parler de surveillance : par exemple, la détection d'essaims micro sismiques dans une zone de faille ou un volcan déclenche des réponses rapides des équipes académiques, qui vont réaliser des analyses spécifiques sur les mesures, voire densifier temporairement les réseaux locaux permanents, pour mieux cerner le processus en cours. Mais cette surveillance à but de recherche à partir de réseaux académiques est à distinguer de la surveillance opérationnelle. Cette dernière est menée contractuellement par les organismes d’État ayant pour mission l'alerte publique, informant les autorités, dans un délai très court, en cas d'événement dépassant un certain niveau critique pour la sécurité des populations. En France métropolitaine, pour les séismes, c'est le CEA qui est chargé de cette surveillance opérationnelle, et non les opérateurs des réseaux sismologiques académiques, maintenant unifiés dans l'infrastructure RESIF. Par contre, aux Antilles françaises, pour les aspects sismiques et volcaniques, il n'y a pas d'organisme missionné pour l'alerte opérationnelle, et c'est de fait un institut de recherche académique, l'Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), qui informe les autorités sur les crises en cours, grâce aux réseaux d'observation de ses Observatoires de Guadeloupe et de Martinique. Il en va de même pour 11 l'activité volcanique du Piton de la Fournaise à La Réunion. Il est important de noter que l'exigence « opérationnelle » de l'alerte signifie un suivi 24h/24h avec un personnel permanent et dédié – ce que ne peuvent assurer actuellement les laboratoires de recherche académique. Pour les volcans, comme il sera détaillé au chapitre IV, les réseaux multi paramètres (sismologie, géodésie, géochimie) à la base de l'alerte restent cependant dans le giron de la recherche académique, en raison de la complexité des processus éruptifs qui nécessitent, pour leur interprétation, une expertise multidisciplinaire de haut niveau. Au delà de leur mission première de surveillance en temps réel, il est important que les réseaux opérationnels (publics, privés, nationaux, régionaux, locaux) diffusent et archivent leurs données auprès de la communauté académique. L'utilisation des données après coup permet d'une part de valider ou invalider des hypothèses scientifiques, et donc participe au progrès à la fois de la recherche et de la surveillance, et permet d'autre part de valider, maintenir et développer la qualité des données acquises. Enfin, l'utilisation de données dans un cadre scientifique continu en dehors des périodes de crises permet de s'assurer que les réseaux d'instruments fonctionnent correctement et fonctionneront au moment de la crise. En période d'alerte volcanique, les chercheurs sont donc très impliqués auprès des autorités pour la gestion de crise. Mais c'est aussi le cas pour l'alerte sismique, car la mobilisation rapide des sismologues et géodésiens après un grand séisme, leurs réseaux d'observation continue, leur connaissance de l'aléa, et leur expertise du terrain leur permettent des interprétations rapides, et l'élaboration de scénarios d'évolution de la crise, prenant en compte les fortes incertitudes inhérentes à la dynamique des instabilités crustales. Que ce soit pour les éruptions, les séismes et mouvements gravitaires, les centres de recherche sont ainsi des partenaires indispensables des autorités pour la gestion des crises. Ces temps de crise sont aussi des temps où l'information et la communication du monde académique aux médias sont à la fois indispensable, urgente… et très délicate. L'absence d'évènement majeur en France depuis des décennies n'a pas incité la communauté à réfléchir à des protocoles et des modes d'organisation bien définis, qui permettraient une coordination très rapide de chercheurs experts pour l'élaboration de scénarios, et au niveau institutionnel (CNRS, direction d'Instituts), pour la publication de communiqués et la diffusion d'une parole publique consensuelle pour les chercheurs. C'est un chantier important à ouvrir rapidement. En résumé De par leurs recherches de pointe sur les systèmes telluriques, les centres de recherche académiques associés au CNRS-INSU développent et renforcent une expertise qui ne se limite pas à la compréhension et à la modélisation des processus naturels à l'œuvre, mais vise aussi des applications sociétales de première importance, tant par la détermination des aléas, à la base des évaluations de risque, que par l'appui aux autorités en cas de crise. Il apparaît donc essentiel de maintenir cette capacité de recherche à haut niveau, tout en soutenant sur le territoire et à l’international les réseaux d'observation académiques, qui nourrissent cette recherche. 12 CHAPITRE I. Institutions impliquées ou en charge de la recherche, de l’observation, de la surveillance, de la prévision et de l’alerte La recherche en sciences de la Terre Solide est essentiellement conduite dans les unités propres ou mixtes du CNRS, placées sous la tutelle ou cotutelle d’universités et d’établissements publics à caractères scientifique et technologique (EPST) tels que le CNRS, l’IRD, l’IFFSTAR ou l’IRSTEA, mais aussi dans des établissements publics à caractères industriel et commercial (EPIC) comme l’ANDRA, le BRGM, le CEA, l’Ifremer, l’INERIS ou l’IRSN, voire dans des établissements publics à caractère administratif (EPA) comme le CEREMA, l’IGN et le SHOM. Les travaux menés dans ces établissements s’appuient directement ou indirectement sur l’observation de l’activité du système Terre actuel, ou passé, pour en comprendre le fonctionnement et prédire l’évolution. Cela passe par la construction de modèles des processus telluriques, avec conscience, que parfois, l’activité de la Terre conduit à des évènements catastrophiques. Les opérations d’observation nécessitent la mise en place, la maintenance et l’exploitation de réseaux au sol (locaux, régionaux ou mondiaux organisés en services d’observatoire/ANO pour l’INSU-CNRS et ses partenaires) de capteurs sensibles (sismomètres, stations GPS, gravimètres, magnétomètres, caméras, analyseurs de gaz,…); comme l’exploitation des données acquises en mer et depuis l’espace. Elles impliquent un travail d’experts pour traiter/archiver les données et établir des diagnostics, tout cela sur des durées longues, cohérentes avec le développement, souvent lent, des processus telluriques. Lorsque que les risques sont importants (séismes, éruptions volcaniques, instabilités gravitaires, tsunami) des fonctions de surveillance et d’alerte sont établies. En principe, elles sont du domaine de responsabilité de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR du MEEM). Son programme « Prévention des risques » élabore et met en œuvre les politiques relatives notamment à la connaissance, l’évaluation et la prévention des risques naturels. Elle mobilise au niveau local les Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), Directions de l’environnement de l’aménagement et du logement (DEAL et les Directions départementales des territoires et de la mer (DDTM), les établissements publics sous tutelle ou cotutelle du MEEM comme l’IRSTEA, le BRGM, l’INERIS, l’IFSTTAR et hors de ce cadre des établissements académiques pour des opérations ponctuelles. Cependant des situations contrastées existent par exemple : - Sur le territoire métropolitain, le suivi de la sismicité naturelle (tectonique et volcanique) est assuré par plusieurs opérateurs de réseaux sismologiques académiques, maintenant unifiés dans l'infrastructure RESIF. Un organisme opérationnel, le Commissariat à l’Energie 13 Atomique (CEA) est chargé de la gestion de crise, et de l’alerte pour le Ministère de l’Intérieur. Les ministères concernés par la gestion de crise (Intérieur) ou par les risques telluriques (MEEM) participent au financement de ces actions pour le CEA. Le suivi de la sismicité induite est assuré par des pas toujours accessibles. - Dans les Départements outre mer, les Observatoires Volcanologiques et Sismologiques (OVS) gérés par l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), sont les seuls structures opérant de réseaux d’observation en Sciences de la Terre et disposent de l’expertise pour établir un diagnostic en cas d’évènement. Ils sont, bien sûr, engagés dans des partenariats internationaux pour observer et suivre l’activité des structures géologiques à leur échelle propre (Subduction des Antilles). Les Préfectures, les Services de l’Etat, les Collectivités, s’appuient naturellement l’expertise des OVS pour la sécurité des populations: gestion de crise et gestion des risques sismique et volcanique. Cependant ces observatoires sont sous-dimensionnés en terme de personnel et ont grand mal à assurer ces fonctions qui viennent s’ajouter à leurs nombreuses tâches statutaires (Assurer le fonctionnement des réseaux de capteurs, réaliser le traitement et l’archivage des données, développer des travaux de recherche fondamentale, enseigner). Les données récoltées par les opérateurs sont rendues publiques avec un embargo plus ou moins long. Dans de nombreux cas des limitations à l’accès aux données sont déterminés pour chaque acteur par des logiques propres : politique et sociale pour l’état et les collectivités locales, en charge de la gestion de crise, qui subissent la pression sociale ; de moyens disponibles et mobilisables, voire commerciale, pour les opérateurs et les partenaires du réseaux de collecte de données, dont certains sont non-nationaux comme par exemple aux Antilles. La prévision est un exercice difficile en sciences de la Terre profonde où les objets ne sont pas simples à observer. Les modèles prédictifs ne sont pas encore aussi élaborés que pour d’autres domaines dans lesquels les échelles et constantes de temps des processus sont souvent plus restreintes, et où l'observation massive, plus facile, offre une description plus complète de l'objet. En Terre profonde, les lieux potentiels d'évènements sont assez bien identifiés grâce aux divers dispositifs d’observation et aux travaux sur les paléo-marques (failles, édifices volcaniques, … ). Ils aboutissent à l'identification et la reconstruction des évènements (localisation dans le temps et dans l'espace, amplitude). Ce corpus de connaissances conduit à des prédictions nécessairement probabilistes de certaines caractéristiques des évènements à venir (localisation, instant, amplitude, fréquence des événements). A noter que le niveau de probabilité d’événements majeurs est généralement faible, ce qui pose le problème de leur perception sociale et exploitation sociétale, (préparation de la gestion de crise). La surveillance et l'alerte en matière d'activité tellurique sont très exigeantes en termes de moyen d’observation, de détection et de diagnostic rapides. Elles requièrent de mettre en place et de maintenir : i) des réseaux de capteurs, de transmission et de traitement de données « temps réels » ; ii) des moyens d’expertise à haute disponibilité pour l’analyse des signaux ; iii) la genèse et la transmission d’un message vers les autorités et populations concernées par le risque qui mettront en place les mesures conservatoires prédéfinies (plan 14 ORSEC, … ). Ces exigences imposent de garantir robustesse et fonctionnement H24 (systèmes à tolérance de panne et secourus, des redondances, des astreintes, … ) qui ne sont pas nécessaires pour réaliser des observations à des fins de recherche et qui ont des coûts très élevés. Ces opérations de surveillance et d’alerte n’ont de sens que si un catalogue des risques potentiels et de leurs signaux spécifiques (description des caractéristiques des évènements et de leur géologie) est préalablement établi. À ce titre, les établissements académiques où la connaissance fondamentale est produite sont essentiels. Cette connaissance fondamentale est acquise en particulier dans toutes les régions du globe où ces mécanismes sont à l’œuvre, et souvent plus actifs que sur notre territoire. Si les établissements académiques portent les dispositifs et réseaux d'observation et de détection des événements telluriques dont la mesure et l'interprétation permet de progresser dans la connaissance fondamentale de ces phénomènes, ils ne peuvent assurer la surveillance et l'alerte opérationnelle, pour laquelle ils n'ont pas été missionnés et ne disposent pas des moyens financiers et humains nécessaires. De plus, il est très important de comprendre que nos capacités de prévision et d'alerte ne sont pas figées. Elles doivent être remises à jour régulièrement parce que la connaissance de l'objet (codée dans les catalogues), qui découle de la recherche scientifique, devient meilleure. L'expérience montre que les transferts de connaissance entre les producteurs scientifiques, quels qu’ils soient, et les "opérateurs du risques" ne sont pas optimaux. En termes contractuels, la fonction de surveillance/alerte/prévision est bien établie pour certains organismes (CEA, BRGM, CEREMA, … ) ; elle l’est considérablement moins pour les Universités et le CNRS-INSU où les « textes » qui décrivent les engagements, souvent hérités de situations passées, sont anciens, fluctuants et peu ou pas renégociés avec les tutelles (MESR) et les instances en charge des risques naturels (DGPR, MEEM, Ministère de l’Intérieur, autorités locales, … ). De plus, les établissements académiques sont évalués et leurs moyens (dotations d’équipements, de fonctionnements) déterminés suivant des critères essentiellement scientifiques par les tutelles, MESR généralement et CNRS, ou les instances de financement sur projet (ERC, ANR, programmes CNRS-INSU, …). Les fonctions de surveillance et d’alerte restent toujours des éléments non fondamentaux, voire masqués, lors de ces évaluations. Les dotations sont attribuées pour des durées (contrat quinquennal, contrat ANR pour cinq années maximum) qui ne sont pas compatibles avec la nécessité de l’observation et de la surveillance qui imposent le maintien de l’observation sur des durées beaucoup plus longues. Ceci d’autant plus que ces financements régressent et ne sont pas garantis. La dotation en personnel pour ces fonctions est contrainte par le jeu des fluctuations des capacités des tutelles et des politiques de déploiement des personnels des établissements académiques. 15 En résumé • La compréhension du fonctionnement du système Terre et la prédiction de son évolution passe par la construction de modèles des processus telluriques basés sur l’observation. Ceci nécessite la mise en place, la maintenance et l’exploitation de réseaux au sol/mer/espace de capteurs sensibles pour l’acquisition de données. Pour les processus telluriques, les localisations, amplitudes et fréquences des événements ne peuvent être que probabilistes. • Les fonctions de surveillance et d'alerte sont très exigeantes en termes de moyen d’observation, de détection et de diagnostic rapides. Ces exigences ont des coûts très élevés, elles imposent de garantir robustesse et fonctionnement 24/24 qui n’est pas nécessaire pour des observations à des fins de recherche. • Ce sont les établissements académiques qui acquièrent la connaissance fondamentale nécessaire au développement de nos capacités de prévision et d'alerte. Ces capacités ne sont pas figées et doivent être remises à jour régulièrement en fonction de l’avancée des connaissances. L'expérience montre que les transferts de connaissance entre producteurs scientifiques et "opérateurs du risques" ne sont pas optimaux. • Pour les Universités et le CNRS-INSU, les textes qui décrivent les engagements, souvent hérités de situations passées, peu ou mal renégociés avec les tutelles et les instances en charge des risques naturels. De plus, les moyens (dotations d’équipements, de fonctionnements) des établissements académiques sont évalués et déterminés suivant des critères essentiellement scientifiques par les tutelles, MESR généralement et CNRS, ou les instances de financement sur projet (ERC, ANR, programmes CNRS-INSU, …). Recommandations • Rendre publiques sans limitation les données récoltées par les opérateurs et œuvrer pour une conscience commune des opérateurs et des structures académiques. • Mettre les Antilles, région la plus active de France au centre des préoccupations en matière de risque tellurique. 16 • Pour les tâches de surveillance et d’alerte réalisée par les laboratoires académiques : • Etablir des textes stables et raisonnés qui lient les instances de recherche en charges des réseaux d’observations et de l’alerte avec les « opérateurs » du risque; en fixant les attributions et les responsabilités de chacun. • Donner aux structures, qui en sont chargées, les moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs tâches d’observation et d’alerte ; notamment régler les problèmes d’astreintes; les protéger des aléas budgétaires tant que leur contribution à la sécurité publique est avérée. • Assurer des liens forts entre les structures de surveillance et d’alerte avec celles « chargées » de la fonction recherche d’excellence. C’est indispensable pour progresser dans la connaissance du risque, de sa gestion, et de l’alerte… 17 CHAPITRE II. Les grands processus à l’origine des catastrophes telluriques et implications pour la prévision Afin de bien situer la problématique des risques liés aux phénomènes telluriques (séismes, éruptions volcaniques, phénomènes gravitaires, tsunamis), nous résumons ici les principaux processus qui en sont la cause, en focalisant sur ce que nos connaissances actuelles impliquent quant au caractère “prédictible” ou non, à court et moyen termes, de ces phénomènes. A. La dynamique terrestre à l’origine des séismes et des éruptions volcaniques La surface de la Terre solide est constituée d’un nombre limité de grandes plaques mobiles qui peuvent être considérées en première approximation comme rigides (déformation interne des plaques très faible comparée à la déformation à leurs limites). En première approximation, les mouvements des plaques sont l'expression de surface des grands courants de convection qui animent le manteau terrestre. Dans un régime convectif dominé par le refroidissement de la planète et par l'énergie libérée par la désintégration radioactive des roches, les mouvements sont en grande partie dus à des courants descendants au niveau des subductions, l'écoulement de retour ascendant qui est responsable des dorsales étant quasiment à la même température que le manteau avoisinant. Les panaches ascendants qui coexistent avec les grandes cellules de subduction contribuent au bilan thermique et au mouvement des plaques. Les continents contraignent la géométrie des mouvements convectifs en surface et sont responsables de grandes réorganisations de mouvements à la suite de collisions entre eux. Les modèles numériques actuels 18 reproduisent les mouvements des plaques en surface et le champ de gravité terrestre à partir des anomalies thermiques qui convectent au sein du manteau. La tectonique des plaques, qui était encore un postulat dans les années 1960, est maintenant attestée par les mesures géodésiques, comme VLBI (Very Long Baseline Interferometry), DORIS, SLR (Satellite Laser Ranging), mais surtout GPS (Global Positioning Sytem). Figure 1. Champ de vitesse à la surface de la Terre, mesurée par les stations géodésiques permanentes GPS. Ces mouvements sont représentés dans le référentiel des géodésiens, l'ITRF (donc sans référence à une plaque particulière) et atteignent des valeurs de 10 cm/an (carte actuelle: ITRF2008, Source LAREG-IGN : http://itrf.ensg.ign.fr/). Aujourd'hui, le champ de vitesse à la surface de la Terre est connu avec une remarquable précision, de l’ordre du mm/an (Figure 1). Loin des frontières de plaques, il est très stable aux échelles de temps qui concernent l’Humanité (quelques dizaines de milliers d’années), à l'exception des réajustements visco-élastiques liés aux très grands séismes, au rebond post-glaciaire ou encore aux variations de charges hydrologiques. Le fait que des vitesses instantanées infimes (quelques centimètres par an) correspondent très bien aux déplacements cumulés sur des temps géologiques (des centaines de kilomètres par million d'années) est un résultat remarquable. Grâce à la densification des mesures de déformation à la surface, les modèles actuels de plaques permettent de décrire avec précision la cinématique de 25 à 56 plaques de tailles très diverses. Les séismes se produisant là où de la déformation accumulée doit être relâchée, ce sont donc sur les frontières des plaques que se trouvent la majorité des régions à fort aléa sismique (Figure 2). 19 Figure 2. Carte des séismes de magnitude supérieure ou égale à 6 répertoriés dans le monde de janvier 1900 à mars 2016 (près de 11 000 séismes), représentée à partir de la plateforme cartographique de l’UMR Géosciences Montpellier (http://submap.gm.univ-montp2.fr/). La couleur des cercles dépend de la profondeur des séismes (jaune: superficiels, rouge: intermédiaires; noire: profonds) et la taille de leur magnitude. Source des données: United States Geological Survey (USGS: http://earthquake.usgs.gov). Les enjeux en terme de prévision consistent donc à préciser ces frontières (localisation, géométrie,...) ainsi que la quantité de déformation qui s'y accumule. Pour autant, il est important de ne pas négliger la sismicité qui existe à l'intérieur des plaques. Plus rares, ces séismes peuvent atteindre des magnitudes importantes et leur mécanisme n'est pas encore bien compris. La plupart des édifices volcaniques sont, quant à eux, localisés soit sur les frontières de plaques où divers mécanismes conduisent à la fusion des roches et à la formation de magma, soit à l'aplomb des points chauds qui “émergent” en surface indépendamment de l'existence d'une plaque (Figure 3). D’autres volcans apparaissent dans des zones d’extension où la lithosphère est étirée et amincie. 20 Figure 3. Carte des volcans actifs dans le monde, représentée à partir de la plateforme cartographique de l’UMR Géosciences Montpellier (http://submap.gm.univ-montp2.fr/). Source des données: Global Volcanism Program, Department of Mineral Sciences, National Museum of Natural History, Smithonian Institution (http://volcano.si.edu/). B. Les séismes et le cycle sismique 1. Notion de cycle sismique Depuis le grand séisme de San Francisco en 1906, les séismes sont compris comme résultant du glissement brutal (rupture) le long d’une faille limitant deux blocs de roche. En effet, les mouvements des plaques engendrent des accumulations de contraintes qui se concentrent sur les discontinuités mécaniques de la lithosphère : une faille. Une faille est donc la limite entre deux blocs tectoniques qui se déplacent l'un par rapport à l'autre. Ces blocs ont donc un déplacement relatif lent et régulier. Si le contact entre les deux blocs (c’est-à-dire la faille) était « lisse » ou sans résistance, les blocs glisseraient de manière continue. A l'opposé, si le frottement dû à la rugosité du contact empêche ou ralentit ce mouvement, alors la faille ne glisse pas : elle est bloquée. Insensibles à ce qui se passe près de leurs frontières, les plaques se déplacent toujours à la même vitesse. C'est donc leurs bordures qui vont se déformer en accumulant la déformation élastique crée par le contraste entre le déplacement en “champ lointain” (c’est-à-dire à une certaine distance des limites de plaque) et le blocage (total ou partiel) local. Le matériau élastique constituant la plaque va accumuler la déformation jusqu'à ce qu'elle soit suffisante pour faire “sauter” le blocage sur la faille : c'est le séisme. Par la suite, la faille va de nouveau se bloquer et le cycle accumulation lente – rupture sismique se reproduira à l'infini. La déformation en limite de plaques présentera donc une courbe typique en « dents de scie », alternant de longues périodes de blocage avec accumulation de déformation et de brefs instants de déplacements quasi instantanés correspondant à la rupture et au relâchement des contraintes (Figure 4). 21 Figure 4. Notion de récurrence sismique théorique. A gauche : représentation du déplacement au cours du temps à différentes distances de la faille et cycle constant de séisme caractéristique (modèle de Ried, exemple d'une plaque à 1 cm/an et séisme de 2 m tous les 200 ans), situation « idéale » offrant la possibilité d’une prédiction à court terme, mais peu vérifiée dans les systèmes naturels ; à droite, représentation similaire mais pour des successions de séismes de magnitude variable à intervalle de temps irréguliers (modèle de Wallace), mettant en évidence des récurrences (périodes de retour) irrégulières, donc sans prédiction à court terme possible. Le zoom sur un séisme illustre également le fait que le saut co-sismique n'est que l'une des composantes du cycle, des déplacements pré- et post-sismiques (mal connus) étant susceptibles de contribuer à dissiper de la déformation, qui n'est donc plus disponible pour un séisme. À l'inverse, la détection de signal pré-sismique pourrait participer à la prédiction, à la condition qu'il soit systématique et mesurable. Les modèles les plus simples, établis dans les années 1980, prévoyaient un cycle régulier avec la répétition de séismes similaires (on parle de séisme caractéristique) à intervalle de temps constant (on parle de récurrence ou de période de retour). Ce modèle semble fonctionner dans de très rares cas, mais le plus souvent les cycles sont très irréguliers. D'une part, le séisme n'absorbe pas forcément toute la déformation accumulée, le reste se relâchant par du glissement dit asismique avant ou après le séisme, la proportion de ces contributions au cycle sismique étant variable suivant les contextes sismo-tectoniques. D'autre part, les lois de frottement sur le plan de faille sont suffisamment complexes pour imaginer qu'elles puissent varier au cours des cycles, par exemple en augmentant si le séisme se fait attendre ou au contraire en diminuant s'il a été particulièrement puissant. Ces mécanisme de rétro-action positive amènent à concevoir l'existence de longues périodes de quiescence (la faille est collée par un frottement d'autant plus forte qu'elle se renforce avec le temps) suivies de cascades de séismes de taille variée (la faille rompt d'autant plus facilement qu'elle a rompu il y a peu). Ce n'est qu'au bout d'un temps assez long, cumulant beaucoup de cycles sismiques différents, que le déplacement cumulé sera comparable à la vitesse long terme des plaques tectoniques. 2. Difficultés de la prévision basée sur la notion de cycle La prévision à moyen terme des séismes est basée sur la notion de temps de retour sur une faille donnée. Les récurrences sismiques sont notamment évaluées par la connaissance historique (parfois un millénaire, plus fréquemment quelques centaines d’années), mais aussi par des études de paléosismicité (plusieurs millénaires) à partir de l'analyse des traces 22 des séismes dans les formations géologies récentes. Dans le cas simple d'une récurrence stable d'un séisme caractéristique établie sur plusieurs cycles, il est envisageable de prévoir que le prochain séisme s'approchera du séisme caractéristique et se produira au terme de la période de retour. On parle de prévision à long terme. L'exemple de la faille de Parkfield (Californie) montre que des incertitudes larges, de l'ordre de la période de retour, sont à envisager. Dans tous les autres cas, la prévision se bornera à identifier la localisation et la taille de la zone bloquée qui accumule de la déformation, ainsi que la quantité de déformation accumulée au cours du temps sur cette zone, mais ne permettra de formuler aucune hypothèse sur la taille et la date du prochain séisme. La récurrence à long terme des séismes peut néanmoins être approchée statistiquement, à l’échelle régionale, sans connaître le cycle sismique de chaque faille. La distribution du nombre de séismes dépassant une magnitude donnée suit en effet une loi statistique dite de Gutenberg-Richter qui établit qu'une unité de magnitude supplémentaire divise par 10 le nombre de séismes. Cette loi permet de prédire théoriquement la probabilité d’occurrence (période de retour) d’événements de forte magnitude (souvent peu documentés), connaissant celle, plus facile à mesurer, des plus petits. Par leur analyse de la microsismicité, les réseaux d'observation académiques contribuent de ce fait à l’amélioration de cette prévision à long terme. En associant des connaissances historiques et paléosismiques, cette approche permet des évaluations probabilistes de l'aléa sismique, et forme la base des cartes de zonage sismique réglementaires. Mais cette distribution de Gutenberg-Richter est obtenue en supposant que le taux de sismicité est constant et que la magnitude de chaque séisme est indépendante de celle des séismes précédents, ce qui est une approximation très forte, aujourd’hui largement remise en question. Enfin la détermination d'une magnitude maximale pour une région donnée est beaucoup plus complexe et cette notion est même très controversée, ce qui est une difficulté majeure pour certaines évaluations d'aléa sismique, notamment pour les installations à risque spécial. Quant à la prévision à court terme (quelques heures à quelques mois), elle est depuis une décennie l'objet de recherches poussées au niveau international. Elle se heurte cependant au fait que l'on ne dispose pas des moyens permettant d'identifier et d’observer les mécanismes précédents et déclenchant la rupture. 3. Répliques et précurseurs Tout séisme est suivi de répliques, lesquelles sont simplement d'autres séismes de magnitude dans la plupart des cas inférieure à celle du choc initial, affectant des segments ou aspérités épargnés de la faille principale, ou des failles voisines. Elles sont déclenchées par une augmentation des contraintes statiques ou dynamiques et l'affaiblissement transitoire des failles perturbées. Le taux de sismicité de ces répliques décroît en inverse du temps écoulé après le séisme (loi d'Omori), et la magnitude de la réplique principale est, en moyenne, inférieure d’environ 1 à celle du choc principal (loi de Bâth). Comme tout ensemble de séismes, les répliques obéissent à la loi de Gutenberg-Richter. Une fois encore, ces lois statistiques bien connues sur les corrélations spatio-temporelles des séismes permettent des prédictions probabilistes fiables, mais nécessairement très imprécises sur le lieu, la magnitude, et l'instant des plus grosses répliques. Il est ainsi possible – mais rare - d'observer des répliques de magnitude équivalente à celle du choc principal : il s'agit alors de « cascades » sismiques, comme un effet de domino d'un segment de faille à l'autre. Il peut aussi être observé, encore plus rarement, des répliques 23 de magnitude supérieure : on parle alors (mais après coup!) de précurseur pour caractériser le séisme initial. Plus généralement, de nombreuses études ont montré, que ce soit statistiquement mais aussi de manière déterministe, que l’occurrence d'un essaim sismique (grand nombre de séismes de magnitude faible à modérée concentrés dans le temps et l’espace) conduit à une augmentation nette de la probabilité d'occurrence d'autres forts séismes à proximité – probabilité dont la valeur reste cependant généralement inférieure à la dizaine de pourcent pour le mois à venir, et donc délicate à exploiter à des fins d'alerte. Une meilleure caractérisation de ces essaims, en particulier par la recherche de leur éventuel forçage par des glissements transitoires des failles profondes et/ou la propagation de « pulses » de pressions de fluides, est la voie de recherche privilégiée, mais difficile, pour améliorer nos capacités prédictives. 4. Nouveau regard sur les cycles sismiques et le glissement sur les failles Le mécanisme de rupture est donc à haute variabilité, pour de nombreuses raisons liées au processus d’initiation de la rupture (nucléation), à la complexité géométrique et rhéologique des failles, à l’hétérogénéité des contraintes accumulées, ou aux propriétés de frottement de la faille qui varient avec le temps et la vitesse de glissement (régime « durcissant » favorisant le glissement asismique, ou « adoucissant » favorisant la nucléation de séismes). Par ailleurs, on sait maintenant que le déclenchement de la rupture sismique est très sensible aux sollicitations statiques et dynamiques provenant d’autres séismes, même à grande distance (plusieurs milliers de kilomètres), la notion de “distance de déclenchement” étant relative à la taille de la source. Ainsi, la notion de séisme caractéristique est maintenant abandonnée au profit de modèles de rupture plus complexes caractérisées par des cycles variables (en durée et en magnitude), en sus desquels s’insèrent éventuellement des mégaséismes sans que l’on sache exactement s’ils s’inscrivent dans la loi de Gutenberg-Richter et font partie d’un “super cycle” ou non. De plus, à l'intérieur des plaques, où le taux de chargement tectonique est quasi nul, les rares séismes qui s'y produisent pourraient être expliqués par des perturbations transitoires dans une lithosphère sous contrainte, rendant la notion même de cycle sismique ineffective. Les mesures géodésiques et sismologiques permettent depuis une quinzaine d’années de cartographier le couplage intersismique entre grandes plaques (notamment dans les zones de subduction) et d’évaluer quelles zones sont bloquées (et donc susceptibles de rompre lors d’un futur grand séisme). Des zones où le couplage est plus faible (voire nul) sont aussi détectées : elles modifient ainsi le bilan de glissement et l’évaluation du cycle et sont aussi importantes à identifier car elles peuvent jouer le rôle de barrière à la propagation de la rupture sismique. Enfin des épisodes de glissement lent (plus lent que les séismes classiques mais plus rapides que le mouvement séculaire des plaques, appelés séismes lents, ont été observés dans plusieurs zones de subduction. Ces événements sont parfois équivalents à des séismes de magnitude 7.5. Leur contribution au cycle sismique est difficile à estimer en cela qu'elle dépend de leur capacité à relâcher tout ou partie des contraintes accumulées, et ainsi à retarder le prochain séisme ou à en réduire la magnitude, ou au contraire à préparer l'interface là où se produit le glissement lent à une rupture prochaine, ou encore à déclencher une rupture dans un segment adjacent par 24 augmentation des contraintes. Tout cela rend encore plus difficile la prédiction de l’occurrence de grands séismes à court terme, sauf si des phases de nucléations observables en devenaient des marqueurs. 5. Séismes anthropiques Des séismes peuvent être déclenchés directement ou indirectement par des activités humaines. Ils peuvent se produire quand ces activités modifient les conditions de frottement ou les contraintes sur les failles et fractures de la croûte. On connaît diverses sources à ces séismes induits par l’activité humaine : la mise en eau ou la vidange rapide des grands barrages ; l’exploitation des grands aquifères ; l’exploitation pétrolière ou gazière avec ou sans fracturation hydraulique ; l’exploitation minière, soit au niveau de l’extraction de matière soit au niveau du stockage des débris (terrils) ; les essais nucléaires. Ces séismes ont pu atteindre la magnitude 6, et peuvent se produire très longtemps après que l’activité à leur origine ait débuté, voire même qu’elle ait complètement cessée. C. Eruptions prédictives volcaniques : types, précurseurs, approches Les édifices volcaniques ont des tailles et des formes géométriques caractéristiques dues aux laves émises. Par exemple, les laves basaltiques, très fluides, s’écoulent rapidement sans s’accumuler à la sortie des conduits éruptifs. Leurs éruptions répétées construisent un volcan à pente douce, appelé “bouclier” en raison de sa morphologie. Les laves visqueuses s'écoulent lentement et forment des coulées épaisses de faibles longueurs. Ces laves sont souvent riches en éléments volatils et sont responsables d’éruptions explosives. La superposition de coulées épaisses et de couches de cendres volcaniques crée des édifices coniques aux pentes assez raides appelés stratovolcans. L’activité volcanique est souvent associée à des édifices bien visibles mais ce n’est pas toujours le cas. Certains systèmes volcaniques ne font qu'une éruption et ne sont associés à aucun édifice préexistant. Ainsi les nombreux maars de la province volcanique de l’Eifel, en Allemagne, sont des cratères d’explosion sans édifices. Certaines éruptions de basalte construisent des plaines ou des plateaux de lave. 1. Les différents types d'éruptions volcaniques La plupart des éruptions connues peuvent être regroupées en un petit nombre de catégories. Ces catégories ont été définies d'après les caractéristiques visibles des éruptions et de leurs dépôts, mais elles recoupent une classification reposant sur les différents types d'écoulement possibles. Les éruptions Pliniennes sont les plus spectaculaires : à la sortie de la bouche éruptive, le magma est pulvérisé en fragments portés par un jet de gaz volcaniques dont la vitesse est en général comprise entre 100 et 300 m/s. Une colonne éruptive s’élève dans l'atmosphère jusqu'à des altitudes dépassant couramment 20 kilomètres. Le mélange volcanique finit par 25 s'étaler latéralement dans la haute atmosphère et par laisser sédimenter les fragments de magma, qui retombent en pluie vers le sol sur des très grandes surfaces. On retrouve les résidus de l'éruption "Minoenne" de Santorin (1600 avant J.C.) sur plusieurs centaines de milliers de kilomètres-carré. La durée typique d'une phase Plinienne est de quelques dizaines d'heures, mais le débit est considérable : plus de 10 000 tonnes par seconde en général. Les coulées pyroclastiques sont dévastatrices : à la sortie de la bouche éruptive, ces éruptions sont semblables à une éruption Plinienne et ce n'est que dans l'atmosphère qu'elles acquièrent leur caractère propre. Les débits et quantités de magma émis sont les mêmes, mais le mélange volcanique ne s'élève qu'à quelques kilomètres du sol et retombe près du point de sortie. Le matériel érupté, au lieu d'être envoyé à haute altitude dans l'atmosphère et réparti sur une grande surface, dévale les pentes des édifices volcaniques à grande vitesse. Les nuées ardentes sont une forme atténuée des coulées pyroclastiques formées par l'explosion d'une coulée de lave épaisse. Ce sont des coulées pyroclastiques qui ont dévasté Herculanum et Pompéï en 79 après J-C. Ce sont des nuées ardentes qui ont détruit la ville de Saint-Pierre de Martinique en 1902. Les fontaines de lave sont de plus faibles intensité : vitesses de sortie et quantités de gaz sont semblables aux éruptions précédentes, mais leurs débits sont bien plus faibles. Les fragments de basalte sont denses et ne peuvent être entraînés par le jet gazeux à haute altitude : ils s'accumulent autour de la bouche éruptive et s'agglomèrent en lave massive. Parfois, avec un débit de lave très faible, le conduit éruptif se remplit de lave jusqu'à quelques mètres de la surface pendant des années, et des explosions dues à de grosses poches de gaz volcanique se produisent : on parle alors d'explosion Strombolienne. Les éruptions phréatiques, par opposition aux précédentes, n'éjectent pas de magma liquide, mais uniquement des fragments de l'édifice volcanique et de son soubassement. Le magma y joue un rôle indirect, en réchauffant et vaporisant l'eau contenue dans les roches qui l'entourent. Ces éruptions sont susceptibles de projeter d'énormes masses rocheuses mais sont généralement peu dangereuses à quelques kilomètres de distance. Elles précèdent souvent une éruption magmatique proprement dite, mais pas toujours. Enfin, les coulées de lave sont de plusieurs types selon la viscosité de la lave et la pente du volcan. Les éruptions basaltiques peuvent former de vastes champs de coulées sur des distances extrêmement importantes, même sur un sol horizontal. Les laves du plateau de Columbia, dans l'Ouest Américain, ont parcouru plusieurs centaines de kilomètres. La plupart des éruptions ont une longue histoire. Celle du Mont St Helens s'est prolongée de 1980 à 1989, celle de la Montagne Pelée en 1902, tristement célèbre, a duré un peu plus de deux ans. Avec le temps, les conditions éruptives changent et le volcan peut passer d'un régime à un autre. Le passage du régime de panache Plinien à celui de coulée pyroclastique, puis enfin à une coulée de lave, est une séquence éruptive fréquente. Enfin, certaines éruptions oscillent d'un régime à un autre. En effet, les magmas sont des roches fondues aux propriétés très variées. La viscosité d'un magma varie considérablement selon sa composition chimique. Les basaltes sont les plus fluides, avec une viscosité voisine de 10 Pa.s (Pascal seconde), soit dix mille fois celle de l'eau. Les rhyolites à l'autre extrême peuvent atteindre une valeur de 1012 Pa.s. Cette énorme variation de viscosité explique en grande partie la grande diversité des régimes d'éruption volcanique. Au cours de son 26 évolution, un volcan peut passer d'un magma basaltique à une rhyolite et donc changer de comportement. Les magmas les plus denses sont les basaltes et les moins denses sont les rhyolites. Les basaltes contiennent en général peu d'eau en solution alors que les rhyolites peuvent contenir des quantités d'eau importantes (jusqu'à 6-7% en poids). Les magmas ne sont pas toujours saturés en volatils lorsqu'ils se forment. Leur concentration en eau est déterminée par la composition des roches-source et par les conditions de la fusion qui varient significativement d'un volcan à un autre. Le réservoir d’un volcan, appelé "chambre magmatique", joue un rôle fondamental. Il sert d'accumulateur de magma et permet l'éruption rapide de grands volumes de magma alors que la source profonde a un débit lent. En outre, il permet la maturation chimique du magma. Les parois d’un réservoir de magma cèdent lorsque la pression interne dépasse un certain seuil. Ceci peut être l’une des conséquences de la cristallisation du magma résidant et de l’apparition d’une phase vapeur, ou bien plus simplement de la réinjection de magma primitif. A masse constante, la baisse de densité induit la dilatation et l’augmentation de la pression. Le gonflement du réservoir se traduit à la surface par des déplacements du sol dont l'amplitude atteint couramment plusieurs dizaines de centimètres et qui sont facilement mesurables. La surpression du réservoir ne peut dépasser le seuil de résistance des roches encaissantes, quel que soit le magma mis en jeu. En outre, ce seuil ne varie pas significativement d'un type de roche à un autre. La conséquence est importante : d'un volcan à un autre, les éruptions se font avec à peu près les mêmes pressions, et les différences de régime et de débit ne peuvent être attribuées qu'aux propriétés des magmas et à la taille des conduits. D'autres mécanismes peuvent conduire à une éruption en induisant la dépressurisation du système magmatique. La vaporisation brutale de l'eau contenue dans les roches encaissantes peut par exemple les faire exploser. L'édifice luimême peut s'effondrer, libérant et décomprimant brutalement le magma. 2. Les signes avant-coureurs reconnus et les difficultés de la prévision Décréter qu'un volcan est en phase de réveil est impossible sans instruments, d’autant plus qu’un volcan est rarement parfaitement calme. D’infimes secousses se produisent inévitablement dans son système hydrothermal et sont détectées par les très sensibles instruments géophysiques modernes. Des crises se produisent parfois : les tremblements de terre deviennent plus nombreux, les fumerolles s’activent, de petites déformations sont détectées. Ces crises sont assez fréquentes et disparaissent aussi brusquement qu’elles sont apparues. On les attribue à de légères perturbations du système hydrothermal qui ne présentent aucun danger. La surveillance ne peut donc se limiter à détecter des signes d’activité, car il y en a quasiment toujours, mais consiste à faire la différence entre une activité “normale” qui n’annonce aucun réveil, et une activité "anormale" précurseur d’une éruption. Seules des mesures systématiques d'une série de paramètres pertinents permettent de trancher, et dans la plupart des cas, une phase de réveil à la suite d’une longue phase de repos s’étend sur plusieurs semaines. Dans le cas où l'éruption est déclarée probable, il reste à prévoir quand et sous quelle forme. La difficulté essentielle provient de notre incapacité à voir le système magmatique en profondeur. Les méthodes géophysiques d'imagerie du sous-sol sont impuissantes à 27 l'échelle du kilomètre, qui est celle du réservoir et du conduit éruptif. On ne peut donc établir la présence d’un conduit rempli de magma entre le réservoir et la surface. A fortiori, on ne peut évaluer l'état du magma au sein du réservoir, ou bien détecter l'apparition d'une phase gazeuse. On n'est pas non plus capable d'ausculter l'édifice et d'identifier ses zones de faiblesse. On développe à l’heure actuelle des méthodes particulièrement précises, appelées "différentielles", qui sont sensibles aux changements d'état entre deux auscultations. Au final, les temps de récurrence des éruptions sont extrêmement variables (depuis un minimum de quelques jours jusqu’à un maximum d’un peu plus de six années au Piton de la Fournaise par exemple) et peuvent sembler chaotiques. Malgré tout, comme pour les séismes, faute de maîtriser les mécanismes qui conduisent à une éruption, il est possible de traiter le problème de manière statistique sur des durées longues. Pour un volcan dont la durée de vie s’étend sur plusieurs centaines de milliers d’années, le volume du réservoir ne change pas significativement pendant quelques siècles. Dans ces conditions, les quantités de lave émises à la surface sont nécessairement proches des quantités produites à la source. On constate effectivement que les volumes éjectés varient d'une éruption à l'autre, mais que, sur une grande durée, le débit moyen est à peu près constant. Ceci fournit un outil de prédiction : à partir du temps de repos qui la précède, on peut estimer avec une faible erreur la quantité de lave qui sera émise lors d’une éruption. Cette prédiction quantitative est rarement prise en défaut et est très utile : nous ne savons prévoir ni le temps ni le volume de l'éruption, mais disposons d'une relation entre la longueur du repos et le volume disponible. C. Instabilités gravitaires et glissement de terrain Le terme mouvement de terrain renvoie à différents types d’instabilités gravitaires dont la typologie s'appuie sur les principes généraux qui régissent ces mouvements, en fonction des processus dominants mis en œuvre lors de l’apparition du phénomène étudié (endommagement, rupture, frottement, fluage). Cette classification est nécessaire pour isoler les mécanismes impliqués et les aléas correspondants : chutes, basculement, glissement, étalement et écoulement. Ces mouvements de terrain ont des origines complexes et leurs caractéristiques sont très variables. On distingue selon les processus mécaniques, physiques ou chimiques (processus très souvent combinés) les mouvements liés aux séismes, à la dissolution, aux tassements et aux variations de volume selon le degré d’hydratation des sols et leur plasticité. Ces mouvements ont la particularité de se décliner selon différentes échelles spatio-temporelles, du régional (séismes, exploitations minières) au micro-local (poches de dissolution) ; de la seconde (séisme, écroulements) à plusieurs années (retrait-gonflement) ; de la chute de bloc décimétrique à l'effondrement de quelques km3. Ces catégories s’appliquent plus ou moins à tous les types de matériaux. A partir d'informations construites autour de "type de mouvement - matériaux - état distribution - style de l’activité - vitesse - rôle de l’eau", il s’agit d’extraire les fréquences des évènements en un lieu donné, d’une intensité donnée, c’est-à-dire l’aléa (probabilité d’être 28 affecté par un mouvement de versant d’intensité donné). Les dommages potentiels qu’un tel évènement peut produire permettent d’évaluer les coûts moyens par an, par exemple, ce qui est une évaluation du risque. Les phases d'évolution de l'instabilité gravitaire depuis l'initiation, le déclenchement et la propagation, doivent être quantifiées dans l'espace et dans le temps pour permettre une évaluation quantitative de l'aléa et des risques correspondants. Ces phases sont contrôlées par les caractéristiques intrinsèques du site (morphologie, contexte géomécanique, ce dernier incluant les aspects hydrogéologiques) et les forçages externes (climat, sismicité, instabilités voisines, facteurs anthropiques). Le couplage avec les forçages externes induit des phénomènes de cascades entre plusieurs aléas d'où peut émerger des évènements extrêmes rarement pris en compte dans les analyses (exemple des déclenchements par séisme, avec formation de lac barrage, puis de rupture de ces barrages, avec inondation en aval). Dans un tel contexte l’incertitude est grande lorsqu’il faut localiser avec précision l’aléa alors que la demande d’information sociétales est en constante augmentation. Les spécificités des zones exposées, montagnes, côtes, gorges (densité de l’occupation des sols, concentration, diversité et stratification des activités), rendent compte de leur plus grand degré de vulnérabilité. Ces spécificités augmentent la complexité de la gestion de ces risques ; les coûts humains et financiers des dommages s’en trouvent souvent démultipliés. Enfin, la visibilité de ces dommages implique une réactivité « attendue » des pouvoirs publics qui éprouvent souvent des difficultés à communiquer sur les risques. Les raisons sont multiples : freins au développement, mauvaise image auprès des investisseurs, risques financiers, impératifs électoraux mais aussi, parfois, un grand dénuement face à une information hétérogène ou indisponible en matière de reconnaissance des zones à risques et de documents de prévention. Enfin, dans une communauté où ‘le dire d'expert’ est resté longtemps le seul outil disponible pour la prévision, le passage aux mesures quantitatives rapproche, en terme de problématique de prévision et de gestion des incertitudes, la thématique des instabilités gravitaires de celle des séismes et éruptions volcaniques. En effet, dans un cas, la création de catalogues d’occurrence d’effondrements et chutes de blocs sur une falaise ou une région donnée a montré l'émergence de lois robustes pour la distribution fréquence - taille des événements. Ces distributions permettent d'approcher l'aléa d’effondrement de falaise de façon probabiliste sur ces zones. Cette nouvelle méthodologie est identique à l'utilisation opérationnelle des lois de distributions fréquence - magnitude pour les estimations de temps de retour probabiliste de séismes. Le couplage de ces analyses à des analyses de propagation spatiale des avalanches rocheuses sur les pentes permet, à l ‘aide de modèles numériques de terrain et de lois rhéologiques appropriées, de simuler les impacts potentiels sur les structures et les personnes. Dans un second cas, lors d'une instabilité déclarée, les réseaux d'auscultation mis en place sur ces mouvements de terrain (déplacements, sismicité, hydrogéochimie) font de ces sites des analogues proches, au sens des données collectées, aux édifices volcaniques, avec des problématiques semblables en terme de seuil d'alarme, de taux de fausse alerte et de durée de l’alarme. Ce type de surveillance est mis en oeuvre sur des mouvements de versant lents (<10 m/an) à fort impact sociétal, pour lesquels des accélérations majeures sont potentielles (exemples des glissements de Séchilienne et de La Clapière, par exemple). 29 D. Tsunamis Un Tsunami est une onde gravitaire générée par la mise en oscillation de la colonne d'eau et qui se propage dans l'océan. Il est caractérisé par une grande longueur d'onde (quelques centaines de kilomètres), une longue période (quelques dizaines de minutes) et une vitesse de propagation fonction de la hauteur d'eau qui varie de 600 km/h en mer ouverte et profonde à quelques dizaine de km/h quand il arrive sur le littoral. À l'origine du Tsunami, la mise en action de la colonne d'eau peut être due à divers phénomènes comme la rupture d'une faille, un glissement de terrain ou encore une éruption volcanique, à la condition qu'ils soient sous-marin, ou à tout le moins en bordure de mer. Au large, l'amplitude du phénomène est généralement faible (quelques dizaines de cm), mesurables par altimétrie satellitaire ou bouées flottantes (réseau DART). À l'approche des côtes, l'onde est amplifiée en même temps que sa longueur d'onde et sa vitesse diminuent, au fur et à mesure que la profondeur diminue (phénomène de « shoaling »). La bathymétrie du fond (dorsales, canyons sous-marins) et du littoral (baies, lagunes, rias) contribue à focaliser et amplifier le Tsunami. Sa hauteur peut alors atteindre plusieurs mètres (voir dizaines de mètres) comme en attestent les marégraphes côtiers ou les capteurs de pression disposés au fond. Les dégâts causés par le Tsunami sur le littoral se produisent lors de deux phases successives : l'inondation des côtes (avec parfois déferlement) atteint son niveau maximum appelé « runup » et s'ensuit du retrait, particulièrement destructeur parce que l'eau chargée de débris se retire souvent avec une vitesse encore plus grande que lors de la montée. 1. Prévision des Tsunamis d’origine sismique - gestion des risques Les Tsunamis les mieux connus et sans doute les plus étudiés sont ceux de Sumatra en 2004 et du Japon en 2011, tous deux provoqués par des séismes de subduction de magnitude de l'ordre de 9, et qui sont à l'origine de près de 300 000 morts dans tout le pourtour de l'océan indien pour le premier et de la catastrophe de Fukushima pour le second. Ces deux événements illustrent bien la problématique d'aléa et de risque posée par les Tsunamis, et en particulier la différence entre le champ proche et le champ lointain. Contrairement aux séismes, les Tsunamis sont donc systématiquement précédés d'un événement à priori détectable par les réseaux d'observation de tous types (sismographes, GPS, hydrophones sous-marins, etc...). Contrairement à l'éruption volcanique (ou à la crise sismique), la durée d'un tsunami est plutôt brève (quelques heures) et bien circonscrite dans le temps. Aujourd'hui, grâce aux connaissances assez précises de la rupture sismique, des conditions de propagation dans l'eau et de la bathymétrie des côtes, toutes connaissances établies au préalable, il est possible d'envisager de calculer et de prévoir assez précisément les hauteurs d'inondation consécutives à un séisme, partout sur la planète c'est-à-dire dans la zone du séisme (en champ proche) et partout ailleurs (en champ lointain). Dans le cas des Tsunamis d'origine sismique (les plus fréquents), la difficulté essentielle est donc plutôt d'ordre opérationnelle : il s'agit d'abord de détecter l'événement à l'origine du Tsunami et de déterminer ces caractéristiques (épicentre, magnitude) de manière précise, ce qui suppose des réseaux d'observation fiables et performants. Il s'agit ensuite d'effectuer les calculs conduisant à l'estimation des zones inondées rapidement (on dispose de plusieurs heures pour le champ lointain, mais de seulement quelques minutes pour le champ proche), ce qui nécessite des modèles exacts et des moyens de calculs puissants. Il faut enfin 30 acheminer cette information cruciale auprès de la population concernée par l'inondation prévue, depuis les infrastructures et industries côtières exposées (ports, usines, routes, …) jusqu'au grand public (habitants, touristes, …) de manière à ce que celle ci réagisse de la manière la plus adéquate. Il apparaît donc clairement qu'une gestion efficace des risques posés par les Tsunamis implique un travail multi-thématique très complexe, impliquant sciences dures et sciences sociales ainsi que pouvoirs publics et médias. b. Le cas particulier des Tsunamis dus à des glissements de terrain Les glissements de terrains, qu'ils soient sous-marins ou côtiers, peuvent mobiliser une tranche de sédiments de plusieurs dizaines ou centaines de mètres d'épaisseur qui vont représenter des millions de mètres cubes (parfois des milliards) de matière déplacée ou jetée dans l'eau. Dans ce cas, la hauteur d'eau peut alors être considérable à la source (plusieurs dizaines de mètres), mais diminuer rapidement avec la distance et l'étalement, contrairement aux séismes majeurs qui produisent une élévation plus faible mais sur une surface de départ beaucoup plus grande. Le tsunami d'origine gravitaire sera donc plus local, mais potentiellement très fort dans sa région d'origine. Le scenario le plus dévastateur est ainsi construit autour de l'explosion d'un volcan marin qui conduirait à l'effondrement de pans entiers de l'édifice volcanique (plusieurs km de haut et de large sur plusieurs centaines de mètres d'épaisseur) dans la mer, chose susceptible de générer des hauteurs d'eau de plusieurs centaines de mètres au départ et qui atteindraient encore des dizaines de mètres de l'autre coté de l'océan, là où le Tsunami serait focalisé. Rien d'aussi dévastateur dans les cas les plus courants (seulement quelques millions de mètres cube) mais alors, la difficulté réside dans la détection de l'événement initial déclencheur qui peut se fondre dans le bruit environnemental. 31 En résumé • La tectonique des plaques est maintenant attestée par les mesures géodésiques. Les modèles actuels décrivent avec précision la cinématique de 25 à 56 plaques de tailles très diverses. Séismes • La majorité des séismes se produisent aux frontières de plaques. A l’échelle globale, les enjeux consistent à préciser ces frontières ainsi que la quantité de déformation qui s'y accumule. Les mesures géodésiques et sismologiques permettent aujourd’hui de cartographier le couplage intersismique, voire des épisodes de glissement lent, permettant ainsi de mieux évaluer les zones susceptibles de rompre lors d’un futur grand séisme. La complexité des mécanismes en jeu, et l’absence de moyens permettant d'identifier et d’observer les mécanismes précédents le déclenchement de la rupture, rendent cependant difficile, voire impossible, la prédiction de l’occurrence des séismes à court terme. Cependant, sur quelques rares segments de faille, des prévisions probabilistes sont données pour le moment d’occurrence de futurs séismes, à, l’échelle de décennies. Ce sont par exemple les « big one » californiens ou turs. Cette approche n’est pas possible en France, par manque d’information historique et géodésique (liée au très faible taux de déformation tectonique) sur la sismicité de telle ou telle faille. • A long terme, la récurrence des séismes peut être approchée statistiquement. Mais cette probabilité repose sur des postulats aujourd’hui largement remis en question. Par ailleurs, la définition d'une magnitude maximale pour une région donnée reste délicate et controversée • Les lois statistiques bien connues sur les corrélations spatio-temporelles des séismes permettent des prédictions probabilistes fiables, mais nécessairement imprécises, sur le lieu, la magnitude, et l'instant des plus grosses répliques. • L’occurrence d'un essaim sismique (grand nombre de séismes de magnitude faible à modérée concentrés dans le temps et l’espace) conduit à une augmentation de la probabilité d'occurrence d'autres forts séismes à proximité. Mais cette augmentation n’est que de quelques pourcents et reste donc délicate à exploiter à des fins d'alerte. • Il existe désormais des évidences indiquant que le déclenchement de la rupture sismique est très sensible aux sollicitations statiques et dynamiques provenant d’autres séismes, même à grande distance. Eruptions volcaniques • La plupart des volcans sont localisés soit sur les frontières de plaques, soit à l'aplomb des points chauds qui “émergent” en surface indépendamment de l'existence d'une plaque. D’autres volcans apparaissent dans des zones d’extension où la lithosphère est étirée et amincie. 32 • Les éruptions volcaniques sont regroupées en un petit nombre de catégories, au regard de leur dynamisme : éruptions Pliniennes, coulées pyroclastiques, nuées ardentes, fontaines de lave, éruptions phréatiques, coulées de lave. La plupart des éruptions peuvent durer plusieurs années ; avec le temps, les conditions éruptives changent et le volcan peut passer d'un régime à un autre. • La viscosité d'un magma dépend de sa composition chimique. Les basaltes sont les plus fluides, les rhyolites sont les plus visqueuses. L’énorme variation de viscosité explique en grande partie la grande diversité des régimes éruptifs. Au cours de son évolution, un volcan peut passer d'un magma basaltique à une rhyolite et donc changer de comportement. • Le réservoir d’un volcan, la "chambre magmatique" sert d'accumulateur de magma et permet l'éruption rapide de grands volumes de magma alors que la source profonde a un débit lent. Il permet la maturation chimique du magma. D'un volcan à un autre, les éruptions se font avec à peu près les mêmes pressions, et les différences de régime et de débit sont imputables aux propriétés des magmas et à la taille des conduits. • Décréter qu'un volcan est en phase de réveil est impossible sans instruments. La surveillance consiste à faire la différence entre une activité “normale” qui n’annonce aucun réveil, et une activité "anormale" précurseur d’une éruption. Seules des mesures systématiques d'une série de paramètres pertinents permettent de trancher, et dans la plupart des cas, une phase de réveil à la suite d’une longue phase de repos s’étend sur plusieurs semaines. • Dans le cas où l'éruption est déclarée probable, il reste à prévoir quand et sous quelle forme elle va avoir lieu. La difficulté essentielle provient de notre incapacité à voir le système magmatique en profondeur. Les méthodes géophysiques d'imagerie du soussol sont impuissantes à l'échelle du kilomètre. Faute de maîtriser les mécanismes qui conduisent à une éruption, il est possible de traiter le problème de manière statistique sur des durées longues. • Le volume du réservoir magmatique d’un volcan ne change pas significativement pendant quelques siècles. Les quantités de lave émises à la surface ou injectées dans le volcan sont proches des quantités produites à la source. A partir du temps de repos qui la précède, on peut estimer avec une faible erreur la quantité de lave qui sera émise lors d’une éruption. Mouvements de terrains • Le terme mouvement de terrain renvoie à différents types d’instabilités gravitaires (endommagement, rupture, frottement, fluage) correspondants à des aléas particulier (chutes, basculement, glissement, étalement et écoulement). • Ces mouvements de terrain ont des origines complexes (séismes, dissolution, tassements, variations de volume selon le degré d’hydratation des sols et leur plasticité. Ils se déclinent selon différentes échelles, du régional au micro-local ; de la seconde à plusieurs années; de la chute de bloc décimétrique à l'effondrement de quelques km3. • Les spécificités des zones exposées, montagnes, côtes, gorges (densité de l’occupation des sols, concentration, diversité et stratification des activités), rendent compte de leur plus grand degré de vulnérabilité. 33 • Dans le cas d’instabilité déclarée, sur des mouvements de versant lents (<10 m/an) à fort impact sociétal, une surveillance est mise en oeuvre. • Les glissements de terrains, sous-marins ou côtiers, peuvent mobiliser une tranche de sédiments de plusieurs dizaines ou centaines de mètres d'épaisseur et provoquer des tsunamis. La hauteur d'eau peut alors être considérable à la source (plusieurs dizaines de mètres), mais diminuer rapidement avec la distance et l'étalement. • Le tsunami d'origine gravitaire est local, mais potentiellement très fort dans sa région d'origine. Le scenario le plus dévastateur est celui de l'explosion d'un volcan marin conduisant à l'effondrement de pans entiers de l'édifice volcanique (plusieurs km de haut et de large sur plusieurs centaines de mètres d'épaisseur) dans la mer. Recommandations Les études sur les processus physiques, là où ils s’expriment de part le monde, et sur les méthodes d'observation et de caractérisation des phénomènes telluriques (séismes, éruptions volcaniques, mouvements gravitaires, tsunamis) sont essentielles pour faire progresser notre connaissance de ces phénomènes et la chaîne détection-analyse-prévision. Ces approches fondamentales et observationnelles doivent être maintenues, encouragées, intensifiées. 34 CHAPITRE III. Les phénomènes sismiques en France A. Le cas de l'hexagone et des zones limitrophes 1. Le contexte géodynamique Le territoire métropolitain présente une grande variété de contextes sismotectoniques reliés à une histoire géologique complexe. L’orogenèse hercynienne a notamment laissé l’empreinte d’un important réseau de failles s’étendant de l’Armorique à l’Alsace en passant par le Massif Central. Certaines de ces failles, comme le cisaillement sud-armoricain, sont encore aujourd’hui bien marquées morphologiquement et présentent toujours une activité sismique. Durant les derniers ~100 millions d’années, la géodynamique de l'ouest de l’Europe a été dominée par la convergence entre la plaque Afrique et la plaque Eurasie. La collision continentale entre la partie stable de l’Europe au Nord et un ensemble de microplaques (plaque ibérique, plaque adriatique, bloc corso-sarde …) au Sud a engendré la formation de systèmes montagneux (Pyrénées, Alpes occidentales) mais également de bassins océaniques (tel le bassin ligure) et de grabens continentaux (fossé rhénan, sillon rhodanien, fossé de la Limagne). La mise en place de ces structures s’est effectuée par le jeu d’un important réseau de failles ayant accumulé des déplacements souvent plurikilométriques. Aujourd’hui, la vitesse de convergence entre la plaque Afrique et l’Ouest de la plaque Eurasie est de l’ordre de 3 à 6 mm/an, suivant les études et la zone considérées. Le mode de convergence est complexe, faisant intervenir des rotations de micro-blocs, mais la quasi totalité des déformations est absorbées au niveau du Maghreb et de la cordillère bétique. Les mesures GPS effectuées depuis plus de 20 ans sur le territoire métropolitain par le RENAG indiquent des taux de déformation horizontale très faibles, proches de la limite de résolution des séries de données disponibles, ce qui semble indiquer l’épilogue de l’épisode de collision continentale et d’ouverture des grabens cénozoïques. De ce fait, et contrairement à ce qui est parfois argué, l’activité sismique de notre territoire ne peut pas être exclusivement et directement reliée à la collision Afrique-Eurasie. Les régimes de contraintes actuels sont très souvent différents de ceux qui prévalaient lors de la mise en place des structures. Ainsi, les systèmes extensifs à l’origine du fossé rhénan et du bassin ligure sont aujourd’hui le siège de séismes de type décrochant et, respectivement, compressif. A l’inverse, les zones internes des Alpes et des Pyrénées sont dominées par un régime extensif. Cette déformation en extension a parfois été expliquée par un effondrement gravitationnel de ces chaînes sous leur propre poids. Cependant ce modèle n’est pas en accord avec les récentes données GPS qui indiquent un taux de soulèvement positif des hautes chaînes pouvant atteindre 2mm/an. Ceci traduit vraisemblablement un phénomène de rebond isostatique dont le moteur est à rechercher dans l’action combinée des dernières déglaciations, des processus mantelliques et de l’érosion. Ceci engendre une 35 modification de l’état de contrainte dans la croûte supérieure qui peut générer des glissements sismiques sur des failles pré-existantes. Ainsi l’activité sismique du territoire trouve son origine dans la présence d’un réseau de failles hérité de l’histoire géologique et qui sont aujourd’hui susceptibles de rejouer sous l’effet de toute une variété de processus, notamment externes. La complexité de ces phénomènes et la variabilité des échelles spatiales et temporelles mises en jeu rendent d’autant plus délicate l’évaluation de l’aléa sismique. 2. Aléas et risques sismiques en métropole a) c) b) Figure 1 :(a) Sismicité historique de la France depuis le Vème siècle (source http://www.ccr.fr) ; (b) Sismicité instrumentale sur la période 1962)2009 issue du projet SI-Hex (source : www.franceseisme.fr) ; (c) Zonage sismique de la France actuellement en vigueur (source article D.563-8-1 du code de l’environnement). 36 a) L’activité historique, les régions les plus soumises à l’aléa sismique L’aléa sismique sur le territoire métropolitain est souvent qualifié de faible ou modéré, suivant la région considérée. Cette dénomination peut laisser à penser que la survenue de séismes destructeurs y est très rare voire inexistante. Pourtant la compilation de la sismicité historique (Figure 1a) de la France durant le dernier millénaire indique que des séismes « majeurs », c’est à dire caractérisés par une intensité maximale supérieure à VIII ou une magnitude d’au moins 6, se produisent en moyenne une à deux fois par siècle. Ce type de séisme est similaire à ceux qui ont par exemple touché l’Italie en 2009 dans le secteur de l’Aquila et en 2016 dans celui de Norcia. Parmi les séismes historiques les plus marquants ayant frappé le territoire métropolitain, on peut citer, de manière non exhaustive, celui de Bâle en 1356 (Imax=IX), de Bigorre en 1660 (Imax=VIII), de Remiremont en 1682 (Imax=VIII), de la mer Ligure en 1887 (Imax=IX, Mw~6.8) ou celui de Lambesc en 1909 (Imax=VIII, Mw~6). Chacun de ses séismes a engendré des pertes humaines et détruit de nombreux bâtiments et infrastructures. Ils sont localisés dans les régions les plus soumises à l’aléa sismique : Pyrénées, Alpes, zone rhénane et Sud-Est de la France. Cependant d’autres zones du territoire dont l’aléa est considéré comme plus faible ont également subi dans le passé des séismes majeurs. C’est le cas de l’Auvergne (séisme de 1490, Imax=VIII), du pays nantais (séisme de 1755, Imax=VII), du Nord de la France (séisme de Calais en 1580, Imax=VII-VIII) ou de la bordure Nord du bassin aquitain (séisme de Bordeaux de 1759, Imax=VII-VIII). Ainsi la majorité du territoire à subi durant le dernier millénaire au moins un séisme ayant produit des dégâts significatifs et souvent des pertes humaines. Les séismes ressentis et/ou occasionnant moins de dégâts sont eux beaucoup plus réguliers. On recense une dizaine de séismes par an perçus par la population sur une faible extension géographique (magnitude de l’ordre de 3) et de l’ordre d’un séisme par an ressenti à l’échelle départementale (magnitude autour de 4). Tous les 5 à 10 ans en moyenne, des séismes de magnitude plus importante (autour de 5) sont ressentis bien plus largement et engendrent des dégâts sur les bâtiments à proximité de la zone épicentrale. Durant les 20 dernières années, ce fut notamment le cas des séismes de Saint-Paul-deFenouillet (1996), d’Annecy (1996), de Rambervillers (2003) de Besançon (2004) ou de Barcelonnette (1997 et 2014). Cependant, l’absence de séismes très destructeurs depuis celui de Lambesc en 1909 peut avoir provoqué une perte de conscience de l’importance du risque sismique dans la mémoire collective. b) Essaims sismiques Plusieurs régions du territoire montrent une activité sismique sous forme d’essaims d’intensité et de récurrence variables. Ainsi, la vallée de l’Ubaye à l’Est de Barcelonnette a subi plusieurs épisodes d’essaims sismiques au cours des 50 dernières années (1976-1977, 2003-2004, 2012-2015), avec à chaque fois plusieurs milliers d’évènements enregistrés dont certains ont dépassé la magnitude 5. Des essaims sismiques de moindre envergure ont également été observés dans les Pyrénées (Saint Paul de Fenouillet, mai 2004) ou dans 37 certaines zones du Massif central (région du fossé d’Ambert, Mont Dore, ...). D’autres régions présentent parfois plusieurs évènements rapprochés qui pourraient correspondre à des essaims mais l’absence de mesures temporaires dédiées empêche de caractériser correctement cette activité. L’origine de ces essaims est encore largement débattue même si le rôle des fluides est souvent privilégié. c) Sismicité d’origine humaine Différentes activités humaines en surface ou en profondeur perturbent le champ de contrainte sur des failles pré-existantes et sont donc susceptibles d’engendrer un glissement sismique ou des déformations plus lentes. Parmi ces activités on peut citer celles associées à une surcharge en surface (par exemple via la mise en eau de barrages), ou l’extraction/injection de fluides dans des réservoirs souterrains (gisement d’hydrocarbures, stockage de gaz ou d’eau, géothermie profonde, …) et qui se produisent soit lors de leur mise en œuvre soit pendant leur exploitation. Généralement les séismes induits par ces activités sont de faible magnitude. Cependant, à l’échelle mondiale, quelques séismes importants, parfois de magnitude supérieure à 5, sont considérés comme ayant été causés par des activités humaines. Hormis peut-être le séisme de Corençon (25/04/1962,M5.51) pour lequel il n’y a pas consensus, les séismes reconnus comme induits n’ont jusqu’à présent pas atteint ce niveau sur le territoire français. Cependant, essentiellement du fait de leur occurrence à faible profondeur, certains d’entre eux ont été bien ressentis par la population et ont engendré des craintes vis-à-vis des techniques employées. Ce fut en particulier le cas du séisme du 25/04/1963 (M4.6) concomitant avec la mise en eau du barrage de Monteynard, celui du 02/09/2013 (M4.1) très probablement lié à l’exploitation du gisement de gaz de Lacq (Pyrénées-Atlantiques) ou celui du 11/06/2003 (M2.9) lors de la préparation d’un échangeur géothermique profond à Soultz-sous-Forêts (Bas-Rhin). d) Estimation de l’aléa sismique en Métropole A l'échelle de quelques milliers d'années, la sismicité d’une région donnée est relativement stable. Ainsi la connaissance du taux de sismicité historique permet d’estimer le taux de sismicité attendue dans le futur sans toutefois renseigner sur la taille maximale des séismes. La base de données SisFrance (BRGM, EDF, IRSN) recense 6000 évènements ressentis durant le dernier millénaire2, dont une centaine d’intensité maximale supérieure à VII (figure 1a). Les principaux séismes historiques qu’elle contient sont souvent pris comme séismes de référence pour les études d’aléa sismique basées sur une démarche déterministe. Cependant, la faiblesse des taux de déformation en métropole implique que la période de retour des séismes majeurs sur une faille donnée est généralement plus importante que la durée couverte par ce catalogue. Il est donc difficile d’estimer, sur la seule base d’observations instrumentales ou macrosismiques, le séisme caractéristique ou de magnitude maximale dans chaque région, et encore moins leur période de retour. Pour les évènements compris entre 192 et 2009, les magnitudes indiquées sont extraites du catalogue SiHex. La base SisFrance ne contient pas d’événements au-delà de 2007. Ceux-ci sont disponibles via le BCSF (www.franceseisme.fr) 1 2 38 Pour tenter de pallier cette limitation, une approche complémentaire consiste à rechercher et étudier des indices paléosismiques ou néotectoniques de séismes s’étant produit depuis le Pléistocène (~2 derniers millions d’années) et ayant engendré une rupture ou une déformation identifiable en surface. La base de données Néopal recense quelques observations pour la métropole. Cette approche est cependant limitée par le fait que tous les séismes, mêmes importants, ne se traduisent pas nécessairement par une expression en surface, notamment lorsque leur foyer est à une profondeur importante, et qu’elle ne peut s’appliquer aux failles sous-marines. Par ailleurs, les conditions pour la conservation des paléoruptures en domaine continental ne sont pas toujours propices. Enfin, malgré son caractère indispensable à l’échelle de l’ensemble du territoire, cette caractérisation n’a pas été réalisée de manière exhaustive. Cela constitue un véritable défi qui nécessite des moyens nettement plus importants que ceux qui y ont été dédiés jusqu’à présent. Alternativement, les réseaux sismologiques (cf. paragraphe suivant) permettent, sous couvert d’une densité suffisante et d’une instrumentation adéquate, de disposer d’une vision globalisée mais « instantanée » de l’activité sismique du territoire. Sur la base de relations (par exemple de type Gutenberg-Richter) entre le taux d’activité microsismique d’une région et la probabilité d’occurrence d’un séisme majeur, cette approche autorise une estimation plus homogène de l’aléa, aussi bien à l’échelle du territoire qu’à une échelle plus locale. En outre, des segments de failles susceptibles de produire des séismes importants peuvent être révélés à partir de leur signature en terme d’activité microsismique. Enfin, l’analyse du mouvement du sol généré par des séismes de faible magnitude permet d’étudier les effets de propagation et les effets de site, paramètres cruciaux dans l’estimation de l’aléa sismique local. Néanmoins cette approche instrumentale est inadaptée pour caractériser la magnitude maximale attendue, facteur aujourd’hui considéré comme crucial pour l’estimation de l’aléa sismique à une échelle régionale. C’est donc par la combinaison de ces 3 approches qu’une estimation de l’aléa sismique est menée. Cependant, nous ne disposons pas encore, pour chacune d’entre elles, de données suffisamment précises et homogènes à l’échelle du territoire. Fin 2002, sur la base des informations alors disponibles, l'aléa sismique en métropole a été ré-évalué (le précédent datait de 1991). Il a été considéré un niveau d’aléa correspondant à 10% de probabilité de dépasser dans les 50 prochaines années une certaine accélération du sol (aléa physique). Le zonage sismique règlementaire (Figure 1) est une simplification de l'aléa physique et contient 5 zones de sismicité croissante avec une résolution à l'échelle de la commune. Publié par le Ministère de l'environnement en 2005, il est entré en vigueur en 2011. Un tel zonage devrait faire l’objet de ré-évaluations régulière pour prendre en compte l’évolution de nos connaissances de la sismicité historique et instrumentale ainsi que l’ensemble des travaux, dont ceux issus de la communauté académique, concernant les zones sismogènes et les différents types de sismicité. e) Estimation de la vulnérabilité et du risque sismique en Métropole L'augmentation des populations dans des noyaux urbains de plus en plus grands et constitués d’un habitat hétérogène de qualité très variable, est l’ingrédient qui positionnent le milieu urbain parmi les éléments les plus critiques de la chaîne du risque sismique. En 39 effet il y a une forte corrélation entre le nombre de constructions endommagées après un séisme et celui des victimes et des pertes économiques directes et indirectes. Il convient alors de connaître la façon dont les constructions se comportent sous l’effet de sollicitations sismiques afin de gérer, prédire et évaluer leur vulnérabilité et leur intégrité post-sismique. Déterminer quels sont les bâtiments et les structures les plus vulnérables au niveau d'une région ou d'une ville est une tâche particulièrement ambitieuse et difficile. Cela nécessite d’étudier un nombre très important de bâtiments et de types de structure (maçonnerie, béton armé, portiques, murs porteurs...) avec des moyens financiers bien évidemment limités. Il est aussi souvent difficile d'avoir accès à toutes les informations nécessaires à ce type de diagnostic (plans de ferraillage, caractéristiques des matériaux utilisés, code de dimensionnement utilisé, fondations...). De plus, bien appréhender le comportement sismique d'une structure existante est bien plus difficile que de dimensionner une nouvelle structure (suivant les normes parasismiques en vigueur) notamment concernant des structures pour lesquelles les dispositions constructives n’ont pas (ou partiellement) été respectées et qui ne peuvent être associées à un modèle « réglementaire » de comportement. Les objectifs des analyses de vulnérabilité sont essentiellement de deux natures: (1) estimer les dommages prévisibles aux personnes et aux biens juste après le séisme en particulier pour décider des moyens de secours à mettre en place. C’est un des maillons des exercices Richter pilotés par le BRGM pour la DGPR du ministère en charge des risques. (2) identifier les bâtiments les plus vulnérables aux séismes de façon à planifier et organiser une politique de renforcement du bâti existant. Cette identification et/ou remédiation peut par exemple s’effectuer lors de travaux de rénovation générale. Dans le premier cas, les études de vulnérabilité viennent en complément de celles qui définissent l’aléa sismique, à la fois au niveau national et régional (l’étude des failles et des séismes pouvant s’y produire, les modèles d’atténuation et de prédiction du mouvement sismique) conduisant à la mise en place du zonage sismique; et au niveau local par les études des effets de site qui modifient à petit échelle le mouvement sismique (bassin sédimentaire, vallée alluviale) aboutissant parfois à la définition d’un microzonage sismique intégré dans des Plans de Prévention des Risques Sismiques (PPRS). Ces effets de site sont étudiés par des méthodes expérimentales portées vers la caractérisation des formations géologiques. Des simulations numériques complètent parfois ces études, permettant de simuler l’amplitude et la variabilité à courte longueur d’onde des mouvements du sol pour un séisme donné et une région donnée (cf. encart). Plus localement, des études spécifiques sur des ouvrages précis sont possibles, comme réalisé sur l’hôtel de ville de Grenoble dans le cadre de l’ANR URBASIS, mêlant approche expérimentale, modélisation simplifiée et modélisation numérique par élément finis 3D. Cependant, le coût élevé de ces travaux limite fortement le nombre d’ouvrages étudiés. De nombreux acteurs académiques (laboratoire des sciences de l’ingénieur comme L3SR à Grenoble, INSA de Lyon et Toulouse, ENS Cachan…) sont spécialisés dans la modélisation numérique d’ouvrages spécifiques, permettant l’évaluation de leur sécurité et la simulation des dommages pour un niveau d’aléa sismique probabiliste ou déterministe. L’institut SEISM regroupe la plupart des partenaires académiques et non académiques (EDF, IRSN, 40 CEA etc…) autour des thèmes concernés par le génie parasismique, et en particulier liés à la sureté des installations nucléaires. D’autres initiatives, pilotées par le SNO Réseau Accélérométrique Permanent (RAP), ont conduit à la mise en place d’un réseau national d’instrumentation de bâtiments en partenariat avec les collectivités locales, pour observer les mécanismes en jeu dans les structures pendant des sollicitations sismiques. Ce type d’observation reste cependant limité à un très faible nombre de bâtiments et ne permet pas de prendre en compte la complexité de l’habitat et du substratum d’une ville. L’installation de réseaux denses déployés à l’échelle d’une zone urbaine permettrait certainement de faire grandement progresser notre connaissance dans ce domaine. L’ensemble des analyses portant sur l’aléa et la vulnérabilité sismiques permet d’établir des modèles de prédiction des pertes économiques directes et indirectes, souvent au cœur des activités des compagnies d’assurance et de ré-assurance. L’ensemble de ces travaux, à la frontière entre différents instituts et acteurs, est aujourd’hui globalement peu soutenu par le CNRS-INSU alors même que les données nécessaires et les compétences existent dans ses différents laboratoires. ENCART : Exemple d’évaluation du risque sismique et des effets de site à Nice La ville de Nice et son environnement tectonique ont fait l’objet de nombreuses études scientifiques visant à mieux caractériser l’aléa sismique et les risques associés. Nous ne pouvons présenter ici l’ensemble de ces études, mais nous focalisons notre attention sur la mise en évidence et la prise en compte des effets de site qui peuvent grandement amplifier l’impact des séismes. Le fait de disposer de réseau d’instruments de mesure permanents permet d’observer les effets de site associés aux tremblements de terre (ex. Deschamps et al., 2002 ; Duval et al., 2013). La Figure a) illustre cela pour le séisme de magnitude 4.5 du 25 février 2001 localisé à ~25km au large de Nice. Figure a). Observation de l’effet de site sur la ville de Nice. En haut à gauche, localisation des trois stations sismologiques (NBOR, NROC, NALS) et de l’épicentre du séisme en mer. A droite, zoom sur la ville de Nice. En arrière-plan carte géologique (BRGM) avec en bleu les calcaires jurassiques et en blanc cassé les alluvions récents. Les sismogrammes (composante Nord) en accélération sont montrés aux trois stations NBOR, NROC, RLIB, avec la même échelle verticale. On note une amplification importante des vibrations à la station NALS et une amplification modérée à NROC, en comparaison de celle enregistrée à NBOR. Cet effet de site est lié à la nature lithologique du sous-sol. Afin de quantifier et caractériser plus précisément les vibrations du sol qui pourraient être générées par les futurs séismes au niveau de Nice, des études scientifiques spécifiques ont été conduites pour: 1) identifier avec plus de précision les failles source potentielles de séismes au large de Nice, notamment en conduisant des campagnes en mer mettant en œuvre des techniques de mesure fine de la bathymétrie et d’imagerie géophysique du sous-sol marin. Cela a permis d’identifier la faille en mer la plus probablement à l’origine du séisme Ligure de 1887 et de préciser son prolongement au large de Nice (Larroque et al., 2011); 2) simuler par des techniques numériques l’émission et la propagation des ondes sismiques émises par un fort séisme sur cette faille, dans un modèle de terre tridimensionnel jusqu’au niveau de la ville de Nice (projet ANR QSHA); 3) utiliser des séismes de magnitude modérée bien enregistrés pour simuler l’impact d’un séisme potentiel plus important, toujours sur la ville de Nice (Figure b), Salichon et al., 2010) en prenant en compte de manière réaliste les effets de propagation et d’effets de site. 41 Figure b) : Simulation des effets vibratoires à Nice causés par un séisme de magnitude 6.3 situé au large, par la méthode de sommation de sismogrammes générés par des séismes plus petits (méthode des fonctions de Green empiriques). Ici le « petit » séisme utilisé comme fonction de Green empirique est celui du 25 février 2011 de magnitude 4.5 (figure YY). (a) Carte indiquant la localisation et les caractéristiques de la source considérée. Triangles noirs : stations sismologiques où les séismes modérés ont été enregistrés et où sont simulés les effets du séisme de magnitude 6.3. (b) Schéma illustrant la méthode de sommation. (c) Effets vibratoires simulés sous forme de spectres de réponse (axes horizontaux : période en secondes ; axes verticaux : accélération en m/s2). Sur chaque graphe la courbe centrale (trait gras) indique la réponse moyenne, et les traits en tirets indiquent la variabilité des simulations. On observe une amplification maximale des vibrations simulées à la station NALS, en accord avec les observations réelles de la Figure YY. Des amplifications moindres mais néanmoins significatives sont également obtenues à NLIB, NROC, NPOR. D’après Salichon et al. (2010). 3. Réseaux de détection des séismes et suivi de l’activité sismique Figure 2 : Etat des réseaux sismologiques nationaux permanents en Métrople en Juin 2016 incluant le réseau dédié du CEA, le Réseau Large Bande Permanent (RLBP) et le Réseau Accélérométrique permanent (RAP) ; les deux derniers correspondant à des actions spécifiques de l’Infrastructure de recherche RESIF. Dans ce cadre le RLBP est amené à croitre fortement dans les prochaines années. 42 A l’échelle nationale, l’observation de la sismicité et des déformations du territoire métropolitain est effectuée à l’aide de différents réseaux d’observation permanents installés et opérés par des structures de recherche académiques (CNRS-INSU, Universités) ou des organismes d’Etat. Les données de ces réseaux sont notamment analysées en continu pour le suivi et la caractérisation de l’activité sismique du territoire. a) Réseau national de surveillance du CEA Le premier véritable réseau sismologique métropolitain a été bâti par le CEA au début des années 1960. Historiquement dédié à la détection des essais nucléaires internationaux, ce réseau a également permis d’initier une activité de surveillance de l’activité sismique de la métropole. Ce réseau est aujourd’hui constitué d’une quarantaine de stations (figure 2) basées sur des capteurs courte période. Ils sont complétés, sur une dizaine de sites, par des capteurs « longue période » ou « large bande ». L’ensemble des données est centralisé sur le site de Bruyères-le-Châtel où elles sont analysées automatiquement pour détecter la survenue d’un séisme et prévenir un sismologue d’astreinte si la magnitude dépasse le seuil de 43 pour la métropole (en pratique cette astreinte est généralement effectuée à partir de la magnitude 3.5). Celui-ci valide et précise la localisation et émet alors éventuellement un message d’alerte vers les autorités et différents organismes dont le BCSF. Les données sont également traitées manuellement en temps différé pour établir le bulletin de sismicité du LDG. Hormis pour les 6 stations large bande qui sont incluses dans RESIF (cf. ci dessous), les données des stations opérées par le CEA ne sont pas distribuées publiquement en temps réel mais sont mises à disposition de la communauté scientifique en temps différé et sur requête. La maintenance du réseau, la gestion des données et l’astreinte sismique sont assurés par ~25 sismologiques, ingénieurs et techniciens. b) Infrastructure de recherche RESIF et réseaux académiques Depuis 2008, la communauté scientifique française s’est fédérée autour de l’Infrastructure de recherche RESIF (Réseau sismologique et géodésique français) pour bâtir un système d’observation pérenne et multi-instruments dédié à la mesure des déformations de la Terre à différentes échelles de temps et d’espace. Porté par le CNRS et impliquant 8 Universités ainsi que tous les principaux acteurs du domaine (BRGM, CEA, CNES, IGN, IRD, IRSN, IFSTTAR), cette infrastructure tend à intégrer et à faire évoluer des réseaux développés dans le cadre des services nationaux d’observation en sismologie et géodésie de l’INSU. En métropole, RESIF s’articule autour de plusieurs composantes : - Le réseau sismologique large-bande permanent (RESIF-RLBP, Figure 2) constitué de capteurs dont la bande passante et la dynamique permettent d’étudier toute la complexité du champ d’onde produit par les séismes locaux ou lointains. Aujourd’hui composé d’environ 70 stations, ce réseaux devrait être étendu dans les prochaines années à ~200 stations (sous-projet RESIF-CLB) pour constituer une véritable antenne sismologique à l’échelle du territoire métropolitain. Ces stations remplacent progressivement celles du Réseau National de Surveillance Sismique (RéNaSS), mis en place dans les années 80 et équipées de capteurs courte période. Les stations du RLBP sont installées et opérés par 8 3 En attente de confirmation du CEA 43 OSU ainsi que par le CEA. La Division Technique de l’INSU assure la maîtrise d’œuvre du projet associé à son expansion (RESIF-CLB). - Le réseau accélérométrique permanent (RESIF-RAP, Figure 2) composé d’une centaine de stations équipées d’accéléromètres de grande dynamique et notamment destinés à la mesure des mouvements forts causés par les séismes majeurs, à la détermination des effets de sites et à l'étude de la réponse des bâtiments aux sollicitations sismiques. Ce réseau, initié à la fin des années 90, est composé de stations de référence (installées au rocher dans des environnements isolés), de stations situées dans des environnements urbains et/ou à forte vulnérabilité ainsi que quelques bâtiments instrumentés sur différents niveaux. Les stations du RAP sont opérées par plusieurs OSU mais également par divers organismes partenaires de ce service (CEA, BRGM, IFSTTAR, IRSN). - Le réseau géodésique permanent (RESIF-RENAG) composé de 75 stations GNSS dédiées à la mesure des déformations lentes de surface dans les différents contextes tectoniques du territoire. A noter que ces données servent également à la caractérisation des enveloppes fluides (contenu en eau de la troposphère, surcharges océaniques, …). En outre, deux gravimètres absolus permanents permettent d’étudier les variations à longue période du champ de gravité. - Des parcs mobiles de capteurs sismologiques (Sismob), géodésiques (GPSMob) et gravimétriques (GMob) qui peuvent être déployés dans des zones d’intérêt scientifique en France et à l’étranger ainsi qu’après la survenu de séismes importants. Dans ce cadre ils permettent de suivre le phénomène (étude des répliques ou des déformations post sismiques) et de mieux en cerner les caractéristiques. Les interventions post-sismiques sont cependant peu nombreuses sur le territoire métropolitain. Pour les évènements modérés, ceci est notamment lié à la difficulté à mobiliser très rapidement des équipes mais également des équipements qui doivent être dédiés et à demeure. En outre, un système d’information (RESIF-SI) assure désormais la centralisation, la validation et la distribution libre et en temps réel (pour une partie des données « brutes ») de l’ensemble des données sismologiques acquises par ces différents réseaux et qui sont utilisées pour mener des activités de recherche et d’observation. Un unique portail permet aujourd’hui un accès aisé aux données brutes et validés (http://www.seismology.resif.fr). c) Suivi de la sismicité par la communauté académique Les stations et données issues de l’Infrastructure de Recherche RESIF ont pour vocation première d’être utilisées pour des actions de recherche permettant de mieux caractériser et comprendre la structure profonde de notre territoire et les séismes s’y produisant. Ces travaux nécessitent des données de qualité et disponibles rapidement, qui, de fait, peuvent également contribuer à des activités plus « opérationnelles » de suivi, voire de surveillance, de la sismicité du territoire. De par la géométrie des réseaux et la nature de leurs instruments, les stations de RESIFRLBP et RESIF-RAP sont complémentaires et complètent le réseau du CEA. Ainsi une activité routinière de suivi de la sismicité est effectuée à l’échelle régionale par certains OSU et à l’échelle nationale par le site central du BCSF-RéNaSS situé à l’EOST. Un traitement automatique en temps réel des données permet de proposer sur le site web du RéNaSS (http://renass.unistra.fr) une première localisation des séismes dans un délai de quelques 44 minutes. Ces évènements sont repris quotidiennement en jours ouvrés par deux analystes qui précisent la localisation et discriminent les séismes naturels des évènements d’origine anthropique (tirs, explosions, coup de toit minier, …). D’autre part, pour tout séisme générant une alerte par le LDG, le BCSF déclenche une enquête afin de recueillir des témoignages, via des questionnaires soumis à des particuliers, mairies, préfectures et pompiers, sur les effets ressentis et les éventuels dégâts observés. Ces données macrosismiques, couplées à une analyse des dommages et des vulnérabilités des bâtiments concernés, permettent d’évaluer des intensités sur l’échelle EMS-98. Elles sont notamment utilisées pour l’étude des effets de site mais également lors de la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle des communes touchées. Pour les séismes les plus importants, le BCSF coordonne le Groupe d’Intervention Macrosismique (G.I.M.) qui évalue directement sur le terrain les dégâts occasionnés selon les vulnérabilités pour une estimation correcte des intensités. Il intervient parfois en parallèle de l’Association française du génie parasismique (AFPS) dont les activités sont plus focalisées sur le diagnostic d’urgence. La réalisation de plusieurs catalogues de sismicité par différents organismes peut parfois être vue comme complexe et perturbante. Ainsi un même événement peut se voir attribuer plusieurs localisations et magnitudes différentes. Pour remédier à ce problème, un projet collaboratif, dénommé SI-Hex (Sismicité Instrumentale de l’Hexagone), a permis aux différents observatoires du CNRS-INSU impliqués dans la caractérisation de la sismicité métropolitaine et au CEA-LDG de réaliser un catalogue unifié de la sismicité hexagonale d’origine naturelle pour la période 1962-2009. Ceci permet de répondre à un besoin émis par différents acteurs de l’aléa et du risque sismique de disposer d’un catalogue de référence. La poursuite de ces travaux pour la période postérieure à 2009 est aujourd’hui programmée dans le cadre de RESIF via un nouvel axe transverse « Sismicité » qui regroupe de nombreux acteurs du domaine (CNRS-INSU, CEA, Universités, BRGM, IRSN, IFFSTAR). Cet axe coordonnera également un certain nombre d’actions dédiées à la réalisation de divers produits (bulletin multi-origines, catalogue de référence, études macrosismiques historiques et actuelles, cartes d’estimation rapide du mouvement du sol « ShakeMap ») ainsi qu’un groupe de travail autour de l’aléa sismique. Il s’agit de mieux intégrer les travaux effectués par les différents partenaires de RESIF, et notamment les observatoires et services nationaux d’observation, dans la caractérisation de l’activité sismique et de l’aléa associé sur notre territoire. d) Modes de financement Les sources de financement permettant la réalisation des différentes activités d’observation labellisées par l’INSU sont relativement nombreuses. Elles proviennent essentiellement des entités suivantes : - CNRS / INSU : Le soutien récurrent aux services nationaux d’observation inclus dans les ANO Sismologie et Géodésie-Gravimétrie est principalement dédié au fonctionnement de ces services et des stations qu’ils opèrent et permet d’assurer la pérennité et la qualité des mesures. - Universités : Elles assurent une partie des frais de fonctionnement des OSU et participent, de manière variable suivant les OSU, au financement des équipements et/ou 45 - - - - fonctionnement des stations. Il faut noter que les Universités financent une partie importante du personnel, notamment ingénieur, dédié aux SNO. Collectivités locales/régionales : Historiquement, certaines collectivités ont fortement soutenu l’observation sismologique en permettant le développement et la maintenance des réseaux dans certaines régions (PACA, Pyrénées, …). Cette source de financement tend cependant à décroître fortement, reportant une part des coûts de fonctionnement sur le CNRS-INSU et les Universités. MEEM : Il s’agit d’une source de financement majeure pour le RAP qui a permis le développement de ce réseau. Le MEEM a également financé quelques travaux de recherche, permettant de valoriser les données instrumentales (projet SI-Hex) et macrosismiques notamment pour des problématiques d’estimation de l’aléa ou de la vulnérabilité. Il contribue également à RESIF en particulier pour ce qui concerne la mise en place du système d’information et de l’axe transverse « Sismicité ».. EquipEx RESIF-CORE : Ce programme (9.3 M€) est la principale source de financement pour le développement de plusieurs composantes de RESIF dont en particulier l’extension du RLBP (projet RESIF-CLB) et la mise en place du Système d’Information de RESIF. Grâce à RESIF-CORE, les systèmes d’observation métropolitains devraient atteindre un niveau de qualité équivalent à ceux des autres pays européens et constitueront une contribution majeure à l’infrastructure européenne EPOS. Autres organismes (CEA, IRSN, BRGM, IFSTTAR) : Le RLBP et le RAP incluent des stations opérées par des organismes partenaires qui prennent en charge, entièrement ou partiellement, les frais liés à l’installation et à la maintenance des stations dont ils sont propriétaires. e) Personnel Les réseaux permanents en métropole intégrés à RESIF fonctionnent sur un mode distribué où les stations « académiques » sont opérées par plusieurs OSU chacun étant en charge d’une partie de l’Hexagone. Ce mode de fonctionnement est en partie issu de celui du RéNaSS, premier réseau académique bâti dans les années 80, et qui correspondait à une fédération de réseaux régionaux. Ainsi ces structures disposent souvent du personnel et de l’expertise nécessaire à l’installation et la maintenance de stations et œuvrent, en outre, à une valorisation des données à l’échelle régionale. Dans la majorité de ces OSU, la coordination est assurée par un personnel du CNAP dans le cadre de son activité statutaire d’observation. Plusieurs enseignants-chercheurs issus des Universités partenaires ou chercheurs CNRS sont cependant fortement impliqués dans ces services d’observation. Ils ne bénéficient pas toujours de la reconnaissance liée à cette activité. Des techniciens et ingénieurs instrumentalistes assurent l’ensemble des tâches nécessaires au bon fonctionnement des stations sur le terrain. Certain OSU qui opèrent des éléments du Système d’Information de RESIF disposent en outre d’ingénieurs informaticiens pour la gestion des données. Globalement, ces ingénieurs sont pour moitié rattaché au CNRS et pour moitié aux Universités partenaires de ces OSU. En sus des tâches liées à la maintenance des systèmes d’observation, ces ingénieurs sont très impliqués dans les évolutions majeures décidées dans le cadre de RESIF, notamment l’extension du RLBP et la mise en place du Système d’Information et de l’axe transverse « Sismicité ». Malgré un 46 soutien en personnel CDD pendant la durée de l’EquipEx RESIF-CORE, ce personnel permanent doit et devra faire face à un surcroît de travail lié à ces nouvelles activités et à l’augmentation du nombre de stations et de systèmes à maintenir. f) Surveillance de sites sensibles et données associées Certaines infrastructures nécessitent une surveillance accrue soit du fait de leur vulnérabilité particulière (centrales nucléaires, sites de stockage souterrain, lignes TGV, …), soit par l’activité sismique qu’elles sont susceptibles de générer (site d’exploitation de ressources naturelles profondes, barrages, ...). Les données des réseaux d’observation nationaux sont susceptibles d’être utilisées dans ce cadre par les opérateurs en charge de ces sites lors des phases d’exploration ou directement pour la surveillance opérationnelle. Il existe donc une utilisation commerciale des données académiques, qu’il s’agisse des données brutes (ex : formes d’onde) ou des différents produits qui en découlent (catalogues de sismicité, cartes d’intensités …). Cependant il est difficile de quantifier ce type d’utilisation car ces données sont difficilement traçables. L’utilisation des données issues des réseaux académiques par d’autres acteurs du monde socio-économique doit être facilitée et mieux soutenue. Elle pourrait être promue via l’utilisation d’une licence OpenData4 et via la mise à disposition des données et produits des services d’observation à travers des portails (par exemple l’Observatoire National des Risques Naturels) plus tournés vers ces secteurs d’activité et en relation directe avec ses acteurs. D’autre part, il est généralement nécessaire d’installer de manière complémentaire des réseaux sismologiques dédiés à proximité des sites sensibles, soit pour caractériser leur réponse face aux sollicitations sismiques, soit pour surveiller la sismicité générée avec un meilleur seuil de détectabilité. L’installation et l’opération de ces réseaux locaux, ainsi que l’exploitation des données associées et le maintien de systèmes de surveillance, ne sont généralement pas du ressort des services nationaux d’observation nationaux. Ainsi, par exemple, la surveillance des sites nucléaires est confiée à l’IRSN, celui des sites miniers à l’INERIS et les systèmes d’arrêt de certains TGV au CEA. Concernant les sites d’exploitation de ressources naturelles, leur suivi est généralement effectué par les gestionnaires de ces sites ou des entreprises mandatés. Mais des laboratoires du CNRS sont parfois sollicités et impliqués dans le suivi de certain de ces sites. Ces équipes apportent une expertise scientifique et/ou technique et opèrent parfois eux-mêmes les stations. Ainsi, par exemple, l’IPGP participe avec l’INERIS à l’étude de la sismicité induite dans les mines abandonnées du bassin houiller de Provence, IsTerre et l’OMP ont été sollicités par Total et Geopetrol pour le suivi de l’activité sismique du site de Lacq, et l’EOST est impliqué dans la conception de réseaux de surveillance et la gestion de données de différents sites de géothermie profonde en Alsace. Cela soulève différentes questions quant au rôle des unités de recherche dans le processus de surveillance de ces sites et aussi en cas de crise. Toutefois, ces implications permettent à ces unités de disposer de jeux de données uniques permettant d’aborder différentes thématiques de recherche et notamment de mieux comprendre les mécanismes associés au déclenchement des séismes. Pour faciliter et étendre ces travaux, il sera utile que les jeux 4 https://www.etalab.gouv.fr/licence-ouverte-open-licence 47 de données acquis sur de tels sites industriels par des opérateurs privés ou publics, soient mis à disposition librement à l’ensemble de la communauté académique. 4. dispositif vis-à-vis des autorités en cas de crise Gestion de l’alerte Figure 3 : Carte des témoignages individuels reçus sur le site internet du BCSF (www.franceseisme.fr) moins de 6h après le séisme des Charentes (28 Avril 2016, Ml=5.2). Au total plus de 2000 témoignages ont été collectés pour cet évènement. Le processus d’alerte rapide des autorités en cas de séisme important en métropole a été clarifié en 2009. Antérieurement, des messages d’alerte étaient émis à la fois par le site central du RéNaSS et par le CEA-LDG. Aujourd’hui cette responsabilité incombe entièrement au CEA-LDG. Dans un délai maximum de 2h (généralement dans les 20 minutes) après un séisme de magnitude supérieure à 4 (mais pratiquement pour des évènements supérieur à 3.5)5, le CEA-LDG fourni les informations relatives à l’événement (localisation, magnitude) au COGIC 6 . Un message équivalent est également transmis à certains opérateurs de sites sensibles (barrages, …). Le CEA-LDG gère également la surveillance d'installations soumises à des aléas sismiques locaux (centres CEA, TGV Méditerranée...) et émet dans ce cadre des alertes spécifiques, automatiques, dans un délai de l’ordre de quelques minutes. Le message d’alerte fourni par le CEA-LDG est également transmis au BCSF qui relaye cette information sur son site (http://www.franceseisme.fr), lance un appel à témoignage et effectue automatiquement une première estimation des intensités à partir des témoignages reçus. Les intensités déterminées automatiquement à partir des témoignages reçus sont mises à jour régulièrement (toutes les 5 min actuellement) sur le site web (cf. Figure 3). Une synthèse est transmise à de nombreux groupes et organismes dont le COGIC, le MEEM et les différents observatoires. Elle fournit des informations complémentaires à celles du CEALDG qui s’avèrent précieuses pour la gestion de crise. Pour compléter l’aide aux acteurs de la gestion de crise, la production de cartes rapide de l’accélération du sol (« ShakeMap »), fournie dans les minutes suivant le séisme, est 5 En attente de confirmation du CEA 6 Centre Opérationnel de gestion interministérielle des crises 48 actuellement testée par différents organismes. Ces cartes se basent sur une prédiction de la décroissance théorique des amplitudes des vibrations avec la distance, corrigée avec des mesures en temps réel issues des stations sismologiques permanentes ainsi que des données macrosismiques. Elles prennent en compte les effets de site et de propagation dans la limite des connaissances disponibles. Exprimées dans différentes unités (accélération, PGV, intensité EMS-98, …) elles permettraient d’estimer rapidement les dégâts potentiels aux différentes infrastructures. Un premier outil opérationnel, impliquant le BRGM, l’OMP et le BCSF côté français, a été développé pour les Pyrénées dans le cadre du projet européen SisPyr. Dans le cadre de l’axe transverse “Sismicité” de RESIF, un groupe de travail a récemment été mis en place avec comme objectif la génération de ces cartes à l’échelle nationale. Lors d'un séisme, en croisant toutes ces données mises à disposition rapidement (localisation, magnitude, intensités, mesures instrumentales, carte d’accélération, …) avec d’autres informations préexistantes (vulnérabilités, micro-zonage, …), il devient possible d’estimer les dégâts et d'en déduire les victimes potentielles. Ce type d’estimation est par exemple effectué par l’USGS pour les séismes majeurs dans le monde via un outil nommé « PAGER» dont la fiabilité des résultats varie selon les cas. A l’échelle de la France, un outil similaire apparait être en cours de développement au BRGM (fiche « SeisAid » diffusée après le séisme de La-Rochelle 2016). Cependant, la sensibilité de tels outils aux données d'entrée et aux paramètres de modélisation est très importante. Il apparait donc important que l’ensemble des acteurs fournisseurs de données ou travaillant sur de tels modèles soient impliqués dans la conception de ce type d’outil afin de limiter l'écart entre la réalité et les estimations. Ceci permettrait une meilleure appropriation de leurs résultats notamment en gestion de crise. En outre, une clarification des actions et missions collectives (multiorganismes) et individuelles serait utile. D’autre part, la communauté académique peut être amenée à effectuer différentes expertises et analyses en période de crise pour des évènements d’origine naturelle ou anthropique. Ainsi certains spécialistes ont été sollicités suite à l’accident d’AZF en 2001. Toujours en guise d’exemple, les conventions d’exploitation des sites de géothermie profonde en Alsace mentionnent que la DREAL peut solliciter l’EOST pour ré-analyser certains évènements induits majeurs. Au delà de ces expertises effectuées dans un cadre statutaire bien défini, certains OSU sont parfois sollicités directement par les mairies ou préfectures pour apporter rapidement des compléments d’information sur un événement ou pour estimer la qualité d’un ouvrage (cas par exemple de la mairie de Chamonix, dont l’hôtel de ville est instrumenté dans le cadre du RAP, suite au séisme du 8/9/2005, Ml=5.3). Notons enfin que des exercices de simulation de crise sismique, appelés exercices Richter, ont été mis en place depuis quelques années. Ils permettent d’aborder différents aspects de cette gestion de crise depuis l’alerte jusqu’à l’organisation des secours. On peut regretter que la communauté académique, notamment à travers les activités de ses différents services nationaux d’observation, ne soit que peu sollicitée dans leur préparation et leur exécution, malgré son rôle important dans l’observation et l’analyse du phénomène. 49 g) Gestion de la communication La communication en phase de crise est complexe. Les messages automatiques fournis par le CEA-LDG et le BCSF ou les informations paramétriques disponibles sur les différents, et sans doute trop nombreux, sites web produisant une information sur l’activité sismique (sites du CEA-LDG, du RéNaSS, du BCSF, du CSEM et des Observatoires régionaux) ne sont que rarement suffisants pour satisfaire aux besoins d’information des autorités (préfectures, mairies, …), des médias et du grand public. Par la caution scientifique qu’ils incarnent souvent à leurs yeux, les laboratoires de recherche et les observatoires sont souvent très sollicités. Le BCSF-RéNaSS est particulièrement exposé. Même si ces structures se sont parfois organisées en interne, elles ne disposent pas toujours d’un personnel en nombre suffisant et correctement formé pour répondre dans la temporalité de la gestion médiatique d’une crise sismique. En outre, les informations factuelles fournies (localisation, magnitude, type de magnitude) sont parfois divergentes suivant la source de l’information divulguée. De plus, les chercheurs sont parfois sollicités pour émettre un avis sur le phénomène en cours, ses conséquences ou une prédiction sur son issue. La multiplicité des interlocuteurs, disposant chacun de sa propre expertise et de sa propre manière de communiquer, aboutit souvent à toute une variété de réponses et d’analyses qui peut être préjudiciable à une bonne compréhension du phénomène et de l’état des connaissances. On notera enfin qu’il est aujourd’hui important de communiquer également à travers les réseaux sociaux qui constituent un élément important de la chaine d’information et dont l’analyse peut même s’avérer bénéfique sur le plan scientifique (détermination des intensités, perception du risque sismique, …). B. Le cas des Antilles 1. Le contexte géodynamique de subduction induit un risque majeur L’arc volcanique des Petites Antilles est lié aux processus de subduction dus à la convergence des plaques Caraïbe et Américaines depuis l’Eocène inférieur (~50-40 Ma) à une vitesse de 2cm/an. Ce contexte de subduction induit contraintes, déformations à long terme et sismicité. Le taux de sismicité associé à cette faible vitesse de convergence est modéré par rapport aux zones de subduction rapides mais n’exclut pas des séismes majeurs comme celui de 1843 (M>8, à l’est de la Guadeloupe et d’Antigua). Le taux de couplage de la subduction déduit des données GPS est globalement faible le long de l’arc antillais (Figure 4). Néanmoins, l’enregistrement de la sismicité montre nettement des variations latérales. Au nord de la Guadeloupe, les séismes en compression définissent clairement la limite de la plaque plongeante avec la plaque Caraïbe. Entre la Guadeloupe et la Martinique, la sismicité se distribue plutôt en essaim et seuls quelques séismes en 50 compression ont été enregistrés face à la Martinique. Au sud de la latitude 15°N, la sismicité est plus faible et plus diffuse, en lien avec un prisme d’accrétion important alimenté par les grands fleuves sud-américains. La disparition du prisme d’accrétion au nord de la Barbade, l’entrée en subduction des rides de Tiburon et de Barracuda entre lesquelles se trouve la limite diffuse des plaques sud- et nord-américaines et l’oblicité progressive de la direction de convergence font partie des facteurs qui influent sur la sismicité des Petites Antilles. Figure 4 : Contexte tectonique des territoires français des Antilles. La sismicité régionale (M>4) depuis 1972 provient du catalogue CDSA, les mécanismes au foyer pour les séismes supérieurs à 4.5 proviennent du catalogue CGMT (Ekström et al., 2012), le code couleur correspondant à l’échelle de profondeur indiquée en bas à gauche. Les zones de rupture des séismes de 1843 (M>8) et de 1839 (M~7,5) proviennent de Bernard et Lambert (1988), Feuillet et al. (2011) et Hough (2013) Le taux de couplage de la subduction inséré à droite provient de Symithe et al. (2015). 2. Le type d’aléas et de risques aux Antilles Malgré plus de 40 millions d’années de subduction, la connaissance des séismes passés est restreinte aux données historiques des intensités de quelques séismes forts pour les 400 dernières années et aux données instrumentales de plus en plus complètes depuis environ 50 ans. La figure 5 reprend les principales familles de séismes générés par la subduction et les exemples régionaux les plus marquants. 51 Figure 5 : Représentation schématique des principales familles de séismes aux Antilles. Les séismes très forts et majeurs de 1839 et 1843 sur 2 segments différents de la subduction (Figure 4) sont les seuls exemples de séisme probablement générés à l’interface de subduction, mais l’absence de tsunami associé au séisme de 1843 dont la magnitude a dû dépasser 8.3 rend l’analyse de ce séisme ambiguë et suggère qu’il a dû se produire à une profondeur anormalement importante pour un séisme de subduction. Ce séisme (Imax=VIII-IX, M>8) a causé la destruction de Pointe-à-Pitre par ses effets directs et l’incendie qui a suivi et a causé plus de 3000 victimes. Le séisme de 1839 (Imax=VIII, M~7,5) a détruit la moitié des bâtiments de Fort-de-France et causé plus de 300 morts. Le manque de connaissance des séismes passés empêche d’estimer leur temps de retour. Les Petites Antilles sont également caractérisées par une sismicité intraplaque importante (Figure 5), responsable par exemple du séisme des Saintes de 2004 (Imax=VIII , M=6,3) par des séismes de profondeur intermédiaire comme celui de la Martinique de 2007 (Imax=VI , M=7,4), et par des séismes avant-fosse. Cependant la fenêtre de temps des catalogues sismiques ne permet pas d’établir précisément une cartographie de toutes les failles actives. Le zonage sismique en vigueur depuis 2011 classe les territoires français des Antilles en zone 5 (sismicité forte) sur une échelle de 1 à 5 (voir http://www.planseisme.fr/Zonagesismique-de-la-France.html). Les séismes aux Antilles sont classés parmi les risques naturels majeurs. A ce titre, le risque sismique est inclus dans les Plans de Prévention des Risques Naturels (PPRN) établis en Martinique (2004, ré-évalué en 2013) et en Guadeloupe (2008). Une grande partie des actions du Plan Séisme Antilles (PSA) a consisté à réduire de la vulnérabilité des bâtiments publics, dont les bâtiments de gestion de crise et les infrastructures et réseaux, les établissements d’enseignement, les établissements de santé, les résidences de logements sociaux et les établissements scolaires. Les 4 axes de la seconde phase du PSA pour la période 2016-2020, déjà présents sur la première phase de 2007 à 2013, sont : 1- la réduction de la vulnérabilité, 2- l’accompagnement des acteurs de l’aménagement et de la construction (formation des professionnels du bâtiment, etc), 3- la sensibilisation aux risques sismiques et tsunami, 4- l’amélioration de la connaissance. 52 3. Les réseaux de détection des séismes et déplacement du sol : Quels sont–ils, gérés et financés par qui ? Combien de stations ? Combien de personnel ? Comment se fait l’archivage et la mise à disposition des données, pour qui ? Les Observatoires Volcanologiques et Sismologiques (OVS) de Martinique et de Guadeloupe gérés par l’IPGP ont installé et maintiennent des réseaux sismologiques (codes réseaux MQ, GL, WI, RA) et géodésiques GNSS permanents depuis plusieurs dizaines d’années, pour le suivi des volcans, l’enregistrement de la sismicité régionale et l’étude des mouvements forts (Figure 6). La majorité des chercheurs des OVS provient du corps des CNAP (Conseil National des Astronomes et des Physiciens) alors que les ingénieurs, les techniciens et les administratifs peuvent dépendre directement du MESR, du CNRS ou des Collectivités locales avec lesquelles les OVS ont des conventions. Le faible nombre de personnel en observatoire rend ces structures extrêmement sensibles à la mobilité de ses agents, et il n’est pas rare qu’un poste reste non pourvu plusieurs années. Figure 6 : Carte des réseaux sismologiques. A gauche, couverture des réseaux large-bandes régionaux opérés par les OVS (WI) et les partenaires régionaux, dont le SRC-UWI, en charge de la surveillance sismique des îles anglophones. A droite, réseaux sismologiques (WI, MQ, G, RA) et géodésiques de Martinique. Une partie du réseau accélérométrique des Antilles (20 stations, réseau RA) fait partie du Réseau Accélérométrique Permanent (RAP) dont l’IPGP est membre. Les stations sont fournies par le GIS-RAP, et une dotation annuelle de fonctionnement de quelques milliers d’euros est attribuée par le GIS-RAP à l’IPGP. Une autre partie du réseau accélérométrique comprend les accéléromètres en continu associés aux stations multiparamètres 53 (accéléromètre, sismomètre et GNSS) à transmission satellitaire installées récemment dans les îles françaises et dans l’arc antillais (réseau WI, voir paragraphe suivant). Ce réseau WI ainsi que les autres réseaux sismologiques et géodésiques et leurs systèmes de télécommunication, sont financés et maintenus par l’IPGP, avec un soutien annuel du CNRS-INSU et des collectivités locales (CTM en Martinique et CG en Guadeloupe). Un effort important a été réalisé ces 10 dernières années pour améliorer la géométrie du réseau régional (WI), moderniser les stations, fiabiliser leur mode de transmission en utilisant le système VSAT (Very Small Aperture Terminal) et en rendant redondants les centres de réception satellitaire dans les OVS de Martinique et Guadeloupe. L’objectif de cet effort était l’amélioration de la qualité des données, tant pour la recherche et l’observation sismique et volcanique régionale que pour la participation au système d’alerte aux tsunamis de la Caraïbe. Ces modernisations ont été financées des projets régionaux, CPER en Guadeloupe et Interreg Caraïbe en Martinique et représentent un réseau de 16 de stations multiparamètres, dont 12 sur les îles françaises (Martinique, Guadeloupe et SaintBarthélémy). Les efforts futurs devront porter sur de l’instrumentation permanente en mer, afin de mieux étudier les mécanismes de la subduction antillaise. Des catalogues sismiques sont produits à partir des données sismologiques, traitées en temps réel dans les OVS à partir de la suite d’outils de SeisComp3. Après validation par les analystes des OVS, les catalogues sismiques mensuels des OVS [1] sont disponibles sur le site du Centre de Données Sismologiques des Antilles (CDSA, http://www.seismesantilles.fr/) et diffusés aux opérateurs sismiques nationaux (CEA et EOST) et régionaux (Seismic Research Center de l’Université des West Indies, SRC-UWI ; le Puerto Rico Seismic Network PRSN ; la Fundación Venezolana de Investigaciones Sismológicas, Funvisis ; Montserrat Volcano Observatory, MVO). Comme sur le territoire métropolitain, l’existence de plusieurs catalogues de sismicité par différents organismes (OVSM et OVSG, mais aussi SRC-UWI) peut parfois être vue comme complexe et perturbante. Ainsi un même événement peut se voir attribuer plusieurs localisations et magnitudes différentes et avant la mise en place du réseau WI, être localisé avec des réseaux de stations indépendants. Pour palier à ce problème, un projet collaboratif, dénommé CDSA, a été conduit entre 2003 et 2014 par l’IPGP, le BRGM et l’Université des Antilles (UA). Ce projet a permis d’obtenir un catalogue régional commun couvrant la période de 1972 à 2013. Enfin, l’ensemble des données sismiques et accélérométriques et leurs métadonnées sont disponibles en temps réel dans les Centres de Données de l’IPGP (http://centrededonnees.ipgp.fr/descriptif.php?&lang=FR), de RESIF (https://portal.resif.fr/?New-available-data-from-RESIF&lang=en) et celles du réseau WI qui contribuent au système d’alerte aux tsunamis de la Caraïbe sur IRIS (http://ds.iris.edu/gmap/WI). Le BRGM possède des réseaux permanents ou temporaires dédiés à des études thématiques dont les données ne sont pas disponibles. Le Conseil Général de Martinique, devenu la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) possède un réseau de 30 stations accélérométriques (http://www.cgste.mq/accelero/). Ce réseau connaît des difficultés de maintenance et sa rénovation est à l’étude. 54 4. Quel dispositif vis-à-vis des autorités en cas de crise, quelles autorités, en Guadeloupe et en Martinique? A la différence du territoire national continental, une limite inférieure de magnitude ne peut être définie pour l’édition d’un bulletin sismique aux Antilles : un séisme régional M>5 peut ne pas être ressenti par la population, alors qu’un séisme de magnitude 3 (e.g. la crise des Saintes) peut générer des accélérations notables. En conséquent, pour chaque séisme ressenti, les OVS émettent un communiqué (Figure 7) contenant les caractéristiques du séisme (épicentre, profondeur, magnitude) associées à une carte des intensités prédites. Ce communiqué est adressé par différents moyens de dissémination (fax et/ou email) aux autorités, aux organismes d’urgence, aux médias, mais aussi directement à toute personne abonnée à la liste de diffusion des OVS. Un bulletin au format standard GSE est également envoyé au BCSF (http://www.franceseisme.fr/) qui met en ligne l’événement pour recevoir les témoignages et aux média, par différents moyens de dissémination (fax et email), mais aussi directement à la population par email. Les OVS fonctionnent en horaires ouvrés. En dehors des heures ouvrées, un système d’astreinte téléphonique (reposant sur le volontariat du personnel des OVS) basé sur la détection automatique d’un séisme fort avise le responsable d’astreinte qui se rend à l’observatoire pour y traiter l’événement. Le délai avant l’émission de ce communiqué dépend donc de l’heure à laquelle s’est produit le séisme. Pendant les heures ouvrées, il est émis dans les 30-45 mn suivant le séisme et dans le cas contraire, dans les 2h. Un système automatique de localisation est en place dans les OVS, mais actuellement les communiqués d’information ne sont diffusés qu’après un traitement manuel et la validation par les analystes des observatoires. Figure 7 : Exemple de communiqué émis par les OVS à chaque séisme ressenti.Les caractéristiques du séisme apparaissent dans le titre. Les valeurs des intensités prédites calculées suivant la loi d’atténuation de Beauducel et al. (2011) sont données pour chaque commune (tableau de gauche) et sous forme d’isocontours (en chiffres romains), les terres émergées sont colorées suivant l’échelle d’intensité reportée (en bas). 55 Pour un séisme ayant généré une alerte par les OVS et dont l’intensité suivant les premiers témoignages atteint lV-V, le BCSF déclenche une enquête macrosismique afin de recueillir des témoignages auprès de particuliers, de mairies, de préfectures et des pompiers sur les effets ressentis et les éventuels dégâts causés. Ces données macrosismiques, couplées à une analyse des dommages et des vulnérabilités des bâtiments concernés, permettent d’évaluer des intensités sur l’échelle EMS-98. Elles sont notamment utilisées notamment pour l’étude des effets de site mais également lors de la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle des communes touchées. Pour les séismes les plus importants, le BCSF coordonne le Groupe d’Intervention Macrosismique (G.I.M.) qui évalue directement sur le terrain les dégâts occasionnés. Une première formation G.I.M. a eu lieu en Martinique en 2012, une prochaine est programmée en Guadeloupe fin 2016. L’organisation des interactions entre les autorités et les OVS en cas de crise sismique est la même en Martinique, en Guadeloupe et pour les Iles du Nord (Saint-Martin et SaintBarthélémy) et se traduit par des volet ORSEC particuliers. Pour la Martinique, le dispositif ORSEC « Risque sismique » a été promulgué en 1999. La mise à jour de 2008, plus complète, n’a pas été validée. MétéoFrance, le BRGM et l’OVSM y apparaissent comme experts scientifiques faisant partie de l’organisation du PC fixe et ont en charge l’information sur la situation météorologique et sur le phénomène et son évolution (risque de répliques ou de glissements gravitaires). Dans la rubrique VI – Fiches mission/Actions des services, l’Observatoire et le BRGM doivent assurer l’information du Directeur des opérations de secours (DOS, i.e., le Préfet) dans leur domaine. Pour l’OVSM, il s’agit d’informer sur la localisation et la magnitude du séisme, sur l’estimation de son intensité de surveiller les éventuelles répliques, et pour le BRGM de conseiller le DOS sur la stabilité des zones et de délimiter les zones à évacuer et l’expertise des bâtiments. La diffusion des communiqués des OVS (ainsi que le délai de diffusion après le séisme) n’est pas conventionné et repose sur le volontariat du personnel en observatoire, en particulier en dehors des heures ouvrées. 5. Les tsunamis : un risque induit par les séismes, les volcans et les glissements gravitaires Les départements français des Antilles se situent dans le bassin Caraïbe, identifié par l’Unesco comme l’un des 4 bassins tsunami-géniques mondiaux. La spécificité de la menace tsunami aux Antilles tient à son contexte tectonique et géographique. Les tsunamis menaçant les îles peuvent être générés : - par des phénomènes locaux (propagation en quelques minutes) comme des effondrements de falaise ou de flancs de volcan en bordure de littoral, - par des phénomènes régionaux (propagation en quelques dizaines de minutes à quelques heures) comme des éruptions volcaniques d’îles voisines ou de forts séismes au niveau de la zone de subduction, - ou encore par des phénomènes trans-océaniques (propagation en plusieurs heures). Ces sources impliquent qu’il existe un continuum temporel entre les temps d’arrivée des vagues depuis l’événement tsunami-génique et nos côtes, de l’ordre de la minute à 56 plusieurs heures et des amplitudes de vagues très variables du centimètre à plusieurs mètres. Depuis 2005, les recherches ont permis de construire des bases de données des tsunamis historiques dans les Antilles. Sur cette période de temps très limitée (~500 ans), des dizaines d’événements ont été identifiés. La National Oceanographic and Atmospheric Agency (NOAA, https://www.ngdc.noaa.gov/hazard/tsu_db.shtml) maintient à jour une base de données des événements (Dunbar and McCullough, 2012) dont 74 recensés dans la Caraïbe (Figure 8) et les événements ayant impacté les côtes des îles françaises sont identifiées dans la base de données du BRGM (http://tsunamis.brgm.fr/). Figure 8 : Cartographie des tsunamis historiques extraits de la base de données de la NOAA. Chaque observation est reportée sous la forme d’un rectangle dont la taille est proportionnelle à la hauteur de vague observée à la côte. La sélection d’un événement (disque vert) génère un encadré (au centre) contenant la nature de l’observation. Les îles françaises (Martinique, Guadeloupe, SaintBarthélémy et Saint-Martin) ont toutes été impactées pendant la période historique (1492 à ce jour). Pour les îles françaises, les scénarios de référence sont : - Le tsunami transocéanique généré par le séisme de Lisbonne de 1755, avec des hauteurs de vagues de 1 à 3 m sur les côtes Est des îles françaises de la Caraïbe, - Le tsunami régional généré par le séisme des Iles Vierges en 1867 (2 m en Guadeloupe), - Les tsunamis locaux liés à l’éruption de la Montagne Pelée en mai 1902. Le tsunami du 5 mai (Figure 9) fut généré par un lahar, les suivants par l’arrivée en mer de nuées ardentes. Celui du 8 mai (plusieurs mètres à St Pierre et 1m à Fort-de-France) a été observé dans la plupart des îles de l’arc antillais. 57 Figure 9 : Photographie du tsunami de 1 m du 5 mai 1902 à Saint Pierre (Lacroix, 1904). En revanche, les rares séismes historiques de subduction (Martinique 1839; Guadeloupe 1843) n’ont pas généré de tsunami notable. Il est néanmoins probable que la zone de subduction antillaise a le potentiel pour produire de larges séismes tsunami-géniques, même si les temps de récurrence sont plus longs que dans le Pacifique. Les grands axes de la recherche actuelle sont orientés vers l’identification de tsunamis antérieurs à la période historique (paléo-tsunamis), la définition de scénarios maximisant et de scénarios d’inondation. Ces recherches sont essentiellement menées par des organismes implantés régionalement, dont pour la France l'Université des Antilles (UA), le BRGM et l'IPGP. Une étude du zonage tsunami pour 6 communes de Martinique est en cours, co-financée par la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) et la Direction de l’Equipement, de l’Aménagement et du Logement (DEAL) de Martinique. Elle s’appuie sur les bases de données de tsunamis historiques dans la Caraïbe. Sur la base des résultats de ces études ou en prenant une hauteur de mise en sécurité de 15m au-dessus du niveau de la mer, une étude de l’UMR GRED (U. Montpellier 3) a produit des itinéraires d’évacuation dans quelques communes pilotes. La démarche va être étendue pour l’ensemble des communes littorales L’ensemble du littoral antillo-guyanais est exposé aux tsunamis. C’est précisément dans cette zone côtière que se concentrent la plus forte densité de population ainsi que les infrastructures d’importance vitale (communications portuaires et aéroportuaires, stockage de carburant, production électrique) et touristiques. Ainsi, malgré des phénomènes de moindre ampleur et une probabilité d’occurrence moins élevée que dans le Pacifique, le risque pour les îles françaises de la Caraïbe est évalué comme important. Les coûts financiers, structurels, politiques, sociaux et humains qui pourraient résulter d’une catastrophe type tsunami majeur seraient particulièrement pénalisants pour le développement de ces territoires. 58 6. Le système d’alerte aux tsunamis dans les îles françaises de la Caraïbe Suite au séisme de Sumatra de décembre 2004, la Commission Océanographique Intergouvernementale (COI, http://www.ioc-tsunami.org/index.php?lang=fr) de l’UNESCO a créé un cadre pour le déploiement de systèmes d’alerte précoce aux tsunamis dans l’océan Indien, dans les Caraïbes et en Méditerranée. Chacun de ces bassins tsunami-géniques fonctionne de manière indépendante. Dans le cas de la Caraïbe, la France participe au Groupe de Coordination Intergouvernementale pour les Tsunamis et autres Systèmes d’Alerte des Risques Côtiers dans la Caraïbe et les Régions Adjacentes (ICG/Caribe EWS en anglais ou GIC/SATCAR en français) qui représente 28 pays caribéens et se subdivise en quatre groupes de travail. Chacun de ces groupes correspond à un des aspects du système d’alerte : la détection instrumentale, l’évaluation des risques, l’alerte et la réponse de sécurité civile, et enfin la sensibilisation et la préparation des populations. La détection instrumentale est assurée par les opérateurs de réseaux (sismologiques et marégraphiques) régionaux, dont pour la France l'IPGP (16 stations du réseau sismologique WI et 2 marégraphes), le SHOM (3 marégraphes) et le Conseil Général de Martinique (2 marégraphes). La modernisation de cette instrumentation et de sa transmission a été réalisée grâce à 2 CPER Guadeloupe à l’OVSG et un projet Interreg Caraïbe à l’OVSM, cofinancés par les Régions Antillaises et l’Europe, avec un soutien du Plan Séisme Antilles. La transmission en temps réel de ces données, ainsi que celles des autres pays de la zone, permet au Pacific Tsunami Warning Center (PTWC, http://ptwc.weather.gov), le prestataire de services relatifs aux tsunamis (TWSP) i.e., le centre régional d'alerte, de fournir en quelques minutes les informations aux centres d’alerte nationaux (NTWC) de chaque pays, via des organismes en veille H24, les Points Focaux (TWFP). Par définition (IOC/TOWS-WG-VII/3, 2016), un Point Focal (TWFP) est un Point de contact disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 (un bureau, une unité opérationnelle ou un poste, et non un individu) désigné officiellement par le NTWC ou le gouvernement pour recevoir et diffuser les informations relatives aux tsunamis émises par un prestataire de services relatifs aux tsunamis du GIC, conformément aux procédures opérationnelles normalisées du pays. Le TWFP peut ou non être le NTWC. En avril 2015, la France a désigné MétéoFrance Martinique et MétéoFrance Guadeloupe comme Points Focaux respectivement pour la Martinique et la Guadeloupe et les Iles du Nord. Par définition (IOC/TOWS-WG-VII/3, 2016), un centre national d'alerte aux tsunamis (NTWC) est un centre officiellement désigné par le gouvernement pour jouer un rôle de surveillance et émettre des alertes aux tsunamis et autres communiqués analogues sur le territoire national conformément aux procédures opérationnelles normalisées du pays. En avril 2015, la France a désigné comme centres d’alerte nationaux aux tsunamis les Préfectures de Martinique et de Guadeloupe et Saint-Martin, à travers leurs Services Interministériels de Défense et de Protection Civile (SIDPC) : les SIDPC sont en charge d’émettre des communiqués d’information ou d’alerte vers les communes et de mettre en œuvre les procédures opérationnelles associées à ce phénomène telle que prévues par leur dispositif ORSEC. Les dispositifs ORSEC « Tsunami » régionaux et zonaux sont en cours d’élaboration et de validation dans les îles françaises des Antilles. L’organisation actuelle de 59 la réponse en cas de crise est limitée par l’absence de veille H24 des SIDPC (ainsi qu’en métropole) pour la gestion de l’ensemble des situations de crise (pas uniquement tsunami) qui peuvent survenir dans les Antilles françaises. Que ce soit dans le cas de figure d’un tsunami assez lointain pour permettre l’évacuation planifiée de la population ou dans le cas de figure d’un tsunami en champ proche où l’évacuation doit être spontanée, l’information et l’éducation des populations est une composante très importante d’un système d’alerte aux tsunamis. Dans le cas d’un tsunami en champ proche (temps d’arrivée inférieur à 30mn), des actions de sensibilisation récurrentes (e.g., la semaine REPLIK en Martinique et SISMIK en Guadeloupe, et la participation à l’exercice annuel CaribeWave organisé par le GIC/SATCAR) permettent de faire connaître les signes de reconnaissance d’un tsunami, ses caractéristiques, et les bons réflexes à adopter en cas de séisme fort. Une partie de la prévention et de l’information des populations est réalisée à travers des actions du Plan Séisme Antilles (http://www.planseisme.fr/-Espace-Plan-Seisme-Antilles-.html), piloté par les Préfectures et les DEAL et à travers des actions des collectivités régionales. Les Rectorats jouent également un rôle important en relayant et appuyant les actions de sensibilisation dans les écoles, collèges et lycées. En 10 ans, la réponse des départements français des Antilles s’est structurée pour faire face à la menace tsunami : certains projets ont permis de poser les bases du système d’alerte aux tsunamis, en particulier au niveau de la détection instrumentale; le PTWC est le fournisseur d’alerte au tsunami ; l’éducation des populations est en cours. Néanmoins, la mise en place de plans d’évacuation se heurte à la définition insuffisante de scénarios, limitée par la méconnaissance des phénomènes antérieurs à la découverte du nouveau monde. L’identification de paléo-tsunamis doit donc être une priorité dans les axes de recherche à développer. Par ailleurs, les systèmes de diffusion de l’alerte vers les populations, similaires au Système d’Alerte aux Populations (SAIP, http://www.interieur.gouv.fr/Alerte/Le-SAIP-en-4-clics) prévu en métropole, doivent encore être financés. Enfin, que ce soit au niveau des autorités ou au niveau des opérateurs de réseaux, aucune subvention récurrente n’existe dans les départements français des Antilles, en particulier pour assurer le fonctionnement dans la durée des systèmes mis en place, et pour prendre en charge la participation de l’ensemble des acteurs intervenant dans les groupes de travail du GIC/SATCAR. C. Autres régions : Nouvelle-Calédonie et Vanuatu 1. Contexte géodynamique – sismique : a) Le contexte géodynamique de la Nouvelle-Calédonie La Nouvelle-Calédonie se situe à proximité de la frontière convergente entre les plaques Pacifique et Australie, une des régions sismiques les plus actives du globe (Figure 10). Plus précisément elle se situe en bordure de la plaque Australienne, laquelle subducte sous la 60 plaque Pacifique et l’arc du Vanuatu, la vitesse de convergence étant de 12 cm/an entre les îles loyauté de la Nouvelle-Calédonie et le sud de l’arc du Vanuatu. Un à deux séismes de magnitude ≥ 7.0 se produit chaque année le long de la zone de subduction du Vanuatu. Figure 10 : Sismicité instrumentale de l’arc des Nouvelles-Hébrides Cependant les catalogues mondiaux tels que celui du NEIC (National Earthquake Information Center) n’enregistrent que les événements de magnitude > 4.5 environ, et on connaît mal la sismicité régionale moyenne. b) Le contexte local de la Nouvelle-Calédonie La sismicité de la Nouvelle-Calédonie est illustrée sur la figure 11 où sont superposées des informations provenant de réseaux différents et de périodes différentes. 61 Figure 11 : Sismicité superficielle de la Nouvelle-Calédonie. Les cercles rouges correspondent aux séismes du catalogue du NEIC. Les cercles vert, jaune et mauve correspondent respectivement aux séismes localisés par R. Louat (1977), M. Régnier (1999) et R. Pillet (2005) La sismicité de l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie, issue des catalogues du « National Earthquake Information Center » (NEIC, http://neic.usgs.gov) pour la période de 1960 à 2002 correspond à de séismes relativement forts (magnitude minimum de l’ordre de 4) car enregistrés et localisés par le réseau mondial. Outre la zone sismique associée à la subduction du Vanuatu à l’Est des îles Loyauté, cinq zones ou nœuds de sismicité se distinguent dans le voisinage de la Grande-Terre de Nouvelle-Calédonie. Deux de ces séismes, supérieurs à la magnitude de 5.0 et localisés par le NEIC se situent dans le lagon sud à proximité de la passe de Mato, au large de Nouméa. Cette zone sismique, caractérisée par les plus forts séismes de Nouvelle-Calédonie (hors le front actif de la zone de subduction du Vanuatu) et située à 60-70 km de la capitale Nouméa, est une menace potentielle pour le Sud de la Grande-Terre. Compte tenu de la localisation des stations sismologiques et de la présence de la capitale Nouméa, seule la sismicité du sud de la Nouvelle-Calédonie a fait l'objet d’études détaillées. Ces auteurs ont établi les premières cartes de sismicité de cette zone, confirmant une activité sismique non négligeable autour de la capitale Nouméa (sud-est de Grande Terre), dans la chaîne au nord de Nouméa et dans le lagon sud. c) Le réseau Le réseau sismologique de Nouvelle-Calédonie (http://www.seisme.nc) est composé de sept stations sismologiques combinant capteurs large bande et accélérométrique, réparties sur l'ensemble du territoire de la Nouvelle-Calédonie, mais plus particulièrement sur les zones sismiquement actives, en l'occurrence le Sud de la Grande Terre ainsi que les îles Loyauté (Figure 12). Le réseau est enregistré à la FDSN (International Federation of Digital Seismograph Networks), sous l’acronyme ND. Les données de ses sept stations (canaux au standard RESIF) sont publiques et librement accessibles en temps réel sur le site de l’IRIS (http://www.iris.edu/hq). 62 Figure 12 : Carte des stations du réseau sismologique de Nouvelle Calédonie (ND) ; figurent également les deux stations Géoscope (G) de Dzumac (DZM) et Port-Laguerre (NOUC) Les données large bande et accélérométriques sont incorporées dans la base de données nationales RESIF et RAP, en passant par les serveurs des nœuds de collecte de OCA/Géoazur+EOST (large bande) et de l’OSUG/ISTERRE (accéléromètres). La construction du RSNC a été rendue possible par l’obtention d’une subvention de la Commission Européenne d’un montant de 450.000 € (hors participation de l’IRD) fin 2008. Le RSNC a été mis en place en 2010 et 2011 et est totalement opérationnel depuis début 2012. Réseau commun Nouvelle-Calédonie/Vanuatu Dès 2010, le logiciel Seiscomp 3 (détection et localisation automatique des séismes) a été mis en place à Nouméa, et à partir de 2011 les données et méthodologies ont été partagées avec le VMGD (Vanuatu Meteorological and Geohazards Department), et on peut parler dès cette date de réseau commun NC/Vanuatu (Figure 13). 63 Figure 13 : Carte du réseau commun NC/Vanuatu ; figurent également les deux stations Géoscope (G) de Dzumac (DZM), Port-Laguerre (NOUC) et Santo (SANC). Le réseau international ORSNET (Oceania Regional Seismic NETwork) Le succès du réseau commun NC/Vanuatu a très vite attiré l’attention des pays insulaires de la région, et grâce à l’obtention de plusieurs financements a pu naître le réseau international ORSNET (Figure 14), qui correspond à une fédération des réseaux nationaux des pays et territoires suivants : Nouvelle Calédonie, Vanuatu, Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG), Salomon, Fidji, Samoa, et Tonga. Le serveur du réseau, inauguré en mars 2014, est installé au centre IRD de Nouméa et fonctionne selon le principe suivant : chaque pays participant lui donne accès à ses propres données, et peut en retour, récupérer les flux Seedlink (signaux sismiques en temps réel) de l’ensemble des pays participants. Le réseau ORSNET a été inauguré officiellement en mai 2014 par l’Ambassadeur de France à Port-Vila (Vanuatu). Une convention avec le PTWC (centre d’alerte tsunami du Pacifique) est en cours qui permettra à celui-ci l’accès aux données ORSNET. ORSNET fonctionne depuis son inauguration comme un centre d’alerte sismologique pour le Pacifique Sud-Ouest. 64 Figure 14 : Le réseau international ORSNET. Les stations en rouge sont les stations publiques accessibles. Devraient être intégrées en 2016 dix stations de Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG). A terme, ORSNET comprendra une soixantaine de stations temps réel. d) Personnel et financement Le fonctionnement de ces réseaux et la gestion des données sont assurés sur site par 3 personnes de l’IRD. Outre le financement initial de la Commission Européenne, le fonctionnement est désormais assuré par la Nouvelle-Calédonie. Le budget 2016 est de 5 millions de francs CFP (42.000 €). 65 En résumé I - L’aléa sismique en Métropole est qualifié de modéré mais des évènements importants, engendrant des dégâts aux bâtiments et/ou des victimes, se produisent de manière décennale à centennale - La complexité du contexte géodynamique et la faiblesse des taux de déformations actuels compliquent la caractérisation de l’aléa sismique en Métropole - La communauté académique participe à la connaissance de l’aléa sismique du territoire essentiellement à travers le suivi de l’activité sismique. Elle est moins présente dans les approches historiques et paléosismologiques, pourtant indispensables pour améliorer l’estimation de cet aléa - A l'instar d’autres acteurs du domaine (IRSN, BRGM, …), la communauté académique mène différentes études sur les effets de site ou la réponse des bâtiments aux sollicitations sismiques. Elle reste cependant peu impliquée dans la définition du zonage sismique à l’échelle nationale ou à des échelles plus locales - Lasismicitéinduitegénèreunaléaetunrisquesismiqueparticulieràappréhender etdontlaperceptionsociétaleestgrandissante.Departsonexpertiseenrecherche etenobservation,lacommunautéacadémiqueaunrôlemajeuràjouerdansce domaine. II - A travers ses Services Nationaux d’Observation, la communauté académique dispose de réseaux sismologiques et géodésiques de qualité permettant un suivi fin de la sismicité du territoire. Ces réseaux sont complémentaires de celui du CEA plus axé sur la surveillance des séismes importants - L’infrastructure de recherche RESIF coordonne et fait évoluer ces moyens d’observation via une collaboration entre les organismes impliqués. RESIF a permis d’initier certaines évolutions majeures dont la densification du réseau large bande permanent, la création d’un Système d’Information pour la distribution des données et un nouvel axe transverse “Sismicité” visant à réaliser différents produits de référence sur la sismicité et l’aléa sismique - Les données issues des réseaux d’observation académiques sont utiles au monde socio-économique et leur utilisation doit être facilitée - Lesréseauxsismologiquesdesurveillancedesitesindustriels,auxquelsla communautéacadémiqueestparfoisassociée,génèrentdesdonnéesutilespourla recherchefondamentale.L’ouverturedetellesdonnéesdoitêtreencouragée. 66 III - Pour la métropole, l’alerte sismique est effectuée par le CEA. - La communauté académique participe à l’estimation rapide des effets des séismes à travers la collecte et la diffusion d’informations macrosismiques et instrumentales. - La réalisation de “ShakeMap”, issues des moyens d’observation et des travaux de la communauté académique, et leur distribution en temps quasi réel sont utiles à la gestion de crise. L’axe transverse « Sismicité » de RESIF met actuellement en place ce type d’outil à l’échelle nationale. - La communauté académique devrait être impliquée dans la conception des outils d’estimation rapide des dégâts utilisant les informations scientifiques qu’elle produit ainsi que dans les exercices de gestion de crise sismique. - La communauté académique est très sollicitée, et de fait impliquée, dans l'information des autorités et des citoyens lors de séismes en France ou dans le monde. IV – Antilles - Le contexte tectonique et la sismicité historique indiquent un risque sismique élevé dans les départements français des Antilles. - La prise en compte du risque et la réduction de la vulnérabilité sont les axes majeurs du Plan Séisme Antilles. - La connaissance de l’aléa est très incomplète en partie à cause d’une fenêtre de temps d’observation courte (~500 ans) et de la complexité du contexte sismo-tectonique des Antilles. V - - L’ensemble des réseaux sismologiques et géodésiques des Antilles françaises est opéré par les Observatoires Volcanologiques et Sismologiques de l’IPGP qui mettent à disposition en temps réel les données des stations sismologiques. Ces OVS sont très sensibles à la mobilité de leur personnel. Des projets régionaux et européens ont récemment permis une modernisation et une extension de ces réseaux pour les adapter à l’étude de l’arc antillais. L’évolution de ces réseaux devrait être une extension en domaine marin, plus proche de la subduction. VI - Malgré des connaissances limitées à la période historique (~500 ans), le contexte tectonique de la subduction et la concentration des enjeux en zone côtière induisent un risque tsunami important dans les départements français des Antilles. Le Plan Séisme Antilles prend en charge la réduction de la vulnérabilité aux Antilles. 67 - Les interactions avec les autorités sont fondées sur les bulletins des OVS et sur les dispositifs particuliers « séismes » et « tsunami » ORSEC. - La recherche actuelle est axée sur l’identification des sources (paléo-tsunamis et paléoséismes) pouvant générer des tsunamis afin d’établir les scénarios maximisant permettant de réaliser des modèles d’inondation VII - Depuis la création du GIS/SATCAR par l’Unesco en 2005, la France participe à la mise en place du système d’alerte dans la Caraïbe : des réseaux de détection ont été installés et transmettent leurs données en temps réel au centre d’alerte fournisseur pour la Caraïbe ; pour les îles françaises, les Points Focaux et les Centres d’Alertes Nationaux ont été nommés ; les dispositifs ORSEC tsunamis sont rédigés et l’alerte arrive actuellement jusqu’aux mairies et aux organismes d’urgence ; la sensibilisation des populations se fait à travers des actions récurrentes. - Il n’existe pas de budget récurrent pour le maintien des réseaux de détection. La participation des représentants français auprès du GIS/SATCAR est prise sur les fonds propres des organismes qui y contribuent. Le financement d’un système d’alerte type sirène pour les populations côtières n’est pas identifié. La gestion de crise est pénalisée par l’absence de fonctionnement H24 des SIDPC. Recommandations 1) Pérenniser les dispositifs d’observation sismologiques et géodésiques en assurant leur fonctionnement long terme et leurs indispensables évolutions, de manière à faire progresser les connaissances fondamentales nécessaires à une meilleure estimation de l’aléa sismique. 2) Poursuivre les actions initiées dans l’axe transverse « Sismicité » de RESIF afin de mettre en place des produits issus des données des observatoires (catalogue et bulletin de référence de la sismicité, cartes d’intensités, ShakeMap, …), et favoriser leur utilisation par d’autres acteurs que ceux de la recherche académique. 3) Renforcer des actions de recherche fondamentale et appliquée impliquant significativement la communauté académique sur l’estimation de l’aléa, la vulnérabilité et le risque associés aux séismes naturels et induits, et allant de l’échelle locale à celle de tout le territoire. 68 4) Développer et favoriser les interactions entre les acteurs de la recherche académique et ceux des autres organismes fortement impliqués dans l’estimation de l’aléa et du risque sismique et sa gestion pendant et hors périodes de crise. 69 CHAPITRE IV Les phénomènes volcaniques en France A. Le volcanisme en France La France métropolitaine n’est située ni sur une limite de plaque ni sur une zone volcanique active. Le volcanisme récent (quelques milliers d’années à dizaines de milliers d’années) y est exprimé, d’une part dans la chaîne des Puys, et d’autre part dans le Vivarais en Ardèche, sans toutefois présenter un risque d’éruption à court terme. Le territoire de la France peut également être soumis aux effets d’éruptions ayant lieu dans des zones volcaniques actives proches (Islande, Italie, Grèce principalement). L’éruption en Islande en 2010 a montré combien les effets de ces éruptions pouvaient être importants sur l’économie française et européenne. Les Antilles françaises sont dans une situation très différente puisque situées à proximité d’une limite de plaques en subduction (entre les plaques Caraïbes et Amérique du Nord), qui plus est sur un arc volcanique actif. Le risque volcanique est fort dans les Antilles françaises, lié bien entendu aux volcans de la Soufrière en Guadeloupe et de la Montagne Pelée en Martinique, mais également aux volcans situés dans les îles à proximité. L’île de La Réunion est également exposée aux risques volcaniques. Sans être à proximité de limite de plaque tectonique, elle doit son origine à l’expression d’un panache mantellique profond générateur d’un volcanisme intense. B. La Réunion et le Piton de la Fournaise 1. Rappel du contexte géodynamique de l’île et de l’histoire géologique du volcan L’île de La Réunion est située dans un environnement océanique appartenant à la plaque tectonique africaine. Localisée à 800 km à l’Est de Madagascar, elle forme, avec l’île Maurice voisine et l’île Rodrigues, un ensemble volcanique dit de « point-chaud ». L’origine de ce volcanisme est attribuée à l’existence d’un panache mantellique profond. Cette particularité géodynamique se traduit par le fait que les magmas émis par les volcans de La Réunion sont essentiellement de composition basique, et conduisent donc principalement, mais pas exclusivement, à des éruptions effusives (principalement sous forme de fontaines et de coulées de lave). Les volcans de La Réunion (Piton de la Fournaise et Piton des Neiges) forment un ensemble culminant à plus de 3 070 m d’altitude qui reposent sur le plancher océanique à plus de 4 70 000 m de profondeur, soit un relief (parties émergée et immergée comprises) de 7 000 m de hauteur environ. L’édification de cet ensemble volcanique s’étale sur une durée probablement supérieure à 10 millions d’années. Figure 1 : L’éruption d’avril 2007 au Piton de la Fournaise Si on ne connaît pas d’éruption du Piton des Neiges plus jeune que 12 000 ans, le Piton de la Fournaise est un des volcans parmi les plus régulièrement actifs de la planète. Son activité éruptive apparaît continue durant les derniers 450 000 ans, marquée par de grands épisodes volcano-tectoniques ayant engendré des glissements de flancs et la formation de caldeiras de grande taille dont la plus récente (Enclos Fouqué, zone totalement inhabitée) est le site de la très grande majorité des éruptions actuelles. Les premières éruptions dont nous avons la connaissance datent de peu après l’arrivée de l’homme sur l’île, au milieu du 17e siècle. Le 18e siècle et le 19e siècle furent marqués par des éruptions importantes donnant des coulées atteignant les zones littorales, et des explosions et effondrements au sommet du volcan (cratères-puits et caldeiras de petite taille). Si l’activité fut essentiellement effusive, avec des longues coulées de lave fluide et des explosions relativement modestes, plusieurs éruptions violentes sont mentionnées. Elles peuvent être associées à l’émission de fines particules de verre volcanique (dénommées cheveux de Pélé) jusque dans les zones éloignées du volcan (retombées à StDenis lors de plusieurs éruptions), ou à des violentes explosions sommitales, d’origine phréatique ou phréato-magmatique, projetant blocs et cendres sur une large surface. A noter également que nombreuses sont les coulées qui arrivent à l’océan, distant du sommet de 10 km. L’entrée en mer de la lave chaude est génératrice d’explosions produisant des panaches de gaz chargés de cendres fines et de sables noirs. Enfin, lors de chaque éruption des gaz volcaniques (principalement CO2, SO2, H2S, HF) sont libérés, en quantité souvent proportionnelle au volume de l’éruption. Ces gaz peuvent, selon le sens du vent, incommoder des personnes dites fragiles. 71 2. Présentation de l’observatoire L’observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise est fonctionnel depuis le début de l’année 1980. Son implantation, appelée de longue date par les scientifiques (déjà le Professeur Alfred Lacroix demandait qu’un observatoire volcanologique soit construit à La Réunion dans les années 1930), a été décidée à la suite de l’éruption de 1977 dont les coulées de lave détruisirent en partie le village de Piton Sainte-Rose sur le flanc nord-est du volcan. Situé à Bourg Murat à environ une quinzaine de kilomètres du sommet du volcan, l’observatoire n’a cessé de se développer et de s’accroître au cours du temps. Sous la tutelle de l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), il compte aujourd’hui une douzaine de personnels scientifiques et techniques rattachés à l’IPGP, au CNRS (INSU) et au Conseil Départemental de La Réunion, qui travaillent en collaboration avec les personnels de l’IPGP basé à Paris, mais également avec des scientifiques et techniciens d’autres institutions françaises et internationales. L’observatoire maintient des réseaux d’observation capables de suivre l’activité sismique liée au volcan, ses déformations de surface, son activité thermique et ses émissions de gaz, de pyroclastites et de laves. L’Institut de Physique du Globe de Paris et l’Observatoire de Physique du Globe de Clermont-Ferrand (OPGC) contribuent au Service National d’Observation en Volcanologie (SNOV) afin d’établir de longues séries temporelles de données fournies par des instruments de télédétection au sol ou à bord de satellites, et des analyses en laboratoire, ou sous forme de développements méthodologiques ou instrumentaux. Le réseau sismique est composé de vingt-deux stations large bande à trois composantes (Figure 2), cinq stations à trois composantes courtes périodes et quatorze stations analogiques à une composante verticale. Figure 2 : Carte du réseau de stations sismiques de l’OVPF fin 2015. Les triangles bleus représentent les stations large bande, les triangles verts, les stations courte période trois composantes, et les triangles rouges, les stations à composante verticale et transmission analogique. Le suivi des déformations de surface est effectué par mesure depuis des satellites (interférométrie radar), par des réseaux de mesure au sol, et par des mesures hybrides satellites/sol (réseau GNSS : Global Navigation Satellite System). Le réseau GNSS 72 permanent de l’OVPF comprend vingt-six stations : dix sur le cône terminal, six sur le flanc Est dans les Grandes Pentes et le Grand Brûlé, une sur la coulée de 2007, huit sur le pourtour extérieur de l’Enclos et une au Maido (en jaune sur la figure 3). A cela vient s’ajouter l’accès aux données de la station de l’IGN : REUN (situé à l’observatoire, en rouge sur la figure 3), et les données des huit stations du réseau privé Lél@ (en bleu). L’ensemble de ces stations couvre ainsi la totalité de La Réunion. Figure 3 : Localisation des stations GNSS sur l’île de la Réunion dont les positions sont calculées à l’OVPF. Les déplacements du sol sont également suivis par interférométrie radar (Figure 4) à travers une collaboration entre l’OVPF et l’OPGC à Clermont-Ferrand dans le cadre du Service National d’Observation en Volcanologie (SNOV – service OI2). Les interférogrammes calculés permettent de déterminer les déplacements induits par les différentes éruptions sur une large surface. Des produits dérivés (composantes EW et verticales des déplacements, cartes de cohérence, cartes de coulées) sont également fournis. 73 Figure 4 : Interférogramme ALOS-2 calculé entre le 24/01/2015 et le 07/03/2015 montrant les déformations de surface liées à l’éruption de février 2015 au Piton de la Fournaise (Service d'observation OI2 composante du SNOV, OPGC-IPGP). Le réseau au sol (figure 5) est constitué également de dix inclinomètres, implantés dans des cavités naturelles, en tunnel ou dans des forages (six à l’intérieur de l’Enclos Fouqué, trois en bordure de l’Enclos Fouqué et une à l’extérieur, à 8 km du sommet dans le tunnel de Rivière de l’Est), et de trois extensomètres (trois composantes : ouverture, cisaillement, mouvement vertical), installés sur des fractures préexistantes. Figure 5 : Localisation des stations du réseau inclinométrique (triangles) et extensométrique (carrés) de l’OVPF. 74 Le suivi thermique permet une quantification des flux de lave et le calcul des volumes de matière émis. Il est effectué, dans le cadre du SNOV, grâce à une collaboration OVPFOPGC (service d’observation HotVolc, à partir du satellite MSG), et dans le cadre d’une collaboration avec l’Université de Turin (service MIROVA, à partir d’images MODIS). Des mesures in situ réalisées à l’aide de caméras thermiques permettent de calibrer les mesures issues du secteur spatial. Le réseau géochimique de suivi des émissions gazeuses est constitué de stations fixes comprenant trois stations DOAS (mesure du SO2), une station MultiGaS (détermination des excès de H2O, CO2, SO2 et H2S par rapport à l’atmosphère) et trois stations de mesure du flux de CO2 par le sol, et de l’instrumentation portable du même type. Les stations permanentes sont couplées à des capteurs qui permettent de quantifier les paramètres environnementaux (P, T, rh, vitesse et direction du vent, pluviométrie). Un suivi géochimique, pétrologique et des textures magmatiques des produits émis (projections et laves) est effectué dans le cadre du SNOV grâce à une collaboration OVPF OPGC. 3. Ce que l’on sait du fonctionnement du Piton de la Fournaise depuis qu’il est observé Depuis l’implantation de l’Observatoire Volcanologique du Piton de la Fournaise en 1980, et jusqu’en 2016, soixante-six éruptions et vingt-six crises sismiques non associées à une éruption, ont été suivies. Cela représente en moyenne une éruption tous les sept à huit mois. À cela, il faut rajouter trois effondrements au sommet du volcan (formation d’une caldera en 2007 et de cratères-puits en 1986 et 2002), six entrées de laves en mer et autant d’événements coupant la route traversant le Grand Brûlé, deux coulées hors enclos, deux coulées dans le rempart Nord à proximité des zones habitées, et plusieurs grands incendies nés du contact entre la lave active et la végétation, et menaçant des installations. Cette activité éruptive et volcano-tectonique fréquente est variable d’un point de vue dynamique mais, pour l’essentiel, elle est déterminée par l’écoulement de laves fluides à haute température (< 1200°) et l’éjection aux évents éruptifs de pyroclastites (bombes, lapilli, cendres) formant un cône de projections, et de panaches de gaz et aérosols. Les épisodes d’effondrement s’accompagnent d’explosions plus violentes, d’origine phréatique (vaporisation des eaux d’infiltration) ou phréato-magmatique (interaction eau/magma), pouvant projeter des blocs et cendres sur l’ensemble du cône sommital du volcan. Si l’essentiel de cette activité est contenue dans la dépression constituée par la caldera de l’Enclos Fouqué, quelques éruptions peuvent intéresser les zones dites « hors Enclos » et voir leurs coulées ou même l’ouverture de fissures éruptives affecter les zones habitées. Depuis l’implantation de l’observatoire, ce fut notamment le cas en 1986 et 1998. Enfin, certaines éruptions comme celle de 2007, bien qu’alimentées depuis des évents situés dans la dépression de l’Enclos Fouqué, peuvent avoir des conséquences importantes sur les populations, en particulier du fait de l’émission de panaches de gaz importants depuis l’évent éruptif et par l’entrée en mer des coulées de lave. 75 Figure 6 : Nombre d’éruptions recensées depuis la création de l’Observatoire Volcanologique du Piton de la Fournaise L’implantation de l’observatoire volcanologique est récente (trente six ans d’observation). Cette courte période de suivi des éruptions et phénomènes volcaniques ne peut complètement rendre compte de ce que peut réellement être l’activité du Piton de la Fournaise, pas plus que les descriptions et relations écrites laissées depuis l’arrivée des premiers habitants à La Réunion (moins de quatre siècles). Les travaux entrepris sur les éruptions dites « préhistoriques » (antérieures à l’arrivée des premiers habitants) ont permis de caractériser plusieurs événements plus rares mais également plus violents que ceux de la stricte période d’observation. Parmi ceux-ci, certains intéressent directement des zones plus excentrées du volcan et aujourd’hui densément peuplées, par l’ouverture de fissures éruptives, l’émission de coulées de laves, ou encore la mise en place de produits pyroclastiques issus d’éruptions explosives. Ces éruptions, géologiquement récentes (parfois vieilles de quelques centaines d’années seulement) doivent être prises en compte dans les scénario d’éruptions possibles au Piton de la Fournaise. Bien qu’à très faible occurrence, ce sont ces éruptions qui impacteraient le plus d’enjeux. 4. La prévision des éruptions et ses limites, les relations avec les autorités, notamment en cas de crise La fréquence des éruptions du Piton de la Fournaise constitue à la fois un atout et un handicap : • Un atout car l’expérience aujourd’hui acquise par l’observation des précurseurs et signaux accompagnant les soixante-six éruptions suivies par l’observatoire a permis d’obtenir une bonne connaissance de son fonctionnement actuel, permettant d’anticiper la survenue d’une éruption, et d’expérimenter des méthodes et outils nouveaux pour l’observation volcanologique ; • Un handicap car la fréquence des éruptions impose des contraintes fortes de présence, de relevés, de prélèvements, d’interprétations, pour des opérations de surveillance, et même parfois d’alerte, à un personnel en trop petit nombre ; • Un handicap également car la régularité de cette activité dans son déroulement peut faire oublier que des événements éruptifs de nature différente ou/et de plus forte 76 intensité, pouvant présenter un plus grand risque, sont également potentiellement possibles. Chaque volcan a son mode de fonctionnement propre. Ce constat est largement démontré par les observations faites en routine sur de nombreux volcans, par le biais des observatoires volcanologiques. Si quelques lois générales sont bien entendu applicables, les volcans sont des systèmes complexes au sein desquels de nombreux paramètres conditionnent la capacité à engendrer une éruption, mais également à déterminer quel sera son déroulement. La prévision des éruptions est réalisée sur la base de l’enregistrement continu de l’activité sismique du volcan, de ses déformations de surface et de ses émanations gazeuses, et de la connaissance obtenue par l’observation et l’étude des éruptions passées. Il s’agit, à partir de données obtenues en surface, de déterminer les déplacements du magma en profondeur, les changements d’état du volcan, et les évolutions possibles. Ce travail requiert une expertise forte, donc un personnel qualifié dans l’observatoire, et une grande disponibilité. La connaissance géologique de l’activité passée du volcan, l’expérience acquise dans l’observation et l’interprétation des phénomènes accompagnant les éruptions sont des éléments clefs d’une bonne prévision. Ceci implique que les volcans soient l’objet d’études géologiques et volcanologiques (au sens de l’étude des dynamismes et régimes éruptifs passés), et qu’ils soient l’objet d’une observation à long terme de leur activité géophysique, géochimique et magmatologique. Le fait que le Piton de la Fournaise, volcan très actif, soit surveillé de façon continue depuis plus de trois décennies par l’observatoire, permet de bien connaître son activité géophysique en période de repos. Dès lors une modification simultanée de plusieurs des paramètres enregistrés permet de détecter une situation « anormale » pouvant précéder une éruption. D’une façon générale, au Piton de la Fournaise, l’augmentation du taux de sismicité, une inflation de la zone centrale du volcan, une recrudescence des émanations gazeuses, sont des signes qui accompagnent une migration profonde du magma ou une surpression du réservoir magmatique. Deux phases peuvent être identifiées dans cette période pré-éruptive : • Une première phase de transit profond du magma et/ou d’instabilités affectant le ou les réservoirs magmatiques. Cette phase peut être longue de plusieurs jours à plusieurs mois, et elle s’accompagne d’une variation progressive des signaux précurseurs de l’éruption. Durant cette phase, l’observatoire alerte les autorités en charge de la sécurité civile, la surveillance exercée par l’observatoire est renforcée, et la phase de "vigilance" du plan ORSEC-volcan Piton de la Fournaise est alors enclenchée par les autorités locales. Cette procédure permet de mettre en garde les services concernés si une éruption est amenée à se produire dans les semaines/mois à venir et de restreindre l'accès du public aux chemins balisés. À ce stade, il n’y a pas de certitude que la phase d’instabilité engendre une éruption à court terme. Plusieurs de ces phases d’instabilité peuvent parfois se succéder avant qu’une éruption ne survienne. 77 • Une seconde phase correspondant à la migration rapide du magma vers la surface. L’accélération des signaux précurseurs dans les heures, voire les minutes, précédant l’éruption permet de détecter cette migration rapide du magma en surface, et permet même de déterminer quelle zone du volcan sera concernée par la future éruption. L’observatoire dispose alors de nombreux indices pour pouvoir indiquer qu’une éruption est imminente. La faible profondeur (1 à 3 km) du réservoir magmatique le plus superficiel du Piton de la Fournaise fait que la migration magmatique vers la surface peut être très rapide (de quelques dizaines de minutes à quelques dizaines d'heures), ce qui rend difficile la mise en place de mesures de protection complémentaires. Durant cette phase, l'observatoire alerte les autorités locales qui déclenchent alors l'alerte 1- "Eruption probable ou imminente" du plan ORSEC-volcan Piton de la Fournaise. Au cours de cette phase, les populations présentes sur le site sont évacuées (il faut savoir que ce n'est pas moins de 400 000 visiteurs par an qui se rendent sur le volcan, dont la moitié entreprend l'ascension sur la zone sommitale). Lorsque le trémor volcanique apparaît sur les enregistrements sismiques, l'observatoire alerte les autorités qui déclenchent alors l'alerte 2-"Eruption en cours" du plan ORSEC-volcan Piton de la Fournaise. Dans de rares cas, cette migration peut être stoppée avant que le magma n’atteigne la surface. L’éruption alors annoncée, « avorte ». Comme sur tout volcan surveillé dans le monde, l’observatoire volcanologique est au cœur du dispositif en matière de prévision et de suivi des éruptions. Il assure l’observation (la surveillance) instrumentale continue du volcan ; il a capacité à interpréter les phénomènes ; il constitue le centre de décision et de diffusion de l’information. Les relations entre l’observatoire volcanologique et les autorités en charge de la sécurité civile (préfecture, services de l’État, collectivités) sont donc essentielles. Les procédures sont préétablies dans le plan ORSEC-volcan propre à l’activité volcanique, notamment en ce qui concerne les restrictions d’accès au site du volcan et la diffusion des informations. Ces procédures doivent être respectées, ce qui est parfois difficile face à la pression médiatique et populaire. Ces diverses procédures, l’historique, la densité et la spécificité du réseau de mesures, l’expertise des agents de l’observatoire et celle des collaborateurs, la confiance des autorités locales et de la population sont à l’image de l’importance du rôle sociétal que joue l’observatoire sur le territoire de La Réunion. Depuis le 21 Septembre 2016, l'IPGP et l'Etat (via la préfecture) ont signé une "convention relative à la surveillance de l'activité volcanique du Piton de la Fournaise", définissant les tâches de l'IPGP-OVPF lors des crises éruptives et des phases de vigilance prévus dans la mise en place du dispositif Orsec ORSEC spécifique « Volcan Piton de la Fournaise ». C. Soufrière et Montagne Pelée : les volcans français des Antilles 1. Contexte géodynamique des Antilles, Volcans de l’Arc des Antilles, et des caractéristiques communes des volcans antillais. 78 La zone de subduction de l’arc des Antilles, où la plaque océanique Atlantique plonge dans le manteau supérieur, est le site de production de magma à des profondeurs de 50 à 200 km. Ces magmas sont produits par la fusion partielle du manteau supérieur et de la croûte surmontant la plaque qui plonge, fusion facilitée par l’apport des sédiments et des fluides portés par la lithosphère océanique plongeante. En fonction des contributions relatives de ces composants, des magmas variés sont générés (depuis les basaltes jusqu’aux andésites principalement). Ces magmas, moins denses que l’encaissant, montent vers la surface où ils produisent le volcanisme de l’arc antillais. L’accumulation des produits volcaniques permet la construction des édifices volcaniques, d’abord sur les fonds océaniques, puis ensuite en surface quand l’édifice émerge de l’océan pour créer une île. La forme de ces édifices est le bilan des processus qui les construisent (apports magmatiques) et de ceux qui le détruisent (altération chimique, altération physique, instabilités gravitaires). Sous l’édifice volcanique, les magmas résident plus où moins longtemps à des faibles profondeurs, quelques kilomètres. Dans ces conditions, des processus d’évolution magmatique ont le temps de se développer pour produire des magmas différenciés. Ils sont enrichis en silice, en éléments incompatibles et en éléments volatils (eau, carbone, soufre, halogènes) et appauvris en éléments compatibles (éléments constitutifs des cristaux formés). Les amplitudes variables de ces processus de fusion partielle et de différenciation magmatique expliquent la variété des magmas produits. Elle va des basaltes, laves fluides, jusqu’aux rhyolites, en passant par les andésites (les plus communes), plus visqueuses. Le style de l’activité éruptive d’un volcan est déterminé par la capacité du magma à exsolver et libérer ses gaz dissous. Un dégazage facilité par une faible viscosité du magma (essentiellement fonction de la composition chimique, de la température, de la teneur en eau, gaz et cristaux du magma) ou une ascension lente du magma depuis le réservoir conduira à une éruption de type effusif (e.g. coulée de lave, croissance de dôme). En revanche, un magma très visqueux ou ayant une ascension rapide peut conduire à des rétentions et surpressions gazeuses au sein du magma, dont la détente brutale pourra conduire à la fragmentation du magma et à une éruption explosive (e.g. écoulements pyroclastiques, éruption Plinienne). Pour les magmas d’Arc, de type andésitique ou plus acide, le rôle des gaz (dissous et exsolvés sous forme de bulles) est donc essentiel pour la détermination du type éruptif. Si les types d’éruption sont variables, y compris pour un même édifice volcanique, les éruptions elles-mêmes restent des évènements rares en raison d’un taux de production magmatique relativement faible et d’un piégeage d’une grande partie des magmas dans la croûte. Dans les enregistrements géologiques ou historiques de l’activité volcanique de l’Arc des Antilles, plusieurs types d’événements ont été reconnus et peuvent agir en même temps, par exemple : • les éruptions magmatiques, auxquelles sont associés des produits volcaniques mettant en jeu du magma juvénile : coulées de lave et de pyroclastes, projections de scories ou de cendres ; e.g. Montagne Pelée (1902, 1932) ; Soufrière de Guadeloupe (1530) ; Soufrière Hills, Montserrat (1996-2016) • les éruptions phréatiques, résultant de la mise en surpression du système hydrothermal et de sa détente brutale entrainant la pulvérisation de l’édifice (sans 79 • • magma juvénile) e.g. Soufrière (1976, 1956) … ; L’éruption peut être phréatomagmatique si du magma juvénile est présent dans les éjectas les lahars ou coulées de boue, résultants d’un charriage de produits volcaniques par les cours d’eau ou de fortes pluies le long des pentes d’un volcan. Ces lahars peuvent être synchrones ou non d’une éruption volcanique. les déstabilisations de flanc & avalanches de débris, pouvant conduire à des tsunamis lorsqu’il y a une entrée importante de matière en mer (quinze événements importants identifiés sur les 12 000 dernières années ; e.g.: Soufrière Hills, Montserrat (1997, 2003, 2006), Montagne Pelée (1902), Dominique, Sainte Lucie). 2. Ce que l’on sait du fonctionnement des volcans français des Antilles depuis qu’ils sont observés a. Genèse des magmas. La fusion de plaque subduite et du manteau sus-jacent à grande profondeur (> 15-20 km) génère des basaltes calco-alcalins primitifs, dont la différenciation jusqu’à de faibles profondeurs dans la croûte (~ 4-6 km) va produire les magmas andésitiques que l’on observe au cours des éruptions récentes de la Soufrière et de la Montagne Pelée. De par leur genèse dans un contexte de subduction océanique, ces magmas sont très riches en volatils, notamment en eau (4-6 pds% dans les liquides andésitiques). b. Evolution des dômes. Au cours de l’ascension du magma dans le conduit volcanique, la forte teneur en silice (~ 60 pds%) et le dégazage continu du magma contribuent à le rendre de plus en plus visqueux. Ainsi, il se met communément en place sous forme de dôme, voire d’aiguille. Par instabilité gravitaire, ce dôme peut générer des nuées ardentes canalisées dans les vallées (e.g. 192932 à la Montagne Pelée). Cependant lorsque suffisamment de gaz restent piégés dans le magma à la faveur d’une ascension plus rapide (quelques jours), la détente de ces gaz à proximité de la surface peut générer les violents écoulements pyroclastiques, appelés déferlantes, que la Montagne Pelée a connus en 1902 (e.g. 8 Mai 1902). Dans un cas extrême d’ascension très rapide du magma (en quelques heures), le magma peut alors se fragmenter dans le conduit et produire une éruption très explosive de type Plinien (e.g. douze éruptions Pliniennes ont été répertoriées sur la période d’activité récente de la Montagne Pelée, dont la dernière en ~1350). Sur ces deux volcans, il semble donc que la clé du style de l’éruption magmatique est la vitesse d’ascension du magma dans le conduit volcanique. c. Système hydrothermal. Le risque d’une éruption phréatique est grand sur ces volcans dont la pluviométrie sommitale peut avoisiner les 8 m d’eau/an. Les signes précurseurs sont variés (augmentation de la température des gaz émis, de la sismicité superficielle, de la déformation du sommet), et parfois difficilement interprétables en termes d’éruption imminente. Cependant, une éruption phréatique est souvent annonciatrice d’une éruption magmatique (bien que pas systématiquement ; e.g. Soufrière 1976). 80 3. Présentation des observatoires Les Observatoires Volcanologiques et Sismologiques de la Guadeloupe et de la Martinique sont organisés pour observer, décrire et modéliser les phénomènes volcaniques et sismiques. Cette surveillance de l’activité sismo-volcanique exercée sur le long terme est l’unique moyen de progresser dans la compréhension des processus générateurs de cette activité tellurique. Concernant l’activité volcanique, ces avancées sont essentielles pour améliorer les capacités de prévision des conditions conduisant à une éruption, ou à un enchainement d’éruptions et pour apprécier leurs amplitudes (scénarii de crise). Principalement les techniques d’observations utilisées sont la sismologie (enregistrement des vibrations du milieu générées par des causes diverses…), la déformation de l’édifice et de son contexte (inflation/déflation causées par la mise en place ou la vidange d’un magma dans l’édifice, …), la géochimie des éléments volatils libérés par le dégazage du magma (Trajectoires T, P, fO2, … obtenues à partir des gaz, des éjectas, où des éléments dissous dans les eaux des sources hydrothermales). Un premier observatoire fut construit en Martinique en 1903, après l’éruption catastrophique de 1902, à la suite de l’action d’Alfred Lacroix. Cet observatoire fonctionnera jusqu’en 1925. Comme le volcan ne donnait plus de signe d’activité, son fonctionnement fut stoppé, seulement quatre ans avant l’éruption de 1929-1932, donnant ainsi un très bon exemple de ce qui ne doit pas être fait. L’Observatoire Volcanologique et Sismologique de Martinique existe depuis 1935 (rattaché à l’IPGP depuis 1946), celui de Guadeloupe fut crée en 1950. Ces observatoires surveillent bien entendu l’activité volcanique des volcans sur lesquels ils sont installés, mais ils opèrent également un réseau sismique régional permettant de suivre l’activité sismique tectonique et les tsunamis à l’échelle de l’arc antillais. À la Martinique, l'OVSM informe de l'activité volcanique et sismique par le biais de bulletins trimestriels. Il communique sur les séismes ressentis en Martinique, mais également sur les autres événements telluriques (glissements de terrain, par exemple) survenant dans la région. L’observatoire met en œuvre les méthodes de la sismologie, de la mesure des déformations de surface (GNSS, inclinométrie et géodésie de surface), un dispositif de surveillance des lahars et écoulements boueux mis en place dans la rivière du Prêcheur, un suivi des sources thermales. En Guadeloupe, l'OVSG informe de l'activité volcanique et sismique par le biais de bulletins mensuels. Il communique sur les séismes ressentis en Guadeloupe, mais également, comme en Martinique, sur les autres événements telluriques (glissements de terrain). L’observation effectue un suivi de l’activité de La Soufrière de Guadeloupe par le biais de la sismologie, de la mesure des déformations de surface (GNSS, inclinométrie, extensométrie, géodésie de surface, gravimétrie), de mesures physico-chimiques sur les fumerolles et sources thermales, de mesures météorologiques. 81 Figure 7 : Le réseau sismologique déployé en Martinique (Source IPGP) Figure 8 : Les réseaux de surveillance de l’Observatoire Volcanologique et Sismologique de Guadeloupe (Source IPGP) 82 4. La prévision des éruptions et ses limites, les relations avec les autorités, notamment en cas de crise La prévision des éruptions sur les volcans antillais doit être considérée sous divers aspects. La faible fréquence des éruptions, la diversité des dynamismes et des scénarios éruptifs possibles, sont sources de difficultés dans l’appréhension des phénomènes pouvant survenir. Nous pouvons raisonnablement considérer que toute phase éruptive sera précédée d’une période d’instabilité longue de plusieurs mois, voire de plusieurs années, permettant un échelonnement graduel des stades de surveillance et d’alerte (voir Figure 9). Ainsi, un volcan « sans alerte » (vert) ou en « vigilance » (jaune) ne présente pas, a priori, de risque d’éruption à court terme. En revanche, lorsque le stade de « pré-alerte » (orange), où a fortiori le stade « d’alerte » (rouge), sont atteint, la situation peut rapidement évoluer, avec un enchainement de situations dont la prévision reste difficile. La surveillance instrumentale, la connaissance du passé éruptif et/ou géologique du volcan, l’expérience acquise sur des sites similaires (l’éruption de Montserrat, par exemple pour les Antilles), l’exposition des populations et infrastructures, doivent être considérées de façon globale dans une anticipation des scénarios possibles. Cette situation peut se prolonger durant plusieurs semaines, mois, années, avant le déclenchement des manifestations éruptives, mais également pendant. La relation observatoire/scientifiques/autorités, et par extension avec les populations, est ici primordiale en cas de crise. Elle doit être anticipée avant la crise par la mise en place de plans et procédures. Pour les volcans français, les relations avec les autorités sont définies dans des « Plans de Secours Spécialisé Eruption volcanique ». En Martinique par exemple, le « Plan de Secours Spécialisé (PSS) Eruption volcanique Montagne Pelée » a été mis en application en 2002. Actuellement, le dispositif ORSEC (Organisation des Secours) volcan pour la Martinique, qui se substituera au PSS, est en cours de rédaction, et le plan ORSEC de zone Antilles qui vise à préparer et mettre en œuvre les décisions du Préfet de zone pour les îles françaises des Antilles (Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy) a été approuvé en mars 2016. Dans les plans régionaux, les Observatoires Volcanologiques et Sismologiques (OVS) sont en charge de l’évaluation scientifique de la situation à partir de l’interprétation de leurs données et des signes extérieurs. Ces plans se basent sur des actions associées à différents niveaux d’activité volcanique. Ces différents niveaux d’activité sont associés à un code couleur, semblable à celui adopté par l’aviation civile, à un délai prévisionnel avant une éruption, aux actions à engager par les autorités, y compris concernant la communication auprès du grand public (Figure 9). 83 Figure 9 : Codification des niveaux d’activité volcaniques aux Antilles intégrée aux dispositifs volcans de Martinique et Guadeloupe et aux plans ORSEC. En période de repos, les communiqués des OVS (mensuels ou trimestriels) sont destinés tant aux autorités qu’aux médias et au grand public. En cas de modification de l’activité, les autorités sont les seuls destinataires des bulletins d’information. Trois cas de figure sont alors envisagés par la Préfecture: • le stade de pré-alerte : constitution d’une cellule de suivi à la sous-préfecture, préparation à la crise, information des populations, etc. • le stade d’alerte : déclenchement du Plan par le Préfet sur avis du CSERV (le CSERV, Conseil Supérieur d’Evaluation du Risque Volcanique, sous tutelle du Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, jugé peu 84 • opérationnel, a été supprimé par arrêté ministériel en 2007) et de l’Observatoire, constitution des postes de commandement, information des populations, etc. le stade d’évacuation : ordre d’évacuation par commune. D’après le plan spécialisé, une cellule scientifique dont la direction est assurée par le directeur de l’OVS est mise en place. Son rôle est de rassembler et synthétiser les avis scientifiques, vérifier les informations sur l’événement, valider les communiqués de presse préfectoraux, aider à la prise de décision. Par ailleurs, concernant l’émission de cendres volcaniques dans l’atmosphère, un document a été signé en 2015 par chaque directeur des OVS concernant les responsabilités de chaque observatoire volcanologique et sismologique pour la fourniture d’information relative à l’activité volcanique intéressant l’aviation civile, et envoyé à la DGAC (Direction Générale de l’Aviation civile). A travers ce document, les OVS sont responsables de la fourniture d’informations à jour pour le volcan qu’ils observent, au centre de contrôle/d’information de vol de Piarco (Trinidad et Tobago), au centre de veille météorologique de Port of Spain (Trinidad et Tobago), et au centre d’avis de cendres volcaniques (VAAC) de Washington (Etats-Unis), sur l’activité volcanique existante ou prévue, et les nuages de cendre volcanique, fondée sur les éléments les plus récents émanant de sources d’observation directes ou éloignées. Enfin, pour les éruptions qui concerneraient d’autres volcans de l’arc des Antilles que les volcans français, une collaboration existe entre les OVS et le Seismic Research Center de l’Université des West Indies (SRC-UWI). Le SRC-UWI est en charge de la surveillance sismique et volcanologique de la majorité des îles anglophones de l’arc. Dans le cas de Montserrat, la durée de l’éruption et la collaboration entre le SRC-UWI et l’IPGP dans la gestion du Montserrat Volcano Observatory (MVO) ont permis la mise en place d’échanges systématiques et rapides d’informations. Dans le cas d’une modification du niveau d’activité d’un autre volcan de l’arc, l’expérience de l’éruption sous-marine du Kick’em Jenny en juillet 2015 a montré que les messages postés sur les réseaux sociaux des îles anglophones étaient repris dans les quelques dizaines de minutes suivant leur publication dans les îles françaises. En 2015, les contenu des messages concernant le Kick’em Jenny, en particulier sur le risque tsunami associé, avaient créé un début d’affolement en Martinique et des communications contradictoires dans les médias. Il est convenu (de manière informelle) depuis que le SRC-UWI avisera en amont de toute communication les OVS en cas de reprise d’activité de l’un des volcans qu’ils surveillent. Les Préfectures essayent quant à elles d’obtenir des accords de ce type avec les responsables de la gestion du risque dans les îles volcaniques voisines. A cause du souvenir de l’éruption de 1902, la perception du risque volcanique en Martinique est fort, mais seule une éruption type Péléen est envisagée. En Guadeloupe, la perception du risque volcanique est essentiellement liée à l’éruption phréatique de 1976. Les autorités, comme les populations, focalisent sur ces derniers exemples historiques, avec le danger de ne pas envisager les autres formes d’éruptions qui pourraient survenir. 85 En résumé Forces et faiblesses • Notre compréhension du fonctionnement actuel et passé des systèmes volcaniques présents sur le territoire français a beaucoup progressé durant les trente à quarante dernières années, d’une part grâce aux nombreux travaux réalisés sur la géologie de ces volcans et la connaissance de leur histoire éruptive, d’autre part du fait du suivi permanent de leur activité grâce aux observatoires volcanologiques dont ils sont dotés. • Les observatoires volcanologiques et sismologiques de la Guadeloupe, de La Réunion et de la Martinique sont des outils performants, utilisant des technologies de pointe dans le suivi de l’activité géophysique et géochimique des volcans sur lesquels ils sont implantés. Leur expérience est une force. Lors d’une crise volcanique, quel que soit le volcan concerné, l’observatoire volcanologique est toujours au centre des décisions. Il coordonne l’information scientifique. • En revanche, les observatoires volcanologiques ne disposent pas actuellement des moyens humains pour maintenir un dispositif permanent de déclenchement de l’alerte et de communication de l’alerte. Des moyens spécifiques à la surveillance et à la gestion de crise sont nécessaires, et ceci ne peut pas reposer uniquement sur des moyens et dispositifs mis en place pour des problématiques de recherche. • La communauté scientifique française en volcanologie est organisée et cordonnée dans le cadre des dispositifs nationaux portés par l’INSU du CNRS : Service National d’Observation en Volcanologie (SNOV), Observatoire des Sciences de l’Univers (OSU). Si cette organisation permet d’avoir une stratégie nationale en matière d’observation des volcans et en assure la pérennisation à long terme, elle ne comprend pas de structure opérationnelle à caractère national (avec une reconnaissance des Ministères concernés) dédiée à l’expertise et la communication en cas de crise volcanique majeure. • Le caractère quasi exclusivement ultra-marin du volcanisme en France, couplé au fonctionnement institutionnel dans les territoires d’Outre-Mer (rotation régulière des personnels des Préfectures et forces de l’ordre impliqués dans la gestion des crises), se traduit par une expérience faible à nulle de ce risque chez les représentants des autorités. Il y a nécessité à les sensibiliser à ce risque dès leur arrivée dans les Outre-Mer. 86 • Les procédures de gestion de crise sont préparées par l’intermédiaire des plans ORSEC-volcan. Ils permettent de définir, avant la crise éruptive, les niveaux d’alerte propres à chaque volcan et les procédures à mettre en œuvre. Ils ont l’avantage d’instaurer un dialogue indispensable entre les autorités en charge de la protection civile et les observatoires volcanologiques. • Un retour d'expérience (RETEX) doit être organisé après chaque crise pour identifier les points forts sur lesquels s'appuyer et les points faibles à travailler pour se préparer aux futures crises. Ces RETEX doivent tenir compte des perceptions des populations qui sont le plus souvent, à tort, considérés comme des éléments extérieurs à la gestion des crises alors qu'ils en sont les premiers acteurs. Ainsi, la gestion des crises doit se doubler d'une réflexion sur la gouvernance des crises, faute de quoi elle ne saurait être totalement efficace. • Une faiblesse majeure réside dans l’absence de dispositif préétabli de communication au plan national, et ceci, tant entre les scientifiques et les autorités, que vers les médias. Ceci peut-être très préjudiciable, particulièrement en cas de crise volcanique majeure et de longue durée. Ces contacts pris en amont des crises permettent d’instaurer des liens de confiance entre les acteurs, ou, à défaut d’anticiper d'éventuelles tensions afin de les prendre en compte et de les minimiser dans la gestion d'une crise future. Ces liens peuvent être créés de façon informelle ou par le biais d'exercices cadre ou terrain. • - La responsabilité des scientifiques en matière de communication porte sur : Une formulation compréhensible et partagée, capable de faire passer la notion d’incertitude dans les avis rendus. La nécessité de rendre publique rapidement le contenu de l’expertise. L’explication des divergences éventuelles en cas de débat scientifique. Il faut tendre vers un consensus, sans taire les divergences, et, si besoin, dire les limites de notre capacité d’expertise. Le droit de réponse des scientifiques doit être respecté, surtout si la communication est encadrée par des non-scientifiques. - - Recommandations • Il faut toujours avoir présent à l’esprit qu’aucune éruption volcanique n’est vraiment inoffensive. Même les coulées de lave peuvent se révéler mortelles. 87 • La prévision ne peut se limiter à une déclaration sur la probabilité d’une éruption. Il faut aussi donner des informations sur son intensité, son régime, sa durée potentielle. • Il est indispensable de prendre en compte le fait qu’en volcanologie les crises peuvent être longues (plusieurs mois/années). Ceci doit être anticipé. • La prévision des éruptions nécessite une bonne connaissance des modes de fonctionnement propres à chaque édifice volcanique. Cela implique que chaque volcan soit l’objet d’études géologiques et volcanologiques (au sens de l’étude des dynamismes et régimes éruptifs passés), et qu’il soit l’objet d’une observation à long terme de son activité géophysique, géochimique et magmatologique. • Les observatoires volcanologiques sont au cœur du dispositif en matière de prévision et de suivi des éruptions. Ils assurent une observation (surveillance) instrumentale continue du volcan. Ils constituent le centre de décision et de diffusion de l’information. • En revanche, ils ne disposent pas des moyens pouvant être consacrés aux missions d’alerte et de communication de l’alerte. • L’absence d’organisation préalable du système de communication en période de crise est une faiblesse. 88 CHAPITRE V. Les phénomènes gravitaires en France A. Contexte phénoménologique Le terme mouvement de terrain renvoie à différents types d’instabilités gravitaires dont la typologie s'appuie sur les principes généraux qui régissent ces mouvements, en fonction des processus dominants mis en œuvre lors de l’apparition du phénomène étudié (endommagement, rupture, frottement, fluage). Cette classification est nécessaire pour isoler les mécanismes impliqués et les aléas correspondants : chutes, basculement, glissement, étalement et écoulement. Ces mouvements de terrain ont des origines complexes et leurs caractéristiques sont très variables. On distingue selon les processus mécaniques, physiques ou chimiques (processus très souvent combinés) les mouvements liés aux séismes, à la dissolution, aux tassements et aux variations de volume selon le degré d’hydratation des sols et leur plasticité. Ces mouvements ont la particularité de se décliner selon différentes échelles spatio-temporelles, du régional (séismes, exploitations minières) au micro-local (poches de dissolution) ; de la seconde (séisme, écroulements) à plusieurs années (retrait-gonflement) ; de la chute de blocs décimétriques à l'effondrement de quelques km3. Ces catégories s’appliquent plus ou moins à tous les types de matériaux. A partir d'informations construites autour de "Type de mouvement - matériaux - étatdistribution-style de l’activité – vitesse - rôle de l’eau", il s’agit d’extraire les fréquences des évènements en un lieu donné, d’une intensité donnée, c’est-à-dire l’aléa d’être affecté par un mouvement de versant d’intensité donné. Les dommages potentiels qu’un tel évènement peut produire permettent d’évaluer les coûts moyens par an, par exemple, ce qui est une évaluation du risque. Les phases d'évolution de l'instabilité gravitaire depuis l'initiation, le déclenchement et la propagation, doivent être quantifiées dans l'espace et dans le temps pour permettre une évaluation quantitative de l'aléa et des risques correspondants. Ces phases sont contrôlées par les caractéristiques intrinsèques du site (morphologie, contexte géomécanique, ce dernier incluant les aspects hydrogéologiques) et les forçages externes (climat, sismicité, instabilités voisines, facteurs anthropiques). Le couplage avec les forçages externes induit des phénomènes de cascades entre plusieurs aléas d'où peut émerger des évènements extrêmes rarement pris en compte dans les analyses (exemple des déclenchements par séisme, avec formation de lac barrage, puis de rupture de ces barrages, avec inondation en aval). Dans un tel contexte l’incertitude est grande lorsqu’il faut localiser avec précision l’aléa alors que la demande d’information sociétales est en constante augmentation. Les spécificités des zones exposées, montagnes, côtes, gorges (densité de l’occupation des sols, concentration, diversité et stratification des activités) rendent comptent de leur plus grand degré de vulnérabilité. Ces spécificités augmentent la complexité de la gestion 89 de ces risques ; les coûts humains et financiers des dommages s’en trouvent souvent démultipliés. Enfin, la visibilité de ces dommages implique une réactivité « attendue » des pouvoirs publics qui éprouvent souvent des difficultés à communiquer sur les risques. Les raisons sont multiples : freins au développement, mauvaise image auprès des investisseurs, risques financiers, impératifs électoraux mais aussi, parfois, un grand dénuement face à une information hétérogène ou indisponible en matière de reconnaissance des zones à risques et de documents de prévention. Dans une communauté où ‘le dire d'expert’ est resté longtemps le seul outil disponible pour la prévision, le passage aux mesures quantitatives rapproche, en terme de problématique de prévision et de gestion des incertitudes, la thématique instabilités gravitaires de celle des séismes et éruptions volcaniques. En effet, dans un cas, la création de catalogues d’occurrence d’effondrements et chutes de blocs sur une falaise ou une région donnée, a montré l'émergence de loi robuste pour la distribution fréquences-tailles des évènements. Ces distributions permettent d'approcher l'aléa effondrement de falaise de façon probabiliste sur ces zones. Cette nouvelle méthodologie est identique à l'utilisation opérationnelle des lois de distributions fréquences-magnitudes pour les estimations de temps de retour probabiliste de séismes. Le couplage de ces analyses à des analyses de propagations spatiales des avalanches rocheuses sur les pentes permet, à l‘aide de modèles numériques de terrains et de lois rhéologiques appropriées, de simuler les impacts potentiels sur les structures et les personnes. Dans un second cas, lors d'une instabilité déclarée, les réseaux d'auscultation mis en place sur ces mouvements de terrain (déplacements, sismicité, hydrogéochimie) font de ces sites des analogues proches, au sens des données collectées, aux édifices volcaniques ; avec des problématiques semblables en terme de seuil d'alarme, de taux de fausse alerte et de durée de l’alarme. Ce type de surveillance est mis en oeuvre sur des mouvements de versant lents (<10 m/an à fort impact sociétal, pour lesquels des accélérations majeurs sont potentielles (Séchilienne, La Clapière, par exemple). B. Typologie et exposition historique et contemporaine Sans entrer dans une analyse détaillée, la typologie mise en place pour les mouvements de terrains illustre bien l'état d’exposition en France, avec environ 200 victimes (1915-2015) induits par ces différents types d'instabilités gravitaires (hors avalanches de neige et pratique sportive). En terme tant de dommage aux structures qu'en pertes humaines, les instabilités gravitaires sont des couts majeurs pour la société. Dans le cas des éboulements et écroulements, une mécanique gravitaire assistée par l’action du climat conduit au détachement de blocs et à leur chute sur la pente. Ils impactent spécifiquement les zones littorales (cas d’une victime cette été sur les plages des falaises normandes), et les routes de montagnes (falaises du Vercors , 2 victimes en 2004; la route du littoral à l'île de la Réunion 2 victimes en 2006, route coupée durant 5 semaines) Si pour ces trois exemples les volumes impliquées sont mineurs, de l'ordre de la dizaine de m3, l'évolution des falaises et des versants rocheux engendre des chutes de blocs de toutes 90 tailles jusqu'à des écroulements en masse atteignant plusieurs millions de m3 (Mt Granier, en 1248, 4-5 108 m3, 5 000 victimes). Sans atteindre encore le bâti, ces destructions affectent souvent les infrastructures routières gênant, par là même, les activités des villes et mettant aussi en cause leur attractivité touristique. On notera que pour ce type d'éboulement le changement climatique en cours peut remettre en cause les hypothèses de stationnarités qui sont nécessaires pour les estimations probabilistes d'aléa. De plus, dans le contexte d'un séisme modéré M5-6 l'impact des éboulements rocheux est peu étudié dans les alpes françaises, alors qu’une susceptibilité avérée ne peut être rejetée. Les glissements et coulées boueuses, ou coulées de solifluxion se distinguent des précédents par leur transition solide fluide sous l'effet de l'eau, ce qui permet la mise en mouvement des matériaux sur de faibles pentes. Les glissements consistent en une descente massive et relativement rapide de matériaux le long d’un versant. Leur vitesse et leur ampleur en font souvent des phénomènes spectaculaires pouvant transporter des milliers de cubages de matériaux en une seule fois (71 victimes dans la coulée boueuse du plateau d'Assy en 1971, 4 en Beaumont, Isère, en 1994). La solifluxion ne peut affecter que des matériaux à forte capacité d’absorption d’eau (argiles, marnes, limons, lœss ou altérites argileuses). Ces glissements sont récurrents dans les régions où la pluviosité (et les épisodes orageux) est importante, les sols meubles, à la suite d’une pratique agricole intensive, comme dans le Pays de Caux. Dans ce contexte, une coulée de boue a, en 30 minutes, coupé en deux la ville de Fécamp et provoqué une victime en mai 2000. Sans être exhaustif on citera aussi les mouvements de retrait-gonflement des argiles qui induisent de fortes variations de volume de formations à forte composante argileuse en fonction de leur teneur en eau. Ces variations produisent des gonflements (période humide) et des tassements (périodes sèches). La fréquence d’apparition est assez grande. Sa répartition spatiale est très vaste et sa localisation n’a rien à voir avec une quelconque zonation climatique mais plutôt avec une zonation géologique (présence de matériaux argileux). Plus de 5 000 communes sont touchées dans 75 départements depuis 1989, ceci sans compter l’épisode de sécheresse de l’année 2003. En Île-de-France, 40% des communes ont fait l’objet d’un ou de plusieurs arrêtés de catastrophe naturelle. C’est un risque « atypique » en raison de ses effets différés dans le temps (plusieurs années parfois) et de sa grande variabilité spatiale à grande échelle. L’appréhension des dégâts est de l’ordre du micro-local, à l’échelle du bâti ou de la parcelle, et non du bassin versant. Il fut longtemps peu médiatisé car il n’entraîne aucun risque humain. En revanche, les coûts qu’il engendre sont considérables et les dommages aux biens sont parfois irréversibles. A tel point que ce risque, conjugué aux risques, d’inondation a failli mettre en péril le système d’indemnisation français des catastrophes naturelles (2 milliards d'euros de dommage pour l'épisode 1989-1992). C. Quel dispositif vis-à-vis des autorités en cas de crise, quelles autorités ? En France, les risques gravitaires dits « rapides » auxquels appartiennent les écoulements torrentiels, les mouvements de terrain et les avalanches constituent les principaux risques naturels en montagne. Dans des zones de montagnes et côtières, où l’occupation humaine 91 est en croissance, ils apparaissent difficilement acceptables aux yeux de la population, des décideurs et des médias. De manière simplifiée, la gestion des risques comprend des phases dédiées à l’alerte et aux secours et des phases de prévention. La première inclut la prévision temporelle indispensable pour la gestion temporelle du risque. Elle permet de prendre les décisions adéquates à l’avance (évacuations, fermetures de routes, etc.) pour éviter les catastrophes en période de crise. La seconde correspond à des objectifs de gestion à moyen et long terme des territoires soumis aux risques naturels. La prévention se développe essentiellement sur trois axes : la connaissance des phénomènes, le contrôle de l’occupation du sol et les travaux de protection. Ces actions reposent toutes sur la connaissance des conditions d’occurrence, de la propagation des écoulements et des effets des ouvrages de protection. Sur ces bases des principes de gestion sont établis puis mis en œuvre dans des études d’ingénierie et des actions règlementaires telles que le zonage des risques 1. Construction progressive d'une gestion spatiale du risque gravitaires La maîtrise des aléas gravitaires contribue à organiser localement les activités depuis longtemps, par exemple en interdisant le pastoralisme dés 1860. Forme primitive, l’évitement consiste à renoncer à s’installer dans les zones dangereuses. La connaissance empirique, liée à une observation fine du territoire et à l’expérience, permet la signalisation du danger. L’institutionnalisation du modèle gravitaire d’une échelle communautaire à une administration nationale résulte d’une double évolution : les progrès scientifiques et l’affirmation des pouvoirs centraux. Par l’augmentation des sites vulnérables (habitat, routes, etc.), cette colonisation transforme la nature des menaces physiques. Chaque époque recompose des règles correspondant à ces menaces et ses besoins : activités forestières, agraires, hydro-industrielles, touristiques, sportives. a. Etat actuel de la gestion spatiale des risques gravitaires Le premier principe agit sur les conditions de déclenchement du phénomène pour réduire sa puissance, son extension ou sa période de retour. Matériellement, cette approche nécessite des ouvrages de protection, active ou passive, et la restriction des accès ou des usages dans les zones de déclenchement (avalanches en particulier). Le deuxième principe réglemente l’utilisation des territoires exposés pour en diminuer la vulnérabilité par des zonages, plus ou moins contraignants, qui définissent les usages du sol (autorisations, interdictions, conditions saisonnières, types de pratiques). Enfin, l’organisation des secours, la sensibilisation des populations et les restrictions d’accès (spatiales, temporelles, conditions de formation ou d’équipement individuel) constituent une prérogative de l’autorité publique, qui complète cette réduction du danger, mais avec des différences régionales. Historiquement, l’endiguement des flux est réalisé par les 92 populations et les pouvoirs publics. A partir du XIXe, la prédominance de l’investissement des autorités locales et nationales accentue la protection par l’ouvrage. Mais, malgré ses réussites en routine et ses prouesses exceptionnelles sur certains terrains, la technique connait aussi des limites. Les premières réglementations datent des années 1930. Souvent ignorées au-delà de l’espace ou l’urgence qui motivent leur rédaction, ces lois tardent à bénéficier de la panoplie réglementaire et budgétaire nécessaire à leur fonctionnement normal : décrets, règlements, modifications législatives connexes (droit de propriété), budgets publics (en particulier pour indemniser les expropriations), etc. Régalienne et providentielle, l’affirmation étatique reste souvent de principe tant les activités locales échappent à l’aménagement préventif étatique du territoire. En parallèle, la doctrine exclusive binaire (permis/interdit) est remplacée par une doctrine tolérante ternaire (conditions d’urbanisation graduelles selon l’aléa, la vulnérabilité et les dispositifs de mitigation). Cette évolution doctrinale permet la relance du zonage du risque durant les années 1980. La loi française de 1982 sur l’indemnisation des catastrophes, sur la protection du sol prévoient des cartes des risques et le contrôle de l’urbanisation selon la menace. Cependant les différentes lacunes constatées conduisent à un renforcement des législations au cours des années 1990 et 2000. La loi française de 1995 sur la protection de la nature crée les Plans de Prévention des Risques Naturels Prévisibles. Le zonage a une valeur réglementaire ; il s’impose au Plan local d’urbanisme (PLU). Réalisé à une échelle fine, parfois cadastrale, le zonage distingue au moins trois zones : interdiction de construction en aléa fort, réglementation de construction en aléa modéré et autorisation sans condition en aléa négligeable. En France, la sécurité est un souci des habitants et une obligation des municipalités, qui fait du maire le premier responsable publique de la sécurité. Mais, source de légitimité, la maîtrise de la sécurité fonde les interventions de l’Etat à travers la régulation des usages, la protection des biens et des personnes et la solidarité nationale. Grand aménageur, souvent même gigantesque propriétaire domanial (armée, eaux et forêts, énergie), l’Etat a ainsi imposé un aménagement protecteur du territoire. Il régule les activités nocives, organise les interdépendances, développe des connaissances, propose des solutions techniques, finance des équipements et, éventuellement, secoure les sinistrés. Cet investissement pluriséculaire est suffisamment efficace et légitime pour lentement atrophier les capacités locales de défense, de protection, de régulation des interdépendances entre activités, voire même de connaissance du territoire et de perception des menaces. Malgré la décentralisation des investissements publics, l’Etat conserve une grande part de prérogatives en matière de prévention territoriale : zonage du risque, information du public. Les conseils généraux et régionaux ne disposent pas de responsabilités spécifiques malgré leur emprise territoriale croissante sur les activités (édifices scolaires, transports, routes, secours, solidarité, santé) et des initiatives scientifiques (observatoires départementaux, organismes de pilotage scientifique). Avec la gestion des routes, le Conseil Général est réglementairement impliqué, indirectement, dans la maîtrise des risques naturels (protection et fermeture des routes). Facultatives, les interventions des Conseils Généraux et Régionaux sont disparates selon les priorités locales. Les risques gravitaires bénéficient aussi des progrès de caractérisation de la vulnérabilité, avec un effort croissant de diagnostic pour 93 calibrer l’objectif de sécurité. En France, des informations sur les risques naturels figurent obligatoirement lors des transactions immobilières. Les communes sont tenues d’informer les populations par les DICRIM et dans le cadre des PPR. De manière générale, les mises en gardes micro-locales se multiplient pour inciter à la prudence et alléger la responsabilité de l’Etat. 2. Détails des organismes d’états impliqués dans la gestion du risque Actuellement, la communauté académique n’est pas formellement impliquée dans la gestion opérationnelle des risques gravitaires, à l’exclusion de quelques interventions individuelles de chercheurs en tant qu’experts. Différents organismes sont impliqués, sous couverts d’au moins trois ministères de tutelles (Industrie, Agriculture, Environnement..). A titre d’exemple, les CEREMA (Au 1er janvier 2014, les huit CETE, le CERTU, le CETMEF et le SETRA ont fusionné pour donner naissance au CEREMA : Centre d’Etudes et d’Expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement) ont la responsabilité directe des principaux glissements lents à impact majeur. On notera des implications sur différents cas et à différentes échelles de l’IRSTEA, les RTM régionaux, et les conseils généraux. Ces derniers déléguant les mises en œuvres techniques de la surveillance opérationnelle à des opérateurs privés. L’analyse exhaustive de l’organisation complexe des responsabilités dans le contexte des instabilités gravitaires est en cours, pour être incluse dans le document final. 94 Recommandations Dans le contexte, nous proposons ci dessous les bases de propositions d’actions scientifiques qui ont pour objectifs d’améliorer la compréhension de la physique des instabilités gravitaires et son impact sur la gestion des aléas associés. Il est important que ces actions couvrent les 3 volets initiation – déclenchement - propagation tant pour la physique de ces phénomènes que pour les impacts sur la gestion de l’aléa. - nécessité d’augmenter (et de pérenniser) le nombre de bases de données quantitatives partagées (de préférence multidisciplinaires) sur des épisodes (y compris de courte durée) représentatives de cas spécifiques dans les alpes françaises. Cet effort doit couvrir les 3 phases précédemment citées comme, phase d’initiation du mouvement gravitaire, phase de déclenchement et phase de propagation de ce dernier. - nécessité d’évoluer depuis une notion d’aléa spatial statique (carte), vers un aléa probabiliste indépendant du temps, puis dépendant du temps (sur la base des mesures de réseaux de déformations et d’endommagement au sol et via l’imagerie satellitaire régionale, couplées à des mesures hydro-météorologiques). Par ce dernier aspect on doit ici pouvoir accéder au couplage multi-aléas où par exemple la réponse à de fortes pluies (ou séisme) peut déclencher une cascade d’événements gravitaires, ces derniers induisant des lacbarrages. Dans le contexte volcanique, la cascade gonflement du volcan, instabilités de flanc, avalanches de débris fait émerger le phénomène tsunami local avec les impacts associés. Ces thémes soulignent l’importance du développement d’axes de recherche transversaux. - prise en compte quantitative d’un couplage multi-aléa, en particulier réponses aux séismes et changement climatiques. Ici encore dans le contexte de modifications des propriétés hydro-mécaniques du sous sols à différentes échelles de temps (endommagement lié aux séismes ou éruption volcaniques ; épisode pluvieux ; cycle annuel gel-dégel ; réchauffement climatique) la transversalité des analyses doit être renforcée entre spécialistes de terre interne et ceux des enveloppes externes, pour aboutir vers des arbres de décisions opérationnels concernant ces phénomènes rares, tant pour l’analyse de la robustesse des phénomèmes précurseurs, que pour les larges fluctuations des distances de propagations liées aux variables mécaniques de l’écoulement gravitaire. - amélioration des liens entre recherches académiques et gestionnaires du risque, qui au delà du partage des mesures doit permettre des transferts de méthodologies et des interactions sur des axes de recherche pour répondre à des problématiques de gestions opérationnelles. 95 CHAPITRE VI Situation de communication crise, responsabilité, information, Chaque événement tellurique confronte la communauté scientifique et les organismes de recherche concernés au problème de la communication en période de crise. Les media contactent directement nombre de scientifiques, voire des experts auto-proclamés, qui ne sont pas toujours les mieux placés pour donner un avis « pertinent » ; les acteurs gestionnaires des crises sollicitent les scientifiques pour leur expertise ; les institutions ont l’obligation, en cas de crise majeure, de communiquer via les media pour expliquer l’origine des phénomènes et répondre au questionnement de la société. Une telle dispersion dans la communication relative à des phénomènes pour lesquels les incertitudes sur les prévisions sont peu contrôlables, nuit, tant à l’efficacité de la réponse scientifique en temps de crise, qu’à la crédibilité de cette dernière. La complexité des processus en jeu souvent difficile à expliquer à un public non spécialiste, le manque de circuit de communication clairement préétabli, le manque de formation en matière de communication de crise, placent le scientifique dans une situation qu’il n’est pas toujours à même de maîtriser. On peut aussi, dans certains cas, constater une pléthore d’informations mal étayées mise en ligne trop rapidement, ou une communication institutionnelle trop lente par rapport au temps de réaction des media, en raison de la nécessaire interaction avec les scientifiques proches de l’observation et de l’analyse de la crise. Le jugement rendu en première instance envers les sismologues italiens à la suite du séisme de l’Aquila en avril 2009, a clairement re-posé la question de la responsabilité des scientifiques et experts et de leur protection juridique. Il est donc important de bien définir d’une part la chaîne de transmission de l’information vers les autorités devant assurer la sécurité des personnes et des biens, et d’autre part les circuits de la communication à destination du public et des media pour une bonne information sur l’observation et la compréhension de phénomènes à l’origine des crises telluriques. Mettre en place de bonnes procédures d’information et de communication revient à savoir déterminer : 1) quand informer/communiquer ; 2) qui informer et qui doit informer ; 3) avec quels outils et supports informer ; 4) quels types d’information transmettre. Cependant ces procédures doivent s’adapter à la nature des interlocuteurs : le moment d’informer les autorités, qui ont la responsabilité de déclencher le plan ORSEC7, n’est pas celui d’informer 7 Selon l’importance de la crise le plan ORSEC peut être lancé au plan communal, départemental, zonal lorsque plusieurs départements sont atteints ou national. Dans le premier cas la gestion de la crise incombe au maire de la commune, si le sinistre couvre plusieurs communes, le préfet devient Directeur des opérations de secours. En cas de catastrophe couvrant 96 les media; les documents et informations techniques à transmettre aux autorités, avec la plus-value de l’analyse et de l’interprétation, n’est pas à communiquer dans les mêmes termes aux médias et au public. Il est donc utile d’aborder les deux problématiques séparément. En ce qui concerne l’information des autorités et acteurs des collectivités territoriales, il convient de codifier le déroulement d’une crise tellurique en termes de degré de gravité afin que le scientifique choisisse la meilleure attitude à avoir pour communiquer durant toute la durée de l’évènement et en fonction de son type (séisme, éruption volcanique, glissement de terrain). De même, il serait souhaitable de développer une concertation entre acteurs de la recherche académique, géo-scientifiques, mais aussi psycho-sociologues du risque, ingénieurs et experts en parasismique et gestionnaires du risque au sens large afin d’identifier les types d’informations et de documents nécessaires à la prise de décision pour la protection des personnes et des biens. A. Comment définir l’évolution d’une crise, décider de son début et de sa fin ? Toutes les crises telluriques ont des points communs en ce sens que pour les scientifiques, une crise correspond à l’occurrence d’événements présentant un net contraste par rapport à l’activité habituelle dans une région donnée, sans que ces événements aient nécessairement un impact potentiel sur la population et la société. Pour les autorités, et plus généralement pour la société, la « crise » est l’occurrence d’un événement, ou d’une série d’événements, susceptibles de produire des dommages, ou d’être ressentis par la population et générant de ce fait, au minimum, une inquiétude. C’est cette deuxième acception qui est considérée dans ce chapitre. Toutefois, la distinction peut être subtile, si on considère le fait qu’un phénomène sans conséquence pour les populations et potentiellement détectable uniquement par les scientifiques peut être le signe avant-coureur d’un événement plus important (question particulièrement difficile à évaluer). Se pose alors la question aux scientifiques de la transmission d’informations aux autorités sur ce qui est en train de se produire. 1. Le cas des séismes § a. Nature des informations fournies par les scientifiques et servant à la définition de la crise sismique Les informations de base à fournir aussi rapidement et avec autant de fiabilité que possible aux autorités sont les : date, latitude, longitude, profondeur, magnitude des séismes. Il est raisonnable de définir une magnitude minimale en dessous de laquelle les informations ne sont pas fournies car insignifiantes en termes d’impact. Vient ensuite l’éclairage que le plusieurs départements, un préfet de zone dirige les opérations de secours. Enfin en cas de catastrophe nationale, c’est le ministre de l’intérieur et le Centre Opérationnel de Gestion Interministériel de Crises qui gèrent les opérations. 97 scientifique doit apporter pour resituer les séismes observés par rapport à la sismicité instrumentale et historique de la région concernée, dans leur contexte tectonique, et de donner des éléments sur l’évolution possible de la crise. Il n’existe pas de méthode universelle de calcul de magnitude permettant d’en obtenir la valeur de manière unique avec une très grande précision. Il existe différentes définitions de magnitude et différentes manières de la calculer. Même si un certain consensus voit le jour pour utiliser une magnitude commune (la magnitude de moment Mw), les valeurs obtenues varient de quelques dixièmes de degrés (parfois plus) suivant la méthode utilisée, suivant les enregistrements sismiques disponibles. Ceci explique pourquoi les magnitudes annoncées en première instance par divers instituts dans le monde peuvent être différentes. Il est donc inapproprié de se baser sur un seuil unique et précis de magnitude pour définir si on est en état de crise sismique ou pas (et pour déclencher les actions en conséquence). Une approche basée sur une réponse graduée en fonction de plusieurs seuils de magnitude serait plus appropriée. Les valeurs de latitude, longitude, et profondeur des séismes sont également sujet à une incertitude, qui devrait être communiquée. Nous ne discutons pas ici du fait de savoir si le ou les séismes sont géographiquement proches ou pas (en latitude et longitude) des sites de peuplement ou des infrastructures à risques. Cet aspect n’est pas du ressort des scientifiques qui ne disposent généralement pas des informations précises à ce sujet. Toutefois un interfaçage entre les scientifiques à même de contextualiser les informations sismologiques d’une part, et les acteurs opérationnels de la gestion du risque au niveau des collectivités territoriales d’autre part, est souhaitable afin de permettre à ces derniers de mieux évaluer l’impact potentiel de la crise au niveau des zones vulnérables. Pour évaluer l’impact potentiel d’un séisme, le critère de magnitude peut être suffisant en métropole. Toutefois pour des séismes de grande ampleur (M > 6), représenter la source d’émission des ondes sismiques par un point unique (l’hypocentre) est réducteur et fausse les analyses des effets destructeurs, pouvant biaiser l’organisation des secours. En effet, dans ce cas les ondes sont émises par une rupture qui dépasse la quinzaine de kilomètres pour M=6, la cinquantaine pour M=7 et la centaine pour M>8 et la localisation de cette rupture par rapport aux sites environnants joue un rôle majeur sur l’impact du séisme. La prise en compte de ces effets, dit de source étendue, par opposition à une source ponctuelle ou foyer, pour l’alerte sismique n’est encore qu’expérimentale mais fait l’objet de programmes de recherche. Aux Antilles, où la profondeur des séismes peut varier entre quelques kilomètres et plus de 100 km et produire des dégâts très différents, les observatoires émettent dès l’obtention des paramètres du séisme une carte des intensités prédites. L’intensité permet de définir l’impact par commune. § b. Définition de la crise et de son démarrage Du point de vue des processus physiques (au sens large), et dans un souci de classification et nécessairement de simplification, une crise sismique peut prendre deux formes principales, désignées « crise sismique classique » et « essaim sismique « (en italique dans ce qui suit) : 98 Crise sismique classique Elle démarre par un événement dépassant un certain seuil de magnitude, appelé choc principal, et se poursuit par une séquence de répliques, généralement de plus faible magnitude. La valeur seuil de magnitude prise en compte pour déclarer l’état de crise peut être différente d’un pays à l’autre (un pays où la sismicité est plus forte est susceptible de prendre en considération une valeur plus élevée pour le seuil), mais il s’agit là essentiellement d’une décision de caractère « politique ». Dans le cas d’une crise sismique classique, les cas de figures peuvent être variés : répliques abondantes à presque inexistantes pour une même magnitude du choc principal ; possibilité de déclenchement d’un second choc plus fort que le premier ; séquence de forts événements sur des failles différentes. Pour ces deux dernières situations, il faut une conjonction de phénomènes, telle qu’une perturbation de contraintes (au sens de perturbation des forces tectoniques appliquées sur les failles) associée à un état proche de la rupture sur une ou des faille(s) voisine(s). La communication pendant une séquence de répliques est critique et doit faire face à la pression des populations à intégrer leur habitat. Puisque les structures fragilisées lors du choc principal peuvent continuer à s'endommager, se pose alors la question de la vulnérabilité évolutive des constructions au cours d'une séquence, à intégrer lors de la communication vers les autorités et les populations affectées. Essaim sismique Il s’agit d’une série inhabituelle de séismes faibles à modérés (M < 6.5 généralement) se produisant de manière rapprochée dans le temps et dans l’espace. Il faut donc que la fréquence des séismes présente une augmentation brutale par rapport au taux habituel dans la zone concernée. Dans le cas d’un essaim sismique, le séisme le plus fort de l’essaim n’occupe pas une place systématique dans la séquence temporelle, et sa magnitude maximale peut être très variable. Que ce soit pour une crise sismique classique ou un essaim sismique, des analyses statistiques, établies localement ou bien à échelle plus mondiale, permette une prévision du comportement à venir de la crise en termes uniquement probabilistes. La question des précurseurs est particulièrement délicate, et a été à l’origine de nombreuses polémiques et discussions dans le cas du séisme de l’Aquila 2009. Comme indiqué au chapitre III, à l’occurrence d’un essaim sismique est associée une augmentation de la probabilité d’occurrence d’un séisme plus fort à proximité. Toutefois, cette probabilité augmentée reste très faible, et se pose la question (difficile) de l’information à transmettre aux autorités responsables du déclenchement ou non d’actions opérationnelles de grande ampleur et de la diffusion de consignes préventives conséquentes pour la population. En effet, la mise en œuvre d’une alerte systématique dans ce cas de figure, qui serait invalidée dans plus de neuf cas sur dix, pourrait être rapidement contre-productive (refus d’action, perte de crédibilité,…). Mais certaines actions, sur une population bien informée et préparée, pourraient toutefois s'avérer utiles dans des contextes spécifiques - par exemple en cas de grande vulnérabilité de nombreux bâtiments. Une réflexion approfondie sur ces questions de communication en cas d'essaim sismique parait donc indispensable entre 99 experts des sciences de la Terre, des sciences humaines et sociales, des ingénieurs du génie parasismique et des autorités. C. Définition de la fin de la crise sismique Du point de vue scientifique, que ce soit pour une crise sismique classique ou pour un essaim sismique, le critère de fin de crise est le retour « à la normale » du niveau de sismicité dans la zone concernée, dans la pratique cela revient à observer un taux de petits séismes identique à ce qu’il était avant la crise. Ce critère de fin de crise reste néanmoins essentiellement empirique, car nous n’avons pas encore pleinement identifié les paramètres physiques intrinsèques qui contrôlent l’évolution temporelle d’une crise sismique (redistribution des contraintes et des fluides, endommagement des matériaux, importance relative des processus élastiques et anélastiques,…), et pour les paramètres que nous connaissons, les moyens de les mesurer sont encore insuffisants. Les avancées dans ce domaine ont été importantes au cours des dernières décennies, mais appréhender des processus en profondeur avec des mesures essentiellement restreintes à la surface de la Terre reste un défi très difficile. Dans la majorité des cas, la fin de crise ainsi définie sera suivie par une période longue (plusieurs années au moins) de calme relatif dans la zone concernée, cependant il est possible que la crise sismique favorise le déclenchement anticipé d’une nouvelle crise sismique associée à la rupture d’un segment adjacent de la même faille ou bien d’une faille voisine. Le fait qu’il n’y ait pas de comportement systématique, mais plutôt un cas de figure dominant avec de nombreuses exceptions, complique grandement la prévision et la communication sur le sujet. Du point de vue sociétal, la fin de crise est une notion vague, qui diffère grandement suivant que l’on est dans la zone impactée par le séisme ou pas. Loin de la zone affectée, la fin de crise va de paire avec la fin de la couverture médiatique. Pour les populations à proximité, la diminution de la fréquence des répliques ressenties est un facteur important, leur permettant de réinvestir leur habitat et de quitter les hébergements provisoires, mais elle inclut aussi la période de reconstruction, d’indemnisation, etc... Au retour à la normale, est associé le fait que l’attention de la société peut se concentrer de nouveau sur les mesures de prévention (éducation, évolution des zonages sismique et des normes parasismiques, exercices de type Richter, améliorations des moyens d’observation, recherche scientifique, …) qui doivent être planifiées avec responsabilité mais avec un caractère d’urgence moins marqué. 2. Le cas des éruptions volcaniques La définition de la crise volcanique donnée dans le chapitre II fait état d’une situation durant laquelle un volcan montre des signes d’instabilité ou d’activité interprétés pour laisser augurer de la survenue d’une éruption et de risques associés. Une crise peut, ou non, conduire à une éruption dangereuse, mais elle conduit dans tous les cas à des situations anxiogènes et/ou à des perturbations socio-économiques pour les populations concernées. 100 Pour les scientifiques en charge de l’observation, la situation de crise débute dès lors que sont observés des signes d’activité traduisant une modification notable par rapport au « bruit de fond » habituel du volcan en période de repos. Cette notion floue fait appel à une bonne connaissance du comportement du volcan en période calme. Pour les volcans français dont l’activité géophysique et géochimique est suivie en permanence de longue date, le début de crise implique une variation concordante de plusieurs des paramètres suivis et leur interprétation en terme de transfert magmatique ou de modification du système hydrothermal du volcan. Dès lors, les autorités sont informées par la direction des observatoires volcanologiques, en concertation avec la direction de l’IPGP, de cette activité inhabituelle. A ce stade, et tant qu’il n’y a pas de signes sensibles pour la population, comme des émanations de gaz, une activité sismique ressentie liée au volcan, ou des mesures de protections mises en place, la communication vers les média et le public n’a pas nécessairement de raison d’être mais doit néanmoins être préparée. Ce type de situation peut durer plusieurs semaines ou mois. Pour les autorités, et plus généralement pour la société, la crise volcanique débute lorsque les signaux anormaux sont suffisamment nets pour être visibles ou ressentis et pour que la mise en place de mesures particulières soit nécessaire (mobilisation de personnels, fermeture d’accès, …). Dans ce cas, une information du public directement, ou via les média, devient nécessaire. Il appartient en premier lieu aux autorités territoriales, aux responsables scientifiques directement impliqués dans le suivi de la crise, mais aussi aux responsables de l’organisme en tutelle de se concerter pour définir : 1) si on a affaire à une crise d’ampleur locale ou nationale, 2) le moment de communiquer, 3) les personnes habilitées à communiquer, 4) les messages à transmettre portant sur les données et la description des phénomènes, leurs origines, et si possible leur évolution probabiliste. Ces messages doivent faire l’objet d’un texte écrit, un communiqué, pour servir de support à toute communication orale, qu’il s’agisse de déclaration, de conférence de presse ou d’interview. Cette procédure est d’ailleurs potentiellement applicable à tout type de crise tellurique. § a. Nature des informations fournies par les scientifiques et servant à la définition de la crise volcanique Le suivi de l’activité des volcans français est réalisé dans les Observatoires Volcanologiques et Sismologiques de la Martinique et de la Guadeloupe pour les Antilles, et à l’Observatoire Volcanologique du Piton de la Fournaise à La Réunion, sous la responsabilité de l’Institut de Physique du Globe de Paris. Sur ces volcans, le suivi de l’activité sismique et des déformations de surface constitue le socle principal du suivi en temps réel. Ces données permettent d’évaluer en permanence l’état du volcan. En complément, un suivi de divers paramètres géochimiques propres aux éléments volatils (fumeroles, émanations diffuses de gaz, sources) fournit également des informations sur un possible changement du comportement du système hydrothermal du volcan ou un transfert magmatique. L’ensemble de ces éléments est transmis à la Préfecture concernée sous forme d’un bulletin d’événements. Aux Antilles, le plan ORSEC prévoit la répartition de la responsabilité de communiquer en fonction de l’importance de la crise (cf tableau ci-dessous). Dés lors que la Préfecture prend des mesures de protection et informe la population, l’observatoire 101 doit être en mesure de répondre aux sollicitations des média, qui se traduisent généralement par des demandes d’interviews pour les journaux, les radios, les télévisions. Il appartient aux responsables de l’observatoire, là encore, de préparer un texte qui soit une trame pour une interview et qui pose bien les limites de la connaissance de l’événement afin de garder, tant que faire se peut, la maîtrise de l’interview. Figure 1: Définition des niveaux d’activité volcanique pour les volcans français des Antilles (ici le cas de la Montagne Pelée en Martinique) mis en place en concertation entre les OVS et les Préfectures. La ligne «Décision»indiquequipeutchangerleniveaud’alerteetquicommuniqueoupilotelacommunicationsur l’activitévolcaniquesuivantleniveauatteint. § b. Définition de la crise, son démarrage et son suivi La crise volcanique a ceci de particulier que son démarrage n’est pas forcément le plus difficile à prévoir, ce qui n’est pas le cas de son déroulement dans sa forme et sa durée. Le démarrage de la crise est détecté par une variation significative des multiples paramètres enregistrés par les observatoires volcanologiques par rapport à une situation de calme inter-éruptif. Les observatoires en charge de la surveillance des volcans ont une bonne expérience de l’interprétation de ces paramètres, et savent donc généralement bien détecter le début de crise lorsque celui-ci est marqué. Le suivi de la crise est alors réalisé en déterminant les variations dans le temps (accélération/ralentissement, apparition de nouveaux signaux, modification du régime éruptif …) des paramètres enregistrés. La mise en place d’un suivi renforcé peut alors être décidé, soit par un plus grand nombre de personnels impliqués, soit par la mise en place d’instrumentations et mesures nouvelles. Le suivi et l’interprétation de l’évolution d’une crise volcanique peuvent s’avérer particulièrement délicats. La durée de la phase pré-éruptive peut être longue, plusieurs mois dans le cas du Piton de la Fournaise à La Réunion, volcan fréquemment actif, probablement plus en cas de réactivation de la Soufrière de Guadeloupe ou de la Montagne Pelée à la Martinique, volcans à l’activité moins fréquente. Au-delà de cette phase pré-éruptive, l’éruption en ellemême peut également être longue (jusqu’à six mois au Piton de la Fournaise en 1998, plusieurs années pour des volcans du type des volcans antillais). Durant cette phase éruptive, des changements de régime éruptif sont possibles induisant des effets différents sur l’environnement du volcan. La crise doit donc être considérée comme une situation pouvant être de longue durée, demandant une adaptation particulière des personnels scientifiques et en charge de la protection civile, et une communication suivie. 102 c. La fin de crise volcanique Scientifiquement, la fin de crise intervient dès lors que le volcan ne montre plus de signe d’activité présentant un risque pour les populations. Ceci ne correspond pas nécessairement avec l’arrêt de l’activité éruptive. Nombreux sont les cas où des signaux géophysiques persistent ou reprennent après la fin d’une phase éruptive, pouvant conduire à une nouvelle éruption. D’autre part, divers phénomènes peuvent être la conséquence indirecte d’une éruption, prolongeant les situations d’instabilité au-delà de la durée propre de la crise éruptive. Deux exemples peuvent être mentionnés: − Les éboulements et effondrements faisant suite à une vidange magmatique de fort volume ; l’effondrement de la caldeira du sommet du Piton de la Fournaise à La Réunion en est une bonne illustration ; − La remobilisation des retombées cendreuses par les eaux météoriques pour former des coulées boueuses ou lahars pouvant engendrer des dégâts importants sur les flancs du volcan. 3. Le cas des instabilités gravitaires Dans le contexte de l’hexagone, où séismes et effets climatiques sont modérés, la notion de crise n’est définie, pour l’aléa gravitaire, que du point de vue des autorités quant à l’aspect vulnérabilité. Un contexte de « crise » en tant qu’augmentation rapide du nombre des glissements de terrain sur une zone géographique donnée, dans un intervalle de temps court (quelques heures) sur le territoire français, ne peut être observé qu’à la suite d’un séisme significatif (M>5-6). Dans ce contexte, une procédure, en cours de réflexion au niveau mondial, cherche à définir via un zonage préliminaire dans les minutes suivant le séisme déclencheur, des zones de mouvements de terrains probables en fonction de la magnitude du séisme et du type de rupture. L’implémentation opérationnelle d’une telle procédure n’est pas encore effectuée. Dans le contexte des mouvements de terrain, une situation de crise correspond à la convergence spatiale (sur un site donné) de mesures extraordinaires s’écartant significativement par rapport aux mesures précédentes. En ce qui concerne les sites instrumentés (donc mouvement de terrains en cours) les seuils qui permettent de déclarer la situation de crise sont ajustés localement de façon empirique pour éviter les temps de fausses alarmes tout en ne négligeant pas les occurrences d’évènements majeurs. Parmi les exemples significatifs, on citera le cas de Séchilienne dont l’effondrement peut impacter les moyens de communication dans une vallée alpine majeure. Les scientifiques de la communauté académique des UMR/UMS ne sont que peu ou pas impliqués8, si ce n’est via les sollicitations de la commission d’experts ; cette dernière étant en charge des validations, à moyens et longs termes, de la gestion court terme des services 8 Dans le cas des Antilles, il est écrit dans les procédures ORSEC qu’en cas de crise, le BRGM est sollicité comme expert et doit se rendre au PC de crise pour l’évaluation des risques gravitaires associés au séisme qui vient de déclencher l’activation d’une cellule de crise. 103 opérationnels (CEREMA - Au 1er janvier 2014, les huit CETE, le CERTU, le CETMEF et le SETRA ont fusionné pour donner naissance au CEREMA : Centre d’Etudes et d’Expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement). Pour les scientifiques, une crise d’aléa gravitaire correspond à l’occurrence d’événements présentant un net contraste par rapport l’activité habituelle dans une région donnée. Cette état de crise peut correspondre soit à une augmentation des déplacements d’un mouvement lent en cours, soit à une augmentation tant spatiale que temporelle du taux d’instabilités gravitaires, souvent couplée à un forçage externe au mouvement de terrain (pluie ou fonte de neige, déformation induite par un séisme ou une éruption volcanique). Pour les autorités, et plus généralement pour la société dans le contexte de déformation tectonique faible en France métropolitaine, la « crise gravitaire », contrairement au séisme, et du fait de la lenteur relative des phases d’initiation et de propagation lors de mouvements de terrain de masse, est relative à la proximité de l’occurrence d’un événement, ou d’une série d’événements gravitaires, susceptibles de produire des dommages. On notera encore que dans le contexte du versant de Séchilienne, plusieurs « crises », en tant qu’état de pré-alerte des services en charge de la surveillance, ont eu lieu depuis 1990, sans occurrence d’éboulement majeur ayant impacté les personnes ou les structures. Toutefois, la gestion de cette crise potentielle en terme de protection a conduit à l’application de la loi montagne et donc l’évacuation – expulsion d’un village. Pour ces personnes, la crise (sociale cette fois) a eu lieu en l’absence d’événement gravitaire. Il en fut de même en ce qui concerne l’évacuation-expulsion par application de la loi montagne d’un hameau sur le glissement d’Avignonet. Pour ces deux versants instables isérois, sous la surveillance continue via, en particulier, le Service National d’Observation du CNRS-INSU, OMIV (Observatoire Multidisciplinaire des Instabilités de Versants), avec les nouvelles méthodologies de surveillance des sites de mouvements de terrain mis en œuvre lors de cette dernière décennie, les procédures du transfert d’informations et du relais entre les scientifiques et les services opérationnels est à mettre en place. Enfin pour conclure, il est important de noter une symétrie des problématiques de prévisions, (incluant les notions de pré-alerte, alerte, après dépassement de valeurs seuils (empiriques) de paramètres de surveillance du site) entre la gestion de l’aléa gravitaire et les gestions des aléas sismiques et volcaniques. Le gestionnaire de ces aléas est confronté pour chaque tentative de prévision à de très forts taux des fausse alarmes et des durée d’alertes, ces derniers étant encore trop rarement quantifiés dans les diagrammes d’erreurs incluant le nombre de succès à la prédiction (événements dans une fenêtre d’alarme), le nombre d’échecs (absence d’évènements durant la période d’alarme), le nombre de fausses alarmes et le tout normalisé par les durées d’alarmes. Le nombre d’occurrences d’événements hors alarme, est inclus dans cette évaluation qui est pertinente pour tout type d’alea (séisme, éruption, mouvement de terrain). 104 B. L’information des autorités en cas de crise intérieure et en cas de crise extérieure pouvant impacter le territoire français 1. L’alerte rapide officielle des autorités Il est impératif que les messages d’alerte rapide aux autorités proviennent d’une source unique mandatée officiellement pour le faire. Actuellement, en ce qui concerne les séismes et pour le territoire métropolitain, cette mission incombe au LDG/CEA. Aux Antilles, bien qu’ils ne soient pas officiellement mandatés dans les textes pour cela, ce sont les observatoires sismologiques et volcanologiques de l’IPGP qui alertent les autorités, en cas de séisme comme en cas d’activité volcanique. Paragraphe à préciser ultérieurement La procédure suivie actuellement par le LDG/CEA consiste à transmettre de manière systématique et automatique aux autorités compétentes, RAPPELER LES QUELLES un message d’alerte précisant la magnitude, la localisation (latitude, longitude, mais pas la profondeur), et l’heure origine, dès qu’un séisme dont la magnitude dépasse un certain seuil (magnitude 4) se produit sur le territoire métropolitain ou dans les régions frontalières. Il est donc du ressort des autorités locales concernées (maire pour la commune, préfet pour le département) de décréter ou non l’état de crise et de déclencher les actions nécessaires pour y faire face. 9 Fournir 7/7 jours et 24/24h des informations rapides et fiables sur l’heure précise, la localisation et la magnitude des séismes requiert des moyens importants en termes d’astreinte de personnel, de sécurisation matérielle et informatique. C’est la raison pour laquelle cette tâche a été attribuée au LDG/CEA qui dispose de l’infrastructure et des moyens nécessaires. De plus, le CENALT (Centre d’alerte tsunami) étant localisé au LDG/CEA, une certaine mutualisation des moyens est possible. Le BCSF (Bureau central sismologique français) lance, quant à lui, automatiquement l’appel à témoignages pour la détermination des intensités observées et ressenties, et rend publique sur son site ces informations macrosismiques. Les informations paramétriques disponibles sur les différents, et sans doute trop nombreux, sites web produisant une information sur l’activité sismique (sites du CEA-LDG, du RéNaSS, du BCSF, du CSEM et des Observatoires régionaux) sont généralement insuffisants pour satisfaire aux besoins d’information et de compréhension des autorités (préfectures, mairies, ...), des médias et du grand public. La production d’informations complémentaires telle que des « ShakeMap » (cartes d’estimation de la secousse en terme d’intensité ou d’amplitude maximale du mouvement du sol), mécanisme au foyer, extension de la rupture, directivité, évaluation des dommages et des pertes…, sont aujourd’hui en cours de développement (cf. chapitre IV) (des 9 A préciser 105 procédures de ce types sont déjà en place au BRGM) ; mais leur transmission vers les autorités doit encore être clarifiée. En effet, elles peuvent permettre aux services de secours de préciser où seraient localisés potentiellement les dommages les plus importants. Mais l’utilisation de ces informations « plus sophistiquées » requiert un minimum d’explication préalable. Dans le cas contraire, elles pourraient apporter plus de confusion que d’éclaircissement. A l’heure actuelle, elles ne font pas l’objet de transmission systématique aux autorités de la part des scientifiques. Elles peuvent être déterminées au niveau des centres sismologiques nationaux ou régionaux, qui ne disposent généralement pas de moyens d’astreintes ni forcément des matériels pour en assurer une transmission fiabilisée. En outre, le délai nécessaire à l’obtention de ces informations complémentaires est très variable. Le délai dépend de la volonté et de la disponibilité des sismologues, ainsi que des moyens à leur disposition au moment de la crise. A certains endroits, des outils de calcul automatique de ces paramètres ont été mis en place, mais s’ils sont diffusés, les résultats sont, pour l’instant, adressés essentiellement à la communauté scientifique, en particulier au sein du groupe transverse « Sismicité » de RESIF. Le BCSF met pour sa part les cartes des mécanismes au foyer sur son site. Plusieurs alternatives sont à examiner : par exemple, ces informations additionnelles pourraient être d’abord analysées puis traitées par les scientifiques sous forme d’éléments synthétiques concernant l’impact sur les dommages potentiels à fournir aux autorités. Une autre piste serait que des recommandations soient regroupées au sein d’un document unique (national) explicitant les informations complémentaires qui pourraient être transmises aux autorités, en précisant par qui et sous quelle forme. Des formations pourraient être organisées à ce sujet, ciblées vers les personnels des collectivités territoriales. Concernant l’activité des volcans, comme il a été rappelé, aucun organisme n’est officiellement mandaté pour donner l’alerte. Les observatoires volcanologiques implantés sur les volcans actifs français dans les départements d’Outre Mer jouent, de fait, le rôle de « donneur d’alerte », compte tenu du fait que les réseaux d’observation qu’ils déploient et les personnels qui y travaillent sont en capacité de suivre l’évolution de ces volcans. En revanche, l’Institut de Physique du Globe de Paris, Grand Etablissement tutelle des observatoires volcanologiques et sismologiques, n’a pas mandat pour porter un dispositif d’alerte fonctionnant 24/24h et 7/7 jours. Les personnels et réseaux d’observation des observatoires sont financés par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche car l’observation à long terme est l’une des clefs de la compréhension du fonctionnement de ces systèmes complexes. Mais, hors mis pour le réseau accélérométrique (RAP), les Ministères chargés en France des dispositifs de surveillance et d’alerte ou de la protection civile ne participe pas au financement des observatoires volcanologiques. Le paradoxe réside dans le fait que, comme sur tous les volcans dans le monde, l’observatoire exerce une surveillance instrumentale permanente du volcan. Les données liées à l’activité sont transmises à l’observatoire et enregistrées en temps réel ou quasi temps réel, 24/24h. L’information concernant l’activité du volcan et son évolution est donc accessible dans les observatoires, et les Préfectures en charge localement de la sécurité civile font donc appel aux compétences des observatoires pour le suivi des crises volcaniques, sans que ceux-ci soient mandatés pour cela, ni même 106 disposent des moyens humains répondant aux contraintes d’un service d’alerte opérationnel. 2. Le suivi de la crise Concernant l’activité volcanique, les observatoires volcanologiques exercent donc le suivi de la crise éruptive par les enregistrements de l’activité géophysique et géochimique, et en réalisant des observations de l’activité de surface et des prélèvements. Outre l’IPGP, d’autres personnels des universités et organismes de recherche peuvent être impliqués dans le suivi de la crise, sous la coordination du responsable de l’observatoire volcanologique concerné. Ce suivi peut être réalisé dans le cadre du Service National d’Observation en Volcanologie (SNOV) du CNRS/INSU, impliquant des personnels et moyens de l’Institut de Physique du Globe de Paris et de l’Observatoire de Physique du Globe de Clermont-Ferrand. Les informations sont transmises par le responsable de l’observatoire volcanologique aux services de la Préfecture. Les procédures mises en place sont fixées dans les Dispositifs spécifiques ORSEC « Volcan » préalablement établis entre les services de l’observatoire et ceux de la Préfecture. Toutefois, là encore, ce dispositif se heurte à la disponibilité limitée des personnels scientifiques qui doivent, dans un même temps, collecter les données et prélèvements nécessaires au suivi scientifique, réaliser le traitement, l’interprétation et la modélisation des données, informer de façon la plus précise et la plus compréhensive possible les autorités, dans un dispositif ne permettant pas les astreintes. L’observatoire est également directement sollicité par les media qui cherchent à recueillir des informations sur l’activité en cours et son évolution. Point à vérifier et préciser En matière d’activité sismique, si de nouveaux séismes se produisent dont la magnitude dépasse le seuil d’alerte (quel est-il ?) le LDG/CEA envoie aux autorités compétentes de nouveaux messages d’alerte (un par séisme dans ce cas). Il s’agit là de la seule modalité « obligatoire » de communication sur le suivi de crise). Pour aider à la mise en place des opérations scientifiques visant à intervenir rapidement sur le terrain pour installer des sismomètres et des stations GPS additionnels, et observer les éventuelles traces en surface produites par les séismes, le CNRS-INSU s’est doté d’une cellule « post-sismique »10 . Dans les faits, ces actions sur le terrain contribuent à améliorer le suivi de la crise. En cas de crise jugée majeure nécessitant une communication nationale, le CNRS-INSU-communication et la cellule post-sismique se mettent en relation et travaillent de concert pour produire, en relation avec les scientifiques les plus experts, une information sur la crise, destinée à un large public et publiée via son site web et la lettre électronique d’information et éventuellement par communiqué de presse. Les séismes de La Rochelle avril 2016, mais surtout les grands séismes mondiaux (Sumatra 2004, Pakistan 2005, Chili 2007, Haïti 2010, Chili 2010, Tohoku 2011, Mexique 2012, Sichan 2013, Iran 10 (https://sites.google.com/site/cellulepostsismique/ 107 2013, Chili 2014, Népal 2015, Chili 2015, Equateur 2016) ont ainsi été couverts médiatiquement. L’information reprise par les sites des laboratoires et des délégations régionale (CNRS) est donc déclinée à la fois au niveau national (direction du CNRS-INSU) et au niveau régional (laboratoires et délégations du CNRS). Ce dernier niveau permettant souvent de justifier l’implication des financeurs locaux, voire de l’Europe au travers des projets inter-frontaliers (Interreg), dans les infrastructures d’observation. Par la caution scientifique qu’ils incarnent, les différents observatoires sismologiques, voire les sismologues individuellement, notamment souvent ceux de la région concernée par la crise, ainsi que le BCSF-RENASS et le CEA/LDG, sont sollicités par les media régionaux et/ou nationaux et par les autorités locales/nationales, pour fournir des informations et des explications sur la crise en cours. Il n’existe pas à l’heure actuelle de texte officiel ou de procédure prédéfinie sur l’organisation de cette communication au cours de la crise. Même si ces structures se sont parfois organisées en interne, elles ne disposent pas toujours d’un personnel en nombre suffisant et correctement formé pour répondre dans la temporalité de la gestion médiatique d’une crise sismique. En outre, les informations factuelles fournies (localisation, magnitude, type de magnitude) sont parfois divergentes suivant la source de l’information divulguée, ce qui rend la communication plus délicate. De plus, les chercheurs sont souvent sollicités pour émettre un avis sur le phénomène en cours, ses conséquences ou une prédiction sur son issue. Il est à noter qu’en cas de grand séismes à l’étranger, et même de séismes modéré en France, les chaînes d’information des media ne contactent pas « un observatoire » mais en premier lieu quelques sismologues dont ils ont pu avoir le numéro de téléphone mobile ! La multiplicité des interlocuteurs, disposant chacun de sa propre expertise et de sa propre manière de communiquer, aboutit souvent à toute une variété de réponses et d’analyses qui peut être préjudiciable à une bonne compréhension du phénomène et de l’état des connaissances. 3. Comment améliorer les relations avec les autorités et l’information du public Comme on l’a dit, il est nécessaire de bien distinguer ce qui concerne l’information des autorités susceptibles de devoir prendre des décisions impactant la collectivité (mise en alerte des services de secours, préparation des moyens d’intervention, jusqu’à l’évacuation éventuelle de zones habitées…) et ce qui concerne l’information du public (généralement au travers des média). Toutefois, le cas de l’Aquila a montré l’imbrication possible des deux aspects, avec des conférences de presse faisant suite à des réunions regroupant des experts scientifiques et les autorités. Il ne fait pas de doute que le public doive recevoir des informations de la part des scientifiques en charge du suivi et de l’analyse de la sismicité, de l’activité volcanique ou gravitaire. La difficulté est de définir la forme la plus adéquate que doit prendre cette communication. Parmi les questions qui se posent : - Qui doit en priorité communiquer sur la crise ? Faut-il organiser cela ? Comment ? - Quelles précautions faut-il prendre dans cette communication pour informer utilement tout en évitant autant que possible les difficultés rencontrées dans le cas de l’Aquila ? 108 Il ne fait aucun doute non plus qu'afin d'assimiler cette information parfois complexe dans une chaîne de décision, un niveau de formation est requis, maillon indispensable à une meilleure compréhension des informations transmises. a. Améliorer les liens entre pouvoirs publics, recherche, gestionnaires du risque et autres opérateurs En dehors des départements d’outremer, Réunion, Martinique, Guadeloupe où des relations étroites sont entretenues avec les autorités (préfets, protection civile)) et où les scientifiques participent directement à la rédaction des dispositifs du plan ORSEC, on constate au niveau national l’absence de lien étroit entre les directions du CNRS-INSU, de l’IPGP (en charge des observatoires volcanologiques) et les structures compétentes du Ministère de l’Intérieur et du Ministère en charge de l’Environnement, même si localement, les Observatoires des sciences du l’Univers peuvent avoir des contacts établis avec ces structures. Par ailleurs, si des relations existent entre organismes de recherche, elles sont quasiment inexistantes entre organismes de recherche et autres acteurs et agences du risque. De fait, la recherche est isolée, ses connaissances, données acquises et avancées sont mal connues et donc pas, ou peu, prises en compte par les gestionnaires du risque. Afin de tisser des liens pérennes au plus haut niveau entre responsables des tutelles, (ministère de l’intérieur, ministère de l’environnement de l’énergie et de la mer, ministère en charge de la recherche), des organismes de recherche, de la protection civile, et des opérateurs du risque, il serait souhaitable d’organiser une « Réunion annuelle des responsables de toute la chaîne du risque » Une telle conférence permettrait de maintenir des liens étroits entre responsables, ce qui fait défaut depuis de nombreuses années, et représenterait un espace pour dresser régulièrement un état des lieux concernant les moyens, l’avancée des connaissances et des circuits de transfert d’information en période de crise, ainsi qu’en dehors des crises. Elles devraient permettre d’évaluer la pertinence des dispositifs existants et le degré d’organisation en cas de crise majeure. Au niveau régional, des liens étroits sont à établir ou renforcer entre les responsables scientifiques locaux dans ces domaines de risque tellurique, les acteurs locaux des collectivités territoriales et des gestionnaires des crises afin de définir ensemble la procédure la plus efficace d’alerte et d’échange d’informations en cas de crise et la nature des informations et documents à échanger. Le CNRS-INSU pourrait mandater explicitement ou officialiser des correspondants (directeurs d’OSU par exemple). Ce lien pourrait être conforté, par ailleurs, par une implication plus grande, demandée aux scientifiques, auprès de tous les organismes et acteurs du risque, en participant plus activement, par exemple, aux Assises nationales des risques organisée par le MEEM. En dehors des liens à établir ou renforcer à tous les niveaux, il a été noté qu’il n’y a pas, dans le cadre du CNRS-INSU, d’actions sur projets sur les scénarios de crise et leurs impacts sociaux économiques proposées aux laboratoires ; la Mission Interdisciplinaire du CNRS pourrait être sollicitée pour développer des programmes dans ce domaine. Des 109 travaux sur ce sujet existent cependant, conduits à l’initiative des scientifiques dans plusieurs laboratoires. C. La communication vers les media et le public En premier lieu, il faut rappeler que l’information de la population et des media concernant la gestion de crise, en cas de crise grave avérée mettant en péril les personnes et les biens, est du ressort des autorités. La responsabilité des scientifiques en matière de communication porte sur une formulation compréhensible et partagée, capable de faire passer la notion d’incertitude dans les avis rendus, la nécessité de rendre publique rapidement le contenu de l’expertise et l’explication des divergences éventuelles en cas de débat scientifique. Il faut tendre vers un consensus, sans taire les divergences, et, si besoin, dire les limites de notre capacité d’expertise. Le droit de réponse des scientifiques doit être respecté, surtout si la communication est encadrée par des non-scientifiques. Cette communication via les scientifiques a pour rôle de décrire les phénomènes, de rendre compte des observations, de leur donner un sens pour permettre à chacun de comprendre et d’apprécier la situation et d’être, dans une certaine mesure, maître de ses décisions. L’absence de crise majeure en métropole depuis des décennies n’a pas rendu, jusqu’à maintenant, nécessaire d’écrire des procédures de communication à partager entre laboratoires et services de communication, notamment du CNRS. Le développement des moyens de communication qui permet à chaque laboratoire d’afficher des informations en cas de crise, l’attente démultipliée de la société, l’immédiateté de la demande médiatique, les grandes catastrophes (Haïti, Sumatra, Japon, l’Aquila, Eruptions de la Soufrière de MontSerrat, du volcans islandais Eyjafjoll …) qu’il a fallu expliquer, commenter, ont changé la donne. La question qui se pose désormais est : si une catastrophe tellurique majeure survenait en France, comment devrait être gérée la communication scientifique pendant la crise? L’attente de la communauté scientifique est que des procédures soient établies et disponibles dans les laboratoires sans attendre qu’une crise grave survienne. Selon la gravité de la crise, en cas de communication scientifique officielle jugée nécessaire par les organismes de recherche et de réponse des scientifiques aux sollicitations des medias, la communication doit être centrée sur les données observées, leur sens en temps que mesure, leur signification en terme de processus local, et à plus grande échelle dans le contexte géodynamique. Les informations concernant une évolution possible ou probable sont à donner avec prudence et circonspection et lorsque que, en l’état de nos connaissances, aucune prévision d’évolution n’est raisonnablement possible, le fait peut être dit. A l’heure actuelle, pour ce qui concerne les unités du CNRS-INSU (UMR/UMS/OSUs), l’information envers le public et les média est soumise aux règles tacites de communication du CNRS, que les laboratoires et scientifiques maitrisent mal, voire pas du tout. Tous les organismes impliqués dans la recherche en lien avec catastrophes telluriques et connus des 110 médias, peuvent être sollicités par ces derniers. En cas de séisme par exemple, des particuliers contactent également ces organismes directement, sur des questions les touchant personnellement en lien avec les événements sismiques ressentis ou bien supposés. Il en est de même dans les territoires d’outremer lorsque qu’une crise ou une manifestation des volcans survient. Cette situation assez floue n’exclue pas que les médias donnent la parole à des experts auto proclamés, sans formation scientifique rigoureuse. En outre, des scientifiques peu préparés à prendre la parole peuvent s’y sentir contraints par la pression des médias, et parfois par celle de leurs collègues. Les difficultés autour de la communication sur les crises telluriques sont de plusieurs ordres. Tout d’abord il n’y a pas de schéma unique, chaque crise ayant sa particularité. La première difficulté est de décider à partir de quel moment une communication officielle est nécessaire. La décision est collective impliquant pour le CNRS, la direction du CNRS-INSU, les responsables scientifiques les plus proches de la crise et les plus experts des mécanismes en jeu et les services de communication. Ce qui suppose une alerte précoce de la hiérarchie de l’institution. La seconde difficulté est de trouver le bon équilibre entre des déclarations imprudentes et un relativisme trop généralisé. Ou comment faire passer un message audible et signifiant sur des notions que l’on ne peut appréhender qu’en termes de probabilités et/ou de statistiques ? Une communication directe de valeurs de probabilité a toutes les chances d’être mal interprétée par le public et les médias, s’il n’a pas été sensibilisé en dehors des périodes de crise, d’où la nécessité d’accompagner l’énoncé des faits, par la présentation vulgarisée des notions en jeu et des explications contextuelles. La troisième est de désigner la ou les personnalités scientifiques pouvant s’exprimer officiellement. 1. Pour améliorer cette situation plusieurs mesures sont proposées En l’absence de crise, un effort plus important doit être fait aussi bien à destination des gestionnaires des risques, des medias, que du grand public, pour faire progresser le niveau de connaissance concernant les phénomènes telluriques. De nombreuses initiatives existent (Sismos à l’Ecole, les visites des OSU, la fête de la science, des documents pédagogiques, …), mais elles n’impactent pas l’ensemble de la population. On peut envisager : a) Pour l’information du public, des medias, des acteurs du risque • L’organisation d’une « Journée nationale de sensibilisation et d’information sur les risques telluriques », mobilisant les organismes de recherche, les autorités, les acteurs du risque et les medias, permettrait d’informer simultanément, pour une synergie forte, les acteurs de la prévention et de la gestion de crise, les média, le grand public, les enseignants et scolaires. Une telle manifestation renouvelée chaque année devrait contribuer à maintenir le niveau de connaissance nécessaire à tous. • La participation des scientifiques à la rédaction des dispositifs spécifiques ORSEC « Volcan », « Séisme » et « Tsunami » avec les autorités départementales ou zonales. • L’édition d’un corpus de fiches/affiches ou livret guide/affiches, en partenariat avec les ministères, les organismes et acteurs du risque, donnant (à diffuser via des sites d’information) aux médias, enseignants, public, préfectures, pompiers… 111 • • les notions de base que chacun devrait connaître. De tels documents existent déjà dans la sphère d’organismes (par exemple le Plan séismes) ou de laboratoires, mais ces documents ne couvrent pas l’ensemble de la chaîne, depuis l’explication des processus et des méthodes d’observation, aux manifestations possibles d’un événement tellurique jusqu’aux mesures à prendre en cas de crise. Un document commun de référence faciliterait la diffusion, l’accessibilité, le référencement et permettrait de s’y référer en cas de crise pour rappeler les notions de base. La journée d’information serait l’occasion de rediffuser ce document, actualisé régulièrement. Des actions volontaires des scientifiques en période « calme » pour sensibiliser les médias et le public, lors de conférences ou visites de laboratoires, sur le rôle et les attributions des observatoires. Il en existe déjà, elles sont à encourager et multiplier. Des actions de formation des autorités, acteurs du risque, media, devraient être mises en place plus largement par les scientifiques, de façon régulière, à l’échelon local. Les crises telluriques requièrent des connaissances et une approche singulière, dont la culture n’est que peu présente dans notre société qui n’est pas quotidiennement confrontée à ce type de risques, comme cela peutêtre le cas dans d’autres pays. b) Pour les relations avec les media Pour ce qui est de la communication des scientifiques en temps de crise tellurique vers les media, il faut distinguer l’émission d’information et la réponse aux demandes d’information ou d’explication des media. - La décision de communiquer – quand, comment, qui, pour quel type d’information appartient aux directions des organismes en concertation avec les laboratoires et scientifiques les plus impliqués dans l’observation et l’analyse de l’événement, si besoin avec les autorités gérant la crise, et les structures de communication. Pour le CNRS, compte tenu du nombre de laboratoires et scientifiques susceptibles d’être concernés, il est souhaitable que les règles déjà en vigueur au sein du CNRS en temps normal, et renforcée en temps de crise, soient écrites et accessibles aux scientifiques pour un meilleur fonctionnement. - En période de crise tellurique, les laboratoires généralement en charge d’un système d’observation (réseau sismologique intégré dans RESIF, observatoire volcanologique, OMIV…) sont très sollicités pour des demandes d’interviews, d’intervention dans les journaux radio ou télévisés. Il serait illusoire de vouloir s’appuyer par principe sur un porte-parole unique. Certains scientifiques sont bien rodés à cet exercice et en maîtrisent les limites, d’autres moins aguerris, intervenant parfois malgré eux, courent le risque de tenir des propos difficilement compréhensibles ou sujet à controverse. Pour améliorer cette situation, il est conseillé : • De mettre en place un réseau d’experts scientifiques communicants, inter organismes, volontaires et habilités à s’exprimer dans les médias en cas de crise, et formés à la communication de crise. Chacun serait identifié pour un 112 • • • type d’expertise particulière (en plus des généralités de base), la liste des experts serait transmise aux média, aux responsables locaux, aux services de communication permettant la sollicitation et l’intervention des meilleurs experts pour chacune des crises. Le réseau devant être mis à jour annuellement. De proposer aux scientifiques du domaine, dans le cadre de la formation permanente, une formation à la communication de crise. Que les recommandations de base sur la manière de gérer une requête des media et de se préparer à une interview soient écrites et disponibles dans les laboratoires. De pérenniser la cellule post-sismique de l’INSU pour rassembler entre spécialistes les données et références bibliographiques, confronter les analyses et interprétation. Cette cellule permet d’ores et déjà aux scientifiques de se concerter rapidement, mais elle sert aussi de lien étroit et rapide avec la direction et la communication du CNRS-INSU, voire de décider d’actions de communication. Il n’existe pas de structure équivalente en volcanologie, il est conseillé que le SNOV mette en place un dispositif équivalent. Enfin, devront être examinés la question des applications grand public, de l’utilisation des réseaux sociaux, de portail d’information unique, inter-organismes. Communiquer à travers les réseaux sociaux peut d’ailleurs constituer un élément important de la chaîne d’information dont l’analyse peut même s’avérer bénéfique sur le plan scientifique (détermination des intensités, perception du risque sismique, ...). 113 En résumé • Pour les scientifiques, une crise tellurique correspond à l’occurrence d’événements présentant un net contraste par rapport à l’activité habituelle dans une région donnée, sans nécessairement d’impact sur la population et la société. • Pour les autorités et la société, la « crise » est l’occurrence d’événements susceptibles de produire des dommages ou d’être ressentis par la population et générant de ce fait, au minimum, une inquiétude. • Il est impératif que les messages d’alerte rapide aux autorités proviennent d’une source unique mandatée officiellement pour le faire. Concernant les séismes et pour le territoire métropolitain, cette mission incombe au LDG/CEA. Aux Antilles, bien qu’ils ne soient pas officiellement mandatés dans les textes pour cela, ce sont les observatoires sismologiques et volcanologiques de l’IPGP qui alertent les autorités, en cas de séisme comme en cas d’activité volcanique. • Fournir 7/7 jours et 24/24h des informations rapides et fiables sur l’heure précise, la localisation et la magnitude des séismes requiert des moyens importants en termes d’astreinte de personnel, de sécurisation matérielle et informatique. • L’Institut de Physique du Globe de Paris, Grand Etablissement, tutelle des observatoires volcanologiques et sismologiques, n’a pas mandat pour porter un dispositif d’alerte fonctionnant 24/24h et 7/7 jours. • Concernant les essaims sismiques, une réflexion approfondie sur les questions de communication paraît indispensable entre experts des sciences de la Terre, des sciences humaines et sociales, des ingénieurs du génie parasismique et des autorités. • Il est convient de distinguer la chaîne de transmission de l’information vers les autorités qui ont la responsabilité de déclencher le plan ORSEC des circuits de la communication à destination du public et des media. • En cas de crise grave avérée mettant en péril les personnes et les biens, l’information de la population et des media concernant la gestion de crise est du ressort des autorités. • Mettre en place de bonnes procédures d’information et de communication revient à savoir déterminer : 1) quand informer/communiquer ; 2) qui informer et qui doit informer ; 3) avec quels outils et supports informer ; 4) quels types d’information transmettre. Les documents et informations techniques à transmettre aux autorités, avec la plus-value de l’analyse et de l’interprétation, ne sont pas à communiquer dans les mêmes termes aux médias et au public. 114 • En cas de crise grave, nécessitant une information du public directement, ou via les média, il appartient aux autorités territoriales, aux responsables scientifiques directement impliqués dans le suivi de la crise, mais aussi aux responsables de l’organisme en tutelle de se concerter pour juger 1) de l’ampleur de la crise (locale ou nationale), 2) le moment de communiquer, 3) les personnes habilitées à communiquer, 4) les messages à transmettre. • Les messages doivent faire l’objet d’un texte écrit, un communiqué, pour servir de support à toute communication orale, qu’il s’agisse de déclaration, de conférence de presse ou d’interview. • Aux Antilles les procédures d’information/communications sont fixées dans les Dispositifs spécifiques ORSEC « Volcan » préalablement établis entre les services de l’observatoire et ceux de la Préfecture. • La responsabilité des scientifiques en matière de communication porte sur une formulation compréhensible et partagée, capable de faire passer la notion d’incertitude dans les avis rendus, la nécessité de rendre publique rapidement le contenu de l’expertise et l’explication des divergences éventuelles en cas de débat scientifique. Il faut tendre vers un consensus, sans taire les divergences, et, si besoin, dire les limites de notre capacité d’expertise. • Le droit de réponse des scientifiques doit être respecté, surtout si la communication est encadrée par des non-scientifiques. • Cette communication via les scientifiques a pour rôle de décrire les phénomènes, de rendre compte des observations, de leur donner un sens pour permettre à chacun de comprendre et d’apprécier la situation et d’être, dans une certaine mesure, maître de ses décisions. • Les informations concernant une évolution possible ou probable sont à donner avec prudence et circonspection et lorsque, en l’état de nos connaissances, aucune prévision d’évolution n’est raisonnablement possible, le fait doit être dit. • L’absence de crise majeure en métropole depuis des décennies n’a pas rendu, jusqu’à maintenant, nécessaire d’écrire des procédures de communication à partager entre laboratoires et services de communication, notamment du CNRS. Le développement des moyens de communication, l’attente démultipliée de la société, l’immédiateté de la demande médiatique ont changé la donne. La question qui se pose désormais est : si une catastrophe tellurique majeure survenait en France, comment devrait être gérée la communication scientifique pendant la crise? • En cas de crise sismique nécessitant une communication nationale, le CNRS-INSUcommunication se met en relation avec la cellule post-sismique pour produire, en relation 115 avec les scientifiques les plus experts, une information sur la crise, destinée à un large public et publiée. • Plus généralement, l’attente de la communauté scientifique est que des procédures soient établies et disponibles dans les laboratoires sans attendre qu’une crise grave survienne. • On constate au niveau national l’absence de lien étroit entre les directions du CNRSINSU, de l’IPGP et les structures compétentes du ministère de l’intérieur et du ministère en charge de l’environnement concernant les risques telluriques. • Les relations sont quasiment inexistantes entre organismes de recherche et autres acteurs et agences du risque. De fait, la recherche est isolée, ses connaissances, données acquises et avancées sont mal connues et donc pas, ou peu, prises en compte par les gestionnaires du risque. • Il n’y a pas, dans le cadre du CNRS-INSU, d’actions sur projets sur les scénarios de crise et leurs impacts sociaux économiques proposées aux laboratoires ; Recommandations • Demander la participation des scientifiques à la rédaction des dispositifs spécifiques ORSEC « Volcan », « Séisme » et « Tsunami » avec les autorités départementales ou zonales. • Afin de tisser des liens pérennes au plus haut niveau entre responsables des tutelles, (ministère de l’intérieur, ministère de l’environnement de l’énergie et de la mer, ministère en charge de la recherche), des organismes de recherche, de la protection civile, et des opérateurs du risque, organiser une rencontre annuelle des responsables de toute la chaîne du risque qui permette de dresser régulièrement un état des lieux concernant les moyens, l’avancée des connaissances et des circuits de transfert d’information en période de crise, ainsi qu’en dehors des crises. • Au niveau régional, des liens étroits sont à établir ou renforcer entre les responsables scientifiques, les acteurs locaux des collectivités territoriales et des gestionnaires des crises. • Pour l’information de tous les publics et une meilleure connaissance partagée de tout ce qui concerne les processus, aléas, risques telluriques, proposition d’une « Journée nationale annuelle de sensibilisation et d’information sur les risques telluriques », mobilisant les organismes de recherche, les autorités, les acteurs du risque et les media, les scolaires. 116 • Proposition d’édition d’un corpus de fiches/affiches ou livret guide/affiches, en partenariat avec les ministères, les organismes et acteurs du risque, donnant (à diffuser via des sites d’information) aux médias, enseignants, public, préfectures, pompiers… regroupant les notions de base que chacun devrait connaître, à actualiser régulièrement. • Poursuite des actions volontaires des scientifiques en période « calme » pour sensibiliser les médias et le public, lors de conférences ou visites de laboratoires, sur le rôle et les attributions des observatoires. • Formation des autorités, acteurs du risque, media, à proposer par les scientifiques à l’échelon local. • Pour le CNRS, écrire et mettre à la disposition des scientifiques et laboratoire les procédures de communication en cas de crise, ainsi que les recommandations de base sur la manière de gérer une requête des media et de se préparer à une interview. • Pour répondre aux mieux aux sollicitations médiatiques en temps de crise il est proposé de mettre en place un réseau d’experts scientifiques communicants, inter organismes, volontaires et habilités à s’exprimer dans les médias en cas de crise, et formés à la communication de crise. Chacun étant identifié pour un type d’expertise particulière. • Proposer aux scientifiques du domaine, dans le cadre de la formation permanente, une formation à la communication de crise. • Il n’existe pas en volcanologie de structure équivalente à la cellule post-sismique, il est conseillé que le SNOV mette en place un dispositif équivalent. • Devront être examinés la question des applications grand public, de l’utilisation des réseaux sociaux, de portail d’information unique, inter-organismes. • Solliciter la Mission Interdisciplinaire du CNRS pour développer des programmes dans ce domaine sur les scénarios de crise et leurs impacts sociaux économiques. 117 __________________________________ Novembre 2017 – Document de travail INSTITUT NATIONAL DES SCIENCES DE L’UNIVERS 3, rue Michel-Ange -75016 Paris www.insu.cnrs.fr 118