4. Une dynamique de mise en place variée

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Connaissance géologique de La Réunion - Livret de l'enseignant
4. Une dynamique de mise en place variée
Alors que l'aspect microscopique des roches volcaniques dépend surtout de leurs
compositions chimiques et minéralogiques, leur aspect macroscopique dépend
principalement de leurs mécanismes de mise en place. Le mode de mise en place est
tributaire de paramètres intrinsèques du magma (composition, viscosité*, teneur en
gaz, température…) mais il est aussi contrôlé par des facteurs externes comme la
morphologie du volcan, la pente, la présence d'un aquifère sur le trajet du magma, etc.
Ainsi, au cours de son histoire, le volcan bouclier de La Réunion a été le siège d'une
grande variété de dynamismes volcaniques (intrusifs, effusifs*, explosifs*) mettant en
place des produits d'aspects très divers et qui ont été parfois remobilisés par les
processus gravitaires associés ou non à ceux de l'eau (lahars, avalanches de
débris*...).
Les produits volcaniques peuvent ainsi être classés en deux grands groupes : laves et
intrusions* d'une part, et volcanoclastites d'autre part. Les premiers sont souvent
massifs et les seconds ont un aspect bréchique.
Les dépôts volcanoclastiques* peuvent être primaires (liés à des explosions
volcaniques) ou secondaires, c'est-à-dire remaniés par des processus gravitaires
assistés ou non par de l'eau.
Ce chapitre a pour objectif d'explorer les produits issus d'un ensemble de dynamismes
volcaniques bien préservés à La Réunion. Les différents dynamismes sont présentés
en partant des roches d'origine intrusive, effusive puis explosive. Dans un deuxième
temps les dépôts d'origine secondaire associés aux remobilisations gravitaires sont
traités.
La Réunion, un volcan bouclier
Un volcan comme celui de La Réunion est bien différent des petits édifices de la
Chaîne des Puys dans le Massif Central. Alors que ceux-ci sont le résultat d'une
éruption souvent unique et qu'ils se sont mis en place au cours d'éruptions courtes
(quelques jours à quelques mois), les volcans tels que celui de La Réunion sont le
résultat d'une histoire longue et complexe pendant laquelle se produisent de
nombreuses éruptions souvent très différentes dans leurs dynamismes et leurs durées.
Les premiers sont qualifiés de monogéniques* et les volcans complexes de
polygéniques*.
C'est le mode de mise en place des magmas, lui-même essentiellement dépendant de
leur viscosité, qui va contrôler la morphologie des futurs volcans. La viscosité des laves
est avant tout fonction de leur composition chimique : plus elles sont riches en silice,
plus elles sont visqueuses. La viscosité est aussi fortement contrôlée par la
température : elle diminue lorsque la température augmente. Les magmas siliceux sont
relativement « froids » (température de mise en place d'environ 800-900 C
° à
comparer aux 1 100-1 200 C
° des basaltes), ce qui a ccroît encore leur résistance à
Kit Pédagogique Sciences de la Terre
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l'écoulement. L'« explosivité » d'un magma augmente avec sa viscosité et sa teneur en
gaz : un magma basaltique, chaud et « pauvre » en gaz donnera une éruption
« effusive », alors qu'un magma trachytique produira souvent des explosions violentes.
Les morphologies résultant de l'un ou de l'autre de ces processus seront bien sûr
radicalement différentes. Ainsi, les volcans polygéniques à laves basaltiques et donc
fluides auront tendance à former des « volcans boucliers* » (figure 27) à pente très
faible (tels que Hawaii ou La Réunion) alors que les édifices à lave visqueuse et riche
en gaz formeront des volcans aux formes plus proches de l'imaginaire des enfants tels
que le Fuji-Yama au Japon ou le Vésuve en Italie.
Le volcanisme actuel de La Réunion est de type effusif, c'est-à-dire qu'il émet
calmement et fréquemment (une à plusieurs éruptions annuelles en moyenne) des
laves basaltiques très fluides. Pour autant son histoire n'a pas toujours été un « long
fleuve tranquille ».
Un volcan bouclier est presque exclusivement constitué de coulées de laves
basaltiques très fluides, produites par des éruptions volcaniques effusives et
responsables d'une morphologie caractéristique en bouclier.
© BRGM - 2005
Figure 27 - La morphologie du massif du Piton des Neiges montre bien l’ancienne forme
en bouclier du volcan primitif qui a été érodé.
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4.1. PRODUITS INTRUSIFS
4.1.1. Dykes et sills
Avant d'arriver en surface, les magmas circulent dans des fissures qui, une fois
remplies, créent des filons subverticaux (dénommés dykes) qui sont les conduits
d'alimentation du volcanisme. C'est ainsi que le cœur du Piton des Neiges est recoupé
par un important réseau de dykes basaltiques, mugéaritiques, benmoréitiques et
trachytiques (figure 28) qui affleure remarquablement au cœur des cirques du Piton
des Neiges.
L’analyse spatiale de l’orientation des dykes montre qu’ils n'ont pas une direction
unique qui relierait le Piton des Neiges et la Fournaise mais qu'ils ont plusieurs
orientations préférentielles qui marquent l'existence de plusieurs zones d'injections,
c'est-à-dire plusieurs rifts-zones*.
Les filons basaltiques ont généralement une épaisseur faible comprise entre 50 cm et
1 m et présentent quelquefois une prismation perpendiculaire aux parois. Les filons
plus siliceux et donc plus visqueux ont tendance à être plus épais. C'est ainsi que les
filons trachytiques (figure 29) ont généralement des puissances plurimétriques à
décamétriques.
© BRGM - 2005
Figure 29 - Sill de trachyte dans la rivière
des Fleurs Jaunes, cirque de Salazie.
© BRGM - 2005
Figure 28 - Dykes dans la rivière
des Remparts.
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4.1.2. Chambres magmatiques
Lorsque les magmas cristallisent non plus en surface mais dans des réservoirs
magmatiques en profondeur, la vitesse de refroidissement et donc de cristallisation est
très ralentie. Cela permet à l'ensemble du magma de cristalliser et aux minéraux de
croître bien plus qu'en surface. Les roches résultantes ne sont plus à proprement
parler des roches volcaniques. Entièrement refroidis et cristallisés, ces magmas
donnent des roches grenues* appelées roches plutoniques. De telles roches affleurent
très localement au cœur de l'édifice volcanique. Elles ont la même composition
chimique que les laves, souvent les mêmes minéraux mais leur aspect macroscopique
diffère, ce ne sont plus alors des basaltes mais des gabbros*. Ainsi, dans le cirque de
Salazie affleure au fond de la rivière du Mât un bel ensemble de roches plutoniques.
Certaines d'entre elles montrent un litage* magmatique bien développé.
Ces roches peuvent être vues au niveau de la passerelle de l'îlet de la Mare
d'Affouches sur le sentier qui mène de l'îlet à Vidot vers Grand Sable et Grand Ilet
(figure 30). Là, affleure le toit d'un massif gabbroïque recoupé de nombreux dykes et
sills (figure 31).
© BRGM - 2005
Figure 30 - Passerelle de l’îlet de la Mare
d’Affouches, au dessus de la rivière du Mât,
cirque de Salazie.
© BRGM - 2005
Figure 31 - Affleurement de gabbros lités
dans la rivière du Mât.
Un examen du haut de la passerelle (la descente dans le lit de la rivière est
déconseillée car très dangereuse) montre que les gabbros sont finement stratifiés. Des
lits centimétriques plus ou moins clairs ou sombres font alterner des niveaux contenant
des proportions variables en minéraux. Les niveaux clairs sont enrichis en plagioclase,
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les niveaux sombres en pyroxène et olivine. Les roches qui forment les niveaux clairs
sont appelées anorthosite et gabbros leucocrates*, Les roches qui composent les
niveaux sombres prennent le nom de gabbros mélanocrates* voire ultrabasites lorsque
leur teneur en feldspath est très faible (figure 32).
Le processus à l'origine de cette différentiation est appelé cristallisation fractionnée*.
Ce processus fait intervenir les paramètres physiques et chimiques du magma
(températures, composition, viscosité…). De plus, la gravité provoque la formation de
lits plus ou moins riches en olivine, pyroxène et plagioclases, lors de la cristallisation
des réservoirs magmatiques dont la composition change légèrement de façon cyclique.
© BRGM - 2005
Figure 32 - Litage des gabbros avec une alternance de lits clairs (leucocrates)
et de lits sombres (mélanocrates).
Le massif de gabbros est intrusif dans des brèches volcaniques* basaltiques
hydrothermalisées* et il correspond à un témoin des grandes intrusions magmatiques
qui peuvent se faire à un niveau élevé de l'appareil volcanique. La taille de cette
intrusion n'est pas connue mais les affleurements* du fond de la rivière du Mât laissent
supposer qu'il avait des dimensions latérales supérieures à une centaine de mètres.
4.2. PRODUITS EFFUSIFS
4.2.1. Coulées
Lorsque la lave qui arrive en surface est suffisamment fluide - c'est le cas des laves
basaltiques - elle donne naissance à des coulées (figure 33) qui empreintent les creux
topographiques. ces derniers peuvent être d’anciens cours d’eau et c'est pourquoi il
n'est pas rare de trouver des dépôts alluviaux à leur base. Selon la pente, la viscosité
Kit Pédagogique Sciences de la Terre
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des laves et le volume de celles-ci, les coulées sont plus ou moins épaisses et
longues. Les coulées épaisses qui se refroidissent plus lentement développent parfois
des structures en prismes appelées orgues basaltiques* (figure 34) que l'on peut
admirer en plusieurs endroits de l’île. La base et le toit des coulées en gratons* (figures
35 et 37) sont généralement constitués de fragments scoriacés de même nature que la
lave créée pendant le déplacement de la coulée en cours de refroidissement.
© IPGP - 1998
Figure 33 - Coulée de l’éruption de 1998
dans la caldeira* de l’Enclos.
© M. Kerneis - 2005
Figure 34 - Orgues basaltiques à la Pointe
de la Table à Saint-Philippe ; ces prismes
correspondent à des figures de
refroidissement de la coulée de 1776.
Les coulées basaltiques présentent deux aspects :
Les laves aa (en « gratons ») à la surface meuble
constituée d’éléments mats, épineux et de taille
variable.
© BRGM - 2004
Figure 35 - Morphologie de type aa ou « gratons » à la surface de la coulée 2002
dans le Grand Brûlé.
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Les laves pahoehoe (cordées, en boudins, en
plaques) dont la surface forme une croûte brillante
plus ou moins déformée et parfois morcelée. Sous
cette surface, la lave peut s'écouler dans des
tunnels (figure 36).
© P. Mairine - 2005
Figure 36 - Morphologie de type pahoehoe ou en cordes à la surface de la coulée 2004.
© BRGM - 2005, modifié d’après P. Lavina
Figure 37 - Coupe d’une coulée en gratons.
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C’est la viscosité des laves qui est responsable de leur aspect, les coulées aa étant
plus visqueuses que les pahoehoe. Elles peuvent donc être trouvées comme parties
du même écoulement de lave, sans différence significative de composition chimique
(figure 38).
© P. Mairine - 2004
Figure 38 – Laves en gratons et cordées se côtoient sur la coulée d’août 2004.
4.2.1. Centres d'émission
L'origine des coulées est à rechercher dans les centres d'émission. L'examen des
dynamismes actuellement actifs au Piton de la Fournaise et ceux préservés dans
l'enregistrement géologique montre que les éruptions sont principalement effusives
(figure 39). Quelquefois, les éruptions construisent un important cône de scories*
(Plaine des Cafres et Plaine des Palmistes) mais même dans ces cas-là, le volume de
lave émis domine largement le volume de projections accumulées dans les cônes.
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© BRGM - 2005, modifié d’après P. Mairine
Figure 39 - Schéma décrivant une éruption volcanique de type effusif.
4.3. LES PRODUITS VOLCANOCLASTIQUES
On pourrait penser que le volcan de La Réunion n'est qu'un empilement de coulées de
laves. Il n'en est rien. Les formations volcaniques de La Réunion sont aussi
représentées par des dépôts volcanoclastiques* qui sont localement majoritaires, au
cap de La Houssaye par exemple (figure 40).
© M. Kerneis - 2005
Figure 40 - Panorama des dépôts d’avalanches de débris au Cap La Houssaye.
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Les dépôts volcanoclastiques
Le terme « dépôt volcanoclastique » recouvre l’ensemble des dépôts « bréchiques »
de nature volcanique, indépendamment de leur origine. Ce sont des produits clastiques
constitués exclusivement ou en partie de particules d'origine volcanique et dont le
mode de fragmentation est généralement lié à l'activité volcanique. La genèse de ces
matériaux accompagne généralement l'activité volcanique, mais ce sont aussi des
phénomènes liés à la dynamique externe qui contrôlent leur dépôt. Ainsi, les particules
volcanoclastiques sont libérées par n'importe quel mode de fragmentation, sont
transportées par n'importe quel mécanisme, se déposent dans tous les types
d'environnement et peuvent être mélangées en toute proportion avec des particules
volcanoclastiques d'origine différente ou avec des éléments non volcaniques. La
reconnaissance des mécanismes volcanoclastiques dépend en grande partie de la
détermination des modes de fragmentation qui ont donné naissance aux particules
volcanoclastiques. Ils sont déterminés par une analyse morphologique des particules.
Il existe cinq catégories principales de particules volcanoclastiques : des pyroclastes,
des hydroclastes, des autoclastes, des alloclastes et des épiclastes.
Les pyroclastes se forment par fragmentation d’un magma lorsque les gaz sont libérés par
décompression et éjectés d’un évent volcanique, soit dans l’atmosphère, soit dans l’eau.
Les hydroclastes se forment par explosion hydromagmatique lors d’interactions entre l’eau et
le magma et par fragmentation des coulées subaquatiques (hydroclastites de progression).
Les autoclastes se forment par friction mécanique lors de l’écoulement des laves et
de la rupture des encaissants froids ou de l’écroulement des aiguilles et des dômes.
Les alloclastes se forment par destruction de roches éruptives préexistantes par des
processus volcaniques.
Les épiclastes, le préfixe –épi indique soit une position supérieure, soit l’acquisition
d’un nouvel état qui s’est surimposé à un état antérieur.
4.3.1. Les dynamismes de mise en place des formations
volcanoclastiques primaires et les dépôts associés
La Réunion présente une grande diversité de mécanismes éruptifs à l'origine des
dépôts pyroclastiques*. L'essentiel des faciès primaires est représenté par des dépôts
d'origine strombolienne* qui construisent des cônes stromboliens, des spatter-cônes*
et des spatter-remparts*. Un deuxième faciès est constitué d'accumulations de
matériaux grossiers riches en cendres* volcaniques et plus ou moins soudés
(ignimbrites de Salazie…). Les dépôts qui résultent de retombées pyroclastiques sont
moins abondants et présentent des épaisseurs faibles car ces matériaux peuvent être
facilement remaniés. Localement, des dépôts phréatomagmatiques sont observés.
La genèse des dépôts volcanoclastiques primaires
Les formations volcanoclastiques primaires - c'est-à-dire non remaniées - peuvent être
subdivisées en deux grands groupes : d'une part les projections résultant du dégazage
et de la fragmentation d'un magma lors de son ascension rapide, d'autre part celles
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produites par fragmentation du magma au contact d'un réservoir d'eau lors de sa
montée vers la surface (éruptions hydromagmatiques généralement désignées sous le
terme de phréatomagmatiques).
Pendant la remontée des magmas dans les conduits volcaniques, la baisse de
pression est à l'origine d'une diminution de la solubilité des gaz. Lorsque la teneur en
gaz est importante, la baisse de leur solubilité peut conduire à leur exsolution et à
l'apparition de bulles de plus en plus nombreuses qui coalescent et finissent par
éclater. L'éclatement de ces bulles conduit à une fragmentation du magma. En fonction
de différents paramètres (viscosité, diamètre du conduit volcanique, nature et
abondance des volatils*, volume de magma, flux) cette fragmentation du magma se
traduit en surface par des explosions volcaniques plus ou moins violentes.
4.3.1.1. Dépôts et dynamismes stromboliens
Les matériaux éjectés lors des éruptions stromboliennes* (figure 41) consistent surtout
en cendres et lapilli* formant des niveaux lités. Les cendres contiennent parfois de
nombreux minéraux automorphes (pyroxènes, olivines) et des phénocristaux, isolés au
moment de la fragmentation de la lave sous l’effet du dégazage. Des fragments de lave,
de toutes tailles, sont aussi projetés prenant des formes en bombes*, mêlées aux
scories plus fines, ou en amas provenant de l’accumulation de lambeaux informes,
tombés avant leur solidification et intimement soudés, au point de simuler de véritables
coulées de laves scoriacées. Ces matériaux et ce dynamisme sont caractéristiques
d’une activité strombolienne. Ils construisent des cônes de scories, des spatter-cônes et
des spatter-remparts que l'on trouve en abondance dans l'Enclos, dans la plaine des
Cafres (figure 42) et dans la plaine des Palmistes.
© BRGM - 2004, modifié d’après De Goër de Hervé A.
Figure 41 - Structure et fonctionnement d’un cône de scories type « strombolien ».
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© BRGM - 2005 , modifié d’après P. Mairine
Figure 42 - Photographie et dessin du panorama sur les cônes de la plaine des Cafres
depuis la route forestière du Volcan.
Des appareils mixtes, traduisant une activité strombolienne précédée ou suivie par une
activité effusive, voire phréatomagmatique*, sont relativement fréquents.
4.3.1.2. Dynamismes associés à la mise en place des ignimbrites et des
coulées cendro-ponceuses
Les éruptions dites pliniennes* (figure 43) sont parmi les plus intenses et voient la formation
d'une colonne éruptive de plusieurs kilomètres de haut dans laquelle les matériaux
volcanoclastiques sont transportés de manière convective. Leur sédimentation se fait par
différents mécanismes et trois types fondamentaux de dépôts sont couramment distingués :
- des retombées pyroclastiques qui proviennent de la décantation en pluie des
particules volcanoclastiques depuis la colonne éruptive sous l'effet de la gravité. Les
dépôts ont souvent une large répartition dont la surface dépend de l'intensité de
l'éruption, du volume de matériaux émis et des conditions atmosphériques. Ils
drapent toute la topographie et sont bien stratifiés et classés ;
- des écoulements pyroclastiques qui sont généralement générés par l'effondrement
gravitaire de la colonne éruptive. Selon la teneur en gaz, ils sont plus ou moins denses
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et classés en deux groupes principaux : les coulées de ponces riches en éléments très
vésiculés de faible densité et les nuées ardentes constituées* d'éléments lithiques peu
vésiculés. Les coulées de ponces se forment principalement par effondrement de la
colonne éruptive devenue plus dense que l'atmosphère, alors que les nuées ardentes
se forment aussi par effondrement de dômes, d'aiguilles ou de coulées de laves. Le
dépôt s'effectue souvent en masse et conduit alors à des séquences mal classées dans
lesquelles les matériaux grossiers flottent dans une matrice cendreuse plus fine. Au
contraire des dépôts de retombées, les dépôts issus des écoulements pyroclastiques
sont canalisés dans les vallées (exemple des coulées visibles en rive gauche de la
rivière Saint-Etienne, le long de la route de l’Entre-Deux) ;
© BRGM - 2004, modifié d’après De Goer de Hervé A.
Figure 43 - Schéma d’une éruption de type « plinien ».
- des déferlantes basales qui sont des écoulements très peu denses qui conduisent à
la formation de litages obliques dans des dépôts très fins.
Lorsque les dépôts sont épais et mis en place à haute température, ils sont souvent
très indurés et prennent alors le nom d'ignimbrites. De telles roches affleurent
largement sur la crête entre les cirques de Cilaos et de Mafate, dans la partie aval de
la plaine des Marsouins, au pied du Piton d'Enchaing et à l'entrée du cirque de Salazie
après le pont de l'Escalier sur la rivière du Mât. De ce dernier endroit et jusqu'à
Salazie, la rivière est bordée d'escarpements prismés de plus de 100 m d'épaisseur
rappelant la morphologie des orgues basaltiques. Ils affleurent particulièrement bien et
peuvent être échantillonnés dans les éboulis aux abords de l'Ilet Morin et de Plateau
Wickers (figure 44).
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© BRGM - 2005
Figure 44 - Affleurement d’ignimbrites prismées à Plateau Wickers, cirque de Salazie.
Cet affleurement montre un dépôt pyroclastique très compact dont l'examen détaillé
révèle une organisation verticale avec des brèches basales (jusqu'à 100 m
d'épaisseur) surmontées par des tufs* soudés (jusqu'à 50 m d'épaisseur) eux-mêmes
surmontés par des tufs cendro-ponceux (moins d'un mètre d'épaisseur). Les brèches
et les tufs renferment des fragments millimétriques à centimétriques de laves
différenciées (mugéarites, benmoréites, trachytes), du verre volcanique (sous forme de
fiammes*), de rares fragments de cumulats* gabbroïques et des phénocristaux de
feldspaths* alcalins. Le tout est englobé dans une matrice cendreuse brun-vert. La
composition du magma juvénile indique qu'il s'agit d'une mugéarite. La nature et la
forme des dépôts indiquent qu'il s'agit du résultat de l'effondrement gravitaire d'une
colonne pyroclastique dense de type nuée ardente*.
La distribution des dépôts suggère que le lieu d'émission des ignimbrites était localisé
dans la partie centrale de l'édifice volcanique. Le volume conservé est de quelques
kilomètres cubes.
La mise en place de cette ignimbrite* a été datée aux alentours de 188 000 ans et
permet de reconstruire la paléomorphologie du Piton des Neiges autour de cet âge.
Deux grands cirques coalescents (protocirques de Salazie et des Marsouins)
occupaient alors le flanc oriental du Piton des Neiges.
4.3.1.3. Dépôts et dynamismes phréatomagmatiques
Les dépôts issus de ce dynamisme ne sont pas très nombreux à La Réunion. Ce type
d’éruption se produit lorsqu’un magma remontant vers la surface rencontre des eaux
souterraines : (1) l’eau se vaporise sous l’effet de la chaleur du magma, (2) augmentant
considérablement le degré d’explosivité de l’éruption, (3) ce qui a comme effet la
fragmentation et la projection du magma juvénile et des roches encaissantes. Par ailleurs,
le magma réagit chimiquement avec l'eau et il y a hydratation du verre volcanique avec
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formation de hyaloclastites caractérisées par la présence de palagonite jaune, une famille
particulière d’argiles.
En bord de mer, au lieu-dit Le Plateau, entre Saint-Joseph et Vincendo, des falaises,
de couleur jaune-orange correspondent à des hyaloclastites* qui doivent leur origine à
un dynamisme éruptif particulier (figure 45). Ces hyaloclastites sont constituées de
débris de magma vitrifié et de blocs de lave ancienne, arrachés aux terrains pré-existants
lors d’une éruption explosive phréatomagmatique .
© M. Kerneis - 2005
Figure 45 - Falaise de hyaloclastite du Cap Jaune
au lieu-dit Le Plateau, entre Vincendo et Saint-Joseph.
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Figure 46 - Schéma d'une éruption phréatomagmatique.
4.3.2. Les dynamismes de mise en place des formations
volcanoclastiques remaniées
Les produits volcaniques primaires sont fragiles car souvent peu cohérents (structures
en millefeuilles des coulées) et ils sont alors fréquemment remaniés par des processus
secondaires. La gravité en est le moteur principal aidé en cela par l'eau. À La Réunion,
trois mécanismes principaux participent à ce remaniement : les avalanches de débris,
les coulées de débris et de boue (lahars) et les mouvements de terrain (glissements,
éboulements, écroulements).
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4.3.2.1. Les avalanches de débris
Les levers bathymétriques et acoustiques autour de l'île de La Réunion indiquent que les
flancs du volcan sont constitués en partie par d'importantes accumulations de débris issus
de gigantesques glissements (figure 47) (Lénat et al., 1990 ; Labazuy, 1996 ; Oehler,
2005) et pratiquement tous les échantillons récoltés par dragage sont les produits
d'éruptions aériennes.
© J-F. Oehler – 2005
Figure 47 - Localisation des avalanches de débris et surfaces à hummocks
sous-marines sur la carte bathymétrique de La Réunion.
Depuis leur mise en évidence en mer, des dépôts d'avalanches de débris ont été
activement recherchés à terre et ont été reconnus au Cap La Houssaye (figure 48)
(Bachèlery et al., 1996).
Des dépôts présentant des caractéristiques typiques d'avalanches de débris (présence
de mégablocs, injections de matrice, zones cataclasées, rotations de blocs…) ont été
activement recherchés dans les différents cirques du Piton des Neiges. À ce jour,
aucune formation de ce genre n'a été rencontrée avec certitude et tous les dépôts
présentant l'une ou l'autre des caractéristiques de dépôts proximaux (Pente Carozin,
Grand Ilet) pourraient tout aussi bien être interprétés en termes de glissement de
Kit Pédagogique Sciences de la Terre
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flancs des cirques, de coulées de débris… À l'évidence, se pose un problème d'échelle
d'observation (faible continuité des affleurements par rapport au gigantisme probable
des phénomènes…). Par ailleurs, rien ne dit que les dépôts aient été préservés au
fond des cirques.
© BRGM - 2004
Figure 48 - Faciès des dépôts d’avalanches de débris ou brèches de Saint-Gilles
au Cap La Houssaye le long de la route nationale 1.
Caractéristiques des avalanches de débris
Les avalanches de débris volcaniques débutent généralement le long d’un plan très
incliné, en retrait du sommet, qui s’enfonce profondément au cœur de l’édifice
volcanique fréquemment altéré par des fluides hydrothermaux. Des explosions
volcaniques, associées aux dépressurisations des intrusions volcaniques, peuvent
ajouter de l’énergie cinétique et favoriser l’éclatement de la masse rocheuse (Mont
Saint Helens, par exemple) (figure 49).Les avalanches de débris ont une origine
gravitaire et se déclenchent le long d’un plan de glissement avant de se désagréger en
fragments individuels de taille pluri-hectométrique à infra-millimétrique ; les fragments
les plus fins constituant la matrice des plus gros. L’ensemble s’écoule comme un fluide
et peut atteindre des vitesses de plus de 100 m/s. La première avalanche de débris*
observée de visu et étudiée en détail fut celle du Mont Saint-Helens, le 18 mai 1980.
Depuis lors, des dépôts d’avalanches de débris ont été décrits sur la quasi-totalité des
édifices volcaniques, tant terrestres que sous-marins : Nevado del Ruiz (Colombie,
1595 et 1845), Bandaï-San (Japon, 1888), Unzen (Japon, 1792), Bezymianny en 1956
et Shiveluch en 1964 (Kamchatka, URSS), Ontake (Japon, 1984).
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© BRGM - 2004
Figure 49 - Schéma de la formation des avalanches
de débris du Mont Saint-Helens.
Il s’agit d’un événement à probabilité faible à l’échelle de la vie humaine mais commun
dans l’évolution des grands volcans. En fait, lorsque l’activité volcanique est soutenue
et longue, les pentes de l’édifice volcanique augmentent par croissance externe
(coulées de laves sur des dépôts pyroclastiques meubles) et interne (intrusions). Les
édifices deviennent fragiles et se déstabilisent sous leur propre poids, soit à l’occasion
d’une crise sismique ou d’une éruption volcanique, soit sans signe avant-coureur.
Les chiffres suivants attestent du caractère gigantesque des avalanches de débris. Les
volumes mis en jeu sont de l’ordre du km3 (jusqu’à 45 km3 pour celle du Mont Shasta
dans le Nord de la Californie) ; les surfaces sont recouvertes quasi instantanément sur
des centaines, voire des milliers de km² (70 km parcourus par une avalanche de
débris* du Colima, au Mexique). Une des caractéristiques des avalanches de débris
volcaniques est leur très grande mobilité par rapport aux autres mouvements de terrain
non volcaniques, ce qui indique un coefficient de friction très faible. En particulier, des
vitesses largement supérieures à 100 km/h ont été documentées. La forme
caractéristique laissée par un effondrement de type avalanche de débris* est un
amphithéâtre en forme de « fer à cheval » : la caldeira* d’avalanche. Un inventaire des
caldeiras d’avalanche montre que celles-ci ont typiquement un diamètre de 1 à 3 km.
Leur profondeur est généralement de plusieurs centaines de mètres. Les avalanches
de débris génèrent des dépôts constitués de brèches non stratifiées, à éléments
volcaniques anguleux à subanguleux très diversifiés et mal classés. Les éléments des
avalanches de débris sont classiquement subdivisés en clastes* ou blocs, pour les
éléments dont la taille est inférieure à 10 m, et en mégaclastes ou mégablocs, pour les
éléments de taille supérieure à 10 m. Ces derniers sont des pièces cohérentes, plus ou
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moins consolidées, ayant relativement bien conservé leur structure d’origine. Dans les
parties très proximales des avalanches subsistent souvent des blocs de taille
hectométrique, ayant glissé sur de faibles distances sans avoir subi de déformation.
Les blocs et mégablocs sont généralement enrobés partiellement par une matrice
argilo-sableuse regroupant l’ensemble des éléments de taille inférieure au millimètre.
Ces faciès sont dénommés « faciès à blocs » lorsque la proportion de matrice n'excède
pas 30 % et « faciès matrice » lorsqu'elle est plus abondante. La taille des blocs a
tendance à diminuer vers l’aval et indique, soit un dépôt des gros blocs à l’amont, soit
une fracturation et un démantèlement de ceux-ci au fur et à mesure de la progression
de l’avalanche. Toutefois, les blocs de tailles les plus importants sont trouvés au
niveau du premier tiers de l’avalanche et non dans les parties proximales.
4.3.2.2. Lahars (coulées de débris et coulées de boue)
Les dépôts de lahars sont issus du remaniement de produits volcanoclastiques sur les
versants et dans les talwegs à la suite de pluies violentes ou de ruptures de retenues
d'eau. Lorsqu’ils présentent une grande extension verticale et entraînent des blocs
plurimétriques, il n’est pas toujours évident de les distinguer des dépôts d’avalanches
de débris. Ils se présentent généralement sous la forme de bancs stratifiés, la
stratification étant très irrégulière, avec des contacts érosifs fréquents, des variations
rapides (figure 50). La granulométrie des dépôts lahariques est très hétérogène et
l’ensemble est souvent induré (figure 51).
Localement de tels dépôts de lahars sont préservés mais l'essentiel part dans la mer.
© BRGM – 2005
Figure 51 - Échantillon de lahar,
cirque de Salazie.
© BRGM - 2005
Figure 50 - Affleurement de lahar au
lieu-dit Bois de Pomme, Salazie
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4.3.2.3. Brèches et agglomérats de fond de cirques
Les cirques de Salazie, de Cilaos et de Mafate montrent un gigantesque remplissage de
brèches. Celles-ci sont décrites comme « matériau volcanique détritique » (carte
1/100 000 ; Bussières, 1965) ou encore comme des « éboulis : accumulations
caillouteuses et terreuses sur les pentes et en pieds d'escarpement » et « ensemble
d'épandage, coulées de solifluxion, lahars, tufs, éboulis et éluvions » (Carte 1/50 000 ;
Billard, 1974). Ce remplissage n'est pas qu'un simple nappage des fonds de cirque. Il s'agit
d'accumulations de plusieurs centaines de mètres d'épaisseur. Les variations de faciès y
sont à la mesure de la taille des dépôts : des brèches consolidées côtoient des brèches
meubles ; des brèches montrent plusieurs phases de bréchifications. Enfin, les causes de
formation de ces brèches sont multiples : brèches d'origine volcanique, brèches
d'effondrement, de glissement, d'épandage, d'éboulis, de coulées de débris, d'alluvions.
4.4. ALTÉRATIONS HYDROTHERMALES
Les circulations hydrothermales sont le résultat de la percolation d'eau météorique et
marine dans le cœur perméable et chaud de l'édifice volcanique. Le réchauffement de
cette eau et la baisse de densité qui accompagne ce changement de température peut
générer des systèmes hydrothermaux dits convectifs. Dans ces systèmes, de l'eau
froide pénètre dans l'édifice volcanique chaud et perméable, l'eau se réchauffe, sa
densité baisse et elle a donc tendance à remonter à la surface en étant remplacée par
de l'eau froide, et ainsi de suite. Lors de sa circulation, l'eau refroidit son encaissant
mais génère aussi des transformations minéralogiques qui se traduisent par la
cristallisation de zéolites et de phyllosilicates (argiles, par exemple). Ainsi, les fractures
et les pores sont peu à peu obstrués, ce qui limite les circulations d'eau jusqu'à la
fermeture complète du système hydrothermal.
C’est ainsi que dans les rivières et ravines des trois cirques du massif du Piton des
Neiges, les vacuoles* et les fractures de ces laves sont tapissées de cristaux ou
d’associations de cristaux translucides ou opalescents (figures 52 et 53) ; ce sont
essentiellement des zéolites* (aluminosilicates hydratés). Celles-ci sont largement
représentées à La Réunion. Dix-huit espèces minérales différentes ont été
inventoriées. De manière générale, leur détermination précise est difficile à l’œil nu.
Cependant, la diffractométrie aux rayons X, l’utilisation d’outils d’observation et
d’analyse performants, comme le microscope électronique à balayage, permet de les
différencier (figures 54 et 55).
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© BRGM – 2005
Figure 52 - Zéolites tapissant des vacuoles,
échantillon prélevé dans la rivière
des Fleurs Jaunes, cirque de Salazie.
© BRGM - 2005
Figure 53 - Vue macroscopique
des vacuoles tapissées de zéolites.
© Thèse de J.P Rançon - 1980
Figure 54 - Faces losangiques des cristaux
de philipsite vus au microscope électronique
à balayage (MEB).
50
Figure 55 - Gerbes lamellaires de thomsonite et
aiguilles de natrolite vus au MEB.
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