PARTIE II
Management
et esprit d'entreprise
L'Esprit d'entreprise.
Ed. AUPELF-UREF. John Libbey Eurotext. Paris © 1993, pp. 201-215.
Management et performance
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Le monde de l'entreprise informelle :
économie souterraine ou parallèle
R. ARELLANO,
Y.
GASSE, G. VERNA
Faculté des Sciences de l'administration, Université
Laval,
Québec, Canada
Depuis une vingtaine d'années, de nombreux travaux ont été consacrés aux activités dites
"informelles". Cela est sans aucun doute attribuable à l'importance du secteur informel
dans l'économie des pays en développement comme dans celle des pays industrialisés.
Ainsi, bien que la majorité des gouvernements aient tenté de leur donner une orientation et
une structure, les activités informelles, loin de disparaître, se sont multipliées sur de nou-
velles bases et, dans certains cas, sont devenues un élément essentiel dans le fonctionne-
ment économique et dans la régulation sociale.
Afin de comprendre sa participation et son influence au sein de l'économie mondiale, et
après avoir tenté de cerner ce concept, nous discuterons des raisons d'apparition du sec-
teur informel, des caractéristiques générales des entreprises qui s'y retrouvent et des rela-
tions qu'elles entretiennent avec leurs contreparties formelles. Ensuite, nous ferons état de
la situation des entreprises informelles dans le monde et nous aborderons des aspects par-
ticuliers de leur gestion. Enfin, nous évoquerons les attitudes des autorités nationales et
internationales face au secteur informel et conclurons sur l'avenir de ce secteur.
Les auteurs remercient Mme Line Dubois pour sa collaboration à la rédaction de ce document.
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R.
Arellano,
Y.
Gasse, G. Verna
Définition de la notion de secteur informel
La notion d'informalité est une notion relative variant selon l'environnement culturel et
légal et, par conséquent, il serait imprudent de vouloir la préciser sans évoquer un cadre cul-
turel particulier
[25].
Tenant compte de cet avertissement, on peut quand même risquer une
définition de ces entreprises que l'on trouve en marge des économies formalisées du Tiers-
Monde et de l'Occident.
La dualité secteur formel/secteur informel ou encore économie enregistrée/souterraine,
officielle/non officielle, structurée/non structurée, pour nommer quelques variantes, s'ex-
prime d'abord à travers une distinction de nature juridique concernant le pouvoir régula-
teur de
l'État
sur le marché du travail, les impôts et la vie urbaine
:
formelles sont les
activités obéissant aux règles établies, normales, usuelles et fondées sur une division du
travail où domine le salariat ; informelles, celles qui ne présentent pas cette régulation, qui
sont anormales, inusuelles ou qui n'utilisent pas le salariat [15].
Ensuite, on peut faire une distinction en ce qui concerne la nature de la production et
ainsi caractériser les secteurs en fonction de la logique du calcul économique. L'économie
est dite informelle lorsqu'elle n'est pas monétarisée, lorsque le profit n'est pas la base des
décisions des producteurs, comparativement au secteur moderne qui
l'est
parce qu'on y
pratique à la fois les lois de rentabilité et de productivité [7].
Dans son acception la plus vaste, l'économie non officielle, occulte, cachée, parallèle,
souterraine, recouvre tant les activités illégales (contrebande et trafic de drogues, crime
organisé, prostitution, jeux) que les activités légales qui, pour une raison ou une autre, ne
sont pas déclarées. Parmi ces dernières, Gasse, se référant aux pays développés, signale
les activités payées "sous la table", celles qui fonctionnent sans permis ou licence, qui sont
basées sur le troc ou l'échange, le gonflement des comptes de dépenses, l'utilisation
d'équipements de l'entreprise à des fins personnelles, l'emploi d'étrangers sans permis ou
sans couverture sociale, la vente de produits fabriqués maison ou la vente de services
payés comptant.
C'est
à ce deuxième type d'activités que nous nous intéressons.
Les raisons d'apparition du secteur informel
À certains égards, l'économie dite informelle se développe au Nord et au Sud pour des rai-
sons inverses : dans les pays industrialisés, les prix des services sont très élevés compara-
tivement à ceux des équipements ménagers ; la stagnation démographique et urbaine, les
progrès de productivité, le poids croissant des impôts, la saturation
d'une
industrie avancée,
l'apparition d'un temps libre toujours plus grand joints à la tertiarisation de l'économie sus-
citent le développement d'activités domestiques ou associatives.
Dans les pays moins développés, il y a au contraire explosions démographiques et
urbaines, des progrès très limités de productivité, et une grande part de la population ne
bénéficie pas d'un système de garanties sociales. De ce fait, de nombreuses activités qui
seraient domestiques ou publiques dans les pays industrialisés sont au contraire marchan-
des dans les villes du Tiers-Monde. Faute de biens d'équipements ménagers, les individus
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Le monde de l'entreprise informelle
doivent avoir recours à des services marchands (par exemple, photographes de rue, trans-
ports,
préparation des repas, nettoyage, etc.)- Par manque de pouvoir d'achat, les consom-
mateurs doivent faire appel à des intermédiaires qui créent la diversité et font l'avance
d'une partie du stock de marchandises ou d'argent ; à défaut d'accès à des services collec-
tifs,
il faut faire appel à des services privés coûteux, qui vont de l'écrivain public au gué-
risseur
[12].
Dans les deux cas, le secteur informel se présente aussi comme une solution efficace
à une pénurie d'emplois ou à un défaut de qualifications suffisantes. Les coûts élevés
des transactions, le poids fiscal et administratif, les lois ne s'ajustant pas aux besoins
d'une société donnée dirigent de nombreux agents de cette société vers l'économie non
officielle.
Enfin, au-delà des considérations économiques, le secteur informel trouve une justifica-
tion sociale dans la mesure où il assure le maintien d'activités traditionnelles, confère à
certains individus une fonction au sein de la société en donnant accès aux informations et
répond aux besoins de minorités restés ignorés du groupe dans lequel elles évoluent [1].
Les caractéristiques des entreprises informelles
Les entreprises informelles se distinguent généralement par leur petitesse (elles occupent
rarement plus de dix employés), la jeunesse de leurs chefs d'exploitation et le faible degré
de scolarité de leurs travailleurs. Elles s'appuient sur des liens familiaux, ethniques, de
caste ou de corporation. Ces organisations ne respectent aucun horaire ou jour fixe de tra-
vail et présentent un caractère saisonnier, ambulatoire et provisoire.
Ces petites unités sont pauvrement équipées sur le plan technique et fonctionnent
d'ailleurs souvent en sous-traitance. Les principales branches d'activités concernées ren-
voient aux besoins fondamentaux
:
le logement, le transport, l'habillement et l'alimentation.
Étant donné la multiplicité des manifestations de l'entreprise informelle et afin d'encoura-
ger l'homogénéisation des efforts des chercheurs, Arellano [3] présente un outil pratique
d'analyse sous la forme d'une grille retenant les dix-sept critères d'identification suivants :
1.
le secteur économique ; 10. le temps consacré à l'activité ;
2.
la taille de l'entreprise ; 11. la permanence dans un lieu spécifique
3.
son statut légal ; 12. le lieu de travail principal ;
4.
son degré de légitimité ; 13. les besoins d'équipements ;
5.
la tradition sociale ; 14. le niveau technologique utilisé ;
6. le niveau de scolarité du propriétaire ; 15. le niveau de fonction de produit ;
7.
la relation entre les propriétaires ; 16. l'investissement ;
8. le degré de spécialisation ; 17. le mode de financement.
9. la permanence dans l'activité ;
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