Peut-on décrire et comprendre la médecine sans mise en perspective historique et sociologique ?
Lâinterrogation sur la nature des rapports entre la mĂ©decine, ou plutĂŽt les mĂ©decines, les soignĂ©s et les
soignants est indissociable de tout sujet relevant de la « SantĂ© ». Les demandes de soins et dâaides, Ă©lĂ©-
ments constitutifs de lâart de soigner, ne sont pas des exclusivitĂ©s du domaine mĂ©dical. Les pratiques
magiques, religieuses comme les pratiques soignantes populaires nâont pas disparu depuis lâavĂšnement
de la mĂ©decine scientiïŹque.
Le modÚle de la médecine fondée sur les faits probants favorise les données (plus ou moins aisément)
objectivables et quantiïŹables. Ces derniĂšres ne doivent pas toutefois faire Ă©cran Ă dâautres co-facteurs
tout autant prégnants et décisifs qui conditionnent aussi bien le déroulement de la demande de soins
que des réponses proposées.
Lâhistoire de la mĂ©decine est celle dâune construction sociale marquĂ©e par de forts enjeux idĂ©ologiques.
Ils Ă©clairent les Ă©volutions des politiques des multiples acteurs sociaux, dont les mĂ©decins eux-mĂȘmes.
Lâanthropologie mĂ©dicale sâest historiquement dâabord penchĂ©e sur les pratiques exotiques, puis a rapi-
dement investi les systÚmes de soins, leurs méthodes et outils. La question récurrente de ce bio-pouvoir
est devenue majeure dans la sociĂ©tĂ© dâautant plus que la santĂ© a Ă©tĂ© instaurĂ©e comme un « marchĂ© ».
Le bruit de fond médiatique médical et ses liens avec la gestion des questions sociales a participé à la
transformation de la notion de « Droit Ă lâaccĂšs aux soins » Ă celui de « Droit Ă la SantĂ© »
Malgré la simplicité apparente du questionnement initial sur la place nécessaire des sciences sociales
dans toute approche santĂ©, la rĂ©ponse nâest pas un fait acquis pour nombre des acteurs clĂ© de la santĂ©,
dont les mĂ©decins eux-mĂȘmes. Pour la mĂ©decine gĂ©nĂ©rale, dans sa fonction dâinterface entre le champ
profane et le champ professionnel, la prise en compte des sciences humaines et sociales est pourtant un
élément décisif pour toute approche du sens et de la complexité inhérente aux pratiques soignantes. Du
coté des soins quotidiens, elle se traduit par exemple par les pratiques hétérogÚnes entre les médecins
et des diffĂ©rences pour un mĂȘme mĂ©decin face Ă un mĂȘme problĂšme au sein de sa patientĂšle. Ces varia-
tions conduisent Ă sâinterroger sur les divers dĂ©terminants mĂ©dicaux et sociaux en causeâŠ
Pourtant les travaux dâethnologues et de sociologues sur la santĂ© sont souvent mĂ©connus, nĂ©gligĂ©s, sco-
tomisés, voire déniés car ils posent des questions relatives à la place de ce bio-pouvoir dans la société.
Câest souvent par la petite porte de la relation soignĂ©-soignant que les sciences humaines sont entrĂ©es
dans la formation médicale initiale ou continue, avec un focus sur la maladie et le couple médecin-
malade. Les sociologues en portant leur attention sur la diversité des acteurs et sur le contexte social
ont travaillĂ© sur des aspects que les mĂ©decins laissaient pour leur part dans lâombre. Ils ont mis Ă jour
ce qui Ă©tait hĂątivement dĂ©crĂ©tĂ© comme relevant de la « logique », de « lâusage », de « lâimplicite », ou
du « qui va de soi »âŠ
Câest notamment le mĂ©rite de chercheurs comme Eliot Friedson, Isabelle Baszanger, Martine
Bungener, Jean Peneff ou Alain Ehrenberg, et bien dâautres, dâavoir portĂ© leur regard de sociologues
sur le champ médical et ses acteurs.
Leurs façons de regarder autrement les Ă©volutions passĂ©es et prĂ©sentes, aboutissent Ă dâautres mises en
perspective des questions dâidĂ©ologies, des relations de pouvoir, des blocages et inerties des systĂšmes
de soins comme des stratégies de santé publique et des inégalités sociales de santé.
Au travers de ces approches sociologiques diversiïŹĂ©es on retrouve les dĂ©bats permanents qui impli-
quent notamment la médecine générale et les médecins généralistes. Ils imposent un regard distancié
sur la place de la médecine selon les pays, leurs histoires sociales, politiques et culturelles. Ils condui-
SociĂ©tĂ© Française de MĂ©decine GĂ©nĂ©rale DRMG 64 â page âą 5 âą
Ăditorial