> XPress 6 Noir L’Encéphale (2007) Supplément 4, S125-S126 j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / e n c e p La santé mentale au Maroc : enquête nationale sur la prévalence des troubles mentaux et des toxicomanies D. Moussaoui Centre Psychiatrique Universitaire Ibn Rochd, Casablanca, Maroc Au début du siècle (2001, 2004), l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) engageait tous les états du monde sur la voie de l’investissement résolu dans le champ de la Santé Mentale. Au-delà du seul bien-être physique, la part du bien-être psychique intimement lié au bien être social prenait là toute sa valeur dans la définition de la Santé de l’organisme international. Partout dans le monde, pays du sud, pays du nord, développés ou en développement, étaient incités à prendre la mesure des enjeux futurs concernant les maladies mentales. Les projections de la Banque Mondiale relayées par l’OMS pour 2020, soit dans à peine 12 ans, positionnent déjà la dépression, la plus fréquente des pathologies mentales, au deuxième rang mondial des maladies les plus « lourdes » en santé publique et au tout premier rang de toutes les pathologies chez la femme. L’OMS souhaitait aussi aider à mieux connaître ce pan entier de l’état de bien-être de l’humanité en permettant de lutter contre toutes les stigmatisations, discriminations, et inégalités, malheureusement bien connues, que peuvent engendrer les troubles mentaux dans toutes les sociétés. C’est dans ce cadre, qu’un important travail collaboratif entre l’OMS et le ministère marocain de la Santé a permis le 22 février 2007 de présenter les premiers résultats d’une Enquête Épidémiologique Nationale sur la Prévalence des Troubles Mentaux et les Toxicomanies au Maroc. Toute la communauté psychiatrique marocaine s’accorde pour dire que ce travail marquera de façon déterminante un tournant dans l’histoire de la santé publique de notre pays, en permettant d’éclairer une stratégie de lutte contre les maladies mentales qui par ailleurs s’articule avec la montée en charge progressive de la couverture sociale souhaitée par le gouvernement. Les objectifs de cette enquête épidémiologique étaient de déterminer les prévalences des troubles mentaux et de l’abus de substances ainsi que d’identifier des déterminants socio-démographiques en population générale, sur la base d’un échantillon national représentatif de près de 6 000 personnes âgées de 15 ans et plus (se rapportant à au moins 20 millions d’habitants sur les 30 que compte le pays). L’instrument de dépistage standardisé, validé qui a été retenu est le MINI (Mini International Neuropsychiatric Interview), dont une traduction des 120 items a été validée en arabe dialectal marocain (N. Kadri) permettant de couvrir l’ensemble des provinces et territoires. Il est à noter qu’un travail d’une telle ampleur est le premier du genre dans un pays arabe, dans un pays musulman, et son exhaustivité (échantillon national) dépasse ce qu’on connaît, y compris dans nombre de pays industrialisés. Les résultats se fondent sur un échantillon de 5 635 personnes de plus de quinze ans, réparti entre femmes et hommes, et entre milieu urbain et rural. L’essentiel de l’échantillon était représenté par la classe d’âge des 20 – 44 ans. Le principal résultat (Tableau 1) objective que 48,9 % des personnes enquêtées présentaient au moins un des 25 troubles mineurs ou majeurs investigués, avec une pré- * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] L’auteur n’a pas de conflits d’intérêts. © L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés. 4514_05_Mous s a oui . i 125 4514_05_Moussaoui.indd ndd 125 1 4 / 1 2 / 0 715:12:02 14/12/07 15: 12: 02 > XPress 6 Noir S126 D. Moussaoui Tableau 1 Sujets présentant au moins un trouble de santé mentale(MINI) Non Oui Total Oui en % Hommes Femmes 1 632 939 1 459 1 468 3 091 2 407 47,2 % 61,0 % Total 2 571 2 927 5 498 48,9 % Enquête Santé Mentale - Ministère de la Santé Marocain, 2007. Tableau 2 Prévalences de l’occurrence d’au moins un trouble mineur récurrent Maroc USA 48,9 % 46 % – 51 % France 32 % Nouakchott 33 % Alger 59 % Antananarivo 45 % NB : Prévalences non comparables (différences méthodologiques et de tranches d’âge, prévalences ponctuelles et sur la vie). valence plus grande chez la femme de ces troubles, ainsi que dans la population plus jeune ayant peu ou pas d’instruction et sans activité professionnelle stable. (http:// www.sante.gov.ma/Leministre/Communique/2007/evenement/santementale.htm) Sans réelle surprise, la dépression est le trouble le plus fréquent avec 26,5 % de l’échantillon porteur d’un épisode dépressif en cours, et 16,5 % semblaient exprimer des idées suicidaires (intensité légère : 84,6 %, moyennes : 9 %, élevée : 6,5 %). La seconde pathologie était représentée par 9,3 % des personnes enquêtées qui exprimaient un trouble anxiété généralisée. Quant ces chiffres ont été communiqués au grand public, toutes les stigmatisations pointées par l’OMS sont très vite remontées en particulier dans la presse. Le Ministère et les psychiatres tentent toujours de bien accompagner la communication résolue de tels chiffres. Les comparaisons sont à cet égard toujours utiles. Une récente enquête épidémiologique marocaine portant sur le dépistage d’une seule maladie physique, a révélé que 33 % des Marocains étaient porteurs d’une hypertension artérielle, sans que cela ne pose aucun problème de nature « stigmatisante ». Quant il s’agit des comparaisons internationales les chiffres présentés par le Maroc sont conformes à ceux connus dans la littérature internationale (Tableau 2) la plupart ayant utilisé le même instrument diagnostique. Enfin une précédente enquête avait portée sur un échantillon représentatif de 800 personnes à Casablanca (N. Kadri et coll. 2007, http://www.annals-general-psychiatry.com/content/6/1/6) et avait déjà objectivé les mêmes pourcentages concernant les troubles anxieux, considérant ici que l’enquête présentée constitue pour cette entité des troubles anxieux une réplication de ce qui avait déjà été évalué et retrouvé dans les mêmes proportions. Ces résultats sont très préliminaires, et de nombreuses analyses restent encore à faire dans le cadre ce travail ainsi que sa publication princeps. La politique de santé publique a trouvé la mesure des enjeux en santé Mentale et les prévalences, si elles sont peu ou prou conformes à ce que l’on connaît dans la littérature, sont par contre à mettre en regard des moyens pour relever les défis. En 1970 le Maroc comptait 7 psychiatres, il en compte aujourd’hui 350 avec les résidents en formation. Nous comptons à peine 50 psychologues cliniciens, et même si les efforts sont notables il est devenu évident que devant simplement une maladie comme la dépression, c’est l’ensemble des forces sanitaires du pays, avec les médecins généralistes en première ligne, sur lesquelles il faudra compter pour aider et traiter les Marocains. Les psychiatres devront donc s’impliquer fortement dans la motivation et la formation de leurs confrères pour les années à venir. Texte retranscrit d’après la communication du Pr Driss Moussaoui 4514_05_Mous s a oui . i 126 4514_05_Moussaoui.indd ndd 126 1 4 / 1 2 / 0 715:12:07 14/12/07 15: 12: 07