bureaucratie, à l'image d'un système prébendier, sert de levier à la logique redistributrice de Nasser.
En définitive, si le césarisme d'Atatürk et celui de Nasser repose sur une logique
plébiscitaire, leurs charismes respectifs ne puisent pas aux mêmes sources : le charisme d'Atatürk
repose comme nous venons de le souligner sur la bureaucratie et la division de la classe politique ;
le charisme de Nasser, sur la paysannerie et son incapacité à promouvoir ses intérêts sans le recours
à un homme providentiel. Le charisme « patricien » d'Atatürk ouvre la voie à une révolution
politique favorisée par une coalition de bureaucrates et de propriétaires terriens qui, en contrepartie,
freine la réforme agraire. Le charisme « plébéien » de Nasser engage à l'inverse une révolution
agraire qui, en même temps qu'elle brise le pouvoir social des Omdehs, leur retire leur influence
politique et leur fonction de contre-pouvoir, ouvrant la voie à une politique néo-patrimoniale qui
entravera durablement l'ouverture de l'Egypte à une démocratie parlementaire.
Cette opposition tranchée entre l'Etat d'un côté et la société de l'autre, que l'on observe aussi
bien dans le cas de la Turquie que de l'Egypte à la suite des révolutions kémaliste et nassérienne,
s'observent également dans la France de Napoléon III et l'Allemagne de Bismarck. C'est à travers
l'Etat et le développement de la bureaucratie que s'est posé initialement en des termes nouveaux la
question du pouvoir politique au cours de la moitié du 19e siècle.
En pointant le doigt sur le rôle qu'a pu jouer la bureaucratie dans l'émergence du pouvoir
politique, Marx, dans Le dix-huit Brumaire de Louis Napoléon, s'écarte quelque peu de l'explication
par la lutte des classes. Dès lors l'Etat n'est plus la propriété de la classe dominante mais une entité
autonome qui s'émancipe des forces sociales. Le processus de différenciation qui est à l’œuvre jette
ainsi une lumière nouvelle sur la structure bonapartiste de l'Etat
2
.
Outre le rôle que l'Etat est amené à jouer au sein du système social global, la voie de
modernisation qu'emprunte le Second Empire constitue, avec le bismarckisme, ce que Guy Hermet
3
appelle, dans sa classification des régimes autoritaires, le bonapartisme. Le modèle bonapartiste
combine des traits à caractère autoritaire, césariste et populiste. Il relève des « dictatures libérales »
dans la mesure où la finalité du régime sous-entend une certaine idée de progrès, conformément à
une logique de socialisation conservatrice qui tente d'acclimater de manière progressive, le suffrage
universel devenu irrépressible, en permettant la participation politique du plus grand nombre sous le
contrôle d'un Etat tutélaire.
Les régimes kémaliste et nassérien suivent cette voie de modernisation en raison des
2
B
IRNBAUM
Pierre , Le pouvoir politique, Paris, Dalloz, 1974.
3
H
ERMET
Guy, Aux frontières de la démocratie, Paris, PUF, 1983 ; H
ERMET
Guy, « L’autoritarisme », in
GRAWITZ Madeleine et LECA Jean, Traité de science politique, tome 2, PUF, 1985.