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CHAPITRE XX
Syntagme verbal et cohésion du groupe
I. Analyse de l’emploi des modalités « actif / moyen » et de la catégorisation du
syntagme verbal pour l’ensemble de la conversation.
Les quatre moments de la conversation présentent quelques différences dans la
répartition des modalités du verbe. Résumons sous forme du tableau qui suit cette
répartition :
MOYEN Réunion Janvier Février Mars Avril
Catégorisation
de Récanati
Constatif
15
5
27
4
Promissif
1
2
15
7
Déclaratif
3
1
5
4
Directif
3
1
1
17
Non représentatif
0
0
0
0
ACTIF Réunion Janvier Février Mars Avril
Catégorisation
de Récanati
Constatif
23
32
22
7
Promissif
7
12
12
2
Déclaratif
17
23
15
10
Directif
21
10
9
6
Non
représentatif
0
10
7
8
Rappelons que les actes d’élocution sont classés, par Récanati après Grice, en deux
catégories : représentatifs ou non représentatifs. Ces derniers ont une fonction déictique
qui renvoie l’acte de langage à la situation de l’énonciation. Sont déclinées ensuite dans
la catégorie des actes représentatifs deux classes : les performatifs et les constatifs. Les
premiers nécessitent l’implication de l’acteurs, les seconds marquent une distance entre
l’énonciation et l’acteur qui se désengagent de l’action du verbe. Parmi les performatifs
Récanati distingue ceux qui impliquent seulement la personne qui parle, le promissif, et
ceux qui veulent intégrer les auditeurs à l’action de parole : les directifs. Il indice un
troisième acte performatif qui est celui de la déclaration d’existence de la réalité du
monde : le déclaratif. Cette catégorie permet le repérage des moments visibles
d’invention des réalités. Elle ne dit rien des processus mis en œuvre mais l’approche
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sémantique des contenus décrit leur configuration. Pour le travail d’analyse qui va
suivre, les modalités claratives sont importantes dans la mesure il s’agit de la
parole du groupe qui est mise en acte. Nous assistons à l’actualisation d’une réalité de
l’organisation groupale.
L’analyse des actes de langage permet de marquer les tendances de l’implication des
acteurs dans l’utilisation des syntagmes verbaux. Celle de la diathèse en actif et moyen
vient en complémentarité de cette première approche, pour nuancer ou accentuer ces
tendances.
La répartition en quatre moments de la « vie d’un groupe » autorise une lecture
dynamique de l’organisation groupale. La structuration du groupe peut ainsi être perçue
en fonction de l’axe du temps. La distinction entre le démarrage et la fin du groupe,
entre les moments de crises et des moments plus neutres, permet quelques remarques
croisées à propos de l’implication des acteurs.
Constatif Total Janvier
% Février
% Mars
% Avril
%
Actif Moyen
Actif Moyen
Actif Moyen
Actif Moyen
Répartition
entre actif /
moyen
actifs
51 moyens 33 30 32 5 31 52 10 0,6
Total et % 120 indices
31% 30% 40% 0,9%
En fonction de la lecture des tableaux ci-dessus, un premier constat s’impose. Il
concerne la répartition des verbes au cours des quatre moments de la conversation des
membres du groupe.
Dans l’emploi de la catégorisation du verbe en « constatif », la fin de la conversation
marque un net changement dans la répartition de cette modalité en comparaison des
trois premiers. Alors qu’elle représente 30 à 40% du nombre total d’utilisation de cette
modalité du verbe pour les trois premiers mois, elle tombe à moins de 1% pour la
dernière.
L’analyse de la répartition des catégorisations des verbes, montre donc que
l’utilisation de la forme constative du verbe est pratiquement inexistente lorsqu’émerge
une forme de groupe. En effet, en fin de conversation, alors même que l’organisation
groupale émerge fortement, les verbes performatifs sont très majoritairement utilisés.
Cela indique probablement que l’implication des acteurs du groupe est particulièrement
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nécessaire à l’émergence de la forme groupale. Lorsque la conversation est construite
sur des formes verbales non implicatives, comme les formes constatives l’indiquent, il
est à supposer une moindre cohésion du groupe.
Pourtant, regardons de plus près ce qui se passe dans la séance de mars. 40 %
d’utilisation des constatifs devraient marquer cette mise à distance des acteurs dans
l’action. Or, l’équilibre entre les modalités actif et moyen, nous incite à nuancer notre
jugement. Le moment de crise vécu durant cette séance, implique individuellement les
acteurs. Comme nous le montrerons lors du travail à propos des indicateurs de référents
collectifs, il s’exerce des ajustements entre individus et entre sous-groupes. La très forte
présence du verbe « être » durant l’échange, montre vraisemblablement une crise
d’identité, la difficulté pour « l’être social » d’être au monde.
La cohésion du groupe demande une forte mobilisation d’énergie de la part des
acteurs. Cependant, l’utilisation du constatif, marque la mise à distance de cette
implication. Dans l’énonciation, l’implication (indiquée par le mode moyen) est prise en
compte sur un nouveau niveau logique. Elle est objectivée, est non plus vécue dans
l’instant du groupe. C’est probablement pour cela que nous constatons une présence
forte de modalités moyennes du verbe, mais également, une forte présence de catégories
en constatif. Nous développerons cette remarque plus avant à propos des référents
collectifs. Ici, se joue les deux niveaux logiques individuels et collectifs.
Passons à la répartition des modalités performatives : promissif et directif.
Promissif Total Janvier
% Février
% Mars
% Avril
%
Actif Moyen
Actif Moyen
Actif Moyen
Actif Moyen
Répartition
entre actif /
moyen
actifs
25 moyens 21 0,4 36 ,08 36 60 0,6 28
Total et % 58 indices 13% 24% 46% 15,5%
Directif Total Janvier
% Février
% Mars
% Avril
%
Actif Moyen
Actif Moyen
Actif Moyen
Actif Moyen
Répartition
entre actif /
moyen
46 actifs
22 moyens 45 13,6 21 0,45 19 0,45 13 77
Total et % 68 indices 35% 16% 14% 34%
Le premier constat concernant les performatifs, est l’équilibre entre la répartition des
modalités de « promissif » et celles de « directif » pour les quatre réunions. Lors des
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moments de crise l’utilisation de modes « promissif » est majoritaire, en début et en fin
de conversation, les modes « directif » sont plus utilisés. Cela semble logiquement
indiquer que l’implication est plus individuelle en période de crise que dans des temps
plus neutres ; et que l’implication de l’ensemble des acteurs est plus forte hors des
moments de crises.
Mais le plus intéressant est ici l’observation de la répartition des diathèses en actif et
moyen en fonction des moments de la conversation.
En ce qui concerne les modalités de « promissif », celles indiquant de fortes
implications individuelles de l’acteur dans ce qu’il énonce, le mode moyen n’est
majoritaire qu’en mars et très marqué en avril. C’est-à-dire en fin de travail de l’équipe.
Cette inversion des pourcentages dans la répartition des verbes (actif et moyen) est
aussi forte pour les « directifs » qui portent à 77 % la présence de « moyen » en avril,
alors qu’elle était très minoritaire lors des trois premiers moments.
Lors de deux premières réunions de travail de l’équipe, moins de 1% d’utilisation de
verbes à modalité moyenne est utilisé. Cela accentue l’hypothèse de la faible
implication des acteurs dans les actions de paroles lors du démarrage de la conversation.
En mars, lors de la troisième séance de travail, l’expérience de groupe ayant été
partagée, l’implication individuelle augmente, pratiquement la moitié des actes de
langage promissifs se retrouvent en mars au bout de trois mois d’activité commune, et
cette tendance est renforcée par la répartition marquée à 60% du mode moyen. Les
acteurs s’impliquent dans l’énonciation, mais sont également impliqués dans celle-ci,
transformés de l’intérieur même de cette acte de parole collective. Ensuite, en avril, la
modalité active disparaît pratiquement pour laisser place à des indicateurs d’implication
dans le procès du verbe. Mais elle se répartit plus fortement dans une implication plus
globale qui concerne à 34% l’ensemble du groupe et à 15% les individus.
Il est à remarqué que l’émergence de l’organisation groupale n’a pas lieu
progressivement, contrairement à la montée en charge de l’énergie déployée à
l’implication des acteurs. En effet l’apparition des 77% d’implication dans le procès du
verbe, alors que lors des deux précédentes réunions, elle n’était marquée que par 0, 45
% des verbes, montre un saut qualitatif, une rupture, au moment de l’émergence de la
forme du groupe. On peut émettre l’hypothèse que l’investissement des acteurs dans la
conversation est évolutif dans le temps de l’énonciation. Cependant, l’implication dans
une construction d’une nouvelle réalité du monde, et notamment de celle d’un groupe de
personnes, donne lieu à des moments de transcendance, durant lequel, en dehors de
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l’intentionnalité individuelle, quelque chose de l’ordre du collectif émerge
soudainement au sein de cette dynamique. L’investissement des acteurs dans cette
construction est indispensable, mais sa volonté n’interagit pas ou secondairement dans
l’avènement d’une forme collective. L’individu lui-même est objet de cette
transformation qui s’inscrit dans son être.
Pour terminer notre analyse de la répartition des catégorisations des syntagmes
verbaux et de la diathèse des verbes, nous remarquerons le travail particulier de l’acte
de parole déclaratif qui donne à voir la mise en parole de la construction de la réalité
d’être au monde.
Déclaratifs Total Janvier
% Février
% Mars
% Avril
%
Actif Moyen
Actif Moyen
Actif Moyen
Actif Moyen
Répartition
entre actif /
moyen
65 actifs
13 moyens
26 23 35 0,76 23 38 15 30
Total et % 78 indices 23% 30% 25% 18%
Comme tous les actes performatifs précédemment étudiés, on retrouve, avec les actes
déclaratifs, la même tendance à inverser pour mars et avril le rapport entre « actif et
moyen ». Il semble néanmoins plus pertinent de porter l’analyse de ce type d’indicateurs
sur le commentaire sémantique que nous avons élaboré pour chacune des apparitions de
cet indice. L’analyse de contenu est plus performante à propos de l’énonciation des
réalités.
A la suite de ce travail sur les verbes, nous présentons maintenant une analyse plus
fine qui s’intéresse aux indicateurs de référents collectifs auxquels renvoient les
syntagmes verbaux.
II. Approche pragmatique et repérage des indices de cohésion du groupe.
Notre préoccupation est « l’organisation groupale » de cette équipe de travail. Aussi
est-il intéressant de faire ressortir, de cette longue conversation, les occurrences de
l’indice de cohésion « nous » ou « on » non indéterminé.
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