Les gnostiques chrétiens et le spiritisme

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INSTITUT AMELIE BOUDET DE RECHERCHE ET D’ENSEIGNEMENT SPIRITE
LES GNOSTIQUES CHRÉTIENS
ET LE SPIRITISME
(1ere partie)
Un des buts assigné à la Revue Spirite par Allan Kardec dès 1858 est de faire l’histoire du
Spiritisme dans l’Antiquité, c'est-à-dire de rapporter toutes les croyances et les pratiques
présentant des similitudes avec le Spiritisme et sa partie expérimentale, la médiumnité. C'est ce
que nous ferons ici en exposant les croyances et les pratiques des gnostiques chrétiens du I et
II siècles après Jésus-Christ qui présentent d’étroites similitudes avec le Spiritisme. Il faut
préciser qu'il ne peut s'agir d'une identité systématique car la culture et les connaissances du
monde antique étaient différentes de celles du XIX siècle. Ces chrétiens avaient leur propre
vision du monde et de l'univers, mais des similitudes existent et elles sont parfois frappantes tant
au niveau de la théologie, de la cosmologie, que de l'anthropologie et de la christologie ainsi
que nous allons le voir à présent.
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Présentation générale
Le christianisme des premiers siècles, dit christianisme primitif, n'est pas une religion
homogène. Il est constitué de multiples courants qui ont chacun leur interprétation de la nature
et du message du Christ, l’orthodoxie* officielle ne se mettant en place que progressivement.
Au II et III siècles de notre ère on peut dégager quatre courants principaux : la Grande Église
à l’origine de l’orthodoxie, la « foi droite » qui s’impose comme la seule norme en matière
religieuse et qui dès la fin du II siècle rejette les autres courants dans l’hérésie* ; les groupes
chrétiens d’origine judéenne ; le marcionisme ; les gnosticismes chrétiens . Aucun n’était de
prime abord en mesure de l’emporter sur les autres.
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Les gnostiques chrétiens
Les gnosticismes chrétiens constituent un mouvement religieux et philosophique composé de
multiples sectes qui s’est développé dans l’empire romain, et au-delà en Orient, pendant les
premiers siècles de notre ère (de la première moitié du I siècle au IV siècle) et qui atteint son
apogée au II siècle. Le gnosticisme n’est pas une doctrine homogène car il est constitué de
nombreux systèmes parfois très différents les uns des autres. Il est donc impossible de le définir
de façon globale pour toutes ses composantes. Néanmoins les doctrines gnostiques se
caractérisent par une certaine conception de la connaissance (du grec « gnôsis »). Les
gnosticismes accordent une place fondamentale à la connaissance qu’ils considèrent comme le
moyen d’atteindre le salut et la forme même du salut car elle agit d’une manière quasi
surnaturelle sur celui qui la reçoit. Cette connaissance consiste en la révélation par le Christ de
l'existence du véritable Dieu, inconnu jusque-là, ainsi que de la véritable façon de le servir et de
la véritable religion. Elle permet au gnostique de découvrir sa véritable nature car elle lui révèle
qu’il n’est pas de ce monde et qu’il n’appartient pas à ce monde, mais que son moi le plus
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Les mots accompagnés d’un astérix sont définis dans le glossaire placé à la fin de l’article.
« L’Évangile de Judas », Religions et Histoire, n°11, 2006, p. 20.
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profond, « son être essentiel », a une origine divine et céleste. Elle lui révèle qu’il est issu de
Dieu et qu’en tant que tel il est destiné à le rejoindre après sa mort.
La gnose apporte une réponse aux questions fondamentales que se pose l’homme : d’où
venons-nous ? Où sommes-nous (c’est-à-dire que faisons-nous dans ce monde) ? Où allonsnous ? La réponse à ces questions est si importante que le gnostique est défini autant comme
celui qui possède la connaissance que comme celui qui sait d’où il vient et où il va. Ainsi dans
l'Évangile de vérité d'origine valentinienne d'après certains chercheurs, il est dit :
De sorte que celui qui a la Gnose est un être d’en haut. S’il est appelé, il écoute, il répond et se tourne vers Celui
qui l’appelle, et remonte vers lui. Et il connaît comment on l’appelle. Possédant la Gnose, il fait la volonté de Celui
qui l’a appelé, il veut lui être agréable, il reçoit le repos ; son nom propre lui appartient. Celui qui possèdera ainsi
la Gnose sait d’où il est venu et où il va ; il sait comme quelqu’un qui s’étant enivré s’est détourné de son état
d’ivresse, a accompli un retour sur soi-même et a rétabli ce qui lui est propre .
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Cette connaissance n’est transmise qu’à certains initiés. Les gnostiques ont aussi des opinions
particulières au sujet de Dieu, du monde et de sa création, de l’homme et de son salut, que
nous développerons au fur et à mesure en fonction des objectifs assignés à cet article.
L’Organisation des communautés gnostiques
On sait très peu de chose sur les communautés gnostiques. La majorité des écoles sont
organisées sur le modèle des sectes à mystères avec des rites d’initiation, des marques de
reconnaissance. Certaines ont plus le caractère d’écoles philosophiques, d'autres, minoritaires,
ont une organisation proche de celle de la Grande Église. Elles ont à leur tête un personnage
charismatique, le plus souvent le fondateur, qui paraît jouer un rôle essentiel. Ces
communautés ont leurs propres rites avec des sacrements parfois identiques à ceux de la
Grande Église ; elles ont aussi leurs propres Évangiles. La composition sociale de ces
communautés paraît avoir été la même que celle de la Grande Église. Leurs activités principales
sont l’activité missionnaire et le travail d’exégèse* dans lequel elles ont particulièrement excellé,
ceci bien avant les premiers théologiens catholiques. Ce sont eux en effet les premiers grands
penseurs et exégètes du christianisme. Ces communautés se caractérisent par une très grande
liberté de penser : aucune orthodoxie n’est imposée, chacun peut à son gré et quand il veut
établir et fonder son propre système sans craindre d’être excommunié.
Les systèmes gnostiques sélectionnés
Notre étude portera essentiellement sur les écoles gnostiques d’Alexandrie et sur les écoles
valentiniennes. L'école d'Alexandrie est constituée de Basilide et de Carpocrate qui sont
contemporains. Ils ont enseigné tous les deux à Alexandrie entre 120 et 130. On ne sait rien sur
Carpocrate, par contre certains de ses disciples sont attestés à Rome au milieu du II siècle.
Basilide est un des grands théologiens du gnosticisme. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont un
commentaire de vingt-quatre livres sur l’Évangile (Exegetica), sans doute le premier du genre,
des psaumes et un Évangile, perdu. Basilide était membre de la Grande Église. Aucune source
ne nous déclare qu’il aie été excommunié, ni qu’il aie été officiellement considéré comme
hérétique. Le christianisme de l’école d’Alexandrie est profondément imprégné de platonisme
et de pythagorisme.
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L’école valentinienne est l’une des écoles majeures du gnosticisme. Elle semble avoir largement
dominé le II siècle et avoir eu une très forte influence sur les autres écoles gnostiques. C'est sur
elle que nous possédons le plus de renseignements. Elle a été fondée vers le milieu du II siècle
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EvVer, p. 22, 3-19.
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par Valentin, un des penseurs gnostiques les plus brillants de son temps, renommé pour son
éloquence et son génie. On sait peu de choses sur lui, sinon qu'il était membre de la Grande
Église de Rome où il était un personnage important car il faillit être élu à la chaire épiscopale de
Rome et donc devenir pape . Ensuite il rompt avec la Grande Église et est excommunié. Il part
alors pour Chypre où vraisemblablement il fonde une école et développe sa propre conception
du christianisme, très influencé, elle aussi par le platonisme. Il ne reste de son œuvre que
quelques fragments. On sait par Irénée qu’il a écrit son propre évangile, l’Évangile de vérité, et
on peut déduire de ses fragments qu’il a aussi écrit de nombreuses hymnes. Ces disciples sont
Ptolémée, Héracléon, Marc le mage ("le mage" étant un sobriquet créé par les Pères de
l’Église*) et Théodote . Les grands maîtres gnostiques sélectionnés pour cette étude, égalent par
la profondeur de leur pensée, leur érudition et leur talent littéraire les plus doués des penseurs
de la Grande Église comme Origène et Saint Augustin, plus tardifs.
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Les sources
Les gnostiques nous sont connus grâce à des documents originaux issus des communautés
gnostiques et des sources secondaires constitués de témoignages rapportés sur les gnostiques.
Les sources originales dont nous servons sont extraites des traités de la bibliothèque de Nag
Hammadi, découverte en 1945 en Haute Égypte dans la région de Nag Hammadi, à 100 km
au Nord-Ouest de Louxor. Le corpus représente un ensemble de cinquante deux traités rédigés
en copte (langue des chrétiens d’Égypte), qui n’est qu’une langue de traduction car les traités
originaux étaient écrits en grec. Les manuscrits ont été copiés vers le milieu du IV siècle et ils
ont été enfouis entre la fin du IV et le début du V siècle. Les dates de rédactions originales
sont assez variées. Elles vont de la seconde moitié du I siècle pour les plus anciens à la
première moitié du IV pour les plus récents. L’identité des propriétaires de ce corpus reste
inconnue et très discutée. Ces traités étaient tenus par ceux qui les ont compilés pour des
écritures de révélations et des écritures sacrées. Les genres littéraires les plus différents se
côtoient au sein de la bibliothèque. On y trouve des Évangiles apocryphes*, des apocalypses*,
des homélies*, des prières et des hymnes. Cette découverte a permis d’apprécier pleinement la
diversité du christianisme primitif avant que le canon officiel de l’Église catholique ne vienne
l’estomper. De nombreux évangiles circulaient en effet au milieu du II siècle en plus des quatre
qui deviendront canoniques*, mais aucun, à cette époque, n’était plus important qu’un autre .
Nous avons sélectionné pour notre étude les traités que la majorité des chercheurs s’accordent
à considérer comme valentiniens ou basilidiens.
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Les sources secondaires sont constituées principalement par les traités de réfutation écrits par
les Pères de l’Église* contre les gnostiques dont le plus connu est celui d'Irénée de Lyon :
Contre les hérésies, dénonciation et réfutation de la prétendue gnose au nom menteur, écrit
entre 180 et 185. La lutte contre le gnosticisme domine en effet toute la vie théologique des
quatre premiers siècles chrétiens car ce courant représentait pour la Grande Église un rival
redoutable, non seulement parce qu’il présentait un message concurrent du sien auprès des
Tertullien, Adv. val., IV, 1. Il s’agit sans doute de la succession de Pie I en 140 (DANIELOU J., Nouvelle
histoire de l’Eglise, Tome 1, Paris, 1963, p. 130).
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Ptolémée est à l’image de son maître un des penseurs les plus brillants du II siècle. Apologiste et exégète, il est
le grand systématiseur de l’école valentinienne. Il a enseigné à partir de 160/170 à Rome. Héracléon a enseigné en
Italie sans doute à la même époque que Ptolémée. Il a écrit le premier commentaire sur l’Évangile de Jean, dont
de larges extraits nous sont parvenus grâce à la réfutation qu’en a fait Origène. Marc le Mage paraît avoir été
contemporain de ces deux condisciples. Il a enseigné en Asie, et peut-être en Gaule aux alentours de 170/180. On
ne sait rien sur Théodote, car il est resté inidentifié, même par ses contemporains. Il était sans doute contemporain
de Ptolémée et d’Héracléon, ou d’une époque un peu antérieure.
PESCE M., « Judas versus Jean, Matthieu, Marc et Luc, lecture comparée des Evangiles » dans Religions et
Histoire, n°11, 2006, p 47.
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païens cultivés, mais aussi parce qu’il la menaçait dans son existence même à cause des très
nombreuses défections chrétiennes en sa faveur. Cependant les informations des Pères de
l'Église sont souvent de seconde main : ils se contentent de recopier ce qu’un auteur précédent
à écrit. Ils sont aussi souvent très hostiles aux gnostiques chrétiens : ils n'hésitent pas à déformer
leur enseignement et à noircir leur image, les accusant systématiquement de débauche, ce que
ne confirment pas les traités de Nag Hammadi qui en donnent au contraire une image très
ascétique. Voyons à présent quelles sont les similitudes de la théologie gnostique et spirite.
La Théologie* gnostique et spirite
L’absolue bonté de Dieu
Le Dieu suprême des gnostiques se caractérise par son absolue bonté comme dans le
Spiritisme. Ainsi dans le Livre des secrets de Jean il est dit :
De par la perfection de la lumière, il est à comprendre comme lumière sans mélange, magnificence sans mesure,
éternel dispensateur d’éternité, [...] bien constamment dispensateur de bien et faiseur de bien, cela non parce qu’il
possède mais parce qu’il donne [...] .
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La transcendance divine
Il se caractérise aussi par sa transcendance. Dieu est inconnaissable pour les hommes qui ne
peuvent appréhender sa nature. Les gnostiques expriment cette impossibilité en multipliant les
prédicats négatifs pour le décrire : « Père inconnu », « inconnaissable », « Abîme », « Silence » ;
allant jusqu’à dire, comme le Basilide d’Hippolyte, que le vrai Dieu est « le Dieu qui n’est
pas . » Cette incapacité de l’homme a pouvoir connaître la nature de Dieu est aussi affirmée
dans le Spiritisme. Ainsi à la question 10 du Livre des Esprits : « L’homme peut-il comprendre
la nature intime de Dieu ? » Il est répondu : « Non ; c’est un sens qui lui manque. » Allan
Kardec ajoute : « L’infériorité des facultés de l’homme ne lui permet pas de comprendre la
nature intime de Dieu. » Cependant dans le Spiritisme si l’homme ne peut pénétrer l’essence
de Dieu, il peut par le raisonnement arriver à la connaissance de ses attributs nécessaires :
« Suprême et souveraine intelligence, Dieu est unique, éternel, immuable, immatériel, toutpuissant, souverainement juste et bon, infini dans toutes ses perfections . » De plus, même si
l'homme ne peut appréhender Dieu, il peut ressentir son amour grâce à la prière, et cette
impossibilité de saisir Dieu n’est que temporaire car lorsque l’Esprit de l’homme « ne sera plus
obscurci par la matière et que, par sa perfection, il se sera rapproché de [Dieu], alors il le verra
et il le comprendra . »
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Un Dieu outremondain et acosmique
Certains gnostiques ont poussé très loin l'absolue transcendance de Dieu en en faisant un Dieu
outremondain et acosmique* qui ne gouverne pas le monde et n’y intervient pas. Il possède
son domaine propre, le Plérôme, séparé par plusieurs cieux de la terre. Ces caractéristiques
sont plus ou moins accentuées selon les systèmes. Seul Marcion est allé jusqu’à dire que Dieu
était totalement étranger au monde. Dans les autres systèmes gnostiques la transcendance
divine est plus nuancée car même si Dieu ne gouverne pas le monde et n’y intervient pas
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ApocrJn, p. 25, 10-22.
Hippolyte, Philos., VII, 21.
KARDEC A., La Genèse, les miracles et les prédictions sur le spiritisme, Paris, éditions Philman, 2004, p 54.
KARDEC A., Livre des Esprits, question 11.
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directement, des êtres issus ou envoyés par lui comme le Christ viennent aider et éclairer les
hommes (systèmes valentiniens).
Un Dieu empli de sollicitude
Le Spiritisme ne partage pas ce point de vue concernant le caractère outremondain et
acosmique de Dieu car pour lui, Dieu, en dépit de sa transcendance, ne se désintéresse pas du
sort du monde. Il est empli de sollicitude et d'amour pour ses créatures :
Dieu est partout, il voit tout, il préside à tout, même aux plus petites choses : c’est en cela que consiste son action
providentielle .
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Dieu s’occupe de tous les êtres qu’il a créés, quelques petits qu’ils soient ; rien n’est trop peu pour sa bonté .
Dieu aide ses enfants à évoluer par différents moyens. Par l’envoi de missionnés divins aux
hommes tout d’abord, appelés prophètes, qui sont des Esprits supérieurs ou des purs Esprits,
qui s’incarnent par amour sur une planète inférieure pour apporter une révélation divine aux
hommes. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’incarnation du Christ, Pur Esprit, dont la mission
était de réformer le judaïsme par la loi d’amour et de charité. La sollicitude divine se manifeste
aussi par l’attribution à chaque être humain et à chaque collectivité humaine, d’Esprits
protecteurs d'un ordre supérieur, chargés de les protéger et d'aider à leur évolution : les guides
spirituels pour les individus, des Purs Esprits pour diriger l’évolution de planètes entières (le
Christ pour la terre). Dieu autorise aussi les différentes révélations scientifiques qui ont lieu
afin d’aider les hommes à progresser et améliorer leur condition de vie. Elles sont inspirées
par des Esprits supérieurs qui puisent leur connaissance à la source divine.
Rien ne peut s’élever sans le secours de Dieu
Les gnostiques considèrent que seul Dieu peut franchir la distance qui le sépare des hommes
car rien de ce qui est dans le monde ne peut s’élever au-dessus de lui sans le secours du divin.
Le Spiritisme va dans le même sens. L’homme ne peut s’élever sans le secours de Dieu et de
ses mandataires, les Bons Esprits. Par exemple les Esprits imparfaits incarnés sur terre ne
peuvent accéder momentanément à des plans fluidiques supérieurs et à des états de conscience
supérieurs que grâce à l’aide divine qui se manifeste par l’intervention des Esprits supérieurs.
La Cosmologie* gnostique et spirite
La création du monde
La cosmologie gnostique, très influencée par la culture antique, est extrêmement compliquée
Pour expliquer la création de l’univers les gnostiques ont recours a un mythe de chute originaire
complexe qui a pour principale conséquence l’affirmation que Dieu n’est pas le créateur du
monde, la fonction créatrice échouant à un Dieu inférieur, identifié au Dieu de l’Ancien
Testament .
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KARDEC A., G, p 55.
KARDEC A., LE , Q 963.
Les gnostiques estimaient en effet qu’un Dieu aussi mesquin que celui qui était présenté dans la Bible et qui avait
donné une révélation aussi imparfaite que celle de l’Ancien Testament, ne pouvait être le même que celui dont
avait parlé le Christ. Il ne pouvait être qu’un Dieu inférieur, un ange subalterne. Le véritable Dieu, lui, était resté
inconnu jusqu’à la venue du Christ, son fils, qu’il avait envoyé dans le monde afin de révéler son existence aux
hommes.
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Le Spiritisme ne partage pas cette opinion car il considère que Dieu est le créateur de l’univers
même si nous ignorons les processus exacts de la création : « Dieu est la cause première de
toutes choses, le point de départ de tout, le pivot sur lequel repose l’édifice de la création . »
Dans certains systèmes gnostiques cependant Dieu n'est pas aussi étranger à la création du
monde. Ainsi dans le système de Basilide présenté par Hippolyte, Dieu, qui est appelé le "Dieu
qui n'est pas", est à l'origine du germe de l'univers. Dans ce récit l’univers a été créé à partir d’un
germe unique qui contenait en lui-même absolument tous les êtres qui se sont développés plus
tard. Lisons plutôt :
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[…] Le Dieu qui n’est pas […] voulut faire le monde. Et le monde n’est pas le monde qui a été créé plus tard avec
sa grandeur et ses divisions et qui s’étend dans l’espace, mais le germe (cosmique ou universel) du monde. Ce
germe contenait en lui-même toutes choses, comme le grain de sénevé, dans son tout petit volume, rassemble et
contient tout à la fois, les racines, le tronc, les branches, les innombrables feuilles, les grains que produira la plante
et qui seront autant de germes pour des générations successives de plantes. […] Ainsi le Dieu qui n’est pas a fait le
monde […] en déposant et mettant à la base un germe unique qui contenait lui-même tous les germes du monde. »
Ce récit de la création universelle peut être rapproché des explications données dans La
Genèse, les miracles et les prédictions selon le Spiritisme d’Allan Kardec. Il y est expliqué que
l’univers a été créé à partir de la matière cosmique primitive qui renferme les éléments
matériels, fluidiques et vitaux de tous les univers. Cette matière cosmique primitive est la
génératrice éternelle qui donne incessamment le jour à de nouvelles créations. Elle est revêtue
du principe vital universel qui forme des générations spontanées sur chaque monde à mesure
que se manifestent les conditions de l’existence successive des êtres . On retrouve ici l’idée que
l’univers a été créé à partir d’une substance issue de Dieu qui contient en elle tous les éléments
nécessaires à l’éclosion des mondes et de la vie. Basilide utilise le terme « germe » en lien avec
la culture antique (philosophie aristotélicienne) et non celui de matière cosmique et
l’explication qu’il donne est très simplifiée, mais elle est très proche de celle avancée par le
Spiritisme. Une explication similaire est aussi donnée à la question 44 du Livre des Esprits à
propos de l’apparition des êtres vivants sur la terre, où le terme « germe » est utilisé :
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D’où sont venus les êtres vivants sur la terre ? La terre en renfermait les germes qui attendaient le moment
favorable pour se développer. Les principes organiques se rassemblèrent dès que cessa la force qui les tenait
écarter, et ils formèrent les germes de tous les êtres vivants. Les germes restèrent à l’état latent et inerte, comme la
chrysalide et les graines des plantes jusqu’au moment propice pour l’éclosion de chaque espèce : alors, les êtres de
chaque espèce se rassemblèrent et se multiplièrent.
L’anticosmisme
Dans le gnosticisme le recours a un mythe de chute pour expliquer la création du monde a
pour principale conséquence un profond anticosmisme, c’est-à-dire une très forte dévaluation
du monde. À telle enseigne que le monde est considéré comme étant issu de l’ignorance et la
matière comme étant de l’ignorance matérialisée. Cette dévalorisation peut aller jusqu’à une
assimilation du monde au mal. En conséquence la matière est conçue comme opposée à Dieu
et le corps est toujours profondément dévalué, quand il n’est pas tout simplement rejeté. Il est
au mieux considéré comme un vêtement, au pire comme un cadavre, un tombeau, ou un
cachot dans lequel l’âme se cogne et suffoque. Ainsi dans l'Évangile selon Philippe il est écrit :
« Il en est de même de l’âme. Elle est un objet précieux, elle s’est retrouvée dans un corps
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15
KARDEC A., G, p. 48.
Ibid., p. 103-105.
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méprisable . » Dans les Extraits de Théodote on trouve l’affirmation suivante : « […] car nous
sommes morts, nous que l’existence ici-bas à introduits à un état de mort . »
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Le Spiritisme ne partage pas cet anticosmisme. La terre, pas plus que le corps ne sont dévalués
car ils sont des créations divines. Le corps en particulier est considéré comme un présent divin,
un vase sacré, qui doit permettre aux Esprits qui s'incarnent d'évoluer. Son élaboration est le
résultat d'un processus spirituel et matériel extrêmement complexe dirigé par des Esprits
supérieurs . Chacun a le devoir de prendre soin de son corps par une hygiène de vie correcte
afin de ne pas compromettre la durée de son incarnation terrestre. Le corps est donc considéré
de manière positive comme un instrument qui permet à l’esprit d'évoluer et non comme une
entrave à l’évolution de l’Esprit. Certains gnostiques, néanmoins, considéraient aussi que
l'incarnation sur terre était une nécessité pour faire évoluer le principe divin qu'ils portaient en
eux, ce qui témoigne d’une moindre dévalorisation du monde et se rapproche de la conception
spirite de l’incarnation.
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L’anthropologie* gnostique et spirite
La composition tripartite de l’homme
Pour les valentiniens l’homme est composé de trois éléments : l’élément hylique, l’élément
psychique et l’élément pneumatique. L’élément hylique est l’élément charnel perceptible aux
sens, c’est-à-dire le corps matériel. L’élément psychique est l’élément immatériel dont est
constituée l’âme. Il correspond au « souffle de vie » que Dieu dans l’Ancien Testament insuffle
dans l’homme afin qu’il puisse se mouvoir . L’élément pneumatique est l’élément provenant de
la divinité, qui se trouve enfermé dans le monde. Il est aussi appelé « étincelle divine »,
« pneuma », « esprit ». Il réside dans l’âme où il est porté comme dans une sorte de sein. On
reconnaîtra ici sans peine la constitution tripartite de l'homme telle qu'elle est décrite dans le
Spiritisme. L'élément hylique correspond au corps, l'élément psychique correspond au périsprit
et l'élément pneumatique à l'Esprit. Ce qui est une exemple étonnant de similitude avec le
spiritisme. Néanmoins pour les valentiniens il semblerait que seuls les deux premiers éléments
soient communs à tous les hommes. Seuls quelques privilégiés possèderaient l'étincelle divine
qui constituerait leur véritable moi, leur être essentiel. Sa présence dans le monde étant
expliqué par un mythe de chute originel. Ceux qui possèdent cette étincelle divine tombée du
divin sont ceux qui ont reçu la gnose et qui en conséquence connaissent le véritable Dieu et
suivent la véritable religion, celle du Christ. Ils forment la seule véritable Église, l’Église des
spirituels. Il est difficile de savoir si les systèmes valentiniens professaient réellement une telle
discrimination, mais en tout cas elle ne se retrouve pas dans le Spiritisme qui considère que
tous les Esprits possèdent en eux une étincelle d'émanation divine quelque soit leur niveau
d’évolution.
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Nous étudierons dans la seconde partie de cet article, les similitudes de la christologie gnostique
avec la conception spirite du Christ, ainsi que la croyance des gnostiques en la transmigration
des âmes et en la nécessité de l’incarnation et de la souffrance pour l’évolution de l’Esprit.
EvPhil, 58, 24-26
Exth 22, 2 .
Consulter à ce sujet, Le Journal d’Etudes Spirites Gabriel Delanne n°1, Périsprit, force vitale, corps, Une triade
nécessaire à la vie terrestre de l’Esprit, 2005. Ce journal peut être consulté sur le site de l’Institut Amélie Boudet :
http://institutamelieboudet.free.fr .
Genèse 2, 7 : « Alors Yahweh Dieu forma l’homme de la poussière du sol et insuffla dans ses narines un souffle
de vie et l’homme devint un être vivant. »
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Glossaire :
Acosmique : En dehors de l’univers
Anthropologie : Conception de l’homme.
Apocalypse : Écrit qui prétend connaître les secrets de la fin des temps et dont le contenu a
été révélé par une vision.
Christologie : Étude de la personne et des paroles du Christ.
Cosmologie : Doctrine sur l’organisation des différentes parties du monde
Évangile apocryphe : Écrit chrétien que l’Eglise catholique n’a pas retenu dans le canon,
c’est-à-dire dans la liste des ouvrages inspirés par Dieu. Le canon se fixe à partir du IV siècle.
Évangile canonique : textes reconnus par les autorités de l’Eglise comme inspirés par Dieu.
Ils forment les quatre premiers livres du Nouveau Testament : Évangile selon Matthieu,
Évangile selon marc, Évangile selon Luc, Évangile selon Jean.
Éxégèse : Interprétation des textes sacrés
Hérésie : Doctrine condamnée par l’Eglise catholique comme rompant les dogmes.
Homélie : Commentaire d’un passage de la Bible destiné à être prononcé devant une
assemblée.
Orthodoxie : Ensemble des doctrines considérées comme vraies par l’Église catholique.
Plérôme : Terme tiré du vocabulaire paulinien et johannique qui signifie plénitude, c’est-à-dire
perfection.
Pères de l’Église : Premiers théologiens catholiques dont les écrits sont considérés comme
déterminants dans la fixation de l’orthodoxie catholique.
Théologie : Étude de Dieu.
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Pour aller plus loin :
HIPPOLYTE DE ROME, Philosophoumena ou Réfutation de toutes les hérésies, 2 vol.,
Première traduction française avec introduction et notes de A. SIOUVILLE, éd. Rieder, Paris,
1928.
IRÉNÉE de LYON, Contre les hérésies, Dénonciation et réfutation de la prétendue gnose au
nom menteur, 2° éd., Paris, 1984.
JONAS H., The gnostic religion, Boston, 1958 ; éd. franç. : La religion gnostique, Traduit de
l’anglais par L. EVRARD, Paris, 1978.
KARDEC A., Le Livre des Esprits, Paris, éditions Philman, 2000.
KARDEC A., La Genèse, les miracles et les prédictions sur le spiritisme, Paris, éditions
Philman, 2004.
L’Évangile de Judas, Religions et Histoire, n°11, 2006, p. 52.
Les manuscrits de Nag Hammadi, Les dossiers d’archéologie, n° 236, 1998.
PETREMENT S., Le Dieu séparé, Paris, Cerf, 1984.
SCOPELLO M., Les gnostiques, Paris, 1991.
SIMON C., MARAVAM P., Le Christianisme, des origines à Constantin, Paris, Nouvelle Clio,
2006.
Institut Amélie Boudet de Recherche et d’Enseignement spirite.
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