La réflexivité et le dégagement du concept de phénomène chez

MOSAÏQUE, revue de jeunes chercheurs en SHS – Lille Nord de France – Belgique – n° 8, juin 2013
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Florian F
ORESTIER
La réflexivité et le dégagement du concept de
phénomène chez Husserl. Le transcendantal et
son usage
Notice biographique
Docteur en philosophie, Florian Forestier est membre titulaire du Centre
d’études de la philosophie classique allemande et de sa postéri (CEPCAP, Paris IV),
et chercheur assoc au Centre Prospéro – Langage, image et connaissance de
l’Université Saint-Louis – Bruxelles. Il est actuellement conservateur chargé de
collection à la Bibliotque nationale de France (département litrature et art).
Sa thèse, dirigée par Alexander Schnell et soutenue en 2011, était consace
aux fondements spéculatifs de la pnonologie.
Résumé
Il s’agit dans cet article de détailler les étapes à travers lesquelles passe Husserl
pour élaborer un concept nouveau de phénone, en montrant en particulier
comment une série de distinctions que nous exposons le guide vers cette
thématisation. Il s’agit alors de souligner l’importance de la dimension réflexive
dans ce dégagement. En insistant sur la dimension flexive du processus par
lequel se dégagent les principaux concepts de la phénonologie, nous
interrogeons les motivations du tournant transcendantal. Nous nous
interrogeons pour finir sur un usage plus flexible du transcendantal au sein
même de la praxis pnonologique.
Abstract
In this article we detail the stages through which Husserl develops a new
concept of phenomenon, showing in particular how a series of distinctions that
we present guides him in this work. We emphasize then the importance of
reflexivity in this elaboration. In emphasizing the reflective dimension of the
process through which emerge the main concepts of phenomenology, we
question the motivations of the transcendental turn. We wonder on a more
flexible use of the transcendental within the phenomenological praxis.
Mots-clés : phenomenologie, transcendental, phénomène, flexivité,
connaissance.
Keywords : Phenomenology, Transcendantal, Phenomenon, Reflexivity,
Knowledge.
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Introduction
Le débat sur les motivations du tournant transcendantal
de Husserl, et sur le processus qui y a conduit, est ancien. Les
études sur le réseau problématique au sein duquel la nécessité
s’est imposée à Husserl de développer positivement et pour
elle-même la phénoménologie comme une approche
absolument nouvelle sont elles-mêmes abondantes. Des travaux
détaillés (L
AVIGNE
2005, B
ENOIST
1997, 2001a et 2001b, E
NGLISH
2006) ont en effet montque la mise au point par Husserl des
concepts de la phénoménologie a été le fruit d’un itinéraire long
et sinueux. En particulier, l'éclaircissement du concept de
phénomène et sa constitution comme terrain d'étude et
d'analyse n'ont pas été immédiats. Cette détermination progres-
sive s'est faite à travers la rencontre de difficultés qui ont obligé
Husserl à reconnaître, entre la subjectivité et l'objectivité, la
persistance d'une zone (ou d'un milieu) interstitiel, qui
conditionne l'accès à l'objectivité sans s'assimiler à elle, qu'il
fallait tenter de caractériser pour elle-même.
Nous poursuivons ici un double but. Il s’agit d’abord de
détailler les étapes à travers lesquelles passe Husserl pour en
venir à élaborer le concept de phénomène, en montrant en
particulier comment une rie de distinctions que nous
exposerons le guide vers cette thématisation. Il s’agit également
de souligner l’importance de la dimension réflexive dans ce
dégagement. Les concepts phénoménologiques se forment
moins en effet de façon directe que de façon réflexive : non
donc, comme des objets sur lesquels on pourrait immédia-
tement statuer, mais comme des dimensions problématiques
dont le statut positif reste à élaborer. La question de la
signification est exemplaire de cet état de fait. Elle permet en
effet d’introduire les deux thèmes capitaux que sont l’eidétique
et le sens, autrement dit la question de la structuration du
donné attestable à me sa donation qu’entend déchiffrer
l’eidétique, et celle de la structure de l’en-tant-que décrite par le
concept de sens. Comme nous le montrerons, ni le sens ni
l’eidétique ne sont introduits par Husserl comme des entités
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intermédiaires ; ils sont au contraire thématisés d’abord comme
milieux, lesquels motivent une série de distinctions.
En insistant sur la dimension réflexive du processus par
lequel se dégagent ces concepts, nous entendons interroger les
motivations du tournant transcendantal. Nous soutiendrons
que celui-ci procède d’une volon d’éclaircissement du sens
des opérations phénoménologiques. La phénoménologie entend
se réapproprier son discours ; le tournant transcendantal
implique ainsi l’élaboration d’un plan qui lui est spécifique. Il
pose une fois pour toute la distance du phénoménologique à
l’expérience et dévoile le phénoménologique comme dimension
spécifique. L’idéalisme phénoménologique, ainsi, ne relève pas
d’abord d’un conditionnement transcendantal assujettissant le
donné aux opérations pré-fixées d’un sujet transcendantal, mais
d’un changement d’orientation faisant de la phénoménali(de
l’articulation intrinsèque du phénomène en ce qui fait de lui le
phénomène de quelque chose) son nouveau lieu d’exercice.
En cela, conclurons-nous, c’est moins le tournant
transcendantal en tant que tel que l’interptation que propose
Husserl du transcendantal qui peut être contestée. Si la perspective
transcendantale est bien en germe dans le processus flexif par
lequel Husserl dégage peu à peu les concepts et opérations de la
phénoménologie naissante, la structure transcendantale choisie
ne paraît pas elle-même exigée par ce mouvement. Chez Husserl
en effet, le modèle flexif se double d’un modèle de variation de
paramètres inspiré de la pratique mathématicienne, et qu’on
peut en particulier rapprocher de la méthode de F. Klein pour le
Programme d’Erlangen (cf. pour cela V
UILLEMIN
, 1993). On sait
que Husserl était fasci par les développements mathé-
matiques liés au Programme d’Erlangen, à la théorie des
multiplicités de Riemann et au Programme de Hilbert et plus
généralement à un certain type de structures mathématiques
que Bourbaki isolera plus tard comme « structures algébriques ».
Nous montrerons ainsi que le transcendantal nait bien
d’une réflexion motivée par l’eidétique, mais qu’il outrepasse et
relativise le champ de l’eidétique, même systématisé. Nous
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nous interrogerons alors sur un usage plus flexible du
transcendantal au sein de la praxis phénoménologique.
1. L'idéalité de la signification : les germes de l’eidétique et les
germes de la question du sens
1.1. L’énigme de la signification
Dans les Recherches Logiques, la signification est d'abord
le nom d'un problème. Elle n'est pas un contenu mais la façon dont
l'intentionnalité s'élève à la généralité. La phénoménologie
naissante rencontre l'énigme de la signification comme énigme de
la capacité à s'élever à la générali
1
, de viser les objets en
général, ce qui implique de décrire les règles de la visée
générale elle-même, règles qui, et Husserl le montre en détail
dans la RL IV, ne sont pas les règles de l'objectivité.
Dans la RL I, Husserl caractérise l’inhérence de l’idéalité
de signification à l’acte comme l’instanciation d’une essence, sans
que le statut de cette essence ne soit précisé. Le terme
d'instanciation signale que l'idéalité n'est pas inscrite dans l'acte.
La signification caractérise plutôt une classe d’actes (par exemple
la classe des actes qui visent le nombre 4, ou la classe des actes
qui visent le rouge). À ce titre, la seule chose qui autorise à
parler de signification est l'évidence que des actes multiples
peuvent bel et bien viser une même chose, ou encore, que ce
que nous pensons, et disons, dans certains cas, ne dépend pas
de l'acte contingent au sein duquel nous le pensons. Nous
disons la même chose chaque fois que nous disons que « pi est
un nombre transcendant », car nous nous comprenons lorsque
nous le disons, et nous comprenons aussi chaque fois la même
chose. Pour autant, la façon dont chacun des actes intentionnels
exprime cette mêmeté de la signification demeure mystérieuse.
Husserl utilise comme analogie la façon dont chaque chose
rouge que je vois est bien à chaque fois rouge, sans que le rouge
1
Mais pas seulement, puisque, comme le rappelle instamment Husserl
(H
USSERL
, 1963), la signification peut viser aussi bien lenéral que le singulier.
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ne puisse être séparé de ses occurrences (ce que la tradition
analytique pose comme le problème des particuliers abstraits).
On remarquera cependant que l’analogie pose peut-être plus de
problèmes qu’elle n’en résout : il existe différentes nuances de
rouges, et Husserl n’aborde pas encore la question de savoir s’il
peut y avoir différentes nuances d’une même signification !
Il a souvent été souligné que le modèle selon lequel
Husserl pense la signification est également fortement influencé
par les développements mathématiques de la seconde partie du
XIX
e
siècle. Il s’agit en effet, sur ce modèle, de considérer
l’ensemble des variations ne modifiant pas l’organisation
d’ensemble d’une structure. De la même façon, les travaux de
Klein en géométrie projective visaient à étudier l’ensemble des
transformations qu’un objet mathématique pouvait subir sans
changer de nature. Par le Programme d’Erlangen en effet, Klein
entend ancrer la géométrie dans la théorie des groupes, cela en
plaçant le concept de symétrie (ou de transformation) au centre
de la géométrie. Cette conception en termes de groupes sera
déterminante pour la façon dont Husserl thématisera le concept
d’ego transcendantal (cf. E
NGLISH
2006).
1.2. Le rapport problématique de la signification au vécu
Le statut de l’idéali de la signification est ainsi
problématique. Elle n’est pas incluse dans le cu, mais se laisse
lire a posteriori, selon la légalité objective auquel l’acte donne
acs, comme une sorte d'idéal normatif que le philosophe est
obligé d'introduires lors qu'il veut parler, donc, caractériser, les
cus liés aux vies d'objet en question. Elle est, selon J. Benoist
(B
ENOIST
, 1998),
d’abord opératoire dans la mesure où l’on ne peut
la saisir indépendamment de l’acte lui-même. La dimension du
sens n’est pas, autrement dit, parable de la dimension d’acte,
lequel acte est toujours prestataire d’accès à un certain type
d’objet, qu’il s’agisse d’un objet assujetti à une ontologie
matérielle ou à l’objet en tant qu’objet en général. Si Husserl
l'assimile dans un premier temps à une espèce, c'est-dire une
forme d'objet général qu'il sitera longtemps à considérer
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