Mesure de température par pyroréflectométrie à courte longueur d’onde « Application aux wafers Silicium » Nicolas RAMBURE1*, David RAMEL2, Philippe HERVÉ1 1 Laboratoire d’Énergétique et d’Économie d’Énergie, Université Paris 10 50 rue de Sèvre, 92410 Ville d’Avray. 2 FEMTO-ST, 2 avenue Jean Moulin 90000 Belfort * (auteur correspondant : [email protected]) Résumé - La maîtrise de la température de la totalité de la surface d’un wafer en silicium est essentielle lors du dépôt des couches minces pour la fabrication de composants électroniques. Nous avons mise en œuvre une méthode permettant de contrôler l’homogénéité de la température d’un wafer lors d’un processus UHV-CVD. Nous combinons les avantages de la pyrométrie à courte longueur d’onde à ceux d’une estimation du facteur d’émission par réflectométrie. Nous montrerons que nous obtenons une concordance meilleure que 0,5% entre des températures ponctuelles données par des thermocouples étalonnés et le champ de températures obtenu par notre méthode non intrusive. Nomenclature T C1 C2 L° K(λ) température, K 1,191.108 W m-2 µm-1 sr-1 14388 µm K Luminance du corps noir Constante d’étalonnage Symboles grec ε (' λ ,T ,θ ) Emissivité directionnelle spectrale ρ ('∩λ ,T ,θ ) Réflectivité directionnelle hémisphérique spectrale 1. Introduction Le contrôle précis de la température d’un substrat est l’un des facteurs clés pour la qualité d’un dépôt sous vide. Les méthodes traditionnelles pour la mesure de la température comme l’utilisation des thermocouples ou la mesure de résistivité, fournissent une mesure relativement fiable de la température mais présentent plusieurs inconvénients : nécessité d’avoir un bon contact thermique avec le wafer, caractère intrusif créant une zone froide sur le substrat et risque de contamination du dépôt aux températures élevées. De tels procédés ne permettent pas de contrôler l’uniformité de la température pour de grands diamètres de wafer. Les méthodes optiques ont été fréquemment utilisées pour mesurer la température [1]. Par exemple, la pyrométrie monochromatique, répond aux problèmes des méthodes cités auparavant car elle est sans contact, donc non-intrusive et permet de déterminer des champs de températures sur une grande surface par thermographie. Cependant, cette méthode est très sensible au facteur d’émission de la surface étudiée qui varie de façon importante pendant le procédé de fabrication. Cela crée une ambigüité sur la détermination de la température très problématique. Des méthodes utilisant des rapports de luminances monochromatiques avec deux ou plusieurs longueurs d’onde (pyromètres bi ou poly-chromatiques) [2], essaient de s’affranchir du facteur d’émission en faisant une hypothèse sur sa variation en fonction de la longueur d’onde. Hypothèse qui n’a plus de sens quand l’émissivité change. Il est donc nécessaire d’estimer le facteur d’émission au cours de la fabrication. Pour répondre à ce problème, nous avons choisi la pyroréflectométrie à courte longueur d’onde. Cette méthode combine les avantages de la pyrométrie monochromatique à courtes longueurs d’ondes, qui limite la sensibilité de la méthode aux variations du facteur d’émission [3], à ceux de la pyroréflectométrie qui permet l’estimation du facteur d’émission par réflectométrie [4]. Nous appliquerons cette méthode à différents échantillons optiquement polis (wafers Si et Inox) et montrerons que nous obtenons une concordance meilleure que 0,5% entre les températures de thermocouples étalonnés et celles déterminées par notre méthode entre 400°C et 600°C. 2. Méthode optique 2.1. Pyrométrie monochromatique La pyrométrie monochromatique est basée sur l’égalisation entre la luminance émise par un échantillon à la température vraie T (dont le facteur d’émission est considéré égal à l’unité) et celle émise par un corps noir porté à la température TL (température de luminance). Ces deux surfaces présentent donc la même énergie rayonnée pour des conditions de mesures identiques (angle solide, longueur d’onde, surface visée…) de telle sorte que : Léchantillon = ε (' λ ,T ,θ ) ⋅ L°( λ ,T ) = L°( λ ,TL ) (1) En pyrométrie on utilise l’approximation de Wien lorsque le critère λT ≤ 3000µmK est vérifié. L°( λ ,T ) est alors définie par : L°( λ ,T ) = C1 ⋅ λ −5 ⋅ e − C2 λ ⋅T (2) Cette approximation, permet d’exprimer simplement la relation entre la température vraie d’une surface T et la température de luminance TL représentative de la limite inférieure de la valeur réelle de la température. 1 1 λ − = ⋅ ln ε (' λ ,T ,θ ) T TL C2 ( ) (3) Au lieu de prendre l’hypothèse du corps noir (ε=1) pour l’émissivité du matériau, il est possible de postuler une valeur a priori du facteur d’émission de l’échantillon à la longueur d’onde de mesure. La température T dépend de la connaissance de l’émissivité et l’erreur relative commise sur la température s’exprime alors sous la forme : ΔT Rλ Δε = ⋅ T C3 ε avec : Rλ = (4) 2898 C2 λ ; C3 = et λm = λm λm ⋅ T T Indépendamment de l’erreur due à l’émissivité directionnelle spectrale, on peut souligner que l’erreur commise sur la température diminue lorsque la longueur d’onde de mesure se déplace vers les courtes longueurs d’onde. Le fait de travailler à une longueur d’onde réduite permet donc d’avoir une incertitude importante sur le facteur d’émission sans pour autant engendrer une erreur importante sur la température comme le montre la Figure 1. 2 1,6 1,4 1,2 10% 1 0,9 0,8 0,7 0,6 Δε/ε 0,5 9% 0,4 8% ΔT/T 7% 6% 0,3 5% 4% 0,2 3% 2% 0,1 1% 0% 0 0,2 0,4 Rλ 0,6 0,8 1 Figure 1: Erreur relative entre la température vraie et la température mesurée en fonction de Rλ pour différentes valeurs de Δε/ε Ex : Pour Δε ε = 1 (soit une émissivité estimée à 100% près) et Rλ = 0, 2 (soit pour une température de 600K, une longueur d’onde de mesure de 0,97µm), ΔT = 4% on obtient T Le problème majeur de cette méthode est d’avoir suffisamment d’énergie convertie en signal utile par le détecteur pour que le rapport signal sur bruit (SNR) soit assez important. Un compromis entre la longueur d’onde de mesure, la bande passante du filtre et le choix du détecteur doit être fait. 2.2. Pyroréflectométrie Le choix optimum du domaine spectral permet d’opérer dans une région où la sensibilité de l’émissivité est moindre pour la détermination de la température mais on peut améliorer la précision en estimant l’émissivité par une mesure simultanée. C’est le principe de la méthode en pyroréflectométrie. Pour les matériaux opaques, nous pouvons relier l’émissivité ε (' λ ,T ,θ ) à la réflectivité ρ ('∩λ ,T ,θ ) par la relation : ε (' λ ,T ,θ ) = 1 − ρ ('∩λ ,T ,θ ) (5) La mesure de ρ ('∩λ ,T ,θ ) est difficile car il faudrait mesurer le flux réfléchi par le matériau dans tout le demi-hémisphère. Cependant, il existe un cas favorable où la mesure de ρ ('∩λ ,T ,θ ) est simple ; si la surface est parfaitement spéculaire. On a alors : ρ ('∩λ ,T ,θ ) = ρ (''λ ,T ,θ ,θ i r (6) ) Les wafers qui présentent des surfaces parfaitement polies sont donc dans ce cas. De fait, une seule mesure de ρ (''λ ,T ,θi ,θr ) est suffisante pour estimer ε (' λ ,T ,θ ) . Pour déterminer ρ (''λ ,T ,θi ,θr ) quelle que soit la température de l’échantillon, nous utilisons une source connue L1 se réfléchissant spéculairement (θi=θr=θ) à la surface de l’échantillon. En la combinant à la luminance émise par l’échantillon ( L2 ) à l’angle θ et à la luminance émise et réfléchie par l’échantillon ( L3 ) au même angle θ lorsque la source est allumée ; nous obtenons l’équation (11). ( L1 = K ( λ ) ⋅ L°( λ ,Tsource ) (7) L2 = K ( λ ) ⋅ ε (' λ ,T ,θ ) ⋅ L°( λ ,Téchantillon ) (8) L3 = K ( λ ) ⋅ ε (' λ ,T ,θ ) ⋅ L°( λ ,Téchantillon ) + ρ (''λ ,T ,θi ,θr ) ⋅ L°( λ ,Tsource ) ) (9) ρ(''λ ,T ,θ ,θ ) = (1 − ε (' λ ,T ,θ ) ) = i r L3 − L2 L1 (10) Avec l’approximation de Wien la température est égale à : T =− C2 λ 1 ⎛ ⎛ L − L2 ⎞ ⎞ ln ( L2 ) − ln ⎜⎜ K ( λ ) ⋅ C1 ⋅ λ −5 ⋅ ⎜1 − 3 ⎟⎟ L1 ⎠ ⎟⎠ ⎝ ⎝ (11) A partir de mesures de luminances simulées puis bruitées, nous avons recalculé la température avec l’équation (11) en utilisant une méthode de Monte-Carlo. Pour simuler les perturbations reçues par notre système de mesure, nous avons considéré un bruit blanc gaussien. La Figure 2 représente l’erreur sur la restitution de la température en fonction de la longueur d’onde de mesure et de l’émissivité du matériau. Pour cette simulation la source L1 est un corps noir à 1600K et les différentes luminances sont bruitées à 2%. Figure 2: Erreur relative sur la température en fonction de la longueur d’onde de mesure et de l’émissivité du matériau pour une erreur de 2% sur les luminances à une température de 900K. Cette figure, nous montre que l’erreur commisse sur la température est très faible (ΔT/T <1%) pour la majorité des couples longueur d’onde/émissivité ce qui est l’intérêt majeur de cette méthode. Lorsque l’émissivité est très faible l’erreur augmente fortement. Cela est dû à la sensibilité importante de l’émissivité estimée au bruit de la luminance réfléchie par l’échantillon. Comme nous l’avons déjà montré pour la pyrométrie monochromatique, plus la longueur d’onde est courte plus l’erreur est faible. La méthode de mesure ne dépend pas de l’angle de visé. Cependant aux angles rasants ( θ > 80° ) l’émissivité décroit fortement ce qui augmente l’erreur sur la température. 3. Validation de la méthode 3.1. Montage expérimental Le principe général du montage expérimental employé pour valider la technique est présenté dans la Figure 3. L’échantillon est chauffé à l’aide d’un bloc de cuivre régulé en température. Nous mesurons la température de l’échantillon avec un thermocouple type K soudé en surface. La chaine d’acquisition de la température a préalablement été étalonnée pour différents points de fusion de corps purs dans la gamme de température étudiée. Une caméra Silicium refroidie à l’azote liquide est utilisée comme détecteur. La caméra est munie d’un objectif photographique de focale 50mm et d’un filtre passe bande (0,7-0,95µm) permettant de travailler en lumière visible et de ne pas être gêné par la transmission du Silicium. La caméra a été étalonnée avec un corps noir (ε=0,99) entre 500K et 1000K. La température du corps noir a été mesurée par la même chaine de mesure que celle utilisée pour la mesure de la température de l’échantillon. La source permettant la détermination du facteur de réflexion est une lampe halogène munie d’un obturateur et d’un diffuseur en opaline. Afin de connaître avec précision la luminance émise par la source, nous remplaçons l’échantillon par un miroir en Argent de réflectivité connue. Tous les éléments sont placés dans une enceinte sous atmosphère d’Argon afin d’éviter l’oxydation de l’échantillon. Diffuseur en opaline Source halogène 150W (0,3µm‐2,5µm) Enceinte sous atmosphère d’argon Echantillon Bloc de cuivre Obturateur θ θ objectif photo NIKON 50mm translation Régulation PID. (thermocouple type K) Miroir en Argent (référence) Filtre passe bande 0,7µm‐0,95µm Plan de mesure Caméra Princeton Instruments Si (0,3µm – 1,1µm) Figure 3 : Schéma du dispositif expérimental 3.2. Validation de la mesure de température Pour valider la méthode, nous avons étudié un échantillon d’acier inoxydable 316L poli entre 650K et 850K, pour lequel, nous comparons la mesure du thermocouple de surface à la température obtenue par la méthode optique. Pour limiter les erreurs dues aux fuites thermiques du thermocouple, nous faisons coïncider la zone de mesure par voie optique à celle du thermocouple. Nous constatons dans le Tableau 1 une très bonne concordance entre la température mesurée par thermocouple et par voie optique (écart <0,5%), ce qui valide la méthode. Les incertitudes sur la température déterminées par pyroréflectométrie sont estimées par la méthode de Monte-Carlo en introduisant dans notre modèle les bruits expérimentaux de chaque luminance. L’émissivité évaluée par réflectométrie est cohérente avec la variation linéaire de l’émissivité en fonction de la température prédite par la loi de Hagen-Rubens. Thermocouple soudé en surface K 667,5 +/- 0,1 695,6 +/- 0,1 727,8 +/- 0,1 752,5 +/- 0,1 775,5 +/- 0,1 797,9 +/- 0,1 822,8 +/- 0,1 847,6 +/- 0,1 Température calculé par pyroréflectométrie K 670,4 +/- 1,5 696,7 +/- 1,0 728,7 +/- 0,9 752,6 +/- 0,9 775,6 +/- 0,9 796,3 +/- 0,7 820,1 +/- 0,6 847,5 +/- 0,3 Ecart relatif Pyro/Therm -0,43% -0,16% -0,12% -0,01% -0,01% 0,20% 0,33% 0,01% Emissivité calculée 0,286 0,319 0,316 0,319 0,323 0,345 0,363 0,355 Tableau 1 : Comparaisons entre les températures du thermocouple et de la pyroréflectométrie 4. Application au Wafer Nous avons réalisé sur notre banc d’essai une mesure de température pour un wafer en Silicium (ε=0,6) et un wafer en Silicium avec en surface une couche d’oxyde de Silicium (SiO2) de 2000Å (ε=0,89) afin de vérifier que l’émissivité du matériau n’a pas d’influence sur la détermination de la température par voie optique. Nous comparons ensuite la température de consigne du bloc de cuivre à la température déterminée par pyroréflectométrie car il nous a été impossible de coller ou souder un thermocouple sur la surface des échantillons. Nous observons (Figure 4) un écart de température dû en partie à la résistance de contact entre l’échantillon et le bloc de cuivre. Néanmoins nous obtenons une concordance meilleure que 1% entre les deux températures. 673 Température de consigne en K 693 713 733 753 773 Ecart de température en K 0 -1 -2 -3 -4 Si Si + SiO2 de 2000Å -5 -6 Figure 4 : Ecart de température entre le thermocouple et la pyroréfléctométrie en fonction de la température de consigne pour différents échantillons 5. Conclusion et perspectives Les résultats obtenus dans cet article démontrent le potentiel de la méthode par pyroréflectométrie courte longueur d’onde pour déterminer la température de surface des wafers en Si ainsi que pour caractériser les modifications des propriétés optiques de surface. En effet, nous avons obtenu dans le cas le plus défavorable un écart relatif en température de 0,8% entre les mesures optiques et les mesures intrusives. Cette précision étant applicable à l’ensemble de la surface de l’échantillon étudié, cette méthode est donc un moyen de mesure précis, sans contact et en deux dimensions applicable dans le cadre de la production de wafers. Néanmoins son utilisation nécessite un SNR élevé pour évaluer la température avec une bonne précision. L’utilisation d’une camera intensifiée comme détecteur permettrait d’améliorer le SNR. Cependant, une validation finale avec des mesures réalisées dans l’environnement réel de travail comprenant les signaux parasites liés au procédé et aux conditions de fabrication est nécessaire avant qu’un tel dispositif ne soit industrialisable. Références [1] D. P. DeWitt and G. D. Nutter, Theory and Practice of Radiation Thermometry, Wiley Interscience, New York, 1988. [2] Th. Duvaut, Comparison between multiwavelength infrared and visible pyrometry: Application to metals, Infrared Physics & Technology, Volume 51, Issue 4, March 2008, Pages 292-299 [3] P. Hervé, A. Morel, Thermography improvements using ultraviolet. Quantitative infrared thermography qirt96 1996. [4] P. Hervé, F. Buyle Bodin, R. Duval, New reflectance bichromatic pyrometer with optical fiber, 3rd int. cong. MICONEX 88 – PEKIN 1988