pauvreté - Carmes Toulouse

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Avant de vénérer la figure des saints, frères et sœurs, il convient d’adorer celui qui est le seul
saint, sans qui les saints ne rayonneraient d’aucune sainteté. Car nous le savons, c’est Dieu que
nous célébrons en eux, le déploiement de sa grâce dans leurs histoires particulières. Ce discours
des béatitudes que nous venons d’entendre est d’abord une hymne à la béatitude divine. Et nul
ne pouvait mieux la connaître et la manifester que Jésus ! Lui, le Fils éternel fait chair,
l’exégète du Père.
Oui, la vie de Jésus nous révèle les sources profondes du bonheur et de la joie divine. Tout part
de la pauvreté, de l'humilité de son cœur divin. Car il n’écrase personne de sa toute-puissance.
N’a-t-il pas voulu se revêtir de notre humanité, de l’enfance misérable de Bethléem jusqu'à la
mort ignominieuse de la Croix ? N’a-t-il pas accepté d’être mis en procès par sa créature, d’être
injustement condamné, alors qu'il est innocent de tout mal, absolument pur ? Il n’est aucune
trace de violence en lui. Ce n’est que douceur extrême, respect et patient apprivoisement de
l’homme, que son cœur divin pleure avec compassion, face au spectacle destructeur du péché.
Que ne ferait-il pas pour le sauver ? Il donne tout, il se donne lui-même, jusqu’à supporter la
persécution, toujours prêt à pardonner, offrir et déverser sa miséricorde, dès lors que le
pécheur se repent, demande pardon et veut revenir avec lui dans la paix inaltérable de l’union.
Tout son être divin appelle sa créature à se tourner vers lui, à l'accueillir dans la justice. Ce
grand mystère de Dieu qui nous est révélé sur la Croix par Jésus le Verbe incarné est une
béatitude frères et sœurs : LA béatitude. Il n’est pas de bonheur possible sans la pauvreté de
cœur, la pureté, la douceur, les larmes de la compassion, la miséricorde, la paix et la justice.
Lorsque Jésus énonce les béatitudes à ses auditeurs, en réalité, il nous dit qui il est. Il nous
dévoile le mystère intime de Dieu, resté caché depuis le commencement, depuis que le péché
originel a provoqué la rupture, la perte du souvenir, la méconnaissance de Dieu.
Et tout à la fois il nous invite à entrer dans ce mystère, à imiter et épouser les sentiments, les
dispositions de son Cœur divin. Tout ce qu’il est pour nous sur la Croix, lui le Fils de Dieu, il
veut que nous le soyons et le devenions les uns pour les autres. Le Père nous appelle à devenir
comme son Fils, dans la puissance de son Esprit Saint. Et bien, les saints que nous fêtons
aujourd’hui sont des hommes et des femmes comme vous et moi, qui ont bien voulu rentrer
dans ce dessein du Père éternel, qui l’ont adopté, en ont fait leur règle de vie, leur objectif final,
leur seule ambition, et finalement en ont pleinement vécu. Ainsi, leur existence est devenue
béatitude divine, vie consumée dans la pauvreté de cœur, la pureté, la douceur, la compassion,
la miséricorde, la paix et la justice. Il est très important que l’Église le fête, les fêtes tous
ensemble. Tout d’abord pour louer le Seigneur en eux, les merveilles de sa grâce
communiquées à ces hommes et ces femmes de bonne volonté. Ensuite parce qu’ils
représentent tout ce que nous sommes appelés à devenir dans le Christ et son Esprit, c’est-àdire de vrais fils du Père, vivants de son amour, du même amour que lui.
Il est extraordinaire de constater dans cet évangile des béatitudes que le bonheur du ciel, celui
qui fait la joie insondable des anges et des saints, peut commencer paradoxalement dès ici-bas,
dans ce monde marqué par la souffrance, le deuil, la haine et la mort. Jésus ne dit pas à ses
auditeurs : "heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux sera à vous", mais "le
Royaume des cieux est à vous". Cela signifie qu’en fondant notre agir dans la morale des
béatitudes, nous commençons déjà de goûter quelque chose de la joie, de la paix, de la vie
divine. Les saints en sont un vibrant témoignage. Comment les premiers martyrs chrétiens
pouvaient-ils rentrer dans l’arène en chantant ? Comment les carmélites de Compiègne ontelles pu monter à l’échafaud le 17 juillet 1794 en chantant le Te Deum ? C’est bien que leur vie
conformée à l’amour de Jésus crucifiée fût leur trésor, la source d’un très mystérieux bonheur
que le monde ne savait pas leur donner, pour lequel elles étaient prêtes à mourir sans hésiter
une seule seconde. Malheureusement, lorsque nous lisons la vie des saints nous sommes
toujours polarisés sur les souffrances qu’ils ont eues à endurer, oubliant l’amour surnaturel
qu’ils vivaient dans ces souffrances et qui dilatait leurs âmes, les conduisait dès cette vie aux
rivages de la béatitude divine. Car il n’est pas de plus grand bonheur que d’aimer, se donner
sans compter, jusqu’au don de sa propre vie.
C’est un discours que le monde ne veut pas entendre. La vie des saints, la morale des béatitudes
est diamétralement opposée à sa fausse sagesse. Il refuse d’admettre que l’égocentrisme et
l’hédonisme n’apportent que désillusion, insatisfaction et désenchantement, que les béatitudes
évangéliques sont voie de liberté et de gloire. Le phénomène n’est pas nouveau. L’apôtre saint
Jean en fait déjà le constat il y a 2000 ans. Nous l’avons entendu : "Mes biens-aimés, voyez
comme il est grand, l’amour dont le Père nous a comblés : il a voulu que nous soyons appelés
enfants de Dieu, — et nous le sommes. — Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous
connaître : puisqu’il n’a pas découvert Dieu".
Puis il continue : "Mais ce que nous serons ne paraît pas encore clairement". Si les béatitudes
commencent dès ici bas de nous faire goûter le bonheur des élus, ce ne sera jamais qu’une pâle
figure au regard du bonheur à venir qui nous attend dans la patrie céleste. Jésus conjugue la
plupart des béatitudes au futur. La fête de tous les saints n’est pas que l’exaltation de leur vie
sur cette terre, le constat de l’héroïcité de leurs vertus, qui les ont dilatées en Dieu, dans
l’amour. Cette fête est inséparablement une fête de l’Espérance chrétienne qui vise et
contemple la béatitude avec un grand B que Dieu nous promet dans son Royaume. Une
béatitude sans le mélange d’aucune peine : pour après cette vie, après l’accouchement
douloureux de notre existence, si nous avons accepté d’y mener le combat de l’amour dans la
détestation du péché en nous et autour de nous. Peut-être que nous n’en parlons pas assez. Peutêtre que nos préoccupations humaines manquent de transcendance, de verticalité, ne sont pas
assez tournées vers les fins dernières. Il nous faudrait méditer plus souvent le livre de
l'Apocalypse, cette fresque éblouissante de l’apôtre Jean qui contemple l’armée des élus, la
foule innombrable de tous les saints qui ne cessent d’exulter et de louer Dieu éternellement,
après la grande épreuve de cette vie. Au moins nous avons la fête des saints chaque année qui
ramène nos regards vers cette espérance chrétienne. C'est déjà quelque chose. Mais c’est trop
peu. Alors je vous laisse frères et sœurs avec cette poésie de sainte Thérèse de Lisieux. Elle est
une feuille de route pour nous tous, en ce jour de la fête de tous les saints :
Mourir d’Amour, voilà mon espérance
Quand je verrai se briser mes liens
Mon Dieu sera ma Grande Récompense
Je ne veux point posséder d’autres biens.
De son Amour je veux être embrasée
Je veux Le voir, m'unir à Lui toujours
Voilà mon Ciel.... voilà ma destinée:
Vivre d'Amour!!!..... (Poésies 17)
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