LA GAZETTE EPHEMERE DES FESTIVALS FESTIVAL D'AVIGNON CRITIQUES THEATRE Je reviens de la vérité – Mise en scène Agnès Braunschweig Lumière et mots pour conserver la mémoire Par Julien Avril 11 juillet 2016 - Article publié dans I/O papier du 11/07/2016 Elles ne sont que trois, mais elles représentent toutes ces femmes, résistantes françaises déportées à Auschwitz, faisant partie du convoi du 27 janvier 1943 et qui entrèrent dans le camp en levant le poing et en chantant la Marseillaise. Elles se relaient pour donner corps à ces figures choisies parmi le chœur de 22 personnages rassemblé par Charlotte Delbo pour témoigner si justement du quotidien des camps de la mort dans sa pièce quasi autobiographique. Comment représenter l’horreur des camps d’extermination nazis de la Seconde Guerre mondiale ? Delbo elle-même est très claire dans ses indications : pas de décors, de la lumière seulement ; quelques éléments de costumes (robes grises et cheveux dissimulés) ; rien qui puisse évoquer directement le contexte historique (les nazis ne sont jamais nommés). Ni réalisme, ni formalisme. Au centre, la parole de l’acteur. Et c’est très fidèlement qu’Agnès Braunschweig rend hommage à la disciple de Louis Jouvet en s’attachant tout particulièrement à faire entendre le texte. Seul un disque blanc au sol nous est proposé comme scénographie, marqueur du temps et de l’espace. Est-ce le reflet de la lune sur les flaques de boue ? Est-ce la ronde des jours ? Est-ce ce qui délimite la prison ou le dortoir, ou est-ce l’évocation de nos propres limites intérieures que l’on repousse, nourris d’espoir et de volonté de survivre ? L’adaptation, sur le plan narratif, est très réussie, et l’on suit sans peine le récit de ces femmes, incarnées avec beaucoup de pudeur par les trois actrices. « Je reviens de la vérité » est un spectacle extrêmement bien maîtrisé, tant que parfois l’on souhaiterait sentir plus de fragilité ou d’audace sur certaines séquences. Mais c’est sans doute dû à l’admiration que la metteur en scène voue à la figure de Delbo. Et ce théâtre-là reste, à mon sens, l’outil le plus juste, puissant et précieux pour conserver la mémoire des morts et des survivants et transmettre leur histoire aux jeunes générations. À trois, elles forment un véritable collectif Par Christine Friedel publié le mercredi 04 mai 2016 Je reviens de la vérité, d’après Qui rapportera ces paroles de Charlotte Delbo, mise en scène d’Agnès Braunschweig Trois comédiennes sur le plateau portent la parole des deux cent-trente femmes du convoi du 25 janvier 1943, dont quarante-neuf reviendront, celle, aussi, de centaines de milliers de résistantes déportées et d’autres femmes exterminées. Trois, premier chiffre du pluriel, d’un pluriel qui s’étend ici à infini. Charlotte Delbo témoigne de ce qu’elle a vécu à Auschwitz, sans «littérature», mais avec la force de la nécessité : l’émotion naît des faits, dont elle rend compte, même si cela touche à l’inconnaissable. L’essentiel est là, dit-elle: Qui rapportera ces paroles ? Il faut résister à la mort, au désespoir, à la douleur de voir les autres mourir, il faut tenir pour témoigner. Qualité du travail d’Agnès Braunschweig, Edith Manevy et Caroline Nolot qui n’ont pas cherché à jouer, à imiter la souffrance, et qui montrent ce qui est mis en jeu dans ce camp :dépouillement de la personnalité, effondrement du temps, mais aussi résistance, par la solidarité et l’humour. À trois, elles forment un véritable collectif dont chacune porte un personnage de prédilection qui a son histoire, sa continuité, et aussi, à un autre moment, toutes les autres. Mais ces «autres» ne sont jamais une masse : d’un trait, d’un mot, les comédiennes font le travail inverse de celui du camp : redonner une individualité à ces femmes, ne fût-ce que pour un instant de théâtre. Ce qui donne sa valeur politique et morale à leur beau travail. Christine Friedel Théâtre des Deux-Rives, 107, rue de Paris 94220 Charenton-le-Pont LES TROIS COUPS L E J O U R N A L D U S P E C T A C L E V I V A N T Par Anne Cassou-Noguès publié le mercredi 30 mars 2016 Les Trois Coups 30 mars 2016 Critiques, Île-de-France, les Trois Coups « Je reviens de la vérité » de Charlotte Delbo, Théâtre des Deux-Rives à Charenton La poésie malgré l’horreur Par Anne Cassou-Noguès « Je reviens de la vérité » est l’adaptation de « Qui de nous rapportera ces paroles ? », de Charlotte Delbo. Cette pièce est rarement jouée, et pourtant elle est éblouissante. Le texte est d’une exceptionnelle poésie et d’une actualité bouleversante. Assistante de Louis Jouvet, Charlotte Delbo n’est pas seulement une passionnée de théâtre, c’est aussi une jeune femme engagée. Arrêtée en 1942, elle est d’abord internée au fort de Romainville, tandis que son mari, Georges Dudach, est fusillé. Le 24 janvier 1943, elle est déportée à Auschwitz dans un convoi de résistantes. Elle écrit beaucoup sur son expérience concentrationnaire à son retour, tant des textes autobiographiques comme Aucun de nous ne reviendra, que des textes de théâtre. Qui de nous rapportera ces paroles ? met en scène vingt-trois personnages et de nombreux décors, soigneusement décrits par l’auteur. On comprend que la pièce soit difficile à monter. Agnès Braunschweig en propose une version épurée, avec trois comédiennes et un cercle blanc posé au sol pour tout décor. C’est un choix périlleux de faire jouer le spectacle par trois actrices seulement. D’une part, on a tendance à confondre les détenues. D’autre part, le public risque d’être moins sensible aux disparitions – onze prisonnières meurent au cours de la pièce. C’est pourtant dans cette hardiesse de mise en scène que réside l’émotion. Le trio de comédiennes rend compte de la tension entre solitude et union, qui est au cœur du travail de Charlotte Delbo. Dans Je reviens de la vérité, les chorégraphies, orchestrées par Sylvain Chesnel, parviennent à traduire la solidarité. C’est par exemple le cas lorsque les jeunes femmes courent d’un pas égal, accélérant ou décélérant ensemble, changeant de direction sans un mot. Mais, en même temps, ne représenter que trois déportées rend permanente la menace de la solitude qui pèse sur elles. Les trois comédiennes, les vingt-trois personnages, sont en face de nous, dans un rapport immédiat et intime. Lorsque Agnès Braunschweig joue le rôle d’Yvonne dans la première scène de la pièce, elle se tient debout, droite. Les deux autres interprètes sont accroupies par terre, elles regardent le sol. Le corps de la comédienne dit à la fois la fragilité et la force, le désir impérieux de résister et la défaite face à une force qui dépasse l’être humain. Une tragédie universelle On perçoit la fragilité du lien qui unit ces trois femmes, lien qui leur donne la force de tenir, mais qui peut se briser en un instant. Une couverture se retourne, et c’est un linceul ivoire qui vient ensevelir un corps dans la clarté lunaire du décor. On fait un pas et l’on quitte le cercle dans lequel on survit. On meurt. Ainsi, dans une des dernières scènes, Gina se résout à se suicider. Caroline Nolot hésite à franchir la circonférence du cercle blanc, s’en approche, revient au centre. Le public est tout entier suspendu à ce pas, ce simple pas, par lequel Gina va mourir et abandonner ses deux compagnes, qui deviendront un peu plus chancelantes encore. Agnès Braunschweig a choisi d’éluder toute référence aux camps de concentration, tant dans les décors que dans les costumes. Il s’agit dès lors d’attribuer une dimension universelle à l’histoire de Charlotte Delbo. La pièce porte d’ailleurs le sous-titre de « tragédie ». Ces femmes, qui s’interrogent sur la nécessité et la difficulté de survivre et de raconter ce qu’elles ont vécu, ne sont pas seulement les déportées du convoi du 24 janvier 1943. Ce sont toutes les femmes et tous les hommes qui se demandent à quoi sert la parole face à la cruauté. Peut-elle aider à vivre ? À survivre ? Doit-on tout dire ? Faut-il embellir la réalité quand elle est trop atroce ? On mesure à quel point ce questionnement est aujourd’hui essentiel. Charlotte Delbo répond à ces interrogations par une parole très poétique, par de simples répliques, par des récits que la mise en scène d’Agnès Braunschweig nous donne à entendre avec acuité. Je reviens de la vérité est un magnifique spectacle de théâtre. Sobriété des décors et de la scénographie et intensité du jeu des comédiennes – dans ce qui ressemble parfois à un têteà-tête avec le spectateur – nous bouleversent. Mais c’est aussi une pièce politique, qui traite malheureusement de notre monde, où la parole est sans cesse menacée et rendue caduque par les armes et la barbarie. Anne Cassou-Noguès Charlotte Delbo, la passion du théâtre Par Brigitte Salino Contrairement à ce qu'indique le titre, Qui rapportera ces paroles ? et autres écrits inédits, cinq des neuf textes de ce recueil de Charlotte Delbo ont été publiés entre 1969 et 1975. Mais ils étaient épuisés, et c'est bien de les avoir réunis dans un volume qui fait la part belle au théâtre, ce théâtre qu'elle apprit auprès de Louis Jouvet et aima d'un amour fou, tout en sachant le mettre à sa juste place. Quand, en juin 1941, le "Patron" partit avec sa troupe pour une tournée de six mois en Amérique du Sud, elle le suivit. Mais quand, en décembre, à Rio de Janeiro, Louis Jouvet annonça que la tournée allait continuer, Charlotte Delbo choisit de rentrer en France et de s'engager dans la Résistance. Ainsi fut scellé le destin d'une femme que les mots allaient sauver, au retour d'Auschwitz, et qui, le reste de sa vie durant, écrivit des textes théâtraux et des pièces, rarement mis en scène, mais passionnément lus et étudiés à l'université ou dans des cours d'art dramatique. Pourquoi ce grand écart entre les livres et la scène ? Peut-être parce que beaucoup de pièces de Charlotte Delbo sont nourries par le débat d'idées qui, dans les vingt dernières années, n'ont pas constitué la première préoccupation du théâtre français.... Fondation pour la mémoire de la déportation 30 boulevard des Invalides, 75007 Paris | Tél. 01 47 05 81 50 Spectacle|« JE REVIENS DE LA VÉRITÉ » de CHARLOTTE DELBO AU FESTIVAL OFF D’AVIGNON 2016 POSTE PAR FMD · 6 JUIN 2016 CLASSE DANS JUILLET 2016, JUIN 2016 Une pièce forte, écrite dans une langue sobre et belle, pour dire sans haine mais avec émotion et intensité, la vie des femmes dans le camp de concentration d’Auschwitz, la tragédie des douleurs et les miracles de la solidarité. Une pièce de théâtre pour raconter les camps, c’est le choix de Charlotte Delbo, l’assistante de Louis Jouvet, résistante et déportée à Auschwitz par le convoi du 24 janvier 1943. Dans le camp, Françoise, Gina, Denise ont faim, froid, soif, peur. Mais elles s’entraident, se soutiennent. Résistantes, elles luttent contre le désespoir, plus encore que contre la mort, et forment une chaîne humaine, qui rapportera le souvenir, qui témoignera pour l’Histoire.