. A2 LA PRESSE MONTRÉAL VENDREDI 6 AOÛT 2004 llllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllll C. DIFFICILE LA BACTÉRIE MEURTRIÈRE Une bactérie opportuniste JUDITH LACHAPELLE Q R Qu’est-ce que le Clostridium difficile ? Chacun porte en son système digestif des milliards de bactéries et c’est particulièrement le cas pour les enfants. Ainsi, selon Santé Canada, la moitié des nouveaunés sont porteurs de la bactérie Clostridium difficile et ne s’en portent pas plus mal. En vieillissant, la flore intestinale se modifie et il n’y a plus qu’une petite proportion (certains chiffres parlent de 20 % de la population) qui vit, tout à fait sainement, avec Clostridium difficile. La bactérie peut également survivre pendant de longues périodes à l’extérieur de l’organisme sous forme de spore. Q R Comment la bactérie devient-elle dangereuse ? Bonnes et mauvaises bactéries cohabitent en équilibre dans la flore intestinale des personnes en bonne santé. L’équilibre est brisé lorsqu’une bactérie prend de la vigueur et supplante les autres : c’est l’infection. Un antibiotique administré pour traiter une infection s’attaque à toutes les bactéries sur son passage, bonnes ou mauvaises. Clostridium difficile est qualifiée de « pathogène opportuniste » : la bactérie prend toute la place dès que le champ est libre. C’est pourquoi les infections à Clostridium dif- ficile surviennent généralement après la prise d’antibiotiques. Sa conquête sera d’autant plus facile si la bactérie est présente en grand nombre dans l’environnement de la victime, comme c’est le cas dans un hôpital. Q R La bactérie a-t-elle donc toujours été présente dans les hôpitaux ? Sans doute, mais il semble que sa présence se soit renforcée ces dernières années. « On a l’impression, par toutes sortes de données et d’opinions de spécialistes, qu’il y en a plus, dit le directeur de la santé publique au ministère de la Santé, le Dr Alain Poirier. Il y a quelque chose qui s’est passé. Mais est-ce parce qu’on la recherche plus qu’avant ? » La question reste, pour l’instant, en suspens. Q R Comment une infection peut-elle entraîner la mort ? Clostridium difficile produit une toxine qui s’attaque au côlon et entraîne des diarrhées plus ou moins graves. Dans les pires cas, elle cause une hémorragie. Une opération de l’intestin peut devenir nécessaire. Entre 1 et 3 % des patients infectés en meurent. Q Combien de personnes sont mortes à cause de la bactérie ? R Il est difficile de donner un chiffre exact, car si l’infection à la bactérie a certainement causé la mort de certains patients, d’autres personnes sont mortes pour d’autres raisons, tout en étant porteuses de la bactérie. Chose certaine, selon l’étude publiée en juin dans le Journal de l’Association médicale canadienne, 80 cas de décès survenus dans les hôpitaux montréalais en 2003 et au début de 2004 sont directement attribuables à C. difficile. Q R Qui est à risque ? Les personnes de plus de 50 ans, hospitalisées, qui ont été soumises à certains antibiotiques ou à une chimiothérapie. « Un cas classique, illustre le Dr Poirier, serait une personne âgée victime d’un accident cérébro-vasculaire, qui devient hémiplégique et est hospitalisée. Si ses vaisseaux sont bloqués, c’est souvent à cause du tabac. Elle souffre peut-être d’une maladie pulmonaire, elle est plus ou moins consciente, ventile moins bien, puis développe une pneumonie. On lui donne donc des antibiotiques. Et elle se met à faire de la diarrhée. » Si la personne meure dans les 30 jours suivants, la présence de Clostridium difficile risque d’être décelée. « Or, cette personne est-elle décédée du Clostridium difficile, de sa maladie pulmonaire, de l’ACV, de la pneumonie, de l’infection urinaire qui s’est déclarée après qu’on lui a mis une sonde ? » demande le Dr Poirier. Bref, dit le médecin, ce n’est pas si simple d’attribuer un décès à Clostridium difficile. Q R Les enfants peuvent-ils être infectés par la bactérie ? C’est possible, mais c’est beaucoup plus rare. Et lorsqu’ils le sont, l’infection est surtout sous une forme bénigne. Q R Comment détecter sa présence ? Il existe, dans les hôpitaux, des systèmes qui détectent un excès de radioactivité dans les départements de radiologie, ou un dosage exagéré d’un médicament donné à un patient. Mais il n’existe pas de machine pour détecter la présence de bactéries dans une pièce. En attendant que la technologie livre une solution efficace, mieux vaut revenir aux règles de base : lavage minutieux des mains et de tout ce qu’elles touchent, désinfection systématique des chambres, stérilisation des appareils. « À l’hôpital de Sherbrooke, en mettant en place une série de moyens qui existent déjà, le nombre d’infections à Clostridium difficile a chuté de 50 % en trois mois », rappelle le Dr Poirier. Q R Comment traiter une infection ? Les médecins de l’Université de Sherbrooke suggèrent, dans leur étude, de combattre la bactérie avec la vancomycine, un puissant antibiotique. L’Organisation mondiale de la santé propose aussi le recours à la vancomycine lorsqu’un autre antibiotique, le métronidazole, a échoué. La vancomycine n’est cependant pas une panacée : des cas de staphylocoque doré résistant à la vancomycine ont été rapportés il y a deux ans aux États-Unis. Le risque de voir proliférer des souches de C. difficile résistantes à la vancomycine est donc bien réel. Q R N’y a-t-il que le Québec qui est aux prises avec cette épidémie ? Non. Des cas ont été signalés ailleurs au Canada et à l’étranger. En 2001, en Jordanie, par exemple, une étude menée dans les hôpitaux du pays a montré que la prévalence de Clostridium difficile était beaucoup plus importante que d’autres bactéries dans les selles de patients souffrant de diarrhée. Dans un autre document publié par l’Organisation mondiale de la santé, il est indiqué que les gastro-entérites nosocomiales causées par Clostridium difficile sont les plus communes chez les patients adultes hospitalisés dans les pays développés. llllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllll PHOTO MAXIME PICARD, LA TRIBUNE © Selon une étude du Dr Jacques Pépin, professeur à l’Université de Sherbrooke, 100 décès attribuables au Clostridium difficile se seraient produits au Centre hospitalier de l’Université de Sherbrooke en 2003 et 2004. . Le personnel médical est montré du doigt BACTÉRIE suite de la page A1 Soit dit en passant, le gouvernement du Québec et certains professionnels de la santé ne partagent toutefois pas le même point de vue sur la façon d’arriver à contrer C. difficile et ne cessent de se renvoyer la balle. Pour sa part, le Dr Pépin rappelle que plusieurs établissements sont vieux, parfois vétustes et doivent donc être rénovés. « La balle est maintenant dans le camp des décideurs », dit-il. Même son de cloche du côté de la Fédération des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec (FIIAQ). S’il se dit conscient que les mesures d’hygiène doivent être améliorées, le président, Gilles Jean, croit également que les établissements de santé doivent investir pour améliorer le système d’entretien sanitaire afin de limiter la prolifération des bactéries. Il accuse aussi certains hôpitaux de ne pas mettre un nombre suffisant de gants à la disposition des employés. « Dans certains hôpitaux, les infirmières gardent les même gants, les nettoient et ne les enlèvent pas. » Des solutions à court terme Le ministre de la Santé, Philippe Couillard, croit pour sa part que le problème peut être en grande partie contré par des mesures simples. « On ne pourra pas du jour au lendemain rénover tous nos hôpitaux, a-t-il dit en entrevue téléphonique à La Presse. Ça va prendre des années avant que ça soit fini. On y va par priorité. Il faut maintenant agir avec ces méthodes simples. » Le Dr Alain Poirier, directeur national de la santé publique au Ministère abonde dans son sens. « Faites le calcul pour savoir ce qui coûte le moins cher entre un peu d’eau de Javel et du savon et la construction d’un hôpital. » « C’est sûr que c’est facile de montrer du doigt le personnel qui ne se lave pas les mains, mais c’est trouver des réponses faciles », réagit le président du syndicat des infirmières et des infirmiers du CHUS, Jacques Poulin. Selon lui, les employés sont au bout du rouleau et peuvent parfois omettre certaines mesures d’hygiène, non pas par négligence, mais tout simplement parce qu’ils doivent faire des choix. « Entre sauver quelqu’un et se laver les mains », les employés choisissent la première option, souligne M. Poulin. « Qu’ils mettent le bon nombre de personnes et les gens vont être enchantés de se laver les mains, ajoutet-il. Les gens sont épuisés et ils font ce qu’ils peuvent. Qu’on leur donne simplement les moyens de faire leur job comme du monde. » Bien qu’il ne veuille pas banaliser la situation, le ministre Couillard souli- gne également qu’il faut analyser les résultats de l’étude avec prudence. « Il faut faire preuve d’une certaine rigueur dans l’analyse des données qui sont publiées. C’est certain qu’il y a 100 patients à Sherbrooke qui sont décédés avec la bactérie, mais ça ne veut pas dire que tous les gens sont morts à cause de la bactérie. On a peut-être un peu magnifié la question de la mortalité. » Malgré tout, il assure que des mesures ont été mises en place afin de démythifier la bactérie, car plusieurs régions telles que Montréal, Québec, la Montérégie, les Laurentides et La- programme de surveillance afin d’étudier la situation. Mais ces mesures ne sont pas suffisantes, estime le directeur général du Conseil pour la protection des malades, Paul G. Brunet. « On a attendu trop longtemps avant d’agir, pense-til. Je crois que le gouvernement devrait être plus clair dans ses recommandations. » Charest s’en prend au fédéral De son côté, Jean Charest, de passage hier à Brome-Ouest, a assuré que le ministère de la Santé et des Services sociaux prend l’épidémie « très au sérieux » et met en place des dispositions pour agir dès l’ap« Faites le calcul pour parition des premiers cas afin freiner l’épidémie. savoir ce qui coûte le moins de« On va être très vigilants. On va prendre les mesures nécescher entre un peu d’eau saires », a précisé le premier ministre. Le ministère de la de Javel et du savon et la Santé et des Services sociaux a construction d’un hôpital. » déjà fait les premiers gestes pour informer la population et naudière connaissent une augmenta- contrer la bactérie. On doit dire aux tion du nombre de patients affectés gens ce qui doit être fait pour éviter par C. difficile. Le vieillissement de la la propagation. Mais il y aura population, l’augmentation de la vi- d’autres efforts qui seront faits. » Jean Charest, qui n’a pas voulu rulence de la bactérie et le manque d’hygiène en seraient les principales spéculer sur les origines de l’épicauses. Habituellement, on relève de démie, a toutefois convenu que la 2 à 10 cas par 1000 admissions à malpropreté de certains établissel’hôpital, mais dans ces régions, le ments pourrait être un facteur dénombre de cas est passé de 11 à 25. terminant dans la multiplication Le Ministère a donc mis en place un de la bactérie C. difficile, un phéno- mène qui s’étend partout en Amérique du Nord. « Il y a plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte, a fait savoir le premier ministre. Il y a une question d’entretien dans les hôpitaux et une question de salubrité. » Et, bien que la santé soit au nombre des priorités du gouvernement Charest, les établissements de santé vétustes, qui offrent un environnement fertile à la propagation de la bactérie, manquent lamentablement de moyens pour effectuer les rénovations nécessaires. « On va aussi vite que possible », a répondu Jean Charest aux journalistes qui le questionnaient sur la réfection des hôpitaux vétustes. On a injecté 2,2 milliards depuis que notre gouvernement a été élu et, pour Sherbrooke, il y a 80 millions qui ont été annoncés. On est maintenant rendus à l’étape des plans et devis. » Jean Charest ne s’est pas gêné pour montrer du doigt le gouvernement fédéral à qui il attribue le manque de ressources financières pour subventionner la restauration des hôpitaux désuets. « Le fédéral ne peut pas augmenter dans la santé et couper dans les transferts fédéraux, déplore le premier ministre. Il a une responsabilité à assurer. Les autres gouvernements provinciaux vivent tous la même situation. » Avec La Tribune et La Voix de l’Est