DÉCEMBRE 2013 | SPECTRUM | 5
L’identité redoutée chez les
individus souffrant du trouble
obsessionnel-compulsif
par Julie Sauvageau
La plupart des gens savent clairement ce
qu’ils sont, c’est-à-dire leur identité, ce qu’ils
aspirent à devenir, appelé « idéal identitaire » et
ce qu’ils ne veulent surtout pas devenir, nommé
« identité redoutée » (Carver, Lawrence & Scheier,
1999). De ce fait, ils agissent en fonction de ce
qu’ils pensent être ou de ce qu’ils aspirent à de-
venir. En effet, vos valeurs, vos buts et également
votre identité modèlent la façon dont vous agis-
sez dans la vie. Par exemple, si vous ne frappez
pas quelqu’un dans la rue, c’est que vous vous
considérez comme une personne morale qui ne
ferait pas ce genre de chose. Cette confiance en
vous-même fait en sorte que vous ne doutez pas
constamment de la possibilité de faire une chose
pareille. Maintenant, imaginez que toutes vos ac-
tions étaient plutôt motivées par la peur de de-
venir le type de personne que vous redoutez le
plus devenir et qu’au lieu d’orienter vos actions
vers vos buts, vous concentreriez toutes vos
énergies à tout faire pour ne pas devenir le type
de personne que vous détesteriez être, donc ne
pas devenir votre identité redoutée. Plus encore,
cet investissement en cette identité redoutée
vous pousserait à compenser pour le déficit per-
çu en étant extrêmement prudent et en vérifiant
constamment si votre peur de devenir la pire ver-
sion de vous-même est vraie.
Peut-être cela vous semble étrange, mais des
chercheurs proposent que cette peur en une
identité redoutée serait possiblement carac-
téristique des individus souffrant du trouble
obsessionnel-compulsif (TOC) et que cette fra-
gilité identitaire serait un facteur de développe-
ment et de maintien dans ce trouble (Aardema
& O’Connor, 2007; Bhar & Kyrios, 2007).
Par exemple, des obsessions et des compul-
sions concernant la vérification (ex : vérifier la
serrure de la porte, vérifier si le four est bien
éteint) pourraient être sous-jacentes à la peur
d’être quelqu’un de négligeant ou d’irrespon-
sable. Ainsi, la personne au prise avec le doute
constant d’être quelqu’un de négligeant et d’ir-
responsable, se voit obligée de vérifier constam-
ment par différentes compulsions, si son doute
est fondé, ce qui, ironiquement, ne fait qu’am-
plifier son doute initial.
Par ailleurs, l’identité redoutée pourrait expli-
quer pourquoi le trouble obsessionnel-compul-
sif est d’une nature aussi sélective, c’est-à-dire
que les individus vont avoir des doutes obses-
sionnels dans une sphère de leur vie, mais pas
dans les autres (O’Connor & Aardema, 2012,
p.73). Ainsi, cette identité redoutée, unique à
chaque individu, prédisposerait à un certain type
d’obsessions et de compulsions (O’Connor &
Aardema, 2012, p.73). Par contre, il est peu pro-
bable que toutes les personnes qui doutent un
peu de leur vraie nature développent un trouble
obsessionnel-compulsif, donc d’autres facteurs
entrent probablement en ligne de compte.
Finalement, bien que plusieurs aspects de ce
concept restent à être explorés, la recherche
dans le domaine va bon train et déjà, certaines
psychothérapies cognitives et comportemen-
tales plus contemporaines pour le traitement du
TOC travaillent sur cette identité redoutée en
l’identifiant et en visant à remodeler une iden-
tité plus authentique et positive (O’Connor &
Aardema, 2012, p.4).
RÉFÉRENCES
AARDEMA, F., & O’CONNOR, K. (2007). The me-
nace within: Obsession and the self. Journal of
Cognitive Psychotherapy, 21, 182-197.
BHAR, S.S., & KYRIOS, M. (2007). An investigation
if self-ambivalence in obsessive-compulsive disor-
der. Behaviour Research and Therapy, 45, 1845-
1857.
CARVER, C. S., LAWRENCE, J. W., & SCHEIER, M. F.
(1999). Self-discrepancies and affect: Incorporating
the role of feared-selves. Personality and Social
Psychology Bulletin, 25, 783-792.
O’CONNOR, K. & AARDEMA, F. (2012). Clinician’s
handbook for obsessive compulsive disorder.
Chinchester, UK: Wiley-Blacwell.
Simple ? Je ne le pensai pas si simple,
ce passé. Ça a plutôt été un passé
composé, sans doute trop composé :
j’ai tellement pensé et repensé que je
devais constamment m’ordonner :
« Aie pensé » ! Que j’eusse pensé avoir
pensé, j’y eus parfois pensé mais qu’inces-
samment je pensasse ainsi, mon esprit ne
me le permettait point. Au point où je
n’y pensais même plus.
Et aujourd’hui, qu’en est-il au présent ?
J’y pense. J’y repense. J’essaie d’y
penser… au point où je penserais…
sitôt qu’en y ayant déjà pensé je réa-
lise que je suis trop occupé à repenser !
D’autant plus que je viens de penser que
je vais justement y penser. À vrai dire, que
j’y aie pensé est tout de même louable
mais l’illusion est justement là : je pense-
rais avoir pensé pourtant non, il y a
toujours une nouvelle pensée qui apparaît
dans cet enchaînement imparfait.
Au gérondif de mes ruminations, j’en suis
même à penser en pensant. Mais enfin,
pour répondre à la question : non, je
n’aurais jamais pensé que ce serait si
indicatif de mon présent.
Pourquoi suis-je donc si conditionnel
à ma propre personne ? Tous ces « pensé »
qui, souvent difficiles à accorder au pas-
sé, participent toujours et encore à mon
présent, qu’en fais-je ? Y pensant bien, que
je pense n’est pas le réel problème – que
j’aie repensé et pensé, encore moins. Non,
le problème est plutôt de penser que je
pense : « Pense ! Pense ! » pense perpétuelle-
ment mon esprit et à long terme c’est mon
corps qui dépense. À tous temps, penser ?
Oui en effet, c’est pénible ! Ne l’eussé-je
pensé, je n’eusse eu de misère à ce point à
conjuguer mon passé maintenant futur en
devenir ! Épuisant, que de vivre un quoti-
dien qui soit subjonctif aux soubresauts
du cogito impératif.
Le futur proche n’est pas aussi simple
qu’il ne le laisse paraître mais bon, le
plus encourageant est de penser que
dorénavant je ne penserai plus à l’infi-
ni mais bien à l’infinitif. Penser sans cesse
telle une quête illusoire du plus-que-
parfait, n’est-ce pas là l’erreur de la per-
fectibilité qui doive appartenir au passé ?
Ce pourquoi je pense à ce futur, antérieur
je l’espère, alors que j’aurai presque tout
pensé. Penser moins pour mieux panser ?
Oui j’y avais déjà pensé et je pense que
ce soit possible. Mais en pensant…