A quoi bon une sérologie de Lyme? Interview de Reto Lienhard, microbiologiste au Laboratoire de référence Borrelia (ADMED Microbiologie) à La-Chaux-de-Fonds. Ce laboratoire travaille en partenariat avec le Centre national de référence pour les maladies transmises par les tiques (CNRT/ZNRK), sous l’égide de l’Office fédéral de la santé publique. Cette interview a été relue, corrigée et validée par Reto Lienhard. Propos recueillis par Priska Hess – Le Régional –L’un des principaux points qui fait discussion dans le diagnostic maladie de Lyme est la question de la fiabilité des tests sérologiques… Dès les débuts du diagnostic de la maladie de Lyme, on a cherché à développer des sérologies, parce que l’agent responsable était difficile à cultiver. Il nécessite des milieux de cultures complexes et des incubations prolongées De plus il devenait difficile de l’isoler des tissus et liquides biologiques humains. Le plus simple c’est de le trouver dans la peau, quand il y a un érythème ou une atteinte plus tardive comme l’acrodermatite ; mais même là, deux fois sur dix on n’arrive pas à le mettre en évidence. Cette sérologie reste le seul moyen pratique pour un diagnostic, mais elle est très mauvaise dans la première phase de Lyme quand il y a l’érythème migrant. A ce stade précoce de la maladie le diagnostic est essentiellement clinique. Dans la phase précoce disséminée, on inclut des symptômes cutanés comme le lymphocytome cutané bénin (LCB), des atteintes du système nerveux, des douleurs articulaires ou musculaires et l’atteinte cardiaque. Ces symptômes apparaissent jusqu’à 6 mois après la piqûre de tique. Là généralement les sérologies se positivent même si la séronégativité reste possible tout au début dans les premières semaines. Dans le stade tardif, les symptômes (arthrite, acrodermatite) peuvent apparaître après plusieurs années et la sérologie est toujours confirmée par l’apparition des très fortes réactivités. En résumé, la fiabilité du test dépend en premier du stade de la borréliose. Commençant avec une très faible sensibilité, la sérologie finit par être très sensible. Mais la fiabilité dépend aussi d’un autre facteur, qui permet d‘être sûr du résultat obtenu. Dans notre région, où la borréliose est endémique depuis fort longtemps, on observe dans une population de donneurs de sang un pourcentage de séropositifs qui varie de 5 à 25%. En tenant compte que ce taux augmente avec l’âge et le type d‘occupation (coureurs d’orientation par exemple), la signification d’un résultat positif diminue sa valeur prédictive. Concrètement, on ne peut plus faire de différence entre un séropositif malade et un autre sans symptômes. Dans ce sens, on comprend bien la méfiance envers ces tests. A quoi bon une sérologie si des fois elle n’est pas assez sensible, et d’autres fois elle ne nous confirme pas que nous souffrons de la borréliose ? Il est important de rappeler toutefois que les résultats négatifs peuvent être tout aussi importants pour exclure une borréliose dans les stades tardifs. Finalement, le diagnostic de la borréliose doit se baser sur une clinique évocatrice avant de faire une sérologie. Prouver une infection demande que l’on isole la bactérie par culture ou que l’on puisse la mettre directement en évidence par une détection en microscopie, par coloration, par détection de molécules protéiques (antigènes) ou mieux par la mise en évidence de son ADN. Parmi ces tests, seule la PCR est la plus utile et la plus fiable, malheureusement elle n’est pas toujours possible et pas toujours très sensible pour détecter les borrélies. Le diagnostic manque sérieusement de progrès significatifs. On est toujours à la recherche d’un marqueur d’infection, mais rien pour l’instant ne remplace la culture ou une PCR pour prouver une infection. Le problème est que ces analyses demandent de faire des biopsies ou des ponctions, que l’on ne fait pas aussi facilement qu’une prise de sang. –Mais il y a pourtant de nombreux patients qui ont des tests négatifs, mais continuent à d’avoir des symptômes qu’ils attribuent à la maladie de Lyme… Comme on l‘a vu, un test peut être négatif pour une borréliose. Ce qui est plus difficilement concevable est qu’il reste négatif alors que le patient présente des symptômes depuis des mois, voire des années. On peut très bien concevoir que la sérologie ne serve pas à prouver une maladie, mais si on veut prouver que les symptômes sont bien dus à un agent pathogène particulier, il faut bien trouver un moyen de la prouver. Quand un patient présente un érythème, qu’il prend des antibiotiques et que ces érythèmes disparaissent, la borréliose est traitée. Il peut arriver que certaines personnes réagissent moins bien aux antibiotiques, ou ne suivent pas le traitement jusqu’au bout, ou alors aient une nouvelle piqûre de tiques… Mais il ne faut pas pour autant attribuer à chaque borréliose qu’on a traitée des problèmes qui surviendraient par la suite. –Donc ces patients testés négatifs, parce qu’ils sont convaincus au départ que c’est la maladie de Lyme qui est en cause, continuent sur cette piste et se trompent peut-être complètement ? Si quelqu’un est convaincu dès le départ que c’est la borréliose, tout ce qui indique le contraire est faux pour lui. Alors le risque que la personne passe à côté d’une autre maladie devient plus grand. La médecine ne prétend pas tout savoir sur tout, il y a encore beaucoup de symptômes dont on ne connaît pas la cause. Pour des patients qui souffrent, ce n’est pas un soulagement. Il faut juste faire attention, car il y a toutes sortes de cas. C’est pour cela que le médecin prend le temps d’observer les signes cliniques et de discuter avec le patient, qu’il doit bien comprendre la valeur des tests et leur champ d’application. Il ne faut pas que les patients perdent de vue, en se fixant sur la Borréliose de Lyme quand il n’y a pas de preuve par les tests, qu’il y a plein d’autres causes possibles aux symptômes, comme par exemple la fatigue, dont ils souffrent. Si quelqu’un est persuadé qu’il a une maladie de Lyme, on risque de le traiter aux antibiotiques et de passer à côté d’une autre maladie. Les tests ne valent pas grand chose pour les stades précoces, on vient de le voir, mais si aux stades de borréliose tardive les tests sont négatifs, on peut vraiment exclure cette maladie ; dans ces cas c’est une bonne indication. –Et si le résultat du test Elisa est négatif, il n’y a pas de test de confirmation Westernblot ou Immunoblot ensuite ? Le standard est effectivement de faire le dépistage, et s’il n’y a rien, on s’arrête. L’Immunoblot est un test de confirmation conçu pour analyser les résultats non négatifs au dépistage. Faire un Immunoblot après un Elisa négatif se justifie uniquement dans le cadre de la recherche scientifique. Notre laboratoire l’a fait systématiquement durant une période et on a observé que quand le dépistage Elisa est négatif, alors le blot est aussi négatif. Quelquefois, il est vrai qu’on voit des réactions sur les blots, très faibles, qui pourraient indiquer que le patient a eu une fois un contact avec les borrélies. Mais dans ce cas-là, on n’a jamais pu constater une corrélation avec une clinique de borréliose. –Il y a aussi le problème que le seuil de tolérance du test varierait selon les régions, d’après le Pr. Perronne… Le problème de la sérologie est sa faible valeur ajoutée dans le diagnostic. Une autre difficulté est la grande diversité des tests et l’absence de toute standardisation. Il n’y a pas de consensus européen sur la manière de concevoir ou qualifier un test. La limite de positivité (seuil) est posée par le fabricant selon les résultats qu’il a obtenu sur un choix de sérums. Il n’y a pas de référence internationale pour qualifier les tests. La plupart des laboratoires reprennent intégralement les seuils indiqués dans la procédure. Les rares labos qui ont entrepris des validations plus extensives pourraient changer le seuil en fonction de leur population et en changeraient alors la sensibilité, mais en même temps sa spécificité. Ainsi, un seuil moins sensible donnera des résultats plus sûrs. Il est de toute façon très utile, et même nécessaire pour les laboratoires de référence, de définir la séroprévalence dans la population testée. Cette information est utile à l’interprétation des tests. On reproche aux tests de manquer de sensibilité ? Mais à quoi bon un test ultra sensible qui serait positif chez 50% de la population qui se porte bien ? –Mais alors comment peut-on déterminer à partir des tests si on a vraiment une borréliose active ? Le laboratoire va donner un résultat, mais s’il est positif cela indique seulement qu’il y a eu contact avec les borrélies de la maladie de Lyme. L’interprétation finale est vraiment faite sur la base de la clinique : c’est le médecin qui va déterminer si ce contact correspond à des symptômes cliniques, et cela comporte une part d’interprétation. Il n’y a pas de marqueur de Borréliose active en sérologie pour l’instant. C’est un domaine que nous explorons, mais la valeur d’un indicateur d’activité n’a pas encore pu être démontrée. –Selon le Pr. Perronne, les borrélies pourraient persister à vie dans le corps, même après les traitements antibiotiques... Il existe de telles infections que l’on appelle « à bas bruit», c’est un concept que l’on connaît. Maintenant, quand on n’a pas de preuve évidente, ça reste une hypothèse. Il y a des articles qui montrent qu’on on a pu mettre en évidence par la technique PCR des borrélies qui persistaient dans différents matériels biologiques, alors qu’on avait traité le patient ; mais cliniquement on ne sait pas ce que cela signifie, ce sont peut-être en réalité que des déchets de borrélies non viables. Ce serait un domaine de recherche à développer. –Donc pour l’instant il n’y a pas de preuves ? C’est une hypothèse de départ pour une recherche. Le Pr. Perronne mentionne qu’il a été montré que dans les modèles animaux les borrélies pouvaient persister dans les tissus. Mais de là il faudrait passer à des évidences cliniques pour l’homme. En tout cas cela ne peut pas être un argument pour entamer des traitements de longues durées. Il existe dans certaines maladies des bactéries qui doivent être traitées avec plusieurs antibiotiques et des charges longues et lourdes, mais dans ces cas-là on le sait, on a montré que ça persistait, on a fait des études, on a comparé. Ce qui n’est pas le cas dans la maladie de Lyme. –Il y a plusieurs espèces de Borrélies présentes en Suisse. Les tests sont-ils adaptés dans tous les cas ? En Suisse, dans les tests de dépistage on n’utilise plus d’antigènes de bactéries totales, mais on a surtout des cocktails d’extraits ou de protéines, et généralement quand on fait cela, le fabricant doit vérifier que le test marche pour tout type d’infection. Et quand je regarde le taux de positivité des tests de dépistages, je me dis qu’il ne sert à rien d’augmenter encore la sensibilité. La différence la plus grande est surtout au niveau des tests de confirmation par Immunoblot. Parce que là on va choisir des antigènes spécifiques. Les fabricants mettent une grande variété d’antigènes qui proviennent d’autres espèces que Borrelia burgdorferi. Notre laboratoire les a testés, et globalement il n’y a pas d’avantage à avoir ces différents antigènes. L’important est d’interpréter le tout correctement. Dans notre laboratoire, on fait des Western blots pour trois espèces : Borrelia afzelii, la souche prévalente en Suisse, Borrelia garinii et Borrelia burgdoferi au sens strict, l’espèce américaine. Ce sont les trois principales espèces présentes en Suisse. Je précise qu’on les désigne par « Borrelia burgdorferi au sens large » pour éviter de confondre les borrélies responsables de la Lyme avec les borrélies des fièvres récurrentes. Par contre, comme on ne fait presque plus de culture ou de PCR, on ne peut pas savoir si éventuellement l’épidémiologie des souches est en train de changer. Aux Etats-Unis, il y quelques années, des chercheurs avaient eu affaire à des érythèmes atypiques pour lesquels on n’avait pas trouvé Borrelia burgdorferi, ce qui suggérait qu’il y avait peut-être une autre espèce de borrélie en cause. On prend peut-être en compte des exceptions, mais je ne peux pas nier que cela serait quand même une hypothèse de travail pour une étude : si de nouvelles borrélies émergeaient, est-ce qu’on serait capable de les diagnostiquer, est-ce qu’il existe des érythèmes pour lesquels il n’y a jamais de réaction positive dans les tests ? Est-ce que nos PCR les détecteraient ou même seraient-elles cultivable sur nos milieux actuels ? La surveillance des cas atypiques serait un très bon sujet de recherche. –Le Pr. Perronne plaide pour qu’un groupe de travail interdisciplinaire soit créé pour avancer dans la recherche sur la maladie de Lyme… C’est aussi votre vœu ? Oui. Il serait bien qu’on puisse mettre en place un jour une conférence où les différents courants scientifiques essayent de débuter des collaborations pour développer la recherche et trouver un consensus sur le diagnostic et le traitement de la maladie de Lyme. Dans cette voie, il faudrait par exemple voir ce que valent les nouveaux tests de prolifération lymphoblastique LTT, basés sur la réponse cellulaire. L’idéal serait que les centres de références européens utilisent ce test pour en vérifier la valeur ou le valider. Il est important qu’un test ne soit pas juste utilisé parce que c’est un nouveau test, sans qu’on ait la preuve qu’il ait une plus-value par rapport aux tests déjà existants. Une collaboration multi-disciplinaire intégrant les aspects cliniques, microbiologiques et épidémiologiques de grande envergure est souhaitable. Elle devrait permettre une meilleure compréhension et rétablir une confiance dans la population.