Le journal de l'IRD
80 - août-septembre-octobre 2015
bimestriel
Par Jean-Paul
Moatti
PDG de l’IRD
Éditorial
La disparition il y a 14 000 ans d’un immense lac d’altitude a donné naissance au Salar d’Uyuni en Bolivie et a infl
sur le cycle hydrologique régional.
Lac, salar et glacier…
Au pied de la cordillère des
Andes bolivienne, à quelque
3 500 m d’altitude, s’étend
une immense croûte de sel, bordée de
cactus géants : le Salar d’Uyuni. Mais
l’endroit n’a pas toujours été ce vaste
désert blanc. Jadis, un gigantesque
lac salé du nom de Tauca recouvrait
l’Altiplano sur plus de 50 000 km². Avant
de s’assécher totalement voilà environ
14 000 ans…
La disparition d’une telle quantité d’eau
n’a pas été sans conséquences sur le
climat dans la région. Une équipe de
recherche vient de montrer le rôle de
la disparition de ce méga-lac salé sur
le cycle hydrologique. « L’humidité
supplémentaire apportée dans
l’atmosphère via l’évaporation du lac a pu
contribuer aux précipitations neigeuses
sur les sommets alentours », affi rme
Florence Sylvestre, qui a coordonné cette
étude1. C’est en effet ce qu’a révélé la
comparaison de l’analyse isotopique
d’une carotte de glace prélevée sur le
mont Sajama voisin, avec la composition
isotopique des eaux du lac reconstituée
à partir de micro-algues fossiles, les
diatomées. « La quantité d’isotopes2
lourds de l’oxygène contenue dans
ces fossiles traduit les caractéristiques
géochimiques des eaux dans lesquelles
les algues se sont développées, explique
la géologue. Cette méthode originale
nous a permis de retracer la composition
isotopique du lac Tauca et de la mettre en
regard de celle des glaces du Sajama. »
Une anomalie a attiré en particulier
l’attention des chercheurs. La
composition isotopique de la glace
présente un fort pic vers - 14 500 ans, en
cohérence avec la composition isotopique
du lac lors de son assèchement. « Pic
qui n’est observé nulle part ailleurs
dans les Andes, souligne la scientifi que,
excluant très certainement une infl uence
à plus grande échelle et suggérant très
fortement un lien entre l’évaporation de
l’étendue d’eau et les précipitations au
sommet du glacier. »
Ce type d’approche permet de lever en
partie le voile sur les climats d’hier et par
là mieux anticiper ceux de demain. O
1. Benjamin Quesada et al., Quaternary Science
Reviews, 120, 2015.
2. L’élément oxygène possède plusieurs
isotopes stables. Il en résulte différentes formes
pour les molécules contenant cet élément, plus
ou moins lourdes.
Contacts
orence.sylvestr[email protected]
UMR CEREGE (IRD, Aix-Marseille
Université, CNRS, Collège de France)
UMR HSM (IRD, CNRS, Université
Montpellier)
Suite en page 16
Interview de Gaël Giraud, chef économiste à l’AFD
Sciences au Sud : Les Objectifs
de développement durable (ODD)
viennent d’être adoptés à New
York. L’enthousiasme de certains
experts contraste avec le scepti-
cisme d’autres. Quel regard por-
tez-vous sur ces ODD?
Gaël Giraud : Ceux qui s’enthousias-
ment font valoir, à juste titre, un certain
nombre de traits encourageants. La por-
tée universelle des ODD est l’un d’eux.
L’exhaustivité des thématiques traitées
en est un autre. Avec 17 ODD, déclinés
en 169 cibles, on retrouve presque tous
les thèmes qui ont fait ces dernières
années l’objet de discussions internatio-
nales. Le lien est enfi n, et défi nitivement
établi, entre l’agenda de lutte contre la
pauvreté et les inégalités et l’agenda
développement durable. Le dernier
point à relever est le caractère « intégré »
des dimensions économiques, sociales,
environnementales et de gouvernance.
Ceux qui demeurent sceptiques ont
néanmoins de bonnes raisons également
de chercher à rester lucides. Les 8 objec-
tifs des OMD étaient déclinés en 21 cibles,
elles- mêmes refl étées par 51 indicateurs.
Et ces objectifs n’ont pas été atteints,
en particulier en Afrique subsaharienne.
Car vous savez bien que, par exemple,
la réduction du nombre de personnes
vivant en situation de pauvreté extrême
- un exploit dont notre communauté
internationale s’enorgueillit un peu trop -
ne dépend guère de nos efforts : elle est
due surtout aux progrès réalisés par la
Chine et à une modifi cation du mode
de calcul des parités de pouvoir d’achat
en 2011, qui affectent directement le
niveau réel du seuil des 1,25$ de revenu
quotidien moyen… En outre, nous avons
multiplié par deux le nombre de thèmes,
et par huit le nombre d’indicateurs. Cela
me paraît signifi catif de l’absence de
ligne directrice. Faute de savoir comment
organiser son action, l’ONU s’efforce avant
tout de ne « rien oublier », symptôme
d’une certaine perte d’orientation. Enfi n,
tout comme à propos des OMD, l’adoption
Gaël Giraud, chef économiste à l’AFD revient pour Sciences au Sud sur les forces
et les faiblesses des Objectifs de développement durable, récemment adoptés
par les Nations unies. Il évoque la nécessaire articulation entre science et
développement … Enfi n, il propose plusieurs grandes pistes de réfl exion sur
les questions du fi nancement et sur l’avenir de l’Aide publique au développement.
« Il faut prendre garde à ne pas réduire
le développement à une arithmétique d’épicier… »
Salar d’Uyuni en Bolivie.
Le prix Nobel de médecine a
distingué cette année trois
chercheurs qui ont révolutionné
le traitement de maladies
parasitaires, domaine au cœur
des recherches de l’IRD.
Les deux premiers, l’Irlandais
William Campbell et le Japonais
Satoshi Omura, ont découvert la
molécule à l’origine de l’ivermectine,
traitement contre les fi larioses,
notamment la cécité des rivières
(ou onchocercose). Dans les années
1970, les chercheurs de l’Orstom ont
joué un rôle clé dans le programme
de contrôle de l’onchocercose (OCP),
l’un des rares indiscutables succès en
santé publique en Afrique de l’Ouest,
avec plus de 13 millions d’enfants
sauvés de la cécité. LIRD a contribué
à défi nir les conditions d’emploi
de l’ivermectine en campagne de
masse, à identifi er d’éventuelles
résistances du parasite au traitement,
ou à mettre en évidence les relations
entre onchocercose et épilepsie. Les
recherches sur cette pathologie se
poursuivent au sein de l’Institut.
La troisième lauréate, la Chinoise
Youyou Tu, a démontré l’effi cacité
d’une plante médicinale,
Artemisia annua, contre le
plasmodium, parasite à l’origine
du paludisme. Elle ainsi ouvert
la voie aux combinaisons à base
d’artémisinine, devenu traitement
de référence du fait de résistances
acquises par le plasmodium à de
nombreuses molécules antérieures.
Plusieurs avancées récentes,
comme l’effi cacité d’une bithérapie
associant l’artésunate (un dérivé de
l’artémisinine) pour contrecarrer les
résistances aux composés d’Artemisia
annua, sont issues de travaux de l’IRD.
Le Centre de lutte intégrée contre le
paludisme (CLIP) témoigne de notre
ténacité pour l’éradication défi nitive
de cette maladie. Basé au Bénin, il
accueille des équipes de l’IRD, qui
travaillent notamment à la mise au
point d’un vaccin contre le paludisme
gestationnel. La lutte contre le
paludisme demeure une cible de l’un
des 17 Objectifs de développement
durable (ODD) adoptés par l’Assemblée
générale des Nations unies pour
l’horizon 2030. Le nécessaire
enrichissement des priorités de
l’agenda onusien ne doit en aucun cas,
comme le rappelle opportunément
ce prix Nobel, conduire à minorer la
priorité qui doit être donnée à la lutte
contre les maladies tropicales. Ce qui
implique de mieux lier cette dernière
au renforcement des systèmes de
santé et à l’extension de la couverture
du risque-maladie dans les pays en
développement, et de mieux l’intégrer
aux ODD qui lui sont inextricablement
liés comme la lutte contre la pauvreté
et contre le réchauffement climatique.
© IRD / E. Dautant
Recherches
Sur le front de la
drépanocytose P. 7
Stockage du carbone dans les sols :
résoudre l’équation
du 4 pour 1000 P. 8-9
El Niño aiguillonne
le climat mondial P. 1 0
Dans ce numéro
© gaëlgiraud.net
© IRD / O. Dangles
Andes
En Afrique, une grande partie du
carbone absorbé par la végéta-
tion est réémise dans l’atmos-
phère par les rivières ! Cet étonnant
résultat, publié dans la revue Nature
Geoscience1, est porté par une équipe de
chercheurs français, belges et kenyans.
Durant cinq ans, ils ont sillonné le conti-
nent africain pour mesurer les émissions
de gaz à effet de serre autour de douze
rivières. Ils ont analysé ces échanges
gazeux au sein des bassins de drainage
- la rivière et ses affl uents de la source
à l’embouchure -, soumis à différents
climats. Ce large éventail de données a
permis à l’équipe de mieux comprendre
les mécanismes contrôlant l’émission
de gaz à effet de serre dans les diffé-
rents sites. Les scientifi ques pointent le
rôle important des zones humides, ces
forêts inondées ou inondables bordant
les fl euves. Elles absorbent une grande
quantité de CO2 atmosphérique grâce à
une forte photosynthèse aérienne. Pour
autant, ce carbone fi xé par les plantes
conduit à la formation de matière orga-
nique. Elle est transférée dans l’eau et
accroît la production et l’émission de CO2
et de méthane. Ce résultat ouvre la voix
vers une meilleure compréhension du
rôle des fl euves dans le bilan de carbone
à l’échelle planétaire. O
1. Alberto V. Borges et al., Nature Geoscience,
2015
Contact
frederic.guerin@ird.fr
UMR GET (CNRS, IRD, UPS)
Les leishmanies
dévoilent
leur sexualité
Actualités
2
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ISSN : 1297-2258
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Dépôt légal : octobre 2015
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Tirage : 15 000 exemplaires
Abonnement annuel / 5 numéros : 20
Le journal de l'IRD
© IRD / R. Rodolfo-Metalpa
Une étude révèle une plus importante sensibilité de
certains coraux de Nouvelle-Calédonie à la pollution
par les métaux qu’à l’acidifi cation des océans.
Une équipe scientifi que révèle ses conclusions sur les émissions de gaz à effet de serre des rivières africaines.
Elles bouleversent les connaissances du bilan carbone du continent.
Certains coraux de Nouvelle-
Calédonie réagissent plus rapide-
ment à la pollution de l’eau par
un métal, le cobalt, qu’à l’acidifi cation
des océans. Ces résultats, obtenus par
des chercheurs de l’IRD, viennent d’être
publiés dans la revue Plos One1. « Beau-
coup d’études ont porté sur l’infl uence
du réchauffement et de l’acidifi cation
des océans sur les coraux, mais aucune
n’a considéré que ces cnidaires à proxi-
mité des côtes sont déjà impactés par
des pollutions liées à l’activité anthro-
pique », souligne Fanny Houlbrèque, la
coordinatrice de l’étude2. La contamina-
tion de l’eau par le cobalt, en particu-
lier, est directement associée aux rejets
d’effl uents industriels ou domestiques.
« A travers cette étude, nous souhaitions
déterminer si cette pollution augmente la
vulnérabilité des coraux côtiers aux chan-
gements climatiques, et en particulier à
l’acidifi cation des océans attendue pour
les prochaines décennies », explique la
chercheuse. Pour ce faire, l’équipe a
choisi deux espèces de coraux côtiers
communes sur l’île, Acropora muricata et
Stylophora pistillata et les a soumis à un
double dispositif expérimental. D’abord
en aquarium, puis en pleine mer, elle
a testé la réaction de ces coraux pour
différentes concentrations de cobalt et
de CO2. « Plus on injecte du gaz carbo-
nique dans l’eau, plus elle devient acide,
explique la chercheuse. Nous pouvions
donc réguler le pH de l’eau et le taux
de pollution de cobalt. » Dans les deux
milieux, les coraux ont vu leur taille
altérée par la pollution au cobalt. « Leur
taux de croissance a chuté de 28 % en
moyenne, souligne-t-elle. En revanche,
nous n’avons détecté aucune réponse à
l’acidifi cation de l’eau. » Est-ce à dire que
ce mécanisme n’a pas d’effet ? « Non,
répond la chercheuse, tout est question
de temps et de dosage. » La période
de l’étude était peut-être trop courte
pour observer leur réaction aux niveaux
d’acidité auxquels l’équipe les a exposés.
Sur le plus long terme, l’accumulation de
cobalt devrait augmenter la sensibilité
des coraux à la chute de pH de l’océan.
« A forte dose, ce métal devient toxique
pour les zooxanthelles, ces algues
unicellulaires qui vivent en symbiose
avec les coraux », explique Tom Biscéré,
également impliqué dans l’étude. Ces
organismes contribuent à la photo-
synthèse du corail en échange de la
récupération de ses déchets azotés.
« Sans cette symbiose, le métabolisme
des coraux est affecté. Ils deviennent plus
vulnérables aux attaques anthropiques et
climatiques », poursuit-il. Cette pollution
concerne de nombreux récifs dans le
monde entier, de la Nouvelle-Calédonie
au Costa Rica, en passant par le Yémen
ou la Thaïlande. Chaque cas est spéci-
que, mais ces travaux ouvrent de nou-
velles pistes sur la manière de protéger
les coraux. O
1. Tom Biscéré et al., Plos One, avril 2015.
2. Ces travaux ont été réalisés dans le cadre
du labex Corail.
Contacts
UMR Entropie (IRD, CNRS, Université de
La Réunion)
UMR LEMAR (IUEM, UBO, IRD, CNRS,
Ifremer).
Des coraux vulnérables
à la pollution aux métaux !
Des rivières émettrices de carbone !
Le fl euve Congo.
Mesure de l’activité photosynthétique de boutures coralliennes, Baie de
Prony (Nouvelle-Calédonie)
L
es leishmanioses touchent 16 millions
de personnes dans le monde. Pour
autant, ces maladies restent négligées,
tant d’un point de vue du traitement
que des efforts de recherche consacrés.
La biologie des parasites responsables
demeurent encore mal connue. Une
récente étude1 apporte un éclairage
nouveau sur ces pathogènes. Le débat
porte surtout sur leur reproduction,
bien plus complexe qu’il n’y paraissait
jusque-là. Les « leishmanies », de leur
nom vernaculaire, ne se reproduisent
pas uniquement, comme on le pensait,
de manière asexuée, c’est-à-dire par
multiplication clonale. En réalité, elles
présentent une sorte de reproduction
« mixte », alternant les modes sexué
et asexué. L’équipe de recherche a
exploré les données génétiques de
plusieurs espèces majeures de ces
parasites. Qu’ils proviennent d’Europe,
d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique
latine, les populations de ces derniers
portent les signatures génétiques de ces
différents modes de reproduction. La
marque de ce brassage génétique varie
d’une espèce à l’autre, chacune faisant
plus ou moins appel à cette stratégie
reproductive sexuée. Une découverte
qui n’est pas sans conséquences. De
fait, le mode de reproduction infl uence
la distribution de l’information
génétique dans les populations. Cette
analyse de génétique des populations
a donc permis aux scientifi ques de
déduire la structure et la répartition
des leishmanies dans la nature. Les
parasites se structurent en petites sous-
populations, où l’évolution génétique
est rapide. D’où des communautés très
hétérogènes dans un milieu donné.
Ces travaux sont un premier pas vers
la compréhension de ces organismes
complexes et, à terme, une meilleure
prise en charge des formes d’infection
diverses qu’ils provoquent2. O
1. Virginie Rougeron et al., Trends in Parasito-
logy, 31 (2), 2015.
2. Chez l’homme, les leishmanioses peuvent
s’exprimer sous forme cutanée, muco-cutanée,
ou encore viscérale.
Contacts
anne-laure.banuls@ird.fr
virginie.rouger[email protected]
UMR Mivegec (IRD, CNRS, Université de
Montpellier)
UMR Intertryp (IRD, CIRAD)
Les parasites des leishmanioses
demeurent mal connus.
Une récente étude de l’IRD
lève une partie du voile
sur leur biologie complexe.
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 80 - août / septembre / octobre 2015
© IRD / B. Le Ru
Actualités
3
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 80 - août / septembre / octobre 2015
Les résultats contre-intuitifs de travaux sur la santé des enfants, en rapport avec la salubrité de l’habitat,
montrent l’importance de réviser certains indicateurs globaux de développement et d’affiner
les normes qualitatives en matière d’assainissement.
Une équipe franco-thaïlandaise vient pour la première fois de décrire la biologie du virus zika. Elle montre comment
ce pathogène émergent, transmis par le moustique-tigre, infecte son hôte puis se propage dans l’organisme.
Le paradoxe de la fièvre infantile
et de la fosse septique
Mieux vaut pas de système
d’assainissement du tout
plutôt qu’une installation
de piètre qualité… Ce constat - qui
n’est en rien une recommandation ! -
provient d’études sur la santé des
enfants en rapport avec la salubrité
du milieu de vie, menées dans deux
capitales d’Afrique sahélienne par des
chercheurs de l’IRD et leurs partenaires
de l’Université de Ouagadougou1.
« Dans les quartiers informels de Dakar
et Ouagadougou, les enfants vivant
dans les foyers dépourvus d’une fosse
septique ont entre 20 et 40 % moins de
risque d’avoir eu une fièvre, comparés
à ceux vivant dans un foyer disposant
d’une telle installation », indique la
socio-démographe Stéphanie Dos
Santos. Avec ses collègues, elle étudie
les facteurs environnementaux de la
fièvre infantile dans ces zones défa-
vorisées. Ce symptôme est un signe
caractéristique de la mauvaise santé des
enfants dans des contextes de précarité
sanitaire, socio-économique et envi-
ronnementale. Leur découverte, pour
le moins contrintuitive, est explicable.
Dans les ménages où l’on ne dispose
pas de fosse septique, les effluents
domestiques sont dispersés à même le
sol, dans la cour en terre ou en sable
ou dans la rue non bitumée. Là, compte
tenu du climat, ils ont tôt fait de sécher,
sans constituer de gîte larvaire propice
au développement des vecteurs de
maladies parasitaires ou virales. A l’in-
verse, les installations d’assainissement
individuelles, quand elles existent, ne
sont pas nécessairement étanches. Elles
peuvent former des flaques insalubres,
notamment durant la saison des pluies,
où prolifèrent les insectes nuisibles.
C’est le cas notamment du moustique
responsable du paludisme dont on sait,
depuis peu, qu’il peut se reproduire
dans les eaux souillées.
« Ces résultats montrent l’imprécision
des indicateurs globaux, qui associent
sans subtilité le taux d’équipements
destinés à la salubrité et la santé des
populations, estime-t-elle. Ils cachent
des réalités plus complexes sur le ter-
rain. Et pour les saisir, il faut désagréger
les statistiques à des niveaux plus fins,
comme le quartier ou le foyer, et étudier
les pratiques domestiques… ». Au-delà,
ces résultats plaident aussi en faveur
de recherches sur l’accès aux services
urbains de base dans les villes africaines.
Car les politiques publiques en la matière
restent bien trop timides, face à une
situation d’une extrême urgence. Les
villes d’Afrique connaissent en effet une
croissance sans précédent dans l’histoire
de l’humanité, expansion appelée à se
poursuivre jusqu’en 2100 au moins. La
capitale du Burkina Faso, par exemple,
devrait compter trois fois plus d’habi-
tants dans quinze ans seulement. Mais
cette croissance urbaine africaine se fait,
pour une bonne part, dans des quar-
tiers informels, dépourvus d’adduction
d’eau, d’assainissement, d’électricité...
Et les effets négatifs de cette expansion
mal maîtrisée sur la santé publique se
font déjà sentir. « L’urbanisation n’est
plus systématiquement un facteur de
développement économique, social et
sanitaire, note la spécialiste. Ainsi, la
mortalité des enfants est désormais plus
élevée dans certains quartiers informels
de Nairobi, au Kenya, qu’en milieu
rural. » O
1. Institut supérieur des sciences de la population
Contact
UMR LPED (IRD et Aix-Marseille Université)
Zika : une cible thérapeutique
identifiée
Alerte rouge en Métropole1. Le
moustique tigre est désormais
« implanté et actif » dans vingt
départements. Et avec lui, son cortège
de virus : la dengue, le chikungunya et,
à présent, zika. Après le Pacifique, le
Brésil, les Antilles et La Réunion, toutes
les conditions pour l’émergence de ce
pathogène sont réunies dans les terri-
toires métropolitains où l’insecte vecteur
est présent2.
Malgré cette propagation mondiale, le
mode de contamination du virus zika
reste mal connu. En particulier la façon
dont il infecte l’homme. Une équipe
de recherche vient de lever le voile sur
cette question3. « Nous avons découvert
comment zika pénètre les cellules de son
hôte, s’y réplique et se dissémine dans
l’organisme », affirme Dorothée Missé,
chercheuse à l’IRD qui a dirigé ces tra-
vaux4. Cette dernière et ses partenaires
de l’Inserm, de l’Institut Pasteur et de
l’université de Mahidol en Thaïlande,
ont simulé in vitro la contamination lors
d’une piqûre de moustique, en inoculant
des particules virales dans une coupe de
peau. « Grâce à l’imagerie électronique,
nous avons alors observé comment
le virus procède. Celui-ci se fixe à un
récepteur cellulaire, une protéine du
nom d’AXL, lui permettant d’entrer dans
les cellules cutanées, décrit-t-elle. Puis il
provoque l’autodestruction de ces der-
nières par autophagie – un mécanisme
qui consiste en la dégradation partielle
du cytoplasme par la cellule elle-même
– afin de se multiplier et de se propager
chez son hôte. Ce processus se traduit
par la formation d’un œdème dans la
coupe de peau, ce qui explique les signes
cutanés observés dans les cas de zika
rapportés5 ».
La découverte du récepteur cellulaire
du virus permet d’envisager des voies
thérapeutiques. « L’introduction de
petits ARN silencing – autrement dit qui
« font taire » les gènes cibles – ou bien
d’anticorps dirigés contre la protéine AXL
permet l’inhibition de cette dernière et
bloque l’intrusion du virus, faisant lar-
gement baisser le taux de cellules infec-
tées », assure la biologiste. Deux pistes
à explorer désormais vers l’élaboration
d’un traitement contre ce pathogène
émergent. O
1. L’alerte a été déclarée par le réseau de sur-
veillance Vigilance moustiques.
2. Rapport du Haut Conseil de la santé
publique (HSPC) en date du 28 juillet dernier.
3. Rodolphe Hamel et al., Journal of Virology,
89 (17), 2015.
4. Travaux financés par l’ANR dans le cadre des
projets KerARBO et Timtamden.
5. Les symptômes de la maladie sont de la
fièvre, des douleurs articulaires, des maux de
tête, des œdèmes et éruptions cutanées. Des
complications neurologiques peuvent aussi
survenir.
Contacts
dorothee.misse@ird.fr
rodolphe.hamel@ird.fr
UMR MIVEGEC (IRD, CNRS, université
Montpellier)
© IRD / S. Dos Santos
© IRD / M. Jacquet
S’il est acquis que les Pygmées tirent
leur petite taille de la génétique, les
chercheurs manquaient jusque-là de
données fiables sur leur âge pour
analyser leur croissance. Grâce aux
registres de la mission catholique de
Moange-le-Bosquet, au Cameroun,
500 membres de l’ethnie Baka ont
pu participer à une étude pendant
huit ans. Ceci a permis d’établir les
premières courbes de croissance
pour des Pygmées.
Une équipe1 associant des cher-
cheurs de l’IRD, du CNRS et de l’UPMC,
vient de montrer2 que si les Baka
viennent au monde avec des men-
surations comparables aux normes
internationales, leur croissance est
fortement ralentie jusqu’à l’âge de
trois ans. Leur courbe de croissance
suit ensuite en parallèle les stan-
dards mondiaux, avec une poussée
de croissance à l’adolescence et une
taille adulte atteinte en moyenne
vers 20 ans. Ils ne rattrapent cepen-
dant jamais leur retard. De leur côté,
les Pygmées de l’est de l’Afrique
(région de l’Ituri) naissent avec une
taille d’emblée réduite. Leur petite
stature est donc issue des processus
de croissance différents des Baka.
La morphologie de ces populations
découle ainsi de deux mécanismes
différents, qui pourraient être liés à
une modulation hormonale.
Ces groupes de Pygmées se seraient
séparés il y a entre 8 000 et 13 000
ans, ce qui montre que la crois-
sance humaine peut évoluer en
relativement peu de temps. Cette
plasticité de la croissance a pu jouer
un rôle déterminant dans l’expan-
sion d’Homo sapiens en dehors
de l’Afrique, en lui permettant de
s’adapter rapidement à de nouveaux
environnements.
Ces résultats soulignent en outre
qu’il faut multiplier les études lon-
gitudinales. Ces dernières suivent
les individus dans le temps, pour
améliorer les études en génétique et
en endocrinologie et permettent de
mieux comprendre les mécanismes
de croissance chez les Pygmées, mais
aussi dans le reste de la population
mondiale, chez qui ils sont égale-
ment mal connus. Les chercheurs
souhaitent désormais déterminer
les processus endocrinologiques,
en ciblant les gènes qui en sont à la
base et en les comparant avec ceux
des Pygmées de l’est. O
1. Du laboratoire Dynamique de l’évo-
lution humaine (CNRS), du laboratoire
Patrimoines locaux et gouvernance
(IRD/MNHN), du Centre de recherche
Saint-Antoine (Sorbonne Universités/
UPMC Univ Paris 06/Inserm) du Centre
de recherche épidémiologie et statistique
Sorbonne Paris Cité (Inserm/Université
Paris Descartes/Université Paris 13/Univer-
sité Paris Diderot/Inra/Cnam), du Centre
de recherche en épidémiologie et santé
des populations (Inserm/Université Paris
Sud/UVSQ).
2. Ramírez Rozzi F et al., Nature Commu-
nications 6, 2015.
Contacts
alain.froment@ird.fr
UMR Paloc (IRD, MNHN)
Fernando Ramirez Rozzi
ramrozzi@yahoo.fr
UPR 2147
Croissance
des Pygmées
Agglomération de Dakar. Evacuation des eaux usées à ciel ouvert au milieu de
la rue.
Femelle Aedes albopictus sur son hôte avant le repas de sang.
«Pygmées Baka, le grand Virage»
réalisé par Laurent Maget, produit
par CNRS Images et l’IRD.
© CNRS Images
Partenaires
4
© IRD / S. Cravatte
Locéan Pacifi que et les forts cou-
rants qui le parcourent jouent
un rôle majeur dans le climat
mondial. En retour, l’accélération du
changement climatique a un impact,
méconnu mais non des moindres, sur
la circulation océanique. « Les courants
dits “courants de bord” se sont générale-
ment intensifi és au cours du siècle passé,
affi rme Alexandre Ganachaud, qui vient
de co-publier dans la revue Nature1 un
premier état des connaissances sur ces
systèmes dynamiques dans le Pacifi que.
Ceux en particulier situés à l’ouest de cet
océan se sont étendus en direction des
pôles, où ils se sont réchauffés deux à
trois fois plus que dans le reste du globe.
Or, ils sont au cœur de la machine cli-
matique terrestre. Ils contribuent à la
circulation thermohaline mondiale2 et
alimentent la principale “pompe à cha-
leur” de la planète, la fameuse “warm
pool” au milieu de cet océan ».
Ces importants travaux de recherches3,4
ont été menés sous l’égide du groupe
d’experts CLIVAR4 du Programme des
Nations unies pour l’environnement
(PNUE), un réseau qui structure au plan
international les recherches sur la
variabilité climatique et les interactions
océan-atmosphère. Ils font suite à
sept années d’efforts redoublés dans
le cadre du programme de recherche
SPICE5, lui-même déjà soutenu par le
groupe d’experts onusien. « De 2008 à
2014, nous avons déployé d’importants
moyens scientifi ques : campagnes en
mer, planeurs sous-marins et mouillages
courantométriques…, décrit Sophie
Cravatte associée à ce programme.
Nous avons ainsi collecté de nombreuses
mesures, qui faisaient jusque-là défaut,
sur la température et de la salinité des
eaux, la direction et la vitesse des cou-
rants, etc. » Ces travaux avaient déjà
donné des résultats signifi catifs6. Combi-
nées à des simulations numériques à très
haute résolution, ces observations in situ
ont permis aux scientifi ques de mieux
caractériser la circulation océanique très
complexe du Pacifi que sud-ouest, avec
différents « jets » traversant la mer de
Corail, avant de rencontrer l’Australie.
Au-delà de la capitalisation des avan-
cées scientifiques, des instruments de
mesure océanographiques continuent
d’assurer en temps réel le suivi de
la dynamique océanique. Il en est
ainsi du réseau de bouées TAO/Triton,
quadrillant le Pacifique tropical. Elles
sont désormais mises au service d’un
ambitieux projet de mesures à long
terme, le projet TPOS-2020, qui voit
aujourd’hui le jour.
« L’enjeu est désormais de mutualiser
tous ces efforts et de distribuer les
données à la communauté, déclare
Alexandre Ganachaud, co-chaire du
groupe CLIVAR-Pacifique. Un de nos
objectifs est de coordonner l’ensemble
de ces travaux sous la bannière d’un
seul et même programme pour la
région, qui s’appuierait sur les pro-
jets SPICE, NPOCE, les mesures dans les
détroits indonésiens, etc. » O
1. Dunxin Hu et al. Nature, 2015, 522, p.299-
308.
2. Circulation très lente de l’océan à l’échelle
mondiale, liée aux écarts de température et de
salinité entre les masses d’eau.
3. Dans le cadre du programme NPOCE
(Northwest Pacific Ocean and Climate
Circulation Experiment) piloté par des parte-
naires chinois.
4. Climate variability and prediction.
5. Southwest Pacifi c circulation and climate
experiment.
6. Alexandre Ganachaud et al. Journal of
Geophysical Research : Oceans , 2014, 119 (11).
Contacts
alexandre.ganachaud@ird.fr
UMR LEGOS (IRD, CNES, CNRS, univer-
sité Toulouse 3)
Paysage au large des îles Salomon.
Pacifique
Au cœur de la machine climatique
Depuis sept ans, d’importants efforts de recherche sont entrepris dans le Pacifi que ouest. Réseaux d’instruments de
mesures et d’experts d’un programme des Nations unies prennent le pouls de cet océan.
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 80 - août / septembre / octobre 2015
L’histoire géologique et géochimique des rubis détermine leurs propriétés. Les
scientifi ques de l’IRD et leurs partenaires mettent en lumière les différents mécanismes
aboutissant à autant de qualités de gemmes.
Une équipe franco-indienne montre que le réchauffement de l’océan Indien affaiblit la
mousson estivale et assèche le sous-continent.
La genèse des pierres précieuses
s’apparente parfois à une cuisine
épicée. « La recette la plus salée
donne les rubis les plus appréciés des
amateurs de joaillerie et, à l’inverse, la
plus fade, des pierres bien moins savou-
reuses », explique ainsi le géologue
Gaston Giuliani, spécialiste des gemmes.
Ses travaux, menés avec plusieurs parte-
naires du Sud et les universités Paul Saba-
tier de Toulouse, de Lorraine et libre de
Bruxelles, mettent en lumière les secrets
de cette vaste tambouille géologique.
Côté ingrédients, la formation des rubis
requiert toujours de l’aluminium, du
chrome et du vanadium. Leur mélange
doit s’effectuer à chaud et en pression
– comptez 600 à 750 °C et 6 à 11 kilo-
bars ! Deux environnements naturels
réunissent ces ingrédients et conditions.
Ils constituent les deux principales fi lières
de production de rubis : des marbres,
roches métamorphiques1 formées à par-
tir de sédiments marins, et des amphibo-
lites issues du métamorphisme de roches
magmatiques provenant du manteau.
Les premiers étaient des calcaires, fruits
du dépôt et de la superposition de sédi-
ments au fond de bassins marins, en
bordure de plateformes continentales,
et de lagons disparus depuis. Remobili-
sés, chauffés et mis sous pression dans
l’étau formé par la friction de plaques
tectoniques, ils forment des marbres. Et
lorsque ces sédiments contiennent des
argiles à chrome et vanadium, drainées
par les rivières jusqu’à la mer, ainsi que
des intercalations de sels et sulfates
provenant de l’évaporation de l’eau
des lagons, des rubis cristallisent lors du
métamorphisme. Cette fi lière du marbre,
liée à la collision continentale entre les
plaques indienne et eurasiatique au
cours de l’orogenèse himalayenne, débu-
tée voilà 60 millions d’années, donne
des gisements de l’Afghanistan, en Asie
centrale, jusqu’au Vietnam en Asie du
Sud-Est. Ces pierres ne représentent pas
plus de 10 % de la production mondiale,
mais elles ont une grande valeur grâce
à leur couleur et transparence. Elles se
prêtent à la taille et sont très prisées des
connaisseurs, à l’instar du fameux rubis
couleur sang de pigeon de Mogok au
Myanmar. « La présence de sels fondus,
issus de la fusion des sels et sulfates au
cours du métamorphisme, et piégés
dans de microscopiques cavités dans ces
rubis, explique leur éclat si particulier »,
révèle le chercheur. L’analyse chimique
de ces minuscules inclusions2 confi rme
l’origine « génétique » sédimentaire de
ces pierres, précédemment établie par
les scientifi ques de l’IRD.
La fi lière des amphibolites fournit pour
sa part 90 % de la production mondiale
de rubis. Riche en fer, elle donne des
pierres sombres de moindre qualité
joaillière généralement taillées et polies
en forme de cabochons3. Ses gisements
s’étendent de l’Afrique de l’Est au Sri
Lanka, en passant par Madagascar et le
sud de l’Inde. Elle est issue de matériaux
venus du manteau terrestre, soumis aux
pressions tectoniques et au métamor-
phisme liés à l’orogenèse est-africaine,
créatrice d’une chaîne de montagne
plus grande que celle des Himalayas,
il y a plus de 600 millions d’années...
La très récente découverte de rubis de
qualité exceptionnelle dans les amphibo-
lites du Mozambique, allant à l’encontre
du schéma décrit ici, aiguisera à coup sûr
l’appétit scientifi que des chercheurs. O
Une équipe de l’Indian Institute
of Meteorology (IITM) de Pune,
associée à l’IRD, vient de révéler
dans la revue Nature Communications1
que le réchauffement de l’océan Indien,
jusqu’à 1,2° C dans certaines zones
depuis un siècle, affaiblit l’intensité
de la mousson indienne, de l’ordre de
10 à 20 % dans les régions centrales,
orientales et du nord du pays. Pour
ce faire, les scientifiques ont utilisé
un modèle de climat couplé océan et
atmosphère, développé spécifi quement
par l’IITM pour la prévision de la mousson.
Grâce à ce dernier, les chercheurs ont
pu démontrer que la baisse des pluies
observée sur le sous-continent depuis les
années 1950 est due au réchauffement
rapide de l’océan. Le Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du
climat prévoit que le réchauffement des
eaux s’amplifi era sous l’effet des gaz à
effet de serre.
L’étude explique aussi l’origine de la
baisse observée des précipitations liées à
la mousson indienne. Le sous-continent
indien s’est très peu réchauffé au cours
des dernières décennies, ce qui diminue la
différence de température estivale entre
l’océan et les terres, à l’origine des vents
de mousson. Ce phénomène entraîne
un affaiblissement de la dynamique de
mousson et donc un assèchement du
sous-continent, avec des conséquences
néfastes sur l’agriculture le long des bas-
sins du Gange-Brahmapoutre-Meghna
et des contreforts de l’Himalaya, qui a
besoin d’être largement irriguée. O
1. Mathew Koll Roxy et al., Nature Commu-
nications, 2015
Contacts
Roxy Mathew Koll
roxy@tropmet.res.in
Indian Institute of Tropical Meteorology
Locean UMR (CNRS, IRD, UPMC, MNHN)
Les recettes du rubis
La mousson asiatique
s’affaiblit !
1. Transformations subies par une roche
sous l’effet de modifi cations des conditions
de température, de pression et de la nature
des fl uides.
2. Dont la taille est comprise entre 10 et
100 microns.
3. Pierres polies en ovale, plane en-dessous
et bombée au dessus.
Contact
UMR GET (IRD, CNRS et Université
Paul Sabatier - Toulouse 3) et CRPG
(CNRS et Université de Lorraine) Cristal de rubis, de 1 cm de haut, sur du marbre de Mogok, Myanmar.
© L. D. Bayle / le Règne Minéral
Partenaires
5
Une équipe internationale
révèle l’extrême sensibilité
des glaciers népalais à la
hausse des températures
prévue d’ici à 2100.
Avec ses partenaires, le microbiologiste de l’IRD Hervé Macarie met en lumière une possible transformation
spontanée de la chlordécone dans les sols antillais.
Vers une forte réduction des glaciers
de la région de l’Everest
La région de l’Everest pourrait
passer du blanc au noir plus
rapidement qu’on ne le croyait.
Selon une étude récente1, pilotée par
une équipe internationale du centre
de recherche intergouvernemental
régional ICIMOD2, la majorité des glaciers
de ce bassin versant népalais pourrait
disparaître d’ici à 2100. « Nos résul-
tats nous ont nous-mêmes surpris »,
concède Patrick Wagnon, glaciologue
à l’IRD et impliqué dans l’étude. Ces
conclusions interpellent. Et pour cause :
à l’heure actuelle, ces glaciers perdent
de la masse mais environ trois fois moins
rapidement que dans les Alpes ou les
Andes tropicales3. « La région népalaise
abrite une partie des plus hauts sommets
du monde, ils sont ainsi mieux protégés
de la hausse des températures à l’œuvre
depuis le petit âge glaciaire », souligne
le chercheur.
Alors comment expliquer de tels résul-
tats pour la fi n du siècle ? « Ils viennent
d’une part, de la forte sensibilité de ces
glaciers à la température et, d’autre
part, du réchauffement extrême envi-
sagé à haute altitude par les divers
scenarii climatiques (jusqu’à + 8 °C au
printemps notamment), répond le cher-
cheur. Même avec le scénario le plus
optimiste envisagé dans nos travaux, la
température augmentera de façon signi-
cative jusqu’à ces altitudes là ». Selon
l’équipe, l’isotherme 0 °C, cette ligne,
qui démarque la limite entre la pluie
et la neige, devrait grimper de près de
1 000 mètres de haut. Or, un glacier est
en bonne santé s’il accumule au moins
autant de neige qu’il n’en perd lors de
sa saison de fonte ! Aujourd’hui, cette
ligne frontière se trouve en moyenne à
5 500 m d’altitude en été. Si elle grimpe
comme le prévoient les différents sce-
narii climatiques, alors 70 % à 99 %
des glaciers de cette région pourraient
disparaître !
Cette sensibilité à la température des
glaciers, les chercheurs l’ont mise en
lumière grâce à la richesse des données
disponibles dans cette région embléma-
tique du monde. « Nous nous sommes
appuyés sur 18 jeux de données clima-
tiques, topographiques et glaciologiques
différents », précise le glaciologue. Pour
autant, l’équipe insiste sur le degré
d’incertitude de leurs résultats. « Ils
sont une première étape et doivent être
pris avec précaution avant d’être affi nés
et améliorés », souligne-t-il. De fait, du
côté des données de terrain, les mesures
pluviométriques en altitude sont rares et
peu précises. Elles ne permettent donc
pas de vérifier les simulations issues
du modèle. En outre, il réside de nom-
breuses incertitudes sur la façon dont le
modèle simule les processus complexes
comme la variabilité spatiale des précipi-
tations, la redistribution de la neige par
le vent, les avalanches ou la fonte des
glaciers couverts de débris morainiques.
« Reste qu’une perte de 70 % de volume
glaciaire perdu à l’horizon 2100 semble
réaliste, compte tenu du réchauffement
futur envisagé par les différents scénarii
climatiques, assure le chercheur. Près
des trois quarts des surfaces glaciaires
sont situées entre 5 000 et 6 000 m
d’altitude et cette tranche d’altitude
sera signifi cativement impactée si rien
n’est fait pour ralentir le réchauffement
climatique. » O
1. Shea et al., The Cryosphere, 2015.
2. LInternational Centre for Integrated
Mountain Development (ICIMOD) est un
centre d’apprentissage et de partage des
connaissances intergouvernemental de la
région de l’Hindu Kush-Himalaya. Huit pays en
sont membres : l’Afghanistan, le Bangladesh,
le Bhoutan, la Chine, l’Inde, le Myanmar, le
Népal et le Pakistan. Les travaux sont fi nancés
par les gouvernements de cette région, mais
aussi des institutions internationales. L’étude
en question a été réalisée dans le cadre du
système d’observation GLACIOCLIM, de l’ANR
Paprika et l’ANR Preshine.
3. Wagnon et al., The Cryosphere, 2013.
Contacts
UMR LTHE (IRD, CNRS, Grenoble-INP, UJF)
Samjwal Ratna Bajracharya,
Icimod
E
t si la chlordécone, cette molé-
cule toxique répandue sur près
de 19 000 hectares des Antilles
françaises, se dégradait spontanément ?
« Jusqu’ici elle était considérée comme
naturellement indestructible du fait de
ses 10 atomes de chlore qui lui confèrent
une sorte de cage de protection »,
raconte le microbiologiste de l’IRD Hervé
Macarie. Avec ses partenaires du Bureau
de recherches géologiques et minières et
des universités des Antilles et Paris Sud
notamment1, il vient de remettre en
question ce paradigme. Leurs récents
travaux2 révèlent qu’une transformation
naturelle de la molécule en une autre, la
5b-hydro3, est possible. « Cette dernière
est une chlordécone avec un atome de
chlore en moins, souligne le chercheur
Damien Devault. En Martinique, sou-
vent lorsqu’un pic de concentration de
chlordécone est détecté dans les sols,
un de 5b-hydro est associé. » Comment
l’expliquer ? L’équipe a peu à peu écarté
toutes les théories possibles.
Parmi les hypothèses soulevées, l’une
était particulièrement solide. L’existence
de la molécule 5b-hydrochlordécone
dans les sols antillais pouvait être liée
au déversement des deux produits phy-
tosanitaires utilisés contre le charançon
du bananier, la Curlone et la Képone.
« Pour le vérifi er, nous avons mesuré
la teneur en 5b-hydrochlordécone
dans des échantillons de ces produits,
commente Hervé Macarie. Elle est 25
fois plus importante dans les sols !. » Un
résultat d’autant plus surprenant que si
cette molécule provenait des pesticides,
elle ne devrait pas se trouver dans le sol
en d’aussi importantes concentrations.
« La 5b-hydro est plus soluble que la
chlordécone, souligne le chercheur de
l’IRD. Elle aurait donc dû être transportée
préférentiellement par les pluies jusque
dans les nappes phréatiques ou les
rivières. » L’équipe a calculé qu’il aurait
fallu répandre 2 600 tonnes de chlordé-
cone pour atteindre les concentrations
actuelles de 5b-hydro. C’est plus que la
totalité de ce qui a été produit dans le
monde entier ! « Cela suggère qu’il y
a une production de 5b-hydro dans les
sols, poursuit Damien Devault. Et jusqu’à
preuve du contraire, seule la déchlora-
tion de la molécule mère permet de
l’explique. »
Pour comprendre les mécanismes à
l’œuvre dans les sols, l’équipe compte
cartographier les zones agricoles concen-
trées en 5b-hydrochlordécone et chlor-
décone de Martinique. Elle déterminera
si ces zones sont associées à des condi-
tions environnementales particulières
(un sol plus éclairé ou plus humide par
exemple). « Avec l’identification des
processus naturels en jeu, nous pourrons
peut être ensuite les intensifi er ou s’en
inspirer pour développer des méthodes
de lutte contre cette pollution », suggère
Hervé Macarie. Un enjeu majeur car pour
l’heure, sous la seule action de la pluie,
il faut encore 700 ans pour que la chlor-
décone soit éliminée des sols antillais.
« D’autant qu’il ne s’agirait, dans ce
cas, que d’un transfert de la chlordé-
cone des sols vers l’océan, commente
le chercheur. Or dans ce milieu marin,
les ressources halieutiques côtières
contiennent déjà des concentrations de
cette molécule qui les rendent impropres
à la consommation. » O
1. Sébastien Bristeau et Christophe Mouvet
du BRGM, Hélène Pascaline de l’université des
Antilles et Christophe Laplanche de l’univer-
sité de Toulouse ont également contribué à
cette étude.
2. Damien A. Devault et al., Environmental
Science and Pollution Research, 2015.
3. La 5b-hydro a pour nom complet
5b-hydrochlordécone. Elle est un métabolite
de la chlordécone : un atome d’hydrogène
remplace un de chlore.
Contacts
UMR IMBE (Aix Marseille Université,
CNRS, IRD, Université d’Avignon et du
Vaucluse)
Universités des Antilles et Paris Sud
Préserver les
dernières mangroves
du Mexique
Une équipe franco
mexicaine étudie l’état de
santé de l’emblématique
lagune Sontecomapan
au Mexique.
La lagune de Sontecomapan compte
parmi les derniers paysages de man-
grove du golfe du Mexique. Pour
combien de temps encore ? « Depuis
une dizaine d’années, elle subit d’im-
portantes pressions anthropiques :
l’agriculture et l’élevage de bétail s’in-
tensifi ent dans cette région. Ces acti-
vités grignotent peu à peu la surface
de palétuviers et modifi ent l’écologie
de la lagune », raconte la biologiste
Maria Jesus Ferrara-Guerrero. Avec
son équipe de l’université autonome
métropolitaine de Xochimilco et des
chercheurs de l’IRD, elle a mis en place
un suivi de la lagune. « L’objectif est
d’obtenir des informations pertinentes
sur le fonctionnement écologique et
des indicateurs de la qualité de l’eau
in situ pour mieux comprendre l’im-
pact des activités anthropiques sur les
écosystèmes de la lagune », explique le
biologiste Marc Pagano. Ainsi, dans le
cadre d’un programme de coopération
scientifi que, l’équipe franco-mexicaine a
mesuré les principaux facteurs environ-
nementaux et l’activité biologique de
la lagune durant quatre ans. Elle s’est
notamment intéressée au cycle de vie
du phytoplancton, ces algues que l’on
trouve au début de la chaine alimentaire
marine. « Il réagit très vite à la modifi ca-
tion des conditions environnementales.
Connaître sa variabilité donne donc des
informations sur l’état de santé de la
lagune », explique le chercheur.
Les premiers résultats de l’équipe
montrent une prolifération excessive
du phytoplancton en saison des pluies.
Celle-ci tient à une décharge plus impor-
tante de nitrates par les rivières dans
la lagune. « Ces éléments stimulent la
croissance des algues, souligne Marc
Pagano. Le problème est que dans les
eaux de ruissellement se trouvent aussi
des produits phytosanitaires appliqués
sur les cultures agricoles environnantes
et dans les rejets du bétail. » L’intensifi -
cation agricole laisse à craindre une aug-
mentation de ces rejets dans la lagune
et donc une prolifération encore plus
importante de phytoplancton. A terme,
elle peut consommer tout l’oxygène du
milieu et entraîner une mortalité massive
des autres organismes. « Le risque est
réel car les conditions environnemen-
tales locales ne permettront pas à la
lagune de réguler cette multiplication de
phytoplancton », note le chercheur. De
fait, sa faible profondeur et la défores-
tation de la mangrove limitent le déve-
loppement du principal consommateur
de phytoplancton, le zooplancton.
En parallèle, l’équipe a développé un
modèle numérique de circulation des
eaux. « Il simule le déplacement des
masses d’eaux et la diffusion de la
pollution, en fonction de l’infl uence
de la marée et de l’augmentation
d’eau douce en saison des pluies »,
ajoute encore le chercheur. Cet outil,
associé aux résultats du suivi, intéresse
les gestionnaires locaux. « Ils l’auront
à disposition pour mettre en place une
gestion durable des ressources, com-
mente Maria Jesus Ferrara-Guerrero. Elle
est aujourd’hui essentielle à l’activité
de pêche dans la lagune qui alimente
des milliers de mexicains. » O
Contacts
María Jesús Ferrara-Guerrero,
Universidad Autónoma
Metropolitana-Xochimilco, México
marc.pagano@ird.fr
UMR MIO (AMU, CNRS, IRD, Univer-
sité de Toulon)
© IRD / H. Macarie
© IRD / P. Wagnon
Insecticide utilisé contre le charançon du bananier jusqu’en 1993 dans
les Antilles françaises.
La chlordécone perd son chlore…
© wikipedia
Glaciologue installant une station météorologique à 6 400 m sur le glacier Mera, région de l’Everest, vallée de
l’Hinku, Népal.
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 80 - août / septembre / octobre 2015
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