Partenaires
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Une équipe internationale
révèle l’extrême sensibilité
des glaciers népalais à la
hausse des températures
prévue d’ici à 2100.
Avec ses partenaires, le microbiologiste de l’IRD Hervé Macarie met en lumière une possible transformation
spontanée de la chlordécone dans les sols antillais.
Vers une forte réduction des glaciers
de la région de l’Everest
La région de l’Everest pourrait
passer du blanc au noir plus
rapidement qu’on ne le croyait.
Selon une étude récente1, pilotée par
une équipe internationale du centre
de recherche intergouvernemental
régional ICIMOD2, la majorité des glaciers
de ce bassin versant népalais pourrait
disparaître d’ici à 2100. « Nos résul-
tats nous ont nous-mêmes surpris »,
concède Patrick Wagnon, glaciologue
à l’IRD et impliqué dans l’étude. Ces
conclusions interpellent. Et pour cause :
à l’heure actuelle, ces glaciers perdent
de la masse mais environ trois fois moins
rapidement que dans les Alpes ou les
Andes tropicales3. « La région népalaise
abrite une partie des plus hauts sommets
du monde, ils sont ainsi mieux protégés
de la hausse des températures à l’œuvre
depuis le petit âge glaciaire », souligne
le chercheur.
Alors comment expliquer de tels résul-
tats pour la fi n du siècle ? « Ils viennent
d’une part, de la forte sensibilité de ces
glaciers à la température et, d’autre
part, du réchauffement extrême envi-
sagé à haute altitude par les divers
scenarii climatiques (jusqu’à + 8 °C au
printemps notamment), répond le cher-
cheur. Même avec le scénario le plus
optimiste envisagé dans nos travaux, la
température augmentera de façon signi-
fi cative jusqu’à ces altitudes là ». Selon
l’équipe, l’isotherme 0 °C, cette ligne,
qui démarque la limite entre la pluie
et la neige, devrait grimper de près de
1 000 mètres de haut. Or, un glacier est
en bonne santé s’il accumule au moins
autant de neige qu’il n’en perd lors de
sa saison de fonte ! Aujourd’hui, cette
ligne frontière se trouve en moyenne à
5 500 m d’altitude en été. Si elle grimpe
comme le prévoient les différents sce-
narii climatiques, alors 70 % à 99 %
des glaciers de cette région pourraient
disparaître !
Cette sensibilité à la température des
glaciers, les chercheurs l’ont mise en
lumière grâce à la richesse des données
disponibles dans cette région embléma-
tique du monde. « Nous nous sommes
appuyés sur 18 jeux de données clima-
tiques, topographiques et glaciologiques
différents », précise le glaciologue. Pour
autant, l’équipe insiste sur le degré
d’incertitude de leurs résultats. « Ils
sont une première étape et doivent être
pris avec précaution avant d’être affi nés
et améliorés », souligne-t-il. De fait, du
côté des données de terrain, les mesures
pluviométriques en altitude sont rares et
peu précises. Elles ne permettent donc
pas de vérifier les simulations issues
du modèle. En outre, il réside de nom-
breuses incertitudes sur la façon dont le
modèle simule les processus complexes
comme la variabilité spatiale des précipi-
tations, la redistribution de la neige par
le vent, les avalanches ou la fonte des
glaciers couverts de débris morainiques.
« Reste qu’une perte de 70 % de volume
glaciaire perdu à l’horizon 2100 semble
réaliste, compte tenu du réchauffement
futur envisagé par les différents scénarii
climatiques, assure le chercheur. Près
des trois quarts des surfaces glaciaires
sont situées entre 5 000 et 6 000 m
d’altitude et cette tranche d’altitude
sera signifi cativement impactée si rien
n’est fait pour ralentir le réchauffement
climatique. » O
1. Shea et al., The Cryosphere, 2015.
2. L’International Centre for Integrated
Mountain Development (ICIMOD) est un
centre d’apprentissage et de partage des
connaissances intergouvernemental de la
région de l’Hindu Kush-Himalaya. Huit pays en
sont membres : l’Afghanistan, le Bangladesh,
le Bhoutan, la Chine, l’Inde, le Myanmar, le
Népal et le Pakistan. Les travaux sont fi nancés
par les gouvernements de cette région, mais
aussi des institutions internationales. L’étude
en question a été réalisée dans le cadre du
système d’observation GLACIOCLIM, de l’ANR
Paprika et l’ANR Preshine.
3. Wagnon et al., The Cryosphere, 2013.
Contacts
UMR LTHE (IRD, CNRS, Grenoble-INP, UJF)
Samjwal Ratna Bajracharya,
Icimod
E
t si la chlordécone, cette molé-
cule toxique répandue sur près
de 19 000 hectares des Antilles
françaises, se dégradait spontanément ?
« Jusqu’ici elle était considérée comme
naturellement indestructible du fait de
ses 10 atomes de chlore qui lui confèrent
une sorte de cage de protection »,
raconte le microbiologiste de l’IRD Hervé
Macarie. Avec ses partenaires du Bureau
de recherches géologiques et minières et
des universités des Antilles et Paris Sud
notamment1, il vient de remettre en
question ce paradigme. Leurs récents
travaux2 révèlent qu’une transformation
naturelle de la molécule en une autre, la
5b-hydro3, est possible. « Cette dernière
est une chlordécone avec un atome de
chlore en moins, souligne le chercheur
Damien Devault. En Martinique, sou-
vent lorsqu’un pic de concentration de
chlordécone est détecté dans les sols,
un de 5b-hydro est associé. » Comment
l’expliquer ? L’équipe a peu à peu écarté
toutes les théories possibles.
Parmi les hypothèses soulevées, l’une
était particulièrement solide. L’existence
de la molécule 5b-hydrochlordécone
dans les sols antillais pouvait être liée
au déversement des deux produits phy-
tosanitaires utilisés contre le charançon
du bananier, la Curlone et la Képone.
« Pour le vérifi er, nous avons mesuré
la teneur en 5b-hydrochlordécone
dans des échantillons de ces produits,
commente Hervé Macarie. Elle est 25
fois plus importante dans les sols !. » Un
résultat d’autant plus surprenant que si
cette molécule provenait des pesticides,
elle ne devrait pas se trouver dans le sol
en d’aussi importantes concentrations.
« La 5b-hydro est plus soluble que la
chlordécone, souligne le chercheur de
l’IRD. Elle aurait donc dû être transportée
préférentiellement par les pluies jusque
dans les nappes phréatiques ou les
rivières. » L’équipe a calculé qu’il aurait
fallu répandre 2 600 tonnes de chlordé-
cone pour atteindre les concentrations
actuelles de 5b-hydro. C’est plus que la
totalité de ce qui a été produit dans le
monde entier ! « Cela suggère qu’il y
a une production de 5b-hydro dans les
sols, poursuit Damien Devault. Et jusqu’à
preuve du contraire, seule la déchlora-
tion de la molécule mère permet de
l’explique. »
Pour comprendre les mécanismes à
l’œuvre dans les sols, l’équipe compte
cartographier les zones agricoles concen-
trées en 5b-hydrochlordécone et chlor-
décone de Martinique. Elle déterminera
si ces zones sont associées à des condi-
tions environnementales particulières
(un sol plus éclairé ou plus humide par
exemple). « Avec l’identification des
processus naturels en jeu, nous pourrons
peut être ensuite les intensifi er ou s’en
inspirer pour développer des méthodes
de lutte contre cette pollution », suggère
Hervé Macarie. Un enjeu majeur car pour
l’heure, sous la seule action de la pluie,
il faut encore 700 ans pour que la chlor-
décone soit éliminée des sols antillais.
« D’autant qu’il ne s’agirait, dans ce
cas, que d’un transfert de la chlordé-
cone des sols vers l’océan, commente
le chercheur. Or dans ce milieu marin,
les ressources halieutiques côtières
contiennent déjà des concentrations de
cette molécule qui les rendent impropres
à la consommation. » O
1. Sébastien Bristeau et Christophe Mouvet
du BRGM, Hélène Pascaline de l’université des
Antilles et Christophe Laplanche de l’univer-
sité de Toulouse ont également contribué à
cette étude.
2. Damien A. Devault et al., Environmental
Science and Pollution Research, 2015.
3. La 5b-hydro a pour nom complet
5b-hydrochlordécone. Elle est un métabolite
de la chlordécone : un atome d’hydrogène
remplace un de chlore.
Contacts
UMR IMBE (Aix Marseille Université,
CNRS, IRD, Université d’Avignon et du
Vaucluse)
Universités des Antilles et Paris Sud
Préserver les
dernières mangroves
du Mexique
Une équipe franco
mexicaine étudie l’état de
santé de l’emblématique
lagune Sontecomapan
au Mexique.
La lagune de Sontecomapan compte
parmi les derniers paysages de man-
grove du golfe du Mexique. Pour
combien de temps encore ? « Depuis
une dizaine d’années, elle subit d’im-
portantes pressions anthropiques :
l’agriculture et l’élevage de bétail s’in-
tensifi ent dans cette région. Ces acti-
vités grignotent peu à peu la surface
de palétuviers et modifi ent l’écologie
de la lagune », raconte la biologiste
Maria Jesus Ferrara-Guerrero. Avec
son équipe de l’université autonome
métropolitaine de Xochimilco et des
chercheurs de l’IRD, elle a mis en place
un suivi de la lagune. « L’objectif est
d’obtenir des informations pertinentes
sur le fonctionnement écologique et
des indicateurs de la qualité de l’eau
in situ pour mieux comprendre l’im-
pact des activités anthropiques sur les
écosystèmes de la lagune », explique le
biologiste Marc Pagano. Ainsi, dans le
cadre d’un programme de coopération
scientifi que, l’équipe franco-mexicaine a
mesuré les principaux facteurs environ-
nementaux et l’activité biologique de
la lagune durant quatre ans. Elle s’est
notamment intéressée au cycle de vie
du phytoplancton, ces algues que l’on
trouve au début de la chaine alimentaire
marine. « Il réagit très vite à la modifi ca-
tion des conditions environnementales.
Connaître sa variabilité donne donc des
informations sur l’état de santé de la
lagune », explique le chercheur.
Les premiers résultats de l’équipe
montrent une prolifération excessive
du phytoplancton en saison des pluies.
Celle-ci tient à une décharge plus impor-
tante de nitrates par les rivières dans
la lagune. « Ces éléments stimulent la
croissance des algues, souligne Marc
Pagano. Le problème est que dans les
eaux de ruissellement se trouvent aussi
des produits phytosanitaires appliqués
sur les cultures agricoles environnantes
et dans les rejets du bétail. » L’intensifi -
cation agricole laisse à craindre une aug-
mentation de ces rejets dans la lagune
et donc une prolifération encore plus
importante de phytoplancton. A terme,
elle peut consommer tout l’oxygène du
milieu et entraîner une mortalité massive
des autres organismes. « Le risque est
réel car les conditions environnemen-
tales locales ne permettront pas à la
lagune de réguler cette multiplication de
phytoplancton », note le chercheur. De
fait, sa faible profondeur et la défores-
tation de la mangrove limitent le déve-
loppement du principal consommateur
de phytoplancton, le zooplancton.
En parallèle, l’équipe a développé un
modèle numérique de circulation des
eaux. « Il simule le déplacement des
masses d’eaux et la diffusion de la
pollution, en fonction de l’infl uence
de la marée et de l’augmentation
d’eau douce en saison des pluies »,
ajoute encore le chercheur. Cet outil,
associé aux résultats du suivi, intéresse
les gestionnaires locaux. « Ils l’auront
à disposition pour mettre en place une
gestion durable des ressources, com-
mente Maria Jesus Ferrara-Guerrero. Elle
est aujourd’hui essentielle à l’activité
de pêche dans la lagune qui alimente
des milliers de mexicains. » O
Contacts
María Jesús Ferrara-Guerrero,
Universidad Autónoma
Metropolitana-Xochimilco, México
marc.pagano@ird.fr
UMR MIO (AMU, CNRS, IRD, Univer-
sité de Toulon)
© IRD / H. Macarie
© IRD / P. Wagnon
Insecticide utilisé contre le charançon du bananier jusqu’en 1993 dans
les Antilles françaises.
La chlordécone perd son chlore…
© wikipedia
Glaciologue installant une station météorologique à 6 400 m sur le glacier Mera, région de l’Everest, vallée de
l’Hinku, Népal.
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 80 - août / septembre / octobre 2015