Résumé La financiarisation et les articulations entre les industries de la culture et de la communication Annoncées depuis plusieurs décennies, les articulations entre les industries de la culture (presse et information, livre, cinéma et audiovisuel, musique enregistrée, jeux vidéo) et les industries de la communication (télécommunications, fabrication de matériels électroniques et Web) se produisent effectivement aujourd’hui, en particulier en Europe de l’Ouest ou en Amérique du Nord depuis le milieu des années 2000 avec notamment le déploiement des réseaux à haut débit, voire à très haut débit. Outre ces facteurs technologiques, le développement des articulations entre ces deux ensembles d’activités s’expliquent aussi par des facteurs industriels, par exemple le développement du marché de la publicité en ligne. Enfin, il convient de mentionner avec ces facteurs techniques et industriels, les facteurs financiers. Ceux-ci sont rarement abordés alors qu’ils sont pourtant au cœur des phénomènes d’articulation entre les industries de la culture et celles de la communication. Telle sera la question au cœur de notre communication. Deux points seront plus particulièrement abordés. Premièrement, la financiarisation apparaît comme une condition centrale de la réalisation de ces articulations. En effet, ces articulations supposent généralement des opérations de rapprochement capitalistique entre des entreprises différentes (une entreprise en « achète » une autre). Or, afin d’acquérir la propriété d’une autre entreprise, il convient au préalable de disposer des fonds nécessaires au financement de l’opération. Ainsi, la firme ou le groupe qui souhaite prendre le contrôle d’une autre entreprise doit souvent conduire d’importantes opérations à son propre capital, notamment en l’augmentant par l’émission d’actions, en fusionnant son capital avec celui de l’entreprise qui est achetée ou en payant les actionnaires de celle-ci avec des actions de l’entreprise acheteuse. L’autofinancement comme l’endettement trouvent vite leurs limites quant il s’agit de financer de telles opérations. Après avoir formulé, ce constat nous consteterons que le recours aux opérations au capital pour financer la croissance dite externe (c’est-à-dire l’achat d’entreprises extérieures) soulève trois enjeux importants pour ces activités. Tout d’abord, la capacité à lever des fonds et à conduire des opérations à son capital est la condition sine qua non pour que des entreprises des industries de la communication, tout particulièrement des acteurs du Web, Google et Amazon par exemple, conservent leur position d’avance technologique. Grâce à leurs grandes capacités financières, ces acteurs industriels peuvent acquérir des entreprises qui possèdent des savoir-faire essentiels, permettant aux entreprises acheteuses de conserver une avance industrielle. Par exemple, l’histoire de Google est parsemée d’achats de sociétés extérieures qui ont été centrales dans le maintien de la position de domination de Google sur le marché de la publicité en ligne. Citons l’exemple de l’acquisition de Double Click. Dans des domaines qui évoluent très vite sur le plan technologique, les acteurs industriels qui ne peuvent acheter d’autres entreprises éprouvent des difficultés à maintenir leur position. Ensuite, les acteurs des industries de la communication bénéficiant de meilleures anticipations de la part des acteurs de la sphère financière que les acteurs des industries de la culture, les premiers disposent de capacités financières beaucoup plus importantes que les seconds. Les grandes entreprises des industries de la communication, celles dont la croissance est la plus forte, disposent notamment d’une valorisation boursière très élevée, fréquemment disproportionnée par rapport à leur chiffre d’affaires et à leurs bénéfices. Autrement dit, les mouvements de domination industrielle qu’exercent les industries de la communication sur les industries de la culture sont aussi liés à des questions financières. Enfin, la question du contrôle des acteurs de la sphère financière notamment des banques d’affaires ou des fonds d’investissement sur la gestion des acteurs industriels se pose. Elle se pose 1 au niveau des grands acteurs mais aussi des petits. À cet égard, le développement du capitalrisque s’accompagne fréquemment d’une main mise des investisseurs sur la gestion des start-up qui recourent au capital-risque. Deuxièmement, les plus grands acteurs des industries de la communication, en particulier les acteurs transnationaux, figurent désormais parmi les premières valorisations boursières mondiales. Citons notamment, Apple, première valorisation boursière mondiale à l’heure où ces lignes sont écrites (novembre 2012), mais aussi Microsoft, Google ou Amazon. Ces valeurs cohabitent ainsi dans ces sommets des bourses mondiales avec des entreprises de secteurs plus anciennement présents dans ce palmarès financier notamment des entreprises des secteurs de la finance, de l’énergie et de la grande distribution. Pourquoi les entreprises transnationales des industries de la communication sont-elles désormais au cœur du capitalisme financier contemporain ? Trois raisons peuvent être avancées. Tout d’abord, ce secteur connait une importante croissance de son chiffre d’affaires. Son importance dans l’économie des pays industrialisés augmente. Par ailleurs, cette croissance bénéficie essentiellement à un tout petit nombre de très grandes entreprises. Celles-ci affichent des performances financières exceptionnelles, notamment des taux de marge mais aussi une capacité à renouveler radicalement leur offre de produits dans un laps de temps très court. Par exemple avec l’iPhone mais aussi l’iPad, en trois années Apple a fortement renouvelé ses domaines d’activités. De telles performances sont exceptionnelles et distinguent ces acteurs industriels d’entreprises d’autres secteurs. Ensuite, les grandes entreprises transnationales des industries de la communication disposent d’une capacité peu commune de créer des synergies industrielles entre des activités différentes. Par exemple, Amazon est en mesure de lier divers produits et services dans des logiques dites d’effets de réseau. Au sein d’Amazon, les livres électroniques, les activités de commerce électronique, la fabrication de matériels et les services de Cloud Computing s’articulent en un ensemble cohérent. Chaque activité soutien l’autre et ensemble elles tendent à former des systèmes destinés à capter et à fidéliser les consommateurs. Mais surtout la dynamique industrielle vient de la capacité de ces entreprises à articuler leur offre principale à des contenus culturels. Ces articulations se produisent souvent illégalement ou parfois légalement mais en tout cas sans que les acteurs des industries de la communication contribuent financièrement à la production des contenus qui restent produits par les acteurs des industries de la culture. Autrement dit, sans payer pour l’existence de ces contenus, les grands acteurs transnationaux des industries de la communication sont en mesure de retirer d’importants profits de ces contenus culturels. Par exemple, les contenus culturels articulés aux matériels d’Apple via iTunes puis via l’AppStore ont été essentiels pour faire vendre les matériels de ce fabricant, tout comme les activités de publicité de marketing en ligne de Google ont été très dépendantes de la capacité de cette entreprise à diriger les internautes vers des contenus de presse, d’édition ou de musique. Ces entreprises peuvent donc retirer de l’existence des contenus culturels des profits indirects supérieurs aux profits directs (ventes) que réalisent les acteurs des industries de la culture étant à l’origine de ces contenus. De même, la valorisation boursière des grands acteurs des industries de la communication est très liée à leur capacité à articuler leur principale à des contenus. Par exemple, la valorisation boursière d’Apple a commencé à se distinguer de celle de ses concurrents et à devenir non proportionnelle par rapport à la croissance de ses bénéfices lorsque le succès d’usage d’iTunes a été confirmé alors même que ce service n’était pas rentable à lui seul. Enfin, outre ces performances industrielles, les grandes entreprises des industries de la communication sont des objets privilégiés de spéculation car leurs logiques de fonctionnement sont complexes et se distinguent de celles à l’œuvre dans d’autres secteurs. Difficilement compréhensibles à partir des schémas habituels, l’activité de ces entreprises devient difficilement prévisible. Ce faisant, divers scénarios exagérant les potentialités de développement de ces entreprises peuvent être envisageables conduisant à surestimer l’importance futur de ces 2 entreprises et donc à surestimer leurs bénéfices futurs. En somme, diverses manipulations sont possibles. C’est ainsi que des mouvement de hausse ou de baisse spectaculaires peuvent être constatés comme l’indique l’exemple de Facebook, société qui a été placée en bourse à un niveau très surévalué procurant de très importants profits aux acteurs financiers présents au capital de Facebook avant sa mise en bourse et qui se sont retirés à temps. Philippe Bouquillion Professeur de sciences de la communication à l’université Paris 13 Chercheur au Labsic et à la MSH Paris nord 3