
Industrie 4.0 : pour en finir avec le mythe de la ré-industrialisation
Le Parlement européen a récemment
laissé entrevoir une remontée de la part
de l’industrie dans le PIB qui passerait,
grâce à l’industrie 4.0, de 15% en 2014 à
près de 20% en 20201.
Ces espoirs sont illusoires. Ils mécon-
naissent les racines profondes du recul
de l’industrie dans nos économies.
Surtout, ils conduisent à négliger le véri-
table apport de l’industrie 4.0. S’y enga-
ger est indispensable, voire vital, mais
pas pour les raisons évoquées.
LA NUMÉRISATION DE
L’INDUSTRIE NE CRÉERA PAS
PLUS DE CROISSANCE…
Un saut technologique majeur. Ce que
l’industrie 4.0 s’apprête à livrer reste
encore largement à documenter. Grâce
au numérique, l’outil industriel gagnera
en compétitivité et répondra mieux à
une demande de biens de plus en plus
personnalisée. L’industrie 4.0 sera plus
capitalistique et comportera une com-
posante plus élevée d’emplois qualifiés,
voire très qualifiés. Mais de la façon dont
seront associés big data, Internet des
objets et intelligence artificielle dépen-
dra aussi l’ampleur du saut qualitatif
annoncé.
Des estimations quantitatives peu
convaincantes. A ce jour, peu d’études
s’attachent à quantifier les retombées de
cette révolution numérique. Il est fré-
quent de parler de ré-industrialisation
1 R. Davies, "Industry 4.0 : digitalisation for producti-
vity and growth", European Parliamentary Research
Services, Briefing, septembre 2015.
(cf supra) ou de relocalisation, voire de
créations nettes d’emplois, sans en éva-
luer concrètement l’ampleur. Le Boston
Consulting Group2 s’y est essayé et
estime que, dans le cas allemand,
l’Industrie 4.0 pourrait induire une
croissance annuelle addition-
nelle de 1% pendant 10 ans, permet
tant une hausse des emplois de
350 000 postes (+5%). Ce type
d’estimations soulève toutefois deux
types de problèmes : d’une part les
gains de productivité apparaissent
faibles au regard du bouleversement
attendu (environ 0.5% par an) ;
d’autre part, l’essentiel de l’emploi
est créé hors de l’industrie.
En fait, si l’on estime que les gains
d’efficacité seront élevés, il faudrait
prévoir une forte hausse de la
production pour obtenir des créa-
tions nettes d’emplois dans l’industrie.
Ceci apparaît fortement improbable au
regard des évolutions historiques dans
les économies développées.
2 "Man and Machine in Industry 4.0 : how will techno-
logy transform the industrial worgforce through
2025 ?", BCG, Septembre 2015.
Un recul tendanciel de l’industrie dans
le PIB. Dans tous les pays dits industria-
lisés, y compris les plus compétitifs, la
part de l’industrie recule. L’économie
post-industrielle est une économie mar-
quée par une montée de la part des
services, soit parce que les fonctions
tertiaires ont été externalisées, soit
parce que la productivité de l’industrie
est traditionnellement plus élevée que
celle des services3.
A ces processus déjà anciens, s’ajoute un
mouvement nouveau qui voit se dépla-
cer la valeur créé des phases produc-
tives vers les phases amont et aval large-
ment tertiarisées (cf encadré sur
l’automobile). Au final, aucun pays occi-
dental n’est parvenu à se "réindustriali-
ser", au mieux est-on parvenu à stabiliser
la part de l’industrie dans le PIB.
Même un pays comme l’Allemagne, qui
fait figure d’exception dans le concert
des pays occidentaux, n’est pas épargné
3 Cette tertiarisation "naturelle" des économies a fait
l’objet de multiples explications. Pour une analyse
appliquée au cas français, voir : Guillaume FERRERO,
Alexandre Gazaniol, Guy Lalanne "L’industrie : quels
défis pour l’économie française ?" Trésor-éco n°124,
février 2014.
L’industrie 4.0 au prisme de l’analyse économique
Pour décrire l’activité de production de l’entreprise, l’analyse économique utilise
une fonction de production de type Cobb-Douglas comportant deux facteurs de
production, combinés dans des proportions variables : Y = f(K,L). La numérisation
accrue de l’outil de production s’interprète comme une hausse de la part du
facteur Capital et une transformation du facteur Travail, avec un partage entre
emplois qualifiés et emplois non qualifiés plus favorable au premier.
Si l’on divise les différents termes de la fonction par L, pour obtenir les données
"par tête", on obtient : y = f(k), avec y (Y/L) les gains de productivité et k (K/L)
l’intensité capitalistique. Comme cette dernière va s’accroître avec le passage
à l’industrie 4.0, les gains de productivité sont donc appelés à augmenter. Sans
hausse de la production, la quantité de travail mobilisée sera plus faible.
La révolution numérique
dans l’industrie automobile
La voiture autonome est la nouvelle
frontière du secteur automobile. Concrè-
tement, le cœur du réacteur automobile
ne sera plus le véhicule, mais le logiciel
embarqué. Autre perspective radicale
pour le secteur : le passage de la posses-
sion à la location. Les conséquences de ce
changement de modèle économique sont
difficiles à prévoir : certains annoncent
une chute de 30 à 40% des ventes de
véhicules ; d’autres avancent qu’une plus
grande utilisation des véhicules réduirait
leur durée de vie. Bilan de ces boulever-
sements dans 10 à 20 ans : un taux de
rotation du parc sans doute plus élevé
avec un contenu immatériel des véhicules
plus important.
Part de la valeur ajouté de l’industrie
dans le total de la valeur ajoutée de l’économie
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