La démographie, l’économie et les finances publiques : où est-ce qu’on s’en va ? Colloque Retraites et placements Cercle Finance du Québec et Association CFA Québec Québec, novembre 2014 Pierre Fortin (alias : [email protected]) Département des sciences économiques Université du Québec à Montréal Ouverture « La croissance économique est un mystère. » Elhanan Helpman (The Mystery of Economic Growth, 2004) « La démographie explique à peu près les deux tiers de n’importe quoi. » Dave Foot (Boom, Bust & Echo, 1996) 2 Comment ça va la croissance ? 3 La capacité de nos 15-64 de créer la richesse est aussi bonne qu’aux É-U et meilleure qu’en Ontario… Évolution comparative du revenu réel PAR HABITANT D'ÂGE ACTIF aux États-Unis, en Ontario et au Québec de 1989 à 2014 (1989 = 100) 150 QC 140 É-U 130 ON 120 110 100 90 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 12 14 Note : Revenu réel par habitant d'âge actif = PIB ÷ (Indice des prix de la demande intérieure finale x Population totale de 15 à 64 ans) Sources : BEA ; BLS ; FMI ; Statcan ; MFQ ; MFO. 3 …mais la population de 15 à 64 ans a crû beaucoup moins chez nous que chez eux… Évolution comparative de la population de 15 à 64 ans aux États-Unis, en Ontario et au Québec de 1989 à 2014 (1989 = 100) 140 ON 135 130 É-U 125 120 QC 115 110 105 100 95 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 12 14 Sources : BLS ; Statcan. 5 …ce qui a sensiblement ralenti notre croissance économique totale Évolution comparative du revenu réel TOTAL aux États-Unis, en Ontario et au Québec de 1989 à 2014 (1989 = 100) 200 180 É-U ON 160 QC 140 120 100 80 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 12 14 Note : Revenu réel total = PIB ÷ Indice des prix de la demande intérieure finale Sources : BEA ; FMI ; Statcan ; MFQ ; MFO. 6 Mais d’où vient donc la bonne performance économique de nos 15-64 ? Par définition, on a : PIBR/N1564 = (PIBR/E)*(E/N1564) i.e., PIB réel par habitant de 15-64 = Productivité x Taux d’emploi des 15-64 Question : la bonne performance relative de nos 15-64 vient-elle du progrès plus rapide de leur productivité ou de l’essor plus marqué de leur taux d’emploi ? 7 La bonne performance de nos 15-64 depuis 20 ans est due à l’essor de leur taux d’emploi… Évolution du taux d'emploi (emploi total en pourcentage de la population de 15 à 64 ans) au Québec, en Ontario et aux États-Unis de 1993 à 2013 % 78 76 USA ON 74 QC 72 ON 70 USA 68 66 QC 64 62 94 96 98 00 02 04 06 08 10 12 Sources : Statistique Canada ; U.S. Bureau of Labor Statistics. 8 …car, en productivité, pas fort… Évolution comparative de la productivité (PIB réel par employé) aux États-Unis, en Ontario et au Québec de 1989 à 2014 (1989 = 100) 150 É-U 140 130 ON 120 QC 110 100 90 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 12 14 Sources : BEA ; BLS ; FMI ; Statcan ; MFQ ; MFO. 8 …et en investissement, pas fort-fort non plus Investissement non résidentiel aux États-Unis, au Québec et dans les autres provinces canadiennes (pétrolières ou non) (moyenne des années 2007 à 2012, en pourcentage du PIB) % 30 25 3 provinces pétrolières 20 15 6 provinces Québec non pétrolières États-Unis 10 5 0 Sources : Statistique Canada ; U.S. Department of Commerce. 10 Le défi démographique : optimiser les ressources qu’on a 11 La baisse de notre population de 15 à 64 ans va se poursuivre Évolution réelle et projetée de la population de 15 à 64 ans du Québec de 1998 à 2018 (en milliers de personnes) 5,500 5,400 5,300 1998-2013 : +30 000/an 2013-2018 : -7 000/an 5,200 5,100 5,000 4,900 98 00 02 04 06 08 10 12 14 16 18 Sources : Statistique Canada de 1998 à 2013 ; raccordement au scénario de l'Institut de la statistique du Québec de 2013 à 2018. 12 Heureusement, l’emploi remonte parmi les 55-64 Taux d'emploi de la population de 55 à 64 ans au Québec et en Ontario de 1976 à 2013 (en %) % 65 60 Ontario 55 50 45 Québec 40 35 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 Source : Statistique Canada. 13 Il faut maintenir l’effort en persévérance scolaire Pourcentage qui n'ont aucun diplôme et pourcentage qui détiennent un bac universitaire parmi les 25-44 au Québec, en Ontario et aux États-Unis en 2013 %50 Taux de détention d'un bac universitaire 40 ON USA QC 30 Taux de sans-diplôme 20 10 QC USA ON 0 Sources : Statistique Canada ; U.S. Census Bureau. 14 Les compétences de base : nos « flots » sont forts en math, moins en lecture Score moyen des jeunes de 15 ans en mathématiques et en lecture dans l'Enquête internationale PISA de l'OCDE en 2012 (moyenne de tous les pays = 496) 560 Score en math 540 Score en lecture QC ON 520 QC ON USA 500 480 USA 460 Source : OCDE. 15 À l’université, on a un problème de persévérance plus que d’accessibilité Pourcentage des jeunes qui entreprennent un bac universitaire et pourcentage qui persévèrent jusqu’au diplôme dans 3 régions Québec Ontario Suède Entreprennent 44 41 34 Persévèrent 31 36 32 Tx de décrochage 30% 12% 5% Sources : MELS, Statistique Canada, OCDE. 16 Aider nos immigrants à s’intégrer plus vite Taux de chômage des natifs et des immigrants à Montréal et à Toronto en 2013 (en pourcentage) % 16 Taux de chômage des immigrants 14 MTL 12 10 Taux de chômage des natifs TOR TOR 8 MTL 6 4 2 0 Source : Statistique Canada. 17 Le défi de la productivité : « Just do it ! » 18 L’Amérique du Nord est en panne de croissance depuis 2007 Croissance cumulative du revenu par habitant (inflation déduite) de 2000 à 2007 et de 2007 à 2014, États-Unis, Ontario et Québec % 14 Croissance de 2000 à 2007 QC 12 É-U 10 8 6 ON Croissance de 2007 à 2014 4 2 QC É-U 0 ON -2 Sources : ministère américain du Commerce ; Statistique Canada ; ministères des Finances de l'Ontario et du Québec. •19 Qu’est-ce qui freine la croissance ? Quatre obstacles ralentissent notre croissance: 1) la profonde récession de 2008-2009 2) la lenteur de la reprise depuis 2010 3) au Québec, la décélération très rapide, et maintenant la baisse absolue, de notre population de 15 à 64 ans 4) l’épuisement possible (appréhendé) du potentiel de croissance de la productivité en Amérique du Nord et en Europe 20 Notre productivité a néanmoins du jeu pour croître plus vite, car plus faible que celle des É-U Revenu réel (PIB) par habitant exprimé en unités comparables de pouvoir d'achat au Québec, en Ontario et aux États-Unis en 2012 (indice États-Unis = 100) 100 USA = 100 90 ON = 85,5 QC = 82,5 80 70 60 50 Source : Calculs de l'auteur basés sur les données de Statistique Canada et du U.S. Department of Commerce. 21 La rémunération globale a suivi la productivité depuis 50 ans Évolution du salaire hebdomaire moyen, de la rémunération horaire globale et de la productivité horaire (production par heure travaillée) au Québec de 1961 à 2010 (en dollars constants de 2010, indice 1961 = 100) 260 240 Productivité horaire 220 200 Rémunération horaire globale 180 160 140 Salaire hebdomadaire moyen 120 100 80 65 70 75 80 85 90 95 00 05 10 Source: Ratios calculés à partir des données de Statistique Canada. Les taux d’intérêt à long terme ont baissé et vont (probablement) rester bas Taux d'intérêt porté par les obligations du Trésor américain à échéance fixe de 10 ans de janvier 1989 à octobre 2014 % 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 12 14 Source : FRB. 23 Productivité : quelques suggestions 1) À l’interne, favoriser la responsabilité et la concurrence, combattre les privilèges et les monopoles 2) Valoriser et développer l’entrepreneuriat 3) À l’externe, encourager les ententes de libre-échange 4) Encourager le développement de multinationales québécoises – car la productivité croît avec la taille 5) INVESTIR DANS NOS ENFANTS ! 6) Donner la priorité aux compétences de base 7) Favoriser les carrières scientifiques et techniques Productivité : quelques suggestions 8) Développer le talent managérial 9) Porter une attention accrue aux suggestions des employés pour améliorer l’organisation du travail 10) Favoriser les règles fiscales générales plutôt que les subventions et crédits d’impôt à tout vent 11) Gérer les infrastructures à distance des élus 12) Utiliser le privé à bon escient dans la livraison des services publics 25 Le défi des finances publiques : rigueur, mais sans précipitation 26 D’où viennent les revenus du gouvernement et où sont affectées ses dépenses en 2014-15 ? Revenus consolidés (G$) Impôts, taxes, tarifs 73 Sociétés d’État 5 Transferts fédéraux 18 Total 96 Dépenses consolidées (G$) Santé 37 Éducation 19 Autres missions 30 Service de la dette 11 Total 97 Déficit = Dépenses – Revenus = 97 G$ – 96 G$ = 1 G$ 27 Le Québec et l’Ontario affichent des déficits budgétaires depuis 2009 Évolution du solde budgétaire des gouvernements du Québec et de l'Ontario de 1997-1998 à 2014-2015 (en pourcentage du PIB) % 0.5 0.0 -0.5 Québec -1.0 -1.5 Ontario -2.0 -2.5 -3.0 -3.5 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 Sources : Ministères des Finances du Québec et de l'Ontario. 28 Depuis 2007, les revenus fiscaux ont augmenté moins vite, car l’économie a crû moins vite Croissance cumulative du PIB et des dépenses consolidées du gouvernement (service de la dette exclu) depuis 2006 (en %) % 140 137 135 Dépenses du gouvernement 130 125 125 120 Économie (PIB en $ courants) 115 110 105 100 95 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Sources : MFQ ; Statcan. 29 Mais, d’un secteur à l’autre, la progression des dépenses a été extrêmement inégale Croissance cumulative du PIB et des dépenses de programmes du gouvernement par secteur depuis 2006 ( en pourcentage) % 50 40 SANTÉ ÉDUC 30 PIB 20 10 0 AUTRES CULTURE TÉLÉQC -10 Sources : Institut de la statistique ; ministère des Finances du Québec ; Conseil du trésor du Québec. 30 Bien d’autres choses que le déficit budgétaire font augmenter la dette Dette au 31 mars 2014 + Déficit budgétaire + Immobilisations nettes + Placements, prêts et avances + Gogosses = Dette prévue au 31 mars 2015 198,1 G$ 1,0 5,5 1,8 0,4 206,8 G$ Comme on voit, le déficit budgétaire doit atteindre 1,0 G$, mais, au total, la dette doit augmenter de 8,7 G$ En 2015-2016, l’ajout prévu à la dette est plutôt de 5,1 G$31 Contrôle de la dette : les avocats meilleurs que les économistes ? Évolution de la dette du Québec de mars 1971 à mars 2015 (en pourcentage PIB) % 70 60 Ère Bouchard-Landry-Charest Ère Bourassa-Parizeau 50 Objectif 2026 : 45 % 40 30 20 10 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 Source : Raccordements à partir des données du ministère des Finances du Québec. 2010 2015 Budget : sept options 1) Solution européenne: alourdir encore la fiscalité 2) Solution japonaise : relancer la dette 3) Solution américaine : continuer à écraser toutes les missions gouvernementales autres que la Santé 4) Solution canadienne : convaincre Ottawa d’accroître à nouveau ses transferts 5) Solution thatchérienne : geler les salaires et privatiser Hydro-Québec 6) Solution albertaine : trouver du pétrole ! 7) Solution scandinave : réformer la Santé en profondeur À éviter : panique et précipitation Le gouvernement est parti pour appliquer la solution américaine Il est pressé d’en finir avec les mauvaises nouvelles Mais la situation budgétaire ne justifie aucunement la panique De plus, la précipitation comporte bien des risques : - provoquer une récession en 2016 en retirant tout d’un coup 4 G$ de l’économie - déclencher une dure confrontation politique avec les secteurs qui ont déjà subi de fortes restrictions - multiplier les erreurs en « fonçant dans le tas » avec des commissions externes à qui on demande d’évaluer en 6 mois un budget qui se chiffre tout de même à 95 G$ - oublier de s’attaquer à l’éléphant dans la pièce (la Santé) - achever de démoraliser l’administration publique québécoise et perdre ses meilleurs éléments 34 Conclusion Mieux vaudrait se donner plus de temps pour réfléchir et pour choisir quelle sorte d’État on veut La patience et la persévérance donnent habituellement de bien meilleurs résultats que la précipitation Mieux vaudrait comprimer les dépenses de 1 G$ par année pendant 4 ans plutôt que de 4 G$ en 1 an Au plan politique, mieux vaudrait sans doute couper 4 fois 1 G$ que 40 fois 100 M$ La priorité des priorités devrait être de réformer la Santé de fond en comble Il faut l’empêcher d’écraser tous les autres secteurs 35 Bonne chance tout de même, Monsieur Couillard ! 36