Dissertation corrigée

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Dissertation : reprise détaillée
Problématique : faire de la représentation le seul foyer du sens ne conduit-il pas à méconnaître le dialogue qui
s’instaure entre le texte et la mise en scène au théâtre ?
I - La scène comme réalisation du sens
Thèse : La scène est bien le lieu où le théâtre prend véritablement son sens car la mise en scène y comble
les blancs, les vides, les « trous » du texte, comme le sous entend ce critique.
1.1 : Les effets de sens propres à la scène
- Nombre de composantes du texte de théâtre ne « prennent véritablement leur sens » que lors de la représentation
sur scène : décors, costumes, objets, mouvements, personnalité des comédiens sont matérialisés lors de la
représentation. Ils ne restaient que virtuels, inachevés dans le texte seul.
- La théâtralité (ce qui fait qu’un texte appartient au théâtre) de certaines pièces font qu’elles semblent évidemment
avoir été composées pour la scène. La lecture perd alors de son intérêt voire devient difficile.
Ex : Beckett texte E : En Attendant Godot : un dialogue purement informatif, peu de contenu littéraire.
Mais des situations spatiales comme le désir de se pendre, le personnage qui perd symboliquement sa ceinture,
l’arbre... La force du texte n’est pas tant dans les mots que dans les images scéniques produites.
Ex : le travestissement, le déguisement d’un personnage comme dans Le Jeu de l’amour et du hasard de
Marivaux : pas un effet littéraire mais une technique scénique.
Ex : certains passages de l’acte V du Mariage de Figaro de Beaumarchais extrêmement touffus et
complexes à la lecture (une suite incroyables de quiproquos et de personnages qui se poursuivent en se cachant à
l’acte V. Jeu autour des deux pavillons. Pas de sens à la lecture mais uniquement dans le passage à la scène.
1.2 : La mise en scène comme comblement des « trous » du texte
- Si le texte de théâtre est « troué » ou « incomplet », c’est qu’il n’est pas autonome, qu’il ne se suffit pas à luimême. En effet, la particularité du texte de théâtre serait de contenir des blancs, des vides, sortes de questions en
suspens, laissées temporairement sans réponses.
Ex : Molière : Le Misanthrope : Alceste et Philinte : quel est le rapport exact qui existe entre les deux
personnages avant qu’il rentre sur scène ? Qui domine entre les deux ? Qui est le plus âgé ?
Ex : même raisonnement avec Le Mariage de Figaro de Beaumarchais : comment représenter les deux
duos du Comte et de Figaro puis de Suzanne et La Comtesse ? Doit-on effacer la différence sociale grâce aux
actrices ou au contraire la marquer ? Comment penser l’âge des personnages ?
Pour que le sens de la pièce de théâtre se construise, il faut que ce soit la mise en scène qui apporte des réponses,
qui comble ces trous. C’est dans ces blancs qu’elle crée du sens et qu’elle place son interprétation.
=> le théâtre prend donc son sens sur la scène puisque c’est là que se formulent les réponses aux questions posées
par le texte.
1.3 : La mise en scène comme seconde création ou seconde écriture
- La scène, par l’intermédiaire du travail du metteur en scène, semble être alors le centre de la construction du sens
d’une pièce de théâtre. Plus qu’un auxiliaire du texte, la mise en scène devient une seconde création voire une
seconde écriture qui transforme le sens du texte seul. Un seul regard sur le travail d’un metteur en scène sur une
pièce en dit long à ce sujet.
- Cette seconde écriture tient en effet une place capitale dans la construction du sens puisqu’elle peut parfois
modifier le sens même de la pièce : Ex : des comédies de Molière comme Dom Juan ou Le Misanthrope = souvent
mises en scène comme des drames ou des tragédies. Ex : Patrice Chéreau fait basculer La Dispute, comédie de
Marivaux dans le tragique en profitant du silence de Marivaux sur le sort des 4 jeunes gens au dénouement. Le texte
ne dit rien et le dénouement est sombre, bien que la pièce soit une comédie. Chéreau imagine qu’Azor se suicide
(absent du texte de Marivaux).
Autre exs : le dénouement de Ruy Blas et la mort du héros V,4. dernier mot = « Merci ». Une rédemption
du héros extrêmement pathétique et émouvante chez Hugo / un jeu distancié dans la version de Schiaretti au TNP.
Ou encore l’assassinat de Don Salluste par Ruy Blas. Un coup d’épée dans le texte d’Hugo / une décapitation chez
Schiaretti.
Mise en scène comme seconde écriture qui peut bouleverser le sens du texte.
Transition : une pièce de théâtre se recrée à chaque mise en scène et renouvelle son sens. La mise en scène est bien
une étape fondamentale sinon centrale de la création du sens au théâtre. Pour autant, le texte est-il absent de ce
processus de création de la mise en scène ? Quelle place tient-il dans la construction du sens voire dans la
représentation elle-même ?
II - Le texte comme origine du sens
Quelle que soit l’importance d’une mise en scène au théâtre, le texte reste et demeure l’origine du sens, ce
qui invite à tempérer le point de vue proposé par ce critique. Reste à déterminer la place réelle du texte dans la
construction du sens : point de départ, canevas, contrainte ? De toute façon, la mise en scène ne saurait accaparer
tout le sens d’une pièce de théâtre.
2.1 : Les limites de la représentation et l’existence d’un théâtre à lire
- Loin d’être « incomplet » ou « lacunaire », le texte de théâtre a parfois été trop riche, trop dense pour tenir dans
les contraintes et les limites matérielles de la scène. De fait, l’histoire littéraire montre que le théâtre a pu parfois se
passer paradoxalement de la scène. Il existe en effet à l’époque romantique plusieurs publications de théâtre à lire,
souvent faute d’espace scénique capable de l’accueillir.
Ex : Musset publie son théâtre sans se préoccuper de la scène dans Un Spectacle dans un fauteuil. Une
pièce comme Lorenzaccio n’est jamais jouée.
Ex : Hugo quelques années auparavant : Cromwell, pièce si complexe et si vaste qu’elle n’a pas vocation à
être montée sur scène. Nombre démentiel de personnages, de changements de lieux.
Ex : au XXe siècle, Paul Claudel crée Le Soulier de Satin qui fait exploser les possibilités de la scène,
irreprésentable en moins d’une dizaine voire d’une quinzaine d’heures.
=> Le sens n’est donc pas l’apanage de la représentation au théâtre puisqu’il existe un théâtre à lire parfaitement
théâtral mais étrangement affranchi de la scène.
2.2 : Le texte théâtral comme « noyau » du sens
- En outre, le texte s’impose comme le noyau du centre. Il ne peut en aucun cas passer pour un élément
périphérique. Il est l’ossature autour de laquelle se construit la représentation.
Ex : nombre de metteurs en scène ont souligné leur attachement et leur respect du texte
Gaston Baty, Le Metteur en scène, 1944 : « Le texte est la partie essentielle du drame. Il est au drame ce que le
noyau est au fruit, le centre solide autour duquel viennent s’ordonner les autres éléments. Et de même que le fruit
savouré, le noyau reste pour assurer la croissance d’autres fruits semblables ».
=> Avec cette métaphore, Gaston Baty, célèbre metteur en scène, détermine bien que l’origine du sens au théâtre
est le texte, autour duquel toute représentation est nécessairement construite. Il sous entend même que le texte serait
l’élément durable du sens au théâtre, autour duquel chaque représentation viendrait se greffer. Le texte n’est plus
une lacune à combler mais le principe central du théâtre.
2.3 : La lecture comme mise en scène de l’esprit
- Il importe enfin pour modérer l’opinion de ce critique de rappeler que l’activité de la lecture constitue en ellemême un avant goût de la mise en scène, une projection par l’esprit, une réalisation mentale de ce que le texte
pourrait être sur la scène.
Ex : rôle de l’écriture didascalique et tout particulièrement des didascalies internes (comprises dans les
répliques des personnages). Ex : le jeu scénique est même chez certains dramaturges une part considérable de leur
écriture. Par exemple chez Beaumarchais quand il joue avec le cabinet de la Comtesse, le fauteuil de l’acte I. Le
passage à la scène n’est pas un pur apport de la mise en scène mais une caractéristique profonde du texte.
- Molière le dit clairement dans son « Avant-propos » de L’Amour médecin : « et je ne conseille de lire celle-ci
qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre ». Pour Molière, la scène est
primordiale mais elle n’est pas absente du texte puisque ce dernier programme son utilisation. On peut lire (« les
yeux ») en mettant en scène (« découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre »)
=> dans toute écriture pour le théâtre, le dramaturge programme et prépare la mise en scène. C’est toute l’écriture
du théâtre qui appelle la scène et les nombreuses voix des acteurs pour incarner le dialogue.
Transition : l’incomplétude du texte de théâtre ne serait donc plus un défaut du texte rattrapé par la mise en scène
mais une caractéristique profonde du théâtre qui est à l’origine de la richesse de ce genre à la fois littéraire et
scénique.
III - L’incomplétude du texte comme richesse du théâtre
Pour la 3ème partie : retourner le défaut supposé du texte de théâtre en qualité fondamentale de l’écriture théâtrale,
technique utile pour réconcilier la thèse et l’antithèse. Les manques, les trous ne sont plus des problèmes mais des
qualités inestimables.
=> ce qui devait faire la limite du texte de théâtre fait sa force et sa richesse.
3.1 : L’incomplétude du texte théâtral ou les raisons de sa pérennité
- Paradoxalement, c’est le caractère incomplet du texte de théâtre qui lui ferait traverser les siècles sans encombre.
- La thèse du critique méconnaît en effet l’évolution du sens d’une pièce de théâtre au cours de l’histoire, évolution
qui établit assez bien les rôles respectifs du texte et de sa mise en scène. Ainsi, au théâtre, le texte établit une sorte
de permanence du sens que la mise en scène vient transformer de façon éphémère.
Ex : Roger Planchon mettant en scène George Dandin, une pièce majeure de Molière, écrite au plus fort de
l’époque classique au XVIIe siècle, écrit sur le programme : « Nous aimons cette pièce car elle a été écrite le mois
dernier, c’est pour nous la définition d’un classique ». Octobre 1958.
Sens ? Suggestion de Gaston Baty : le texte = un « noyau » de sens atemporel, quelque chose en lui traverse les
époques et lui permet de rencontrer l’intérêt et l’interprétation de différents metteurs en scène.
Ex : Antoine Vitez (grand metteur en scène des années 1970, le premier à remettre en scène des pièces
aussi difficiles à monter que Lorenzaccio) : le metteur en scène est « un fabricant d’œuvres uniques, châteaux de
sables faits de signes délicatement assemblés » dans L’Art du théâtre. Ces œuvres uniques ont pour socle un texte
qui dure.
=> la mise en scène dure peu mais le texte lui demeure. C’est le caractère incomplet de ce dernier qui crée le désir
de le combler chez les metteurs en scène. Le texte survit précisément parce qu’il contient des manques.
3.2 : De l’incomplétude à la richesse des interprétations
- C’est ce même caractère supposé « incomplet » qui fonde alors la richesse des interprétations par les metteurs en
scène. La particularité des œuvres de théâtre, c’est qu’il n’y a pas un Dom Juan, un Tartuffe, un Hamlet mais le
Tartuffe de Planchon, la Phèdre de patrice Chéreau, celle de Jean-Louis Barrault.
- Le texte de théâtre fait qu’une pièce n’est pas une mais multiple. Elle se recrée et se renouvelle en permanence.
Des mises en scène peuvent s’opposer radicalement :
Ex : La Dispute de Marivaux dans la version de Muriel Mayette en 2009 au Théâtre du Vieux Colombier
est résolument comique vs l’interprétation de Chéreau qui est résolument tragique (suicide du personnage), cf. +
haut
Ex : Racine écrivait en pensant aux bienséances qui suggéraient d’évacuer de la scène ce qui pouvait être
choquant. Ambiguïté du texte pour savoir si Phèdre meurt sur scène ou en coulisse. Un simple « elle expire
Seigneur ». La liberté de Patrice Chéreau lui fait choisir de faire mourir Phèdre sur scène dans les pires souffrances
de l’agonie : tout le contraire des bianséances !
=> le texte de théâtre pose des questions, d’après les blancs qu’il contient mais le « jeu du théâtre » n’impose pas de
réponse.
3.3 : Le texte « troué » et « incomplet » : une caractéristique du texte de théâtre ou du texte littéraire ?
- Anne Ubersfeld, comme ce critique fait de ces manques et de cette incomplétude du texte le propre du texte de
théâtre par opposition au roman ou aux autre genres littéraires. La particularité du texte de théâtre serait en quelque
sorte de prévoir une place pour son metteur en scène. On peut se demander si ce phénomène ne provient pas
précisément du caractère « littéraire » du texte de théâtre.
- De fait, ni le roman, ni la poésie ne sont exempts de vides, de blancs qui créent des questions dans l’esprit du
lecteur plutôt qu’on ne lui impose des réponses.
- Ex : dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, pas un mot sur la mère de Julien le héros. Pourquoi ? Aucune
réponse et le premier amour du héros sera une femme qui aurait tout pour être sa mère.
- Qui est cette « passante » rencontrée par le poète chez Baudelaire ?
- Qui est Nadja, cette femme dont l’écrivain tombe fou amoureux dans le livre du même nom d’André
Breton ?
- Pour quelle raison Frédéric Moreau ne réalise-t-il jamais son amour pour Marie Arnoux dans
L’Education sentimentale, alors qu’il se sait aimé d’elle ?
- Tous ces exemples pour montrer que les vides, les blancs, les trous du texte de théâtre sont aussi ceux de tout texte
littéraire. Dès lors, si le caractère incomplet du texte de théâtre semble « appeler » le metteur en scène pour les
combler , c’est aussi aux qualités de lecteur du metteur en scène qu’il fait appel.
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