II - Le texte comme origine du sens
Quelle que soit l’importance d’une mise en scène au théâtre, le texte reste et demeure l’origine du sens, ce
qui invite à tempérer le point de vue proposé par ce critique. Reste à déterminer la place réelle du texte dans la
construction du sens : point de départ, canevas, contrainte ? De toute façon, la mise en scène ne saurait accaparer
tout le sens d’une pièce de théâtre.
2.1 : Les limites de la représentation et l’existence d’un théâtre à lire
- Loin d’être « incomplet » ou « lacunaire », le texte de théâtre a parfois été trop riche, trop dense pour tenir dans
les contraintes et les limites matérielles de la scène. De fait, l’histoire littéraire montre que le théâtre a pu parfois se
passer paradoxalement de la scène. Il existe en effet à l’époque romantique plusieurs publications de théâtre à lire,
souvent faute d’espace scénique capable de l’accueillir.
Ex : Musset publie son théâtre sans se préoccuper de la scène dans Un Spectacle dans un fauteuil. Une
pièce comme Lorenzaccio n’est jamais jouée.
Ex : Hugo quelques années auparavant : Cromwell, pièce si complexe et si vaste qu’elle n’a pas vocation à
être montée sur scène. Nombre démentiel de personnages, de changements de lieux.
Ex : au XXe siècle, Paul Claudel crée Le Soulier de Satin qui fait exploser les possibilités de la scène,
irreprésentable en moins d’une dizaine voire d’une quinzaine d’heures.
=> Le sens n’est donc pas l’apanage de la représentation au théâtre puisqu’il existe un théâtre à lire parfaitement
théâtral mais étrangement affranchi de la scène.
2.2 : Le texte théâtral comme « noyau » du sens
- En outre, le texte s’impose comme le noyau du centre. Il ne peut en aucun cas passer pour un élément
périphérique. Il est l’ossature autour de laquelle se construit la représentation.
Ex : nombre de metteurs en scène ont souligné leur attachement et leur respect du texte
Gaston Baty, Le Metteur en scène, 1944 : « Le texte est la partie essentielle du drame. Il est au drame ce que le
noyau est au fruit, le centre solide autour duquel viennent s’ordonner les autres éléments. Et de même que le fruit
savouré, le noyau reste pour assurer la croissance d’autres fruits semblables ».
=> Avec cette métaphore, Gaston Baty, célèbre metteur en scène, détermine bien que l’origine du sens au théâtre
est le texte, autour duquel toute représentation est nécessairement construite. Il sous entend même que le texte serait
l’élément durable du sens au théâtre, autour duquel chaque représentation viendrait se greffer. Le texte n’est plus
une lacune à combler mais le principe central du théâtre.
2.3 : La lecture comme mise en scène de l’esprit
- Il importe enfin pour modérer l’opinion de ce critique de rappeler que l’activité de la lecture constitue en elle-
même un avant goût de la mise en scène, une projection par l’esprit, une réalisation mentale de ce que le texte
pourrait être sur la scène.
Ex : rôle de l’écriture didascalique et tout particulièrement des didascalies internes (comprises dans les
répliques des personnages). Ex : le jeu scénique est même chez certains dramaturges une part considérable de leur
écriture. Par exemple chez Beaumarchais quand il joue avec le cabinet de la Comtesse, le fauteuil de l’acte I. Le
passage à la scène n’est pas un pur apport de la mise en scène mais une caractéristique profonde du texte.
- Molière le dit clairement dans son « Avant-propos » de L’Amour médecin : « et je ne conseille de lire celle-ci
qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre ». Pour Molière, la scène est
primordiale mais elle n’est pas absente du texte puisque ce dernier programme son utilisation. On peut lire (« les
yeux ») en mettant en scène (« découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre »)
=> dans toute écriture pour le théâtre, le dramaturge programme et prépare la mise en scène. C’est toute l’écriture
du théâtre qui appelle la scène et les nombreuses voix des acteurs pour incarner le dialogue.
Transition : l’incomplétude du texte de théâtre ne serait donc plus un défaut du texte rattrapé par la mise en scène
mais une caractéristique profonde du théâtre qui est à l’origine de la richesse de ce genre à la fois littéraire et
scénique.
III - L’incomplétude du texte comme richesse du théâtre
Pour la 3ème partie : retourner le défaut supposé du texte de théâtre en qualité fondamentale de l’écriture théâtrale,
technique utile pour réconcilier la thèse et l’antithèse. Les manques, les trous ne sont plus des problèmes mais des
qualités inestimables.
=> ce qui devait faire la limite du texte de théâtre fait sa force et sa richesse.
3.1 : L’incomplétude du texte théâtral ou les raisons de sa pérennité
- Paradoxalement, c’est le caractère incomplet du texte de théâtre qui lui ferait traverser les siècles sans encombre.
- La thèse du critique méconnaît en effet l’évolution du sens d’une pièce de théâtre au cours de l’histoire, évolution
qui établit assez bien les rôles respectifs du texte et de sa mise en scène. Ainsi, au théâtre, le texte établit une sorte
de permanence du sens que la mise en scène vient transformer de façon éphémère.