Le développement de la compétence éthique chez les jeunes

ESSAI DE MAÎTRISE
Le développement de la compétence éthique
chez les jeunes professionnels consultants
auprès de systèmes.
Amélie Sauvé
RÉSUMÉ
Basé sur la prémisse que la compétence éthique est une habileté susceptible
d’être développée ainsi que sur des entrevues menées auprès de jeunes
professionnels consultants dans différents systèmes, cet article présente un
modèle de développement d’une préoccupation éthique. Ce modèle s’articule
autour de trois stades soit : l’éducation et les expériences de vie, la formation
de deuxième cycle universitaire ainsi que le marché du travail. Différents
facteurs favorisant ce développement sont associés à chacun des stades. Des
prédispositions propices à l’articulation d’une compétence éthique et un
aperçu du processus de résolution de dilemmes éthiques utilisé par les parti-
cipants sont également présentés. Enfin, des conclusions sont formulées afin
de soutenir l’émergence, au cours de leur formation universitaire, d’un intérêt
éthique chez les futurs professionnels.
Mots clés : compétence, déontologie, développement, éthique, jeunes profes-
sionnels, résolution de dilemmes.
Le développement de la compétence éthique chez les jeunes
professionnels consultants auprès de systèmes
Dans le cadre de leurs actions professionnelles, les psychologues consultants
auprès de systèmes sont peu encadrés au niveau de l’éthique. En effet, le code
de déontologie proposé par l’Ordre des psychologues du Québec s’adapte
mal aux réalités que rencontrent ces derniers dans leur travail (Lescarbeau,
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Payette et St-Arnaud, 1996). Pourtant, les psychologues consultants, comme
l’ensemble des professionnels, entretiennent avec leurs clients des relations
qui peuvent donner lieu à diverses formes de dilemmes éthiques. En général,
un client fait appel à un professionnel afin d’utiliser l’expertise, le savoir par-
ticulier de ce dernier au profit d’une difficulté qu’il rencontre. Cette forme
de relation laisse place à l’abus et peut donner lieu à la domination d’une
personne sur l’autre (Legault, 1999). Ce danger est d’autant plus présent que le
client n’est pas toujours en mesure d’évaluer le bien-fondé des actions entre-
prises par le professionnel (Gallessich, 1982). La personne faisant appel aux
services d’un consultant place donc sa confiance dans le professionnalisme et
la compétence éthique de ce dernier.
Dans cette optique, c’est la responsabilité professionnelle du consultant de
maintenir un haut standard éthique (Webster et Lunt, 2002). L’individu cons-
ciencieux veillera donc à demeurer à l’affût des dilemmes éthiques ou conflits
de valeurs potentiels qu’il rencontre. Mais comment en arrive-t-on à posséder
cette compétence éthique? L’approche ici privilégiée présuppose que la
compétence éthique peut être développée (Legault, 1999; Lescarbeau et al.,
1996). En ce sens, la principale question à laquelle tente de répondre cet article
se formule ainsi : de quelle façon se forge la compétence éthique des jeunes
professionnels consultants auprès de systèmes?
Pour les fins de cet article, une définition des concepts ainsi que de la métho-
dologie utilisées pour la consultation des jeunes diplômés sont d’abord
présentées. Par la suite, à la lumière des informations recueillies lors d’entrevues,
un modèle de développement d’une préoccupation éthique est proposé et
défini. Certaines prédispositions sont également introduites comme favorisant
l’articulation d’une compétence éthique. Puis, quelques indications sont trans-
mises quant au processus de résolution de dilemmes éthiques utilisé par les
jeunes professionnels rencontrés. Enfin, des conclusions à l’intention des
enseignantes et des enseignants du programme de psychologie sont formulées
afin de soutenir l’émergence d’un intérêt éthique chez les étudiants.
Définition des concepts
Dans la documentation scientifique, il semble exister une certaine confusion,
particulièrement en ce qui à trait aux termes éthique et déontologie. Plusieurs
auteurs les utilisent comme étant des synonymes (Fortin, 1995 ; Fourcher,
1995). Une partie de cette confusion peut résider dans l’utilisation américaine
du terme « ethic » (Brunet et Savoie, 2002). Le sens donné à ce concept anglais
est similaire à la définition française de la déontologie. Dans cet article, ces
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mots seront utilisés non pas comme des synonymes mais plutôt pour référer à
des concepts distincts, chaque terme ayant un sens qui lui est propre. Cette
section permet donc de définir ces notions ainsi que celles de dilemme et de
compétence éthique.
La déontologie
Il existe plusieurs définitions du mot déontologie. D’abord, le philosophe Jeremy
Bentham serait le premier à avoir utilisé le vocable « deontology ». Ce terme est
issu du grec « deon » et « logos », faisant respectivement référence au « devoir »
et à la « doctrine » (Sardet, 1997). En conformité avec ces racines, plusieurs
auteurs définissent la déontologie comme un ensemble de devoirs ou de règles
que doivent suivre les professionnels (Brunet et Savoie, 2002; Dupuis et
Desjardins, 2002; Fortin et Boulianne, 1998; Lescarbeau et al., 1996; Sardet,
1997). De façon plus ou moins directe, ces définitions font référence aux codes
de déontologie des différents ordres professionnels, proposant des règles de
conduite à l’intention de leurs membres. Toutefois, certaines divergences existent
entre les auteurs quant à l’interprétation qui doit être faite de ces règles. Ces
divergences peuvent se situer sur un continuum. D’un côté se trouvent des
définitions mettant l’emphase sur le caractère absolu et contraignant des normes.
Elles y sont alors présentées comme des obligations auxquelles doivent se
soumettre les individus. Les définitions s’approchant de ce pôle font référence,
par exemple, aux «prescriptions que doivent appliquer les membres d’une
profession » (Fourcher, 1995, p. 25) ou aux «règles auxquelles il s’agit de se
soumettre » (Dupuis et Desjardins, 2002, p. 59). Certains auteurs soulignent
également qu’une dérogation à ces règles par un professionnel entraîne des
sanctions (Lescarbeau et al., 1996). Il s’agit donc d’une conception légaliste,
juridique de la déontologie. Cette vision est probablement la plus répandue.
Elle suppose qu’il existerait des actions bonnes de façon intrinsèque, des
règles absolues, applicables peu importe le contexte et ses particularités
(Pryzwansky et Wendt, 1999). De l’autre côté du continuum se trouvent des
définitions qui présentent ces règles davantage comme un guide auquel peut
se référer un professionnel dans le cadre de sa pratique. Les fervents de cette
position proposent que la déontologie soit conçue comme une boussole en
indiquant la direction dans laquelle le comportement du professionnel devrait
se diriger (Webster et Lunt, 2002) ou stipulent que « ces règles servent de
balises et de référence à l’action » (Fortin et Boulianne, 1998, p. 14).
Le terme déontologie est généralement rattaché à une association ou à un
ordre professionnel. Brunet et Savoie vont même jusqu’à souligner qu’il
« s’appliquerait plus spécifiquement à une profession reconnue légalement »
(Brunet et Savoie, 2002, p. 102). Certains auteurs ajoutent que la déontologie
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remplirait différentes fonctions au sein d’une profession. Par exemple, elle
permettrait de régir les rapports des membres de l’ordre entre eux ou avec la
société en général. Les codes de déontologie seraient donc une façon de
définir des standards de qualité, de présenter au public une image positive de
la profession et d’uniformiser la conduite des membres (Legault, 1999; Brunet
et Savoie, 2002; Lescarbeau et al., 1996; Dupuis et Desjardins, 2002; Webster et
Lunt, 2002).
La définition privilégiée dans cet article présente la déontologie comme une
balise à suivre et fait référence à l’ensemble des règles proposées par un groupe
ou un ordre professionnel à ses membres et visant à orienter et guider ces
derniers dans leurs choix et leurs actions au travail. En considérant la déon-
tologie davantage comme un guide, la responsabilité revient à chaque
professionnel de l’utiliser et de l’appliquer aux situations qu’il rencontre au
cours de sa pratique. En d’autres termes, il s’agit d’un appel à l’éthique.
L’éthique
Dans le domaine de l’éthique, les définitions présentées dans la documentation
scientifique sont également variées. Plusieurs se réfèrent à la déontologie, telle
qu’elle fut définie précédemment, alors que d’autres semblent s’approcher
davantage de la morale. Au-delà de cette ambiguïté, il est possible d’extraire
certaines similitudes dans les définitions présentées et, ainsi, de donner à ce
concept un sens qui lui est propre.
D’abord, dans son ouvrage La morale, l’éthique, l’éthicologie, Fortin (1995)
affirme que le professionnel vit en conformité avec ses préceptes et les règles
généralement admises tant que sa certitude n’est pas ébranlée. Selon lui, « il
suffit d’un doute, d’un tout petit soupçon, pour que s’enclenche le discours
éthique » (p.55). D’autres auteurs proposent des idées similaires en soulignant
que l’on fait appel à l’éthique lorsque l’on cherche à réduire les insatisfactions
ou la tension provoquées par le caractère instrumental des règles proposées face
aux situations complexes rencontrées dans le cadre de la pratique (Fortin;
Legault, 1999; Proulx et Roy, 1996). Cette tension peut être, par exemple, le résultat
d’un conflit entre deux règles dans une situation particulière (Langford, 1995).
Il est possible d’expliquer cette réalité par le « principe du moindre effort »
(Haidt, 2001). Puisque les individus possèdent des ressources cognitives limi-
tées, ils agissent généralement selon un mode de raisonnement plutôt intuitif.
Par contre, s’ils se voient confrontés à une situation particulière, ils s’engagent à
ce moment dans une réflexion plus systématique et demandant davantage
d’énergie.
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Afin de diminuer les insatisfactions ressenties, le professionnel doit se posi-
tionner et prendre une décision. L’éthique est donc souvent présentée comme
une démarche réflexive menée par un professionnel. En ce sens, elle fait réfé-
rence à l’individu qui utilise son jugement afin d’évaluer la pertinence des
normes, des règles ou des valeurs qui lui sont proposées dans l’atteinte du but
qu’il s’est fixé (Dupuis et Desjardins, 2002; Fortin et Boulianne, 1998; Proulx et
Roy, 1996). Dans cette optique, l’éthique revêt un aspect plus individualisé
que la déontologie. En effet, le jugement que porte l’individu se base sur des
normes personnelles et intériorisées. Il renvoie aux valeurs que le professionnel
souhaite afficher et mettre en pratique (Legault, 1999; Lescarbeau et al., 1996).
Malgré ce caractère individuel, l’éthique a également une visée sociale. Dans
leur définition, plusieurs auteurs font référence à la responsabilité qui incombe
au professionnel. L’individu est généralement invité à considérer, lors de sa
réflexion, les conséquences que pourrait entraîner sa décision sur lui, sur la
profession ou sur la société. En quelque sorte, il est appelé à prendre des
décisions et à en assumer la portée. (Fortin et Boulianne, 1998 ; Legault, 2001,
1999; Lescarbeau et al., 1996)
Enfin, les auteurs s’entendent généralement pour affirmer qu’il n’existe pas de
certitude en éthique. De par sa nature, l’éthique se situe dans cette zone grise,
entre le bien et le mal, où aucune décision, aucune action ne saurait être pleine-
ment satisfaisante. La démarche réflexive à laquelle s’adonne l’individu n’aura
donc pas comme but de trouver «la » solution à appliquer dans la situation
mais plutôt de choisir la meilleure solution possible, celle où les impacts
négatifs seront les moins importants, vu les circonstances (Fortin et Boulianne,
1998; Francis, 2002; Legault, 1999).
Le dilemme éthique
La définition du terme éthique est très intimement liée à celle de dilemme éthi-
que. En effet, la documentation scientifique propose des définitions du concept
de dilemme qui ne sont pas sans rappeler celles de l’éthique. Plus spécifique-
ment, le dilemme y est présenté comme une opposition entre deux valeurs ou
deux principes auxquels il est impossible d’accorder une même importance
dans une situation donnée. Puisqu’il se doit d’attribuer plus de poids à une
valeur qu’à une autre, le professionnel se trouve devant un choix difficile pour
lequel il ne semble pas y avoir de réponse évidente. Le dilemme est dit éthique
lorsque la réflexion implique la signification morale du choix à faire et lorsque
l’objet de la décision entraînera inévitablement des conséquences positives et
négatives pour le professionnel et pour autrui. (Betan et Stanton, 1999; Bowers
et Pipes, 2000; Brief, Dukerich et Doran, 1991; de Bettignies, 1995; Jones,
2001; Legault, 1999).
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