Évaluation pratique dans la dépression majeure

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Pour de nombreux patients souffrant de dépression majeure (DM), le traitement
initial au moyen d’un antidépresseur produit les résultats escomptés : une rémis-
sion soutenue des symptômes de dépression. Pour d’autres, l’absence de réponse au
traitement laisse place aux incapacités et à la détérioration de la qualité de vie typi-
ques de la maladie. Selon la recherche, la proportion de patients qui n’obtiennent pas
de rémission est relativement élevée. D’autres travaux donnent aussi à penser que la
dépression non traitée peut entraîner des changements structuraux affectant le volume
de l’hippocampe (Figure 1)1et une autre étude suggère l’existence d’une corrélation
entre la durée de la dépression non traitée et un volume total moindre de l’hippo-
campe2.
Cet article de synthèse décrit ce fossé thérapeutique en plus d’offrir un sommaire
des données pertinentes tirées de la littérature et des résultats d’un récent programme
d’évaluation de la pratique chez des omnipraticiens et des psychiatres d’un peu
partout au Canada en 2010.
À la lumière de cette observation, c’est-à-dire, qu’il est courant que la réponse au
traitement soit sous-optimale dans la DM (rémission non atteinte), les médecins
auraient intérêt à développer une stratégie de suivi et de monitorage des patients
qu’ils soignent pour cette affection. Il existe de nombreuses méthodes pour faire un
suivi de la réponse au traitement, et le présent article en décrit quelques-unes.
Si la plupart des médecins connaissent les options pharmacothérapeutiques de pre-
mière intention recommandées pour la DM, il n’en reste pas moins qu’en raison de
ce fossé thérapeutique et du taux relativement élevé d’échecs des agents de première
intention, les médecins doivent aussi connaître les options thérapeutiques possibles
au-delà des agents de première intention. Au Canada, les lignes directrices de pratique
clinique proposent une évaluation et des recommandations détaillées des traitements
de seconde et de troisième intentions pour la DM. On trouvera aussi un résumé de ces
recommandations dans la présente synthèse.
Impact de la DM
Selon l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC), au Canada, la
prévalence de la dépression au cours de la vie s’élève à 12,2 %, avec une prévalence
annuelle de 4,8 %3. Les patients qui souffrent de DM ont une qualité de vie signi-
ficativement diminuée. Les chercheurs d’une étude qui analysait les données de 11
essais cliniques sur la dépression et les troubles anxieux ont constaté que 63 % des
personnes souffrant de DM présentaient une grave détérioration de leur qualité de
vie (score à l’échelle Q-LES, pour Quality of Life Enjoyment and Satisfaction
Questionnaire Score)4.
Lors d’un programme d’évaluation de la pratique récemment effectué au Canada
auprès d’omnipraticiens et de spécialistes, le programme MOOD (Management of
Unipolar Depression Practice Reflective), les participants ont été invités à évaluer
l’impact de la DM sur la qualité de vie de leurs patients5. Le programme a regroupé
27le clinicien juin 2011
Évaluation pratique dans la dépression
majeure : Combler les fossés thérapeutiques
dans la prise en charge de la dépression
au Canada
Jeffrey Habert, M.D., CCFP, FCFP
Médecin de famille, Thornhill, Ontario
et chargé de cours, département de
médecine familiale, Université de
Toronto, Toronto, Ontario
Michael Rosenbluth, M.D., FRCPC
Psychiatre, Hôpital Général Toronto-
Est et Centre des sciences de la santé
Sunnybrook, Toronto, Ontario
28 le clinicien juin 2011
Prise en charge de la dépression
430 omnipraticiens des quatre coins du Canada (qui soignaient en tout 9 597 patients souffrant
de dépression) et 104 spécialistes (2 226 patients).
Comme l’illustre la Figure 2, une forte proportion de patients soignés en médecine
générale et en psychiatrie ont fait état de l’impact de la DM sur d’importants paramètres de
qualité de vie.
La dépression peut aussi avoir des conséquences beaucoup plus désastreuses : bien qu’on ne
s’entende pas sur les chiffres exacts6, la dépression accroît significativement le risque de suicide.
La dépression est aussi la principale cause d’invalidité dans le monde pour ce qui est des
années vécues avec une incapacité (AVI)7et représente environ 10 % de toutes les années de
vie corrigées du facteur invalidité8. La dépression peut significativement affecter le fonction-
nement professionnel, ce qui revêt une importance particulière, compte tenu que la plupart des
personnes souffrant de dépression (environ 7 sur 10) se trouvent sur le marché du travail9. Ces
employés déprimés peuvent s’absenter tout à fait du travail (absentéisme) ou alors présenter
une productivité réduite parce qu’ils ne se sentent pas bien (présentéisme).
La dysfonction due à la dépression ne se limite pas au milieu de travail. Dans le cadre du
programme d’évaluation de la pratique MOOD5, on a demandé aux médecins d’indiquer dans
quelle mesure la dépression nuisait à la capacité des patients d’effectuer leur travail, de
s’occuper des tâches domestiques ou de s’entendre avec autrui. Parmi les patients traités en
médecine générale, les proportions de patients affirmant éprouver une difficulté relative,
importante ou extrême étaient respectivement de 43 %, 31 % et 8 %. Pour les personnes sous
les soins d’un psychiatre, les pourcentages respectifs étaient de 36 %, 40 % et 14 %.
Cette baisse d’efficacité en milieu de travail et dans d’autres situations peut persister pendant
des périodes prolongées chez les personnes qui n’obtiennent pas une rémission. La durée des
symptômes (c.-à-d., la durée du relatif dysfonctionnement d’un patient) varie dans la DM. Les
données de l’ESCC montrent que parmi les personnes qui ont souffert d’un épisode de dépres-
sion majeure au cours de l’année écoulée, plus de la moitié (57,1 %) ont été déprimées pendant
plus de 13 semaines au cours de l’année et plus du quart (27,9 %) ont été déprimées pendant
plus de 27 semaines (Figure 3)9. Pris dans son ensemble et appliqué aux populations entières,
l’impact économique potentiel de la dépression donne le vertige.
Figure 1. Images spectroscopiques par résonance magnétique de l’hippocampe : Témoin en bonne santé vs patient ayant des
antécédents de dépressions à répétition1
Témoin en bonne santé,
volume de l’hippocampe 3 295 mm3
Patient souffrant de dépressions à répétition,
volume de l’hippocampe 2 015 mm3
B.
A.
Le point sur la prise en charge de la DM :
Reconnaître le fossé thérapeutique
Les preuves s’accumulent depuis quelque temps quant à l’indéniable fossé
thérapeutique qui affecte la prise en charge de la DM. Les essais cliniques
publiés et les études d’observation ont fait état d’une importante proportion
de patients qui ne répondent pas au traitement ou qui n’obtiennent pas de
rémission. De plus, un récent programme d’évaluation de la pratique cana-
dienne concrète a aussi mis au jour les défaillances du traitement chez une
forte proportion de patients suivis en médecine générale et dans une moindre
mesure, en psychiatrie.
Preuves publiées. On dispose de beaucoup de données publiées selon
lesquelles une forte proportion de patients souffrant de DM n’obtiennent pas
de rémission avec les antidépresseurs de première intention (p. ex., inhibi-
teurs sélectifs de la recapture de la sérotonine [ISRS] ou inhibiteurs de la
recapture de la sérotonine et de la noradrénaline [IRSN]). Les auteurs d’une
méta-analyse publiée en 2010 signalent que les taux de rémission (définis par
un score HAMD-17 [Hamilton Depression Rating Scale–17] < 7-8, ou un
score MADRS [Montgomery-Åsberg Depression Rating Scale] < 10-12) lors
d’études cliniques portant sur des ISRS ou des IRSN se situaient à 41,9 % et
48,5 %, respectivement10.
Une autre étude d’envergure sur la DM s’est penchée sur la probabilité de
rémission, non seulement au moyen d’un premier antidépresseur, mais égale-
ment au moyen des stratégies thérapeutiques subséquentes. L’étude STAR*D
(pour Sequenced Treatment Alternatives to Relieve Depression) a regroupé
3 671 patients souffrant de DM11. Pour ces patients, l’objectif était la rémis-
sion, définie par un score de 5 ou moins à l’échelle QIDS-SR (pour Quick
Inventory of Depressive Symptomatology–Self-Report). La première étape de
29le clinicien juin 2011
0 20 40 60 80 100
% de patients
71 %
82 %
La dépression du patient a
affecté sa vie de famille
49 %
67 %
Le patient s’est absenté du travail/de
l’école et a manqué des journées en
raison de la dépression
61 %
71 %
Le patient présente un intérêt
diminué à l’égard de la sexualité
73 %
82 %
Le patient a été contraint de réduire
ses activités en raison de la fatigue
et/ou d’une perte d’intérêt
Médecine générale
Psychiatrie
27-52 semaines,
27,9 %
< 6 semaines,
22,1 %
13-26 semaines,
29,2 %
7-12 semaines,
20,8 %
Prise en charge de la dépression
Figure 2. Proportion de patients faisant état de l’impact de la
dépression sur les paramètres de qualité de vie : Programme canadien
de réflexion sur la pratique5
Figure 3. Durée des symptômes de dépression au cours
de l’année écoulée : Enquête sur la santé dans les
collectivités canadiennes9
La dépression est aussi
la principale cause
d’invalidité dans le
monde pour ce qui est
des années vécues
avec une incapacité et
représente environ
10 % de toutes les
années de vie
corrigées du facteur
invalidité.
30 le clinicien juin 2011
la pharmacothérapie était l’ISRS citalopram en monothérapie. Les patients qui n’obtenaient pas
de rémission avec cette première étape passaient ensuite, selon une répartition aléatoire, à une
seconde étape. Les traitements possibles à ce niveau reposaient sur quatre possibilités (arrêt du
citalopram et amorce d’un nouveau traitement par bupropion à libération continue, thérapie
cognitive, sertraline ou venlafaxine à libération prolongée) et trois types de traitement d’ap-
point (citalopram plus bupropion, buspirone ou traitement cognitif). Les patients qui n’obte-
naient toujours pas de rémission passaient ensuite à une troisième ou une quatrième étape,
chacune reposant sur l’emploi d’un autre antidépresseur, d’un traitement d’appoint ou d’un
traitement antidépresseur d’association.
Les investigateurs ont signalé que les deux tiers des patients (63 %) n’avaient pas obtenu de
rémission avec un antidépresseur de première intention11. En fait, ce n’est que lorsqu’on tient
compte du taux de rémission cumulatif théorique des quatre étapes thérapeutiques que le taux
de réussite des traitements approche le taux d’échec des traitements de première intention dans
le cadre de l’étude. Pour les auteurs, le taux de rémission cumulatif (67 %) se fonde sur l’hy-
pothèse selon laquelle aucun patient n’a abandonné l’étude et ceux qui en ont été exclus
auraient obtenu les mêmes taux de rémission que ceux qui ont continué de suivre le protocole
de l’étude.
L’un des principaux points à retenir de cette étude est le fait que 3 patients sur 10 n’ont pas
obtenu de rémission, même après cet essai clinique étroitement contrôlé et surveillé, et même
après quatre interventions différentes. Ce résultat témoigne du fossé thérapeutique considérable
qu’il reste à combler.
Programme canadien d’évaluation de la pratique. Le programme MOOD a été conçu pour
sensibiliser les médecins canadiens aux résultats obtenus chez les patients, pour encourager des
choix de traitement fondés sur les résultats et pour comparer les résultats enregistrés chez les
patients aux résultats nationaux et aux lignes directrices5.
On a demandé aux médecins d’évaluer la dépression de leurs patients à l’aide du ques-
tionnaire PHQ-9 (pour Patient Health Questionnaire12) (accessible en ligne à l’adresse :
www.cqaimh.org/pdf/tool_phq9.pdf). Pour chacune des neuf questions (présentées au Tableau
1), les patients évaluaient la fréquence des symptômes au cours des deux semaines écoulées en
répondant « jamais », « plusieurs jours », « plus de la moitié des jours » ou « presque tous les
jours ».
Les patients recevaient un score de 1-3 pour chaque réponse, pour un score total possible de
1 à 27. En fonction du score total, on assignait le patient à la catégorie « dépression minime »
Tableau 1.
Questions du PHQ-9 (Patient Health Questionnaire-9)12
Au cours des deux dernières semaines, le patient a-t-il présenté l’une ou l’autre des caractéristiques suivantes :
1. Baisse d’intérêt ou de plaisir à faire des choses
2. Patient qui se sent démoralisé, déprimé ou désespéré
3. Difficulté à s’endormir/à rester endormi ou hypersomnie
4. Fatigue ou manque d’énergie
5. Perte d’appétit ou consommation exagérée d’aliments
6. Piètre estime de soi, sentiment d’échec, impression de s’être abandonné ou d’avoir abandonné sa famille
7. Trouble de concentration, p. ex., lire le journal ou écouter une émission de télé
8. Lenteur à se déplacer ou à s’exprimer au point que l’entourage le remarque, ou alors, agitation et nervosité
inhabituelles
9. Impression qu’il serait mieux mort ou risque de danger pour lui-même
Prise en charge de la dépression
31le clinicien juin 2011
(score de 1 à 4), « dépression légère » (5 à 9), « dépres-
sion modérée » (10 à 14), dépression modérément grave
(15 à 19) et « dépression grave » (20 à 27).
La Figure 4 nous montre les résultats aux scores
PHQ-9 chez des patients traités par des omnipraticiens
et des spécialistes canadiens qui ont pris part au pro-
gramme MOOD. La proportion de patients dont la mala-
die était légère ou plus était de 76 % dans la clientèle des
omnipraticiens et de 86 % dans la clientèle des spécia-
listes.
Ces observations rappellent le nombre substantiel de
patients souffrant de DM dont la prise en charge laisse à
désirer au Canada. Il y a plusieurs explications possibles
à cela, comme l’a souligné Ghaemi13.
Une partie du problème peut résider dans le fait qu’on
soumet trop peu de patients souffrant de DM à une éva-
luation au moyen d’outils validés. Des échelles struc-
turées, comme le questionnaire PHQ-9 peuvent être très
utiles, non seulement pour établir un diagnostic fondé
sur des critères, mais également comme moyen fiable de
suivre l’évolution du patient, sa réponse au traitement et
sa rémission (ou l’absence de rémission) suite au sché-
ma thérapeutique choisi, et pour évaluer la gravité de
son état et prendre ensuite des décisions thérapeutiques
éclairées en fonction des résultats obtenus.
L’une des conclusions frappantes de ce programme d’évaluation de la pratique a été qu’envi-
ron les deux tiers des patients de médecine générale (5 700 sur 8 736 : 65 %) et près des trois
quarts des patients de psychiatrie (1 539 sur 2 100 : 73 %) n’avaient subi aucune évaluation au
moyen d’une échelle de mesure de la dépression5. Parmi ceux qui avaient subi une évaluation, les
instruments les plus souvent utilisés étaient les questionnaires HAM-D et PHQ-9 en médecine
générale, et le questionnaire HAM-D et l’échelle de dépression de Beck en psychiatrie.
Le fait que la plupart des évaluations aient mené à des modifications du traitement témoigne
de leur importance. Comme le montre la Figure 5, parmi les patients suivis en médecine
générale, 67 % ont changé de traitement par suite de l’évaluation de leur dépression : modifi-
cation du médicament (20 %), augmentation de la dose du médicament en cours (30 %) et ajout
d’un autre médicament (22 %)5. Parmi les patients traités par un spécialiste, 25 % ont changé
de traitement par suite d’une évaluation : augmentation de la dose du médicament en cours
chez 38 % et ajout d’un autre traitement chez 23 % (proportion totale de patients chez qui l’ap-
proche a été modifiée : 77 %).
Bien qu’il ne soit pas toujours possible de réaliser une évaluation quantitative en raison de
contraintes de temps, il est important de poser un minimum de questions aux patients afin
d’établir des valeurs de référence et de surveiller leur progression ou l’échec du traitement. À
cet égard, Arroll et coll. ont fait état de la précision diagnostique de deux questions pour
détecter les cas de dépression14. Posées verbalement, les deux questions du Tableau 2 offrent
une solution rapide et efficace qui aide les médecins à diagnostiquer et à traiter la dépression.
Améliorer les résultats dans la DM :
Tirer le maximum des options thérapeutiques
Les lignes directrices CANMAT (Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments) de
2009 pour la prise en charge de la DM chez l’adulte proposent des recommandations complètes
et fondées sur des preuves pour le traitement de la DM15-18 en soulignant qu’il existe d’autres
0204060
% de patients
14 %
24 %
Minime
18 %
24 %
Légère
28 %
27 %
Modérée
Modérément
grave
25 %
18 %
Grave
Psychiatrie
Médecine générale
14 %
8 %
Prise en charge de la dépression
Figure 4. Résultats du PHQ-9 (
Patient Health Questionnaire-9
) dans le
cadre du Programme de réflexion sur la pratique canadienne5
1 / 8 100%

Évaluation pratique dans la dépression majeure

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