REVUE MÉDICALE SUISSE
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20 janvier 2016
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des développements récents. En particu-
lier, on considère aujourd’hui davantage
les indications ciblées sur la sécurité des
médicaments (QT, problèmes métaboli-
ques, etc.). Le monitoring de médicaments
présentant des effets secondaires dans ces
domaines sensibles pourrait ainsi gagner
en importance.
4.
Une posologie telle que celle reçue
par ce patient se justifie-t-elle? Et si
oui, dans quelles situations?
PB: Le médecin traitant peut aujourd’hui
avantageusement baser sa stratégie de
traitement d’un trouble bipolaire sur des
recommandations (guidelines) internatio-
nales.5,6 La situation du patient suggère
que sa médication a été inhabituelle, vu
qu’elle a compris trois médicaments psy-
chotropes pour le traitement du trouble
bipolaire. Sans que cela ait été précisé, il
n’avait probablement guère répondu à des
premiers traitements, ce qui a eu comme
conséquence des posologies «off-label»
pour la quétiapine et la venlafaxine. De
plus, les taux de lithium sont élevés, bien
au-delà de la limite supérieure des mar-
ges thérapeutiques recommandées (0,5-
0,8 mmol/l).7 Il est intéressant de consta-
ter que la combinaison de médicaments
est effectivement recommandée dans des
situations où une monothérapie s’avère
insuffisante, mais jamais à des doses «off-
label».5,6 L’association lithium et quétiapine
est considérée comme «premier choix»
dans les stratégies proposées pour le trai-
tement de maintien dans le trouble bi-
polaire, lorsqu’une combinaison de deux
médicaments s’avère nécessaire.5
Dans le cas présent, où le patient a vu une
rechute dès que la posologie a été réduite,
l’approche choisie est compréhensible, mais
des précautions comme celles présentées
par le cardiologue doivent absolument être
respectées.
Lorsqu’on prescrit une bi ou une trithé-
rapie, il s’agit d’évaluer les risques d’une
interaction pharmacocinétique et phar-
macodynamique, dont les conséquences
peuvent être une augmentation des effets
adverses. L’association de lithium avec la
venlafaxine et la quétiapine présente un
risque d’interaction pharmacocinétique
faible. En effet, ni la venlafaxine ni la qué-
tiapine ne sont des inhibiteurs puissants
du cytochrome P450. Le tableau régulière-
ment publié par le Département de phar-
macologie clinique des HUG, disponible
sous forme de carte et sur le web (www.
hug-ge.ch/sites/interhug/files/structures/
pharmacologie_et_toxicologie_cliniques/
documents/interactions_medicamenteuses
_et_cyp450.pdf) nous informe que c’est le
CYP2D6 qui est la principale enzyme im-
pliquée dans le métabolisme de la venla-
faxine, tandis que pour la quétiapine, c’est
le CYP3A4 qui prédomine.
Les risques d’interactions pharmacodyna-
miques sont relativement faibles. Cepen-
dant, les hautes doses de venlafaxine, qui
est un puissant inhibiteur de la recapture
de la sérotonine, en association avec le li-
thium,8-10 dont le profil pharmacologique
est caractérisé par une composante séro-
toninergique, pourraient favoriser l’appa-
rition d’un syndrome sérotoninergique.11
Par contre, les taux plasmatiques de ven-
lafaxine et de quétiapine (tableau 1) prati-
quement dans les marges thérapeutiques
recommandées par le groupe AGNP,3 sont
rassurants, malgré les doses élevées. Cette
situation illustre l’apport du monitoring
thérapeutique lors d’une réponse théra-
peutique insuffisante malgré des doses
maximales administrées.
La poursuite du traitement chez ce patient
bipolaire comprend une association de li-
thium avec la venlafaxine. Cette stratégie
trouve sa confirmation dans une étude
récente qui a révélé qu’un antidépresseur
(y compris la venlafaxine) en monothéra-
pie favorise le passage en phase manique
(switch), tandis que sous traitement com-
biné (stabilisateur d’humeur + antidépres-
seur), ce risque est très faible.12
5.
De telles doses de médicaments
psychotropes sont-elles fréquemment
utilisées?
PB: La pratique clinique quotidienne ob-
servée suggère que de telles doses sont
parfois prescrites. Cependant, des études
«épidémiologiques» précises manquent.
Des données non publiées et recueillies
dans le cadre d’un projet de pharmacovi-
gilance en psychiatrie (AMSP) révèlent
que la pres cription de doses «off-label» de
médicaments psychotropes est relative-
ment rare (environ 2% au maximum), sauf
pour l’olanzapine, la quétiapine, la mir-
tazapine et l’escitalopram (> 10%). Sur
2843 (3165) patients traités avec la venla-
faxine (respectivement la quétiapine), 2,4%
(12,9%) d’entre eux recevaient des doses
«off-label» (respectivement 450 mg/jour
et 2000 mg/jour) (R. Grohmann, S. Stüb-
ner, A. Kons tandinidis, communication
personnelle).
Chez des patients métaboliseurs ultrara-
pides (CYP2D6) en particulier, il est re-
commandé d’augmenter la dose de 50%
(voire davantage) par rapport à la dose
moyenne habituelle. C’est le cas pour le
zuclopenthixol et l’aripiprazole, la clomi-
pramine et la paroxétine, mais les auteurs
évitent de proposer des doses «off-label».13
6.
La cardiomyopathie peut-elle être due
à l’association de ces (très) fortes
doses de psychotropes?
GG: Dans de rares cas, la quétiapine est
décrite comme pouvant causer une insuf-
fisance cardiaque congestive (Compendium
suisse des médicaments). Un cas de choc
cardiogène réversible à l’arrêt du traite-
ment à doses usuelles de venlafaxine a
également été rapporté chez un patient
sans cardiopathie connue.14 Le lithium est
quant à lui contre-indiqué en cas de mala-
die cardiovasculaire, en particulier en cas
d’insuffisance cardiaque. Il est donc fort
probable que la cardiopathie présentée
dans ce cas présent puisse être secondaire
à la prise de quétiapine et de venlafaxine,
peut-être aggravée par la prise concomi-
tante de lithium. A plus forte raison, l’as-
sociation à forte dose de ces trois médica-
ments renforce l’hypothèse de causalité.
7.
L’acanthosis nigricans peut-il être un
marqueur d’un potentiel «surdosage»
de psychotropes?
PB: L’acanthosis nigricans est une pa-
thologie associée avec une résistance à
l’insuline et des troubles métaboliques,
notamment chez des patients obèses et
diabétiques.15,16 Or, de nombreux antipsy-
chotiques ont comme effet secondaire une
prise de poids, avec comme conséquence
des troubles métaboliques et un diabète,17
mais rien ne prouve qu’un acanthosis ni-
gricans soit un effet secondaire direct des
antipsychotiques. Les observations que ces
médicaments contribuent indirectement
au développement de cette pathologie der-
matologique sont extrêmement rares.15,18
En particulier, la littérature ne mentionne
pas l’apparition d’acanthosis nigricans après
quétiapine ou lithium, mais seulement après
aripiprazole, chez un jeune patient qui
avait pris du poids sous ce traitement.15
1 Fanoe S, Kristensen D, et al. Risk of arrhythmia
induced by psychotropic medications: A proposal for
clinical management. Eur Heart J 2014;35:1306-15.
2 www.jle.com/download/--met-291434-mise_au_point_
suivi_cardio_metabolique_des_patients_traites_par_
antipsychotiques-Vd7P438AAQEAABAr7yQAAAAC.pdf
3 Hiemke C, Baumann P, Bergemann N, et al. AGNP
consensus guidelines for therapeutic drug monitoring in
psychiatry: Update 2011. Pharmacopsychiatry 2011;44:
195-235.
4 Baumann P, Rougemont M, Corruble E, Hiemke C,
Groupe A-D. Dosages plasmatiques des médicaments
antidépresseurs. Rev Med Suisse 2013;9:577-86.
5 Yatham LN, Kennedy SH, Parikh SV, et al. Canadian
Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT)
and International Society for Bipolar Disorders (ISBD)