SANTÉ MENTALE : - Maison Médicale La Passerelle

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L’Impatient
Journal de l’association d’usagers de
la Maison Médicale La Passerelle
Périodique trimestriel • n° 65 • avril - mai - juin • 2015 • Éditeur responsable : R-M Laurent 16, rue Gaston Grégoire 4020 Liège • 04 344 94 44
Bureau de dépot : NCS Liège X - P305004
Édito : Santé mentale :
jamais seul
02
Santé
Le suivi des personnes
souffrant de troubles
psychiques à La Passerelle
Revers
la rencontre dans la création
Pour vous dire...
Écrire
Similes les proches
comme partenaires de soin
SAM service d’aide
dans le milieu de vie
Psytoyens
la parole des usagers
Écrire pour dénoncer
Les patients questionnent
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04
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08
10
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Les petites histoires de Martine
La tour et le puits
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Actualités
Aide à une ONG guinéenne
Changements dans l’équipe
En pratique
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19
SANTÉ MENTALE :
jamais seul
SANTÉ MENTALE: jamais seul
NOTRE DÉSIR
LE PLUS PROFOND
EST QUE CELUI
QUI SOUFFRE
NE SOIT JAMAIS
SEUL FACE À
SA SOUFFRANCE.
L’être humain fonctionne en se détraquant et on ne peut
dire que quelqu’un est malade quand il se détraque. Quand le
détraquement empêche de vivre, cela peut devenir une maladie,
mais ce serait plutôt ceux qui ne sont jamais détraqués du
tout qui ont de gros problèmes, eux qui ne souffrent jamais
parce qu’ils s’empêchent de souffrir.
Jean FURTOS
La santé mentale, c’est quoi ? Elle concerne les malades mentaux mais aussi
d’autres qui ne le sont pas mais qui souffrent dans leur être. On parle d‘allermal psychique, de mal-être psychique, parfois appelé dépression, ou fragilité ou
souffrance qui peut aboutir à la maladie mentale.
Pourquoi la maladie mentale survient-elle ? Si c’est une question de personnalité,
c’est aussi une question d’entourage et d’environnement.
Nous avons tous nos fragilités. Nous avons tous des épreuves à surmonter : deuil,
perte d’un emploi ou pression au travail, conflits. Notre société est individualiste
et exclut beaucoup de gens. Parfois, il est normal d’aller mal mais si on est seul,
enfermé dans son chagrin, sans le soutien d’un entourage, on risque de tomber
dans la maladie mentale. Nous savons que ce qui nous permet de tenir dans les
coups durs, ce sont les amis, la famille, les soignants.
Depuis les années 70, un mouvement international prône la fin de l’enfermement
psychiatrique pour préférer des soins adaptés aux personnes souffrant de maladie
mentale dans leur milieu de vie, leur quartier, leur maison. Depuis longtemps déjà,
la Passerelle a fait de l’accompagnement de ces personnes dans leur milieu de
vie une priorité. Cet accompagnement ne peut se faire qu’en collaboration avec
l’entourage et les associations du quartier. C’est ainsi que nous vous emmenons
dans un voyage à travers la diversité des regards de quelques travailleurs ou
usagers de ces associations qui proposent une vision alternative et globale du
« prendre soin ».
La maladie mentale fait peur parce que nous ne la comprenons pas mais aussi
peut-être parce qu’elle parle à une partie de nous qui est plus fragile, qui nous
inquiète et que nous avons peur de reconnaître alors que cette partie de nous
constitue aussi notre richesse et nous permet de comprendre ce que d’autres vivent,
de nous ouvrir à eux et de les soutenir pour être soutenus à notre tour et prendre
soin de nous. Elle nous permet de sentir que nous avons besoin des autres.
Le comité de rédaction : Martine Frères (psychologue), Stéphanie Roland (médecin), Yves Gabriel
(patient) et Rose-Marie Laurent (infirmière).
Ce périodique est entièrement illustré par des œuvres
produites dans les ateliers de Revers (recueil de gravures : Les quatre saisons)
et est mis en page par Article 23 asbl - Atelier infographie.
2 �dito
Une exposition des œuvres réalisées dans les ateliers de Revers sera organisée
à la Maison médicale à partir du 8 juillet. Nous invitons tous les patients au
vernissage qui aura lieu le vendredi 18 septembre à 18h.
LE SUIVI
DES PERSONNES SOUFFRANT
DE TROUBLES PSYCHIQUES
à La passerelle
Depuis 1999, nous avons mis sur pied un
projet d’accompagnement de personnes en
souffrance psychique : en tant qu’assistantes
sociales, Virginie Gioia et moi, sommes
plus particulièrement chargées d’assurer ce
suivi. Il consiste à favoriser ou améliorer la
collaboration avec les services psychiatriques
des hôpitaux et les services qui interviennent
dans le milieu de vie : centres de santé
mentale, SIAJEF, Revers, Réflexions, Club
André Baillon, SAM… Le travail en réseau
est primordial pour améliorer le suivi des
personnes. Nous avons pour objectif de
stabiliser, voire d’améliorer la qualité de vie
des personnes dans leur milieu de vie en
construisant un projet avec elles, en fonction
de leurs besoins et de leurs désirs propres.
Nous rencontrons les personnes en
consultation, en visite à domicile, à l’hôpital,
ou en réunion de coordination (avec la
famille, les soignants, les aides familiales…)
afin de leur offrir la possibilité d’élargir les
relations sociales, leur permettre de fréquenter
des lieux de formations, d’activités, culturels,
d’instaurer des aides à domicile en cas de
besoin, bref de prendre en considération
tous les aspects de la vie quotidienne.
Depuis des années, le gouvernement
fédéral tente de diminuer le nombre de
lits dans les hôpitaux psychiatriques dans
un souci d’économie. Il vient de mettre sur
pied un projet, le « PROJET 107-PROJET
FUSION LIEGE ». Ce projet a pour objectif
de construire une offre globale au niveau
de la santé mentale avec tous les services
organisés en réseau de soins pour permettre
à chaque personne en souffrance de trouver
une réponse individualisée et de recevoir
des soins adaptés dans le milieu de vie.
Ça veut dire quoi ? Il incite les services à
mieux se coordonner pour prendre en charge
les personnes soit en période de crise, soit
de manière chronique. Certains soignants
qui travaillaient à l’hôpital suivent les patients
à domicile pour favoriser leur réintégration
dans leur quartier, leur voisinage, leur
logement. La maison médicale La Passerelle
s’inscrit pleinement dans ce projet qui
renforce le travail sur le terrain que nous
menons depuis des années.
A la maison médicale, la relation de
confiance est fondamentale. Les personnes
sont parfois inscrites depuis de nombreuses
années et elles n’hésitent pas à venir nous
trouver pour parler, être écoutées, déposer
une histoire difficile ou demander de l’aide
tout simplement. Nous sommes toujours
disponibles auprès de toutes les personnes
qui ont une difficulté de vie et nous pouvons
proposer notre aide en cas de nécessité.
Nicki Soultatos, assistante sociale.
Santé
3
REVERS:
Entretien avec Cécile Mormont (Directrice de l'asbl Revers)
Rose-Marie : Peux-tu me décrire
Revers ?
CM: Revers fait partie d’un mouvement
plus large dont le but est de maintenir les
personnes souffrant de troubles psychiques
dans leur milieu de vie, et d’offrir pour cela
une aide et des soins adaptés. Les personnes
ne sont pas que des malades, elles ont le droit
d’avoir plusieurs identités, de se confronter à
différentes réalités, d’avoir une vie diversifiée :
être locataire d’un appartement, client dans
un magasin, spectateur dans un cinéma,
usager des transports en commun, employé
dans une entreprise... En bref ce qui fait vie,
en relation avec les autres dans un quartier.
Nous revendiquons pour tous, le droit aux
soins mais aussi au travail et à la culture.
L’accompagnement se fait donc à différents
niveaux : suivi psychosocial (SIAJEF),
réinsertion par le travail en infographie
(bureautique, graphisme et sérigraphie)
dans l’Horeca et le bâtiment (Article 23).
La particularité de Revers est d’offrir aux
personnes en souffrance des possibilités
d’expression dans des ateliers de peinture,
gravure, photos, écriture...
RM: Quels sont ses objectifs ?
CM:
Dans une société de plus en plus
individualiste où la solidarité diminue, où les
gens souffrent de plus en plus de solitude,
les personnes fragiles sont souvent exclues
de tout, du monde du travail et de revenus
décents ce qui les exclut encore davantage.
Avoir un problème de santé mentale est un
4 Santé
drame dans un monde peu solidaire. Notre
démarche vise donc à recréer des liens, des
endroits de rencontre, à permettre à une
personne de ne plus être seule, de partager ce
qu ‘elle est à ce moment-là, dans une situation
de souffrance. Nous voulons rencontrer les
gens autrement que par la maladie et établir
avec eux des relations égalitaires, des liens
d’affection.
Revers permet de travailler la créativité
par laquelle on peut découvrir des choses
différentes à l’intérieur de soi, (ré)apprendre
à regarder les choses, à toucher. Ce sont
de petites choses qui remettent de la vie à
des personnes qui sont parfois « envahies »
par la maladie, qui subissent des traitements
lourds. C’est aussi un lieu de protection et de
non jugement : peu importe le passé, même
parfois criminel de la personne, on rencontre
les gens en tant que personnes. Elles ont
quelque chose à nous apprendre.
RM: Qu’ont-elles à nous
apprendre justement ces
personnes en souffrance ?
CM: Que la vie est fragile. Les hauts et les
bas font partie de la vie. Aujourd’hui, on nous
dit : soyez belle, mince, ayez un mari, deux
enfants, une maison, une voiture et un chien.
En dehors de cela, pas de bonheur ! Les autres,
ce sont des marginaux ! Les marginaux sont
donc de plus en plus nombreux ! La norme est
de plus en plus stricte. Ils nous montrent à quel
point on est esclave de ce monde où la valeur
est de consommer, avoir de l’argent, ce qui
est une catastrophe pour la santé mentale.
la rencontre
DANS LA CREATION
-- Ils sont une sonnette d’alarme : ils nous
disent : attention à ce que la société
produit comme stress, burn-out, dépression,
pression sur les gens, solitude, devoir d’être
performant, adaptable... Quelle société
voulons-nous ?
-- La tolérance : quelqu’un qui est pris
d’angoisse et arrive à Revers est héroïque.
La force existe en même temps que la
détresse. On apprend à ne pas avoir peur
de la différence.
-- L’humilité : en psychiatrie, on ne change pas
les gens comme ça. On est tout petit. On ne
bouleversera pas l’ordre des choses mais
on donne des bouffées d’air, on améliore la
qualité de vie, la dignité
Et enfin, on apprend que la folie fait partie
de nous...
RM: Quelle place peut
avoir l’hôpital dans cet
accompagnement ?
CM:
Il y a encore en Belgique 4000
personnes hospitalisées depuis plus d’un an
en psychiatrie. L’hôpital devrait être réservé
aux moments de crise ou pour soulager les
familles. Avant, l’asile était hors des villes
pour que la Ville vive en paix. On associait
maladie mentale et dangerosité. On s’aperçoit
qu’en fait les malades mentaux ne sont pas
plus violents que la moyenne des gens mais
qu’ils sont trente fois plus souvent victimes de
violences physiques.
Revers :
76-78, rue Maghin - 4000 Liège
Tél : 04 351 74 93
SIAJEF :
19, rue Maghin - 4000 Liège
Tél : 04 228 98 98
Le Siajef est constitué d’une équipe
mobile. Elle se déplace sur les lieux
de vie, au domicile, vers les services
d’urgences sociales et psychiatriques,
à chaque endroit où émerge une
« demande ». L’équipe travaille avec
les habitants, les entourages, les
familles et une diversité d’institutions
ou de professionnels qui opèrent dans
des domaines aussi variés que la santé,
le logement, l’action sociale, l’insertion
socioprofessionnelle, l’économie, ou la
culture.
Article 23 :
1, Place Emile Dupont, 4000, Liège
Tél : 04 223 38 35
D’après l’Article 23 de la Déclaration
Universelle des Droits Humains : « Toute
personne a droit au travail, au libre
choix de son travail, à des conditions
équitables et satisfaisantes de travail
et à la protection contre le chômage».
Les personnes psychiatrisées sont
régulièrement exclues de la plupart des
filières de travail. ARTICLE 23 a donc
créé un espace qui permette à ces
personnes de s’intégrer dans un travail
réel quel que soit le niveau de départ.
interview : Rose-Marie Laurent
Santé
5
Pour vous
dire...
Revers est un dispositif d’insertion par la culture.
C’est un lieu qui protège mais c’est aussi un lieu
qui essaie de faire changer les mentalités au
sujet de la maladie mentale. On se dit que si les
mentalités changent, sans doute qu’il y aura plus
d’ouverture et que les personnes aux prises avec
des troubles psychiques n’auront plus besoin de
passer par des lieux spécialisés pour avoir accès
à des activités culturelles.
Mounia, travaille à Revers.
La psychiatrie amène les gens à penser à leurs
problèmes. Il faut sortir de là. Pour moi, ce n’est
pas ça la vie. Il est important de pouvoir la ressentir
en allant quelque part, en faisant quelque chose.
ça dépend de chacun. La vie, personne n’en a le
secret. C’est quoi ? C’est quand tu as beaucoup
de potentialités que tu ressens en toi, quand tu as
beaucoup de choses qui sont réceptives en toi. Ça
peut être corporel, dans ta tête. Tu acceptes ce qui
arrive : le vent dans tes cheveux, tout ça... A l’hôpital,
tu sens pas le vent, la bouffe est complètement
uniforme. Tu n’as pas une vie en couleurs. Il n’y
a pas de nuances qui font que cela devient beau.
En psychiatrie, les conditions ne sont pas réunies
pour que cela puisse arriver sauf si on tombe sur de
chouettes personnes qui te parlent respectueusement
et acceptent d’arriver dans une relation où tu vas
lâcher une blague et qui va rire, quoi !
Frédérique, patient.
Offrir à son tour du soutien à quelqu’un, c’est ça
la santé. A l’hôpital tout se passe comme si on
devait toujours recevoir et rien donner. Pour moi, la
santé fait partie de cet équilibre entre le donné et
le recevoir qui constitue notre humanité. Si les gens
s’aident les uns les autres, ils vont mieux.
Véronique, Psytoyens.
Ces trois témoignages sont issus de Protections, édition l’Autre Lieu, 2014.
(rassemble des témoignages de soignants et d’usagers en santé mentale, accompagné d’un CD).
6 Santé
ÉCRIRE
POUR FAIRE SON DEUIL
Il est 9h. J'ouvre la porte de la terrasse, Arlequine se faufile entre
mes mollets, je regarde le ciel aux nuages gris-chagrin et j'arrose
mes fleurs. Les siennes. Elle les aimait et les avait offertes en
héritage, le rosier atteignait la corniche de la maison vendue à
des étrangers.
Il ne faudra jamais oublier le goût des pommes sûres, nos
vagabondages, nos sifflements de mômes dans les arbres, la
prairie amoureuse et le chant des mésanges, le son cristallin de
la harpe dans la chambre arrière.
Il ne faudra jamais oublier le vieux grenier, les robes ornées de
dentelles et de bijoux anciens.
Il ne faudra jamais oublier les batailles de neige avec mon grand
frère, l'igloo où tels des esquimaux nous nous abritions les doigts
gelés, nous bravions le froid avec nos candides espoirs.
J'avais peur de grandir. J'étais au Paradis...
T'écrire dans la marge de nos souvenirs retrouvés.
Cap vers le Sud
Mireille.
Réflexions :
2, rue Pont Saint-Nicolas - 4020 Liège
04 343 13 31
Est partenaire de SIMILES et de Psytoyens
S'adresse à des personnes souffrant de troubles psychotiques et à leur
famille. Son objectif est d'améliorer leur qualité de vie. Elle vise à rendre
la personne psychotique actrice de sa propre évolution, notamment en
dispensant des informations claires et compréhensibles sur la maladie à
ceux qui en souffrent mais également à leur entourage, à leurs soignants
et au grand public pour permettre aux personnes atteintes de comprendre
leurs symptômes et de mieux les gérer, pour soutenir les familles et déstigmatiser la maladie mentale en l'expliquant au tout venant.
Santé
7
SIMILES :
les proches comme
partenaire de soins
Association destinée aux
proches, parents, enfants,
frères, sœurs et amis de
personnes souffrant de
troubles psychiques.
Elle n’offre pas de travail
thérapeutique au sens strict
mais travaille selon 4 axes :
8 Santé
Soutien et information :
Le soutien commence par l'écoute : SIMILES offre
des permanences téléphoniques tous les jours. Si
la personne au téléphone est trop perdue, un RV lui
est proposé. Une bibliothèque est à la disposition
des familles.
Elle organise également des groupes de parole
de proches qui souhaitent partager leur vécu
et s'entraider.
J'ai rencontré M., maman d'une jeune femme
souffrant d'un état limite dit « borderline » et
membre de SIMILES.
M: - Je me suis tout d'abord abonnée à la Revue
mensuelle de SIMILES où on relate, avec l'accord
des participants et de façon anonyme, le contenu
des groupes de parole. Je me suis alors rendu
compte qu'il y avait des gens qui vivaient la même
chose que moi : la honte, l'incompréhension. J'ai
hésité un an avant de rejoindre le groupe de parole
de Liège.
Là, j'ai rencontré des personnes dont les proches
présentent les mêmes comportements que ma fille
ou en tout cas, fort similaires. Borderline signifie,
entre autres, que la personne est impulsive, en
dépendance affective et qu'elle peut avoir des
conduites à risque et des comportements suicidaires.
Il n'y a pas toujours de diagnostic précis, mais
parfois si un psychiatre a pu en établir un, c'est un
peu rassurant et déculpabilisant. On comprend que
Formation :
SIMILES propose des outils pour faire face et
alléger le poids que représente la maladie. Des
formations destinées aux familles mais aussi aux
professionnels, assistants sociaux, policiers...
Une formation vient de commencer pour les
accueillantes en maison médicale.
Un « module pro famille » est organisé pour les
proches de personnes souffrant de schizophrénie.
Ceci pour permette aux proches de mieux réagir
et d’alléger le poids de la maladie. Cela est
essentiel : quand on aide des proches à avoir un
comportement adéquat avec la personne malade,
on diminue le risque de rechute.
Participation :
si la personne a tel comportement, c'est dû à sa
maladie. Pour ma fille c'était rassurant également
car sinon elle se sentait coupable de ses accès
de crise, elle se sentait méchante. A ces groupes
de parole, j'ai appris que certains proches vont
également trouver leurs voisins pour leur expliquer
la maladie de leur enfant : « N'appeler pas trop
vite la police. Je peux m'occuper de mon enfant s'il
est en crise ! »
J'ai repris confiance en moi, confiance dans le fait
que ce que je ressentais était juste : souvent on a
l'impression d'un regard réprobateur, comme si on
n'avait pas fait tout ce qu'il fallait pour son enfant,
qu'on était en faute. Les gens, avec les meilleures
intentions, vous donnent des conseils: « Tu devrais
faire ceci ou cela ». Ici on me disait que je devrais
couper les ponts avec ma fille mais je m'en sentais
incapable et donc nulle. Surtout je ne voulais pas
abandonner mon enfant.
Souvent l'entourage se sent mal à l'aise et n'ose
pas prendre de nouvelles. On se sent alors isolés.
Il faut dé-stigmatiser les maladies psychiques. Les
films, les feuilletons dépeignent les schizophrènes
comme dangereux. Les médias, pour faire du
chiffre, invente des diagnostics abracadabrants à
des criminels schizoïde-paranoïaques alors que
les personnes souffrant de troubles psychiques sont
surtout fragiles et violentes envers elles-mêmes... et
souvent victimes de violence.
Une autre action importante est de faire reconnaître
auprès des institutions de santé et des soignants
les proches comme partenaire de soin, des
recommandations sont faites pour apprendre
à tenir compte de leur avis. Il faut faire changer
les mentalités : souvent les proches ne sont pas
avertis de la sortie de l’hôpital alors que 80 %
des personnes en souffrance psychique de plus
de 30 ans retournent habiter dans leur famille.
Avec l’accord du patient, il faut au moins se poser
la question de savoir qui on avertit, qui peut
prendre le relais. Ce qui revient souvent dans les
groupes de parole c’est que les psychiatres et les
thérapeutes n’écoutent pas suffisamment voire pas
du tout les proches.
Actions auprès
des pouvoirs politiques :
SIMILES relaye les préoccupations des familles
et amis en matière de droits et de bien-être des
personnes en souffrance : les mesures prises par les
pouvoirs publics concernant les revenus, l’habitat,
la protection de la personne, l’internement ont une
grande importance sur la qualité de vie.
Une réforme de l’organisation des soins a lieu en
Belgique depuis quelques années, avec pour but
de diminuer les hospitalisations psychiatriques
et favoriser le maintien des personnes dans leur
milieu de vie. C’est une bonne idée mais les
travailleurs des hôpitaux qui vont à domicile ne
sont pas suffisamment formés au travail en réseau
ou avec les familles. Un infirmier est venu voir ma
fille à domicile mais n’est rentré en contact ni avec
son médecin traitant, ni avec sa famille. Il faudra
le temps qu’ils se forment...De plus, rien n’a été
mis en place pour renforcer les services de soins à
domicile de proximité.
Rose-Marie Laurent
SIMILES :
15, rue Lairesse, 4020, Liège
Tél : 04/ 344 45 45
Santé
9
Le SAM :
Service d’Accompagnement
dans le Milieu de vie
Le SAM, situé en Outremeuse, est une antenne
du Club André Baillon, centre de santé
mentale qui offre, outre un accompagnement
psychologique et social, des activités tous
les jours de la semaine : cuisine, balade,
théâtre, gymnastique... pour permettre aux
personnes souffrant de troubles psychiques de
se reconstruire.
Le SAM travaille sur les quartiers de Bressoux,
d’Amercoeur, du Longdoz, des Vennes et
d’Outremeuse. Il accueille les personnes
lors de rencontres conviviales les lundis et
vendredis après-midi ou sur rendez-vous au
local ou à domicile.
Entretien avec Fabienne Depireux
(assistante sociale au SAM)
Rose-Marie : Peux-tu me décrire le
travail du SAM ?
FD:
Le SAM accompagne des personnes
souffrant de problèmes psychiatriques dans leur
milieu de vie. Certaines de ces personnes se
retrouvent seules, n’ont plus, à certains moments,
les capacités de prendre en charge leurs besoins
comme se nourrir, être propre, se déplacer. Notre
travail est donc de les soutenir par un suivi social
mais aussi dans les choses les plus concrètes. Il
est intéressant de bavarder en faisant la vaisselle
10 Santé
avec quelqu’un, en faisant les courses, en allant
au lavoir pour se retrouver dans le quartier,
dans la vie, développer une relation. Le but de
cette relation est de sécuriser les personnes, de
leur donner des points de repère et recréer les
conditions dans lesquelles elles retrouveront petit
à petit plus d’autonomie.
Il est important de partir de la façon dont la
personne se sent à ce moment-là : il arrive que
des gens soient devenus très lents, nous devons
en tenir compte, nous adapter à leur rythme tout
en les aidant à progresser quand c’est possible
pour eux.
Notre travail est d’autant plus nécessaire que
nous vivons dans un monde peu solidaire : il est
parfois difficile de compter sur son voisinage pour
un coup de main ou un encouragement.Un voisin
attentif peut être une bonne protection pour une
personne esseulée. J’ai connu un propriétaire qui
avait convaincu son locataire de poursuivre son
traitement pour garder une bonne relation avec
ses voisins.
RM - Vous êtes, avec la Passerelle
et l’Impatient, à l’origine de la
création du Chal’heureux. Quelles
étaient vos motivations ?
FD:
Il me semblait important qu’il existe dans le
quartier un endroit où l’on peut simplement se poser,
rencontrer d’autres personnes, avoir une écoute
sans pour autant devoir se lancer dans une activité. Un endroit où on
ne vous demande rien. Cela n’est pas possible pour tout le monde à
n’importe quel moment d’entreprendre une activité.
RM : Le Chal’heureux répond-il à vos attentes ?
FD : Oui. En plus d’être un endroit où on peut se poser, c’est un lieu
rare car il est ouvert à tous les habitants du quartier. Des personnes
de différentes origines sociales et géographiques, des personnes
souffrant de problèmes psychiques ou non se côtoient mais surtout
s’acceptent après un temps de reconnaissance mutuelle, se soucient
l’un de l’autre, prennent des nouvelles des absents, se saluent dans
la rue.
C’est un endroit où on est accueilli mais où on peut prendre soin
des autres en servant à table, faisant la vaisselle. On peut discuter
mais aussi jouer aux cartes, aux échecs, faire ou écouter de
la musique, dessiner... Cela entraîne des relations égalitaires,
d’échanges réciproques.
La bonne dynamique de l’équipe de bénévoles et de travailleurs
sécurise, permet à chacun de trouver la place qui peut lui convenir à
ce moment-là.
interview : Rose-Marie Laurent
SAM :
29, rue Louis Jamme, 4020 Liège
Tél : 04/ 342 97 11
Chal’heureux :
13, rue Raes de Heers, 4020 Liège
Ouvert à tous le mardi de 17h30 à 20h
Organise un ciné-club un jeudi par mois
Club André Baillon :
7-9, rue des Fontaines Roland, 4000 Liège
Tél : 04/221 18 50
Santé
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PSYTOYENS REGROUPE DES ASSOCIATIONS D’USAGERS EN SANTÉ MENTALE
C’EST-À-DIRE TOUTE PERSONNE QUI À UN MOMENT DANS SA VIE UTILISE OU A
UTILISÉ UN SERVICE DE SANTÉ MENTALE : HÔPITAL, CENTRE DE SANTÉ MENTALE,
PSYCHOLOGUE. CELUI OU CELLE QUI PASSE LA PORTE, C’EST QUE C’EST SA PLACE.
SON BUT EST DE PORTER LA VOIX DES USAGERS, DE PERMETTRE LA PARTICIPATION ET
LA REPRÉSENTATION DES USAGERS DANS LE SECTEUR DE LA SANTÉ MENTALE. SES
MISSIONS PEUVENT SE RÉSUMER AINSI :
•Informer sur les droits et les devoirs, les services de soin, les
conférences qui peuvent intéresser les usagers
•Accompagner les collectifs d’usagers au point de vue
méthodologique, logistique : comment rédiger une recherche de
subsides, rechercher des membres, animer une réunion.., encourage
également la création de comités d’usagers au sein des services et
institutions du champ de la santé mentale et accompagne les usagers
et les professionnels qui souhaitent s’investir dans ce processus.
•Organiser la représentation politique pour porter la parole des
usagers à un niveau politique et institutionnel. Il participe à de
nombreuses commissions mais aussi au comité d’accompagnement
dans la Réforme des soins de santé mentale dite 107, à l’INAMI, à
la LUSS,... Sur base des positions élaborées ensemble au sein de
Psytoyens, de leur propre expérience et de celle d’autres usagers
rencontrés au sein des associations, les représentants apprennent à
débattre, d’égal à égal, avec les professionnels de la santé et du
monde politique.
Psytoyens
La parole
des usagers
Les personnes qui fréquentent Psytoyens sont souvent âgées de
plus de 30 ans. Elles ont un recul, une expertise par rapport à
leur maladie, arrivent à penser le changement pour ceux qui
viennent après. A 20-25 ans, les personnes sont confrontées pour
la première fois à leur maladie qui prend alors toute le place et
c’est bien normal.
Toute personne qui veut témoigner, déposer ce qu’elle a vécu est
bienvenue. Ces témoignages permettent de porter les recommandations
aux soignants, aux institutions, aux politiques. Les participants deviennent
des « experts du vécu » et peuvent ainsi être des ambassadeurs en
santé mentale. Ce sont les patients qui savent le mieux expliquer
ce qu’ils ont vécu à l’hôpital, ce qui les a fait souffrir ou leur a fait
du bien, comment tenir compte de leur parole dans les traitements
proposés, ce qu’ils veulent savoir de leur maladie et enfin ce que c’est
que souffrir d’un trouble psychique et de l’exclusion. Ils peuvent ainsi
aider, soutenir les autres usagers en santé mentale.
Psytoyens : Place Émile Dupont, 1, 4000 Liège
Tél. 0498/11.46.24
12 Santé
NOUS LAISSONS LA PLACE À UN PATIENT QUI AIME ÉCRIRE
Écrire pour dénoncer
Pierre ironise sur l'obligation d'être heureux que l'on nous
impose en s'adaptant à tout alors que l'on ne peut pas tout
accepter : l'augmentation des inégalités et de la pauvreté est
inacceptable et nuit gravement à la santé mentale...
Le bonheur qu'on vous vend est un idéal de soumission
Si vous êtes cet être aigri, malmené par l'existence qui traîne sa carcasse de bars à
vin en cabinet de psy, ne cherchez pas plus loin : vous êtes un ingrat doublé d'une
faignace car être heureux demande un effort. C'est en tout cas la thèse de brillants
promoteurs d'une discipline appelée « la psychologie positive ». On pourrait doper
son bonheur de vivre à condition d'apprendre à dire « oui à l'existence ».
Quelques recettes qui font recette :
• Évitez d'être ronchon, une personne de mauvaise humeur est dénuée de créativité.
• Pour vous déstresser et chasser vos vilaines pensées comme demander une
augmentation de salaire, un contrat à durée déterminée, une diminution du
temps de travail, adoptez une attitude zen.
Ce néo-bouddhisme au sein de l'entreprise au profit de l'ultralibéralisme est le
fleuron des méthodes antistress.
• Soignez vos « gratitudes ». La gratitude est un muscle, il faut l'entraîner :
Envoyer un mot doux à vos collègues qui vous malmènent
Offrez des pralines au patron qui vous licencie
• Vous perdez votre emploi, adoptez l'alimentation de la bonne humeur, jeûnez
mais intégrez fenouil, concombre, céleri et cresson.
• Si vous êtes chômeur en fin de droit, si vous pataugez dans les ennuis financiers
et que vous ne recevez aucunes réponses à vos CV, c'est que vous êtes un
champion de la sinistrose.
• Croulant sous les dettes, épuisé par trop de nuits d'insomnie à imaginer l'avenir
de votre famille, une solution s'offre à vous : faites des coloriages !
J'arrête ici la panoplie des insanités proférées à la population en difficulté sociale
et psychique. Cet idéal du bonheur ne sert-il pas à vous faire avaler encore plus
d'inégalités et d'injustices, à éradiquer tout esprit critique ?
Aujourd'hui, les individus bombardés d'images publicitaires n'ont plus d'histoires
autres que des récits victorieux soumis en permanence à la compétition, à
l'individualisme gagnant, au narcissisme triomphant.
Alors que la santé serait de dire, parfois ou souvent : NON ! Mais nous devons le
faire ensemble !
Pierre, patient.
Santé 13
?
QUESTIONNENT
C’est quoi la maladie mentale ?
Quels sont les premiers signes ?
La maladie mentale, ou plutôt trouble mental, se
caractérise par une perturbation de l’humeur, de
la pensée et/ou du comportement. Cela entraîne
des difficultés graves, handicapantes, persistantes
dans le temps qui altèrent la capacité à s’adapter
à certaines situations et qui sont source d’une
souffrance psychologique.
Il existe différents types de troubles mentaux : les troubles
de l’humeur, les troubles anxieux, les troubles de la
personnalité ou les troubles alimentaires par exemple.
Quelle est la différence entre maladie mentale et
maladie neurodégénérative ?
Les maladies neurodégénératives, c’est par exemple la
maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson ou la
sclérose latérale amyotrophique. Ce sont des maladies
dans lesquelles il y a une atteinte des cellules du
cerveau. Ces lésions évoluent progressivement, sur des
mois ou des années, de façon prolongée et irréversible.
Dans le trouble mental, il n’y a pas de lésion cérébrale
et le trouble est réversible. On pourrait dire que dans un
trouble mental, c’est un fonctionnement qui est atteint,
pas un organe.
Quelle est la place de l’hérédité dans les maladies
mentales ?
A l’heure actuelle, les troubles mentaux ne sont pas
considérés comme des maladies génétiques, le rôle
exact de l’hérédité n’est pas connu. Il en est de même
du rôle de l’environnement. La recherche doit continuer.
14 Santé
?
Les patients
Les soignants
RÉPONDENT
Que donneriez-vous comme conseil à l’entourage ?
Chaque trouble mental est différent. Il existe dans le
réseau des associations et il ne faut pas hésiter à les
rencontrer. Similes est l’un de ces partenaires, vous
pourrez trouver dans l’interview pages 8 et 9 quelques
éléments de réponse.
Comment expliquer la dépression à un enfant ?
A l’occasion de la journée de la santé mentale en
Australie, l’organisation mondiale de la santé a produit
une vidéo expliquant la dépression. Vous pouvez la
retrouver sur YouTube en tapant « I had a black dog,
his name was depression ». En voici un extrait :
« J’ai eu un chien noir, il s’appelait « Dépression ».
A chaque fois qu’il apparaissait, je me sentais vidé,
et ma vie semblait se ralentir. Il pouvait me rendre
des visites surprises pour rien, sans raison.
Ce chien noir me faisait me sentir et paraître plus
vieux que je ne l’étais. Quand le reste du monde
semblait apprécier la vie, je ne voyais cette
dernière que par le chien noir. Les activités qui
me faisaient d’habitude plaisir, soudainement ne
me plaisaient plus. Il aimait bien bousiller mon
appétit. J’avais ruiné ma mémoire et ma capacité
de concentration. Faire quoi que ce soit ou aller
n’importe où nécessitait une force surhumaine avec
le chien noir. Lors d’occasions sociales, il pouvait
aspirer tout ce que je pouvais avoir de confiance
en moi. Et il s’enfuyait avec, comme d’une proie.
(…) Chien Noir était capable de me faire penser
et dire des choses négatives. Il pouvait me rendre
irascible difficile à vivre. Il pouvait me voler mon
amour et enterrer mon intimité. Il aimait par dessus
tout me réveiller en pleine nuit avec des pensées
hyper-répétitives et hyper-négatives. Il aimait aussi
me rappeler combien j’allais encore être exténué
demain. Avoir ce Chien Noir dans ta vie n’a aucun
rapport avec le fait d’être un peu fatigué, triste ou
mélancolique. C’est pire que d’être dépourvu de
toutes ses sensations.»
Cette vidéo est un des outils pour expliquer la dépression
à un enfant. A nouveau, le réseau d’associations peut
vous accompagner dans ces réflexions.
Quand devient-on la maladie ? (« J’ai un problème
de dépression » versus « Je suis dépressif »)
On ne peut résumer un individu à une maladie. En
pratique, cela se dit souvent : il est dépressif, diabétique
ou toxicomane, mais c’est très réducteur et de plus
stigmatisant. On souffre d’un problème de santé, on
n’est jamais un problème de santé.
Est-ce que la nicotine est bonne pour le cerveau ?
Comme toutes les drogues, la nicotine procure des
effets stimulants : à court terme, elle augmente l’éveil,
l’attention, la mémoire, le temps de réaction. La
nicotine diminue également l’anxiété, la douleur et
l’appétit. Cette action est rapide mais brève, ce qui
entraîne souvent l’envie de continuer. Mais la nicotine
rend surtout très dépendant : elle est aussi addictive
que la cocaïne et l’héroïne. Une fois la dépendance
établie, l’absence de nicotine provoque un manque et
les effets « positifs » de la nicotine s’inversent alors : on
devient plus irritable, plus anxieux, moins concentré, la
sensation de faim augmente et on a donc tendance à
prendre du poids.
Des relations humaines qui se détricotent au
profit de relations commerciales provoquent de la
souffrance psychique. Est-ce une problématique
qui vous interpelle ?
Les vieux ont peur de vieillir et de mourir. Pourquoi
n’avons-nous pas une éducation à la santé qui
aborde ces problèmes ?
La peur de vieillir et de mourir dans de mauvaises
conditions nous semble être un problème de société.
La question de la fin de vie nous préoccupe en tant
que soignant. Nous essayons d’en parler avec nos
patients mais il est vrai que cela reste un sujet difficile
à aborder, souvent tabou, aussi bien du point de vue
du patient que du thérapeute.
Là où il y a des souffrances sociales, il y a des
souffrances psychiques. Comment les soignants
prennent-ils en compte les conditions sociales
dans lesquelles baignent vos patients ?
Nicki Soultatos, assistante sociale à la maison
médicale, répond partiellement à cette question
dans son article en page 3. De façon plus générale,
nous pouvons dire que nous sommes attentifs aux
conditions sociales de nos patients. Nous ne
soignons pas une partie de corps mais un patient,
dans sa globalité, il est donc important de s’intéresser
à son environnement, en abordant la question du
logement et du travail par exemple en consultation
ou directement en visite à domicile.
Le gouvernement sabre dans les dépenses
sociales et culturelles mais va acheter des avions
pouvant transporter des bombes nucléaires. Y
voyez-vous une action démentielle ?
Poser la question ainsi, c’est y répondre.
Oui. Nous en sommes témoins et y sommes confrontés
tous les jours. Cette problématique est abordée dans
l’interview de Revers, pages 4 et 5.
Santé 15
Les petites histoires
de Martine
Au centre de la cité est érigée depuis des temps anciens une tour en pierre grise
qui n’a ni porte ni fenêtre. Personne ne se questionne sur son histoire ou ses origines. Elle est une présence qui rassure.
Un jour de tempête elle se fissure et un pan entier s’effondre. Les habitants
découvrent alors un trou profond, noir et glacé, sans doute un puits abandonné.
Un cri provient de tout en bas, tantôt ténu, tantôt déchirant ; il ressemble aux
pleurs d’un bébé.
Rassemblés sur la place qui entoure l’édifice, les habitants se questionnent sur
l’origine et la cause de ces cris. Des volontaires s’organisent pour aller voir ce qui
se passe au fond du puits. C’est leurs histoires que je vais vous raconter maintenant.
Le premier descend en rappel au fond du
trou. Il voit une galerie sur sa gauche et y
entre en se laissant guider par le son qui
résonne contre les parois. Il arrive bientôt
à une porte ouverte qui le conduit dans un
autre couloir. La lumière qui éclaire ce lieu
devient plus faible et le tunnel plus étroit.
Il se sent de plus en plus seul. Il n'entend
presque plus les pleurs de l'enfant.Il fait
demi tour et marche en comptant ses pas.
Progressivement il réalise qu'il passe sans
cesse aux mêmes endroits et que le lieu qu'il
arpente est un labyrinthe. Sa gorge se noue
et l'angoisse l'envahit, brouillant sa pensée.
Il entend à nouveau des pleurs proche de
lui mais découvre que ce sont les siens. il se
fige alors dans une posture de frayeur.
Le second volontaire ne voyant pas son compagnon revenir décide de descendre à son
tour. Il suit le chemin emprunté par son prédécesseur et arrive devant la porte ouverte.
Les pleurs semblent être près de lui. Averti
des dangers possibles de s'introduire dans
un labyrinthe, il reste à l'entrée et appelle son
compagnon. Celui-ci, d'une voix déformée
par l'angoisse, le supplie de le délivrer.
Alors le deuxième volontaire a l'idée de
chanter une berceuse traditionnelle pour
permettre au compagnon perdu de lâcher
sa torpeur et de se laisser guider par une
16
Les petites histoires de Martine
LA TOUR ET LE PUITS
Il était une fois une ville du nom de Lacis
tendresse infinie qui, tel un fil d'Ariane, lui indique la sortie de ce cauchemar. Ils se retrouvent
enfin. Épuisé par cet épreuve, le premier attend
dans le couloir pendant que le second poursuit
ses recherches.
Celui-ci arrive devant une autre porte qui donne
dans une petite pièce mal éclairée. Il distingue
malgré tout, posé contre un mur, une bibliothèque
remplie de manuscrits anciens recouverts d'une
épaisse couche de poussière et de nombreuses
toiles d'araignée. Distraitement, il consulte certains livres. Soudain, un manuscrit très lourd
tombe avec fracas sur le sol. Il s'ouvre laissant
apparaître le visage d'une femme qu'il connaît
bien. Elle est jeune, belle sur cette photo prise un
jour d'été alors que la maladie n'a pas encore
pris possession de son corps, de son âme et
de sa vie. Cette femme au sourire moqueur n'est
autre que sa mère, décédée alors qu'il venait
d'avoir 7 ans. Malgré les pleurs devenus plus
insistants, il ne peut poursuivre son chemin, pris
par le récit de celle qui lui a donné la vie.
C'est dans cette attitude de lecteur passionné,
insensible à ce qui l'entoure que le troisième le
découvre. Comprenant qu'il ne peut compter ni
sur le premier ni sur le second compagnon il repart seul à la recherche de cet enfant tourmenté.
Il arrive bientôt à une autre porte qui donne accès à une pièce complètement recouverte de miroirs déformants. Ceux-ci peuvent être dangereux
pour qui les regarde avec attention car ils ont le
pouvoir de vous fasciner à tel point que vous pouvez perdre la volonté et la raison. C'est ce que
lui a confié l'étrangère de passage au pays qui
semble très intéressée par le sort de l'enfant. Il a
donc fabriqué avec son aide des œillères qu'il
pose sur sa tête avant d'entrer dans la pièce. Il
le sait : l'enfant est bien là dans un berceau au
centre de ce lieu inquiétant qui ne cesse de se
transformer à chacun de ses mouvements.
Il prend l'enfant dans ses bras qui s'apaise et
s'endort. Dans un calme profond il parcourt les
couloirs en sens inverse. A la bibliothèque il appelle le compagnon plongé dans son livre et
l'invite à le suivre avec son manuscrit précieux.
Passant devant l'entrée du labyrinthe il réveille
l'autre compagnon, étonné d'être là et ensemble
ils se font hisser à tour de rôle par ceux qui les
attendent en haut.
La joie est palpable et la fête qui s'en suit inoubliable. L'étrangère s'occupe de l'enfant qui ne
pleure plus ou parfois.
Chacun des compagnons a fait un voyage
dangereux où ils auraient pu se perdre mais,
soutenus par leur communauté, ils sont revenus
enrichis par des découvertes sur eux, sur la ville
et ses mystères. Le premier a perçu les risques
de s'aventurer sans repères dans un labyrinthe
qui ne vous laisse plus sortir sans une frayeur
indicible sauf si la tendresse d'un autre vous
appelle. Le deuxième a enfin compris ses souffrances en lien avec celles de ses ancêtres, dont
sa mère. Le dernier a pu se préserver des dangers encourus quand, seul, on doit affronter la
déformation violente de nos perceptions. Enfin,
chacun a pu compter sur la présence des autres
qui, bien que dans l'ignorance de ce qui les
traverse, restent là présents.
Les petites histoires de Martine 17
Mon voyage en
Guinée Conakry
En novembre et décembre derniers, profitant d'un congé Le plus souvent cela vient de la méconnaissance
exceptionnel, j'ai voyagé en Guinée Conakry. C'est un de la maladie. Si, dans bien des cas, la médecine
pays de l'Afrique de l'ouest, situé sous le Sénégal. Il fait traditionnelle est efficace ou complémentaire à la
huit fois la Belgique, on y parle français, plusieurs langues médecine occidentale, quand les patients arrivent au
locales et des centaines de dialectes. Conakry, c'est la centre, c'est souvent après avoir tout essayé : docteurs,
capitale. Une capitale africaine à la fois fantastique hôpitaux, infirmiers de brousse, guérisseurs traditionnels,
et monstrueuse. Elle est faite de béton, de tôles, de exorcistes. Ils ont pris des médicaments de toute sorte, des
terre. Il y a des voitures, des arbres et des gens partout. plantes, des antibiotiques, fait des saignées, des prières,
Je retournais en Guinée pour la deuxième fois. Cette fois des sacrifices et dépensé tout l'argent de la famille.
pour soutenir l'association Fraternité
« Une des conséquences Grâce à une collaboration avec
Médicale Guinée, une ONG
des psychiatres européens, les
guinéenne et son responsable le dr.
inattendues pour le
soignants, infirmiers et assistants
Sow, un confrère et ami.
sociaux, de FMG ont appris à
personnel de ces
Les centres de santé de l'association
reconnaître et traiter ces malades.
centres, c’est que la
FMG ressemblent assez bien à nos
Ils savent maintenant très bien
maisons médicales. Ils essaient
ce qu'il faut faire. Ils vont jusque
prise en charge de ces
d'être le plus accessibles possibles
dans les familles et expliquent la
malades mentaux leur a
et d'apporter des soins de qualité
maladie, l'importance du traitement
appris à mieux écouter
mais vu le peu de ressources
et de son suivi. Ils proposent des
financières, ils sont peu nombreux
pour permettre l’achat des
et mieux soigner tous les forfaits
et mal équipés.
médicaments, ils parviennent à
autres malades. »
rassurer les familles et gagner petit
L'épidémie d'Ebola présente depuis
à petit la confiance des patients.
plus d'un an et demi, est une catastrophe qui s'ajoute J'ai ainsi vu plus d'une fois, des patients stabilisés par le
à la pauvreté. Non seulement elle détruit des familles traitement exprimer leur gratitude et leur reconnaissance
entières mais menace les liens sociaux et de nombreuses envers le personnel.
traditions culturelles. Elle terrifie les soignants qui sont
directement exposés et les gens qui ont peur de se rendre Une des conséquences inattendues pour le personnel
au dispensaire. J'ai pu constater que la fréquentation de ces centres, c'est que la prise en charge de ces
des dispensaires avait fortement baissé.
malades mentaux leur a appris à mieux écouter et mieux
soigner tous les autres malades. Les travailleurs disent
Sauf dans les centres de santé de FMG où la situation eux-mêmes, qu'ils ont appris à moins juger, à mieux
a l'air un peu différente : ils sont presque les seuls à écouter, à mieux prendre en compte les conséquences
s'occuper des patients atteints de maladie mentale et des maladies pour les patients et leur famille. Et c'est
de leur entourage. En dehors des gros hôpitaux de toute la qualité des soins qui s'est trouvée améliorée.
Conakry, iI n'y a pas de psychiatre en Guinée ni de Ce qui s'est passé là donne beaucoup d’espoir
service d'aide pour ces malades. Quand des gens aux Guinéens.
souffrent de troubles du comportement, ont des délires Personnellement, j'en retiens une belle leçon de courage
ou des hallucinations, ils sont vite traités de fous ou de et de persévérance.
possédés par des démons. Comme ils peuvent avoir des
Philippe Denoël, médecin
comportements anormaux, l'entourage en a peur et ne
sait plus quoi faire. Alors tout le monde les évite, voire les
maltraite. Il arrive qu'ils soient enchaînés pour éviter des
problèmes. Et tout le monde souffre de cette situation.
18
Actualités
Changements
dans l’équipe :
Bonjour à tous,
Comme certains d’entre vous le savent déjà, je termine mon assistanat le 30 septembre 2015.
Il est temps pour moi de vous dire au revoir et de remercier toutes les personnes qui m’ont soutenue
durant ces 2 années passées à la maison médicale La Passerelle.
Je remercie les patients qui m’ont accueillie et fait confiance. Sachez que vous avez tous et toutes
participé à cette agréable expérience ! Je suis encore là jusque fin septembre, nous pourrons donc
envisager la suite de votre prise en charge ensemble.
Je vous dis donc au revoir ici. Il est temps pour moi d’aller vers d’autres horizons avec pour bagage de
nombreuses expériences et de multiples souvenirs. J’espère vous revoir tous très vite.
Sophie Ceyssens (Médecin – Assistante)
Je termine pour ma part le 31 juillet, après un an de formation parmi vous et 9 mois de remplacement.
Je débute en septembre une formation en santé publique et médecine tropicale à Anvers, pour une
durée de 6 mois. Je me doute que le défilé des assistants est peut-être difficile pour certains patients,
c’est le « jeu » de l’assistanat : après les 7 ans de médecine, il faut se former durant 2 ans pour devenir
médecin généraliste. Je voulais donc remercier la Passerelle de m’avoir permis de me former dans de si
bonnes conditions et avec un tel soutien de l’équipe. Je remercie surtout les patients ; j’ai envie de dire
« mes » patients pour certains car il est vrai qu’après quasiment 2 ans, j’ai pu créer une vraie relation
de médecin de famille avec certaines personnes ! Merci donc, et l’on se reverra peut-être bientôt !
Dr Stéphanie Roland.
Actualités 19
VACANCES
En pratique
LE CHAL’HEUREUX
LA BAMBINERIE
Place Sainte-Barbe, 16 - 4020 Liège
Rue Raes de Heers, 13 - 4020 Liège
Ouvert tous les mardis de 17h30 à 20h
La Bambinerie sera fermée
du 18 juillet au 16 août.
Organise son barbecue d’été
avec un bal aux lampions le 14 juillet
et rouvrira ses portes le 18 août.
EXERCICES PHYSIQUES
La piscine
Congés
à la MM et la salle de sport
continuent tout l’été
des médecins
M-L Boulangé
P. Denoël
D. Filée
J. Herman
O. Montigny
La gym douce et la piscine
à la Maison intergénérationnelle sont
interrompues tout l’été
Horaire
des consultations
médicales
lundi
mardi
mercredi
jeudi
vendredi
Juillet
Août
610
-
-
4 14
20 31
2428
3 et 920
2131
13
34 et 1720
O. Montigny
D. Filée
J. Herman
P. Denoël
ML. Boulangé S. Ceyssens A. Bontemps
matin
9h - 12h
8h30 - 11h30
-
-
8h30 - 11h30
-
9h30 - 11h30
après-midi
13h30 - 14h30
-
13h - 15h30
13h - 16h30
13h30 - 14h30
14h - 16h30
16h - 19h
matin
8h30 - 11h
-
10h - 11h30
8h30 - 11h
8h30 - 11h
10h - 11h30
8h30 - 10h
après-midi
14h - 16h
15h - 17h
-
14h - 16h30
14h - 15h30
15h30 - 18h30
14h - 16h
matin
10h30 - 11h30
9h30 - 12h
-
8h30 - 11h30
8h30 - 11h30
9h - 11h
-
après-midi
15h - 18h
-
-
-
15h - 18h30
-
-
matin
8h30 - 12h
11h30 - 12h30
-
8h30 - 11h30
-
9h30 - 12h
9h - 11h30
après-midi
14h - 16h
14h30 - 16h30
16h - 19h
-
-
16h - 18h30
14h - 16h
matin
-
8h30 - 10h30
8h30 - 10h30
-
9h - 11h30
9h30 - 11h30
10h - 12h
après-midi
-
13h30 - 15h30
13h30 - 15h30
13h - 19h
1Vendredi/2
15h - 19h
1Vendredi/2
15h - 19h
13h30 - 15h
16h30 - 18h30
Avis à tous et toutes !
si vous avez des remarques, des envies, des sujets à proposer pour le périodique,
n'hésitez pas à déposer vos billets dans la boîte à suggestions de L'Impatient ;
elle se trouve dans la salle d'attente.
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En pratique
Mise en page : Atelier infographie d’Article 23 asbl, 12 rue de la Cathédrale, 4000 Liège - 04 223 03 33
www.article23.eu
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