LImpatient
Périodique trimestriel • n° 65 • avril - mai - juin • 2015 • Éditeur responsable : R-M Laurent 16, rue Gaston Grégoire 4020 Liège • 04 344 94 44
Bureau de dépot : NCS Liège X - P305004
Journal de l’association d’usagers de
la Maison Médicale La Passerelle
SANTÉ MENTALE :
jamais seul
Édito : Santé mentale :
jamais seul
02
Santé
Le suivi des personnes
souffrant de troubles
psychiques à La Passerelle
03
Revers
la rencontre dans la création 04
Pour vous dire... 06
Écrire 07
Similes les proches
comme partenaires de soin 08
SAM service d’aide
dans le milieu de vie 10
Psytoyens
la parole des usagers 12
Écrire pour dénoncer 13
Les patients questionnent 14
Les petites histoires de Martine
La tour et le puits 16
Actualités
Aide à une ONG guinéenne 18
Changements dans l’équipe 19
En pratique
2�dito
La santé mentale, c’est quoi ? Elle concerne les malades mentaux mais aussi
d’autres qui ne le sont pas mais qui souffrent dans leur être. On parle d‘aller-
mal psychique, de mal-être psychique, parfois appelé dépression, ou fragilité ou
souffrance qui peut aboutir à la maladie mentale.
Pourquoi la maladie mentale survient-elle ? Si c’est une question de personnalité,
c’est aussi une question d’entourage et d’environnement.
Nous avons tous nos fragilités. Nous avons tous des épreuves à surmonter : deuil,
perte d’un emploi ou pression au travail, conits. Notre société est individualiste
et exclut beaucoup de gens. Parfois, il est normal d’aller mal mais si on est seul,
enfermé dans son chagrin, sans le soutien d’un entourage, on risque de tomber
dans la maladie mentale. Nous savons que ce qui nous permet de tenir dans les
coups durs, ce sont les amis, la famille, les soignants.
Depuis les années 70, un mouvement international prône la n de l’enfermement
psychiatrique pour préférer des soins adaptés aux personnes souffrant de maladie
mentale dans leur milieu de vie, leur quartier, leur maison. Depuis longtemps déjà,
la Passerelle a fait de l’accompagnement de ces personnes dans leur milieu de
vie une priorité. Cet accompagnement ne peut se faire qu’en collaboration avec
l’entourage et les associations du quartier. C’est ainsi que nous vous emmenons
dans un voyage à travers la diversité des regards de quelques travailleurs ou
usagers de ces associations qui proposent une vision alternative et globale du
« prendre soin ».
La maladie mentale fait peur parce que nous ne la comprenons pas mais aussi
peut-être parce qu’elle parle à une partie de nous qui est plus fragile, qui nous
inquiète et que nous avons peur de reconnaître alors que cette partie de nous
constitue aussi notre richesse et nous permet de comprendre ce que d’autres vivent,
de nous ouvrir à eux et de les soutenir pour être soutenus à notre tour et prendre
soin de nous. Elle nous permet de sentir que nous avons besoin des autres.
Le comité de rédaction : Martine Frères (psychologue), Stéphanie Roland (médecin), Yves Gabriel
(patient) et Rose-Marie Laurent (inrmière).
Ce périodique est entièrement illustré par des œuvres
produites dans les ateliers de Revers (recueil de gravures : Les quatre saisons)
et est mis en page par Article 23 asbl - Atelier infographie.
SANTÉ MENTALE: jamais seul
NOTRE DÉSIR
LE PLUS PROFOND
EST QUE CELUI
QUI SOUFFRE
NE SOIT JAMAIS
SEUL FACE À
SA SOUFFRANCE.
L’être humain fonctionne en se détraquant et on ne peut
dire que quelqu’un est malade quand il se détraque. Quand le
détraquement empêche de vivre, cela peut devenir une maladie,
mais ce serait plutôt ceux qui ne sont jamais détraqués du
tout qui ont de gros problèmes, eux qui ne souffrent jamais
parce qu’ils s’empêchent de souffrir.
Jean FURTOS
Une exposition des œuvres réalisées dans les ateliers de Revers sera organisée
à la Maison médicale à partir du 8 juillet. Nous invitons tous les patients au
vernissage qui aura lieu le vendredi 18 septembre à 18h.
3
Santé
LE SUIVI
DES PERSONNES SOUFFRANT
DE TROUBLES PSYCHIQUES
à La passerelle
Depuis 1999, nous avons mis sur pied un
projet d’accompagnement de personnes en
souffrance psychique : en tant qu’assistantes
sociales, Virginie Gioia et moi, sommes
plus particulièrement chargées d’assurer ce
suivi. Il consiste à favoriser ou améliorer la
collaboration avec les services psychiatriques
des hôpitaux et les services qui interviennent
dans le milieu de vie : centres de santé
mentale, SIAJEF, Revers, Réexions, Club
André Baillon, SAM… Le travail en réseau
est primordial pour améliorer le suivi des
personnes. Nous avons pour objectif de
stabiliser, voire d’améliorer la qualité de vie
des personnes dans leur milieu de vie en
construisant un projet avec elles, en fonction
de leurs besoins et de leurs désirs propres.
Nous rencontrons les personnes en
consultation, en visite à domicile, à l’hôpital,
ou en réunion de coordination (avec la
famille, les soignants, les aides familiales…)
an de leur offrir la possibilité d’élargir les
relations sociales, leur permettre de fréquenter
des lieux de formations, d’activités, culturels,
d’instaurer des aides à domicile en cas de
besoin, bref de prendre en considération
tous les aspects de la vie quotidienne.
Depuis des années, le gouvernement
fédéral tente de diminuer le nombre de
lits dans les hôpitaux psychiatriques dans
un souci d’économie. Il vient de mettre sur
pied un projet, le « PROJET 107-PROJET
FUSION LIEGE ». Ce projet a pour objectif
de construire une offre globale au niveau
de la santé mentale avec tous les services
organisés en réseau de soins pour permettre
à chaque personne en souffrance de trouver
une réponse individualisée et de recevoir
des soins adaptés dans le milieu de vie.
Ça veut dire quoi ? Il incite les services à
mieux se coordonner pour prendre en charge
les personnes soit en période de crise, soit
de manière chronique. Certains soignants
qui travaillaient à l’hôpital suivent les patients
à domicile pour favoriser leur réintégration
dans leur quartier, leur voisinage, leur
logement. La maison médicale La Passerelle
s’inscrit pleinement dans ce projet qui
renforce le travail sur le terrain que nous
menons depuis des années.
A la maison médicale, la relation de
conance est fondamentale. Les personnes
sont parfois inscrites depuis de nombreuses
années et elles n’hésitent pas à venir nous
trouver pour parler, être écoutées, déposer
une histoire difcile ou demander de l’aide
tout simplement. Nous sommes toujours
disponibles auprès de toutes les personnes
qui ont une difculté de vie et nous pouvons
proposer notre aide en cas de nécessité.
Nicki Soultatos, assistante sociale.
4Santé
REVERS:
Rose-Marie : Peux-tu me décrire
Revers ?
CM: Revers fait partie d’un mouvement
plus large dont le but est de maintenir les
personnes souffrant de troubles psychiques
dans leur milieu de vie, et d’offrir pour cela
une aide et des soins adaptés. Les personnes
ne sont pas que des malades, elles ont le droit
d’avoir plusieurs identités, de se confronter à
différentes réalités, d’avoir une vie diversiée :
être locataire d’un appartement, client dans
un magasin, spectateur dans un cinéma,
usager des transports en commun, emplo
dans une entreprise... En bref ce qui fait vie,
en relation avec les autres dans un quartier.
Nous revendiquons pour tous, le droit aux
soins mais aussi au travail et à la culture.
L’accompagnement se fait donc à différents
niveaux : suivi psychosocial (SIAJEF),
réinsertion par le travail en infographie
(bureautique, graphisme et sérigraphie)
dans l’Horeca et le bâtiment (Article 23).
La particularité de Revers est d’offrir aux
personnes en souffrance des possibilités
d’expression dans des ateliers de peinture,
gravure, photos, écriture...
RM: Quels sont ses objectifs ?
CM: Dans une société de plus en plus
individualiste la solidarité diminue, les
gens souffrent de plus en plus de solitude,
les personnes fragiles sont souvent exclues
de tout, du monde du travail et de revenus
décents ce qui les exclut encore davantage.
Avoir un problème de santé mentale est un
drame dans un monde peu solidaire. Notre
démarche vise donc à recréer des liens, des
endroits de rencontre, à permettre à une
personne de ne plus être seule, de partager ce
qu elle est à ce moment-là, dans une situation
de souffrance. Nous voulons rencontrer les
gens autrement que par la maladie et établir
avec eux des relations égalitaires, des liens
d’affection.
Revers permet de travailler la créativité
par laquelle on peut découvrir des choses
différentes à l’intérieur de soi, (ré)apprendre
à regarder les choses, à toucher. Ce sont
de petites choses qui remettent de la vie à
des personnes qui sont parfois « envahies »
par la maladie, qui subissent des traitements
lourds. C’est aussi un lieu de protection et de
non jugement : peu importe le passé, même
parfois criminel de la personne, on rencontre
les gens en tant que personnes. Elles ont
quelque chose à nous apprendre.
RM: Qu’ont-elles à nous
apprendre justement ces
personnes en souffrance ?
CM: Que la vie est fragile. Les hauts et les
bas font partie de la vie. Aujourd’hui, on nous
dit : soyez belle, mince, ayez un mari, deux
enfants, une maison, une voiture et un chien.
En dehors de cela, pas de bonheur ! Les autres,
ce sont des marginaux ! Les marginaux sont
donc de plus en plus nombreux ! La norme est
de plus en plus stricte. Ils nous montrent à quel
point on est esclave de ce monde la valeur
est de consommer, avoir de l’argent, ce qui
est une catastrophe pour la santé mentale.
Entretien avec Cécile Mormont (Directrice de l'asbl Revers)
5
Santé
Revers :
76-78, rue Maghin - 4000 Liège
Tél : 04 351 74 93
SIAJEF :
19, rue Maghin - 4000 Liège
Tél : 04 228 98 98
Le Siajef est constitué d’une équipe
mobile. Elle se déplace sur les lieux
de vie, au domicile, vers les services
d’urgences sociales et psychiatriques,
à chaque endroit émerge une
« demande ». L’équipe travaille avec
les habitants, les entourages, les
familles et une diversité d’institutions
ou de professionnels qui opèrent dans
des domaines aussi variés que la santé,
le logement, l’action sociale, l’insertion
socioprofessionnelle, l’économie, ou la
culture.
Article 23 :
1, Place Emile Dupont, 4000, Liège
Tél : 04 223 38 35
D’après l’Article 23 de la Déclaration
Universelle des Droits Humains : « Toute
personne a droit au travail, au libre
choix de son travail, à des conditions
équitables et satisfaisantes de travail
et à la protection contre le chômage».
Les personnes psychiatrisées sont
régulièrement exclues de la plupart des
lières de travail. ARTICLE 23 a donc
créé un espace qui permette à ces
personnes de s’intégrer dans un travail
réel quel que soit le niveau de départ.
la rencontre
DANS LA CREATION
-Ils sont une sonnette d’alarme : ils nous
disent : attention à ce que la société
produit comme stress, burn-out, dépression,
pression sur les gens, solitude, devoir d’être
performant, adaptable... Quelle société
voulons-nous ?
-La tolérance : quelqu’un qui est pris
d’angoisse et arrive à Revers est héroïque.
La force existe en même temps que la
détresse. On apprend à ne pas avoir peur
de la différence.
-L’humilité : en psychiatrie, on ne change pas
les gens comme ça. On est tout petit. On ne
bouleversera pas l’ordre des choses mais
on donne des bouffées d’air, on améliore la
qualité de vie, la dignité
Et enn, on apprend que la folie fait partie
de nous...
RM: Quelle place peut
avoir l’hôpital dans cet
accompagnement ?
CM: Il y a encore en Belgique 4000
personnes hospitalisées depuis plus d’un an
en psychiatrie. L’hôpital devrait être réservé
aux moments de crise ou pour soulager les
familles. Avant, l’asile était hors des villes
pour que la Ville vive en paix. On associait
maladie mentale et dangerosité. On s’aperçoit
qu’en fait les malades mentaux ne sont pas
plus violents que la moyenne des gens mais
qu’ils sont trente fois plus souvent victimes de
violences physiques.
interview : Rose-Marie Laurent
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