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L’orthophoniste «éduque» la maman, en
assistant à plusieurs repas. Tout en valorisant
l’action de la maman, qui a continué à venir
nourrir sa lle, l’accompagnement a permis
d’aborder les gestes qui semblaient plus
adéquats que d’autres (positionnement face
à Nathalie, fractionnement, donner du temps
pour observer l’élévation laryngée avant
une nouvelle bouchée, etc.). L’adaptation de
la texture a été bien accueillie. De manière
pratique on propose d’installer Nathalie pour
les repas, de tester la déglutition en donnant
les premières cuillères puis de laisser à la
maman le choix de donner le reste du repas.
La psychologue de l’EMSP renforcera
l’accompagnement de la maman à la perte
progressive de la relation et de l’alimentation
de sa lle.
Enn il a paru nécessaire de déculpabiliser
la maman sur l’origine des pneumopathies.
En effet les troubles de la déglutition étaient
liés à l’évolution de l’état de santé de sa lle
et non directement à la manière dont elle lui
donnait à manger depuis 57 ans !
A la mi-octobre, Nathalie va mieux, sa
maman souhaite un retour à domicile. Elle est
plus détendue et moins inquiète même si le
repas ne comporte que quelques cuillères…
Des aides sont mises en place au domicile
pour Nathalie et son père.
Fin décembre Nathalie est à nouveau
hospitalisée pour une pneumopathie.
L’état de son papa a nécessité une
institutionnalisation. La maman relate que
Nathalie ne communique plus depuis quelque
temps. L’antibiothérapie ne permettra
pas d’améliorer l’état fébrile et elle va
décéder très rapidement dans le service. Le
personnel du service et l’ EMSP ont alors été
particulièrement présents.
Cette première rencontre a été pour nous
emblématique de la difculté pour chacun à
trouver son identité professionnelle autour
d’une problématique commune. La difculté
de la prise de décision collégiale a résidé dans
la détermination des limites communes à
l’alimentation per os ; la maman connaissant
bien sa lle, il lui était difcile d’entendre,
puisqu’elle l’avait nourrie toutes ces années,
avec des épisodes de fausses routes itératifs,
de considérer que l’équipe pouvait lui retirer
ce rôle.
C’est donc autour d’une table que
cette décision collégiale de poursuivre
l’alimentation orale a pu se faire, avec
les équipes soignantes, le médecin
référent, l’inrmière des soins palliatifs et
l’orthophoniste.
N° 2 : Mme G
Mme G, 51 ans, est adressée en août par son
neurologue pour un bilan orthophonique de
la déglutition. Mme G présente une sclérose
latérale amyotrophique diagnostiquée en
novembre de l’année précédente.
Elle souffre principalement d’un décit
de la motricité des deux épaules. Elle se
plaint d’une fatigabilité importante et de ses
troubles de la motricité, qui l’empêchent de
poursuivre certaines activités, notamment
l’exercice de sa profession.
Le bilan met en évidence des troubles
de la déglutition dues à la perte de la
sensibilité intraorale (surtout à droite) et des
mouvements adiadococinétiques ralentis
(langue), en plus des fasciculations. Elle
a perdu du poids à raison de 3kg ces deux
derniers mois. Ce bilan a été accepté par la
patiente car elle avait présenté un épisode
très anxiogène d’hospitalisation suite à une
inhalation d’un morceau de fruit qu’elle était
en train de manger en public.
L’approche adoptée par l’orthophoniste
a été d’intégrer Mme G à un programme
d’éducation thérapeutique du patient.
Selon l’OMS5, l’éducation thérapeutique du
patient vise à aider les patients à acquérir
ou maintenir les compétences dont ils ont
besoin pour gérer au mieux leur vie avec une
maladie chronique.
La première étape du programme est le
diagnostic éducatif, qui permet d’évaluer
les habitus, les connaissances et les savoir-
faire du patient, ainsi que son projet et sa
motivation.
Dans ce cas précis, ce diagnostic a mis en
évidence :
• Des habitus variés dans les prises
d’aliments (à la maison, souvent
accompagnée, en-dehors de la maison, en
public…)
• Un fort rejet de la dépendance occasionnée
par exemple par la difculté à couper sa
viande, ou à savoir quand la soupe n’était
plus trop chaude pour la mettre en bouche
…
• Des connaissances évasives sur le
mécanisme de la déglutition.
• La non acquisition de consignes
d’adaptation des apports nutritionnels dans
le cadre de la SLA.
A la suite de ce diagnostic orthophonique,
l’orthophoniste a proposé à la patiente un
suivi respectant la fatigabilité délétère en ce
qui concerne la SLA (puisque cela contribue à
la destruction progressive des motoneurones).
Le suivi consistait en 5 séances initiales
individuelles visant :
L’acquisition de connaissances :
• éléments simpliés sur l’anatomie et la
physiologie de la déglutition pour que la
patiente puisse identier les perceptions
de blocage et s’expliquer les difcultés
ressenties,
• notion et identication des aliments à
risque
L’acquisition de nouveaux savoirs faires :
• apprentissage de la manœuvre supra-
glottique,
• entraînement et prise de décision quant
au choix de la texture des aliments (à la
maison et en public)
L’intégration de nouvelles habitudes
alimentaires liées à la maladie (apports
hyper protéinés) :
• intervention conjointe de la diététicienne
et de l’orthophoniste dans une séance
spécique auprès de la patiente qui
envisage, pour son propre compte ce qu’il
est possible d’adapter dans son propre cas
(ajout de lait en poudre dans les purées,
d’un jaune d’œuf…) et/ou utilisation
surajoutée de compléments protidiques
hypercaloriques.
Cet accompagnement qui se poursuit depuis
lors a permis un maintien du poids et la
mise en commun de nouvelles compétences,
en lien avec les besoins mais surtout la
volonté du patient, recueillie de façon
formelle. On note un élargissement des
textures alimentaires bien gérées par Mme
G, en raison de la prise de conance et de
l’amélioration des connaissances sur les
processus de la déglutition.
L’accompagnement de la patiente s’effectue
dans un climat de conance avec une
évaluation systématique des savoirs partagés,
des prises de décision consensuelles quant
aux ajustements progressifs nécessaires
pour préserver les forces de la patiente. Le
relais à la diététicienne permet d’élaborer
avec la patiente un projet et une adaptation
sur mesure, en lien avec les habitus et
la motivation du patient, et sa propre
représentation de sa qualité de vie. On
pourra alors lui proposer des alternatives aux
conseils habituellement prodigués de façon
générale.
5 Rapport de l’OMS-Europe, publié en 1996, Therapeutic Patient Education – Continuing Education Programmes for Health Care Providers in the eld of Chronic
Disease, traduit en français en 1998. Voir également le site de l’HAS sur ce point.