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L’Immunologie pour mieux comprendre la Dermatologie
Frédéric Sauvé DMV, MSc, DES, Dipl ACVD
Centre Hospitalier Universitaire Vétérinaire
Faculté de médecine vétérinaire
Université de Montréal
L’immunologie 101 (!)
Le système immunitaire est le système qui prend en charge la défense du corps contre toutes les
agressions possibles : c’est le Ministère de la Défense! Ces agressions peuvent être externe à
l’organisme comme, par exemple, les infections (bactéries, virus, parasites, etc.) ou les rayons
UV du soleil, mais aussi interne à l’organisme telles que les cellules tumorales, les cellules du soi
défectueuses, etc. De nombreux mécanismes sont déployés afin de détruire ou restreindre
l’activité des ces agresseurs.
Le premier concept de base en immunologie est la distinction entre l’immunité innée et celle
acquise. L’immunité innée est un regroupement de mécanismes de défense cellulaires et
chimiques qui se déclenche suite à l’exposition à un nouvel élément étranger. Cette réponse est
stéréotypée, similaire pour toutes les cellules, et ne tient pas compte de l’agent agresseur. Il est à
noter que cette réaction est rapide et sans mémoire. Quant à l’immunité acquise, elle fait suite à
un processus d’apprentissage par l’organisme. En fait, les mécanismes innés permettent de
repousser l’ennemi mais ne sont pas suffisants pour le vaincre : l’organisme a donc besoin d’une
équipe plus stratégique qui attaquera l’ennemi par ces points faibles. Cette équipe a besoin
d’étudier l’ennemi avant d’intervenir : c’est l’immunité acquise. La réponse acquise est plus lente
et dépendante des antigènes (Ag) (toute substance (généralement des protéines) capable de faire
réagir le système immunitaire) mais possède une mémoire. Chaque situation stimulera des
lymphocytes qui prendront en charge efficacement l’ennemi et le gardera par la suite en mémoire.
Ainsi, à la seconde confrontation, le lymphocyte sur la ligne de front sera prêt à réagir plus
rapidement et efficacement détruisant l’ennemi aux premiers assauts.
Afin de mieux répondre aux différents types d’attaque, l’immunité acquise à développer des
spécialités au sein de son équipe : il y a l’équipe tactique de l’«immunité humorale» et celle de
l’«immunité cellulaire». L’immunité humorale est la sentinelle des invasions externes ou
exogènes (par exemple, la majorité des bactéries, les parasites et plusieurs protozoaires). L’arme
utilisée ici est la production d’anticorps (Ac) visant les antigènes des ennemis. L’anticorps est en
fait une protéine (immunoglobuline ou Ig) complexe sécrétée par les lymphocytes B (plasmocytes)
suite à une stimulation antigénique. L’Ac est spécifique à l’Ag et permet de le neutraliser. C’est
grâce à ce phénomène de production d’Ac que le système immunitaire peut garder en mémoire
les différents agresseurs rencontrés (c’est la base de la vaccination). L’immunité cellulaire, quant
à elle, est la sentinelle des anomalies cellulaires ou des invasions intracellulaires (par exemple, les
cellules tumorales, les virus et les bactéries intracellulaires). Dans ce cas-ci, des cellules
spécialisées (lymphocyte T cytotoxique, cellule NK, macrophage, etc.) reconnaîtront ces
anomalies ou invasions intracellulaires et détruiront simplement la cellule en question : c’est
l’autodestruction pour mieux contrer l’ennemi ou éviter une «épidémie».
Un autre concept important en immunologie est le soi et le non-soi. Le système immunitaire a su
mettre en place tout un système de reconnaissance du soi (cellules appartenant à l’individu)
évitant ainsi l’auto-agression : chaque cellule possède un passeport. De plus, certaines cellules
ayant parfois oublié leur passeport à la maison (!), le système immunitaire a su développer une
série de contrôles cellulaires afin de ne pas réagir vis-à-vis des cellules du soi ayant commis que
de petites infractions. Il est donc clair que toute cellule ne présentant pas leur passeport ou ayant
commis des infractions majeures sont considérées comme étrangère (non-soi) et par le fait même
détruite. L’adaptation du système immunitaire va encore plus loin. Certaines cellules ou protéines
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sont essentielles à la survie (notons par exemple toutes les substances nutritives ingérées durant
un repas). Ce système a su s’adapter et tolérer ces substances requises à la survie ou simplement
inoffensives pour l’organisme : c’est le phénomène de tolérance. Ces substances sont parfois
appelées «tolérogènes» en opposition à un Ag.
Finalement, afin d’orchestrer l’ensemble de la réponse immunitaire, le système immunitaire
possède un système de communication. Ce système de communication universel permet à
certaines cellules de donner des ordres ou d’interagir avec d’autres cellules; de recruter des
cellules ciblés en renfort ou nécessaire au ménage et à la restauration «post-bataille»; d’aviser de
la fin d’une bataille et alors inhiber les cellules prêtes au combat; d’orchestrer la guérison de
tissus endommagés; etc. Ces communications se font via des missives transmis d’une cellule à
une autre : c’est missives sont des cytokines (glycoprotéines régulatrices et solubles). Parmi les
cytokines, notons les interleukines, les interférons, les chémokines, le «tumor necrosis factor» (ou
TNF), les «transforming growth factors» (ou TGF), etc.
Résumé simplifié du processus de présentation d’Ag et de stimulation de l’immunité humorale
L’ennemi est ingéré par une cellule présentatrice d’Ag (CPA) dite professionnelle (par exemple
un macrophage ou un lymphocyte B). Une fois l’ennemi ingéré et transformé, la CPA mettra en
évidence un Ag de cet ennemi (généralement une protéine) et l’exposera à sa surface (en fait,
c’est plus précisément un épitope qui sera exposé à la surface de la CPA, l’Ag étant défini par
plusieurs épitopes, ses multiples personnalités !). L’Ag ainsi exposé est par la suite reconnu par
les Ac ou les récepteurs membranaires de la cellule à qui l’Ag est présenté. Toutefois, afin d’être
bien présenté et reconnu, l’Ag (ou plus précisément l’épitope) devra être exposé à la surface de la
CPA monté sur un complexe majeur d’histocompatibilité (CMH). C’est seulement après qu’une
cellule possédant les récepteurs membranaires requis, tel que le lymphocyte T, pourra interagir
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avec la CPA. C’est souvent le lymphocyte T qui interagira avec les CPA. Au niveau du
lymphocyte T, c’est le «T cell Ag receptor» (TCR) qui reconnaîtra l’Ag monté sur un CMH. Par
la suite, d’autres facteurs de reconnaissances connecteront (tel que le CD4 au niveau
des lymphocytes T helper, sous-groupe des lymphocytes T, qui connecte avec le CMH II de la
CPA (requis pour initié une réponse à médiation immunitaire) et le CD8 au niveau des
lymphocytes T cytotoxiques, autre sous-groupe des lymphocytes T, qui connecte avec le CMH I
de la CPA (requis pour initié une réponse à médiation cellulaire) ). Ces différents mécanismes de
reconnaissances sont requis afin de stimuler la réaction appropriée au contrôle de l’ennemi mais
aussi pour éviter une réponse trop rapide et ainsi une réaction contre le soi. Une fois stimulé, le
lymphocyte sera en mesure d’attaquer directement l’ennemi ou de sécréter plusieurs cytokines
permettant ainsi l’orchestration de la réponse immunitaire et finalement le contrôle de l’ennemi.
Ce concept général peut être appliqué à toutes les situations où le système immunitaire intervient,
peu importe le système de l’organisme impliqué.
La peau en tant qu’organe immunologique
La peau est le plus grand organe du corps et sans contredit le plus esthétique! Au-delà de
l’apparence, il représente également une importante barrière de protection vis-à-vis le monde
extérieur. Afin d’accomplir adéquatement son rôle protecteur, la peau a mis en place plusieurs
mécanismes. Certains de ces mécanismes protecteurs sont simplement d’ordre physique (par
exemple, le pelage empêchant un agent pathogène d’entrer en contact direct avec la peau),
d’autres d’ordre chimique (par exemple, l’émulsion de surface composée de sels inorganiques, de
protéines et de lipides) ou microbiologique. Toujours dans le but de protéger le corps dans son
ensemble, la peau a su développer un système immunologique complexe et complet lui
permettant d’induire une réponse immunitaire innée et acquise de façon autonome mais aussi en
relation avec le système immunitaire général (via la voie des nœuds lymphatiques) au besoin. Elle
est aussi capable de limiter la croissance de cellules tumorales. Finalement, la peau sait être
tolérante lorsque nécessaire afin d’éviter d’être constamment en réaction vis-à-vis des substances
du non-soi.
Les cellules principalement impliquées dans la réponse immunitaire cutanée sont : les
kératinocytes, les cellules dendritiques épidermiques (cellules de Langerhans) et dermiques, les
mastocytes, les lymphocytes, les cellules endothéliales, et, à un moindre degré, les granulocytes.
Chacune de ces cellules sont présentes en plus ou moins grand nombre au niveau de la peau et
accomplissent leurs fonctions respectives. Certaines de ces cellules, par exemple les granulocytes,
sont présentes en faible nombre en situation normale mais au besoin seront recrutées et
envahiront alors la peau en grand nombre. Parmi les cellules cutanées participant très activement
à la vigile immunologique notons le kératinocyte et la cellule dendritique (épidermique et
dermique). En effet, le kératinocyte n’est pas seulement responsable de la kératinisation, de la
guérison de plaie ou de la sécrétion de neuropeptides et d’eicosanoïdes, mais il est aussi apte à
phagocyter, présenter des antigènes, exprimer des intégrines, et, le plus important, de libérer de
nombreuses cytokines. Certaines de ces cytokines peuvent être libérées de façon spontanée alors
que d’autres nécessiterons la stimulation du kératinocyte par des cytokines environnantes ou
d’autres cellules avec lesquelles le kératinocyte interagira. Bref, à l’occasion et au besoin, le
kératinocyte peut prendre le rôle du grand chef d’orchestre des réactions présentes au niveau de la
peau. Les cellules dendritiques, quant à elles, ont pour principale fonction de présenter des
antigènes. Elles peuvent migrer vers le nœud lymphatique régional et, au besoin, activer des
lymphocytes naïfs. Les cellules dendritiques épidermiques (cellules de Langerhans) sont les
sentinelles superficielles alors que les cellules dendritiques dermiques, répondant beaucoup plus
rapidement, sont les sentinelles profondes.
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Les dermatoses à médiation immunitaire et allergiques
Les réactions à médiation immunitaire se divisent essentiellement en deux grandes catégories,
soit les réactions auto-immunes (désordre primaire) et les réactions à médiation immunitaire à
proprement dit (désordre secondaire). En fait, la dermatose auto-immune implique la formation
d’anticorps ou l’activation de lymphocytes contre des constituants du soi. La dermatose auto-
immune résulte d’un manque de contrôle des mécanismes immunologiques mis en place afin
d’éviter l’auto-réactivité (rupture des mécanismes de la tolérance du soi). Évidemment, le bagage
génétique joue un certain rôle dans l’induction de ce type de dermatose. Quant aux dermatoses à
médiation immunitaire, elles font plutôt suite à une maladie primaire impliquant le système
immunitaire mais ne résultant pas de la production d’auto-anticorps. Dans ces cas, la réaction
immunologique causant les dommages cutanés peut faire suite à l’exposition à un médicament, un
virus ou une bactérie.
Quant aux réactions allergiques, elles pourraient se définir simplement par une réaction exagérée
du système immunitaire vis-à-vis une substance externe, dite «allergène» (par exemple, un pollen
ou une protéine de poulet). Cette réaction inappropriée cause non seulement une inflammation
mais également à l’occasion des dommages tissulaires. Les réactions d’hypersensibilité sont
généralement divisées en 4 types selon la réaction cellulaire impliquée (hypersensibilité de type 1
à 4). C’est principalement la réaction de type 1 qui cause les désordres dermatologiques. Cette
réaction implique la formation d’Ac de type IgE auxquels les Ag (pollens et autres) se fixent. Une
fois l’Ag fixé à l’IgE, il y a relâche d’histamine au niveau de la peau ce qui engendre les signes
cliniques classiques de l’allergie (rougeur et démangeaisons).
Les désordres d’hypersensibilité (allergies)
1. Dermite atopique (allergie aux substances de l’environnement)
Synonymes : atopie, dermatite allergique causée par des substances aéroallergènes.
La dermite atopique est une des causes les plus fréquentes de prurit (démangeaisons) chez
le chien. Il s’agit, en fait, d’une tendance héréditaire à développer des allergies à plusieurs
substances de l’environnement telles que les pollens, les poussières, les moisissures, les
squames d’animaux, etc. Ces allergènes causent des signes cliniques d’allergie suivant
leur inhalation ou leur passage transcutané (à travers la peau).
a. Incidence : La dermite atopique atteint près de 10% de la population canine.
Dans la majorité des cas, les signes cliniques apparaissent entre l’âge de 1 et 3
ans. Les signes cliniques peuvent être saisonnier (e.g. allergie aux pollens) ou
non (e.g. allergie à la poussière). Étant héréditaire, certaines races de chien sont
prédisposées à cette dermatose : les terriers en général (West Highland white
terrier, terrier écossais, Boston terrier, fox-terrier, Cairn), le Boxer, le Golden
retriever, le Lhasa apso, le Dalmatien, le Shar pei, le Pug, etc. Les chiens de race
croisée peuvent également être atteints.
b. Signes cliniques : Le signe clinique cardinal est le prurit. Dans certains cas, le
premier signe observé est de l’érythème (rougeur). Les signes cliniques sont
surtout localisés au niveau du visage, des pattes, de l’abdomen, des aines et des
aisselles. Le prurit peut se manifester par du léchage, du grattage, du frottage ou
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des mordillements. Suite à ces signes cliniques, les lésions secondaires suivront :
perte de poils, érythème, séborrhée (pellicules), hyperpigmentation
(noircissement de la peau) et infection de la peau. Des otites peuvent également
être présentes ainsi que des signes cliniques oculaires (yeux) et respiratoires.
Chez l’humain, cette maladie se manifeste principalement sous forme de rhume
des foins ou d’asthme.
c. Diagnostic : Dans certains cas, l’anamnèse est suffisante pour suggérer la dermite
atopique comme la cause la plus plausible du prurit présent chez l’animal.
Toutefois, il faut éviter les conclusions hâtives car plusieurs autres maladies de la
peau peuvent se manifester par une symptomatologie similaire (gale sarcoptique,
cheyletiellose, otacariose, allergie aux piqûres de puces, hypersensibilité
alimentaire, dermite de contact, folliculite bactérienne, dermatite à levures, etc.).
Il peut donc être difficile de différencier une dermite atopique d’une de ces
dermatoses. L’âge d’apparition des signes cliniques, la race, la présence de signes
cliniques similaires chez d’autres chiens de la même lignée et même la saison où
se manifeste le prurit, sont autant d’indices qui nous permettre de soupçonner une
dermite atopique. Le vétérinaire doit, dans un premier temps, procéder à un
examen physique complet de l’animal et porter une attention particulière à la
peau. Il est primordial d’exclure les causes de prurit autre que la dermite atopique
avant de procéder à un test d’allergie intradermique (test ultime pour le
diagnostic de la dermite atopique). Il est souvent nécessaire d’exclure les causes
bactériennes, fongiques et parasitaires (même si aucun parasite n’a pu être mis en
évidence au cours de l’examen) avant d’investiguer pour une cause allergique. En
cas de prurit non saisonnier, il peut être recommandé de faire un essai avec une
diète hypoallergénique (commerciale ou cuisinée maison) pendant plusieurs
semaines pour confirmer ou infirmer une hypersensibilité alimentaire. Si le prurit
persiste malgré les traitements contre les agents infectieux et la diète
hypoallergénique, il est alors recommandé de procéder au test d’allergie
intradermique pour confirmer la dermite atopique et identifier les allergènes en
cause.
d. Test d’allergie intradermique (test d’allergie cutané) : Le test d’allergie
intradermique est un outil diagnostique permettant de confirmer la dermite
atopique et d’identifier la ou les substances auxquelles le chien est allergique. De
très petites quantités de différents allergènes sont injectées dans la peau sur
l’aspect latéral du thorax du chien. Dans la demi-heure qui suit, on évalue les
réactions positives. Ce test demande généralement l’expertise d’un vétérinaire
spécialisée en dermatologie. D’autres méthodes sont présentement disponibles
pour le diagnostic de la dermite atopique (analyse du sang par différentes
méthodes de laboratoire) mais malheureusement aucune de ces méthodes n’est
aussi fiable que le test d’allergie intradermique.
e. Traitement : Le traitement de la dermite atopique vise de multiples facettes de la
maladie. Il est important de restaurer l’intégrité de la barrière cutanée
(hydratation de la peau) et d’utiliser des agents antimicrobiens au besoin. Éviter
les allergènes, lorsque possible, permettra de contrôler l’allergie. Quant aux
traitements symptomatiques, il se divise entre les médicaments antiprurigineux
(ceux qui contrôlent le prurit) et l’immunothérapie spécifique d’allergènes
(ITSA) (vaccin de désensibilisation ou d’hyposensibilisation). Éviter les
allergènes est sans aucun doute l’approche idéale mais rarement réalisable. En
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