I N F E C T I O N S Exposition accidentelle au sang : pourquoi un suivi psychologique ? LA CRISE Françoise Bouchard asstsas Pascale M. Lehoux, Ph.D.* Psychologue,Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) IL EXISTE PLUSIEURS MESURES POUR PRÉVENIR LA TRANSMISSION DU VIRUS DE L’IMMUNODÉFICIENCE HUMAINE (VIH), DU VIRUS DE L’HÉPATITE B (VHB) ET DU VIRUS DE L’HÉPATITE C (VHC) CHEZ LES TRAVAILLEURS À RISQUE D’ÊTRE EXPOSÉS À DU SANG OU À DES LIQUIDES BIOLOGIQUES. POURTANT, CE TYPE D’EXPOSITION EST ENCORE TRÈS FRÉQUENT. LE RISQUE DE TRANSMISSION DU VIH APRÈS UNE EXPOSITION PERCUTANÉE EST ESTIMÉ À 0,3 %. CETTE STATISTIQUE NE RASSURE TOUTEFOIS PAS LES TRAVAILLEURS VICTIMES DE TELS ACCIDENTS. BIEN SOUVENT, ILS FERONT L’EXPÉRIENCE DE DÉTRESSE PSYCHOLOGIQUE PARFOIS TRÈS IMPORTANTE. 30 • OBJECTIF PRÉVENTION • VOL. 26 – NO 5 – 2003 I l existe un certain consensus quant à l’idée que l’exposition professionnelle accidentelle (EPA) soit une situation de crise. Elle peut susciter un ensemble de réactions psychologiques propres à chaque individu. Bien souvent, la personne mobilise toutes ses ressources physiques et psychiques pour affronter l’impact de l’accident et le risque d’être contaminée par une maladie fatale telle que le VIH. Comme dans d’autres situations de crise, la réaction psychologique à une EPA peut comprendre deux étapes. ➤ La première, soit la réponse, peut se caractériser par l’apparition de toute une gamme d’émotions et de réactions psychologiques : une réaction de choc, un état d’alerte et l’activation du système nerveux autonome qui y est associé, un déni quant à l’impact psychologique ou médical de l’exposition, une peur importante quant à la possibilité d’être contaminé par une maladie fatale, un sentiment de vivre quelque chose d’irréel et d’être détaché de soi, une anxiété marquée et un état de colère, etc. ➤ La seconde étape, soit l’adaptation, peut se caractériser par une alternance entre le déni de l’impact de l’EPA et des enjeux qui s’y rattachent et l’évitement de ceux-ci, des pensées intrusives relativement à l’incident et à la crainte d’être contaminé et des sentiments d’anxiété et d’inconfort, etc. Toutefois, l’EPA demeure une crise particulière, car le facteur déclencheur externe (l’exposition comme telle) devient interne (risque d’être contaminé par le VIH, VHB ou VHC). Le travailleur doit vivre avec jusqu’à ce qu’il soit complètement rassuré par les résultats de ses tests médicaux. L’impact psychologique de l’EPA peut ainsi durer six mois ou plus, selon l’évolution de l’individu, ses ressources psychologiques personnelles et les autres facteurs de stress auxquels il est confronté pendant cette période. C’est souvent dans les jours ou les semaines qui suivent l’exposition que les travailleurs ont des réactions psychologiques les plus intenses. D’où l’importance de leur offrir un soutien continu, et ce, pendant les six mois durant lesquels prend place le suivi médical postexposition. Il est également primordial de considérer que le travailleur en suivi postexposition n’est pas atteint ou porteur du VIH, du VHB ou du VHC, il a seulement été exposé au virus. Cette distinction s’avère importante. Les personnes exposées sont souvent victimes de préjugés et de discrimination dans leur entourage et dans leur milieu de travail. Cette attitude peut contribuer à augmenter leur sentiment d’isolement, d’aliénation et d’incompréhension de la part de leurs proches. ENJEUX ET DIFFICULTÉS D’ADAPTATION PSYCHOLOGIQUE Le travailleur qui bénéficie d’un suivi postexposition doit d’abord affronter l’impact de l’exposition comme telle ainsi que les circonstances et le contexte qui s’y rattachent et qui peuvent déclencher des sentiments d’impuissance et de perte de contrôle. Puis, vient l’application du protocole postexposition avec les différents tests sanguins de dépistage qui peuvent être éprouvants à vivre (ex. : premier test de dépistage du VIH, attente des résultats). Le travailleur devra ensuite décider de prendre ou non des antirétroviraux (ARV), en acceptant les effets indésirables qui sont présents chez environ 50 % des individus en suivi post-EPA (ex. : symptômes gastro-intestinaux, asthénie, céphalées). De fait, un tiers des travailleurs abandonnent le traitement en raison de ces effets et des préjugés qui y sont associés. Le travailleur est aussi directement confronté à la crainte de développer le VIH et d’en mourir ce qui peut éveiller chez lui des angoisses importantes. Il peut sentir la peur de parler de l’EPA au travail, avec sa famille et avec ses amis en raison des préjugés qui se rattachent au VIH et à la crainte d’être blâmé pour l’exposition. Une crainte de négocier la protection sexuelle avec le conjoint, soit le port du condom, dans une relation amoureuse exclusive de longue date ainsi que la peur de discrimination de la part de l’employeur peuvent provoquer une grande détresse psychologique. Différents types d’ajustement psychologique peuvent apparaître selon les vulnérabilités psychiques et les autres facteurs de stress auxquels sont confrontés les travailleurs. Par exemple, notons l’apparition de symptômes anxieux et dépressifs de la tristesse, la perte de la joie de vivre, la perte ou l’augmentation de l’appétit, l’insomnie, un état de stress aigu, une phobie spécifique, etc. L’INTERVENTION PSYCHOLOGIQUE Les objectifs d’une intervention psychologique à la suite d’une EPA se situent à trois niveaux. ➤ En prévention primaire, on vise la réduction de la probabilité d’une autre EPA (réduction des risques par l’adoption des pratiques de base en prévention des infections) ainsi que la réduction des risques de transmission du VIH, du VHB et du VHC. ➤ En prévention secondaire, on vise la réduction de la détresse émotive occasionnée par l’exposition comme telle, la prévention de l’apparition de difficultés d’ajustement psychologique, la gestion des effets indésirables des ARV et le retour vers un fonctionnement psychologique et professionnel optimal. ➤ Finalement, la prévention tertiaire a comme objectif le traitement du trouble de santé mentale déclenché par l’exposition. La rapidité de l’intervention est primordiale afin de créer une bonne alliance thérapeutique et d’apporter un soutien psychologique au travailleur qui est souvent envahi par la peur et par l’anxiété. Par ailleurs, les comportements à risque que pourrait développer le travailleur (ex. : refus d’adopter les pratiques de base en prévention des infections) doivent également être explorés. De la même façon, ses mécanismes de défense passés et présents, adaptés (ex. : affiliation, humour) et mésadaptés (ex. : abus d’alcool, déni), les différentes solutions alternatives pour prévenir le développement des symptômes psychologiques tels que des stratégies pour réduire l’impact de l’exposition (ex. : bref congé du travail, recherche de soutien au niveau de sa famille et de ses amis, travail au niveau d’une phobie des seringues) doivent également faire l’objet d’une attention particulière au niveau de l’évaluation et du suivi psychologique. Lorsque nécessaire, le travailleur doit être référé à des membres d’une équipe interdisciplinaire (ex. : médecin, psychologue, travailleur social, diététiste, pharmacien). Selon les symptômes présentés par le travailleur, différents types d’intervention psychologique peuvent être recommandés : intervention de crise, soutien, psychoéducation, gestion du stress, relaxation, approche centrée sur les besoins du travailleur, etc. Les modalités d’intervention varient également : consultations individuelles, de couple, familiales, auprès de l’équipe médicale qui prend en charge le travailleur, etc. la compréhension des enjeux liés à l’EPA du travailleur. Il peut être fort utile de privilégier une approche fondée sur l’écoute, le soutien et la compréhension, tout en évitant les critiques, les blâmes, la responsabilisation face à l’événement (reconnaître que cela peut arriver à tout le monde), l’indifférence ou la minimisation de l’événement ou de ses conséquences. Il peut également être utile de ne pas éviter de parler de l’exposition et surtout, de ne pas éviter le travailleur en se rappelant qu’il a été exposé et non contaminé. Il est aussi opportun de lui rappeler l’importance de ses rendez-vous médicaux ; faciliter son horaire de travail à cet effet l’aidera à respecter les échéanciers du suivi médical postexposition. QUAND FAUT-IL RÉFÉRER ? Le travailleur devrait être référé à un psychologue ou à un psychiatre à sa demande ou s’il a des symptômes dépressifs ou anxieux importants, des idéations suicidaires marquées, des difficultés d’adhésion au traitement antirétroviral, CONSIDÉRATIONS SPÉCIFIQUES s’il refuse de se protéger ou de suivre le AU MILIEU DE TRAVAIL plan de traitement médical qui lui est La crainte des recommandé, s’il se préjugés, d’être mis désorganise, s’il est en quarantaine, incapable de mener C’est souvent dans les jours à terme ses tâches d’être blâmés, l’incompréhension de quotidiennes et ou les semaines qui l’employeur et des professionnelles ou suivent l’exposition que collègues, l’anxiété, de prendre soin de l’ambivalence quant ses besoins de base. les travailleurs ont des au dévoilement des La présence résultats du test de d’un trouble de réactions psychologiques dépistage du VIH, santé mentale préciles plus intenses. la crainte d’être expité ou aggravé par posés à des circonsl’EPA et le suivi tances similaires, les postexposition (ex. : questions sur les mesures de sécurité trouble lié à une substance, état de stress présentes dans le milieu de travail consti- post-traumatique, dépression majeure), tuent différents enjeux auxquels sont la détérioration de l’état psychologique confrontés les travailleurs en suivi post- entraînant une incapacité à résoudre la exposition. crise sont aussi des motifs de référence De plus, les travailleurs de la santé psychologique très pertinents. En règle deviennent alors eux-mêmes clients. générale, plus l’impact de l’exposition L’inversion des rôles, l’état de vulnérabilité suscite des symptômes psychologiques important et le sentiment de perte de importants, plus il devient urgent de contrôle ne sont pas nécessairement faciles référer le travailleur à des ressources à assumer. psychologiques adéquates. ◆ L’impact sur le travail peut aussi prendre plusieurs formes : diminution de *Pascale M. Lehoux, Ph.D. est psychola vigilance face aux pratiques de base en prévention des infections, impuissance, logue et travaille au Service de cardiologie sentiment d’être contaminés, stress, re- de l’Hôpital Notre-Dame du CHUM et mise en question de l’avenir professionnel, comme consultante auprès du Centre de surtout face à des clientèles difficiles, référence de prophylaxie postexposition culpabilité, réaction de colère contre les professionnelle accidentelle situé à l’Hôpital Saint-Luc du CHUM. Elle travaille également clients, sentiment d’aliénation, etc. Il devient ainsi important de vérifier en cabinet privé. VOL. 26 – NO 5 – 2003 • OBJECTIF PRÉVENTION • 31