Exposition accidentelle au sang : pourquoi un suivi psychologique ?

30 • OBJECTIF PRÉVENTION • VOL. 26 – NO5 – 2003
LA CRISE
l existe un certain consensus quant à
l’idée que l’exposition profession-
nelle accidentelle (EPA) soit une
situation de crise. Elle peut susciter
un ensemble de réactions psycholo-
giques propres à chaque individu. Bien
souvent, la personne mobilise toutes ses
ressources physiques et psychiques pour
affronter l’impact de l’accident et le risque
d’être contaminée par une maladie fatale
telle que le VIH.
Comme dans d’autres situations de
crise, la réaction psychologique à une
EPA peut comprendre deux étapes.
La première, soit la réponse, peut se
caractériser par l’apparition de toute une
gamme d’émotions et de réactions psycho-
logiques : une réaction de choc, un état
d’alerte et l’activation du système nerveux
autonome qui y est associé, un déni quant
à l’impact psychologique ou médical de
l’exposition, une peur importante quant
à la possibilité d’être contaminé par une
maladie fatale, un sentiment de vivre
quelque chose d’irréel et d’être détaché
de soi, une anxiété marquée et un état de
colère, etc.
La seconde étape, soit l’adaptation,
peut se caractériser par une alternance
entre le déni de l’impact de l’EPA et des
enjeux qui s’y rattachent et l’évitement
de ceux-ci, des pensées intrusives relati-
vement à l’incident et à la crainte d’être
contaminé et des sentiments d’anxiété et
d’inconfort, etc.
Toutefois, l’EPA demeure une crise
particulière, car le facteur déclencheur
externe (l’exposition comme telle) devient
interne (risque d’être contaminé par le
VIH, VHB ou VHC). Le travailleur doit
vivre avec jusqu’à ce qu’il soit complète-
ment rassuré par les résultats de ses tests
médicaux. L’impact psychologique de
l’EPA peut ainsi durer six mois ou plus,
selon l’évolution de l’individu, ses res-
sources psychologiques personnelles et les
autres facteurs de stress auxquels il est
confronté pendant cette période.
C’est souvent dans les jours ou les
semaines qui suivent l’exposition que les
travailleurs ont des réactions psychologi-
ques les plus intenses. D’où l’importance
de leur offrir un soutien continu, et ce,
pendant les six mois durant lesquels prend
place le suivi médical postexposition.
Il est également primordial de consi-
dérer que le travailleur en suivi postexpo-
sition n’est pas atteint ou porteur du VIH,
du VHB ou du VHC, il a seulement été
exposé au virus. Cette distinction s’avère
importante. Les personnes exposées sont
souvent victimes de préjugés et de discri-
mination dans leur entourage et dans
leur milieu de travail. Cette attitude peut
contribuer à augmenter leur sentiment
d’isolement, d’aliénation et d’incompré-
hension de la part de leurs proches.
ENJEUX ET DIFFICULTÉS
D’ADAPTATION PSYCHOLOGIQUE
Le travailleur qui bénéficie d’un suivi
postexposition doit d’abord affronter
l’impact de l’exposition comme telle ainsi
que les circonstances et le contexte qui
s’y rattachent et qui peuvent déclencher
des sentiments d’impuissance et de perte
de contrôle. Puis, vient l’application du
protocole postexposition avec les différents
tests sanguins de dépistage qui peuvent
être éprouvants à vivre (ex. : premier test
de dépistage du VIH, attente des résul-
tats). Le travailleur devra ensuite décider
de prendre ou non des antirétroviraux
(ARV), en acceptant les effets indésirables
qui sont présents chez environ 50 %
des individus en suivi post-EPA (ex. :
symptômes gastro-intestinaux, asthénie,
céphalées). De fait, un tiers des travailleurs
abandonnent le traitement en raison de ces
effets et des préjugés qui y sont associés.
Le travailleur est aussi directement
confronté à la crainte de développer le
VIH et d’en mourir ce qui peut éveiller
chez lui des angoisses importantes. Il
peut sentir la peur de parler de l’EPA au
travail, avec sa famille et avec ses amis
en raison des préjugés qui se rattachent
au VIH et à la crainte d’être blâmé pour
l’exposition. Une crainte de négocier la
protection sexuelle avec le conjoint, soit
le port du condom, dans une relation
amoureuse exclusive de longue date ainsi
que la peur de discrimination de la part
de l’employeur peuvent provoquer une
grande détresse psychologique.
Exposition accidentelle
au sang : pourquoi un suivi
psychologique ?
INFECTIONS
Françoise Bouchard
asstsas
Pascale M. Lehoux, Ph.D.*
Psychologue,Centre hospitalier
de l’Université de Montréal (CHUM)
IL EXISTE PLUSIEURS MESURES POUR
PRÉVENIR LA TRANSMISSION DU VIRUS
DE L’IMMUNODÉFICIENCE HUMAINE
(VIH), DU VIRUS DE L’HÉPATITE B (VHB)
ET DU VIRUS DE L’HÉPATITE C (VHC)
CHEZ LES TRAVAILLEURS À RISQUE
D’ÊTRE EXPOSÉS À DU SANG OU À DES
LIQUIDES BIOLOGIQUES. POURTANT, CE
TYPE D’EXPOSITION EST ENCORE TRÈS
FRÉQUENT. LE RISQUE DE TRANSMIS-
SION DU VIH APRÈS UNE EXPOSITION
PERCUTANÉE EST ESTIMÉ À 0,3 %.
CETTE STATISTIQUE NE RASSURE
TOUTEFOIS PAS LES TRAVAILLEURS
VICTIMES DE TELS ACCIDENTS. BIEN
SOUVENT, ILS FERONT L’EXPÉRIENCE
DE DÉTRESSE PSYCHOLOGIQUE
PARFOIS TRÈS IMPORTANTE.
I
VOL. 26 – NO5 – 2003 • OBJECTIF PRÉVENTION • 31
Différents types d’ajustement psycho-
logique peuvent apparaître selon les
vulnérabilités psychiques et les autres
facteurs de stress auxquels sont con-
frontés les travailleurs. Par exemple,
notons l’apparition de symptômes anxieux
et dépressifs de la tristesse, la perte de la
joie de vivre, la perte ou l’augmentation
de l’appétit, l’insomnie, un état de stress
aigu, une phobie spécifique, etc.
L’INTERVENTION PSYCHOLOGIQUE
Les objectifs d’une intervention psy-
chologique à la suite d’une EPA se situent
à trois niveaux.
En prévention primaire, on vise la
réduction de la probabilité d’une autre
EPA (réduction des risques par l’adop-
tion des pratiques de base en prévention
des infections) ainsi que la réduction des
risques de transmission du VIH, du VHB
et du VHC.
En prévention secondaire, on vise la
réduction de la détresse émotive occa-
sionnée par l’exposition comme telle, la
prévention de l’apparition de difficultés
d’ajustement psychologique, la gestion
des effets indésirables des ARV et le
retour vers un fonctionnement psycho-
logique et professionnel optimal.
Finalement, la prévention tertiaire a
comme objectif le traitement du trouble
de santé mentale déclenché par l’expo-
sition. La rapidité de l’intervention est
primordiale afin de créer une bonne
alliance thérapeutique et d’apporter un
soutien psychologique au travailleur qui
est souvent envahi par la peur et par
l’anxiété. Par ailleurs, les comportements
à risque que pourrait développer le travail-
leur (ex. : refus d’adopter les pratiques
de base en prévention des infections)
doivent également être explorés.
De la même façon, ses mécanismes
de défense passés et présents, adaptés
(ex. : affiliation, humour) et mésadaptés
(ex. : abus d’alcool, déni), les différentes
solutions alternatives pour prévenir le
développement des symptômes psycholo-
giques tels que des stratégies pour réduire
l’impact de l’exposition (ex. : bref congé
du travail, recherche de soutien au niveau
de sa famille et de ses amis, travail au
niveau d’une phobie des seringues) doivent
également faire l’objet d’une attention
particulière au niveau de l’évaluation et
du suivi psychologique. Lorsque néces-
saire, le travailleur doit être référé à des
membres d’une équipe interdisciplinaire
(ex. : médecin, psychologue, travailleur
social, diététiste, pharmacien).
Selon les symptômes présentés par le
travailleur, différents types d’intervention
psychologique peuvent être recommandés :
intervention de crise, soutien, psycho-
éducation, gestion du stress, relaxation,
approche centrée sur les besoins du
travailleur, etc. Les modalités d’inter-
vention varient également : consultations
individuelles, de couple, familiales, auprès
de l’équipe médicale qui prend en charge
le travailleur, etc.
CONSIDÉRATIONS SPÉCIFIQUES
AU MILIEU DE TRAVAIL
La crainte des
préjugés, d’être mis
en quarantaine,
d’être blâmés, l’in-
compréhension de
l’employeur et des
collègues, l’anxiété,
l’ambivalence quant
au dévoilement des
résultats du test de
dépistage du VIH,
la crainte d’être ex-
posés à des circons-
tances similaires, les
questions sur les mesures de sécurité
présentes dans le milieu de travail consti-
tuent différents enjeux auxquels sont
confrontés les travailleurs en suivi post-
exposition.
De plus, les travailleurs de la santé
deviennent alors eux-mêmes clients.
L’inversion des rôles, l’état de vulnérabilité
important et le sentiment de perte de
contrôle ne sont pas nécessairement faciles
à assumer.
L’impact sur le travail peut aussi
prendre plusieurs formes : diminution de
la vigilance face aux pratiques de base en
prévention des infections, impuissance,
sentiment d’être contaminés, stress, re-
mise en question de l’avenir professionnel,
surtout face à des clientèles difficiles,
culpabilité, réaction de colère contre les
clients, sentiment d’aliénation, etc.
Il devient ainsi important de vérifier
la compréhension des enjeux liés à l’EPA
du travailleur. Il peut être fort utile de
privilégier une approche fondée sur
l’écoute, le soutien et la compréhension,
tout en évitant les critiques, les blâmes,
la responsabilisation face à l’événement
(reconnaître que cela peut arriver à tout le
monde), l’indifférence ou la minimisation
de l’événement ou de ses conséquences.
Il peut également être utile de ne pas
éviter de parler de l’exposition et surtout,
de ne pas éviter le travailleur en se rap-
pelant qu’il a été exposé et non contaminé.
Il est aussi opportun de lui rappeler l’im-
portance de ses rendez-vous médicaux ;
faciliter son horaire de travail à cet effet
l’aidera à respecter les échéanciers du
suivi médical postexposition.
QUAND FAUT-IL RÉFÉRER ?
Le travailleur devrait être référé à un
psychologue ou à un psychiatre à sa de-
mande ou s’il a des symptômes dépressifs
ou anxieux importants, des idéations
suicidaires marquées, des difficultés
d’adhésion au traitement antirétroviral,
s’il refuse de se protéger ou de suivre le
plan de traitement médical qui lui est
recommandé, s’il se
désorganise, s’il est
incapable de mener
à terme ses tâches
quotidiennes et
professionnelles ou
de prendre soin de
ses besoins de base.
La présence
d’un trouble de
santé mentale préci-
pité ou aggravé par
l’EPA et le suivi
postexposition (ex. :
trouble lié à une substance, état de stress
post-traumatique, dépression majeure),
la détérioration de l’état psychologique
entraînant une incapacité à résoudre la
crise sont aussi des motifs de référence
psychologique très pertinents. En règle
générale, plus l’impact de l’exposition
suscite des symptômes psychologiques
importants, plus il devient urgent de
référer le travailleur à des ressources
psychologiques adéquates.
*Pascale M. Lehoux, Ph.D. est psycho-
logue et travaille au Service de cardiologie
de l’Hôpital Notre-Dame du CHUM et
comme consultante auprès du Centre de
référence de prophylaxie postexposition
professionnelle accidentelle situé à l’Hôpital
Saint-Luc du CHUM. Elle travaille également
en cabinet privé.
C’est souvent dans les jours
ou les semaines qui
suivent l’exposition que
les travailleurs ont des
réactions psychologiques
les plus intenses.
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