Approche culturelle de la thérapie du diabète au Moyen

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SOINS ET TRAITEMENT
Approche
culturelle de la
thérapie du
diabète au
Moyen-Orient
Suha Khoury
SOINS ET TRAITEMENT
M
© Superbild
Le Moyen-Orient
comprend des pays tels
que l’Egypte, Israël, la
Jordanie, le Liban, les
Territoires Autonomes
Palestiniens et la Syrie,
et est composé de
différents groupes
ethniques et religieux.
Toutefois, les Arabes
musulmans représentent
de loin le groupe le plus
important. Leur religion
est prédominante.
Cependant, certaines
valeurs prônées par cette
culture rendent difficile
l’acceptation de la
thérapie du diabète
basée sur la nutrition.
Néanmoins, les
personnes atteintes de
diabète dans ces régions
tentent de survivre et de
se faire accepter par la
société. Dans son article,
Suha Khoury identifie
les facteurs culturels qui
font obstacle à la prise
en charge du diabète,
mais démontre
également comment
intégrer ces mêmes
valeurs dans des
stratégies thérapeutiques.
algré l’apparition
d’éléments de
libre arbitre dans
l’Islam, la société du MoyenOrient met l’accent sur le
fatalisme suite à l’action de
systèmes politico-économiques
répressifs qui a rendu les
populations sans défenses. Le
fatalisme (croire que les
événements sont contrôlés et
prédéterminés par Allah et que
les êtres humains ont peu
d'emprise, voire pas du tout,
sur leur destinée) est un
mécanisme psychologique par
lequel les hommes et les
femmes parviennent à accepter
la dure réalité de leur
existence. Le fatalisme justifie
leur incapacité à contrôler et à
façonner leur destinée.
Cette façon de voir les choses a
un impact sur la prise en
charge du diabète, en ce sens
que toutes faiblesses ou
régressions telles qu’une baisse
du suivi des prescriptions, un
mauvais contrôle et
l’apparition de complications
peuvent être attribuées à la
volonté divine. Vu sous cet
angle, le fatalisme peut
également être à l’origine
d’une baisse de la motivation,
d’un manque d’initiative et de
volonté.
La responsabilité et le
libre arbitre dans le Coran
Afin d’insuffler aux individus
la volonté de traiter et de
Diabetes Voice • volume 46 • avril • numéro 1/2001
contrôler le diabète, le
professionnel des soins de
santé pourra citer certains
versets du Coran qui
soulignent le caractère
essentiel de la responsabilité
individuelle et du libre
arbitre. Si l’on se réfère ainsi
au Coran en agrémentant
son argumentation
d’exemples vécus de
personnes qui sont
parvenues à mieux vivre leur
diabète en adoptant de
manière radicale un nouveau
style de vie, on pourra
montrer aux populations
concernées qu’un contrôle
glycémique correct et une
bonne autogestion peuvent
permettre d’éviter les
complications liées à la
condition.
Le concept de la honte
renforce le souci de
l’image publique
Le statut et l’acceptation
sociale ont une valeur
importante au MoyenOrient. Malheureusement, le
diabète provoque souvent un
sentiment de honte, surtout
auprès de la population
masculine car cette
condition est fortement
associée à l’impuissance.
Dans une société très
patriarcale, les troubles
sexuels portent atteinte à la
virilité. Par ailleurs, les
femmes diabétiques
célibataires trouveront
difficilement un conjoint
étant donné que le diabète
est associé à la stérilité. Dans
une société qui prône les
familles nombreuses, cette
conception du diabète peut
nuire à la réputation et au
statut social de la personne
qui en est atteinte. De ce
fait, les personnes atteintes
de diabète, en particulier les
femmes célibataires et les
hommes sont amenés à
bannir certains
comportements en public
susceptibles de trahir leur
condition ; notamment la
prise de médicaments en
public, l’adoption d’un
régime alimentaire qui ne
correspond pas aux normes
en vigueur dans la société, la
modification subite des
habitudes alimentaires et la
perte de poids.
Bien sûr, ces personnes ne
seraient pas contraintes de
cacher leur condition si
l’opinion publique, mais
aussi celles des personnes
atteintes de diabète, pouvait
bénéficier d’une meilleure
information sur le diabète et
la sexualité. De nouveau, il
convient de montrer aux
populations qu’il est possible
de prévenir certains troubles
sexuels par un bon contrôle
glycémique.
Par ailleurs, il faut également
expliquer que le diabète ne
rend pas les femmes stériles.
23
Le jugement de la société
doit être pris en
considération lorsque l’on
envisage tout changement de
comportement. Dans cette
optique, le professionnel des
soins de santé et la personne
atteinte de diabète doivent
travailler de concert afin de
trouver, dans la mesure du
possible, des régimes
alimentaires culturellement
acceptables.
L’embonpoint, un signe
de prestige
Contrairement à la culture
occidentale, l’embonpoint au
Moyen-Orient est associé à
un statut social élevé et est
un argument de séduction.
D’ailleurs, en langue arabe,
le mot “poids” est synonyme
de “santé”. Au MoyenOrient, l’embonpoint
généralisé dans tout le corps
est synonyme de force et de
prospérité, tandis qu’un
embonpoint concentré au
niveau de l’abdomen est un
signe de richesse et de
prestige. Les personnes
atteintes de diabète de type 2
peuvent pour cette raison ne
pas souhaiter perdre du
poids.
En outre, la perte de poids
n’est pas désirable car l’on
pourrait soupçonner la
présence d’une maladie grave
ou du diabète. Les
conséquences de ces
24
conditions ont déjà été
mentionnées dans des
paragraphes précédents.
On observe cependant un
engouement progressif pour
la minceur en raison de
l’influence croissante des
valeurs occidentales du fait
des médias. Cependant, ce
changement culturel
concerne pour le moment
uniquement les jeunes. Les
personnes atteintes de
diabète de type 2, en général
âgées de plus de quarante
ans, ne sont donc pas
nécessairement influencées
par ce changement de
valeurs.
L’hospitalité et la
générosité :
les valeurs clés de l’Islam
L’hospitalité et la générosité
sont des qualités hautement
considérées dans la culture
islamique. Le respect de ces
valeurs contribue au
maintien de la réputation et
du statut social et renforce
les liens au sein de la famille
et de la société.
La société du Moyen-Orient
se caractérise par des
rituels essentiels et
complexes dans lesquels la
nourriture a une fonction
sociale. L’hôte ou l’hôtesse
offre de la nourriture à
l’invité par hospitalité. Par ce
geste, il (ou elle) montre à
l’invité que sa visite
l’honore. L’invité accepte la
nourriture en signe d’amitié
et de respect vis-à-vis de son
hôte, mais aussi afin de
confirmer le prestige de ce
dernier.
Les invités reçoivent une
nourriture extrêmement
variée, d’une qualité
constante et en quantité
quasi illimitée. De plus, il est
aussi d’usage d’inciter
l’invité à manger au-delà de
ses capacités, notamment en
faisant circuler les plats et les
rafraîchissements ou en
remplissant son assiette alors
qu’il est encore en train de
manger. Les invités doivent
normalement se laisser
persuader par les offres
répétées de l’hôte ou de
l’hôtesse, manger plus que
de coutume et goûter à tous
les plats proposés.
Face à une hospitalité
irréprochable :
éviter avec tact la
surconsommation
Les personnes atteintes de
diabète peuvent user de
stratagèmes lorsqu’elles sont
invitées à un repas. Elles
peuvent notamment
accepter qu’on leur remplisse
continuellement leur
assiette, mais manger
uniquement les quantités
conformes à leur régime
prescrit.
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Le statut et l’acceptation sociale sont très imp
Malheureusement, le diabète provoque un se
la population masculine car le diabète est sy
Manger lentement durant le
repas réduit également
l’apport calorique. La
personne atteinte de diabète
de type 1 peut ajuster sa dose
d’insuline (l’augmenter) en
fonction de la contenance en
hydrates de carbone
prévisible du repas. Les
personnes atteintes de
diabète de type 2 peuvent
répartir l’apport calorique
sur toute la journée pour
s’autoriser une incartade.
Le partage de la nourriture
est essentiel pour l’étiquette,
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SOINS ET TRAITEMENT
possible d’avancer un autre
prétexte pour ne pas manger
sans mettre en danger le
statut social de l'hôte ou de
l’hôtesse, notamment un mal
de dent. Si les visites sont
fréquentes, on recommande
à l’éducateur nutritionniste
d’intégrer dans le plan
alimentaire certains en-cas
généralement offerts.
portants au Moyen-Orient.
ntiment de honte, particulièrement parmi
nonyme d'impuissance dans cette région.
les personnes atteintes de
diabète à qui l’on propose
des en-cas normalement non
prévus dans le régime
alimentaire prescrit peuvent
accepter la nourriture, mais
ne doivent pas la
consommer. Ces personnes
peuvent envelopper la
friandise dans une serviette
et la mettre en poche ou
dans un sac à main sans
heurter personne. Rien
n’empêche non plus de boire
uniquement une petite
gorgée d’une boisson sucrée
offerte. Il est également
Pour personnaliser le régime
alimentaire, l’éducateur
nutritionniste doit tenir
compte des normes sociales
et familiales liées à la
nourriture. Pour ne pas
surcharger la personne
atteinte de diabète avec un
nombre trop important
d’alternatives alimentaires,
on recommande des menus
simples comprenant
quelques choix simples à
observer et des substituts.
L’importance de
l’appartenance
Nous n’encourageons pas les
initiatives d’indépendance
dans la société islamique.
On peut rester dévoué à une
famille/un groupe/une
région /une
communauté/un village ou à
une secte. La conformité,
l’uniformité et
l’homogénéité sont des
valeurs très estimées au
Moyen-Orient, liées au
prestige social et à
l’honneur.
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En raison de toutes ces
conditions, la société
s’immisce dans la vie privée
des hommes et des femmes
qui, par ailleurs, doivent
toujours faire preuve de
loyauté. La conformité et la
collectivité tendent à
opprimer la personnalité et
l’individualité qui se fondent
dans le modèle de la
communauté.
Par conséquent, la personne
atteinte de diabète n’a pas
l’habitude de gérer des
décisions comprenant trop
d’options ou n’est pas
suffisamment consciente des
habitudes alimentaires
individuelles et des options
au traitement.
Plus de démocratie pour
atteindre les objectifs à
long terme
Si les éducateurs dans le
domaine du diabète sont
perçus comme des personnes
au jugement autoritaire,
exigeant le respect
inconditionnel de leurs
instructions, les personnes
atteintes de diabète
pourraient avoir peur
d’admettre certains
problèmes ou de poser des
questions. Elles pourraient se
sentir incapables de planifier
des objectifs ou manquer de
confiance en elles pour
atteindre le degré
d’indépendance nécessaire à
la pratique de l’autosurveillance.
De plus, lors de
l’établissement des objectifs
thérapeutiques, les personnes
atteintes de diabète
pourraient accepter
d’atteindre des résultats audelà de leur capacité ou
contre leur gré pour ne pas
être impoli envers
l’éducateur. Dans ce cas, le
professionnel des soins de
santé peut personnaliser son
plan d’action par le biais de
questions. Ils pourront ainsi
ensemble mieux cerner les
obstacles à l’autogestion.
Pour atteindre des objectifs
thérapeutiques à long terme,
il convient de démocratiser
progressivement la relation
entre la personne atteinte de
diabète et le professionnel
des soins de santé. Nous
pourrons y arriver si le
professionnel des soins de
santé demande un feed-back
pour le planning de
l’alimentation, comprend les
réactions émotionnelles et les
soucis des personnes atteintes
de diabète et les encourage à
prendre des décisions
d’autogestion.
Suha Khoury, diététicien
agréé, est Thérapeute
nutritionniste à la clinique
Clalit à Jérusalem, Israël.
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