Thème du mois
12 La Vieéconomique Revue de politique économique 3-2014
Augmentation de la valeur des multiplicateurs
La majorité desétudes empiriques surla
valeur desmultiplicateurs se fondentsur des
données datant d’avant la crise, quinecor-
respondentpas au cadremacroéconomique
quiasuccédé. Celui-ci se caractérise notam-
ment par une politique de taux zéroprati-
quée par les banques centrales, un renforce-
ment desrestrictions régissant l’octroi de
crédits surles marchés financiers et,dans le
même temps, l’effondrementdelacroissance
dans beaucoup de pays.Les premiers résul-
tats montrent que, dans un telcontexte, l’ef-
fetdes multiplicateurs –etdoncl’efficacité
de la politique budgétaire–doitêtreréévalué
àlahausse. Lesstabilisateurs automatiques
ontégalement été d’un apport majeur.Une
impulsionbudgétairedéploie le même effet,
qu’elledécoule d’une décisiondiscrétion-
naireouqu’elle ait été institutionnalisée sous
forme de stabilisateurautomatique. En com-
paraisoninternationale, l’ampleur destrains
de mesures conjoncturelles (discrétion-
naires) ne dépendpas directement de la gra-
vité de la crise, mais elle est inversementpro-
portionnelleaupoids desstabilisateurs
automatiques dans les différenteséconomies.
Des risques budgétaires
d’une importance imprévue
Lesexpériences faites notamment surle
plan international lors de la crise ontdé-
montré àquelpoint une débâcle immobi-
lièreoubancairepouvait débouchersur une
augmentationdes taux d’endettement aussi
forte qu’inattendue. Après une récessionpar-
ticulièrementprofonde,les taux d’endette-
ment de nombreux États ontprogressé bien
plus vite quelors desprécédents fléchisse-
ments conjoncturels, ce quiprovientdans
une largemesured’une baisse desrecettes
étatiques. Dans ce contexte,les mesures dis-
crétionnaires visant àstabiliserlaconjonc-
tureont joué un moindrerôle. Àl’échellein-
ternationale, il en aété de même pour l’aide
accordée aux banques en difficulté. Dans
quelques pays,l’interventiondel’État en fa-
veur desmarchés financiers atoutefoisété
une cause spectaculaired’endettement. Celui
de l’Irlande, par exemple, aaugmenté de plus
de 40 points de pourcentageenraisondu
sauvetagedes banques.
Des règles budgétaires nationales
insuffisamment développées
Durant les années quiont précédé la crise,
les pays disposant de leurspropres règles en
matièrebudgétairesesontsystématiquement
montrés plus efficacesque les autres. La ma-
nièredontcelles-ci sont conçues revêt toute-
foisune grandeimportance. De bonnes
règles doiventtenir compte de l’évolution
La politique budgétaire
a-t-elle changéderôle?
Avant la crise, on pensait quelapolitique
budgétairedevaitenpremierlieuserviràat-
teindreles objectifsfixés àmoyen et long
termes, àsavoir garantir la stabilité finan-
cièreetfavoriserlacroissanceéconomique.
Atténuerles fluctuations conjoncturelles in-
combait àlapolitique monétaire, bien que
celle-ci ait pour vocationpremièredegaran-
tirlastabilité desprix. La politique budgé-
tairedevaituniquementavoir un effetanti-
cyclique passif, les dépenses évoluant de
manièrerégulière, sans subirles variations
cycliques desrecettes. Elle reposait donc es-
sentiellementsur des stabilisateurs automa-
tiques,alors queles mesures discrétionnaires
visant àstabiliserlaconjoncturedevaient
rester secondaires (pour la terminologie, voir
l’encadré 1).
Le scepticisme quientoureles mesures
discrétionnaires provient principalement
d’une incertitude liée au processus de déci-
sionpolitique: celui-ci est-il en mesurede
donnerdes impulsions conjoncturelles en
temps opportun et de manièresuffisamment
ciblée? De tels programmes devraient en
outreêtre limités dans le temps,desorte que
la quote-partdel’État ne continue pas àpro-
gresserlors de chaque récession. Outreces
critiques d’ordre qualitatif, les effets quanti-
tatifsdelapolitique budgétairefaisaient éga-
lement l’objetd’une grandeméfiance. La
questionportait principalement surles mul-
tiplicateurs budgétaires:end’autretermes,
quel est l’impact d’une impulsionbudgétaire
surlacroissanceduPIB?
Malgré les fortesexigencesqualitatives et
deseffetsmultiplicateurs estimés plutôt
modestes, la plupartdes États membresde
l’Organisationdecoopérationetdedévelop-
pement économiques (OCDE) et nombre de
pays émergents quin’enfontpas partieont
pris, pendant la récente crise, desmesures
budgétaires discrétionnaires dans le but de
soutenir la conjoncture1.Le«retour» àune
tellepolitique conjoncturelle aalimenté les
débats surlerôle et l’effet desmesures prises
dans ce cadre.
Des enseignements provisoires
sur le rôle de la politique budgétaire
durant la crise
Quand bien même il n’est pas encore pos-
sible de juger àl’écheloninternational de
l’efficacité et du rôle fondamental de la poli-
tiquebudgétairependant et après la crise fi-
nancièreetéconomique, les premières
conclusions peuventdéjà être tirées àtitre
provisoire.
1Dans les pays membres de l’OCDE, ces mesures cumulées
sur une période de trois ans équivalant ààquelque 2,7%
du PIB (moyenne non pondérée).
Encadré1
Terminologie: multiplicateurs,
politique budgétairediscrétionnaire
et stabilisateursautomatiques
En politique budgétaire, un multiplicateur
désigne le facteur quipermetdemesurer
l’impact d’une hausse des dépenses de l’État
ou d’une baisse d’impôt sur l’augmentation
du produit intérieur brut (PIB). Plus la valeur
d’un multiplicateur estélevée, plus l’effet
d’une politique budgétaireexpansivesur la
croissance et l’emploi estgrand. La valeur des
multiplicateursdépend de différents facteurs,
notamment de l’interdépendance écono-
mique avec l’étranger.
La politique budgétairepermetderéagir à
des situations économiques particulières, par
exemple en décidant, lorsderécessions,
d’augmenter les investissements ou d’adopter
des trains de mesures destinés àstabiliser la
conjoncture. Dans de tels cas, on parle d’une
politique budgétaire«discrétionnaire»,à
savoir adaptéeàune situation donnée. La
mise en œuvred’une telle politique comporte
des difficultés pratiques, car l’activitéécono-
mique ne doit pas êtredavantageperturbée
par des programmes d’économies lorsderé-
cessions ou par une augmentation des dé-
penses lorsdepériodes de hauteconjoncture.
Les économistess’accordent, dès lors, àdire
quelapolitique budgétairenedoit pas limiter
les effets des stabilisateursautomatiques.
En cas de récession, les déficits dus àla
baisse des recettes et àl’augmentation des
dépenses quiendécoulent doivent donc être
acceptéssur le plan politique. Àl’inverse,
des excédents doivent êtreréalisés quand
le chômageest bas et les capacités écono-
miques largement exploitées. En Suisse, les
principaux stabilisateursautomatiques sont
l’assurance-chômageetlefrein àl’endette-
ment concernant les dépenses. L’effetstabili-
sateur de ce dernier repose sur le fait queles
recettes varient en fonction de la conjonc-
ture, tandis queles dépenses progressent
de façon continue. Pour ce quiest de l’assu-
rance-chômage, non seulement l’évolution
des recettes, mais aussi celle des dépenses
permettent une stabilisation, car bien plus
d’indemnités sont versées pendant une ré-
cession quependant une période de haute
conjoncture.