autisme ASSUMER LA DIFFéRENCE

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AUTISME
ASSUMER LA
DIFFÉRENCE
David Nathan
www.davidnathan.ca
Diplômé en philosophie et en pédagogie,
Stephan Blackburn a été diagnostiqué
du syndrome d’Asperger à 43 ans. Père de
deux enfants également autistes, il vient
de publier un formidable essai au titre
légèrement provocateur : Dieu merci ! Les
autistes sont là ! Drôle, vif, iconoclaste
et humaniste, l’auteur aborde un sujet
encore tabou et invite à la réflexion sur
notre vision de cette maladie qui n’en est
peut-être pas vraiment une. L’Itinéraire
l’a rencontré.
L’ITINÉRAIRE : Qu’est-ce que le syndrome
d’Asperger et quelle différence y a-t-il avec les
autres formes d’autisme?
Stephan Blackburn : Du
point de
vue du genre, il s’agit de la même chose.
On parle de «troubles envahissants du
développement (TED)», mais je préfère
parler de personnes présentant des
troubles dans le «spectre de l’autisme».
Le syndrome d’Asperger se distingue
notamment par le fait que les Asperger
sont capables, de façon plus spontanée,
de s’exprimer verbalement. Les autistes
«de type Kanner» sont perçus comme
étant «dans leur monde», car ils doivent
apprendre le langage verbal par des moyens
tels les pictogrammes. Cela leur permet
d’accéder à l’utilisation du langage verbal
en établissant un rapport signifiantsignifié, ce qui n’est pas spontané chez eux.
L’I : Comment avez-vous fait pour «vivre
normalement» avant d’être diagnostiqué
Asperger?
S.B. : Les
«normes» ont beaucoup évolué
ces dernières années. La société pousse
inexorablement vers la performance,
mais, surtout, on impose de plus en plus
l’impératif d’utiliser son cerveau dans un
mode «multitâche», ce dont est incapable
tout autiste. J’ai fini par démissionner
de mon travail de professeur pour cette
raison-là. Je ne pouvais pas ingérer
l'ensemble des «normes» administratives,
ministérielles, imposées et multipliées
au fil des années. Le caractère
Stephan Blackburn, auteur de l’essai Dieu merci ! Les autistes sont là !
«monoprocesseur» de la psyché autistique
est incompatible avec l'impératif des
normes actuelles. Pour ma part, j’ai
développé des ennuis très connus chez
les autistes : trouble panique, anxiété
généralisée et dépressions. L’autisme
n’est pas une maladie mais une façon
différente d’être. Je suis moi-même
autiste Asperger mais je ne me considère
pas comme «malade». Je n’ai pas de
problème intellectuel et je suis capable de
tenir une conversation.
L’I : Si l’autisme n’est pas une maladie, est-il
un handicap?
S.B. : Je
crois que le concept même du
handicap est à redéfinir. Je donne toujours
l’exemple d’un pianiste de génie qui serait
aveugle. Est-ce qu’on doit le considérer
comme un aveugle avant tout et le laisser
se casser le nez quand il se dirige vers
son piano, ou bien le guider jusqu’à son
instrument, fermer les yeux, et écouter sa
musique avec lui ? Est-ce un génie ou un
handicapé ?
L’I : À qui s’adresse cet essai?
S.B. : D’abord
aux parents, pour qui
apprendre que leur enfant est autiste est
généralement une mauvaise nouvelle.
Ça fait du bien de savoir qu’il y a une
possibilité que ce ne soit pas une maladie.
Mais plus largement, je m’adresse à la
société.
L’I : Qu’avez-vous à lui reprocher?
S.B. : Elle
est très normative et ne
prend pas du tout en considération
la réalité autistique. La société est
malheureusement fondée sur les
performances plutôt que sur des notions
d’entraide. Elle a tendance à ne pas
reconnaître notre potentiel et, de facto, à
nous exclure.
L’I : Il faudrait changer l’image que l’on a de
l’autisme?
S.B. : Oui,
notamment en informant le
grand public sur la réalité de l’autisme, qui
est complexe. Il faudrait d’ailleurs parler
de spectre autistique plutôt que d’autisme;
expliquer que nous fonctionnons
différemment et pas forcément à la
même vitesse que les neurotypiques
[ndlr : personnes non-autistes]. Nous ne
percevons pas les interactions sociales de
la même façon qu’eux, par exemple.
L’I : Ça passerait par une forme
d’intégration?
S.B. : Il faudrait que notre société s’adapte
de la même façon qu’elle s’est adaptée
pour les personnes en chaises roulantes.
C’est loin d’être le cas avec les autistes;
on nous marginalise. La société devrait
reconnaître la diversité de ses citoyens.
Elle s’enrichirait de cette différence et je
pense qu’on aurait sûrement une vision
plus sage du monde.
L’I : Concrètement, ça se traduirait comment?
S.B. : Par
la création de milieux de vie
au sein desquels des autistes évolueraient
et travailleraient parmi des intervenants
neurotypiques. Les autistes sont capables
de faire des choses incroyables en dépit
de leurs difficultés. Les autistes Asperger,
par exemple, sont d’excellents blogueurs;
quand ils écrivent, c’est fantastique.
stephan blackburn, Dieu merci ! Les autistes sont là!, Éditions Melonic.
www.editionsmelonic.com
Photo : DAVID NATHAN
L’Itinéraire
1er avril 2010
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