Camhi-Rayer : Pèlerinages et économie 327
rurale face au développement de la raison universelle urbaine, peuple ignorant contre
savants instruits, diocèse et clercs locaux rejoignant de fait l’ultramontanisme face à un
cadre national organisant les rapports de l’Église et de l’État…
La venue de foules de plus en plus importantes a hissé Lourdes au rang de deuxième
ville hôtelière de France, après Paris, avec 2 713 000 nuitées hôtelières, en 2010, et une
moyenne de 1,8 personne par chambre. Le chiffre de six millions de visiteurs-pèlerins
annuels – qui peut atteindre huit millions lors d’événements exceptionnels tels qu’une
année jubilaire (150e anniversaire des apparitions en 2008) ou la visite d’un Pape – a, au
fil des décennies, généré une activité économique de commerces et de services saisonnière
et à retour d’investissement rapide. Les 929 commerces et les 690 entreprises de services
(dont 200 hôtels) occupent la totalité de l’espace de cette petite commune de 15 000
habitants. Les rues qui conduisent au Sanctuaire et constituent un passage obligé vers
celui-ci, du fait de la topographie, débordent d’objets religieux de toutes qualités. Cet
étalage fait naître chez le pèlerin un sentiment ambivalent, d’une part un rejet de ce qui
ne peut manquer d’évoquer les « marchands du temple » chassés par Jésus, d’autre part le
besoin impérieux d’acheter et de ramener des objets, souvenirs, témoins, traces ou
prolongements de l’expérience pèlerine (Dupront, 1987 : 394–405).
Or, à Lourdes, les marchands ne sont pas dans le temple. L’espace religieux est
physiquement bien séparé de l’espace profane. En effet depuis 1999–2000, l’ensemble du
domaine religieux est redevenu propriété du diocèse de Tarbes et Lourdes, qui gère, par le
biais d’une association, les Sanctuaires Notre-Dame-de-Lourdes, tant sur le plan religieux
que sur celui des équipements matériels, l’accueil des pèlerins et les lieux de cultes.
Cependant, cette autonomie économique des institutions religieuses n’est que partielle
et la logique de développement commercial est réintroduite par d’autres acteurs séculiers.
Pour les autorités publiques de Lourdes, en effet, la vitalité du pèlerinage conditionne
bien évidemment la prospérité économique de la ville. Aussi s’inscrit-elle dans une
approche que l’on peut qualifier de « marketing » par rapport au pèlerinage. En effet, à
partir de 1992, la mairie s’est engagée dans une démarche d’analyse des besoins des
pèlerins. Elle a fait procéder à une étude sur les motivations des pèlerins. Celle-ci
identifie « trois modèles d’attachement » qui expliqueraient l’augmentation de la
fréquentation : la rencontre avec la Vierge, les dévotions, le bénévolat.
Par ailleurs, la Municipalité de Lourdes entretient des relations étroites avec d’autres
villes de pèlerinages européens parmi les plus importantes, par le biais d’une Association
des Villes Sanctuaires d’Europe. Ce partenariat a abouti à la conception d’un projet
collectif financé par la Commission européenne, avec l’objectif, durant la période de
2004 à 2007, de favoriser le développement d’un tourisme religieux en capitalisant les
expériences réussies de chaque lieu de pèlerinage. L’hypothèse sous-jacente voulait que
le développement soit dépendant de la capacité de chaque lieu à construire sa
communication et son organisation autour de spécificités identifiées et valorisées. L’idée
consistait à reproduire la revitalisation que connaît St Jacques de Compostelle autour du
thème du « chemin », qui a su s’inscrire dans le développement social de la pratique de la
randonnée en Europe.
Or, la spécificité de Lourdes tient à la présence de pèlerins malades. Ils s’y rendent
dès les premiers miracles annoncés en 1858 et sont reconnus par l’Église en janvier
1862. Au nombre de 59 334 recensés – soit, 7 % de la population des pèlerins organisés