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L’HYPERALGÉSIE INDUITE PAR LES
MORPHINIQUES
Agnès PARENT DE CURZON (1), Hélène BELOEIL (2)
(1) IADE,, (2) PH ANESTHESIE REANIMATION
CHU BICETRE, 78 RUE DU GAL LECLERC 94275 LE KREMLIN BICETRE
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1. Définitions :
La douleur est définie par l’International Association for the Study of Pain (IASP)
comme une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à un
dommage tissulaire présent ou potentiel, ou décrite en termes d’un tel dommage [1].
La douleur postopératoire est une douleur aiguë qui associe une composante
nociceptive et une composante hyperalgésique. Le traumatisme chirurgical induit un
état d’hypersensiblité à la douleur qui se traduit par :
Une hyperalgésie c’est-à-dire une augmentation de la sensibilité à la douleur
selon les définitions de Kyoto [1]. Une stimulation peu douloureuse en préopératoire
devient très douloureuse en postopératoire.
Une allodynie c’est-à-dire une douleur en réponse à un stimulus non
nociceptif selon les définitions de Kyoto [1].
Le principal facteur à l’origine de l’hypersensibilité à la douleur observée en
postopératoire est le traumatisme tissulaire lui même qui entraîne une inflammation
et/ou des lésions nerveuses, source d’hyperalgésie.
Cependant, une autre source importante d’hyperalgésie a été mis en évidence
depuis plusieurs années : c’est l’utilisation des morphiniques en périopératoire. En
effet, on sait, aujourd’hui, qu’une anesthésie associant de fortes doses d’opioïdes
peropératoires engendre davantage d’hyperalgésies postopératoires [2].
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Figure 1. Nouvelles définitions de l’hyperlagésie et de l’allodynie [3]. !
Schéma A : Ancienne définition. Evolution du seuil nociceptif en fonction de
l’intensité du stimulus douloureux appliqué au sujet. La courbe pleine représente les
réponses préopératoires. La courbe en pointillés représente les réponses
postopératoires du sujet sensibilisé : une stimulation non nociceptive en
préopératoire va devenir douloureuse en postopératoire.
Schéma B : Nouvelle définition. La courbe noire représente la réponse préopératoire,
la courbe en pointillés représente la réponse postopératoire à une stimulation
normalement douloureuse. Une stimulation peu douloureuse préopératoire devient
très douloureuse en postopératoire : c’est l’hyperalgésie.
L’apparition d’une douleur à une stimulation non nociceptive : c’est l’allodynie.
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Cliniquement on distingue des hyperalgésies périphériques et centrales. Les
premières relatent une hyperexcitabilité de la fibre nerveuse sensitive périphérique et
il s’agit de l’hyperalgésie dite primaire, localisée au niveau de la cicatrice.
Les secondes sont le témoin d’une hyperexcitabilité des fibres nerveuses sensitives
centrales et sont évaluées par l’extension de l’hypersensibilité cutanée par rapport à
cette cicatrice en dehors de la zone inflammatoire. Il s’agit de l’hyperalgésie
secondaire, reflet de la sensibilisation centrale.
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2. Hyperalgésie induite par les morphiniques :
2.1 : Bases mécanistiques :
Il est maintenant clairement démontré que les opiacés, au delà de leur effet
analgésique, peuvent induire chez l’animal normal et amplifier chez l’animal algique
les processus de sensibilisation à la douleur [2]. Il a été montré que l’effet
sensibilisateur des opiacés dépendait de la mise en jeu des récepteurs NMDA.
2.1.1 : Récepteur N-méthyl-D-aspartate (NMDA) :
Au repos, le récepteur NMDA est bloqué par l’ion Magnésium (Mg+), empêchant
l’entrée de toute substance excitatrice qui participe à la transmission du message
douloureux. L’arrivée de l’acide aminé excitateur glutamate sur son récepteur
spécifique NMDA va l’activer en libérant l’ion Mg+. Le récepteur est débloqué ; le
passage du message nociceptif se fait librement avec une entrée massive de l’ion
Ca+.
2.1.2 : Récepteur mu (µ) :
L’arrivée de la morphine va activer plus spécifiquement les récepteurs µ. Les effets
antalgiques de cette molécule vont activer les fibres inhibitrices du système nerveux
central, accomplissant ainsi sa fonction antinociceptive.
L’activation de ces récepteurs µ libère une petite enzyme appelée « protéine kinase
(PK) » en post-synaptique. La propriété de cette Protéine Kinase est de phosphoryler
le récepteur NMDA, c’est à dire de le débloquer en libérant ses ions Mg+. Ainsi
ouvert, il va permettre le passage des ions Ca+, présents en pré-synaptique
(pourvoyeur du message douloureux)
La présence des ions calciques en post-synaptique a deux actions :
activer les protéines kinases. Plus il y aura de PK, plus les récepteurs NMDA
seront phosphorylés.
Entrainer la production de cytokines, ce qui augmente la libération de
glutamate en pré-synaptique.
Les récepteurs NMDA sont donc doublement activés. D’une part par la présence de
protéines kinases en post-synaptique, et d’autre part par l’augmentation de
glutamate en pré-synaptique.
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Ainsi, par l’intermédiaire des récepteurs NMDA, l’activation des récepteurs µ va
activer les fibres excitatrices du système nerveux central, mettant en jeu le système
facilitateur, pourvoyeur de douleurs.
La morphine est donc une substance antinociceptive et pronociceptive. C’est la
conjonction des deux qui va générer l’analgésie. Cette analgésie s’épuisera quand le
phénomène facilitateur prendra le dessus par rapport au phénomène inhibiteur,
diminué par la disparition des effets antalgiques du médicament.
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Figure 2. D’après Simonnet et Rivat [4].
L’administration d’opiacés active simultanément les systèmes inhibiteurs et
facilitateurs de la nociception.
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2.2 : En pratique clinique :
L’hyperalgésie aux morphiniques a été mise en évidence avec l’utilisation du
rémifentanil, morphinomimétique dérivé du fentanyl. De par sa pharmacocinétique
d’élimination très rapide, c’est l’opiacé de choix pour mettre en évidence
l’hyperalgésie [2]. Joly et al ont montré que des fortes doses de rémifentanil en
peropératoire entrainaient une augmentation des phénomènes d’hypersensibilité
aiguë à la douleur en postopératoire. Il a été montré depuis que cette hyperalgésie
existe quelque soit le morphinique utilisé. [5]
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Cette hyperalgésie aux morphiniques est ainsi dose et temps dépendant. La dose
seuil de rémifentanil administré en peropératoire, capable d’augmenter cette
hypersensibilisation en post opératoire devait être supérieure à 0,2 mcg/kg/mn [6]. Il
est rapporté également que ce phénomène hyperalgésique était d’autant plus
présent que la durée d’administration était supérieure à 90 minutes.
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L’hypersensibilité se traduit également par une tolérance aiguë à la morphine. La
tolérance à la morphine se définit comme une réduction progressive de l’efficacité de
l’analgésie pour une même dose administrée, ce qui nécessite une augmentation
des doses pour obtenir le même effet analgésique [7]. Ainsi des études cliniques ont
montré que l’auto-administration postopératoire de morphine par le patient était
d’autant plus importante que le sujet recevait préalablement de plus fortes doses
durant l’acte chirurgical [6].
En conséquence clinique, en postopératoire immédiat, le patient est très rapidement
très douloureux. Sa prise en charge va demander d’administrer une titration
nécessitant une surconsommation de morphine avec in fine, un patient peu, voir non
soulagé. Avec de surcroit, un risque accru de l’apparition d’effets secondaires de la
morphine administrée de façon importante.
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3. Conséquences de l’hyperalgésie :
3.1 – Majoration des douleurs postopératoires :
Certaines études rapportent un score de douleur plus élevé pour les patients
développant hyperalgésie et allodynie postopératoires [7].
3.2 – Majoration de la consommation d’opiacés ou d’antalgiques :
La présence de phénomènes hyperalgésique et allodynique postopératoires se
traduit par une surconsommation d’analgésiques en période postopératoire
immédiate. Elle s’évalue notamment par la surveillance de la consommation de
morphine reçue en titration et en PCA sur les 72 premières heures postopératoires
[7].
Aussi, il apparaît un phénomène de tolérance aiguë aux morphiniques, en période
postopératoire immédiate. Ce n’est pas la morphine qui devient inefficace mais le
patient qui devient hypersensible à la douleur. Cette surconsommation de morphine
ne pourrait qu’augmenter les effets secondaires liés à l’administration de cette
molécule.
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