Physiocratie
La physiocratie est une école de pensée économique et politique, née en France vers 1750,
qui contribue de manière décisive à forger la conception moderne de l'économie et à placer la
réflexion et la pratique de la « chose économique » dans un cadre de référence plus autonome
que celui offert par la Religion. Elle connaît son apogée au cours de la seconde moitié du
XVIIIe siècle, devenant caduque face à la montée des échanges commerciaux internationaux
et l'apparition du secteur secondaire.
Sommaire
1 Étymologie et définition liminaire
2 Histoire de cette école de pensée
3 Les principes de l'école physiocratique
o 3.1 La richesse
o 3.2 Laissez faire les hommes, laissez passer les marchandises
o 3.3 Ordre naturel
4 Liste des principaux physiocrates
5 Notes et références
o 5.1 Bibliographie
Étymologie et définition liminaire
La « physiocratie » est le « gouvernement par la nature ». Le terme est forgé par Pierre
Samuel du Pont de Nemours qui le crée en associant deux mots grecs : physis (la Nature) et
kratos (gouverner).
Autrement dit : c'est « l'idée que toute richesse vient de la terre, que la seule classe
productive est celle des agriculteurs et qu'il existe des lois naturelles basées sur la liberté et
la propriété privée qu'il suffit de respecter pour maintenir un ordre parfait »1.
Histoire de cette école de pensée
François Quesnay
Il semblerait que le fondateur de cette école soit François Quesnay : il en devient comme le
chef de file incontesté après la publication du Tableau économique en 1758, par lequel il
décrit la circulation des richesses dans l'économie. Les Physiocrates s'appellent entre eux
« Les Économistes ».
Le « Tableau économique » de Quesnay s'inspire de la théorie des cycles de François Véron
Duverger de Forbonnais2 mais plus particulièrement du « zig-zag3 », figure élaborée sous la
plume de deux penseurs, Vincent de Gournay et Richard Cantillon. Ces travaux assez
révolutionnaires pour l'époque anticipent ceux d'Adam Smith en s'intéressant aux sources de
la création de la richesse, mais aussi et surtout à sa répartition via des diagrammes de flux et
de stocks représentant de manière très élaborée le fonctionnement de l'économie : en
particulier, la balance des échanges intérieurs et extérieurs. Le but de ce groupe de marchands
et de grands commis de l'État est de mettre en place des outils qui permettront au roi de
France de mieux mesurer la création et la distribution de richesses et ainsi pouvoir faire de
meilleures lois permettant de prévenir les périodes de disettes (on parlerait aujourd'hui de
« récession »). Cependant, en prenant pour hypothèse que le travail productif est la source de
toute création de richesse (somptuaires aussi bien qu'alimentaires ou primaires), cette analyse
heurtait de plein front les idéaux de l'aristocratie française, pour laquelle le simple fait de
travailler était synonyme de dérogeance ; si un noble consacrait toutes ses journées à travailler
et que cela venait à se savoir, il en perdait son statut, et seule une lettre de réhabilitation du
Roi pouvait le lui restituer.
François Quesnay en habile politique va dans le Tableau économique faire reposer la source
de la richesse non plus sur le travail, mais sur la capacité « miraculeuse » de la terre à
produire de la nourriture à chaque printemps. Il arrivera ainsi à se concilier les bonnes grâces
des rentiers terriens tout en proposant un nouveau système prenant en compte autant que faire
se peut les idées nouvelles et permettant de dépasser le mercantilisme (et le colbertisme) sans
révolutionner la société. Les physiocrates font émerger des principes foncièrement naturalistes
et au fond anti-chrétiens pour leur temps, notamment l'idée selon laquelle les progrès de
l'agriculture permettraient à Adam de se laver du péché originel en n'ayant plus à travailler à
la sueur de son front pour assumer sa subsistance. Ils expriment ainsi des idées, très
souterraines au XVIIIe siècle et pas uniquement françaises , selon lesquelles l'homme en
tant qu'individu pourrait avoir accès à l'intégralité du bonheur en tant que créature limitée, et
qu'il n'y aurait donc nul besoin de transcendance. C'est Turgot, le plus célèbre des
physiocrates politiques, qui est l'auteur du texte d'une gravure sur bois à l'effigie de Benjamin
Franklin : « Eripuit caelo fulmen sceptrumque tyrannis » (il arrache au ciel le feu et le sceptre
de la tyrannie), devise dont certains4 ont noté le caractère particulièrement « luciférien » pour
l'époque.
Après avoir publié leurs écrits dans le Journal de l'agriculture, du commerce et des finances,
les Physiocrates rejoignent les Éphémérides du citoyen, dirigé par l'abbé Baudeau,
nouvellement converti à l'école de Quesnay. Du Pont de Nemours, Mirabeau et Baudeau en
feront le sanctuaire de la pensée économique des Physiocrates, ainsi qu'un moyen privilégié
de diffusion des principes économiques en France. C'est notamment dans les Éphémérides
que seront publiées les Réflexions sur la formation et la distribution des richesses de Turgot5.
Catherine II la Grande, le roi Stanislas II ont été largement séduit par cette école de pensée.
Les principes de l'école physiocratique
« La doctrine des physiocrates est un mélange de libéralisme économique et de despotisme
éclairé [...] la pensée des physiocrates s'ordonne autour de quatre grands thèmes : la nature, la
liberté, la terre, le « despotisme légal » [...] L'État doit être gouverné par des propriétaires
fonciers ; eux seuls ont une patrie ; patrie et patrimoine sont joints. [...] Les physiocrates sont
donc hostiles à toute réglementation. Leur formule est « laissez faire, laissez passer » [...] Les
physiocrates sont partisans de la monarchie absolue. »
Jean Touchard, Histoire des idées politiques, tome 2, Du XVIIIe siècle à nos
jours, PUF, 1958.
La richesse
Tableau économique de Quesnay
En opposition aux idées mercantilistes, les physiocrates considèrent que la richesse d'un pays
consiste en la richesse de tous ses habitants et non pas seulement en celle de l'État. Cette
richesse est formée de tous les biens qui satisfont un besoin et non de métaux précieux qu'il
faudrait thésauriser. La richesse doit être produite par le travail.
Pour les physiocrates, la seule activité réellement productive est l'agriculture. La terre
multiplie les biens : une graine semée produit plusieurs graines. Finalement, la terre laisse un
produit net ou surplus. L'industrie et le commerce sont considérés comme des activités stériles
car elles se contentent de transformer les matières premières produites par l'agriculture.
La physiocratie distingue trois classes d'agents économiques :
1. La classe des paysans, qui est la seule productive (producteurs terriens) ;
2. La deuxième classe est appelée stérile et est composée des marchands et
« industriels » ;
3. La troisième classe est celle des propriétaires.
Cette vision ainsi segmentée de l'économie est naturelle à une époque où l'immense majorité
de la population est formée d'agriculteurs qui semblent produire tout juste de quoi assurer leur
propre survie. La thèse selon laquelle la terre est la seule source de richesse, qui distingue les
Physiocrates de leurs contemporains et de leurs successeurs classiques, est néanmoins
secondaire par rapport aux autres apports par lesquels les Physiocrates se distinguent de leurs
prédécesseurs, qui ont été repris par les classiques et qui fondent l'économie moderne.
En effet, Vincent de Gournay et Turgot, souvent assimilés à l'école physiocratique, pensent au
contraire que les manufactures et le commerce sont générateurs de richesses : ils rejoignent en
cela François Véron Duverger de Forbonnais qui va d'ailleurs s'opposer radicalement à
Quesnay à partir de 1767 (cf. la « controverse sur le commerce »). Ils ne doivent donc pas être
comptés comme pleinement physiocrates même s'ils ont fait de sensibles emprunts à ces
derniers.
Laissez faire les hommes, laissez passer les marchandises
Portrait de François Quesnay (souvent donné, à tort, pour celui de Vincent de Gournay)
Dans la controverse sur le commerce des grains qui marque le milieu du XVIIIe siècle, les
physiocrates prennent parti contre les restrictions gouvernementales au commerce des blés
(qui sont à l'époque la base de l'alimentation). Plus généralement, ils affirment que la
meilleure façon de maximiser la richesse de tous est de laisser chacun agir à sa guise selon ses
moyens et mettent ainsi au premier plan la liberté du commerce comme principe de politique
économique6.
Vincent de Gournay a popularisé la fameuse phrase « Laissez faire les hommes, laissez passer
les marchandises », probablement due au marquis d'Argenson, et qui passera à la postérité. Ce
programme résumé en une phrase connaîtra un renouveau particulier avec la mise en avant
des idées libérales dans le dernier quart du XXe siècle, les partisans du libre-échange
reconnaissant les physiocrates comme des précurseurs du libéralisme économique7.
Ordre naturel
Selon les physiocrates, il existe un ordre naturel gouverné par des lois qui lui sont propres, et
qui repose sur le droit naturel. Par exemple, chaque homme a droit à ce qu'il acquiert
librement par le travail et l'échange. Le rôle des économistes est de révéler ces lois de la
nature. La liberté et la propriété sont des droits naturels que le souverain doit respecter et
protéger en les consacrant dans le droit positif. Le rôle du pouvoir est de garantir l'application
du droit naturel.
Les physiocrates ne remettent pas en question la monarchie, mais veulent que le souverain,
loin de se comporter en monarque absolu ou en despote arbitraire, se soumette au droit naturel
et le fasse respecter. En revanche, pour faire respecter ce droit naturel qui s'impose à tous, il
doit user de toute son autorité. C'est le sens de l'expression « despotisme légal » utilisée par
Lemercier de La Rivière, qui s'apparente plus au concept libéral d'État minimum qu'à
l'acception courante du mot despotisme.
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