Filière Ovine et Caprine n°6, septembre 2003 Perturbations sociales, bien-être et stress chez le mouton. Un article de Raymond Paquay – FUNDP Namur Dans le numéro 5 de Filière Ovine, j'ai décrit ce qu'est le comportement social du mouton. Il est évident que dans les conditions de vie d'un troupeau, ce comportement ne peut pas s'exercer toujours de manière optimale et que peuvent apparaître divers facteurs qui perturbent la vie de l'animal. Ces facteurs sont décrits dans la première partie de cet article. Dans la deuxième partie, j'examine ce qu'il faut entendre par bien-être et stress et je décris comment l'animal réagit et s'adapte aux perturbations de son bien-être. 1. Perturbations sociales du mouton La peur est une émotion très développée chez le mouton. Elle varie selon de nombreux facteurs propres à l'animal (race, sexe, âge, état physiologique) ou provenant du milieu (mode d'élevage, fréquence et nature des contacts avec l'homme, environnement, attaques par les chiens …). Elle provoque des modifications de comportements telles qu'un retard dans l'ingestion des aliments, une immobilisation ou au contraire une fuite en panique, l'écartement par rapport à des stimulations nouvelles et leur observation visuelle, des défécations répétées, des vocalisations de haute densité. Facteurs Le fait que le mouton est un animal grégaire a pour conséquence qu'il montre une grande agitation ponctuée par des vocalisations abondantes ou des tentatives de rejoindre d'autres animaux s'il est isolé. Ce trouble est accru si le milieu est méconnu. Placé dans un box individuel, l'animal passe beaucoup de temps à des comportements considérés comme anormaux : mordre les barreaux, s'y mettre debout ou placer la tête contre ces barreaux, frapper de la tête contre les murs, mâchonner du bois, lécher les murs, sauter verticalement. Le logement a chez le mouton, beaucoup moins d'importance que chez d'autres espèces comme le bovin ou le porc. En cas de confinement, c'est-à-dire d'accumulation d'animaux dans des espaces insuffisants, certains animaux, parfois jusqu'à 10 % prélèvent la laine de leurs voisins. Les jeunes le font sur la mère (laine de la cavité abdominale, des mamelles, de la queue) et des boules de laine peuvent se former dans l'estomac car une partie est ingérée. Une obstruction pylorique pouvant être fatale peut survenir. Chez l'animal adulte, le prélèvement commence par la queue et les membres et se poursuit par le dos. Une déficience de substances alimentaires et surtout de structure pourrait être une autre cause de ce comportement qui n'existe pas au pâturage. J'ai déjà souligné la grande importance d'un espace suffisant aux mangeoires pour permettre à tous les animaux d'avoir accès aux aliments si ceux-ci sont distribués de manière limitée. Si ce n'est pas le cas, les individus ayant le moins de tempérament renoncent rapidement à la lutte pour la nourriture et peuvent être fortement sous-alimentés. Les conditions normales d'élevage du mouton nécessitent de nombreuses manipulations du troupeau, ou de chaque animal en particulier : changement de prairie, tri, isolation, constitution de nouveaux lots, transport, traitement (identification, vaccination, parage des pieds, tonte, traitements médicaux), pesées, évaluation corporelle, opérations relatives à la reproduction (prélèvement de sperme, insémination artificielle, "monte en main", mise bas, sevrage). Beaucoup de ces manipulations sont considérées comme désagréables par le mouton et suscitent la peur, surtout si elles sont réalisées de manière rude et si l'animal n'est pas familiarisé avec l'homme. Une bonne connaissance des comportements de l'animal par Filière Ovine et Caprine n°6, septembre 2003 l'homme et une familiarisation de l'animal par rapport à l'homme sont, dès lors, des conditions de réussite d'un bon élevage. L'allaitement artificiel de l'agneau, l'apport journalier des aliments au troupeau, la présence régulière dans ce troupeau, des manipulations agréables (caresses), sont autant de manières de faciliter cette familiarisation. Diverses techniques et opérations habituelles sont plus ou moins éprouvantes pour le mouton. La tonte, normalement réalisée une fois par an, constitue pour l'animal un stress très fort. L'identification par tatouage ou boucles auriculaires ne parait pas dérangeant. L'équeutage pour faciliter la propreté de l'animal est généralement réalisé dès après la naissance par la mise en place d'un élastique en caoutchouc et ne paraît pas poser un problème d'inconfort. La castration n'est plus guère réalisée en élevage ovin. La douche (pour l'élimination des parasites), le parage des pieds, le passage au pédiluve contre le piétin, l'administration buccale ou sous-cutanée de produits prophylactiques ou thérapeutiques sont d'autres opérations habituelles qui constituent des causes de stress chez le mouton. Le déplacement des moutons en groupes peut poser certains problèmes. La sortie d'un local ou l'entrée d'un couloir doit être bien éclairée et permettre le passage simultané de deux animaux. Les côtés du couloir peuvent être en treillis ou de préférence pleins et le couloir ne doit pas avoir de toit. Il faut éviter des angles trop marqués qui empêchent les animaux de voir ceux qui les précèdent. Si pourtant, les animaux se suivent dans un couloir, un angle droit peut accélérer le mouvement, chaque animal se dépêchant de retrouver le contact visuel de celui qui le précède. Il faut aussi tenir compte du fait que le mouton préfère les montées aux descentes et que le sol ou le revêtement doit permettre l'adhésivité des sabots. Toujours lors des déplacements, certaines stimulations auditives (animal isolé, vue de nourriture, jeune séparé de sa mère ou mère séparée de son jeune) peuvent provoquer l'arrêt du troupeau. Des stimulations visuelles alternatives (vue d'autres animaux) peuvent détourner le troupeau de son chemin normal. Eviter de longer les bâtiments et les bruits excessifs. Dans un même environnement, il est souhaitable de faire emprunter toujours le même chemin au troupeau. Un mouton s'habitue très vite à suivre ce chemin. Si le parcours habituel est modifié, le déplacement est rendu difficile, davantage encore que dans un milieu inconnu. Le recours au chien de guidage, des vocalisations adéquates ou des renforcements positifs comme précéder les animaux avec un seau d'aliments sont des techniques qui permettent de faciliter les déplacements. Comme chez la plupart des autres espèces, le transport perturbe profondément le bien-être du mouton, parce qu'il multiplie généralement les conditions défavorables : rassemblement d'animaux inconnus, confinement, conditions climatiques pouvant être stressantes, manipulations lors des chargements et des déchargements, secousses, nouvel environnement, absence d'eau, d'aliments et de repos, mauvaise aération, bruits. Améliorations Les perturbations sociales des moutons peuvent être diminuées par diverses techniques d'élevage qu'il serait trop long d'expliciter ici. J'ai déjà signalé la familiarisation à l'homme (mais elle n'est pas évidente dans les grands troupeaux où presque toutes les manipulations sont considérées comme stressantes par l'animal) et la conception correcte des mangeoires. Une bonne litière est un autre élément de confort. Pour limiter les conséquences des opérations à réaliser, il existe des unités de traitements avec couloirs de traitements, cage de retournement, douche, pédiluve et portails facilitant la séparation des animaux. Les manipulations désagréables sont ainsi fortement réduites. Filière Ovine et Caprine n°6, septembre 2003 Les conditions de transport des animaux ont fait l'objet récemment de dispositions réglementant la durée, le repos, l'accès à l'eau et à la nourriture. L'utilisation des chiens bien dressés tant pour le gardiennage que pour le rassemblement et le déplacement du troupeau peut être d'une grande utilité. 2. Bien-être et stress La première partie de cet article fait apparaître combien les conditions d'élevage peuvent être à l'origine de nombreux facteurs qui peuvent être plus ou moins favorables ou défavorables à l'animal et peuvent donc améliorer le bien-être de celui-ci ou au contraire provoquer un stress. Dans la deuxième partie de cet article, je m'efforce d'abord de définir ces notions de bien-être et de stress. Je décris ensuite, comment un animal placé, dans des conditions stressantes réagit et comment il s'efforce de s'adapter. J'aborde enfin les différentes conséquences que peuvent avoir des conditions défavorables pour l'animal. Définition Chacun croit sentir ce qu'est le bien-être et pourtant le définir est très difficile. Les définitions données dans la littérature vont de "possibilité d'exprimer des comportements normaux" jusqu'à "bilan des tentatives d'adaptation à l'environnement " en passant par " absence de souffrance " et " harmonie avec l'environnement ". Dans les directives européennes, le bienêtre est la " satisfaction des besoins de l'individu ". Le stress est une autre notion difficile à définir. Il constitue l'état d'un animal qui est soumis à des conditions qui peuvent avoir pour lui des conséquences défavorables et qui doit y réagir. Chez le mouton on peut relever un grand nombre de facteurs pouvant être défavorables : le climat (chaud, froid, pluie, vent), la nourriture (insuffisante, excessive, déséquilibrée), l'eau (insuffisante), les relations avec d'autres animaux (agressions, prédations), avec l'homme (approche, manipulations, traitements divers comme la tonte), les techniques d'élevage (constitution de nouveaux groupes, sevrage précoce), l'habitat (isolement, confinement, entrave ment, cages, aération) et les troubles (douleurs, blessures, maladie). Placé dans une situation défavorable, un animal est plus ou moins stressé selon qu'il parvient à réagir avec plus ou moins d'efficacité et donc à s'adapter ou non. Filière Ovine et Caprine n°6, septembre 2003 Situation défavorable Réaction rapide et de courte durée Disparition de la situation Maintien de la situation Syndrome général d’adaptation Disparition de la situation Adaptation Non adaptation Fitness amoindrie Troubles Mort Figure 2 : Réaction au stress Réactions et adaptations La figure 2 montre l'évolution des réactions d'un animal placé dans une situation défavorable. L'animal fait d'abord une " décharge d'adrénaline " qui entraîne de sa part une série de réactions rapides, de courte durée et fortes (réaction "fight or flight). Ces réactions peuvent, soit faire disparaître rapidement la cause du stress (prédation, agression, manipulations, alimentation…), soit ne pas y arriver (mauvaises conditions de stabulation, malnutrition prolongée, mauvais climat persistant, maladie…). Si la situation stressante persiste, l'animal est notamment caractérisé par une émission de cortisol et des modifications du métabolisme. Après un temps plus ou moins long (semaines, mois, années), soit la situation défavorable disparaît (changement de saison, guérison…), soit l'animal s'adapte (par exemple aux changements dans les techniques d'élevage), soit au contraire il n'arrive pas à s'adapter. Ce dernier cas a comme conséquence des pertes de capacité (comme par exemple l'incapacité d'animaux sauvages à se reproduire en captivité) ou même l'apparition ou la multiplication de troubles qui peuvent conduire à la mort. Comme on le voit, si l'apparition de conditions défavorables et donc stressantes peut avoir des conséquences dramatiques pour l'animal, ce n,'est heureusement pas le cas dans la plupart des cas. Ce n'est que lorsque les conditions défavorables deviennent très dures ou multiplient que l'animal subit des conséquences dommageables. La plupart du temps, les conditions disparaissent ou sont rapidement éliminées ou l'animal s'y adapte. On peut même dire que l'apparition régulière de facteurs stressants est nécessaire à l'animal, car cela lui permet de tester et d'entretenir ses capacités de réaction et d'adaptation. Filière Ovine et Caprine n°6, septembre 2003 Conséquences L'importance de situations stressantes peut être évaluée chez l'animal par les conséquences qu'elles provoquent et qui sont graduelles et plus ou moins fortes. Les conséquences peuvent en effet être de 4 types : comportementales, physiologiques, zootechniques et pathologiques. Dès qu'apparaît un facteur stressant, une modification de divers comportements peut être observée. J'ai déjà donné quelques exemples chez le mouton dans l'article précédent et dans celui-ci et j'en donnerai d'autres dans les articles suivants. Les conséquences peuvent être limitées (prélèvement de laine sur le dos des voisins), mais aussi très graves (perte du comportement maternel ou du comportement de tétée, sous-alimentation). Traitement Battements de cœur Isolation espace 0 En station sur sentier En isolation visuelle Introduction à un nouveau troupeau (0-30 min) Introduction à un nouveau troupeau (30-120 min) Transport Approche humaine Approche humaine avec chien 0 +20 +30 +14 +14 +50 +84 Tableau 1 : Effet de situations diverses sur le rythme cardiaque du mouton (selon Fraser, 1990) Des modifications physiologiques sont aussi une conséquence directe d'une situation défavorable. La plus connue est l'augmentation du rythme cardiaque. Le tableau 1 montre que par rapport à un rythme normal de 75 révolutions par minute, l'augmentation va de 20 % lors de l'isolement à 84 % lors de l'approche d'un homme accompagné d'un chien. L'augmentation de la concentration sanguine en cortisol est une autre conséquence connue (tableau 2). Par rapport à un niveau de base de 3,6 pg/100 ml de plasma, les concentrations peuvent s'approcher de et même dépasser 10 pg/100 ml en cas de tonte ou d'attaque par des chiens. Shearing 10-15 min Dipping 5 min Trucking 90 min Dog-chasing 5 min 8.3 7.0 5.6 5.8 6.6 7.7 6.2 8.9 7.8 7.8 15.8 11.6 7.7 13.7 12.4 10.3 10.0 6.5 15.3 10.0 5.7 7.6 9.1 7.0 6.4 5.3 4.2 4.6 6.7 4.4 8.3 8.1 7.0 7.1 5.9 4.8 7.0 8.7 7.1 5.7 4.3 8.6 6.3 9.6 16.0 5.7 9.1 10.6 8.7 7.2 11.3 6.5 6.7 8.5 Tableau 2 : Concentration plasmatique en cortisol après différents traitements chez le mouton (selon Wood-Gush, 1983) Filière Ovine et Caprine n°6, septembre 2003 Si des conditions stressantes importantes se prolongent, une diminution des productions zootechniques peut être observée. Chez le mouton on relèvera notamment une réduction des performances de reproduction (moindre fertilité et prolificité des troupeaux) et de croissance des agneaux. Enfin, si les conditions sont vraiment défavorables, des troubles pathologiques peuvent survenir, notamment dus à une mauvaise alimentation ou à des problèmes d'hygiène et ils peuvent entraîner l'avortement ou la mort. Je parlerai dans un article suivant de la mortalité périnatale des agneaux qui peut descendre jusqu'à 5 % dans des élevages bien conduits, mais qui, parfois, peut atteindre 50 % et plus. 3. Conclusions Même en cas de parfaite maîtrise des techniques d'élevage par les éleveurs, des problèmes de perturbations sociales peuvent apparaître dans un troupeau de moutons, parce que de nombreux facteurs de perturbation existent. Placé devant une telle situation l'animal montre des réactions graduelles qui doivent permettre de faire disparaître cette situation ou qui doivent aider l'animal à s'y adapter. Si ce n'est pas le cas, des troubles peuvent apparaître. Les conséquences de situations stressantes sont diverses et étalées dans le temps. Si, et c'est heureux, la diminution des performances zootechniques et l'apparition de troubles demandent un certain temps, les réactions comportementales et physiologiques sont immédiates. Ces dernières ne sont d'aucune utilité pour l'éleveur car elles ne peuvent être observées qu'en manipulant l'animal,, ce qui suffit très généralement à les déclencher. L'observation des conséquences comportementales revêt au contraire une grande importance. Un éleveur de moutons, même si son troupeau est très grand, doit chaque jour y passer et il doit être capable, d'un seul coup d'œil, de détecter des problèmes comportementaux. Il peut ainsi éviter une grande partie des problèmes ultérieurs et surtout, intervenir rapidement, pour éviter des conséquences préjudiciables pour le bien-être et la rentabilité de son troupeau.