L’ENJEU DE L’ÉGLISE CHEZ RICHARD BERGERON OU PARTIR SANS QUITTER Mémoire Marcel Côté Maîtrise en sciences des religions Maître ès arts (M.A.) Québec, Canada © Marcel Côté, 2015 Résumé Richard Bergeron (1933-2014) a été un théologien important au Québec. En raison de l’expertise qu’il a également développée sur les nouvelles religions, sa réputation finit par dépasser largement l’auditoire habituellement intéressé par la théologie. On peut même dire que son parcours de vie de même que plusieurs de ses publications témoignent d’une évolution personnelle comparable à celle qu’a connue le Québec dans le domaine religieux. Bergeron a d’ailleurs lui-même évoqué ce parallélisme. D’un côté, nous suivrons la chronologie de son évolution en nous fondant sur ses principales publications, tout en évoquant la transformation de la religion au Québec. De l’autre, un regard phénoménologique nous permettra de dégager de ces écrits un fil conducteur et de manifester la cohérence de la réflexion de cet auteur en lien avec son parcours de vie. On peut conclure que Bergeron a oscillé entre une réappropriation et une désappropriation de l’Église-institution, ce qui l’a amené à présenter les grandes lignes d’un nouveau lieu d’expression du religieux. La conclusion qu’il a tirée de son expérience est la suivante : pour pleinement se réaliser en tant que personne croyante, il lui fallait paradoxalement sortir de cette Église, mais sans la quitter tout à fait. On trouvera à la fin de cette étude une chronologie de la vie de Richard Bergeron ainsi que la bibliographie complète de ses écrits. iii Table des matières Résumé iii Épigraphe vii Remerciements ix Avant-propos xi 1. Vivre en Église comme mise au jeu 1 2. Le fil chronologique : principaux moments d’une évolution 2.1 Les anciennes règles du jeu : Hors de l’Église, point de salut! 11 1950-1965 11 2.1.1 L’effort d’intégration : les abus de l’Église d’après Newman (1971) 13 2.1.2 L’effort de réforme 23 2.1.2.1 Obéissance de Jésus et vérité de l’homme (1976) 1965-1995 23 2.1.2.2 Le cortège des fous de Dieu (1982) 2000 33 2.2 Richard Bergeron hors-jeu : Les pros de Dieu (2000) 43 2.3 Les nouvelles règles du jeu : hors de l’Église, plein de salut! 54 2.3.1 L’effort de réforme 1995-2005 55 2.3.1.1 Renaître à la spiritualité (2002) 55 2.3.1.2 Hors de l’Église, plein de salut (2004) 69 2.3.2 L’effort d’intégration 2005-2011 80 2.3.2.1 Et pourquoi pas Jésus? (2009) 80 2.3.2.2 Le couple comme nouveau lieu spirituel (2011) 88 3. Le fil conducteur : jouer le jeu 1933-2014 95 3.1 Se sortir du jeu sans quitter l’enjeu 95 3.2 La perspective de Bergeron : entre rétrospective et prospective. 100 3.3 L’enjeu de l’Église au Québec : qui est le maître du jeu? 105 3.4 Le jeu en valait-il la chandelle? En guise de conclusion 109 Annexe I : Chronologie de Richard Bergeron 113 Annexe II : Bibliographie des documents cités autres que les documents de Richard Bergeron 121 v Épigraphe Me voici restitué à ma rive natale... Il n’est d’histoire que de l’âme, il n’est d’aisance que de l’âme. St-John Perse, «Exil V», Œuvres complètes, Paris, Gallimard (coll. La Pléiade), 1972, p. 130. vii Remerciements Je souhaite remercier trois personnes qui m’ont appuyé dans ce projet : - Richard Bergeron, mon inspiration, ce mémoire veut témoigner de son audace, de son honnêteté intellectuelle et, surtout, de son courage; - Natacha Giroux, mon épouse, dont j’admire le grand cœur, la droiture et la femme de tête; - André Couture, mon directeur, de qui je salue la rigueur et la disponibilité pour l’encadrement de ce mémoire. ix Avant-propos Ma rencontre avec Richard Bergeron remonte aux années 2000. Même si je connaissais ses travaux sur les nouvelles religions, ce sont les lectures successives des Pros de Dieu et de Renaître à la spiritualité qui ont suscité mon intérêt, car elles rejoignaient mes préoccupations d’alors : trouver une spiritualité adaptée à la modernité qui ne fasse pas l’économie de la situation particulière du Québec contemporain. Depuis, j’ai eu le privilège de m’entretenir à quatre reprises avec Richard Bergeron lors de courtes rencontres. La première fois, nous avons discuté des livres mentionnées plus haut et de sa situation personnelle. J’ai par la suite gardé contact en commentant chaque nouvelle parution de ses livres, soit par un petit mot, soit par un compte rendu, jusqu’au moment où j’ai décidé d’approfondir sa pensée de façon plus systématique. Ce projet a fait en sorte que j’ai sollicité trois autres rencontres (22 juillet 2012, 23 mars 2013 et 25 mai 2013) afin d’établir la chronologie des événements de sa vie, de clarifier certains de ces événements et certaines idées de ses communications écrites, et finalement afin de produire une bibliographie exhaustive. Ces documents sont en annexe. Une cinquième rencontre devait avoir lieu. Elle fut reportée à quelques reprises et finalement annulée; la maladie empêchant chaque fois Bergeron de me recevoir. Il est décédé le 2 juin 2014 à l’âge de 80 ans. xi 1. Vivre en Église comme mise au jeu Le Christ a annoncé le Royaume, mais c’est l’Église qui est venue.1 Alfred Loisy Cette mise au jeu se veut d’abord un rappel : le mot Église vient du mot grec ekklesia qui signifiait à l’origine l’«assemblée du peuple». Or, ce mot est très vite utilisé, même dans la Septante, pour traduire la notion de communauté de Dieu ou encore celle de la synagogue; communauté qui aura besoin, dès son origine, d’un encadrement minimal qui s’est formalisé et cristallisé avec le temps. Au départ, il s’agissait simplement de désigner l’organisation des communautés locales centrées autour des anciens («presbytes») afin d’assurer quatre fonctions («ministères») : apôtres, pasteurs, diacres et docteurs. Ces différentes communautés se rencontraient et discutaient sur un mode collégial qui sera supplanté dès la fin du premier siècle par l’épiscope, ce «gardien» d’une communauté hiérarchisée qui comprenait des presbytes et des diacres. La trame de cet ordonnancement, qui s’est développé jusqu’à nos jours, a connu des développements inégaux et quelque peu différents dans le cours de l’histoire du christianisme. Très vite, le regard des chrétiens sur un tel ordonnancement a donné lieu à une métaphorisation dont la forme la plus achevée au XXe siècle est l’Église catholique, même si ses tenants et aboutissants ne sont pas partagés par tous. La fameuse boutade de Loisy, placée en exergue à cette section, résume bien les reproches formulés à l’Église de ce temps-là, et même à celle de notre temps. De fait, cette image trouve un écho singulier dans ce qui est véhiculé au sujet de l’Église, particulièrement au Québec. L’Église-institution2 n’a plus la cote. Le nombre effarant de 1 Alfred Loisy, L’Évangile et l’Église, Paris, Alphonse Picard et fils, 1902, p. 110-112. Cette phrase de Loisy est citée comme une boutade, souvent reprise dans l’opinion populaire, sans rapport avec le contexte dans lequel elle était formulée. D’après Bernard Sesboüé, elle «renvoie à la perplexité des premiers chrétiens devant le fait que la fin du monde et le retour du Christ, annoncés, tardaient à venir. Elle nous ramène aussi au début du XXe siècle, en exprimant la nouvelle perplexité des exégètes et des théologiens devant les premiers résultats de la recherche sur Jésus et la relation entre lui et l’Église». Voir à ce sujet : Bernard Sesboüé, La théologie au XXe siècle et l’avenir de la foi : Entretien avec Marc Leboucher, Paris, DDB, 2007, p. 159-160. 2 Pour reprendre Yves Congar (Vraie et fausse réforme dans l’Église, Paris, Cerf, 1968, p. 92), l’institution est cet «ensemble de moyens par lesquels Jésus a voulu se susciter et s’unir des fidèles». En ce sens, l’institution existe avant la communauté. Ce qui est en jeu ici c’est la forme particulière qu’a prise cette institution dans le catholicisme et la manière dont elle s’est incarnée au Québec. 1 livres publiés sur le sujet depuis quelques années est une illustration probante de ce déni. Nous voulons comprendre ce qui se joue dans cette désaffection ainsi que les répercussions de tous ordres que cela a ou peut avoir. Ce point de vue n’est pas désincarné ou désintéressé, tant s’en faut : C’est (donc) la condition même du philosophe, de son autonomie, qui est en jeu dans le problème de l’Église. De toute façon, il doit justifier son appartenance à une Église ou, comme Jaspers, son rejet d’une Église, synonyme de foi philosophique. Encore une fois, il n’y a rien qui soit donné à la philosophie à comprendre, «même la religion». La philosophie a le droit de regard sur tout, et elle l’exerce. La philosophie de la religion, en tant que partie intégrante de l’encyclopédie des sciences philosophiques, fait nécessairement appel à l’Église, à l’assemblée visible des croyants, à leur foi commune, au lien qui les unit. Pour être fidèle à l’autocompréhension de l’Église, elle doit faire appel aux notions de liberté et d’autorité, d’organisme et de corps mystique, de symbole et de sacré.3 C’est dans cette perspective philosophique que se situe cette réflexion sur la notion d’Église dans le contexte du Québec contemporain. Ce qui nous amène nécessairement à certaines considérations de l’ordre de la philosophie politique. Certes, dans l’histoire du Québec, on peut comprendre l’attachement à l’Église, car il s’agissait alors d’une affirmation identitaire essentielle à la survie de la société canadienne-française en même temps que de la reconnaissance de la présence d’une élite bienveillante dans un environnement menaçant. Bien sûr, cela ne s’est pas déroulé sans heurts : d’aucuns souhaitaient une émancipation de l’omniprésence de l’Église dans la société civile. Toutefois, pour une majorité de la population, cet attachement à l’Église ne s’est jamais démenti jusqu’à la Révolution tranquille des années 60. Le Canadien français du Québec reconstruisit alors son identité sur un fond religieux, mais surtout sur un espace (le Québec) et une culture communs à ses habitants. En même temps que l’instruction devenait accessible, les «Québécois» ont délaissé peu à peu les lumières de la religion pour éclairer leurs conduites collectives et individuelles. Durant cette période, l’État a remplacé progressivement les communautés religieuses dans la dispensation des services de base à offrir à la collectivité (instruction, santé, soutien aux personnes dans le besoin, etc.), l’Église s’est vue ainsi confinée à un rôle complémentaire à l’État, rôle plus restreint et moins visible. Depuis, cette complémentarité est, à toutes fins utiles, disparue. Les quelques religieux qui s’occupent 3 Xavier Tillette, L’Église des philosophes, de Nicolas de Cuse à Gabriel Marcel, Paris, Cerf, 2006, p. 19. 2 encore de répondre à de tels besoins le font à l’intérieur d’instances non confessionnelles ou alors multiconfessionnelles. L’Église a même maintenant peine à répondre aux besoins de ses propres communautés. Il faut également mentionner l’impact du concile Vatican II sur la société québécoise, cette nouvelle façon d’être en Église a suscité de vifs débats et a accéléré des prises de position fermes et contrastées envers l’institution. Au fil du temps, la société québécoise s’est largement déconfessionnalisée à un point tel que ce qu’écrivait Julien Green, alias Théophile Delaporte, à propos des catholiques de la France en 1924 a une résonnance comparable dans le Québec contemporain : Les catholiques de ce pays sont tombés dans l’habitude de leur religion, au point qu’ils ne s’inquiètent plus de savoir si elle est vraie ou fausse, s’ils y croient ou non; et cette espèce de foi machinale les accompagne jusqu’à la mort. 4 Si la distanciation de la religion est un fait dans le temps présent, elle a des conséquences non négligeables sur le plan social et politique. Les enjeux philosophiques souterrains qui ont favorisé cette distanciation sont à être explicités, mis au jour, avant que l’on puisse vouloir se conformer à l’esprit de ce temps en toute connaissance de cause. Bien sûr, il ne s’agit pas d’identifier ces enjeux afin de les disqualifier, mais plutôt de reconsidérer dans une perspective plus large la source et les effets de la distanciation. De fait, on doit le constater : l’effritement du religieux dans la société fragilise le fondement identitaire de ceux qui reconnaissent appartenir à cette Église et, par conséquent, ébranle la cohésion des individus qui composent ce groupe social. Tout se passe comme si la confrontation entre la cité de Dieu et la cité des hommes était une cause entendue, un non-débat à notre époque. Cette opposition, formulée par St-Augustin5, a aussi une implication politique qui oblige à porter la réflexion à l’extérieur de ce cadre. Ainsi, le lien réciproque unissant ces deux cités, qui sont 4 Théophile Delaporte (Julien Green), «Pamphlet contre les catholiques de France», dans Œuvres complètes, t. 1, Paris, Gallimard (coll. La Pléiade), 1972, p. 879. Il s’agit des premières lignes de ce pamphlet. 5 Saint-Augustin formule pour la première fois cette opposition dans son livre La Cité de Dieu dont l’écriture débute en 413 pour se terminer en 426. Voici comment il envisage les deux cités : «Deux amours ont donc bâti deux cités : l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu, la cité de la Terre, l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi, la cité de Dieu. L'une se glorifie en soi, et l'autre dans le Seigneur. L'une demande sa gloire aux hommes, l'autre met sa gloire la plus chère en Dieu, témoin de sa conscience. L'un, dans l'orgueil de sa gloire, marche la tête haute ; l'autre dit à son Dieu : ‘Tu es ma gloire et c'est toi qui élèves ma tête.’ Celle-là, dans ses chefs, dans ses victoires sur les autres nations qu'elle dompte, se laisse dominer par sa passion de dominer. Celle-ci nous représente ses citoyens unis dans la charité, serviteurs mutuels les uns des autres, gouvernants tutélaires, sujets obéissants. Celle-là, dans ses princes, aime sa propre force. Celle-ci dit à son Dieu : ‘Seigneur, mon unique force, je t'aimerai.’ » (XIV, 28, 1), tome 2, Paris, éd. du Seuil, 1994, p. 191-192. 3 coextensives à l’humanité entière (pour parler le langage théologique), s’appuie sur leur prétention à l’universalité et à la primauté exclusive de l’une par rapport à l’autre. Force est de constater que la philosophie politique contemporaine a réduit cette dualité à l’unique cité des hommes, l’autre cité étant reléguée à la sphère du privé6. Le Québec fut un lieu protégé où les deux cités ont coexisté, chaque cité tirant avantage de l’existence de l’autre. Toutefois, le changement de relevance des institutions, l’Église laissant à la société civile plusieurs des responsabilités qu’elle assumait auprès de la population, a produit l’effritement d’une de ces cités. L’un des effets importants de cette mouvance est que d’une «ecclésiologie sociétaire»7, pas toujours respectueuse des origines chrétiennes, plusieurs théologiens de l’Église québécoise passent à une ecclésiologie qui se rapproche de la communauté et du peuple pour en arriver à une ecclésiologie éclatée ou à la carte : L’Église est renvoyée à plus tard, elle n’est pas la préoccupation immédiate. On se pose des questions de foi, mais la réalisation d’une communauté est située dans un état postérieur. «Réglons les questions fondamentales. Ensuite, peutêtre pourra naître une communauté».8 On en arrive ainsi à cette Église à la carte qui n’oblige pas à accepter ce «témoignage à porter». Or la foi, même si elle a un caractère privé, n’en a pas moins une dimension publique : «En tant que pratique, la foi se réalise dans la condition de disciple, dont la structure interne est mystique et politique»9. Cet engagement responsable en société est, pour le disciple, «la suite du Christ» et celle-ci renvoie indéniablement à la sphère politique. C’est pourquoi nous souhaitons observer l’évolution de cette relégation dans la sphère privée qui s’accompagne d’une perte de crédibilité et d’autorité. Nous le ferons en suivant la trajectoire du théologien Richard Bergeron. Notre choix revêt un intérêt double. D’une part, Bergeron pourrait être un cas type. Il se situe à un moment charnière. Son expérience témoigne d’une situation plus générale, mais qui se vivait autour de lui en silence. Il est représentatif de ce qui s’est passé. D’autre part, il a vécu dans sa chair ce retournement avec le grand avantage de l’avoir verbalisé, théorisé. Il est un témoin dans l’acception forte du terme. Certes, ce témoignage sur l’évolution 6 André de Muralt, L’unité de la philosophie politique de Scot, Ocam et Suarez au libéralisme contemporain, Paris, Vrin, 2002, p. 14. 7 Bernard Sesboüé, La théologie au XXe siècle…, voir le chap. V intitulé «Le siècle de l’Église», p. 159-200. 8 Bruno Chenu, Au service de la vérité, Paris, Bayard, 2013, p. 245. 9 Pierre-Yves Materne, La condition de disciple. Éthique et politique chez J. B. Metz et S. Hauerwas, Paris, Cerf, 2013, p. 15. 4 religieuse et spirituelle ne fait pas toujours écho à la dimension politique structurante qui la recouvre comme enjeu central. Ce qui est présent en filigrane dans le texte fera l’objet de notre attention la plus vive. Donc, d’une ecclésiologie sociétaire où la politique est inféodée à un lâcher-prise qui aboutit à une ecclésiologie individuelle, que reste-t-il de la «suivance»10 comme élément structurant du politique? Ayant perdu cette qualité, l’Église-institution est-elle dépassée au niveau individuel et au niveau social? Peut-elle être refondée autrement? Suivre à la trace les travaux de Bergeron ouvre différentes avenues qui sont autant de réponses à ces questions fondamentales. L’analyse à laquelle nous procéderons nous permettra d’identifier finalement les principales conséquences de cette transformation socioreligieuse. Il ne s’agit pas ici de faire œuvre de théologien dans cette analyse, mais plutôt d’appréhender cet enjeu de l’Église du Québec par l’histoire personnelle du théologien Bergeron. En fait, la démarche se veut phénoménologique, au sens où nous cherchons «à mieux comprendre ce que l’homme religieux entend faire, et comment il entend le faire»11. Bien sûr, cet homme religieux qu’est Bergeron a des motivations conscientes dans ce faire, mais il a également des motivations moins conscientes qui sont à l’œuvre dans la structuration profonde de ce faire. En fait, l’approche phénoménologique veut prendre en compte les perceptions du sujet à l’égard du monde extérieur en tentant de comprendre l’«en-deçà» de ce qui est manifesté spontanément12. Ainsi, un événement devient compréhensible s’il peut être éclairé «par les visées qui forment le projet du monde au sein duquel il surgit»13. La compréhension de ce projet du monde, pour être la plus complète possible, doit se faire à partir d’une trame, d’une histoire. Cette dernière permet d’examiner «le rôle joué par la trajectoire que suivent les acteurs afin de mieux comprendre les phénomènes»14. Le point de vue historique est ici un regard complémentaire : …un individu n’est pas qu’un individu : il est une totalité universalisée par son époque, il est le produit de son temps en même temps que le temps est produit 10 Ibid., p. 14. La notion de «suivance», dans la théologie récente, veut désigner «la suite de Jésus». Voir la synthèse fort éclairante sur ce sujet d’André Couture, «Quelques réflexions en marge d’un nouveau programme de culture religieuse dans les écoles du Québec», présentée à l’Assemblée des professeurs de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, décembre 2005, document disponible sur www.religion.qc.ca , p. 6-9. 12 Jean-Pierre Pourtois et Huguette Desmet, Épistémologie et instrumentation en sciences humaines, Bruxelles, éd. Pierre Mardage, 1988, p. 23. 13 Robert Legros, «Phénoménologie et question de l’homme» dans La liberté de l’esprit. Qu’est-ce que la phénoménologie?, Hachette, no 15, 1986-1987, p. 78. 14 Jean-Pierre Pourtois, Épistémologie…, p. 26. 11 5 par lui. Le chercheur doit être capable de saisir la synthèse réciproque de la personne et du système social dans lequel elle vit.15 De fait, l’histoire personnelle et la trajectoire intellectuelle de Bergeron, intimement liées, ne sont pas à négliger, car elles peuvent éclairer la cohérence de ce «projet du monde». Cherchant à évaluer la cohérence de l’ensemble du parcours de Bergeron en reliant chacune des séquences de sa réflexion, nous optons pour une démarche qui permet de faire ressortir la part d’investissement existentiel et les éléments structurants qui lui ont permis de mieux se définir comme religieux. Ces applications de l’esprit à un tel objet, ce sont, en phénoménologie, des intentionnalités16 qui peuvent être des contenus latents que les contenus manifestes ne formulent pas17 : il faut alors les faire advenir, c’est-à-dire lire entre les lignes afin d’accéder à ce deuxième niveau et trouver le sens caché de ce contenu latent. L’attention se dirige alors sur ce qui est révélateur dans les écrits de Bergeron de la construction de sa cohérence personnelle en ce qui a trait à son lien avec l’Église. C’est pourquoi nous avons identifié les livres où Bergeron articulait sa pensée sur cette notion. Chaque livre porte sur un thème précis que Bergeron décortique avant de reconstruire. L’analyse serrée du thème et de son développement nous permet de dégager le noyau central de sa réflexion qui répond à la question existentielle en amont. Cette intentionnalité correspond elle-même à une élaboration partielle du «projet du monde» de Bergeron. De plus, nous cherchons à présenter le contexte socio-religieux, non pas en lui-même, mais tel que perçu par Bergeron : c’est «son» Église qu’il met en jeu en assumant la subjectivité de son analyse et non pas l’Église en soi (qui ne se retrouve jamais tout à fait dans les différents visages qu’on peut lui prêter). Nous cherchons simplement à resituer Bergeron, autant que faire se peut, dans la complexité du réel tel qu’il le percevait et à évaluer la cohérence de sa posture sans référer à une «réalité objective» qui permettrait d’en juger. Enfin, l’utilisation de la métaphore du jeu comme canevas de notre exploration met en lumière la toile de fond sur laquelle Bergeron agit, exerce sa liberté. En effet, selon Johan Huizinga, le jeu est une action ou une activité volontaire, accomplie dans certaines limites fixées de temps et de lieu, suivant une règle librement consentie, mais complètement 15 Jean-Pierre Deslauriers, Recherche qualitative; guide pratique, Montréal, McGraw-Hill, 1991, p. 17-18. L’intentionnalité est, selon Husserl, la «particularité de la conscience d’être conscience de quelque chose». Voir Henri Duméry, «Intentionnalité, philosophie», sur le site web d’Encyclopaedia Universalis, consulté le 2 septembre 2015. 17 Sur la distinction entre contenus manifestes et contenus latents, voir François Dépelteau, La démarche d’une recherche en sciences humaines, Québec, Presses de l’Université Laval, 1998, p. 297-298. 16 6 impérieuse, pourvue d’une fin en soi, accompagnée d’une sentiment de tension et de joie, et d’une conscience d’être autrement que dans la vie courante.18 En ayant cette définition comme point d’appui, on peut ainsi imager le parcours de Bergeron comme être humain religieux au sein d’une communauté religieuse où l’on doit respecter des règles. Selon différents sens de ce mot19, le jeu est une activité spécifique qui s’exerce dans un ensemble complexe; il désigne également le style ou la manière d’interpréter malgré l’encadrement imposé. On le constate, le jeu fait appel à des notions corollaires telles que les règles, les limites, la totalité, le risque, la liberté et l’invention : on peut « avoir beau jeu, jouer serré, montrer son jeu, dissimuler son jeu…». Préalablement, il faut accepter de «jouer le jeu» dans un ordre établi, imposé du dehors, qui se veut englobant (totalisant) pour le joueur. Une telle comparaison avec le jeu nous aide à mieux comprendre «l’espace de jeu» qui s’ouvre pour l’être humain qui engage sa liberté dans un cadre semblable et ce qui lui reste d’autonomie. Une meilleure compréhension, en lien avec le «style de jeu» de Bergeron20 comme religieux peut se dégager et éclairer de l’intérieur son parcours, complétant ainsi notre démarche phénoménologique. Ainsi donc, pour arriver à la saisie de l’intentionnalité, nous nous inspirons des travaux de Ninian Smart sur la phénoménologie méthodologique21. L’empathie, inhérente à cette démarche, permet de cerner la totalité d’un phénomène sans en négliger les dimensions sociale, doctrinale et rituelle22 et sans perdre de vue la dimension expérientielle engendrée par l’intégration des autres dimensions mentionnées, et qui les bonifie en retour. Conformément à cette démarche phénoménologique, il s’agit de faire émerger les intentionnalités, qui sont autant de moments dans la maturation de la pensée de Bergeron, permet de rendre présent ce qui est immanent dans son propos et qui est au fondement même de sa posture. Enfin, s’appuyer sur une histoire personnelle, suivre une évolution faite d’allers-retours, de jalons, de tentatives d’intégration et de réforme, met au jour un fil conducteur auquel il arrive de vibrer au diapason du cheminement de la société québécoise. Cette dernière affirmation se vérifiera à l’accueil que les milieux spécialisés ont fait aux écrits de Bergeron au fur et à 18 Johan Huizinga, Homo Ludens : Essai sur la fonction sociale du jeu, Paris Gallimard, 1951, p. 57-58 Roger Caillois, Les jeux et les hommes, Paris, Gallimard, 1967, p. 12-20. 20 Pour la petite histoire, Bergeron excellait au jeu de hockey : il aurait pu jouer dans une ligue professionnelle. Par ailleurs, il n’a pas désavoué cette métaphore lorsque nous la lui avons présentée. 21 Ninian Smart, Concept and Empathy. Essays in Study of Religion, New York, New York University Press, 1986, p. 211-212. 22 Les dimensions mythique et éthique sont moins présentes en raison de l’angle choisi dans le traitement de l’enjeu. 19 7 mesure de leurs publications23. De cette lecture se dégage l’enjeu d’une histoire personnelle, que nous serons en mesure d’évaluer à la fin du parcours. De fait, le théologien Richard Bergeron a vécu intensément cette évolution de la société québécoise à l’égard de la religion. D’ailleurs, lui-même juge son cheminement représentatif de ce qui s’est passé au Québec. Il s’exprime très clairement à ce sujet : … mon parcours est, d’une part, une bonne illustration du chemin parcouru par nombre de collègues de mon âge et, d’autre part, un reflet de l’évolution de la théologie et de la problématique religieuse au Québec au cours des cinquante dernières années.24 Né en 1933, Bergeron a connu le Québec d’avant la Révolution tranquille, s’est fait instruire par l’Église et a fait partie de son élite en tant que religieux/théologien. Durant sa formation théologique, la fracture entre la religion catholique et la société québécoise est devenue plus importante. Sa réflexion théologico-philosophique témoigne sans complaisance de cet éclatement : Qu’est-il advenu de la bonne vieille Église catholique et de son art de vivre chrétien qui a connu tant d’heures de gloire? Dans la cacophonie actuelle, elle continue timidement à enseigner, souvent dans une langue de bois, un art de vivre inventé par d’autres pour d’autres temps. En contexte de modernité, séculière et pluraliste, l’Église croit toujours savoir. Son discours, toujours le même, ne rejoint plus les gens devenus séculiers qui ne se reconnaissent plus dans cet art de vivre étranger et jugé désuet. Les tentatives de renouvellement enclenchées à Vatican II ont été outrageusement muselées et compromises par des autorités qui s’obstinent à vouloir refermer la porte timidement ouverte sur la modernité. Certains, plus conservateurs, s’accrochent désespérément et tentent de vagues restaurations qui apparaissent davantage comme des reviviscences du passé, genre village québécois ou acadien d’antan. D’autres, plus libéraux, croient toujours valable l’art de vivre chrétien, mais à condition de le soumettre à un périlleux processus de réinterprétation. D’aucuns plus critiques, désespèrent de l’institution ecclésiale tout en cherchant, en continuité avec le grand phylum chrétien, à se mettre à l’écoute de Maître Jésus. Nombre 23 Pour ce faire, nous avons interrogé plusieurs moteurs de recherche et différentes bases de données dont ATLA et Érudit. Cette recherche permet de constater que les comptes rendus et les recensions à propos des livres de Bergeron ne sont pas très nombreux et que l’intérêt suscité par ses publications semble se limiter passablement au Canada-français, malgré une traduction en portugais de Hors de l’Église, plein de salut. 24 Richard Bergeron, «Mon parcours théologique (1950-2000) ou le passage du dogme au sujet», dans Des Théologies en mutation. Parcours et trajectoires, Montréal, Fides, 2002, p. 64-80. 8 de nos contemporains font résolument l’opting-out; ils cherchent, en dehors de l’institution et de la sphère chrétienne, un art de vivre pertinent. Ils se tournent souvent vers les nouvelles religions, les spiritualités et thérapies modernes dans l’espoir de trouver une voie vivifiante.25 D’ailleurs, on peut penser que le choix de Bergeron de faire un doctorat26 sur les abus de l’Église n’était pas un choix innocent et pouvait être une ultime tentative de justification/réconciliation en ces temps où s’opérait cette fracture entre l’Église et la société québécoise. Bergeron cherchera à traduire une fidélité réelle au message évangélique s’incarnant dans la communauté malgré la rigidité de l’Église dans un contexte social et politique où le Québec était en ébullition, alors qu’il vivait sa «révolution tranquille». Ses travaux plus récents réfèrent au désenchantement qui frappe le catholicisme et suggèrent des pistes de sortie de crise. Or, l’intérêt réside dans l’originalité de sa pensée qui, grâce à son expertise concernant les nouvelles religions, est d’une sensibilité particulière envers les courants spirituels contemporains. Notre hypothèse de recherche est que, dans un premier temps, Bergeron cherche à réconcilier l’esprit du temps avec le christianisme, notamment le catholicisme d’ici. Ce qui était conforme à ce que vivait la société québécoise. Dans un deuxième du temps, par un mouvement inverse initié par les constats de cette tentative de réconciliation, il veut inscrire le christianisme dans l’esprit du temps et en montrer toute la pertinence. Il va même au-delà de l’Église-institution afin de reformuler une vie spirituelle chrétienne en cohérence avec les avancées de la théologie contemporaine. Toutefois, cette volonté serait en marge de cette évolution dont il se veut représentatif. Il apparaît donc pertinent de suivre le fil chronologique des principales publications de Bergeron afin de bien circonscrire l’évolution de sa pensée. Chaque section de cette deuxième partie est intitulée du titre d’un de ses livres et elle est datée afin de bien marquer les étapes de l’évolution de sa réflexion. En plus de rendre compte de cette évolution par le contenu du livre, nous contextualiserons, autant que faire se peut, les circonstances de certaines publications dans la vie personnelle de Bergeron. Il s’y révélera une tension entre un désir d’adhérer à l’ecclésiologie catholique, et donc une volonté de s’y inclure, et un refus de cette même ecclésiologie, et par conséquent un effort pour s’en séparer et s’en distinguer. Cette tension entre l’intégration dans l’institution et la réforme de cette même institution fait écho au cheminement même de la société québécoise dans son ensemble qui hésite, elle aussi, entre l’acceptation et la 25 Richard Bergeron, La vie à tout prix! En quête d’un art de vivre intégral, Montréal, Médiaspaul, 2006, p. 36-37. 26 Bergeron entreprend en 1962 des études doctorales à Strasbourg avec Maurice Nédoncelle sur Newman. Il obtiendra le titre en 1965. Sa thèse sera publiée en 1971. Ce sera son premier livre. 9 contestation de l’institution, bien que Bergeron, dans son retour final à des valeurs chrétiennes renouvelées, marque paradoxalement un désaccord profond avec ce qu’est devenue cette même société. Signalons que le premier livre portant sur les abus de l’Église revêt ici une importance particulière, car il balisera le parcours réflexif et discursif de Bergeron. 10 2. Le fil chronologique : principaux moments d’une évolution Nous l’annoncions précédemment, c’est en suivant le fil chronologique des principales publications de Bergeron que nous essaierons de suivre le développement de sa pensée sur l’enjeu de l’Église. La démarche phénoménologique nous permettra d’appréhender, à un niveau plus profond, l’intentionnalité à l’œuvre dans chacun de ses livres. Cela pourra permettre de mieux saisir l’articulation de cette pensée sur un enjeu que l’on peut qualifier d’existentiel pour notre auteur. La réflexion de Bergeron, dans ses trois premières publications (Les abus de l’Église d’après Newman, Obéissance de Jésus et vérité de l’homme, Le cortège des fous de Dieu), se déploie d’abord à l’intérieur du cadre de l’Église-institution. Par la suite, Bergeron prend lui-même position envers l’institution dans un livre (Les pros de Dieu) que l’on peut considérer comme charnière. En lien avec cette prise de position, Bergeron propose une redéfinition du spirituel (Renaître à la spiritualité, Hors de l’Église, plein de salut!) qui recadre sa compréhension d’une institution renouvelée (Et pourquoi pas Jésus?, Le couple comme nouveau lieu spirituel). Pour chacune des publications, nous présenterons l’intention de Bergeron et la manière dont il structure sa réflexion. Nous ferons une courte synthèse de sa pensée en lien avec notre thème et nous en dégagerons, autant que faire se peut, les intentionnalités qui jalonnent le développement de sa pensée. 2.1 Les anciennes règles du jeu : Hors de l’Église, point de salut! Hors de l’Église, point de salut. L’homme doit prendre position. Il doit accepter ou refuser. Il n’y a pas d’option médiane. Celui qui accepte s’en remet totalement à cette institution pour son salut. En elle, il se sait sauvé par le dynamisme d’une présence mystérieuse. Son acceptation ne peut qu’être absolue; elle est un abandon inconditionnel.27 Cette citation, placée ici en exergue, réaffirme le statut unique de l’Église catholique dans sa prétention implicite à l’absoluité et à l’exclusivisme qui explique la timidité avec laquelle cette Église accompagne l’évolution des sociétés vers le pluralisme religieux et à la rencontre des autres religions. Elle clôt en quelque sorte toute discussion. Se distancier de cette position, un tant soit peu, peut obliger à payer le prix fort, c’est-àdire à être sanctionné par l’exclusion. Cette épée de Damoclès est venue à bout de bien 27 Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après Newman, Bellarmin, Montréal, 1971, p. 214. Bergeron présente dans ce chapitre l’influence de la préface du livre de Newman sur Friedrich Von Hügel. 11 des récalcitrants et a permis d’assurer l’obéissance à des décisions qui pouvaient être controversées. Par contre, n’était-ce pas l’occasion manquée d’un questionnement nécessaire, d’un repositionnement? De fait, on reprochera à l’Église catholique d’en faire l’économie. Dépositaire et gardienne du message, cette institution n’a pas à faire de compromis, à adapter le message à l’esprit du temps, à moins qu’elle le fasse avec beaucoup de réserve. Cette position sera également partagée par les Églises nationales. Un peu à l’étroit dans une Église catholique canadienne-française figée, en symbiose avec l’institution sur ce sujet, le jeune Franciscain Richard Bergeron s’y épanouit quand même grâce à une formation spirituelle et intellectuelle poussée donnée par des maîtres de grande qualité. D’ailleurs, en étant encouragé par la communauté franciscaine à poursuivre des études supérieures, le religieux apprend à répondre de manière approfondie aux interrogations que lui pose la société. Tout au long de sa formation, le jeune religieux n’hésite pas à partager ses interrogations : il dit tout haut ce que la plupart pensent et chuchotent. Précurseur d’une remise en question de l’Église, qui le poursuivra toute sa vie, Richard Bergeron trouve de premières réponses qui sont en phase avec les avancées les plus progressistes du Concile. Par la suite, ces réponses deviendront plus personnelles, originales, distantes de l’institution. Nous voulons rendre compte du dynamisme de ce cheminement. Ainsi, de la simple acceptation d’être dans une Église imparfaite, dans un effort pour vraiment faire partie de cette Église et de s’y intégrer (effort d’intégration), ce théologien franciscain passe insensiblement à une volonté de réformer cette même Église (effort de réforme) de façon à se rendre plus capable d’affronter les défis contemporains. Cet effort de réforme s’appuie, pour une part, sur une exploration de ce que doit être la véritable obéissance en Église, sur le vivre-en-Église et en communauté; et, d’autre part, sur un nouveau regard sur ce vivre-Dieu obtenu par l’exploration d’autres religions et des spiritualités qui en émergent. Ce qui a pour effet de revisiter la signification même d’être en Église. Telles sont les deux aspects de la réflexion de Richard Bergeron que ce travail tente de mettre en évidence, tout en en montrant les liens étroits avec l’évolution de la société québécoise en même temps que les dissonances avec cette évolution. 12 2.1.1 L’effort d’intégration : les abus de l’Église d’après Newman (1971) Une religion purement sentimentale n’est pour moi qu’un rêve ou une parodie de religion.28 Bergeron, jeune franciscain, obtient la permission de faire des études doctorales à Strasbourg. C’est un jeu de circonstances qui lui permet de poursuivre ses études universitaires dans un ordre religieux dont ce n’est habituellement pas la priorité : le supérieur du moment appuie de telles demandes parce qu’il a lui-même bénéficié de ce type de formation. Bergeron a vingt-neuf ans et il a déjà passé dix-sept ans avec les Franciscains, si l’on inclut sa formation depuis le pensionnat du niveau secondaire. Parti en 1962, il obtient son doctorat en 1965, les années mêmes où s’ouvre et se conclut Vatican II. Ce séjour à l’étranger coïncide également avec l’amorce de la Révolution tranquille au Québec de même qu’avec l’émergence de débats de fond sur les orientations de l’ordre franciscain. La culture franciscaine est en effet confrontée au courant dit «mouvement des spirituels»29 qui exerce une fascination certaine en lien avec l’aggiornamento de l’Église. Toute cette période d’avant 1965 est qualifiée par Bergeron même de la «phase dogmatique»30 de son cheminement. La formation acquise lors de cette période lui permet de soutenir la cohérence du modèle et d’expliquer les dérives de cette Église sinon de les justifier. Cette exploration de la pensée de Newman l’outillait pour faire face aux bouillonnements causés par le Concile et absorber les bouleversements d’une société québécoise en pleine maturation. La visée de Bergeron dans ce livre est formulée clairement : il veut apporter une «interprétation théologique des abus et des corrections de l’Église» 31 dans le but implicite de la réformer. Mais toute tentative de cet ordre doit commencer «par une intelligence profonde de la structure ou du système à redresser». Pour ce faire, Bergeron analysera les fonctions de l’Église catholique présentées par Newman de façon systémique en identifiant les principes régulateurs des différentes fonctions et les tensions générées par ces fonctions au sein de l’institution. C’est d’ailleurs l’architecture même du livre. Or, Newman est un géant de la pensée chrétienne32 qui introduit une réflexion sur la foi vécue consciemment et sur ce que suppose un réel assentiment alors qu’on réclame de lui une qu’il croie aveuglément. Cela l’amène à réfléchir sur une 28 John Henry Newman, «Apologia Pro vita sua IV », dans History of my religious opinions from 1841-1845. Les Spirituels franciscains voulaient vivre la règle de Saint-François dans sa littéralité et non pas selon les interprétations qui en ont été faites par les autorités ecclésiastiques. 30 Richard Bergeron, «Mon parcours théologique (1950-2000) ou le passage du dogme au sujet», dans Des Théologies en mutation. Parcours et trajectoires…, p. 64-67. 31 Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après Newman. Étude de la Préface à la troisième édition de La via Media, Montréal, Bellarmin, 1971, p. 15. La prochaine citation est tirée de la page 14. 32 Keith Beaumont, Petite vie de John Henry Newman, Paris, DDB, 2010, p. 5. 29 13 institution qui brime les consciences. Le choix de Newman par Bergeron n’est donc pas arbitraire et Maurice Nédoncelle en 1971 marque bien l’utilité de ce propos dans la préface du livre : «Les abus de l’Église! À notre époque de crise et de contestation, y a-til un mot plus retentissant?»33. Cette question allait alimenter les réflexions de Bergeron pour les quarante années suivantes. À tel point que, le chemin modifiant l’homme et le théologien, la posture de départ ne sera peut-être plus celle de l’arrivée. Nous referons donc ce parcours en prêtant une attention spéciale au commencement, car le commencement (d’une réflexion) est, dit-on, la moitié de tout34. Comme Newman sera le modèle de référence de Bergeron tout au long de son parcours intellectuel, nous devons le présenter succinctement. John Henry Newman (1801-1890) a contribué au renouveau de l’anglicanisme puis du catholicisme après sa conversion en 1845. Écrivain prolifique, Newman est l’auteur d’une quarantaine de livres et d’une énorme correspondance (32 volumes). Il est un penseur original et profondément actuel qui prend en compte la subjectivité pour proposer «l’abolition (ou le dépassement) de la pure subjectivité par le contact de l’homme intérieur avec la vérité divine»35. En effet, il est impossible de croire en sa propre existence sans croire à l’existence qui vit dans sa conscience36. D’ailleurs, Benoît XVI, dans son homélie de Noël de 2009, fera une allusion directe à Newman en déclarant que la raison peut entrevoir Dieu à travers la création et au moyen de sa conscience. Pourtant le don de la foi doit s’accompagner de la volonté pour en arriver à être vécu véritablement, comme l’explique Newman à une correspondante : Je désire que vous vous demandiez sérieusement si vous avez une exacte notion de la manière dont on acquiert la foi. C’est, nous le savons, un don de Dieu, mais j’en parle comme d’un processus humain et atteint par des moyens humains. La foi donc n’est pas une conclusion tirée de prémisses, mais le résultat d’un acte de la volonté consécutif (following upon) à la conviction que croire est un devoir. (Notons bien ici l’intervention de la volonté, non dans l’acquisition de la conviction, mais dans l’exécution de ce que la conviction a vu.) La simple question que vous avez à vous poser est celle-ci : «Ai-je la conviction que je dois accepter la foi catholique romaine comme la parole de Dieu?» Sinon, au moins 33 Les abus de l’Église…, p. 9. Proverbe attribué à Pythagore. 35 Joseph Ratzinger, voir le chapitre «Conscience et vérité» dans La communion de foi, vol. 2 Discerner et agir, Paris, Parole et silence, 2009, p. 194-197. 36 Résumé de John Henry Newman, «Apologia Pro vita sua», Bergeron a utilisé la version des Textes Newmaniens 5 (traduction par L. Michelin Delimoges), Paris, 1967. Une édition revue et corrigée est parue aux éditions Ad Solem en 2010. 34 14 «Est-ce que je tends vers une conviction de ce genre?» ou «En suis-je proche?» Car, dès que vous avez la conviction que vous devez croire, la raison a fait sa partie, et ce qu’il faut alors pour la foi, c’est, non de la preuve, mais de la volonté. Nous sommes responsables de ce que nous choisissons de croire; si nous croyons à la légère, ou si nous sommes durs à croire, dans l’un et dans l’autre cas, nous avons tort.37 Newman écrit cette lettre en 1848 et cela, même s’il avait une vision claire des abus du catholicisme de son époque avant sa conversion : Pendant son voyage à travers l’Italie et la Sicile, au début de 1833, il avait constaté l’état déplorable du système romain; il l’avait trouvé «misérablement corrompu», polythéiste, dégradant et idolâtre». Il y avait rencontré beaucoup «d’infidélité et d’impiété», beaucoup de «timidité, de paresse et d’esprit séculier». Partout c’était le règne de la superstition; partout on traite les choses religieuses avec une «frivolité misérable». La religion populaire était encore plus païenne qu’on pouvait l’imaginer.38 Après sa conversion, il cherchera à expliquer pourquoi, nonobstant de tels abus, le catholicisme demeure la religion la plus fidèle au christianisme originel. Pour ce faire, afin de démontrer la validité de cette démarche, il écrira une œuvre inclassable, Grammaire de l’assentiment39, qui en expose, espère-t-il, la solidité. Dans son livre, Bergeron relève l’insistance de Newman sur le caractère différent du catholicisme par rapport à l’anglicanisme, différence que ce dernier situait au niveau de l’éthos : le catholicisme est une religion de l’excès alors que l’anglicanisme «pèche par défaut». Au-delà de cet état de fait en lien avec les conceptions de ces religions qui conduisent à des pratiques différentes, il fallait juger de la fidélité de l’Église à l’idée chrétienne originale et, dans cette perspective, Bergeron souligne que Newman reconnaît une équivalence entre le catholicisme vécu et le christianisme intégral40. Pour établir cette équivalence, il s’agit de constater l’existence d’un faisceau de vraisemblances qui, par l’accumulation et la convergence des probabilités confirmées par des indices historiques, conduisent à une certitude morale41. 37 Cité dans l’introduction de Marie-Martin Olive à Grammaire de l’assentiment (voir la référence plus bas), p. 26 où l’on cite une lettre écrite à Madame Froude datée du 27 juin 1848. 38 Richard Bergeron, Les abus de l’Église…, p. 50-51. 39 John Henry Newman, Grammaire de l’assentiment, Introduction et traduction par Marie-Martin Olive, Paris, Ad Solem, 2010. 40 Richard Bergeron, Les abus de l’Église…, p. 34. 41 Voir à ce sujet Newman, Grammaire…, chap. VII, «La certitude», p. 281-331. 15 Alors pourquoi, se demande Bergeron, à la suite de Newman, doit-il y avoir «contraste» ou divergence en lien avec la certitude acquise? Cela s’expliquerait par des tensions entre les différentes fonctions de l’Église. Mais avant d’aller plus avant dans cette voie, Bergeron rappelle la liste des éventualités à la base des différends qui ont émaillé l’histoire de ces Églises et qui ont un caractère inévitable et nécessaire42 : 1. La dureté de la théologie; 2. La primauté relative de l’édification dans la religion; 3. Les conditions de la recherche scientifique pour les questions religieuses; 4. Les exigences de la charité; 5. La loi de la réserve («concealment»); 6. L’usage de l’économie dans le domaine de la religion; 7. L’exemple de l’Église apostolique; 8. La connexion du christianisme avec le système sacramentel; 9. L’enracinement naturel du culte; 10. Le caractère subjectif de la dévotion; 11. L’usage de l’économie dans le domaine du gouvernement; 12. La mission polyvalente de la fonction royale; 13. La primauté occasionnelle de l’opportunité. Il s’agit là d’autant de sujets possibles de malentendus qui peuvent naître entre l’ÉgliseInstitution et l’Église-communauté. Toutefois, il ne faut pas s’attendre à de grandes transformations de la part du système ecclésial en ce qui a trait à ces sujets, car l’autorité et l’institution freinent de telles tentatives. Ce sont plutôt les individus qui enseignent, prônent, des possibilités de transformation en développant l’idée chrétienne et qui, grâce à leur influence personnelle, remplissent un rôle considérable dans le christianisme. Cette affirmation est nuancée toutefois : «Dieu nous sauve autant par l’un que par l’autre. L’institution est aussi nécessaire que l’événement»43. Ce que Bergeron redécouvre chez Newman, c’est l’idée que l’Église a trois fonctions et cette analyse du fonctionnement ecclésial l’aide à comprendre la complexité de ce qu’il vit alors, mais également à entrevoir que cette Église possède les ressorts lui permettant d’évoluer. L’Église a donc trois fonctions qui ont chacune leur dynamisme propre : la fonction prophétique introduit et conserve la vérité de Dieu; la fonction sacerdotale accueille le don de Dieu à travers les signes et, en retour, l’homme pose des gestes d’adoration ou d’action de grâces; enfin, la fonction royale consiste à accueillir les 42 Ibid., p. 37. Ibid., p. 99. Newman reprend ici certaines idées de Jean Calvin dans Institution de la religion chrétienne, dont la version finale en français paraît en 1560. 43 16 hommes et les structurer en un seul peuple pour en assurer l’unité. Ces fonctions interagissent entre elles et ces interactions entraînent des frictions parce que l’Église est «de façon indivise philosophie, religion et corps sociopolitique»44. Newman affirmait même que, comme la conscience est l’essence d’une religion naturelle, la suprématie d’un apôtre ou d’un pape ou d’une Église est l’essence de la religion révélée. Bergeron reprend les explications que donnait alors Newman : l’Église est une réalité prophétique qui doit contrôler sa révélation. Toutefois, la liberté théologique est également nécessaire parce que la controverse permet d’approfondir cette révélation. Si la controverse persiste, il faut la présenter à une instance, évêque ou faculté de théologie, qui puisse en disposer. Rome est ici un recours de dernière instance. En fait, «la théologie protège la vérité contre le dogmatisme de l’autorité»45, insiste alors Bergeron. L’Église aurait ainsi une double infaillibilité : une infaillibilité active avec le collège épiscopal et une infaillibilité passive avec l’assemblée des fidèles, dont les théologiens. Bergeron retient l’analyse de Newman selon laquelle la dialectique activité-passivité est toujours restée au cœur des difficultés du développement de l’idée chrétienne. Qui plus est, Bergeron poursuit une réflexion inspirée de Newman sur le principe d’économie, utilisé par l’Église : il peut engendrer des tensions en étant la source de quiproquos importants. On veut par ce principe enseigner la vérité pour qu’elle soit vérité pour l’autre et pas seulement pour soi. Bergeron souligne que l’on veut «la vérité certes, mais pas forcément toute la vérité : telle est la règle de la vie en société». Le but ici n’est pas de taire la vérité, ni de tromper, mais de la présenter sous une forme plus appropriée à l’autre, sans la dénaturer. On copie ici la pédagogie utilisée par Dieu avec l’homme : ainsi le paganisme, le judaïsme et le christianisme ont dévoilé Dieu par approximations successives46. Le Christ a fait de même. L’Église le fait également dans l’exercice de ses fonctions, mais surtout dans sa fonction prophétique, car elle doit respecter ses membres. Elle sera patiente et condescendante47. Newman parle d’ailleurs du théologien catholique en ces termes que cite Bergeron : Il ne pense pas à lui-même, mais à une multitude d’âmes, les unes malades, les autres coupables, entraînées par le péché, envahies par le mal; et il essaie de toutes ses forces d’arriver à les sauver de leur état misérable. Afin de leur épargner des fautes encore plus détestables, il essaie, en allant aussi loin que sa conscience le lui permet, de fermer les yeux sur certaines fautes qui, tout en 44 Ibid., p. 101. Ibid., p. 120. 46 Ibid., p. 122. 47 Ibid., p. 129. 45 17 restant fautes, sont cependant d’un caractère moins grave et d’une importance moindre.48 Bergeron conclut de ce principe d’économie ad intra qu’il ne saurait être question d’imposer à tous les membres de l’Église les mêmes normes de religion et de morale. S’appuyant sur la condescendance charitable, l’économie fait appel à la prudence dans son application. Elle se trouve même à contrebalancer la suprématie de la théologie. Cette coexistence aura donc selon Bergeron une conséquence déterminante : «…dans une religion aussi universelle que le catholicisme, il y aura toujours une doctrine ésotérique, développée par la Schola Theologorum, et une doctrine exotérique, enseignée au peuple»49. Les tensions sont aussi présentes avec les autres fonctions de l’Église. Ainsi en est-il entre la fonction prophétique et la fonction sacerdotale. Bergeron souligne que, pour Newman, l’éthos du catholicisme étant caractérisé par l’excès, le décalage entre le croire et l’agir peut être aussi une source de tension. Celui-ci peut déformer le spirituel, le dégrader, voire le pousser vers la superstition50. Par ailleurs, la religion vit de ce qui est édifiant et cela peut être difficilement conciliable avec une démarche rationnelle de foi. À tel point que «la vérité doit parfois reculer au nom de la religion»51. C’est pourquoi, dans sa fonction prophétique, l’Église doit prendre en compte les requêtes du principe d’économie qui doit la gouverner. Ainsi, en tenant compte seulement de la fonction prophétique, le théologien fera une interprétation stricte. Toutefois, il pourra avoir le souci d’en faire une interprétation minimaliste afin de rendre le principe plus tolérable. Il en est de même de l’exégèse qui pourra aussi proposer une interprétation minimisante d’un axiome comme «hors de l’Église, point de salut»52. Cette interprétation est dictée par la charité. Sans la modération introduite par l’utilisation de ce principe d’économie, l’Église serait tyrannique. Or, même si l’Église repose sur le dogme, elle n’en vit pas et il n’y a pas pire tyrannie que le dogmatisme. Parce que toute discussion théologique doit se faire entre gens compétents, Bergeron constate que Newman ne souhaite pas qu’elle se fasse sur la place publique. Cette recherche de vérité ne doit pas devenir une «pierre d’achoppement» pour le peuple 48 Ibid., p. 130. Ibid., p. 133. 50 Voir les pages 140 à 153. 51 Ibid., p. 158. 52 Ibid., p. .162. Cette formule vient de Cyprien de Carthage (IIIe siècle). Cyprien affirmait la validité des sacrements de l’Église («ministre» des sacrements) à l’encontre des chrétiens qui, en toute connaissance de cause, se joignaient à des sectes chrétiennes dissidentes. On donne ici un tout autre sens à la notion d’exclusion : c’est l’appartenance à la bonne Église qui est le critère déterminant. 49 18 chrétien, c’est pourquoi on préconise un certain ésotérisme : «malheur à celui par qui le scandale arrive». Toutefois, même si certaines nouveautés théologiques sont proscrites afin de préserver la masse, on ne devrait pas pour autant les qualifier d’hérétiques. En effet, les hérétiques font, malheureusement, bien souvent valoir la dimension intellectuelle sans se soucier de la dimension pastorale. Pourtant, cette dimension pastorale est importante, car elle permet à la théologie de ne pas sombrer dans le rationalisme et l’hérésie. Quant à la tension entre la fonction prophétique et la fonction royale, le fait que l’Église ait une structure à l’image de l’état (impérial) indique que le Christ a confié ses sujets à des représentants qui le gouvernent. La papauté est garante de l’unité. Bergeron en signale cependant la limite : Quand ce souci authentique de l’unité se conjugue avec la soif du pouvoir, on aboutit fatalement à l’identification pratique de réalités fort différentes : l’unité devient uniformité, monolithisme et centralisation. C’est le recul de la liberté au profit du droit, de la législation et de l’administration. L’Église présente alors le spectacle choquant d’un pouvoir centralisateur hypertrophié, amenuisant la liberté et l’initiative des individus. La centralisation excessive aboutit nécessairement à la bureaucratie, à l’absolutisme, au despotisme et à la dépersonnalisation des rapports humains; elle marque le triomphe de l’administratif et du canonique sur la liberté évangélique, du système sur l’influence; du dogmatisme sur la recherche théologique.53 Bergeron résume Newman qui fait de la catholicité le deuxième trait de l’Église impériale : comme «philosophie», cette catholicité est apostolique alors que comme religion, elle est sainte. C’est cette caractéristique qui assure l’indépendance de l’Église et sa souveraineté. L’attachement à Dieu peut faire en sorte que bien des personnes renoncent aux biens matériels pour les remettre à l’Église en signe de gratitude. Il y a donc une perception de richesses, de biens accumulés. De plus, comme l’Église prône les vertus civiques et par voie de conséquence la stabilité sociale, cela profite également à son développement. C’est pourquoi, conclut Bergeron à la suite de Newman, un conservatisme préconisant le maintien de l’ordre établi peut devenir une tentation pour les autorités ecclésiastiques qui pourront même obtenir de cette Église des avantages personnels : Par une étonnante dialectique, la richesse de l’Église s’accroît au rythme même de son détachement; et cette prospérité devient presque immanquablement une 53 Ibid., p. 177. 19 occasion de conservatisme pour les responsables ecclésiastiques. L’Église semble enfermée dans un cercle vicieux : détachement-prospérité-conservatismespoliation. Et le cycle recommence.54 Par conséquent, le principe directeur du gouvernement de l’Église est la convenance dans l’action. Cet intérêt pour le bien commun qui guide son action est bien différent de la connaissance de la vérité, but de la théologie. La vérité a une valeur absolue alors que ce qui est opportun à faire connaître peut varier d’un pays à l’autre. On comprend facilement la tension entre ces deux pôles. Tension qui peut avoir un aspect bénéfique : la théologie est ainsi protégée du danger de l’autoritarisme alors que la convenance de l’action protège de l’hérésie. Certes, l’autorité peut réduire la théologie au silence, car il peut n’être pas opportun de discuter d’un sujet. Cette interdiction peut être une occasion de progrès spirituel et théologique pour l’intimé alors que le souci de l’opportunité peut aussi être un facteur de progrès dogmatique parce qu’il affirme une «primauté occasionnelle» sur la théologie55. Chaque fonction de l’Église ayant sa visée propre, une visée est parfois incompatible avec les deux autres visées, l’équilibre est toujours menacé par le dynamisme des fonctions. Il va sans dire qu’en dehors de ce problème organique lié à l’existence même de l’Église, la nature même de l’être humain explique aussi les abus de l’Église. Newman était même allé plus loin : le croyant est un autre Christ et il est ainsi également Église. Il vit donc de telles tensions intérieurement et elles sont au cœur du développement de sa personnalité religieuse. Bergeron juge l’explication de Newman valable, mais incomplète56. Il note en plus qu’il ne faut pas négliger les tensions qui cohabitent à l’intérieur même de chacune des fonctions. Ainsi, la fonction prophétique doit trouver un équilibre entre parole de Dieu et tradition; la fonction sacerdotale, entre la communication du salut de Dieu et le retour des hommes (par exemple, la liturgie incarne cette tension); et, la fonction royale, entre catholicité (élargir la base des croyants) et unité (structurer cette base). Les tensions internes à chaque fonction peuvent déboucher sur des abus aussi graves 54 Ibid., p. 186. Ibid., p. 191. 56 Ibid., p. 222. 55 20 que les tensions externes57 et Bergeron se sert ici des distinctions opérées par Newman pour en tirer des applications nouvelles. Pour le croyant qui cherche à comprendre son appartenance à l’Église, ce n’est pas simple : en plus de comprendre en lui-même et pour lui-même le jeu d’équilibre des trois fonctions, il se doit en plus d’arbitrer les tensions relatives à chacune des fonctions. Il y aussi cette question lancinante qui traverse ces situations d’abus de l’Église : ces tensions, lorsqu’exacerbées, sont-elles les signes de son déclin ou de son développement? Seraient-elles des idées chrétiennes en train d’aboutir? Bergeron laisse supposer qu’il croit à cette affirmation de Newman. Mais, ces mêmes idées, ne participant plus à un quelconque développement de l’Église-institution, pourraient peutêtre trouver leur résolution en marge du cadre proposé ou imposé. Ce premier livre de Bergeron, de facture plutôt académique, reprend à son compte la pensée de Newman. Ainsi, on ne peut s’empêcher de déceler dans ce travail la volonté de Bergeron de répondre à un problème bien réel dans son histoire personnelle au sujet de la manière d’obéir à une Église-institution qui n’est pas conforme à certaines attentes. L’idée maîtresse du livre est cette reconnaissance qu’il peut être du devoir du chrétien de s’attaquer à la restauration de l’institution, mais avec cette réserve qu’il ne doit pas remettre en cause l’édifice même dont l’existence se justifie par ailleurs. Cet appel à la prudence sera difficilement entendu par Bergeron. La rénovation de l’Église en cours en ce moment-là avec Vatican II suscite déjà d’énormes attentes et beaucoup d’impatience envers les résistances au changement qui en ralentissent l’élan. Comme en témoignent les comptes rendus de l’époque, le livre a reçu un bon accueil. Jean-Guy Pagé58 souligne que la sagesse de Newman devrait inspirer les théologiens d’aujourd’hui : souhaiter restaurer une partie de l’édifice n’autorise pas à ébranler toute la construction. Ce «bon ouvrage de théologie positive» est d’actualité, car il aborde «un problème qui se repose aujourd’hui, celui des abus de l’Église et du scandale qu’ils provoquent…». Avec le recul du temps et en considérant l’œuvre du théologien d’aujourd’hui qui a écrit ce livre, cette dimension a certainement été au cœur de ses préoccupations. Gilles Bourdeau59 vante le mérite de Bergeron de continuer encore aujourd’hui le débat sur les abus de l’Église. Toutefois, il déplore que Bergeron ait recours à des catégories d’analyse du XIXe siècle, celles de Newman, sans les 57 Ibid., p. 225. Jean-Guy Pagé, compte rendu de Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après Newman, Montréal, Bellarmin, 1971, paru dans Laval théologique et philosophique, 28, no 3, 1972, p. 312-313. 59 Gilles Bourdeau, compte rendu de Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après Newman, Montréal, Bellarmin, 1972, paru dans Science et Esprit, 24, no 3, 1972, p. 393-396 58 21 questionner, ainsi que la vision romantique que celui-ci présentait de l’Église. Richard P. Hardy60 juge que Bergeron livre un portrait partiel du questionnement de Newman sur ce thème : il aurait été intéressant de connaître la réponse du théologien Newman à ce type de questions plutôt que de s’en tenir à la description intellectuelle de ce qui en est la cause. Enfin, René Baril61, Franciscain lui-même, souligne que la parution du livre marque une date importante : le travail objectif de Bergeron permet de mieux comprendre l’écart entre ce que l’Église est et ce qu’elle prétend être. Ce qui aide «à voir avec plus de sérénité les abus de notre Église». En fait, ce livre répond chez Bergeron à une préoccupation pressante au cœur de son existence : concilier l’autorité de l’Église avec l’autonomie de celui qui doit obéir. De fait, comme Newman62, Bergeron traite ce problème comme une question existentielle et comme un drame personnel avant qu’il devienne pour lui une question intellectuelle. C’est la posture qu’il adoptera dans la poursuite de cette réflexion. Toutefois, la réponse telle que formulée par Newman sera revue périodiquement par Bergeron au cours de son cheminement de vie jusqu’à un renversement de perspective. D’ailleurs, cette révision sera déjà à l’œuvre après la parution de ce livre, si bien que les deux publications suivantes de Bergeron manifesteront une première volonté de réforme : l’écart entre la réalité et l’idéal peut s’expliquer, mais comment peut-on arriver à l’amoindrir? Enfin, on peut identifier sous-jacente à cette thèse, une préoccupation qui n’est pas énoncée explicitement, mais qui est la première à émerger d’une lecture phénoménologique des principaux écrits de Bergeron. Il s’agit du premier des moments repérés au cours de ce mémoire. C’est une recherche du sens, le besoin de donner du sens à ce qui n’en a plus : l’institution. Défendre le caractère fondamentalement dynamique de ce qui apparaît statique pourrait ouvrir sur une évolution possible en phase avec la modernité. Là où le livre arrête, à partir de cette explication originelle, Bergeron a ce qu’il faut pour se mettre en route. 60 Richard P. Hardy, compte rendu de Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après Newman, Montréal, Bellarmin, 1971, paru dans Église et théologie, 3, no 3, 1972, p. 438-441. Le texte est en anglais. 61 René Baril, compte rendu de Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après Newman, Montréal, Bellarmin, 1971, paru dans Sciences religieuses/Studies in religion, 2, no 4, 1973, p. 356-359. 62 Voir l’introduction à Les abus de L’Église…, p. 15. 22 2.1.2 L’effort de réforme Disparue du domaine public, la religion est souvent considérée comme une épave du passé, un témoin d’une époque révolue; et elle a besoin, pour son existence, de la tolérance de l’opinion publique.63 Bergeron devient de plus en plus sensible à l’impact de la Révolution tranquille sur l’institution-Église, car elle est en synchronie avec son évolution personnelle. Dans son nouveau métier de théologien qu’il exerce depuis 1967 à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal, il déploie sa vision de la raison croyante en se donnant deux points d’ancrage pour redéfinir le lieu de son appartenance : le véritable sens de l’obéissance envers l’Église et la rencontre envers les nouvelles religions, phénomène alors en émergence. Son premier point sera dans la continuité de sa réflexion sur Newman tandis que le deuxième point sera plutôt une tentative de réponse à ce nouveau défi rencontré par une société québécoise déjà plus ouverte sur l’extérieur, celui du pluralisme religieux. Cet effort de réappropriation de la part de Bergeron est encore une démarche à l’intérieur de l’Église-institution, mais elle le marginalisera progressivement. 2.1.2.1 Obéissance de Jésus et vérité de l’homme (1976) …retrouver la signification originelle de l’obéissance chrétienne et la situer à l’intérieur de la démarche existentielle de l’homme…64 L’obéissance a toujours été un nœud gordien dans la vie religieuse de Richard Bergeron : d’une obéissance aveugle à l’institution, peut-on en venir à une «obéissance éclairée »? Le Concile sera l’occasion par excellence d’un tel débat qui, on le devine, ne se fera pas sans heurts dans les communautés religieuses, notamment dans son lieu d’appartenance, la communauté franciscaine québécoise. Cette agitation était, de fait, propice à une redéfinition de la vie communautaire, même si cela ne se fait pas sans déchirement, comme nous l’illustrerons plus loin, au sein même de la communauté de Bergeron. C’est dans Obéissance de Jésus et vérité de l’homme, publié en 1976, que l’on retrouve le substrat de la réflexion de Bergeron à ce sujet. 63 Richard Bergeron, Obéissance de Jésus et vérité de l’homme : une interpellation, Montréal, Fides, 1976, p. 229. 64 Ibid., p. 23. 23 La visée du livre de Bergeron est de «retrouver la signification originelle de l’obéissance chrétienne…», car «la conception actuelle de l’obéissance ne résiste pas si on la confronte à l’événement Jésus»65. Ainsi, afin de marquer la différence, le livre est en deux parties : l’obéissance du point de vue de Jésus et l’obéissance du point de vue de l’être humain. Pour bien faire comprendre ce qui est en jeu dans cette notion, Bergeron déploie la question de l’obéissance sur la toile de fond du triple rapport qu’a l’être humain dans le monde avec autrui, le cosmos et «l’englobant». Or le rapport que l’homme a avec le cosmos est déterminant dans le lien avec autrui ou «l’englobant», rapport qui peut varier également selon l’évolution humaine. De fait, cette évolution peut se dérouler sur trois grandes périodes même si elles s’entremêlent, car une période ne se substitue pas nécessairement à la précédente : il s’agit des périodes mythique, cosmologique et anthropologique. Le modèle de la première période est Prométhée, bienfaiteur des hommes, mais qui doit assumer la colère des dieux parce qu’il a désobéi. Dans la deuxième période, le cosmos est en quelque sorte le révélateur de Dieu et l’instrument de sa volonté. L’obéissance est ici en lien avec les lois de la nature. La troisième période naît quand la société des hommes se structure afin de favoriser le bien commun. Ce tableau permet de situer l’obéissance chrétienne : C’est sur cet arrière-fond cosmologique que l’obéissance chrétienne a été comprise et pratiquée au cours des siècles. L’obéissance est vue traditionnellement comme l’attitude fondamentale de l’homme, attitude qui correspond à sa nature et à sa vocation d’être créé. En obéissant à la volonté divine, l’homme devient parfait comme le Père céleste. Cette obéissance se réalise concrètement par la sujétion à toute autorité — ecclésiale, familiale, civile — et à toutes les lois naturelles, sociales et religieuses.66 L’obéissance à l’Église est remise en question par la vision anthropologique qui, en raison de la science et de la technologie, sort Dieu du cosmos jusqu’au moment où l’on pourra conclure à sa mort. Il faut donc fonder l’obéissance sur de nouvelles bases et la légitimer autrement. Pour le chrétien, ce sera l’obéissance de Jésus à faire la volonté de Dieu qui sera cette nouvelle fondation. Jésus révèle un Dieu Roi et Père. La royauté suggère l’autorité, la justice et la miséricorde alors que la paternité peut être associée à la souveraineté, au jugement et à la prévenance. Héritier de la tradition du Père, Jésus vit d’abord une expérience de filiation : agir en fils c’est obéir au père en toute liberté par respect. Reconnaître la royauté de ce Jésus comme «Fils de Dieu», c’est suivre ses lois et non pas celles des hommes, non plus que celles de puissances mauvaises. Obéir ici, c’est «renoncer à l’ordre des choses proposé par l’homme pour entrer totalement 65 66 Ibid., p. 23 pour la première citation et p. 24 pour la deuxième. Ibid., p. 15. 24 dans l’éthos de Dieu»67. Que signifie dès lors faire la volonté de Dieu pour l’être humain? Cette volonté est existentielle, car elle le rejoint dans son existence concrète : «le royaume de Dieu coïncide avec la plénitude personnelle et communautaire de l’homme»68. En fait, selon Bergeron, Jésus n’est pas venu démolir l’appareil cultuel de son époque même s’il en annonce la destruction prochaine. Ce qui lui importe, c’est de «mettre Dieu en liberté», en le délivrant d’un système qui musèle celle-ci et d’une hiérarchie qui la domestique. Bergeron juge que l’Église en est arrivée là : il n’est plus possible de «suivre les déploiements imprévisibles» de la volonté divine. «La purification du Temple, c’est pour aujourd’hui»69, remarque-t-il de façon abrupte. L’éthique développée par le judaïsme dont le catholicisme est tributaire et qui se veut obéissance à la loi, n’est pas non plus celle qui convient dans une véritable relation d’obéissance à Dieu. Dans une telle éthique, ce qui est important est le fait que cela soit prescrit et non ce qui est prescrit. L’action de suivre la prescription devient alors une action droite et lorsque de telles actions s’accumulent, celles-ci forment un capital de bonne conduite. Une telle soumission n’est pas la véritable obéissance : L’homme ne se sent guère concerné par ce qu’il fait, mais il le fait quand même. Reste encore quelque chose qui n’obéit pas, qui n’est pas soumis à la volonté de Dieu. L’homme ne peut alors être totalement obéissant, car il n’est pas totalement dans son action. Pour qu’il y ait obéissance radicale, il faut 1) que l’homme comprenne et approuve lui-même intérieurement ce qui est commandé; 2) qu’il reconnaisse dans ce qui est demandé une volonté de Dieu; 3) qu’il s’investisse totalement dans l’action qu’il pose. Dans l’obéissance radicale, l’homme n’agit pas par obéissance, il est obéissance dans son être même.70 L’exemple type de cette manière d’obéir est Jésus dont l’action est «création dans la tradition, projet dans le souvenir»71, une action qui respecte le passé tout en ne faisant pas de compromis avec les exigences du présent. À la limite, obéir peut même vouloir dire descendre aux enfers, sans aucun enthousiasme, comme le fait Jésus : L’enthousiasme n’a rien à faire avec l’obéissance, pas plus d’ailleurs que la résistance physique ou psychique ni que la maîtrise de soi. Devant la souffrance, 67 Ibid., p. 51. Ibid., p. 56. 69 Ibid., p. 66. 70 Ibid., p. 76. Bergeron évoque ici le théologien Bultman. 71 Ibid., p. 95. 68 25 Jésus a éprouvé moins d’enthousiasme que bien des martyrs; il a manifesté moins de résistance physique et psychique que bien des héros et des torturés; il a fait preuve de bien peu de maîtrise de soi, si on le compare à Socrate. L’obéissance ne se jauge pas à la profondeur des émotions. Le «il faut» arrache l’obéissance au monde du subjectivisme, de psychologisme et du déterminisme pour la transférer dans la sphère de la volonté libre et souveraine de Dieu.72 Comment donc obéir à Dieu alors que celui-ci ne se manifeste que par la nature et l’histoire? L’être humain ne pouvant s’élever jusqu’à lui, il a fallu que Dieu descende jusque dans les limites de l’humanité pour se faire voir. Jésus exprime ainsi les contours du vouloir divin. La tradition chrétienne propose à l’homme d’imiter l’obéissance de Jésus. Est-on conscient que cette obéissance est une désobéissance radicale par rapport à l’esprit de ce monde? De fait, elle annihile toute volonté de puissance qui pourrait advenir soit par esprit d’indépendance soit par esprit de domination du sujet. C’est ainsi que cette obéissance radicale serait «l’instance révélatrice du péché»73. Elle affirme l’autonomie d’un sujet incapable de s’associer à la portée salutaire du vouloir divin. D’ailleurs, celuici n’est pas l’abdication de ce qu’est l’être humain : L’obéissance de Jésus nous révèle que l’homme est une créature théandrique. Si telle est son essence originelle, l’obéissance à Dieu ne sera en définitive que fidélité au moi ultime, que réponse aux requêtes primordiales de l’être profond. La centration sur Dieu impliquée dans l’obéissance, loin d’être source d’aliénation, est véritablement centration sur ce qu’il y a de plus essentiel et de plus ultime dans l’homme.74 Bergeron en conclut que, aucunement statique, l’obéissance à la volonté divine s’avère donc dynamique. Il applique ses conclusions à la vie communautaire. L’obéissance dans la communauté doit se vivre dans le présent, elle n’est pas soumission à un code de lois, mais respect de ce dynamisme qui se traduit par une fidélité au principe de vie plutôt que conformité à la loi. Ainsi, cela peut signifier se tenir debout face à l’État, la société et la culture ambiante dans la communauté ou à l’extérieur de celle-ci. Elle ne se veut ni un quelconque triomphalisme se fondant sur la certitude d’avoir raison, ni la manifestation d’une volonté de puissance, une occasion de pécher. 72 Ibid., p. 119. Ibid., p. 159. 74 Ibid., p. 182. 73 26 L’obéissance radicale peut être entravée par des structures sociales statiques qui sont des objectivations, des réponses, à d’anciennes requêtes. Elles peuvent exercer une influence tyrannique sur le présent même si elles étaient des réponses radicales en leur temps : …les vertus cléricales ont donné naissance à des comportements sociaux qui ont été sanctionnés par la coutume et le droit canon. Un prêtre doit faire ceci et non cela. Ainsi en est-il pour le religieux. Dans chaque communauté la spiritualité a fait naître des comportements qui devenus des structures juridiques servant à mouler toute vie spirituelle. Un «bon religieux» doit faire telle chose. Les structures objectives de comportement supplantent les aspirations personnelles et les qualités spirituelles. Les valeurs sont vécues avec intensité et proclamées avec force par les génies et les saints – par des hommes animés d’une aspiration créatrice. Mais on les objective dans des lois, des monuments, des structures.75 L’objectivation a comme effet de réduire l’être humain à l’unidimensionnalité et de le vider de son intériorité. Il peut être broyé par ce système. Un tel cadre ne favorise pas l’obéissance radicale, car celle-ci suppose que l’être humain est libre de ses choix, capable de personnaliser l’obéissance afin de répondre en toute liberté à l’appel de la situation présente. Une telle réponse peut même conduire à une suspension des valeurs en place. Dieu n’étant pas réductible à l’ensemble des valeurs, Il peut transcender celles-ci. L’obéissance de Jésus fait donc éclater notre conception traditionnelle de l’obéissance : «Rien n’est plus étranger que la soumission, la subordination, la résignation, la sujétion. Les termes qui en évoquent le mieux les dimensions profondes sont : fidélité, créativité, accueil, réceptivité»76. De fait, un tel concept n’est pas adapté au monde contemporain qui cherche l’efficacité alors que, sans évacuer cette facette, Bergeron soutient qu’il faudrait aussi prendre en compte la fécondité de cette obéissance parce qu’elle doit être processus de vie, cheminement de vie. En même temps qu’une telle conception de l’obéissance est inadaptée au monde actuel, force est de constater que les conditions pour la réaliser sont véritablement réunies pour la première fois : la sécularisation a purifié, nettoyé, l’idée de Dieu; de même, l’être humain se sait maître de l’univers, il est libre et responsable; enfin, cet être libre peut dire oui ou non à Dieu sans que ce choix lui soit imposé : 75 76 Ibid., p. 213. Ibid., p. 225. 27 Plus rien ne le force à appartenir à l’Église, Il est acculé à une décision personnelle pour ou contre le Dieu de Jésus-Christ. Ce n’est que dans la liberté d’une conscience adulte qu’il peut opter pour Dieu et entrer dans l’obéissance radicale de Jésus.77 Réflexion qui sera en quelque sorte la pierre d’assise d’une conception du rapport à l’autorité pour la suite de sa vie personnelle, même s’il ne cessera de questionner son appartenance ou sa manière de l’être au sein de l’Église. Si le livre est l’aboutissement de la réflexion de Bergeron, il faut signaler qu’il a vécu le questionnement sur l’obéissance dans le tumulte que ce débat provoquait au sein de sa communauté, débat auquel il participait pleinement. C’est ainsi que, dès 1966, à 33 ans, après plus de vingt années de vie en communauté selon un déroulement chronologique, Bergeron publie les amorces de cette réflexion dans des textes à l’intention de sa communauté qui susciteront un très vif débat. Dans le premier texte intitulé «Idéal et structure»78, il écrit que «c’est un crime de lèse-majesté (que) de subordonner la personne à la fonction ou à une structure; c’est diviniser la loi…». C’est donc un mauvais choix que d’être en communauté pour servir un système. Il ira même plus loin : Puisque la fidélité au Christ, à soi-même et au fondateur d’un ordre est une donnée dynamique, elle commande un renouvellement incessant du système dans lequel elle doit s’exprimer. Tout le monde s’accorde pour dire qu’il faut faire une réforme.79 Certes, cette conclusion, jugée hâtive, sera invalidée partiellement au sein même de sa communauté. Mais l’enthousiasme de Bergeron à souhaiter une réforme n’ira pas en diminuant. C’est ainsi que, dans un second article, il explore le portrait d’une communauté modèle qui s’adapterait aux exigences du temps en «s’ouvrant aux valeurs nouvelles et (en cherchant) à les intégrer dans la structure de la communauté, ou mieux à faire jaillir des structures nouvelles à partir des valeurs nouvelles »80. Ces valeurs réfèrent, bien sûr, à celles préconisées par Vatican II, en lien avec l’œcuménisme, l’avancement des sciences religieuses et les travaux récents en philosophie et en théologie. Les valeurs qui émergeront des discussions en communauté appelleront un changement de structures donnant le jour à une nouvelle spiritualité se démarquant de 77 Ibid., p. 230. Paru dans Vie des communautés religieuses, no 2, février 1966, p. 34-40. La citation qui suit: p. 37. 79 Ibid., p. 39. 80 «Communauté ’66», Vie des communautés religieuses, no 8, octobre 1966, p. 231-244. La citation est tirée de la page 235. 78 28 la «devotio moderna», mouvement spirituel du XIVe siècle dont le livre phare est l’Imitation de Jésus-Christ. Bergeron schématise les oppositions entre ces deux formes de spiritualité. La spiritualité «égocentrique» cherchant le salut est supplantée par une spiritualité ecclésiale, où la relation personnelle est inscrite dans une relation d’alliance du peuple avec Dieu. La différence se joue entre ma perfection et celle de mon service. D’une spiritualité aliturgique, on passe à une spiritualité liturgique, la vie de la communauté s’y recentrant. D’une spiritualité du silence dont l’oraison est un exemple, on s’inscrit maintenant dans une spiritualité de la Parole, de Dieu et des hommes, dans la communauté. Enfin, d’une spiritualité d’ascèse où l’on meurt à soi-même, on propose maintenant une spiritualité d’illumination où la rédemption est présente. Dès lors, ce schéma ouvre à un renversement de la notion d’obéissance : le supérieur n’est pas le représentant de Dieu à qui l’on doit obéir sans autre raison. Il doit prendre en compte la spiritualité de la vocation personnelle de chacun, son rôle étant ici d’accompagner chaque religieux dans cette découverte. Cette interprétation suppose une nouvelle compréhension de l’autorité, une démocratisation. Il n’est plus question d’être à l’écart du monde, il faut s’engager dans le monde, s’y intégrer : «le chrétien est envoyé vers le monde»81. Pour toutes ces raisons, Bergeron conclut qu’on ne peut pas rapiécer la communauté telle qu’elle se vit actuellement, il faut la réformer à partir des exigences spirituelles d’aujourd’hui. Cette volonté de s’attaquer aux structures existantes rencontrera de la résistance, au premier chef, au sein même de la communauté franciscaine. Il s’agit de parcourir le bulletin de liaison Entre-nous de la communauté durant cette période agitée pour bien saisir l’intensité du débat ainsi provoqué et des remises en question qu’il a suscitées. Le dialogue n’est pas serein. On juge sévèrement les écrits de Bergeron : celui-ci est accusé d’être «tout à la fois» plutôt que «tout à Dieu», de se faire mondain plutôt que d’être préoccupé par Dieu seul, théologien dans le vent qui invite à désobéir alors que c’est l’obéissance au Mystère, la soumission au supérieur et le vœu à cet effet qui importent. Bergeron répond à ses détracteurs que la confrontation se situe entre deux conceptions de Dieu et du Salut qui génèrent deux positions existentielles différentes et il en appelle à plus de compréhension des positions réciproques. Cette invitation ne sera pas acceptée d’emblée si l’on se fie à des interventions subséquentes suivantes : «c’est quand les hommes cessent d’obéir à l’Église que sa mission de guider ou enseigner 81 Ibid., p. 243. 29 devient inopérante». En fait «l’autorité de l’Église doit être absolument acceptée»82. De telles affirmations ne vont certes pas dans le sens du dialogue proposé. En 1969, Bergeron réplique sur le même thème en lien avec l’arrivée d’une nouvelle génération de religieux83 au Québec. Il dresse de ceux-ci un portrait sans complaisance, dans le but de bien camper les positions et de faire avancer le débat. Les jeunes religieux contestent les aînés par leurs valeurs et leurs attitudes. Ils sont authentiques, solidaires, voire anticléricaux, car ils supportent mal le cléricalisme comme manière d’être. Ces jeunes ne croient plus en l’autorité du supérieur lorsqu’il s’agit de lui confier leurs volontés. Bergeron se fait l’écho de ces constats et pose la question suivante : ces jeunes ont-ils perdu le vrai sens de l’obéissance? Selon Bergeron, il n’est pas positivement moral de confier sa liberté à la gérance d’une volonté étrangère. C’est vider la personne de son autonomie. Or, le supérieur ou le cadre de vie communautaire tel qu’il existe présentement ne peuvent être des exigences objectives de la volonté de Dieu. Par ailleurs, la soumission à certaines règles du cadre imposé ne constitue pas l’essence de l’obéissance religieuse; elle est plutôt nécessaire au fonctionnement d’une collectivité. En effet, il faut distinguer l’obéissance au supérieur, voire le cadre de vie communautaire imposé, à l’obéissance radicale à Dieu. Les exigences évangéliques ne sont pas du même type que celles d’une adhésion à une forme de vie qui veut les favoriser. C’est pourquoi on peut ainsi questionner la forme de vie sans renier le but visé84. L’enjeu est de vivre l’obéissance dans un «contexte plus humain» où l’autorité du supérieur suppose lucidité, courage, compétence, prudence, psychologie et animation. Bref, l’autorité, au service des personnes dans la vérité et dans la charité, cherche le consensus sans compromission, dans la transparence avec tolérance, audace et ouverture sur le monde : … le mariage est facile entre l’autorité et la structure, les deux font facilement bon ménage, (…) elles se suivent et se protègent mutuellement : la structure sécurise l’autorité et garantit son pouvoir; l’autorité assure à la structure la 82 Pour un aperçu du débat, il faut consulter les bulletins Entre-nous de la communauté franciscaine du 28 février, 15 mars et 30 mars 1967. Dans le bulletin du 28 février, trois courts articles réagissent négativement à l’exposé de Bergeron : « Les jeunes religieux face à l’autorité». Bergeron répond le 15 mars en dénonçant l’inquisition et la censure dont il fait l’objet. Cette réponse fera elle-même réagir. Les citations, tirées d’un texte du 30 mars intitulé «Orthodoxie et prudence» d’Henri Langlois, témoignent de cette réaction. 83 « Les «nouveaux» religieux face à l’obéissance et à l’autorité», Vie des communautés religieuses 27, no 5, mai 1969, p. 130-145. 84 Ibid., p. 132-133. 30 protection de son prestige et de sa puissance et lui permet de demeurer intacte en dépit de la critique.85 Une telle conception de l’autorité est résolument plus dynamique que statique et permet d’éviter le piège de l’obéissance aveugle. L’engagement incessant de Bergeron dans cette réflexion fera en sorte qu’il écrira Obéissance de Jésus et vérité de l’homme en moins de deux mois lors d’un congé de perfectionnement à Cambridge. Toutefois, la publication du livre va se heurter à des embûches de taille, car ses positions ne sont pas considérées comme orthodoxes par l’autorité ecclésiastique. Il faudra le jugement d’un comité de lecture français pour que la publication en soit autorisée quatre ans plus tard. Ses supérieurs décideront alors qu’aucun droit d’auteur du livre ne lui sera versé en raison du traitement du sujet jugé trop tendancieux86. Pourtant, même si cette réflexion de Bergeron avait toute sa pertinence et aurait dû avoir une résonnance au sein de l’Église, on en trouve peu de traces. Pourquoi? Deux hypothèses sont possibles : il se peut que cela soit en raison de la réputation suspecte dévolue au livre avant même sa publication au sein de de l’institution ou, encore, que le momentum était perdu en raison du décalage entre le moment de son écriture alors que le débat battait son plein et le moment de sa publication où le sujet n’était plus à l’ordre du jour. Signalons quand même que, dans une étude fouillée sur l’obéissance religieuse87, Micheline D’Allaire, professeure à l’Université d’Ottawa, montre que l’obéissance religieuse au Canada s’est transformée en contexte canadien de 1965 à 1995 malgré la volonté contraire du Vatican. L’auteure qualifie les analyses de Bergeron de «rafraichissantes» tout en constatant que «dans l’ensemble du monde religieux, le problème de l’autorité et la définition de l’obéissance demeurent confus»88. Fort de cette réflexion sur l’obéissance, Bergeron entreprend son cheminement de vie en religieux autonome, bref en homme libre. De fait, Bergeron promeut une spiritualité ecclésiale qui suppose un renversement de la compréhension de la notion d’obéissance prévalant jusque-là au sein de l’Église québécoise. Sa position converge avec l’évolution de la société québécoise appelée à de 85 Ibid., p. 145. Il n’est pas sans intérêt de noter que Bergeron dédie à ses parents ce volume qui traite de l’obéissance. Par ailleurs, ajoutons que Bergeron, en exergue du volume, cite Balthazar à l’effet que l’obéissance se révèle être la donnée fondamentale de la christologie, champ d’intérêt qu’il privilégie durant cette période de maturation intellectuelle. 87 Micheline D’Allaire, «L’obéissance religieuse : discours romain, attitudes canadiennes», Études d’histoire religieuse 63, 1997, p. 97-111. 88 Ibid., p. 107. 86 31 grands défis sociopolitiques par sa révolution tranquille : l’État remplace rapidement l’Église dans les services offerts à la collectivité. Il faut le mentionner également, l’encyclique Humanae Vitae, promulguée le 25 juillet 1968, a donné lieu à un ressentiment certain et a provoqué une crise de confiance envers l’Église-institution chez les catholiques québécois. Un tel contexte devenait un terreau fertile pour en questionner l’autorité. D’ailleurs, durant cette période, plusieurs religieux demandent leur laïcisation, certains tirant les conclusions d’une vocation qui était plus à caractère sociologique que l’objet d’un véritable appel, d’autres ne pouvant plus accepter la façon dont s’exerce l’autorité dans le domaine religieux. La réflexion de Bergeron permet de revisiter la notion d’obéissance. Elle ne fait pas appel à une objectivité fondée sur une vision verticale descendante (tout part de Dieu), mais plutôt, en conformité avec une conception moderne, à une subjectivité fondée sur une vision ascendante qui demande une adhésion pleinement consciente de la personne au sein de sa communauté afin de permettre à celle-ci de s’élever vers Dieu. Bien sûr, cette dernière conception aura ses détracteurs et la confrontation conduira à des accommodements qui ne satisferont personne, qui seront l’occasion de fractures sans réparation possible. L’emprise de l’autorité de l’Église se fragilise donc dangereusement. En même temps, cette effervescence permet l’émergence de nouvelles communautés religieuses ou laïques qui s’appuient soit sur une vision ascendante, soit sur une vision descendante. En outre, les Québécois ont également accès à de «nouvelles religions» appartenant à l’une ou l’autre tendance et qui proposent une pratique religieuse, une spiritualité, différente de ce qu’ils avaient alors connu. C’est dans cet état d’esprit et dans ce contexte social singulier que Bergeron va à la rencontre des nouvelles religions, presque par hasard. Quant à sa situation personnelle durant cette période, elle tient du compromis qui illustre bien l’ambivalence qui l’habite : il sera un religieux, répondra à un supérieur, mais, de 1973 à 1977, il vivra seul en dehors de sa communauté. Au fil de la lecture phénoménologique des écrits de Bergeron émerge maintenant une préoccupation qui finit d’ailleurs par s’imposer chez lui : une affirmation de soi qui est une revendication d’autonomie. Il s’agit en fait pour Bergeron de se libérer du cadre institutionnel statique qui impose une façon de vivre en Église. C’est le deuxième moment repéré au cours de cette analyse. 32 2.1.2.2 Le cortège des fous de Dieu (1982) Chacun est appelé à être le pasteur de son âme : il doit donner un sens religieux aux étapes importantes de sa vie et faire à la spiritualité sa place nécessaire dans le quotidien. Allons-nous le faire en puisant dans les ressources de la religion qui est traditionnellement la nôtre? Ou dans le cadre de nouvelles religions qui offrent leurs services sur la place publique? C’est à chacun de choisir.89 C’est un concours de circonstances qui a conduit Richard Bergeron à s’intéresser au domaine des nouvelles religions. Professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal depuis 1967, il enseignait essentiellement la christologie alors que son champ d’intérêt premier était plutôt l’ecclésiologie, souhaitant ainsi répondre au problème de l’obéissance exigée du chrétien envers l’Église catholique. À ce stade-ci, Bergeron sent confusément un malaise. Cette obéissance est habituellement justifiée par le recours aux dogmes. Or, il s’insurgera bientôt contre le caractère pathologique du dogmatisme, voie bien souvent empruntée par une autorité doctrinale infaillible90. En avril 197591, le doyen de la Faculté de théologie, Léonard Audet, réunit les professeurs afin de préparer la nouvelle année. La Faculté devait identifier la problématique contemporaine en lien avec la religion devant faire l’objet d’une attention particulière pendant les prochaines années. Après s’être intéressée aux phénomènes liés à la sécularisation avec un chercheur chevronné comme Jacques Grand’Maison, elle décida de retenir pour les années suivantes la question des nouvelles religions. Comme personne n’avait d’expertise particulière pour investiguer ce champ qui prenait de plus en plus d’importance au Québec depuis les années 1970, Bergeron se porta alors volontaire. En juillet 1975, il donnait donc en cours d’été sa première leçon sur les nouvelles religions. De façon empirique, le matériau de départ allait être une dizaine de dépliants de «nouvelles religions» qui avaient pignon sur rue à Montréal. Cette cueillette d’informations se poursuivra et débouchera finalement en 1982 sur la création d’une typologie qui servira de grille d’analyse théorique. Le but ultime était de dégager les caractéristiques de ces groupes et de les jauger à l’étalon de l’Église catholique. 89 Richard Bergeron, «Dossier sur les nouvelles religions», Revue Notre-Dame (RND), septembre 1996, p. 13. 90 Voir «Mon parcours théologique (1950-2000) ou le passage du dogme au sujet» dans Des théologies en mutation; parcours et trajectoires, Montréal, Fides, 2002, p. 64-80, en particulier, p. 64-65. Il désignera son malaise comme étant «une hétéronomie totale de la personne au nom d’un Dieu aliénant…» 91 Renseignements obtenus lors d’un entretien avec Richard Bergeron, le 23 mars 2013. 33 Bergeron ignorait à ce moment-là que ce détour par les nouvelles religions déboucherait sur une reconsidération de son intérêt originel pour l’ecclésiologie et lui donnerait une perspective différente pour appréhender les contours de l’Église. De plus, sa renommée comme théologien deviendra vite fort importante au Québec et ailleurs, en partie grâce à l’expertise unique qu’il acquiert à un moment où le besoin de compréhension de ce nouveau phénomène revêt un caractère d’urgence au sein de nos sociétés occidentales en raison de l’attrait exercé par ces nouvelles religions auprès de la population. On ne compte plus le nombre d’interventions publiques de Bergeron dans ce domaine de 1984 à 1994, durant les années où il fut directeur du Centre d’information sur les nouvelles religions92 et s’occupait à la fois des orientations de ce centre, de son financement et de la publication d’une collection consacrée à ces travaux spécialisés93. Cette recherche comportait en elle-même des difficultés théoriques, mais elle exigeait aussi de la part du chercheur des talents d’équilibriste exceptionnels pour être conduite en tout respect du point de vue de l’Église à ce sujet. Une telle recherche s’appuyait sur des éléments observables : La religion n’est pas seulement une affaire privée se limitant à une expérience intérieure et à une relation verticale individuelle avec le divin. Puisque l’être humain n’existe que socialement, toute religion se présente nécessairement comme un corps social avec son système doctrinal, ses structures, ses rites et ses lois destinées à gérer les rapports entre les membres et les relations avec la société.94 C’est sur cette toile de fond que se déroule la recherche sur les nouvelles religions. Comme nous le savons, avant Vatican II, les autorités de l’Église catholique trouvaient bien peu de vertu à l’œcuménisme, sinon celle de faire cheminer les autres religions vers la Voie et la Vérité que l’Église prétendait incarner. Il s’agissait plutôt de débusquer les erreurs doctrinales et/ou les comportements erratiques afin de ramener les brebis égarées à l’intérieur du bercail. Le Québec des années 1950 et même 1960 était d’ailleurs une pépinière de missionnaires dont le but était de sauver ces âmes qui, au meilleur des cas, iraient au purgatoire faute de ne pas avoir rencontré la religion vraie. 92 Bergeron sera membre du conseil d’administration par la suite de 1994 à 1998. Cette collection, sous la responsabilité du Centre d’information sur les nouvelles religions, était publiée par Fides. Il s’agissait de courtes études sur des thèmes en lien avec les nouvelles religions. 94 Vivre au risque des nouvelles religions, Montréal, Médiaspaul, 1997, p. 12-13. 93 34 Certes, un nouveau ton sera adopté après le concile Vatican II, comme en fait foi la fin du paragraphe 2 de la Déclaration Nostra aetate95 sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes : L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions non chrétiennes. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes. Toutefois, elle annonce et elle est tenue d’annoncer sans cesse le Christ qui est la Voie, la Vérité, la Vie, dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel Dieu s’est réconcilié toutes choses. Ce nouveau ton était beaucoup moins limitatif que ce que pouvait exprimer l’Église d’avant le Concile à propos d’une possible rencontre avec les autres religions. Mais la question restait entière : quelle devait être la tâche dévolue au chercheur Bergeron s’il voulait respecter l’esprit de ce document ? L’Église … exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et charité, par le dialogue et par la collaboration avec les adeptes d’autres religions, et tout en témoignant de la foi et de la vie chrétienne, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles, qui se trouvent en eux. Connaître, comprendre dans un portrait d’ensemble, expliquer la différence, retrouver le semblable et témoigner de la nature totalisante de sa propre religion (et donc d’une supériorité qui passe de l’explicite à l’implicite dans les documents conciliaires) : telles étaient les principales tâches qui balisaient la route. Certes, la manière est différente, la rencontre plus respectueuse, mais elle s’appuie sur une affirmation indépassable : «Dans l’Église catholique seule est l’unique Église du Christ», affirmation faite par la Congrégation de la doctrine de la foi dans une déclaration ultérieure (Dominus Iesus, 2007). Cette position veut préciser l’esprit de la constitution dogmatique sur l’Église qu’est Lumen Gentium (1964) : les fidèles catholiques « …ne pourraient-ils pas être sauvés, ceux qui, sans ignorer que Dieu, par Jésus-Christ, a établi l’Église catholique comme nécessaire, refuseraient cependant d’y 95 Passée en dernière lecture lors de la quatrième session du concile, et approuvée par 2 221 voix contre 88, cette Déclaration est immédiatement promulguée (28 octobre 1965) par le pape Paul VI. «Nostra Ætate est le plus court des documents de Vatican II : il en est peut-être également le plus révolutionnaire, car il ouvre l’Église au dialogue interreligieux, il veut renouveler entièrement les relations que les catholiques souhaitent établir avec les juifs, musulmans, bouddhistes, hindous et même ceux qui suivent les autres religions» (Source Wikipédia, consultée le 25 septembre 2013). 35 entrer ou de demeurer en elle »96. Enfin, pour les chrétiens non catholiques, le même document fera état de l’exigence de l’unité à reconstruire. Dans un texte bilan paru en 200297, Bergeron fait une synthèse du déploiement de sa recherche d’une quinzaine d’années qui seront, de son propre aveu, parmi les plus prolifiques de sa carrière. En effet, au cours de cette période, il publie sept livres, une quantité impressionnante d’articles investiguant cette nébuleuse des nouvelles religions en plus d’organiser plusieurs colloques et au moins deux congrès internationaux. Avec la publication du Cortège des fous de Dieu98 en 1982, Bergeron est devenu l’autorité en la matière au Québec. Certaines de ces publications s’intéressent à un aspect singulier d’un point de cette nébuleuse alors que d’autres esquissent une vue d’ensemble. Les publications du début laissent apparaître une démarche scientifique qui tâtonne, alors que celles de la fin seront des essais qui, délaissant quelque peu la méthode, visent à ouvrir de nouvelles avenues. D’ailleurs, il faut mentionner que le Cortège des fous de Dieu est l’aboutissement d’une recherche intensive de six ans. Ce livre de plus de 500 pages, qui se veut une étude terrain portant sur les nouvelles religions au Québec, est constitué de cinq parties au développement inégal en raison même de l’importance accordée aux descriptions des nouvelles religions : la première partie porte sur la méthode utilisée; la deuxième dresse une topographie des nouvelles religions; la troisième propose des schèmes théoriques de la secte et de la gnose contemporaine; la quatrième donne des jalons pour une interprétation chrétienne de ce phénomène; et la cinquième se veut une interpellation des chrétiens qui rencontrent les nouvelles religions. Comme on le constate, l’articulation du livre suit l’orientation souhaitée par l’Église envers les nouvelles religions et Bergeron l’affirme d’emblée dès l’introduction : Notre perspective se veut chrétienne. (…) Nous tenterons de les comparer au christianisme et de les comprendre dans une vision chrétienne. C’est en qualité de chrétien que nous abordons ce problème.99 96 Voir à ce sujet le Catéchisme de l’Église catholique, 846 à 848. L’interprétation que donne le Catéchisme de ces textes peut différer d’autres interprétations possibles quand on se réfère à l’esprit même des textes. Il s’agit ici d’en donner une interprétation usuelle. Ce que le Catéchisme fait. 97 «Mon parcours théologique (1950-2000)…», p. 70 à 72. Bergeron citera deux références à ces écrits comme les plus représentatifs de cette période : Le cortège des fous de Dieu (Montréal, éd. Paulines, 1982, 511 pages) et «Les religions sont-elles des demeures de Dieu?», dans Jean-Claude Petit (dir.), Où demeures-tu? (Montréal, Fides, 1994, p. 461-485). 98 Voir la note précédente pour la référence complète. 99 Cortège…, p. 14-15. 36 Pour ce faire, Bergeron utilise une méthode qu’il qualifie de typologie dynamique et qui consiste à élaborer des types de religion, à les comparer, à les confronter au type chrétien. Cette méthode comporte en fait quatre étapes : Analyser un certain nombre de religions particulières pour en faire ressortir des caractéristiques communes; Faire apparaître, en s’inspirant de ces caractéristiques communes, une typologie qui permet de comprendre les rapports entre ces religions; Vérifier la pertinence du modèle afin d’inclure ou non tel groupe sous un type particulier (révision du découpage géographique et historique qui permet de délimiter un tel type); Procéder à une analyse comparative plus générale et à une interprétation théologique des types de religion. Voilà où devait mener cette investigation. La quatrième étape devait permettre, dans une perspective chrétienne, « de poser de solides questions aux groupes et de leur adresser des critiques pertinentes, ainsi que de recevoir leurs contestations et leurs interpellations »100. Pourtant, une telle méthode a son revers et certains écueils sont rétrospectivement identifiés par Bergeron. Cette méthode simplifie le réel au point parfois de le trahir. De même, Bergeron signale la difficulté herméneutique : le chercheur pressent l’unité des religions dans la multiplicité; il affirme cette unité et il fait un retour à la multiplicité dans une analyse critique qui réaffirme cette unité. Chacun de ces passages de la multiplicité à l’unité et de l’unité à la multiplicité peut cacher des failles. Toutefois, il faut reconnaître à ce type d’analyse une utilité pratique : présentant les traits distinctifs d’une nouvelle religion, elle les situe selon une cartographie des religions qui permet tout au moins d’en mesurer les différences. Même si cette étude «à maints égards impressionnante» aurait pu être complétée par une étude sur la manière dont les adeptes des nouvelles religions concilient celles-ci avec une possible appartenance chrétienne101, il y a aussi un écueil épistémologique qu’il faut prendre en compte. Ainsi, André Couture, dans une Note102 consacrée au livre, 100 Ibid., p. 16. Roland Chagnon, compte rendu de Richard Bergeron, Le cortège des fous de Dieu, Montréal, Paulines, 1982, paru dans Sciences religieuses/Studies in Religion, 12, no 1, 1983, p. 92-94. 102 André Couture, «Sectes et gnose au Québec, Note sur le Cortège des fous de Dieu de Richard Bergeron», Laval théologique et philosophique, 39, no 2, 1983, p. 215-219. À la suite de la parution de ce texte, Bergeron a rencontré Couture, et a convenu des problèmes qu’il recélait quand on regardait ce travail du point de vue des sciences des religions (propos rapportés par André Couture, février 2015). Dans un long article portant sur l’opposition entre réincarnation et résurrection («Réincarnation ou 101 37 soulignera que la démarche de Bergeron, qui «se veut rigoureuse», reste située résolument dans une perspective chrétienne avec les limites d’une telle position. L’analyse de Bergeron s’inspire également d’une «certaine philosophie de la religion»103 qui se retrouve également dans l’élaboration de sa méthode de typologie dynamique. En fait, les nouvelles religions se trouvent jugées ici à l’aulne d’un christianisme idéal, en l’occurrence le catholicisme. Couture voit parfois en Bergeron un philosophe qui réfléchit sur les sectes à partir d’un savoir immuable : …on a parfois l’impression que le croyant Bergeron ne devient philosophe de la religion que pour soudain se retrouver en possession d’une haute connaissance de tous les principes secrets susceptibles de rendre compte de la présence encombrante des divers groupes religieux autres que le catholicisme. Ce christianisme philosophique déjà réduit à l’état de schème abstrait fonctionne en pratique comme une gnose unifiante… C’est pourquoi Couture en arrive à mettre en doute la pertinence d’une classification des nouvelles religions imposée d’autorité et qui en arrive à «court-circuiter» la recherche. Malgré cette réserve, à titre de pionnier dans ce domaine, Couture affirme que le travail de Bergeron n’en garde pas moins sa valeur. Ce que souligne également Alain Bouchard en insistant sur le fait que, pour Bergeron, le phénomène des sectes est la «conséquence du retrait de l’Église catholique de la sphère publique»104 . Être interpellé, selon l’usage courant, c’est susciter un intérêt, un écho105. Bergeron ne pouvait pas ne pas être sensible aux questions soulevées par les interpellations des nouvelles religions. Ces interpellations renvoyaient, par ailleurs, à une question fondamentale : l’Église institutionnelle serait-elle dépassée? Sinon, elle se devait de « retrouver sa crédibilité et sa pertinence dans la modernité séculière »106. C’est pourquoi Bergeron se devait d’aller plus loin, non plus à la manière d’un analyste, mais à résurrection? Revue d’un débat et amorce d’une recherche», Science et Esprit 36, no 3, 1984, p. 351-374 ainsi que 37, no 1, p. 75-96), Couture a également critiqué la brochure rédigée en 1979 par Bergeron sur ce thème (Faites vos Jeux! Résurrection et Réincarnation). En 1985, Bergeron réécrira son texte sous le titre Un chrétien face à la réincarnation en tirant le maximum de profit des remarques qui étaient faites dans cet article, tout en se situant clairement du point de vue théologique. On peut dire que Bergeron est devenu un spécialiste des religions un peu par défaut, ce qui ne veut pas dire qu’il n’ait pas fait œuvre utile. Mais il reste avant tout un théologien. En fait, cette exploration des nouvelles religions l’a peu à peu conduit à réfléchir à des questions de théologie des religions. 103 Ibid., p. 217. La prochaine citation de Couture est à la page 219. Notons qu’André Couture constate, dans l’élaboration théorique de ce livre, une certaine filiation avec les travaux de Mircea Eliade. 104 Alain Bouchard, «Les nouveaux mouvements religieux et le phénomène des sectes», dans Jean-Marc Larouche et Guy Ménard, L’étude de la religion au Québec, Québec Presses Université Laval, 2001, p. 221. 105 Petit Robert 2006 au mot «interpeller», p. 1390. 106 Revue Notre-Dame, sept. 1996..., p. 11 38 la façon d’un anthropologue qui, voyant les limites du descriptif et du comparatif, s’engage à connaître de l’intérieur en pratiquant l’observation participante. Certes, une personne n’en sort jamais indemne, mais n’est-ce pas le lot de tout travail intellectuel qui touche des enjeux personnels? Bergeron ira donc à la rencontre des autres cultures religieuses dans un esprit de véritable dialogue : il aura des échanges avec leurs représentants, il lira leurs textes fondateurs et il se livrera à différentes pratiques de méditation issues de ces traditions. Cette posture dialogale, pour être sincère, avait comme conséquence d’obliger Bergeron à mettre en parenthèses les exigences d’exclusivisme de l’Église catholique. C’est ainsi que Bergeron allait connaître une nouvelle étape dans sa vie d’homme d’Église : après les phases dogmatique et existentielle, il entrait dans sa phase «pluraliste». Bergeron prend alors vraiment en compte la pluralité religieuse. Il en conclut que les religions sont moins des moyens de salut que des dépositaires d’une tradition de révélation qui aident l’être humain à trouver sa propre voie de salut. Une telle vision suppose que la vérité religieuse est relative, relationnelle et plurielle. Le critère pour en décider n’est plus le Christ ou le dogme, c’est l’humanum, c’est-à-dire «Jésus en tant qu’il représente, aux yeux du chrétien, la meilleure révélation de l’humain devant Dieu». Le changement de perspective est radical. L’approche sera dorénavant un «modèle pluraliste théocentrique de type basileucentrique»107, un modèle qui lui est propre. Les problèmes investigués au cœur d’un tel modèle sont, bien sûr, la question de Dieu et de son règne, la fonction du Christ (unicité, singularité, universalité) et l’ecclésiologie (notamment la mission de l’Église). Bergeron poussera même plus loin sa réflexion dans un article intitulé «Les religions sont-elles des demeures de Dieu?»108, publié en 1994. Il part du constat que l’époque contemporaine a chambardé la conception que la conscience humaine a d’elle-même : elle se sait maintenant historique et planétaire. Ce qui a des conséquences sur la compréhension des religions, même d’un point de vue chrétien. D’une part, puisque les humains ont conscience de vivre dans une histoire, cela veut dire que l’absolu du Christ est saisi également dans la relativité de son histoire. Toute vérité chrétienne est donc elle-même relative aux formules qui essaient de la dire. C’est 107 Mon parcours…, p. 72. Dans un entretien récent, 18 avril 2013, Bergeron trouvait la formule malheureuse. Le seul centre qu’il voulait considérer : les manifestations du Royaume de Dieu. La formulation n’est-elle pas indicatrice d’une ambiguïté dans sa réflexion à cette époque? Délaisser le théocentrisme avait des répercussions importantes selon le point de vue adopté. Signalons que cette notion de «basileucentrique» sera abandonnée par Bergeron parce qu’elle n’a pas la puissance explicative souhaitée en ce qui a trait au phénomène religieux. 108 «Les religions sont-elles les demeures de Dieu?»…, nous résumons ici les pages 463 à 485. 39 ainsi que l’exclusivisme ecclésiologique ne peut se fonder que sur un absolu relationnel, la vérité du christianisme étant relative à ce qu’il y a de vrai dans les autres religions. Il ne saurait donc y avoir a priori d’exclusion ou d’inclusion. D’autre part, puisque les humains ont maintenant une conscience planétaire, les chrétiens doivent accepter la dimension transculturelle de leur foi chrétienne et se rendre compte que cette foi va au-delà de la chrétienté et de la culture occidentale. Dès lors, Bergeron propose d’explorer une théologie de la religion qui dépasserait la perspective théocentrique du modèle pluraliste et cela, sans préjuger des transformations du christianisme que pourrait causer la rencontre avec d’autres religions. Des balises minimales sont formulées aux fins de cette exploration : Dieu est au-delà de toute pensée et formule; Dieu se révèle à chacun sous un angle ou selon un aspect particulier dans le cosmos et/ou dans l’histoire; Les révélations, même si elles sont variées, comportent toutes une promesse de salut; Les religions sont des réponses humaines, des moyens institutionnalisés pour indiquer la voie du salut; Tout révélateur authentique est homme de Dieu; Jésus est l’unique médiateur entre les humains et Dieu en tant que Père; « Toute religion doit être soumise à la norme de l’expérience révélationnelle fondatrice qui lui a donné le jour et non à la norme d’une autre religion ou d’une autre expérience fondatrice»109. La religion est présentée ici comme une réponse de l’être humain à la suite d’une révélation d’un Dieu inconnaissable. Elle peut prendre de multiples formes. Ces révélations, qui sont autant de promesses de salut, sont valables si elles sont authentiques. Elles doivent être jugées pour elles-mêmes. La question de l’authenticité est certes au cœur de cette exploration. La fréquentation des autres religions, pour peu qu’on le fasse honnêtement, ne peut donc qu’influencer la perspective chrétienne qui s’en enrichit. Bergeron, conscient du risque, s’en fera l’écho, car il ne s’agit plus maintenant d’avoir un étalon pour juger d’une religion, encore moins de référer à son lieu d’appartenance; 109 40 Ibid., p. 485. Apprendre à vivre la pluralité religieuse d’une manière adulte et responsable n’est pas chose facile. À l’école du pluralisme, on ne fait pas ses classes sans y mettre beaucoup d’intelligence et de doigté, parce que la situation n’est pas très œcuménique et que le terrain est souvent piégé.110 Dans sa réflexion théologique, de par son histoire personnelle, Richard Bergeron s’est toujours questionné sur le type de rapport qu’il devait avoir envers l’Église-institution. La rencontre de nouvelles religions a certainement permis au théologien de revenir sur cette question lancinante, mais également de s’ouvrir à des compréhensions différentes d’un tel enjeu et de résoudre ce problème de manière originale et singulière pour luimême. Ainsi, l’investissement du chercheur Bergeron ne s’est pas fait à coût nul. Il a payé de sa personne dans ce dialogue qu’il devait inventer afin d’entrer véritablement en relation : M’est avis que la personne s’implique toujours personnellement dans son acte de connaître : toute connaissance comporte nécessairement des éléments subjectifs. L’expérience religieuse personnelle est un lieu herméneutique privilégié pour comprendre l’expérience de l’autre.111 De fait, Bergeron ne s’est pas «préservé» : il n’a pas gardé la distance requise par l’institution. En effet, il n’est plus seulement un théologien catholique qui investigue les autres religions, mais un croyant qui entre en relation avec d’autres croyances de manière personnelle. Procéder ainsi, en marge, revient à s’exposer à la marginalisation. Tel sera son destin par la suite. Parler du lieu de son expérience religieuse personnelle peut disqualifier le théologien qui s’inscrit dans une tradition. L’Église catholique accueille les autres religions, mais sa prétention à l’absoluité et à l’exclusivisme fait en sorte que tout dialogue est compromis. La rencontre ne peut avoir lieu. Toutefois, une retombée non négligeable du Concile a été cette nouvelle disposition à la tolérance envers la différence de l’autre, et Bergeron a misé sur cette ouverture pour s’impliquer personnellement dans le dialogue. Les travaux de Bergeron obligent à reconsidérer l’angle mort de la rencontre des religions d’un point de vue chrétien. Contre toute attente, ils ont redéfini ce point de vue. En effet, ce dialogue avec les nouvelles religions ne peut plus être le même qu’en ces débuts. Il faut en prendre acte. 110 Texte de Richard Bergeron dans Centre d’Information sur les Nouvelles Religions (dir.), Nouvel Âge… Nouvelles croyances, Montréal, Paulines & Médiaspaul, 1989, p. 49. 111 Vivre au risque des nouvelles religions…, p. 225. 41 Cette période consacrée à l’étude des nouvelles religions fut très fructueuse au plan professionnel pour Richard Bergeron. Elle lui a d’ailleurs valu une notoriété appréciable en ce domaine : il était l’expert, reconnu par l’institution, appelé à analyser ces types de phénomènes lorsque le besoin se faisait sentir. Le théologien laissait ainsi la place à l’historien des religions ou encore au sociologue des religions. Par voie de conséquence, cette période a été moins profitable au plan de la réflexion théologique qu’il avait initiée. Bien sûr, sur le plan existentiel, cette exploration a permis d’expérimenter, d’ouvrir de nouvelles avenues en même temps qu’elle a laissé entrevoir toute la distance existant entre la religion catholique et les autres religions dans la perspective d’une ouverture au dialogue. Reprenant le cours de son questionnement existentiel, le théologien s’est préoccupé de cette distance en cherchant à la diminuer le plus possible. On peut penser aussi que la fréquentation des nouvelles religions, dont plusieurs exigent une obéissance radicale, a contribué à remettre la question de l’obéissance au cœur de sa réflexion. Ainsi, Bergeron, en tant que théologien, mais non plus en tant qu’homme d’Église, reprendra sa recherche et tentera de la solutionner par le dialogue interreligieux dans une perspective anthropocentrique où la construction d’une spiritualité inscrite dans la sécularité et le pluralisme lui permettra de prendre en compte tous les types de manifestation du religieux112. Ce qui, en dernier ressort, caractérise Bergeron dans les travaux de cette période, et sans que cela soit formulé clairement, c’est la volonté de sortir du cadre institutionnel tout en prétextant chercher à le bonifier. La démarche phénoménologique que nous utilisons nous permet de repérer un troisième moment dans l’évolution de Bergeron, et une troisième préoccupation : l’autonomie de l’être humain s’affirme ici comme liberté de choisir en lieu et place de l’institution. 112 42 Ce sera le sujet de son livre Hors de l’Église, plein de salut!, Montréal, Médiaspaul, 2004. 2.2 Richard Bergeron hors-jeu : Les pros de Dieu (2000) Purifier le Temple, c’est extirper du dedans de soi les structures objectivantes juridicolégales de la religion et se convertir à la subjectivité.113 À la fin des années 80, après toutes les secousses engendrées par le refus des autorités ecclésiastiques de s’ouvrir à la théologie de la libération qui avait reçu, par ailleurs, un accueil assez favorable de la part d’une partie de l’Église du Québec, une nouvelle onde de choc, presque un tsunami, va ébranler l’institution, et encore plus ses représentants. Cette attaque frontale sur le statut de clercs que constitue la parution de Fonctionnaires de Dieu114 questionne la structure même de l’Église. Le best-seller de Drewermann paraît en 1989, et sa traduction française en 1993. Cet ouvrage agira comme un révélateur. Là où, il n’y a pas si longtemps encore, Bergeron tentait de proposer des aménagements, il en viendra à une conclusion radicale : c’est l’Église elle-même que l’on se doit de reconstruire sur de nouvelles bases. Si Drewermann a un tel impact chez Bergeron, c’est que de tels travaux sont en phase avec sa propre démarche. Un tel basculement est aussi en lien avec la prise en compte de la subjectivité dans la réflexion théologique. La subjectivité en était le point aveugle, de même qu’elle l’était également dans le cheminement de vie qui est le sien. Le cadre de référence théorique dans lequel évoluait la pensée de Bergeron perdait de facto de sa pertinence. Il fallait en revoir les fondations. Ce qui ne pouvait pas ne pas avoir de conséquences sur les deux dimensions de Bergeron, le clerc et l’homme. C’est ainsi qu’il se référera à ce tournant dans un texte personnel de 1997 où il fait le bilan de sa vie et où il esquisse les prochains défis qu’il choisit d’affronter en cohérence avec son cheminement. Il intitule fort justement ce texte Projet de vie115. Cette remise en question majeure aboutira à sa sortie de la communauté franciscaine en 1998, à l’âge de 65 ans, et à une demande formelle de laïcisation en 2000. Elle se reflétera graduellement dans ses publications qui se distancieront de l’Église de l’époque en même temps qu’elles s’en rapprocheront pour en arriver à une formulation plus personnelle de son lien avec l’institution, moins antagoniste, mais pas pour autant fidèle à l’orthodoxie en cette matière. 113 Richard Bergeron, Les Pros de Dieu, Montréal, Médiaspaul, 2000, p. 210. Eugen Drewermann, Fonctionnaires de Dieu, Paris, Albin Michel, 1993, 758 p. D’entrée de jeu, l’auteur écrit : «…on ne saurait rendre sa crédibilité à l’état clérical que si on réussit à reconstituer «l’unité de Narcisse et Golmund», à vivre cette unité. Ainsi seulement le clerc pourra correspondre à l’exemple de Jésus…» (p. 22). L’outil privilégié pour refaire cette unité est la psychanalyse, et Drewermann puise son exemple dans le célèbre roman du même nom (Herman Hesse, 1930). Bergeron fait peu allusion à cette méthode même si, dans son parcours personnel, il y aura brièvement recours. 115 Ce texte, que nous avons pu consulter, n’a jamais été publié: Bergeron souhaitait en préserver le caractère privé. 114 43 Cette démarche mûrement réfléchie, qui prendra plus de trois ans avant d’aboutir à une conclusion définitive, poussera Bergeron «hors jeu». C’est ainsi que sa voix autorisée par un triple statut de prêtre, religieux et théologien, et dont la crédibilité était reconnue par tous, n’aura plus du tout la même audience. Les invitations à prendre la parole en tant que théologien qu’il reçoit de la part de l’Église se réduiront comme une peau de chagrin. Du fait de sa prise de retraite, le théologien s’éloignait des circuits où il intervenait régulièrement, mais le fait de quitter les ordres le coupait plus radicalement encore de l’audience qui avait été la sienne jusqu’alors. Ainsi, presque du jour au lendemain, son expertise n’était plus recherchée; ses talents de conférencier n’étaient plus sollicités par les communautés et les paroisses. Les quelques tribunes qui avaient recours à lui le sollicitaient en raison de ses liens avec le milieu théologique. L’homme, qui avait énormément perdu de son influence, n’a cependant jamais douté avoir gagné en cohérence personnelle. C’est à ce titre que ses publications ultérieures ont connu un succès certain. Ainsi, d’homme de confiance qu’il était, Bergeron suscitait maintenant la méfiance en Église, ses choix pouvant être le signe d’une «faille» doctrinale, voire d’une «faillite» doctrinale, dont il fallait préserver la communauté. Toutefois, il demeurait un intellectuel respecté au sein de la société québécoise. À l’âge où l’on prend habituellement la retraite afin de couler des jours paisibles dans le sillage de ce qu’on a fait, Bergeron change donc radicalement de vie. Cette renaissance, pleinement assumée, n’allait pas sans deuils. D’abord, le deuil de l’appartenance : quitter sa communauté, s’en exclure, pour vivre en périphérie, c’est se distancier de sa famille spirituelle et accepter la précarité de l’autonomie individuelle. Ensuite, le deuil du statut sacerdotal : ne plus être prêtre, c’est se voir même interdire toute fonction d’accompagnement pastoral alors que les ouvriers sont de moins en moins nombreux. Ces deuils se sont accompagnés d’autres deuils déjà enclenchés comme la retraite de l’université et l’éloignement, à son corps défendant, de sa participation à son centre d’études sur les nouvelles religions. Malgré tous ces deuils à vivre en raison de sa quête d’authenticité, Bergeron ne renonce pas à l’intelligence de la foi, d’une foi enracinée dans une conviction profonde d’avoir choisi la vie : On se quitte et on part parce qu’on est devenu étranger autant à soi-même qu’à son monde religieux et à son environnement social. La grande partance commande le réaménagement des rapports qui définissent sa vie : rapport à soi, aux autres, au monde et, à travers ces rapports, relation à Dieu. Le familier produit l’usure : la répétition, le sommeil; l’agitation, la dispersion; l’activisme, l’essoufflement. Au cœur de l’expérience du dépaysement et du sentiment d’étrangeté, gît un puissant dynamisme de renouveau qui fait de l’étranger un pèlerin, un itinérant en marche vers son inaccessible Compostelle. Quand notre 44 propre masque nous devient étrange, que Dieu nous paraît bizarre et que le monde cesse de nous convenir, c’est l’heure du grand départ. Aussi longtemps que Dieu, le dogme, le monde et notre personnage nous sont familiers, rien ne se passe. Pas de questions. Que des réponses. Or, c’est dans le mouvement que la recherche de la vérité chemine et se révèle à la fois. La question possède une force dont est dépourvue la réponse. Et toute réponse qui ne pose pas une nouvelle question fausse le cheminement; elle court-circuite la force du mouvement; elle se suicide en devenant une fin, c’est-à-dire une vérité qui se meurt parce que personne n’a plus de question à lui poser. C’est dans cette ouverture au questionnement que nous nous livrons à nous-mêmes, aux autres et à l’Autre, dans la certitude de demeurer à nous-mêmes un mystère inépuisable dont nous ignorons le chiffre.116 Bergeron résume ici la posture que prend désormais sa quête à la suite de ces derniers travaux. Nous avons déjà esquissé à grands traits cette posture : elle se veut une recherche existentielle en lien avec un drame personnel avant que d’être une question intellectuelle. Un pas de plus est franchi dans la compréhension de cette posture par le partage de son drame personnel, il en fait même un cas d’école. Cette quête n’a pas de fin, elle est incessante comme s’il fallait qu’il en soit ainsi afin de purifier le chercheur des idées reçues, voire de son conditionnement culturel. Ce qui peut advenir de mieux pour Richard Bergeron est à ce prix, car il est trop à l’étroit dans le cadre défini par l’Église-institution. Une telle posture se situe d’ailleurs en ligne droite avec le constat d’un Paul Valadier : Un rôle majeur des religions est de mettre les sociétés devant un Absolu qu’elles ne peuvent pas domestiquer, mais qui au contraire les ouvre à un au-delà de leur quiétude. Aider toute société à se vouloir «ouverte», plutôt que «close», tel est sans doute un rôle éminent que joue toute religion.117 Nous retrouvons, dans le livre Les pros de Dieu, une première conséquence d’une telle transformation, ce livre étant la première partie d’une sorte de triptyque sur le même thème118. Il s’agit d’un livre-bilan aux accents parfois vindicatifs, parfois pamphlétaires, mais toujours autocritique et fortement inspiré par Drewermann : d’entrée de jeu, 116 Richard Bergeron, «La grande partance» dans Richard Bergeron, Guy Lapointe et Jean-Claude Petit (dir.,), Itinérances spirituelles, Montréal, Médiaspaul, 2002, p. 36. 117 Paul Valadier, L’intelligence de croire, Paris, Salvator, 2014, p. 21. 118 Voir Marcel Côté, compte rendu de Richard Bergeron, Les pros de Dieu, Montréal, Médiaspaul, 2000; Renaître à la spiritualité, Montréal, Fides, 2002; Itinérances spirituelles, Montréal, Médiaspaul, 2002; paru dans Science et Esprit, vol. 56, no 1, 2004, p. 131-133 : «Ce triptyque permet, par approches concentriques, d’arriver le plus près possible de la démarche spirituelle que propose Bergeron», p. 131. 45 Bergeron juge son texte «sans fard et sans nuance, cléricalement non correct, théologiquement impertinent et religieusement inconvenant»119. De fait, il remet en question les trois facettes de son être historique qui sont autant de personnalités institutionnelles de l’Église : le prêtre, le théologien et le religieux. D’ailleurs ce livre de plus de 170 pages est divisé en trois parties correspondant à ces personnalités institutionnelles. En cela, il ramène le lecteur au cœur de la triade des fonctions de l’Église telles que décrites par Newman : les fonctions royale, prophétique et sacerdotale. Ces personnalités institutionnelles sont des «pros» en raison du pouvoir qu’elles exercent sur les choses au nom de Dieu (personnalité royale), du savoir qu’elles détiennent (personnalité prophétique) et du mode de vie consacrée qu’elles érigent en modèle (personnalité sacerdotale). Or, ces prétentions ont leurs revers : Le premier «officie», et parce qu’il œuvre ex opere operento, il se croit du côté de Dieu; le deuxième «sait», et parce qu’il sait, il pense connaître Dieu; et le troisième, «il l’a l’affaire», et parce qu’il est vertueux, il se croit saint. Ce qui fait leur grandeur et leur donne avantage sur le chrétien ordinaire, c’est exactement ce qui peut constituer leur entrave.120 D’où la question fondamentale à laquelle est renvoyée Bergeron : peut-on posséder Dieu sans en abuser? Question qui renvoie elle-même à une autre question plus personnelle : peut-on prétendre posséder Dieu sans s’abuser soi-même? Ce qui n’est pas sans interroger également le regard que l’on peut avoir sur la religion. Car, Bergeron le note, «la religion révèle sa vraie nature par l’effet bénéfique ou maléfique qu’elle produit sur l’homme quand elle parle de Dieu»121. Cette affirmation fait réfléchir lorsqu’on dresse un bilan des différents effets produits par l’Église depuis sa fondation. Certains de ces effets n’ont pas été heureux, certains ont même été contre-productifs. Or, ce bilan, l’Église en est d’autant plus responsable qu’elle a donné à ses représentants, ses clercs, la garde exclusive des fonctions qui lui sont associées. C’est dans cette perspective que Bergeron ira même plus loin et formulera un vœu qu’il qualifie de sacrilège : l’Église doit connaître une destruction analogue à celle du Temple de Jérusalem122, cette destruction ayant été pour le judaïsme l’occasion d’une renaissance en raison de l’abolition de la caste cléricale et de la fin de son hégémonie sur la nation juive. Bergeron pense que le même bouleversement serait souhaitable pour l’Église catholique. Malgré le choc des ultimes décisions, Bergeron reste fidèle à Newman et la réflexion qui guide cette étape cruciale de son cheminement rejoint les 119 Pros de Dieu…, p. 7. Ibid., p. 10-11. 121 Ibid., p. 13. 122 Ibid., p. 17. 120 46 postulats qu’il a avancés dans ses premières années de théologie. Ainsi, il suggère qu’une telle refondation pourrait s’inspirer des principes constitutifs d’un christianisme authentique selon Newman : les principes historique, sacramentel et dogmatique. Le principe historique assure la fonction royale par ses responsables locaux, régionaux et une autorité centrale garante de l’unité dans la diversité. Le principe sacramentel recouvre la fonction sacerdotale en tenant compte du temps, du lieu et de la culture, car la forme du sacrement doit être adaptable, si l’on veut en préserver l’efficacité et le sens symbolique. Le principe dogmatique est au fondement de la fonction prophétique, cette dernière étant «la façon chrétienne de dire Dieu et sa relation aux humains»123. C’est là, au cœur même de cette fonction prophétique, que se situent l’enseignement et la recherche. Selon Bergeron, il faut briser le monopole qu’exerce le haut-clergé sur les trois fonctions; leur cumul est néfaste et étouffe la liberté des croyants. Favoriser la séparation des pouvoirs qui ont par la suite à s’harmoniser était ce que préconisait déjà Newman, et Bergeron le rappelle : Que le pouvoir ecclésial fonctionne à partir du principe qui est le sien propre, c’est-à-dire l’opportunité, au sens noble du terme. Que le doctrinal fonctionne à partir de son principe propre qui est la vérité; le judiciaire, à partir de son principe qui est la loi; et le pastoral, à partir de son principe propre : l’édification, c’est-à-dire ce qui est de nature à construire l’être humain intégral. Déjà au siècle dernier, Newman avait réclamé cette distinction dans son document Prophetical Office of the Church.124 Si cette distinction n’est pas faite, ce qui est véhiculé alors, c’est l’image d’un Dieu du passé qui n’a même plus rien à voir avec le Dieu des premières communautés chrétiennes. Tout se passe comme si l’Église reproduit ce sur quoi elle s’est heurtée en ses commencements, et Bergeron y insiste : Comment ce Dieu «arthritique», qui ne peut plus bouger, ce Dieu incapable d’agir dans un mode autre que celui de sa Royale jeunesse, ce Dieu souffreteux qui supporte mal les courants d’air de la nouveauté. Ce Dieu frileux qui ne sort plus de son paradis douillet pour venir nous visiter dans les froids hivers de nos vies, ce Dieu radoteux qui se répète à l’infini alors que nous mourons d’entendre une parole nouvelle qui ferait vivre; comment ce Dieu de la structure et des gardiens de l’institution peut-il être au service de la vie? Comment ce Dieu des pères-évêques-papes-prêtres peut-il intéresser la jeunesse qui vit une profonde rupture avec la tradition, avec le monde des adultes et avec les valeurs 123 124 Ibid., p. 20. Ibid., p. 21. 47 chrétiennes- en un mot avec ce qui évoque le symbole du père? C’est au nom du Dieu des pères que les prêtres d’Israël ont rejeté Jésus et, par ce rejet, ils ont dénoncé comme démoniaque le Dieu qu’il annonçait. Obnubilé par le Dieu des pères, comment le prêtre peut-il accéder à la connaissance du Dieu de Jésus? Au prix de quels dépouillements de son être, de quels bris de son personnage, de quels écroulements de façade peut-il prendre le chemin risqué et insécurisant du Dieu des Évangiles? Du Dieu nouveau et futur de Jésus.125 Il s’agit donc de la compréhension même du Dieu des évangiles qui est à l’origine de cette méprise. Celui-ci est pure subjectivité : il trouve en lui-même la raison de son vouloir et de son action, il se soucie de tous sans distinction – le statut ne compte pas. Ainsi, la religion a pour fonction de promouvoir l’humanisation126. Or, donner au Christ un caractère absolu bloque cette avenue parce qu’un absolu dans une perspective de logique se définit en un rapport d’inclusion ou d’exclusion alors qu’il faudrait concevoir ce caractère d’absolu en termes relationnels : cet absolu qui fait devenir un meilleur humain. Le fait que le haut-clergé se soit accaparé de toutes les fonctions laisse peu de place à une parole qui vienne du peuple, une parole qui témoigne de la vie d’aujourd’hui pour aujourd’hui. Bergeron en est convaincu et ne craint pas de le répéter : Le bas-clergé, c’est-à-dire le prêtre de paroisse, est souvent coincé entre une «Parole de Dieu» qui monte d’en bas, du peuple habité par l’Esprit et une «Parole de Dieu» qui vient d’en haut, du haut-clergé détenteur du pouvoir magistériel : parole qui descend du Père sur Jésus, de Jésus sur les apôtres et des apôtres sur les évêques, qui ont la garde du dépôt. Le discours magistériel renvoie à l’autorité de Dieu; il se réclame d’une révélation divine est soucieux de fidélité à la tradition. Le magistère parle en énoncés dogmatiques irréformables, son approche dogmatique de la vérité révélée implique une absolutisation de la vérité et une négation de la relativité de l’histoire; elle projette sur le plan divin ce qui est de l’ordre des contingences concrètes. Cette approche aboutit à la fétichisation de la forme rituelle et dogmatique, à la disjonction entre l’enseignement et la vie, à la formalisation du contenu des doctrines et des professions de foi, et à la mise au point minutieuse de tous les énoncés doctrinaux.127 125 Ibid., p. 23. Ibid., p. 39. 127 Ibid., p. 48. 126 48 Afin d’éviter les dérapages qu’engendre l’«absolutisation» du Christ, ou simplement pour donner à la foi une assise solide, cette Église répond par avance aux questions comme elle le fait dans le catéchisme et exige l’adhésion par des serments, comme le sont les serments antimoderniste ou de fidélité. Ce qui peut s’interpréter comme une religion qui fait de Dieu un objet extérieur. Ce qui n’aide pas à proposer l’Église comme réponse aux interpellations de notre monde contemporain. Par ailleurs, selon Bergeron, force est de constater que les gens veulent vivre une expérience de foi plutôt que de subir un encadrement au nom de la foi. Les premiers chrétiens participaient de cette volonté lorsqu’ils parlaient d’une voie qu’il faut avoir parcourue afin de pouvoir aider les autres. Ce type de parcours singulier conférant une autorité spirituelle est maintenant reconnu chez les figures laïques au détriment des représentants officiels de l’Église. Bergeron poursuit son raisonnement en l’appliquant à la fonction prophétique. Il soutient qu’il est possible d’être prophète et de faire de Dieu une sorte d’absolu complètement déconnecté de la vie des gens. Ces théologiens parlent d’un Dieu dont ils n’ont pas eu l’expérience ou, encore, ils figent leur expérience du divin dans une théorie abstraite. Ce danger d’objectivation a comme conséquence la fragmentation de ce qui est étudié, mais surtout l’exclusion du sujet dans cette démarche. Or, …la théologie ne peut être que l’apanage d’un sujet croyant, qui ne peut comprendre sa propre expérience de foi qu’en l’éclairant par la tradition d’interprétation de la communauté et qui ne peut comprendre la foi de la communauté qu’en référence à son expérience personnelle. C’est dire que l’expérience subjective de foi devient le foyer herméneutique de l’intelligence de la foi communautaire.128 Cette théologie ne perd pas pour autant sa scientificité parce qu’elle répond aux nouvelles exigences de l’épistémologie contemporaine qui prennent en compte le sujet observateur. Afin de mieux mesurer le défi qui est posé à l’Église, Bergeron oppose croyance et foi. Le croyant pense avoir la foi. Or, la foi est ouverture au mystère alors que la croyance, formulée en doctrine, en arrive à masquer, à voiler le mystère. La portée d’une telle affirmation n’est pas négligeable lorsque l’on sait que les croyances se transmettent; la 128 Ibid., p. 79. 49 foi, non. Elle est un don. Il est facile de s’abuser soi-même ici, de prendre l’ombre pour la proie, la croyance pour la foi. C’est pourquoi il n’est pas si étonnant d’expliquer ce qui est arrivé au Jésus historique à la lumière de cette distinction. Ce sont les puissants, les prêtres, les pharisiens et les théologiens qui s’opposent à Jésus : « c’est au nom de leur profession et de leur responsabilité, au nom de leur savoir, de leur vertu et de leur religion, enfin au nom de leur conscience que tous ces experts de Dieu ont rejeté Jésus »129. Ces figures dans cette histoire sont archétypales, trois d’entre elles reprennent les voies traditionnelles pour aller vers Dieu que sont la religion, la vertu et la connaissance. Or, ces voies, lorsqu’incarnées dans des rôles dévolus à certaines catégories de personnes, voilent parfois la saisie du présent et peuvent ainsi devenir un empêchement à progresser alors qu’elles appellent à un dépassement. Même cet appel au dépassement qui se veut un chemin vers l’excellence, a son côté sombre, car il peut générer la médiocrité, voire la perversion. S’engager à exceller ne va pas sans le danger de dévier et l’abus devient alors prétexte ou conséquence. Bergeron renvoie toujours à Newman. L’Église catholique se veut un lieu d’excellence qui finit par abriter les effets de ce côté sombre. Elle est capable du meilleur comme du pire : Newman a inféré de l’axiome Corruptio optimi pessima une conséquence heuristique surprenante. Pendant longtemps, le grand théologien d’Oxford a été littéralement choqué et scandalisé par les corruptions et les abus de l’Église romaine dans les pays latins. À ses yeux, il n’y avait pas plus grande corruption du christianisme. À côté du romanisme tout boursouflé de coutumes magiques et de dévotions bizarres, tout empêtrée dans une papauté hypertrophiée et congelée dans une idéologie rêche conspuant toute nouveauté, l’Anglicanisme paraissait drapé de beauté et de dignité et respirait un air plus salubre. Pendant longtemps, les défigurations du romanisme ont retenu Newman dans l’Anglicanisme, même si l’apostolicité de l’Église catholique exerçait une forte séduction sur lui. Jusqu’au jour où se produisit l’insight : si le catholicisme est, de fait, le modèle ecclésiastique le plus corrompu, c’est qu’il doit être, de droit et par essence, la meilleure forme du christianisme. Grâce au principe d’inférence – qu’il exposera plus tard dans sa Grammar of Assent, il a pu faire le saut existentiel et se joindre à l’Église de Rome. À la fin de sa vie, dans l’introduction catholique à la troisième édition de sa Via Media anglicane, il explique les abus du catholicisme par la forte tension qui existe entre les trois grandes fonctions de 129 50 Ibid., p. 156. l’Église : royale, prophétique et pastorale. Chaque fonction peut être déformée par la faute d’individus faibles, inconscients, mal intentionnés ou pervers. Elle peut l’être davantage lorsque se trouvent rompues les tensions qui doivent exister entre les fonctions; Alors se produisent mille déformations sur tout le corps de l’Église. Église-grosse-tête : papauté hypertrophiée. Église-gros-bras : juridisme excessif. Église-grande-bouche : dogmatisme, excès d’enseignement, manque d’écoute. Église-gros-cœur : dévotions exagérées.130 Ce qui menace l’Église n’est pas sans incidence sur la société dans laquelle elle se déploie, surtout lorsqu’elle a des prétentions à faire coïncider la cité de Dieu avec celle des hommes. Devant ces dangers, il faut être particulièrement sain de corps et d’esprit. Prendre véritablement la religion au sérieux dans sa vie engendre des tensions qui peuvent avoir des conséquences néfastes sur l’équilibre psycho-spirituel du croyant. Les Pros de Dieu ne sont pas à l’abri de tels dérapages131. Alors que faire? Purifier le temple. Comment? En n’en renforçant pas le caractère objectif et en l’arrimant aux structures de la subjectivité. On ne doit pas se vouer exclusivement à la construction du Temple extérieur, mais se soucier également du Temple intérieur. Ce dernier ne doit pas s’édifier, se structurer de l’extérieur, car il pourrait échapper difficilement à l’aliénation qui détruit l’humain. Encore ici Bergeron se fait incisif : Cela veut dire que le prêtre doit se libérer du «grand prêtre» en lui; le théologien, faire mourir le «scribe» en lui; le religieux, étouffer le «pharisien» toujours vivant en lui. C’est à ce prix qu’ils seront des êtres vivants, capables de faire vivre et de conduire à la connaissance du vrai Dieu.132 Sortir du paraître public pour en arriver à la transparence de ce qu’est l’être humain imparfaitement, de ce vers quoi il aspire, plutôt que de lui faire jouer un rôle dans des habits trop grands pour lui, qui cachent et qui favorisent le déni du manque et qui masquent le côté sombre qui l’habite aux autres et à lui-même. Ce bilan offre à Bergeron l’occasion de faire une confession : …je voudrais reconnaître en toute simplicité que j’ai été solidaire et même complice des «grands prêtres», des «scribes» et des «pharisiens». J’ai été moimême un pro de Dieu. J’ai consacré ma vie à la théologie dans le sacerdoce et la vie religieuse. Il va de soi qu’on ne peut vivre 45 ans de vie religieuse, 40 ans de 130 Ibid., p. 166-167. Ibid., p. 168-169. 132 Ibid., p. 210. 131 51 sacerdoce et 30 ans de carrière théologique sans s’être écorché soi-même et sans avoir blessé des gens.133 Au soir de sa vie, Bergeron reprend donc la route en délaissant l’extérieur de ce qu’il paraît, la position avantageuse que lui confère le Temple extérieur, afin de prendre en charge son Temple intérieur. Un tel dépouillement l’autorise à prendre le risque de la subjectivité sans avoir à se soucier outre mesure, pour un temps, de l’extérieur. La publication des Pros de Dieu suscitera plusieurs réactions dans les milieux spécialisés. D’abord, tous s’accordent pour le qualifier d’«ouvrage-choc» : «cri du cœur qui surgit de l’expérience de l’auteur». Ce livre …mérite d’être lu par tous ceux qui veulent comprendre la situation actuelle de la religion, et spécialement des «professionnels de Dieu», dans la société québécoise. C’est un livre d’espérance joyeuse et non un réquisitoire acrimonieux…134 Par ailleurs, Bergeron invite à un examen de conscience lucide et relève avec force que les fonctions des grands prêtres (hiérarchie ecclésiastique), des docteurs de la loi (les théologiens institués) et des pharisiens (religieux) peuvent être des handicaps dans la découverte du «mystère de Dieu révélé en Jésus»135. Le livre a aussi le défaut de sa qualité : s’agissant d’un «cri du cœur», «les éléments d’analyse et certaines lignes argumentatives manquent de nuance»136. Malgré tout, il conserve sa pertinence : …la mise en garde qui est faite aux Pros de Dieu ne vaut-elle pas pour tout croyant catholique, convaincu que lui possède la vérité définitive sur Dieu et que toute autre religion, tout autre système de croyances ne peut être que dans l’erreur… Le rapport de Dieu aux individus et aux religions du monde n’est-il pas beaucoup plus riche et mystérieux?137 Cette parution constitue un moment charnière pour le théologien Bergeron. D’une recherche objective qui s’interdisait la prise en compte d’une histoire personnelle dans 133 Ibid., p. 211. Jean-Guy Vaillancourt, compte rendu de Richard Bergeron, Les Pros de Dieu, Montréal, Médiaspaul, 2000, paru dans Religiologiques 23, 2001, p. 311-313. 135 Jacques Gauthier, compte rendu de Richard Bergeron, Les Pros de Dieu, Montréal, Médiaspaul, 2000, paru dans Sciences pastorales/Pastoral Sciences 20, no 1, 2001, p. 333-336. 136 François Nault, compte rendu de Richard Bergeron, Les Pros de Dieu, Montréal, Médiaspaul, 2000, paru dans Laval théologique et philosophique 58, 2002, p. 395. 137 Claude Giasson, compte rendu du livre Pros de Dieu, Montréal, Médiaspaul, 2000, paru sur le site web de Culture et Foi, février 2001 (consulté le 25 juin 2014). 134 52 la formulation de la question même de l’Église-institution, Bergeron adresse maintenant cette question dans tous ses tenants et aboutissants. Enfin délestée de ce poids, de ce déni qui empêchait de pousser plus loin, la subjectivité, souci omniprésent dans la modernité, prendra la place qui lui revient comme elle le fait dans toutes les sciences. Elle fera dorénavant partie de l’équation. En conséquence, Bergeron renonce à une réponse achevée, «objective», l’inachèvement étant constitutif de la réalité qu’il explore. L’analyse qui vient d’être faite des Pros de Dieu montre à l’évidence que le nouveau Bergeron puise encore sa cohérence théologique dans le Newman qui s’est imposé dans le travail de thèse. Mais c’est un Bergeron qui a longuement cheminé et qui a maintenant découvert, à son corps défendant, le pôle subjectif de sa réflexion théorique. La lecture phénoménologique qui est faite ici met en lumière une quatrième difficulté qu’a dû affronter l’homme Bergeron et qui l’a obligé à revoir de fond en comble son parcours de vie. Il s’agit désormais pour lui d’être vrai plutôt que fidèle à un engagement extérieur pris dans les jeunes années. Une authenticité sans compromis qui constitue désormais à la fois une préoccupation de tous les instants et l’enjeu central de ses méditations. Il s’agit du quatrième moment qu’a permis d’isoler cette analyse. 53 2.3 Les nouvelles règles du jeu : hors de l’Église, plein de salut! Oser une spiritualité chrétienne porteuse de promesses d’avenir.138 En 1999, Richard Bergeron quitte la vie religieuse. Il a 67 ans. Il aura passé près de 55 ans en communauté, si on inclut les années de formation au pensionnat. Voilà consommée la rupture avec l’Église-institution après différentes tentatives d’explication et de conciliation. Il faudra maintenant vivre cette rupture, l’assimiler, avant de pouvoir tenter une réconciliation. De fait, après la destruction du Temple extérieur, il ne s’agit pas d’abandonner à leur sort les habitués du Temple, mais de leur proposer une nouvelle demeure plus propice à leur édification dans le temps présent. Toutefois, dans un premier temps, avant d’y parvenir, il faut marquer les différences, discerner les points d’achoppement. Bergeron s’y emploiera en proposant deux réflexions majeures, la première, plus introspective; la deuxième, plus sociologique. Il fallait commencer par (re)construire le Temple intérieur afin de «renaître à la spiritualité» et de se reconnaître dans une société changeante et ouverte. Dans un deuxième temps, au-delà des différences profondes, il y a des points de convergence dont le message de Jésus à propos de Dieu est certes le plus important et la manière nouvelle d’en témoigner. Quatre nouveaux livres donc, qui sont comme autant de propositions en réponse à cette tâche omniprésente dans le parcours réflexif de Bergeron. Bien sûr, d’autres publications, livres et articles139, investiguent certains éléments de cette quête140 : soit ils demeurent en marge, soit ils sont intégrés aux livres phares de cette section qui proposent une autre manière de vivre l’Institution-Église pour notre société. Le problème théologico-politique de l’Église sous-jacent n’est pas pour autant résolu par la sortie individuelle du jeu, voire par la mise hors jeu. La cité des hommes continue à construire des cités de Dieu. Quel sens donner à tout cela dans une société moderne comme le Québec? C’est une question centrale dans les nouvelles publications de Bergeron. 138 Richard Bergeron, Renaître à la spiritualité, Montréal, Fides, 2002, p. 12. C’est le cas notamment pour La vie à tout prix! En quête d’un art de vivre intégral, Montréal, Médiaspaul, 2006. 140 Itinérance… On se rappellera le parallèle que Bergeron fait entre la quête d’Abraham et sa propre quête dans ce texte. 139 54 2.3.1 L’effort de réforme Toutes les réponses n’ont pas encore été données à la parole de Jésus. À l’instar de la culture grecque, au premier siècle de notre ère, la culture séculière est appelée à formuler sa propre réponse bien à elle.141 Bergeron cherche ses nouvelles marques dans son rapport avec l’Église-institution. Désormais hors jeu, prenant acte de la sécularisation de la société québécoise, il prend en compte la modernité. C’est pourquoi, dans un premier temps, il introduit le fait de la subjectivité dans toute quête spirituelle et, dans un deuxième temps, il mesure les conséquences qui s’ensuivent, notamment la disqualification de la prétention à l’exclusivisme qui caractérisait jusqu’alors les religions. L’assimilation de ces deux blocs que constituent la subjectivité et ses conséquences est en soi un projet radical de réforme dans la reconstruction d’une Église dont il s’est distancié. Selon Fabrice Blée, théologien et compagnon de route de Bergeron dans cette exploration, cette dernière question lance un défi à la théologie : «mettre en question ses fondements et (…) relire l’histoire de l’ouverture chrétienne pour jeter les bases d’une spiritualité du dialogue»142. Bergeron prend sur lui de proposer des tentatives de réponse dans Renaître à la spiritualité et dans Hors de l’Église, plein de salut. Il s’agit ici du premier bloc. 2.3.1.1 Renaître à la spiritualité (2002) À mesure que l’espace public devenait profane, la référence au divin reculait et l’homme passait à l’avant-scène. (…) Une spiritualité non pas horizontale et plafonnée à l’humain; mais une spiritualité d’en-bas qui s’inscrit dans un mouvement ascendant vers … l’innommable. 143 Avant de présenter les éléments-clés de ce livre qui marque véritablement un revirement dans la façon de Bergeron d’appréhender la question de l’institution, nous souhaitons décrire, en amont, le terreau de cette réflexion. L’Église n’étant pas capable de répondre à ces questions, Bergeron part donc à la recherche d’un «nouveau modèle» de spiritualité pour le laïc qu’il est devenu. Il le fera un peu à tâtons, par une démarche circulaire qui appréhende ce qui se dérobe en raison du conditionnement reçu depuis tant d’années. Cette circularité permet aussi d’ajouter des informations 141 Renaître…, p. 279. Fabrice Blée a rédigé la préface au livre de Bergeron Hors de L’Église, plein de salut. Ce livre est présenté dans la deuxième partie de cette section. La citation est tirée de la page 9. 143 Renaître..., p. 12-13. 142 55 complémentaires à des avancées faites lors des premières formulations de sa recherche. Bergeron part du constat qu’ayant perdu son pouvoir spirituel, l’Église n’a plus d’effet attractif dans le nouveau contexte sociopolitique et culturel du Québec des années 2000. N’y a-t-il pas lieu de reconstruire ainsi des passerelles entre la cité des hommes et la cité de Dieu? Par ailleurs, c’est la première fois qu’il y a dissociation entre le spirituel et le religieux au sein de cette dernière cité. Le spirituel s’édifie en parallèle avec le religieux, voire en réaction contre lui, malgré une connivence certaine entre les deux. Cette distinction entre le spirituel et le religieux revient régulièrement dans les écrits de Bergeron. Elle peut avoir été inspirée par l’histoire même de la communauté franciscaine qui a formé Bergeron : comme on le sait, le mouvement spirituel, qui s’est propagé dès la mort de saint François, souhaitait revenir à l’esprit de la règle telle qu’écrite sans référer aux interprétations qui en étaient faites par les supérieurs de l’ordre. Ce mouvement, qui contestait l’autorité (et la crédibilité) des successeurs de François, fut condamné par le pape Jean XXII en 1318. Lors du bouleversement de la communauté québécoise causé par le concile Vatican II et la Révolution tranquille, le mouvement spirituel a exercé un attrait certain au sein de la communauté. Bergeron a pris part à ce débat. Plus tard dans ses recherches, Bergeron aurait découvert que les premiers chrétiens étaient désignés sous l’appellation «spirituels chrétiens». De là à associer le spirituel à l’esprit, parce qu’étant plus proche de l’origine, et à l’opposer à la lettre, à la tradition, il n’y a qu’un pas, bien vite franchi. Bergeron a ainsi tendance à valoriser le spirituel au détriment du religieux, même s’il reconnaît l’importance de celui-ci afin d’assurer la pérennité de celui-là. Une telle dissociation est bien présente au Québec selon Bergeron : Au Québec, cette crise est particulièrement très marquée. Elle s’apparente à la crise qui a secoué la première communauté chrétienne, lorsqu’elle s’est détachée du judaïsme pour passer à l’Empire romain. Cette dissociation du spirituel et du religieux a été favorisée ici par le grief que l’âme québécoise formule contre l’Église. Même les jeunes qui n’ont jamais pratiqué éprouvent ce grief. En fait, la plupart des gens ont remplacé leur sentiment d’appartenance à l’Église par un sentiment d’indifférence, de rejet plus ou moins militant.144 Quel est ce grief? Les abus de l’Église du temps qu’elle exerçait sa mainmise sur la société québécoise et le fait qu’elle n’a pas favorisé la promotion humaine, notamment en ce qui a trait à la place des femmes. Bergeron se met alors à la tâche dans le but de 144 56 «L’être humain est un être spirituel», Revue Notre-Dame, décembre 2001, p. 21. réunir à nouveau spiritualité et religion, mais cela ne pourra pas être de la même manière qu’auparavant. Pour ce faire, dans Renaître à la spiritualité, Bergeron en rend compte dans une analyse comportant quatre grands axes : le constat de la panne spirituelle, l’œuvre spirituelle, la relation spiritualité-religion et la spiritualité de l’avenir. Ces axes constituent les principales parties du volume. Premier axe : nous sommes en panne. Notre temps est un temps de crise spirituelle. Notre société, tout investie dans la production et la consommation, ne voit plus l’humain comme un sujet, mais plutôt comme un «objet de savoir, une force de travail, une machine à consommer ou un numéro matricule»145. C’en est fini de l’individualité, de la personne. En conséquence, afin de contrer cet effacement qui le menace à plus ou moins brève échéance, l’individu ne s’intéresse qu’au moment présent, se raccroche à de petites évasions qui lui permettent de se sentir vivant (la toxicomanie, le jeu, la mode, etc.) et qui, finalement, seront autant d’aliénations. Or, cette crise du Québec d’aujourd’hui a déjà été vécue par l’Église-institution. C’est peut-être pour cette raison qu’elle ne peut être une réponse, un recours, dans cette chute qui semble inexorable. De fait, l’expérience Jésus des premiers chrétiens s’est institutionnalisée, structurée avec le temps qui passait, et ce fut un passage obligé vers l’objectivation : «l’idée initiale s’est transmuée en idéologie»146. Ainsi, peu à peu, imperceptiblement, l’expérience initiale a été remplacée par un cadre qui en est venu à dicter ce qui doit être fait sans jamais prendre en compte la situation concrète de l’individu. Au sujet libre, on barre la connaissance de Dieu, on crée une distance avec l’expérience, car, avant de connaître ce Dieu, on doit arpenter un domaine déjà tenu par l’institution. Cet arpentage a mis à mal la liberté et l’autonomie du sujet, car il nécessite la servitude (volontaire) du sujet comme condition de l’accès à la connaissance de Dieu. Au fil du temps, le cadre, de minimaliste qu’il était au temps des premiers chrétiens, s’est renforcé à tel point qu’il est devenu plus important que l’expérience du Jésus des origines, une expérience à laquelle tous devaient se conformer. Le cadre s‘est développé et est devenu un modèle d’organisation. Cette «Cité de Dieu», construite par des hommes et s’inspirant de la structure de pouvoir qui avait cours au moment de l’élaboration du cadre, est maintenant proposée comme la cité idéale des hommes. Le modèle étant arrêté, on comprendra que toute évolution est difficile et toute nouveauté, menaçante, donc suspecte. La philosophie et la théologie scolastiques ne 145 146 Renaître..., p. 21. Ibid., p. 24. 57 laissent aucune place à d’autres constructions, à d’autres modèles d’explication du monde dans lequel vit le chrétien147. C’est ainsi que le peu d’espace laissé à l’émergence de nouveaux modèles n’a pas permis la cohabitation avec la modernité. Or, ce refus d’accueillir la modernité a entraîné le discrédit de l’institution de même que le désintérêt pour un groupe qui ne se renouvelait plus et, surtout, ne faisait plus vivre. L’objectivation de l’individu comme effet du cadre imposé et l’épuisement du réservoir de sens proposé face à la séduction de la modernité ont engendré une crise spirituelle profonde, sans précédent, qui n’a pas reçu de réponse. Ce qui a prévalu en réaction à cette crise, c’est le chacun pour soi, une réponse individuelle à se donner sans avoir une idée de la direction pour arriver à la bonne destination, d’où les écueils, les récifs à l’origine de bien des naufrages individuels et collectifs. De la religion que l’on abandonne, on passe au spirituel avec une certaine méfiance envers une raison qui a joué un grand rôle dans l’élaboration d’un cadre qui ne répondait plus aux préoccupations du temps. C’était une façon de sortir de l’impasse que de revenir à soi plutôt que de vouloir changer des structures en remontant à l’origine, ce qui aurait supposé une certaine ouverture de l’institution, ou que de s’occuper des autres en les aidant ou en voulant les changer, ce qui aurait supposé également de sortir de la docilité du cadre et d’assumer son autonomie. Bref, cet effritement du religieux affecte considérablement le sujet qui doit se (re)construire. Deuxième axe : la panne spirituelle conduit à un désir d’unification. Se recentrer est en soi faire œuvre spirituelle : L’homo spiritualis cherche la passe dans la métamorphose personnelle. Il s’agit de renaître à son être véritable, de faire vivre ou revivre ce qui est mort ou moribond, de réveiller ce qui est endormi au fond de soi. Revenir chez soi, retourner à son centre, unifier son être divisé, ramener ses morceaux éparpillés, remodeler son humanité dépenaillée : telle est l’œuvre spirituelle à accomplir. L’individu est le sujet et l’objet de l’œuvre spirituelle. L’œuvre à réaliser c’est soimême. L’homo spiritualis se donne pour projet de sculpter sa propre humanité grandeur nature. Il cherche à advenir dans sa subjectivité et à rescaper son humanité bafouée. Toute détermination extrinsèque et toute motivation extérieure n’aboutissent qu’à la sujétion. Être par soi et pour soi, voilà le défi du spirituel. Aussi longtemps que l’action est déterminée de l’extérieur et vise le monde objectif, on n’est pas encore dans le champ du spirituel.148 147 148 58 Ibid., p. 28. Ibid., p. 36-37. Une telle déclaration peut s’interpréter comme un retour à l’individualisme, à tout le moins comme un parti pris pour l’individualisme, mais peut, d’un autre point de vue, être une prise de conscience que l’individu fait partie d’un tout, mais selon une direction précise : on va à Dieu en passant par soi, non pas en sortant de soi, pour aller ensuite vers les autres. Ce qui est en jeu ici, c’est ce qui façonne la spiritualité et ce qui permet d’accomplir son humanité : doit-on partir de l’extérieur ou de l’intérieur pour y parvenir? Le passage par l’intérieur, tel qu’interprété par Richard Bergeron, implique un processus imbriquant quatre dynamismes chez l’individu : une prise de conscience, un désir, le courage d’être et la quête. La prise de conscience fait constater l’impasse. Certes, on peut continuer sa route en en faisant plus ou apporter quelques améliorations qui donneront l’illusion d’avancer. On peut aussi choisir le déni, l’oubli ou le divertissement. Enfin, on peut aussi décider de prendre un temps d’arrêt et de faire face. Toutefois, cela ne suffit pas. Ce temps d’arrêt doit déclencher chez l’individu un désir particulier, le désir d’être qui débouche sur l’autocréation accompagnée d’une volonté de résistance et de déconstruction. La panne socioreligieuse, qui est le lot des sociétés contemporaines, a comme conséquence la destruction des structures internes au plan individuel, mais aussi au plan collectif des structures sociopolitiques, économiques et religieuses. Cette panne amène à vivre l’effondrement en soi et à l’extérieur de soi et peut causer cette prise de conscience. D’où l’avènement d’un désir de changement. Or, «le désir est le moteur de la spiritualité»149. Le processus enclenché par le désir demande du courage : courage d’affirmer ce que l’on est, sa vraie nature, envers et contre tout. Cet effort exige de sortir de la facilité d’une vie purement extérieure, de «perdre sa vie», selon l’expression biblique. Enfin, le dernier dynamisme désigné par Bergeron est la quête : c’est passer à l’action, se mettre en route sans connaître la destination finale. Cette quête veut répondre à cet appel intérieur de devenir pleinement humain malgré les embûches. C’est ici et maintenant que cela commence et il est impossible de différer150. Ce processus va affecter le sujet qui le vit. Car la condition en est que cette reprise en main du sujet par lui-même demande une déconstruction des structures objectivantes sur lesquelles il s’appuie. Ce faisant, n’est-ce pas remettre en question les structures extérieures qui agissent en trompe-l’œil en conférant au sujet une solidité artificielle? 149 150 Ibid., p. 47. Ibid., p. 57. 59 Toutefois, n’y a-t-il pas le danger, déjà évoqué, de glisser du sujet vers un individu sans rapport avec sa communauté, vers l’individualisme au sens strict? En fait, le sujet spirituel vit sa croissance sous les pressions exercées par les dimensions de l’individuel, du relationnel et du cosmique. Si l’équilibre fragile entre ces dimensions est rompu dans le sujet, on devient un être humain trop individualiste, trop grégaire ou trop matérialiste avec les détournements qui s’ensuivent. Ce qui peut altérer toute tentative de (re)construction. Le sujet est donc constamment en ballotage même si le spirituel renvoie à l’être humain tout entier, comme «essence et nature». Par ailleurs, cela n’est pas une manière de penser acquise dans la société : D’entrée de jeu, toute réflexion sur le spirituel doit prendre acte de ces nombreuses conceptions qui circulent dans notre espace public et pénètre (sic) le vieil héritage catholique. Elle doit également se soucier de ce que la conscience québécoise francophone a été profondément marquée par une intelligence dualiste du spirituel. Le spirituel, c’est ce qui s’opposait au corporel, au charnel, au sexuel. (…) Toute réflexion sur le spirituel doit tenir compte de cette tradition dualiste.151 Le processus de spiritualisation peut prendre divers chemins et au cours de celui-ci, il peut y avoir des abandons et des échecs. Il n’est pas infaillible en raison même de l’écart qui existe entre une prise de conscience par le sujet de ce qu’il est et de ce qu’il est appelé à être. Cette non-correspondance, qui est le lieu même du désir, se révèle comme un espace de fragilité dans cette mise en route. Le but visé est de faire l’unité en soi. Or, ce qui peut unifier le sujet est le sens, dans ses acceptions de signification et de direction prise, qu’on donne à sa vie. Le sujet adopte alors des valeurs pour lui-même, sans imposition de l’extérieur, et les vit. Certaines sont absolues et l’on peut choisir de mourir afin de les respecter. En cela, le sujet est appelé à se dépasser. C’est dans la liberté et l’autonomie, en toute conscience, que le sujet devient spirituel152. Qu’en est-il de son rapport avec l’institution dans un tel contexte? Toute spiritualité est politique. Elle est amenée à définir un rapport aux structures qui permet l’avènement de l’homo spiritualis, ce rapport devant être compris, lui aussi, à l’intérieur de l’espace spirituel. Ici la hauteur signifie qu’il faut redonner à toute structure sa visée anthropocentrique fondamentale. Le Sabbat est pour l’homme et non l’homme pour le Sabbat. Telle est la façon dont le Maître de Nazareth parle de la hauteur dans l’ordre du rapport aux structures. 151 152 60 Ibid., p. 84. Ibid., p. 122. Toute institution ou loi qui perd sa visée humaine se tourne rapidement contre la personne et devient un fardeau qui écrase, une lettre qui tue, une entrave qui casse l’élan. La catégorie de la hauteur est proprement révolutionnaire. En posant l’intangible dans l’humanum, elle relativise toute institution et engage inévitablement un processus de résistance contre toute structure aliénante.153 Selon les chemins empruntés, souvent en accord avec la personnalité de l’individu, les spiritualités peuvent alors être de trois types : cosmique, prophétique ou mystique. À partir de ces trois types peut être associée la filiation des religions. Le premier type se caractérise par la relation à l’univers, à ce qui l’entoure, comme le sont par exemple les religions amérindiennes ou l’hindouisme védique. Le deuxième type s’intéresse à la relation à l’autre et il regroupe les religions du Livre : judaïsme, christianisme et islamisme. Enfin, le troisième type met l’accent sur le rapport à soi, comme le fait le bouddhisme ou l’hindouisme des Upanishads. Les religions du deuxième type sont l’objet d’un intérêt particulier parce que l’on y retrouve le christianisme, les religions prophétiques s’inscrivent dans l’ordre moral ou dans l’ordre du service social. Un trop grand investissement dans ces ordres peut conduire à des déviations de la trajectoire spirituelle : on en arriverait ainsi à la moralisation ou à la politisation qui donnent lieu à des structures objectivantes. Troisième axe : après être passé par la panne spirituelle qui conduit à faire œuvre spirituelle, il faut situer cette œuvre en lien avec la religion chrétienne comme elle se définit. De fait, qu’en est-il du religieux dans cette quête de spiritualité? Alors que la quête dynamise l’individu et le conforte avec tout ce que cela implique de tension, le religieux l’encadre, car la vie religieuse est, pour l’humain, la recherche de son accomplissement par une relation libre et consentie avec la Réalité transcendante154. En ce sens, elle est une démarche d’humanisation, mais aussi, selon Bergeron, un processus de «divination». La religion est pourtant plus qu’une affaire privée, car elle se donne une structure qui s’exprime socialement. Rappelons la définition fonctionnelle qu’en donne Bergeron : …la religion est présentée comme une voie structurée d’humanisation individuelle et communautaire (salut, réalisation, libération) qui consiste dans la mise en place d’un univers de sens et d’un système de pratiques individuelles et sociales, destinés l’un et l’autre à mettre l’individu en rapport avec le divin (le 153 154 Ibid., p. 136. Ibid., p. 156. 61 Sacré, l’Ultime, l’Un) et à lui permettre de s’arracher dès maintenant à une existence aliénante.155 La religion serait donc une voie d’humanisation et la religion instituée, un univers de sens particulier qui implique une gestuelle symbolique. Elle s’exprime socialement et elle a une structure normative qui lui est propre. C’est à l’intérieur de cette structure objective que peut s’inscrire une vie religieuse en raison de l’adhésion de l’individu, par la foi et le cœur, afin de réaliser l’humain intégral. Traditionnellement, le spirituel se vit à l’intérieur du religieux institutionnel qui, luimême, en favorise l’émergence, l’institution procurant une assise au spirituel qui, en retour, le dynamise et l’approfondit. Sous cet angle, la vie spirituelle est faite de dialogues entre l’individu spirituel et le cadre religieux qu’il accepte. Toutefois, ce dialogue est à la source de conflits en lien même avec cette institutionnalisation. Bergeron en identifie quatre : la formulation de la foi, le sacramentel comme étant son expression, la morale qui en découle ainsi que l’autorité qui en a la garde. Toute formule de foi «objective» la vérité religieuse, mais peut devenir dogmatisme, voire idéologie. Or, le Dieu du spirituel chrétien est subjectif, non objectif. Parce que l’expérience que l’on a de Dieu permet d’agir en conscience en respectant les lois profondes de son être comme «nature et créature»156; ce qui ne veut pas dire nécessairement en cohérence avec l’institution. Le sacramentel est l’expression cultuelle de la foi. Provenant de l’institution ou de la communauté, cette expression fait parfois écran à une véritable compréhension de ce qu’elle veut représenter. Le spirituel chrétien cherchera à nettoyer le cultuel de représentations traditionnelles qui font moins sens dans une société donnée, tout en préservant le sacramentel. Si, pour le spirituel chrétien, les préceptes moraux peuvent lui servir de garde-foi essentiel, le spirituel peut également dépasser la morale lorsqu’il s’est pleinement réalisé au plan spirituel. Ce garde-foi peut conduire au totalitarisme moral et on doit y être attentif, car c’est ainsi qu’une religion prophétique se transforme en un simple moralisme. Enfin, les autorités ecclésiastiques se méfient des nouveautés que peut apporter le spirituel. C’est pourquoi elles cherchent à l’encadrer afin d’en limiter la puissance novatrice. Ce qui a pour effet d’alourdir plutôt que d’alléger l’institution, car cela donne 155 156 62 Ibid., p. 159. Bergeron reprend sa définition que l’on retrouve dans Le cortège des fous de Dieu, p. 22. Ibid., p. 176. lieu à la multiplication de règles qui n’ont d’autre but que de bien circonscrire la nouveauté et de la ramener à l’intérieur de l’institution : Au cours du dernier millénaire, l’Église catholique incarnée dans le système romain est devenue une institution moins soucieuse de transformer ses fidèles en spirituels que d’en faire des sujets soumis (l’institutionnel), orthodoxes (le dogmatique), pratiquants (le sacramentel) et moralement corrects (l’éthique). Qu’est devenu l’homo moralis? Quoi d’autre qu’un prisonnier oublié au donjon par des pouvoirs trop soucieux de gouverner, d’enseigner, de sacramentaliser et de faire la morale.157 Lorsqu’on quitte l’Église, on s’affranchit également de certaines structures. Cela conduit vers une spiritualité de type laïc dont les contours seront en porte-à-faux en rapport à ceux proposés par l’institution, qu’on peut camper de façon un peu caricaturale comme étant la pratique dominicale de même que l’obéissance aux commandements de Dieu et de l’Église. La spiritualité était un domaine réservé aux clercs. En fait, ce n’est qu’au XVIe siècle que l’intérêt pour la spiritualité a pris un essor au sein de la population chrétienne. Elle a revêtu plusieurs formes qui ont cohabité et qui se sont même parfois mélangées. Il y a la piété expiatrice, l’humain pécheur qui a à se faire pardonner; la piété ascétique, comme humain qui méprise le monde et le corps; la piété dévotionnelle, comme humain qui manifeste sa ferveur sans nécessairement chercher à comprendre. La religiosité populaire s’est exprimée aussi par des cultes qui sont toujours vivants aujourd’hui : le culte eucharistique, dissocié de la messe; le culte marial, valorisation de la chasteté et dénigrement de la sexualité; et le culte des papes, une façon de justifier l’ultramontisme en réaction au gallicanisme158. Cette religiosité, comme on le constate, est marquée au coin de la peur en lien avec la culpabilité et propose une vision pessimiste de l’existence humaine qui n’est que souffrance. La foi catholique est vécue dans l’hostilité à ce qui est autre, notamment à la modernité, une foi qui est donc exclusive et, par voie de conséquence, missionnaire. La spiritualité populaire émergente était alors inféodée à l’institution et sous haute surveillance. D’ailleurs, la création des instituts séculiers par l’Église a été une concession parce qu’une variété de plus en plus grande de spiritualités apparaissait et qu’il fallait les endiguer. C’est ainsi que l’on retrouve aujourd’hui au sein de ces mêmes instituts, mais aussi en marge, des spiritualités de type évangélique, avec Jésus au cœur de sa vie et de son action; de type historique, le Jésus des origines; de type contemplatif; de type 157 Ibid., p. 189. Le gallicanisme préconisait l’allégeance à l’autorité nationale avant toute allégeance à l’autorité pontificale. 158 63 solidaire, auprès des démunis; voire, de type féministe, étant une critique des structures de domination des femmes à partir d’une relecture des Évangiles. Cette effervescence spirituelle n’était pas exclusive à l’Église catholique, de telle sorte que ces enjeux furent largement débattus dans l’espace public, mais elle la contaminait. L’institution n’était plus maîtresse du jeu. De l’apparition de la religiosité populaire, le glissement s’est fait tranquillement vers une spiritualité séculière. Une telle spiritualité séculière se soustrait à «l’influence directe et au contrôle d’une religion établie»159, conclut Richard Bergeron. Cette dissociation radicale du spirituel et du religieux institutionnel résultait du discrédit associé à celui-ci en même temps qu’était assumée une autonomie nouvelle par rapport aux règles de vie imposées. Le modèle d’une Cité de Dieu à l’échelle de la société éclatait de toutes parts : Voilà que le principe spirituel déploie ses ailes et prend le grand large. Sous son impulsion prend forme un nouveau modèle spirituel : la spiritualité séculière. Cette spiritualité n’est pas confessionnelle; elle ne s’inscrit pas à l’intérieur d’une foi ou d’un système de croyance particulière. Ni religieuse : elle ne s’inscrit pas non plus dans le cadre d’une religion instituée, nouvelle ou ancienne. Elle n’est pas pour autant agnostique, athée ou non théiste, bien qu’elle puisse prendre l’une ou l’autre de ces formes. Une spiritualité est dite séculière quand elle trouve son fondement non plus en Dieu ou dans une religion, mais dans l’être humain lui-même et quand elle s’inscrit dans les grands schèmes de l’humanisme séculier.160 Ces lieux d’ancrage se retrouveront donc dans tous les domaines qui peuvent développer l’humain intégral, sans égard à une adhésion à l’idée d’un Dieu. Chaque personne est appelée à suivre son maître intérieur; cet appel est un itinéraire à adopter, un point de départ plutôt qu’un point d’arrivée. Quatrième et dernier axe : la redéfinition de la spiritualité exige d’en comprendre la portée. Bergeron qualifie cette spiritualité séculière de «spiritualité de l’avenir». Elle offre un enracinement en même temps qu’elle se positionne comme résistance à l’esprit du temps. Pour l’humain occidental, une telle spiritualité prend sa source dans trois découvertes déterminantes pour la vie spirituelle : la réalité du monde, la centralité du sujet humain et l’autonomie de la société. La première découverte détermine le rapport de l’être humain avec le monde, la deuxième met en perspective la liberté et la 159 160 64 Ibid., p. 217. Ibid., p. 221-222. responsabilité de chaque être humain tandis que la troisième met fin à l’emprise de la religion sur la société : Dorénavant la vie publique échappe au contrôle religieux. On ne reconnaît plus à la religion sa pertinence dans la définition et la gérance des institutions sociales. La société devient séculière, la culture également. Elles s’organisent, l’une et l’autre, sans référence au divin, au religieux, au sacré ou au transcendant. Résolument profanes, elles proposent une manière de vivre sur un horizon terrestre en dehors de toute référence supramondaine. Conséquences graves : effondrement de toutes les légitimations religieuses de l’ordre sociopolitique, perte de la pertinence sociale de la religion, effritement de la crédibilité des institutions et des symboles religieux. D’où grave crise d’identité collective et individuelle. La sécularisation ne touche pas que les structures objectives de la société, elle atteint l’âme et la conscience individuelles qui deviennent séculières à leur tour. L’homme moderne cherche à se comprendre selon les seules exigences de la raison autonome en faisant appel à la philosophie et aux sciences humaines.161 En fait, toute spiritualité porteuse d’avenir tient compte des acquis de la modernité ainsi que de ses impacts. Elle cherche à transformer l’homme concret à partir de sa situation actuelle. Cette spiritualité protège contre les dérives de la modernité. Par son accent sur la technique, la modernité a développé une rationalité instrumentale et une attitude objectivante qui peut désinvestir la subjectivité de l’humain. Elle est source d’individualisme où l’on fait peu de cas de la solidarité humaine. Enfin, elle peut engendrer un sécularisme antireligieux qui peut amener à nier cette dimension de l’être humain. Cette spiritualité doit prendre aussi en charge le problème de la souffrance, sinon elle est dans le déni et conduit à une position spirituelle illusoire. Bergeron identifie même les dépassements que cette spiritualité séculière doit accomplir. Elle devra dépasser le rapport sujet-objet dans l’acte de connaître ainsi que les oppositions homme-nature et âme-corps. Elle se doit également d’être dialogale, car elle sera confrontée à différentes religions et spiritualités, de même qu’aux sciences dont la psychologie et à la philosophie, et ne doit pas craindre d’entrer en conversation avec elles. Cette confrontation n’est pas source de peur, mais plutôt ouverture à la nouveauté. 161 Ibid., p. 237. 65 Que devient Jésus dans cette nouvelle perspective? Il demeure un incontournable en raison de l’empreinte qu’il a laissée dans notre culture. On en a fait un Christ dogmatique et moralisateur à partir de systèmes philosophiques «en désuétude». Ce Christ est devenu incompréhensible à notre époque. Mais, grâce entre autres à la recherche exégétique, il pourrait encore retrouver de la pertinence : Les Évangiles sont un écho fidèle de la voix du Maître. En les fréquentant, l’homo spiritualis contemporain peut y percevoir un message antique aux résonnances nouvelles et apporter une réponse originale, inédite. Toutes les réponses n’ont pas encore été données à la Parole de Jésus. À l’instar de la culture grecque, au premier siècle de notre ère, la culture séculière est appelée à formuler sa propre réponse bien à elle.162 Bergeron poussera plus loin la réflexion amorcée dans ce livre sur trois aspects centraux de cette remise en question : le pluralisme religieux, le cas Jésus dans un tel contexte et le couple comme nouveau lieu spirituel, en réaction à une démarche individuelle conventionnelle. Chaque aspect fera l’objet d’une étude particulière de la part de Bergeron et sera publié sous forme de livres. Une telle réflexion marque certainement un tournant : après Les Pros de Dieu, Bergeron devait se donner de nouvelles marques. Son point de départ est sa lecture de l’état socio-religieux du Québec. Mais, alors que pour la majorité des Québécois, cette mutation de la société a comme conséquence un lâcher-prise, Bergeron s’emploie à réinvestir cette même société d’une dimension spirituelle dans l’espérance probable que cet apport original dans la cité des hommes aide à redéfinir une nouvelle cité de Dieu, plus acceptable que le modèle ancien. Or, cette invitation à la reconstruction n’a pas eu de suite. Délaissant même la spiritualité à la carte, la plupart des Québécois sont restés fidèles aux rites associés à la religion traditionnelle (naissance, mariage et mort) tout en se désintéressant d’une pratique en lien avec cette affiliation religieuse. Il n’est donc pas certain qu’une telle évolution conduise nécessairement à une spiritualité séculière telle que décrite par Bergeron. Si la reconnaissance des droits et libertés de la personne a fait consensus au sein de cette société, Il est moins certain que le développement intégral de la personne soit un souci collectif et, encore moins, que Jésus soit, pour les Québécois, le modèle incontournable d’un tel développement. 162 66 Ibid., p. 27. Renaître à la spiritualité a fait l’objet d’appréciations diverses. On soulignera d’emblée qu’il s’agit d’un «nouvel éclairage» qui permet de mieux comprendre la spiritualité sans que ce livre aide à mieux la vivre163. Un texte critique de Marc Renault164, ancien Franciscain lui-même, fera certaines réserves selon deux différents points de vue, philosophique et théologique. D’abord, rejoignant en cela ce que nous avons affirmé à l’effet que Bergeron a un parcours similaire à celui de Newman, Renault fait état d’une anthropologie bergeronnienne qui est une «décantation réflexive d’une existence qui a précédé l’effort discursif». Si tel avait été le cas, Bergeron aurait dû mieux argumenter certaines affirmations. À titre d’exemple, sa définition de l’humain, sur laquelle pourtant il prend appui, ne peut être que provisoire, car elle ne saurait être une «nature humaine». En fait, l’astuce de Bergeron réside dans sa notion d’humanum : une notion confuse165 qui joue à la fois sur la nature et l’essence du sujet166. Cela peut s’expliquer par le fait que, passant d’une anthropologie néo-scolastique à la phénoménologie, il emprunte à l’une et à l’autre ce dont il a besoin aux fins de sa démonstration. Il fait ainsi l’économie d’une position complètement phénoménologique, laquelle supposerait de se prononcer sur des enjeux qui pourraient compromettre cette même démonstration. Ainsi, Renault constate que Bergeron présente un discours anthropologique sur un mode phénoménologique qui va se muer en ontologie (cette prise en compte de cette fameuse essence ou nature qui émerge de l’expérience). L’effort discursif est ici miné par la question existentielle. En fait, Bergeron aurait pu juger non pertinent un tel effort en l’absence de la question existentielle. En lien avec cette critique de Renault, rappelons que, pour Bergeron, la «nature humaine est divine dans son fondement» et que, par conséquent, une démarche vers soi est une démarche vers Dieu. Trouver ainsi les sources de la religion en soi permet le dialogue avec l’extérieur. Par ailleurs, la définition même de la spiritualité pose également problème : est-ce un simple travail de soi sur soi ou est-ce l’intégration 163 Sophie Tremblay, «Le livre du mois : Richard Bergeron, Renaître à la spiritualité, Montréal, Fides, 2002, sur le site web Spiritualité 2000, webzine tenu par les dominicains (consulté le 24 septembre 2014). 164 Marc Renault, «Réactions au livre de Richard Bergeron, Renaître à la spiritualité, Montréal, Fides, 2002,» dans la section Textes critiques sur le site web du réseau Culture et Foi (consulté le 24 septembre 2014). M. Renault, formé en théologie et en philosophie, a enseigné à l’Université du Québec à TroisRivières et dans plusieurs collèges. Il a publié notamment La liberté confisquée. Essai sur le cléricalisme (Montréal, l’Hexagone, 2000). Ce livre revisite en profondeur la notion de liberté chrétienne. On comprend dès lors son intérêt pour les travaux de Bergeron, d’autant plus qu’ils ont dû se côtoyer au sein de la communauté franciscaine. 165 Voir sur la question des notions confuses : Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation. La nouvelle rhétorique, Éditions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1976, p. 176-178. 166 Renault écrit : «Ce concept ne fonctionne pas comme sujet logique d’attribution mais comme connaissance de la substance, et même de la substance en son existence même» (voir note 144). 67 d’éléments qui ne sont pas d’origine humaine? Pour reprendre cette question en termes théologiques, comme le fait Renault, Bergeron privilégie le sujet ascendant alors que la foi peut aussi être ouverture à une anthropologie descendante (ce qui peut être représenté ici par l’Incarnation) qui, par la suite, «se coule» dans le mouvement ascendant. Cette dernière difficulté sera reprise dans les derniers livres de Bergeron qui se veulent un effort d’appropriation dirigé vers le religieux institutionnel, malgré la rupture. Pierre Pelletier167 soutiendra que Bergeron ne fait que reprendre la thèse de SaintThomas voulant que tout être humain a un élan naturel de voir Dieu lorsqu’il propose une spiritualité universelle pour le troisième millénaire dont l’assise est la «nature» même de l’être humain. D’après Pelletier, le fondement sur lequel s’appuie cette assertion est fort semblable168 à celui de Thomas d’Aquin et cela indique une proximité de pensée avec la théologie classique, dont Bergeron n’a peut-être pas tout à fait conscience. Deux constats s’imposent. D’abord, l’auditoire auquel s’adresse Bergeron dans ce livre change radicalement par rapport aux publications précédentes : il ne s’adresse plus à un auditoire spécialisé, «chrétien», mais plutôt à un auditoire universel169, l’homo spiritualis, plus à même de cheminer à l’intérieur de ce parcours. Ce changement n’est pas anodin, il permet d’écarter du cadre référentiel, certaines opinions qui pourraient s’opposer à l’argumentaire : Bergeron, en s’adressant à un nouvel auditoire, peut ainsi «transcender les quelques oppositions dont il a conscience». Du coup, l’auditoire spécialisé est moins concerné par les avancées de Bergeron. Ensuite, la question centrale de l’humanum, cette nature/essence qui permet d’objectiver certaines données de l’être humain dans un monde qui affirme toute connaissance comme étant subjective, réintroduit, certes en la balisant, la pierre d’assise nécessaire à la reconstruction du vivre-ensemble la spiritualité (la religion). Bergeron fait appel à l’expérience de chaque être humain pour en assurer le fondement, ce qui rend le tout facilement contestable. La lecture phénoménologique fait émerger ici la tendance de Bergeron à objectiver sa démarche, malgré la prise en compte affirmée de la subjectivité. Ce qui pourrait être une étape normale dans tout travail intellectuel devient plutôt une pierre angulaire. En effet, une telle objectivation cherche à donner une substance permanente à ce qui n’a qu’une existence évanescente selon la modernité ou à justifier ce qui pourrait 167 Pierre Pelletier, «Richard Bergeron sort de ses gonds» dans Présence 21, octobre 2003, p. 33-34. Thomas d’Aquin, Somme théologique, partie 1, 4. 169 Sur les différentes sortes d’auditoire et leurs impacts dans l’argumentation, voir Perelman et Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation…, p. 40-46. La citation plus bas est tirée de la page 43. 168 68 apparaître comme un choix personnel. Ce retour à la nécessité de l’objectivité est le cinquième moment de cette lecture phénoménologique. 2.3.1.2 Hors de l’Église, plein de salut (2004) Être spirituel, c’est être libre.170 Avant de proposer un nouvel objectif de vie avec une affirmation aussi forte que celle qui servira de titre au livre et qui prend le contre-pied de l’adage bien connu, encore faut-il bien comprendre d’où viennent cette institution et les différents changements subis au cours des siècles. Bergeron s’emploiera donc dans ce nouveau livre à cerner ce qui est accessoire par rapport ce qui est à l’origine même de l’Église. Le but recherché est de voir comment ce noyau dur de l’origine peut se concilier avec les défis de l’Église dans notre monde contemporain. C’est pourquoi le livre, de plus de 200 pages, est divisé en trois parties : la première partie s’intéresse aux origines de la spiritualité chrétienne, la deuxième partie porte sur la spiritualité chrétienne en contexte pluraliste et la troisième partie appelle une théologie, absente actuellement, qui puisse en rendre compte. Bergeron commence donc par tracer à grands traits le début du christianisme ainsi que son évolution. Nous l’y suivrons afin de mieux saisir l’ouverture au pluralisme religieux qu’il pouvait y avoir à la naissance de cette religion. Le christianisme, c’est avant tout un mouvement prophético-apocalyptique qui a pris naissance au sein du judaïsme socioculturel et religieux. Ce mouvement qui s’inscrit dans la tradition prophétique de la religion d’Israël, est dynamisé par un esprit de liberté et de libération face aux structures et conventions qui ont cours alors. Ceux qu’on désignait déjà à Antioche comme des «spirituels chrétiens»171, d’après ce qu’affirme Bergeron, ont été perçus très vite comme une menace à l’intégrité de la foi juive. L’expulsion de ces spirituels chrétiens des lieux d’expression de la foi juive les forcera à se donner une nouvelle forme religieuse adaptée au dynamisme nouveau dont ils font preuve. Ils le feront en empruntant certains traits à des structures existantes tout en se les réappropriant : ainsi, on s’inspire du système philosophique de Platon; on 170 Richard Bergeron, Hors de l’Église, plein de salut. Pour une théologie dialogale et une spiritualité interreligieuse, Montréal, Médiaspaul, 2004, p. 7. Nous citons ici la première ligne de la préface du livre écrite par Fabrice Blée. 171 Cette appellation, déjà utilisée dans le livre précédent, est présentée ici par Bergeron comme étant un fait établi alors que ce n’est pas le cas, si l’on consulte différentes traductions de la Bible. Bergeron semble donc forcer le texte ou, du moins, le réinterpréter. 69 réinterprète les fêtes rituelles romaines; on s’adonne aux pratiques du stoïcisme et on réfère pour certaines interprétations de ce nouveau courant religieux à celles d’autres religions existantes, tout en voulant être le plus possible fidèle à l’intuition première, aux différents éléments fondateurs. La spiritualité chrétienne se développe donc sur la place publique en contact avec le terreau juif et la culture païenne. Se reconnaissant comme descendants d’Abraham, les spirituels chrétiens forment le nouvel Israël dont la pierre d’assise est l’agapè. Jésus en a fait son mode de vie : À côté de l’éros qui est un amour de convoitise et de la philia qui est un amour d’amitié, il y a l’agapè. Cet amour de charité et de bienveillance qui ignore son intérêt se traduit par la désappropriation et le détachement; il prend la forme de l’accueil inconditionnel et du service des affligés et se fait contestation des structures aliénantes et provocation des défenseurs de tout ce qui s’érige contre l’humain. L’agapè est un amour qui exclut l’idée de retour, de gratification et de mérite. Cette distinction (éros, philia, agapè), qui nous permet de voir dans l’agapè une forme d’amour spécifique, est utile, mais reste insuffisante. Il faut encore compléter en distinguant deux formes d’agapè : l’amour du prochain et l’amour du lointain.172 Ce nouvel Israël qui pratique l’agapè, n’est pas rattaché à une nation particulière. Ouvert à tous, il se caractérise par l’amour du prochain de même que par l’amour du lointain (de l’Autre). Il propose un engagement non violent contre l’oppression et envers la justice par une option préférentielle envers les démunis et les pauvres. Ce mouvement et ses effets collatéraux prennent racine dans l’expérience concrète d’un Dieu que l’on désigne comme Père en raison même de cette sorte particulière d’amour. Jésus a témoigné de cela. Par ailleurs, outre ce fondement commun, même en ses débuts, la connaissance établie de l’identité véritable de Jésus varie selon les premières communautés qui en font mémoire. Pour la communauté galiléenne, il est un prophète. Pour la communauté jérusalémite, il est ressuscité et en attente d’un retour. Cette communauté prend des repas en commun en souvenir de Jésus. La communauté judéo-hellénique mettra l’accent sur la charité fraternelle qui découle de l’amour du prochain à la manière de Jésus et du lointain dont, là aussi, comme Jésus, elle doit se faire proche. Malgré les différences, des traits originaux rassemblent ces communautés, entre autres : la communion avec la passion de Jésus, l’importance de l’Esprit promis et donné qui 172 70 Ibid., p. 24. confère la filiation et la liberté aux membres ainsi que la promesse d’un Royaume à venir ou celle d’un Royaume réalisé dès aujourd’hui dans le cœur des chrétiens spirituels. Ni Juifs, ni Grecs, ceux-ci se considèreront comme le nouveau peuple élu173. Cette foi nouvelle passera le test d’une rationalité minimale cohérente avec le développement de l’humain. En effet, il existe une convergence de vues entre les appels à l’agapè de Jésus et les exigences d’une raison universelle telles que formulées par le stoïcisme. On propose même que la théologie naturelle des grandes philosophies trouve son achèvement dans le christianisme : le verbe-logos déjà présent avant l’apparition de Jésus offrait auparavant une explication valable, mais partielle. La rencontre avec la romanité sera plus difficile parce que la religion est une affaire d’État pour l’Empire : «toute l’organisation religieuse vise à mettre la cité et les individus en accord avec les volontés divines »174. Or, malgré une tolérance envers toutes les religions, il fallait pour s’assurer de cet accord que tous les citoyens sacrifient minimalement pour la fortune de Rome et pour César, ce que les chrétiens refuseront. Nous connaissons la suite. Bref, la religion chrétienne fait beaucoup d’emprunts à ce qui est son environnement, notamment dans l’univers religieux du moment qu’est le paganisme. Bergeron cite ici Newman qui énumère l’idée de trinité, le baptême, les rites sacrificiels, la doctrine du logos, l’incarnation, l’ordre sacerdotal, la vertu sacramentelle, l’idée d’une nouvelle naissance, Noël, les anges, l’obligation du célibat, etc. C’est pourquoi, selon Newman, il faudrait parler du caractère divin du paganisme, celui-ci exprimant certains aspects de la vérité révélée. Bergeron inverse la perspective : tous ces éléments sont païens et la religion chrétienne les a récupérés en les transformant pour son bénéfice : Ainsi donc, le mouvement spirituel chrétien, au contact de la romanité, a pris la forme d’une religion; il s’est fabriqué un système religieux original, adapté à son genre et capable de servir de lieu d’inscription de la spiritualité chrétienne. La religion chrétienne offrait un cadre institutionnel, doctrinal, moral et cultuel apte à encadrer la vie spirituelle des chrétiens, à la protéger contre les dérapages illuministes et gnostico-ésotériques, à lui assurer une place dans l’espace public et à garantir la fidélité à la tradition d’interprétation.175 En fait, la rencontre avec le politique sera déterminante et structurante pour le développement du christianisme. Devenu religion officielle au IVe siècle, le christianisme 173 Nous résumons ici les pages 25 à 50. Ibid., p. 59. 175 Ibid., p. 62. 174 71 s’est intégré au pouvoir politique et il unifie l’empire romain. D’ailleurs, les premiers conciles sont convoqués pour la plupart par les empereurs afin de mettre un terme à des querelles qui menaçaient cette unité. L’effet en retour sera d’arriver à une formulation dogmatique décrétée par l’autorité qui entraîne la condamnation ou la disparition des autres formulations qui permettaient une certaine diversité dans l’expression de cette foi chrétienne. La religion chrétienne deviendra ainsi une institution sociopolitique fortement arrimée au code juridique romain. Un tel statut générera l’exclusivité et, par voie de conséquence, l’intolérance176. Cette perspective culminera avec le dogme de l’absoluité exigeant la soumission au pape, les autres religions n’ayant plus droit de cité : L’interprétation totalitariste du «Hors de l’Église, point de salut» prétend se fonder sur certains textes de l’Écriture (Mt 28, 18-20; Jn 6, 53; Ac 4,2), sur des raisons de cohérence théologique et sur la distinction radicale, voire l’opposition, entre la foi chrétienne qui est un don de Dieu et la croyance religieuse qui est un acte de l’homme. À mon avis, elle découle bien davantage d’une connaissance imparfaite sinon caricaturale des autres religions, qui étaient considérées, au mieux, comme de vaines recherches de Dieu et, au pire, comme des contrefaçons de la vérité ou des entreprises magiques, idolâtriques et sataniques.177 On comprendra, avec une telle attitude, une fermeture systématique au dialogue de la part de l’Église jusqu’à Vatican II, même si certains spirituels faisaient montre d’ouverture : Aussi longtemps qu’ont perduré le régime de chrétienté et la domination de la civilisation occidentale, seule était possible une spiritualité catholique de type anti-dialogal et exclusiviste. Les énoncés dogmatiques, les grands principes christologiques et ecclésiologiques posaient un absolu exclusif qui ne laissait guère de place à d’autres modèles de spiritualité. De surcroît, les pays de chrétienté constituaient un milieu uniforme et homogène dominé par la religion catholique ou protestante qui imposait le sens, définissait les valeurs et dictait la conduite. Pas de place pour la différence religieuse et spirituelle. Pas de place pour le pluralisme à l’intérieur d’une même aire géopolitique. Une spiritualité exclusiviste cadrait bien avec ce milieu uniforme et religieusement homogène.178 176 Ibid., p. 64. Ibid., p. 68. 178 Ibid., p. 72. 177 72 Afin de pouvoir accueillir les autres religions au sein de sa culture et de leur donner une place, Bergeron propose qu’on ne parle plus des religions comme des voies de libération, mais plutôt comme des lieux qui proposent, favorisent et encadrent ces voies. Ce qui permet de mieux distinguer le médium du message179. Cette distinction serait capitale pour favoriser la rencontre des religions et les échanges entre elles. Bergeron présente ici la rencontre avec la politique romaine et le mouvement spirituel chrétien comme ayant été une perte pour ce dernier : le courant spirituel se muant dès lors en mouvement totalitaire arrimé sur le modèle existant à Rome. Cette opposition, qui demanderait à tout le moins certaines nuances, va structurer l’argumentation de l’auteur : d’une spiritualité qui était souple, le catholicisme est devenu une religion contraignante, bloquée à tout pluralisme. Or, selon Bergeron, dans l’espace public, force est de constater que l’existence même d’une pluralité religieuse amène à l’acceptation du pluralisme religieux. Ce pluralisme suppose la cohabitation pacifique des religions et leur droit d’exister socialement. De fait, on ne peut pas affirmer la supériorité juridique de l’une par rapport à l’autre dans un tel contexte. Ce constat neutralise en quelque sorte la double prétention que peut avoir une religion à la vérité et au statut particulier, d’où la reconnaissance de la liberté civile en matière religieuse. Selon Bergeron, le pluralisme fait écho à la pluralité que l’on retrouve dans la nature et dans l’humanité. Il est «inscrit dans la destinée historique de l’être humain» 180. Or, nous percevons le pluralisme comme un mal et nous voulons faire l’unité. Il faut y arriver sans renier la pluralité en s’ouvrant à la possibilité d’un «pluralisme unitif». Il s’agit d’adopter une nouvelle compréhension de ce que nous entendons par unité religieuse. C’est dans la dimension de profondeur de chacune des religions que l’on peut refaire l’unité. Cette compréhension exige toutefois l’ouverture au dialogue et un attachement non exclusif à sa propre religion. Cela change considérablement la perspective d’une telle quête : on passe de la catholicité occidentale à une mondialité chrétienne en devenir. Cette mondialité doit éviter cependant les deux écueils que sont l’inculturation et le syncrétisme religieux, ce dernier écueil étant déjà évoqué dans Le cortège des fous de Dieu. Toute religion est porteuse d’une vision totalisante pour une culture donnée. Afin d’entrer en dialogue, elle doit dépasser cette vision en acceptant son historicité afin de 179 Ibid., p. 83. La liste des voies de libération selon Bergeron : l’amour, la connaissance (gnose), la conscience, le service des pauvres et l’engagement sociohistorique, la dévotion, l’éthique et l’union avec le cosmos. 180 Ibid., p. 89. 73 la dissocier de sa forme actuelle pour s’en tenir au lieu de l’expérience spirituelle : cela pourrait être la base de véritables échanges. Car Bergeron se pose ici une question clé : …Le dialogue entre des conceptions totalisantes et universalistes est-il possible? Je parle d’un dialogue qui ne soit pas un banal échange d’opinions où l’on tait soigneusement ce qui est essentiel et obligatoire pour les uns et pour les autres, d’un dialogue qui renonce à la volonté de puissance et au désir de convertir l’autre. N’est-ce pas là exiger ce qui est contraire à l’essence même d’une conception religieuse qui se pose toujours comme absolue et universelle? Le dialogue est-il voué à l’échec? Ou bien faut-il que les religions renoncent à leur prétention de posséder une vérité universellement valable?181 Qu’advient-il alors de l’identité chrétienne? Cette entreprise demande de remonter aux origines, de découvrir ou d’accepter de nouvelles filiations, d’enrichir cette identité. Cette entreprise relativise à coup sûr cette identité, mais elle est porteuse d’avenir parce qu’elle oblige à se donner une nouvelle cohérence en lien avec la reconnaissance de ce pluralisme. Dès 1976, Bergeron s’est ouvert au pluralisme religieux en lien avec la recherche entreprise sur les nouvelles religions. Il lui a fallu vivre au risque de ce pluralisme et redéfinir sa foi dans ce nouvel horizon : J’ai acquis la conviction que la spiritualité populaire proposée par le système catholique ne peut plus fonctionner, car elle est en complet décalage avec la culture séculière et pluraliste. Par ailleurs, les grandes spiritualités chrétiennes dont se nourrissent les communautés dites religieuses ne deviendront porteuses d’avenir que si elles se soumettent à un difficile et périlleux processus d’adaptation, d’inculturation et d’interprétation. De toute façon, un grand nombre de chrétiens cherchent de nouvelles sources spirituelles hors frontières et les jeunes ne sont plus attirés par les communautés religieuses traditionnelles. Faut-il dès lors revenir à la spiritualité primitive, antérieure aux formulations dogmatiques et au christianisme impérial? Ces modèles judéochrétien et pagano-chrétien de spiritualité étaient adaptés à leur milieu culturel respectif. Il serait mal avisé d’effectuer un simple retour en arrière. Certes, le ressourcement biblique et patristique du siècle dernier a permis de revivifier la spiritualité chrétienne. Mais on ne peut retourner aux spiritualités judéo-paganochrétiennes comme à des modèles normatifs absolus. Il faut se garder d’absolutiser quelque moment de l’histoire en l’arrachant à sa relativité 181 74 Ibid., p. 103. historique et en le posant hors de l’espace-temps, comme s’il était capable de se tenir en lui-même d’une manière transhistorique, transculturelle et transfrontalière.182 Le retour aux sources du christianisme afin de contourner la difficulté du pluralisme ne semble donc pas une solution, car on absolutise, on idéalise, le moment fondateur alors que tout cela exigerait d’être contextualisé183. Dès lors, que serait une spiritualité chrétienne pluraliste? Elle serait fondée sur l’agapè, sur la considération avec laquelle on doit se comporter envers l’autre dans sa propre vie, un peu à la manière d’en traiter qu’ont Martin Buber et Emmanuel Lévinas184 : Les travaux de Buber et Lévinas ont analysé la radicale altérité de l’autre, c’est-àdire son irréductible différence, mais aussi sa capacité relationnelle spécifique par laquelle il nous confronte, nous interpelle et nous révèle à nous-mêmes. L’autre est donc important pour mon propre advenir en humanité. Richard Bergeron en conclut que le chrétien doit accepter l’autre même dans son altérité religieuse. Cette acceptation exige qu’il fasse du Dieu-Père, fondement de sa liberté, le Père de toute l’humanité. Une telle perspective oblige à la tolérance et à la sympathie. Même si elle doit être limitée par la dangerosité effective d’une religion pour le bien commun, la tolérance ramène aux principes fondateurs que sont la révélation, l’inspiration et la Parole de Dieu pour chacune des religions. Ce qui suppose, bien sûr, de s’entendre sur une méthode exégétique qui puisse être acceptée de tous. Quant à la sympathie, elle conduit au dialogue intérieur ou plutôt au «trialogue» : les deux religions qui se rencontrent et une entité qui reste cachée, mais qui peut recevoir le nom de Dieu. L’effet d’une véritable rencontre entre religions peut inciter à intégrer certains éléments de l’autre système, à reconfigurer sa propre pratique spirituelle et à partager l’expérience religieuse de l’autre, au point de vivre une double appartenance. Une nouvelle alliance des religions devient alors possible. Par contre, il faudrait accepter que le livre où Dieu parle aux chrétiens soit un livre parmi d’autres, qu’il ne faut pas s’en tenir à la simple lettre du texte. Même si le Livre détermine la spiritualité d’une personne, les autres Livres peuvent l’enrichir. On comprend qu’une telle compréhension aille à l’encontre des positions dogmatiques de l’Église actuelle où Jésus est donné comme l’Absolu de la vie et la Bible, comme l’unique 182 Ibid., p. 117. Voir à ce propos la conférence inaugurale d’André Couture prononcée à l’automne 2013 devant les professeurs et les étudiants de la faculté de théologie de l’Université Laval : «Le syncrétisme, ou la revendication d’une religion pure de tout amalgame». Cette question d’une origine fantasmée y est soulevée. 184 Ibid., p. 121. 183 75 Parole de Dieu; il n’y a plus d’absoluité, d’unicité ou d’exclusivisme pour l’Église qui tienne : Point de salut en dehors du Christ et de l’Église. Tel est, dépouillé des subtilités théologiques, le dogme de l’absoluité du christianisme. En dehors de l’Église, principalement de l’Église catholique, y a-t-il encore place pour une autre institution religieuse, chrétienne ou non, qui soit porteuse de salut? Quand on occupe tout l’espace, les autres sont refoulés dans un non-lieu. L’affirmation de l’absoluité catholique n’implique-t-elle pas la négation de l’autre, le refus de le reconnaître dans sa différence et, tout simplement, le déni de son droit d’exister?185 Ainsi, ce n’est pas tant dans le contenu de la foi que le bât blesse, mais dans l’interprétation qui en a été faite : elle ne fait aucune place aux autres religions, ni ne prend en compte le fait de la conscience historique et, encore moins, n’assume une conscience mondiale. Refuser l’interprétation traditionnelle n’implique pas une perte de la foi. Le chrétien doit cependant se doter des structures dialogales qui lui permettront de reconnaître l’autre, l’égalité entre les croyants, la validité des religions et le respect de leurs différentes expressions. Or, le devoir d’adhésion à l’interprétation traditionnelle viole la liberté de conscience et contredit la liberté fondamentale qu’exige la foi. C’est pourquoi l’obéissance aveugle au magistère doit être proscrite au profit d’une attention respectueuse à ce que celui-ci propose. Cette même circonspection est aussi valable pour les autres religions en dialogue avec le christianisme : rien ne doit entraver le dialogue. Bergeron suggère qu’une théologie interreligieuse, qui donnerait un cadre à cette nouvelle réalité, pourrait être une voie pertinente. Toutefois, si cela était, son statut épistémologique serait incertain. Une telle théologie devrait pouvoir accueillir les autres religions, même les nouvelles, malgré la fermeture habituelle au dialogue qui prévaut à leur naissance. L’exclusivisme chrétien n’a donc plus la cote et ne peut plus être prôné. D’autant que, même s’il y a eu des interprétations plus souples, L’adage «Hors de l’Église, point de salut» suscite un grand malaise. Il est clair que le concile de Florence et, après lui, le magistère ecclésiastique ont donné un sens obvie et littéral à l’axiome classique : hors des limites spatio-temporelles de l’Église catholique et hors de la soumission au pape, il n’y a pas de salut. Le sens était on ne peut plus clair, mais l’interprétation traditionnelle étant devenue 185 76 Ibid., p. 151. gênante, on a ouvert progressivement le sens de l’axiome et on lui a fait dire exactement le contraire de ce qu’il énonce.186 Une interprétation nouvelle de cet adage est de soutenir que ce n’est pas de l’Église, mais plutôt du Christ que dépend notre salut. Or, Jésus n’est pas venu accomplir toutes les religions. S’il en était ainsi, les autres religions pourraient avoir cette même prétention à propos de leur fondateur. On pourrait également mettre de l’avant la complémentarité des religions en acceptant qu’il y a plus de vérité en les additionnant que dans une seule pour parler de Jésus ou de Dieu. Toutefois, cela n’est pas possible, car certaines religions ne sont pas théistes. En fait, afin de pouvoir considérer le phénomène des religions dans sa totalité, il faut quitter le point de vue de Dieu pour adopter le point de vue de l’humain. La perspective anthropocentrique permet même de se donner un critère pour les juger ou, du moins, les analyser : la réalisation de l’humain intégral. Si la religion favorise la réalisation de l’humain, on peut en parler dans l’absolu, à la condition que ce terme ait une connotation analogique et relationnelle. De fait, l’analogie est un mode de connaissance à privilégier dans la connaissance de Dieu, certes, mais aussi dans l’appréhension des religions, car elle peut faire cohabiter les contraires sans qu’ils s’excluent mutuellement. Bergeron souhaite établir la distance entre ce qu’était l’Église en ses débuts et ce qu’elle est devenue : les multiples emprunts faits au cours du temps aux autres religions, au cadre politique et à la philosophie, font écran et ne permettent pas au chrétien d’aller véritablement à la rencontre des autres religions. Bergeron tente ici de cerner les éléments fondamentaux du Jésus des origines qui permettraient peut-être une telle ouverture et d’en arriver à un partage réel pouvant aller jusqu’à permettre l’intégration de certains éléments d’autres religions. Selon Bergeron, cette remontée à l’origine ne doit pas être absolutisée pour autant, car tout n’est pas à rejeter dans le développement qu’a connu l’institution. Cette nuance a son importance dans le parcours réflexif de Bergeron. Et Jésus dans tout cela?187 Il serait un médiateur auprès de l’absolu. Son message est destiné à toutes les nations même s’il faut l’adapter aux différentes cultures afin de comprendre comment il incarne le meilleur de l’Humanum et comment il appelle à réaliser ce meilleur. 186 Ibid., p. 168. Bergeron associe l’interprétation de son époque comme étant l’interprétation «traditionnelle». 187 Ibid., p. 221. 77 À l’issue de la lecture de ce livre, il devient clair que, pour Bergeron, la notion d’humanum apparaît comme le pivot central du dialogue entre les religions. Or, la réalisation de l’humain intégral, qui passe par la reconnaissance d’une essence divine dans l’être humain, demande à être explicitée. On devine que cette réalisation rejoint la conception humaniste laïque (séculière) du développement humain. Toutefois, on peut se demander si une telle conception n’est pas, elle-même, un héritage judéo-chrétien? Le critère de jugement s’en trouve alors biaisé, étant associé à une conception provenant d’une culture particulière. Ce livre de Bergeron recevra des échos plutôt positifs. Ainsi, dans un compte rendu, Francis Brassard juge que ce livre est «un plaidoyer en faveur d’un retour à une attitude religieuse qui a bien servi les premiers chrétiens»188. Cela pourrait se faire par une théologie dialogique telle que préconisée par Bergeron, mais une question demeure pour Brassard : cette «fossilisation» qu’a connue l’Église est-elle, somme toute, un appauvrissement ou une maturation? Cette question ouvre sur deux perspectives différentes en ce qui a trait à l’Église-Institution. Or, la dernière perspective n’a pas été considérée par Bergeron. De même, dans un autre compte rendu, Yvon Théroux en tire la conclusion suivante : Richard Bergeron interpelle toutes les personnes de bonne volonté et répond à certaines questions. L’expérience spirituelle est le noyau essentiel de toutes les traditions religieuses. Mais quand l’institution — de n’importe laquelle des traditions religieuses — risque de banaliser ce noyau, c’est peut-être le symptôme d’une trahison mortifère. Et chez les chrétiens, il est sans nul doute extrêmement difficile de devoir assumer la mort pour refaire l’expérience de la résurrection. D’autant que la résurrection est surtout affaire d’espérance.189 Théroux va même plus loin dans cette réflexion : Si la mort annoncée et imminente d’un catholicisme perçu, dans sa forme externe, comme désuet et obsolète doit en même temps laisser entrevoir de nouveaux surgeons, les filons dégagés par Richard Bergeron devraient présager d’un renouveau sans pareil. Si dans ce livre, Bergeron prend le large en rapport à son adhésion à l’Église-institution, il continue d’accorder une place prééminente au médiateur Jésus et il s’en expliquera 188 Francis Brassard, compte rendu de Richard Bergeron, Hors de l’Église, plein de salut!, Montréal, Médispaul, 2004, dans Religiologiques, no 31, p. 243-246. La citation est tirée de la page 246. 189 Yvon R. Théroux, compte rendu de Richard Bergeron, Hors de l’Église Plein de salut, Montréal, Médiaspaul, 2004, dans Religiologiques, no 31, p. 246-251. Les citations sont tirées de la page 251. 78 longuement dans son prochain livre. De fait, Hors de l’Église, plein de salut est une transition dans le parcours réflexif de Bergeron. Plutôt que de s’en tenir à ce que l’Église affirme de Jésus, Bergeron idéalise le Jésus des origines, le spiritualise, afin de le rendre cohérent avec sa présentation du spirituel qu’il oppose à la religion conventionnelle. Il propose de cette manière un nouveau cadre de référence. L’élaboration de ce cadre de référence devient le sixième moment identifié par notre lecture phénoménologique. 79 2.3.2 L’effort d’intégration Aussi longtemps qu’on est en route, étranger à soi-même et loin de sa propre humanité, il est téméraire de faire l’économie de magistères extérieurs. Aussi longtemps que l’on demeure sous la gouverne du «petit moi», on ne peut se dispenser d’indications objectives qui pointent vers le but et dirigent les pas vers la terre promise. Il n’y a que chez le spirituel accompli que s’accomplit la syntonisation parfaite de la voix subjective et de la voix du Maître intérieur.190 La rupture de Bergeron avec l’Église-institution est consommée depuis la publication des Pros de Dieu. Par la suite, il tente de discerner ce qu’il faut retenir comme l’essence de l’enseignement de l’Église afin de la reconstruire. Toutefois, en attendant que cet élagage soit terminé, Bergeron reconnaît la nécessité de se référer à cette Église pour ne pas se perdre dans les dédales d’un cheminement spirituel. À cet égard, Jésus demeure pour lui un modèle de référence. Un tel effort d’intégration se veut un recentrement annonçant le prélude d’une réappropriation qui fera de Bergeron, ce nouveau lointain, un proche de l’Église. Autant Bergeron cherchait auparavant à modifier une Église instituée par Jésus, à laquelle il adhérait aveuglément, autant maintenant, à partir de la redécouverte de son intériorité, il cherche à modifier le modèle de référence afin de rendre cohérente sa démarche. 2.3.2.1 Et pourquoi pas Jésus? (2009) Quant à moi, je cherche, comme tant d’autres, un type de référence à Jésus qui soit délesté, en partie du moins, de son cadre religieux et qui prenne sérieusement en compte les requêtes de la sécularité et de la pluralité culturelle et spirituelle.191 Ainsi, alors que la démarche entreprise par Bergeron aurait dû tout naturellement le conduire à s’exclure de l’Église de même que de son magistère, Bergeron opère désormais un retour à Jésus. Il réaffirme haut et fort son lieu d’appartenance. Bien sûr, il s’agit de dépasser la représentation traditionnelle qui en est faite, également de reconnaître l’empreinte qu’un tel passage a laissé dans notre civilisation : La fidélité à Jésus ne peut s’inscrire que dans ce processus de dépassement. À mesure qu’on franchit les âges de la vie et qu’on affronte luttes et blessures, on est appelé à revoir son appartenance à Jésus. Cette appartenance ne désigne pas 190 191 80 Bergeron, La vie à tout prix! …, p. 178. Richard Bergeron, Et pourquoi pas Jésus?, Novalis/Médiaspaul, Montréal, 2009, p. 108. seulement que j’appartiens à Jésus, mais qu’il m’appartient, non seulement que je suis à lui et pour lui, mais qu’il est à moi et pour moi. Une appartenance mutuelle ouverte à tous et non une possession exclusiviste. De plus, quittant la sphère subjective et regardant l’histoire occidentale, je constate que la référence à Jésus a été d’une fécondité extraordinaire. De Jésus est sorti un souffle impétueux et créateur qui a détruit les idoles, fécondé les cultures, créé une civilisation avec ses œuvres d’art, son patrimoine culturel, sa raison philosophique et ses inventions. Je continue à me référer prioritairement à celui qui a été l’initiateur de cet immense mouvement créateur d’humanité.192 Pourquoi encore se référer à ce Jésus? On ne peut s’empêcher de constater le désir de Bergeron de refaire Église à partir du Jésus des origines : un «christianisme idéal» qui serait source d’inspiration, mais aussi étalon dans le jugement à porter en ce domaine et qui sort le chrétien qu’il demeure d’une spiritualité de soi à soi. Bergeron se fait ici archéologue à la recherche d’une nature/essence qui soit un au-delà de la subjectivité. Comme modèle, Jésus est une source d’inspiration qui a donné un art de vivre singulier permettant de mieux développer l’humanité des personnes qui l’accueillent. Ce qui n’est pas le cas de tous les maîtres, ni non plus de tous les arts de vivre que l’on rencontre. C’est pourquoi il faut baliser la vie de l’être humain en l’ayant comme repère. Il faut ici suivre le cheminement de Bergeron à l’intérieur de ce livre afin de mieux saisir le sens précis de cette reformulation de la figure de Jésus et ses conséquences pour sa conception de l’Église. Et pourquoi pas Jésus, livre de 300 pages, a comme but de présenter Jésus en dehors de toute structure religieuse, ce que Bergeron fait en deux parties : la première porte sur le difficile accès à Jésus en dehors de cette structure et la deuxième, sur le maître Jésus revu et corrigé. De plus, Bergeron fait différents constats portant sur l’évolution de cette cohabitation de la religion avec la société québécoise. Toutefois, il n’est pas certain que cette société emprunte le chemin suggéré par Bergeron dans la redéfinition de son rapport avec la religion. Selon notre auteur, la figure de Jésus est dans l’ici et le maintenant. Il soutient que cette figure aide à se départir du mirage qu’entretient le moi à son sujet et elle ramène au «je», lieu de la singularité et de la subjectivité. La prise de conscience du «je» permettrait de dépasser le moi égocentrique et narcissique afin d’accomplir l’hommepour-les-autres, au service des autres. Ce dépassement, déjà évoqué dans Hors de l’Église, plein de salut!, est d’ailleurs le meilleur chemin pour soi-même, libéré de 192 Ibid., p. 22. 81 l’aliénation193. Cette voie ouvre à un face-à-face avec Dieu à partir duquel on peut évaluer son adhésion à la Parole de Dieu et ses actes en lien avec la sagesse de l’amourAgapè. Bergeron formule de cette manière l’humanité que propose Jésus dans ses gestes et dans ses paroles : Dans son aujourd’hui, il aime Dieu de tout son cœur, de toute son âme et toutes ses forces (le devant-Dieu), et le prochain (le pour-les-autres) comme soi-même (le pour-soi). Face au maintenant, son amour prend la forme de l’attention (éveil, vigile, sentiment d’urgence); face à Dieu, il prend la forme de l’obéissance au bon plaisir divin; face aux autres, il prend celle du service diaconal; et par rapport à soi-même, il prend la forme de l’écoute kénotique de son «je» profond. Pour Jésus, s’écouter, c’est être attentif à soi ici et maintenant, servir les autres et obéir à Dieu. L’unification de son être est parfaitement réussie.194 Jésus redevient alors pour Bergeron un cadre de référence, mais c’est un Jésus qui oscille entre deux pôles : le «je» et le Jésus de la tradition chrétienne. L’aller-retour entre ces deux pôles chez l’être humain engendre un processus qui permet une meilleure connaissance de soi-même. Or, à l’intérieur de la tradition chrétienne, on imagine Jésus de diverses façons : le Nazaréen, le Jésus de l’histoire, le Jésus-Christ, le Jésus dogmatique (institutionnel), le Jésus ésotérique, le Jésus politique ou psychologique, le Jésus qui réalise le modèle spirituel d’une autre religion, le Jésus des disciples/pierre angulaire d’une association ou encore le Jésus des démunis. Cette multitude de représentations oblige à reconnaître qu’il faut distinguer entre le Jésus réel et, celui de l’histoire, le Jésus construit, façonné par des siècles de christianisme. Une telle entreprise demande de retourner au Jésus de l’histoire et à l’événement fondateur lui-même ainsi qu’à l’interprétation qu’en ont donné les disciples195. Afin d’accéder au Jésus réel, Bergeron énumère les quatre exigences suivantes : il faut partir, bien sûr, des évangiles; avoir recours à la tradition d’interprétation; se donner une interprétation toute personnelle (quelle signification Jésus a pour moi?); et considérer Jésus encore vivant, ce qui était au cœur de la foi primitive («Jésus est au milieu de nous»). Certes, il faut se méfier du dogmatisme dans le recours à l’interprétation et ne pas se priver d’un regard neuf à partir d’une vision moderne du monde, des cultures et des autres religions. Cette manière de faire est déstabilisante, car elle demande à chaque personne de répondre pour elle-même à la question fondamentale de ce processus : qui est Jésus dans ma vie? Répondre n’est pas sans avoir de conséquences : 193 Ibid., p. 33. Ibid., p. 37. 195 Ibid., p. 62. 194 82 on le sait, Jésus a été politiquement et religieusement dangereux pour l’ordre établi; il faut même dire que «l’expérience chrétienne est caractérisée par la référence radicale à Jésus»196. Pourquoi cette radicalité? Elle est inhérente à l’expérience Jésus. Le récit des miracles197 dans les Évangiles illustre bien les étapes d’une telle expérience. Lors d’une situation de détresse, on reconnaît l’autorité de Jésus à pouvoir dénouer cette situation et l’on fait une démarche subjective pour lui demander de l’aide. Alors quelque chose d’extraordinaire advient qui donne lieu à l’étonnement et à la louange. Cette expérience de vie change la personne jusque dans son rapport à la société. L’expérience de Jésus a fait naître plusieurs façons de s’y référer, ou encore plusieurs types de référence, qui sont autant de voies d’accès expérimentées par Bergeron, connues des chrétiens, mais pas nécessairement empruntées par tous. Ainsi, la dévotion, l’observance des commandements, la contemplation, l’engagement évangélique (l’action apostolique) ou encore mimétique (l’imitation de Jésus), la théologie comme raison croyante sont autant de voies auxquelles peuvent être accolés des noms de grands spirituels de différentes époques. Le parcours de Bergeron s’appuiera successivement sur deux de ces voies : J’ai été initié à la référence mimétique dans l’ordre des Frères mineurs qui en a modelé les exigences selon les goûts et besoins des diverses époques. La référence mimétique n’arrivait plus, hélas!, à se dire adéquatement à travers des structures conventuelles qui rendaient l’imitation «matérielle» pratiquement impossible, la confinaient dans des pratiques internes au cloître et l’encadraient canoniquement dans des règles juridiques (règle, constitutions, coutumier, etc.) et la structure des trois vœux. Le principe mimétique se trouvait domestiqué et rendu «raisonnable». Adaptation oblige. Tout en voulant imiter Jésus et conformer ma vie à la sienne, je n’ai à peu près pas connu la pauvreté, le manque d’argent, l’insécurité, l’itinérance, le dénuement, le mépris, la minorité, ni le lavement des pieds — ni la joie parfaite qu’engendre cette austère imitation.198 Insidieusement, cet encadrement conventuel souple qui répondait imparfaitement à l’exigence du mimétisme allait être remplacé chez Bergeron par la voie théologique : «à mon insu, la référence théologique a supplanté la référence mimétique dans ma 196 Ibid., p. 91. Ibid., p. 80-90. Bergeron fait remarquer qu’on peut également faire l’expérience de Jésus par les miracles : la guérison d’aveugles suppose l’accès à la Lumière; de sourds, à la Parole; d’infirmités diverses, au Relèvement /à la résurrection; d’éléments déchaînés de la nature, à la Transcendance de monde; de la guérison physique, à la Libération. Autant d’aspects qui sont associés à Jésus. 198 Ibid., p. 101. La citation du paragraphe suivant est tirée de la même page. 197 83 recherche de Jésus». De l’imitation de Jésus, Bergeron passe au savoir sur Dieu. Il n’intègre pas l’un et l’autre. Ainsi, il délaisse ce qu’on pourrait qualifier de praxis spirituelle et en fait une question intellectuelle, qui met en abîme cette praxis. Ce sera après une réappropriation existentielle qu’émergera le besoin d’une nouvelle praxis. Les voies d’accès à Jésus seront différentes selon qu’elles soient populaires, comme les deux premières, ou privilégiées, comme les trois dernières, parce qu’elles s’adressent à une certaine élite en retrait du monde. L’Église a encadré ces voies et les a toutes traduites en termes religieux aux niveaux juridique et théologique. Or, ce que suggère Bergeron, c’est de dissocier Jésus de l’Église, les références n’étant pas exclusives à l’institution199, afin d’en dégager un Jésus séculier, plus en phase avec le monde moderne. Bergeron se met donc à la recherche d’une nouvelle façon de se référer à Jésus. Une telle référence se devra d’être authentique et fidèle au cœur même de son message, à savoir le caractère normatif de l’événement Jésus et le principe d’exemplarité qui en découle. En effet, l’homme d’aujourd’hui se veut authentique et veut développer l’intégralité de son humanité. Il s’agit là d’une vision anthropocentrique. Lorsque cet homme contemporain expérimente le manque et les difficultés, une prise de conscience peut se faire qui sert de déclencheur pour une rencontre avec Jésus dans un contexte de dialogue avec les autres religions, car ces religions font maintenant partie de l’horizon de sens de chacun de nos contemporains. Ces références à l’autre sont essentielles à une meilleure compréhension de soi. Dans ce contexte, la vérité religieuse est plurielle et relationnelle dans une réciprocité asymétrique où Jésus demeure ou devient en quelque sorte une boussole contre les errements : «en un mot, la référence préférentielle et prioritaire à Jésus joue le rôle d’aimant contre les égarements, de port d’attache contre le non-lieu, d’ancre contre les dérives et de point focal contre l’éparpillement»200. Il est une référence objective dans un monde de subjectivité. Quant au principe d’exemplarité, où l’on veut ressembler à Jésus, il a été très présent dans le christianisme sous différentes formes et certaines n’étaient pas des plus heureuses si l’on pense au pharisaïsme, au littéralisme ou à l’intégrisme pour n’en nommer que quelques-unes. En situation de chrétienté, l’exemplarité doit être conforme à ce qu’en pense l’Église sous peine d’être taxé d’hérésie. La modernité a changé la perspective, l’humain idéal est à venir et non pas à puiser dans le passé. Il n’y a pas de place pour de l’imitation, car la source vient de soi. L’exigence d’authenticité disqualifie tout référent extérieur201. L’être humain intégral se crée à partir de ses propres matériaux sans autre 199 Ibid., p. 106. Ibid., p. 118. 201 Ibid., p. 141. 200 84 référence. La contemplation de Jésus peut servir ici seulement comme référence esthétique qui fait jaillir une impulsion créatrice concomitante permettant à l’être humain de devenir lui-même dans sa singularité. Jésus, de modèle à imiter, devient inspiration libre pour l’humain qui se construit. L’écoute devient le «mode privilégié de référence à Jésus»202 sur laquelle peut se déployer l’exemplarité dans un processus dynamique qui permet de se connaître et de se transformer. La Parole qu’on écoute, on l’écoute pour soi. Cette écoute oblige à faire silence. Par la suite, on peut choisir de s’y conformer, comme dans l’expression répandue «ainsi soit-il», et, ainsi, de la réaliser. Le vrai disciple est celui qui écoute Jésus, qui fait advenir cette Parole dans sa vie : Ils peuvent être dispersés aux quatre coins de la terre et partager diverses croyances religieuses; ils forment pourtant ce grand réseau planétaire des authentiques porteurs de la parole de Jésus. Certes chaque Église a la prétention d’être la vraie, la seule vraie ou, à tout le moins, la meilleure gardienne de la parole de Jésus. Et dans chaque Église, certains sont mandatés pour en être les ministres officiels. Au-delà de toutes ces prétentions d’ecclésiastiques patentés, la parole de Jésus demeure vivante en ceux qui en vivent plutôt qu’en ceux qui la mettent en formules; en ceux qui l’écoutent plutôt qu’en ceux qui l’enseignent. Les vrais serviteurs de la parole de Jésus sont ceux qui l’écoutent et la mettent en pratique, quelles que soient leur culture, leur race et leur religion. Ce sont eux qui l’ont gardée vivante au cours des siècles et qui l’ont portée jusqu’à nous. Et ils l’ont portée enrichis de leur interprétation, de leur expérience et de leur accomplissement. La parole immémoriale de Jésus ne peut rester vivante qu’interprétée et inculturée.203 Ainsi, la tradition d’écoute fait que le texte parle au lecteur de façon personnelle à la manière d’un récit symbolique tiré de sa propre vie. Cette réappropriation de la Parole de Jésus unifie dans les faits deux paroles : coïncidence de la volonté du lecteur et de celle qui l’a prononcée. Ainsi, l’écoute conduit au maître, crée le maître intérieur. Par cette coïncidence même, le maître est devenu intérieur et n’est plus imposé de l’extérieur, comme pourrait l’être, par exemple, un maître à penser : D’où la conclusion très importante pour notre propos : pour accéder à la vraie connaissance spirituelle, on ne doit pas partir des mots et des enseignements des maîtres extérieurs. C’est la démarche inverse qui s’impose. Le véritable 202 203 Ibid., p. 182. Bergeron associe une telle démarche à la Lectio divina. Ibid., p. 172-173. 85 maître est intérieur, au-dedans de chacun, au-dedans de moi. C’est lui qui me communique la vraie connaissance de moi-même, de ma voie vers l’humanité et de mon chemin vers Dieu.204 Bergeron signale deux freins à l’écoute : d’abord, l’agitation qui cause l’éparpillement et ne permet pas à la personne de se ramasser; ensuite, la liberté blessée, due à des expériences passées ou à des situations de vie, peut générer des blocages importants. La modernité a permis à la raison de devenir autonome par rapport à la foi 205, il faut en prendre acte. Pourtant, l’Église n’a cessé de réaffirmer «son droit de gérance de la raison» et d’imposer un magistère. Elle tolère le pluralisme plus qu’elle ne l’accepte. Elle se doit maintenant d’entrer véritablement en dialogue, d’être, elle aussi, à l’écoute, car la Parole de Jésus n’est pas exclusive à cette institution, comme elle a pu le prétendre auparavant. Le titre de maître que l’on a donné à Jésus de son vivant et après sa mort fait écho à différentes facettes de ce que ce personnage représente. Il a été d’abord un rabbi atypique dont la Parole avait des effets surprenants. Cette Parole annonçait le Royaume, guérissait, rassemblait et disait comment vivre. Il a été récupéré par les Grecs et les Romains qui, en se l’appropriant, ont refondé le christianisme206, modifiant ainsi la fondation originelle. Jésus est alors apparu comme un «maître philosophe». Les disciples reconnaissaient l’autorité que lui-même affirmait et ils consentiront librement à lui obéir et à le servir en se ralliant à cette proposition de l’amour-agapè. Ces disciples étant de plus en plus nombreux, cette croissance n’ira pas sans conséquence au niveau politique. Si, au commencement, les chrétiens étaient soumis aux autorités, la conversion de l’Empire romain les entraîne ailleurs. Ils se refusent à reconnaître la divinité de l’empereur, mais la souveraineté de celui-ci participe dès lors à l’autorité de Jésus. Cela aura comme effet que l’Église se structurera sur le modèle de l’empire et en adoptera le code. La chute de l’empire fera en sorte que le nouveau dépositaire de cette souveraineté sera la papauté. La cité des hommes passera ainsi sous l’autorité de la cité de Dieu pour engendrer une «christocratie». À partir de la Renaissance, la cité des hommes reprendra graduellement ses droits même si l’Église essaiera de maintenir sa souveraineté. Vatican II opèrera un changement de cap : il réaffirme la souveraineté du Christ, mais celle-ci s’exerce dans le service plutôt que dans le pouvoir et la force207. Ce changement est en fait un retour à la conception originelle 204 Ibid., p. 193-194. Ibid., p. 289 et suivantes. 206 Ibid., p. 280. 207 Ibid., p. 299. 205 86 de l’autorité et de la seigneurie de Jésus qui ne se fonde pas sur le pouvoir, mais plutôt sur le consentement, sans aucune contrainte. Au terme de ce livre, Bergeron résume ainsi ce qu’il entend par le magistère de son Jésus séculier, si différent de celui du Jésus institutionnel : La parole magistérielle de Jésus, on l’a dit, présente quatre caractéristiques fondamentales : elle est tout à la fois prophétique, sapientielle, curative et rassembleuse. En tant que prophétique, elle pose le Règne de Dieu dans l’icimaintenant et ouvre toute histoire, individuelle et collective. Sapientielle, elle propose un art de vivre en réponse aux exigences de la présence du Règne toujours à venir. Curative, elle est capable de sauver en guérissant toute espèce de manques et en délivrant de toute entrave aliénante. Rassembleuse, elle vise à réunir l’humanité entière en une communauté fraternelle au-delà des frontières de race, de religion, de culture, au-delà de tous les cénacles de pseudo-élus qui s’isolent d’un monde qu’ils jugent indignes, et au-delà de tout clivage opéré par la prétention à la rectitude morale, religieuse et sociopolitique. Ces quatre caractéristiques de la parole de Maître-Jésus servent de discernement de toute parole dite ou entendue. Elles permettent de reconnaître ou non, dans les discours que je tiens ou que j’entends, ceux qui sont des échos authentiques de la parole de Jésus se réverbérant à travers les âges. Tout discours qui ferme l’histoire et désespère d’une personne ou d’une situation, qui propose des antivaleurs et une contre-sagesse de vie, qui blesse et détruit les individus dans leur être psycho-corporel et spirituel ou encore qui isole les gens, les dresse les uns contre les autres ou les ostracise, tous ces discours ne peuvent pas être l’écho de la parole de Maître-Jésus, même si ceux qui les tiennent prétendent se réclamer de lui ou citent les évangiles à pleine bouche.208 On constate que ce Jésus séculier se définit par rapport à l’autre Jésus, qui garde ainsi une certaine pertinence. Il permet d’actualiser cette nouvelle façon de recevoir le message de Jésus. Ce livre a fait l’objet de peu de réactions. Il sera reçu comme le témoignage d’un parcours intellectuel évolutif. Raymond Légaré caractérise ce parcours comme étant …marqué par une évolution de la perception de Jésus qui au départ dogmatique est devenue au fil du temps théocentrique pour être remplacée plus récemment 208 Ibid., p. 308. 87 par une vision de Jésus immanente, c’est-à-dire anthropocentrique. Il synthétise une quête spirituelle fondée sur des options constamment réévaluées.209 Cette démarche rigoureuse qui utilise parfois un vocabulaire quelque peu ésotérique et qui fait allusion à certains éléments de vie, fait de ce livre un travail plus personnel et péri-scientifique. Cela pourrait expliquer, selon un commentaire de Légaré, certaines généralisations hâtives qui font bon marché de la diversité des lecteurs. Bergeron a proposé une vision de Jésus renouvelée qui, de son point de vue, prend en compte la subjectivité de l’être humain. Cette vision « idéale » lui permet une pleine adhésion à la foi qui l’habite. Notre lecture phénoménologique à propos de ce livre de Bergeron permet de bien mesurer ce qui se joue ici : après avoir redessiné le modèle de référence qu’est Jésus, ce nouveau moment dans son évolution, le septième, fait apparaître une nouvelle préoccupation qui est l’autojustification de son cheminement. Conformément à ce qu’il affirme ici, son cheminement réalise ce qu’il estime être le développement de l’humain intégral, il ne pouvait y accéder auparavant en raison même des contraintes de l’institution. Par cela, il s’approche du maître intérieur. 2.3.2.2 Le couple comme nouveau lieu spirituel (2011) Seul le couple qui se pose comme lieu spirituel… peut être le porteur et l’agent d’une spiritualité séculière appelée à dépasser les limites du couple lui-même, de la famille et de l’espace privé pour s’inscrire dans le tissu social et politique et, éventuellement, se traduire en humanisme et en humanitaire.210 Dans son dernier livre, Bergeron explique que sa sortie de la religion a été l’occasion de découvrir un nouveau modèle spirituel qui pourrait faire croître l’adhésion à cette foi renouvelée. Ainsi, dans son livre Le couple comme nouveau lieu spirituel, il souhaite inscrire la spiritualité séculière à l’intérieur du couple. Cette réalité du couple est devenue la sienne depuis l’année 2000 et il l’a officialisé par un mariage civil en 2007. Bien sûr, dans cette réflexion, on retrouve la préoccupation qu’a Bergeron de se recréer un lieu d’ancrage au niveau de la spiritualité depuis son départ de la communauté franciscaine. On peut y voir aussi, en quelque part, la volonté de donner une voie 209 Raymond Légaré, Le livre du mois : Richard Bergeron, Et pourquoi pas Jésus?, Montréal, Novalis, 2009, paru sur le site web du réseau Culture et Foi, janvier 2010 (consulté le 25 juin 2014). 210 Richard Bergeron, Le couple comme nouveau lieu spirituel, Montréal, Novalis, 2012, p. 123. 88 nouvelle à la Parole rassembleuse du Maître-Jésus au moment où les regroupements traditionnels que propose l’Église-Institution ne suscitent plus d’engouement. Ce délaissement est causé autant par le fait de la marginalité des positions d’un Jésusséculier dessiné précédemment par Bergeron en rapport aux diktats officiels que par celui des difficultés de vivre en Église en région : elle peine à assurer une présence minimale auprès des populations locales. Mais il y a plus et c’est la raison qui nous fait investiguer d’un peu plus près cet ouvrage. Bergeron soutient que «…dans la mesure où il se structure comme lieu spirituel. Le couple moderne devient (…) l’agent principal d’une spiritualité séculière»211. Une telle inscription du couple moderne dans la spiritualité à la fin du parcours de Bergeron mérite donc toute notre attention. Ce livre, d’un peu plus de 120 pages, est à la fois un témoignage sur ce que peut être un «couple spirituel» comme le Bergeron le vit et une quête d’une nouvelle communauté, d’un vivre-ensemble chrétien. D’entrée de jeu, Bergeron souligne que l’Église a valorisé la famille et l’union qui la précède, au point d’en faire un sacrement qui sera institué autour de l’an mil. Le mariage avait comme but de procréer et ce n’est qu’avec la parution de l’encyclique Casti Connubii212 en 1930 qu’il est également fait mention que c’est un lieu de soutien mutuel et de perfectionnement pour les conjoints. De l’avis de Bergeron, cette situation a voilé la réalité du couple et ses potentialités spirituelles. De fait, le modèle que l’on proposait jusque-là était celui de la Sainte Famille, une image elle-même refaite sous l’influence de la spiritualité monastique. Un tel modèle de famille se résumait en une vie consacrée à Dieu et hors du monde. Il n’est pas surprenant que, traditionnellement, l’image de la famille proposée représente une Église en miniature, et que l’image du mariage représente une alliance humano-divine à la manière du Christ avec l’Église. Le couple n’a ici de sens que par la famille. Il ne pouvait être un lieu spirituel à lui seul, car il a une part d’ombre : les soucis occasionnés par le fait de vivre dans le monde, les relations sexuelles de même que la possibilité de perdition que l’on associe à la femme depuis Ève –il aurait fallu une vierge pour que ce lieu soit «pur». La grande faiblesse de cette approche est de refuser de considérer le couple comme une grandeur autonome et de n’en chercher la valeur spirituelle que dans sa qualité de signe et de symbole d’une réalité autre, transcendante. C’est à proprement parler «la figure qui constitue le lieu spirituel», Pour poser la valeur spirituelle du couple, on part d’une réalité autre que le couple lui-même, soit le sacrement de mariage, soit une image de Dieu et de son dessein d’alliance, soit 211 212 Ibid., p. 123. Sous le pontificat de Pie XI. 89 une vision du Christ et de sa relation à l’Église ou encore les impératifs «magistériels» concernant la sexualité et la planification des naissances.213 La modernité a fait du couple toute autre chose et les différences sont ici importantes. D’abord, il s’agit d’une union d’amour entre deux personnes. Ensuite, la transformation des conditions de vie a permis l’émergence de l’intimité entre ces personnes. De même, l’amour parental a dépassé ce qui était attendu du traditionnel devoir des parents. De plus, comme l’amour du couple moderne est profane, il ne se fonde en rien sur Dieu. Enfin, l’apparition du couple homosexuel a ajouté à la compréhension que nous devions avoir de cet amour entre deux personnes. Tenant compte de ces nouvelles réalités, Bergeron présente le couple, en tant que lieu spirituel pour les personnes en cause : Je reconnais comme lieu spirituel le couple qui correspond à la description suivante : une association intime entre deux personnes, fondée sur l’amour réciproque et sur le consentement mutuel et impliquant engagement, durée et vie commune.214 Comme lieu spirituel, le couple doit rendre possible la vie spirituelle dont les éléments constitutifs sont un projet de vie, une ouverture à une transformation qui structure l’humain et le dépassement de soi. Cela suppose que ce lieu est un lieu de croissance de la vie spirituelle, ce qui n’est pas nécessairement le cas de tous les lieux qui se présentent comme spirituels. Alors que l’Église avait mis de l’avant le célibat consacré et la vie religieuse comme pouvant être de tels lieux, Bergeron ajoute le couple moderne comme nouveau lieu à la suite de l’expérience qu’il en fait et des conclusions qu’il en tire. Il faut mentionner qu’il fait ici l’économie de couples qui ont été salués par l’Église, par exemple Anne et Joachim ou encore les Martin, parents de Sainte-Thérèse-del’enfant-Jésus. Mais la question se pose : où se vit la vie sainte? Le couple, comme la communauté, peut y aider. Ainsi, le couple, pour les personnes qui y sont impliquées, se présente comme un cadre où le «je» et le «tu» deviennent «nous» dans l’ici-maintenant. À la différence d’un cadre comme celui de la vie religieuse, le couple n’existait pas avant la décision des personnes de le former et il n’existera plus après sa dissolution. De ce fait, celui-ci doit s’inventer lui-même un cadre qui lui soit propre. Le couple peut être également envisagé comme une école de vie spirituelle exigeante, car il s’agit d’un engagement quotidien où la vie relationnelle est constamment revue en fonction du couple : l’autre l’obligeant à refaire l’unité de sa personne. Enfin, l’amour conjugal est propice au partage. L’amour de 213 Ibid., p. 21-22. Bergeron résume ici J. C. Sagne, L’Itinéraire spirituel du couple, Versailles, Éd. Saint-Paul, 2001, p. 32. 214 Ibid., p. 28. 90 l’autre n’est jamais acquis de façon définitive et ce processus dynamique transforme même cet amour dans la relation que l’on a l’un devant l’autre et l’un par l’autre : C’est un amour partagé, vécu dans la réciprocité et l’engagement libre qui intègre les trois formes d’amour : l’éros qui revêt la forme de la passion, du sentiment amoureux, du partage érotique, de la communion charnelle; la philia qui est une amitié faite de réciprocité, de communion des cœurs et des âmes, de partage, de souci de l’autre et de tendresse; l’agapè qui est don de soi sans espoir de retour, pouvant aller jusqu’au sacrifice de soi. L’amour conjugal épanoui est une merveilleuse combinaison des trois ailes de l’amour intégral. En mûrissant, il prend les traits de l’agapè, tout en conservant les attributs mystérieux de l’éros. Il est donc un puissant moteur de la vie spirituelle.215 L’amour conjugal se veut fécond et il se construit sur la différence sexuelle pour l’englober dans un amour de type androgyne. Le couple s’insère dans un processus évolutif dont le point de départ est la décision du «je» de quitter père et mère ainsi que sa vie antérieure afin de former, au terme de ce processus, un «nous» avec un «tu» qui décide également de participer à un même projet. La voie empruntée pour y arriver est l’amour que le «je» et le «tu» éprouvent réciproquement l’un pour l’autre. Il s’agit d’un itinéraire spirituel parce que les parties cherchent dans ce processus à s’accomplir humainement même si ce projet ne va pas sans difficulté : Partir, c’est s’arracher à ce qui peut être bon, précieux, délectable; c’est s’en détacher. L’arrachement et le détachement évoquent toujours l’idée d’effort, de peine, de sacrifice. Il en est de même en spiritualité. L’arrachement-détachement est le côté «violent» de la démarche spirituelle, il soulève toujours des résistances, des refus, des regrets. D’où la tentation de regarder en arrière. Quitter père, mère, famille, gang de chums, ville, patrie, style de vie de célibataire, fréquentations frivoles, vie libertine et existence dissipée, c’est finalement libérer l’espace pour permettre l’avènement d’autre chose : le couple. Cet arrachement n’est pas forcément rupture, mais il implique toujours la transformation radicale des liens et du mode de vie antérieurs.216 On doit être également vigilant avec le but que l’on donne à la vie de couple. Il ne s’agit pas d’être fusionnel ou symbiotique, car il y aurait dissolution complète des «je»; ni non plus, un couple de type juxtaposé, où les «je», même s’ils sont ensemble, vivent de façon parallèle; encore moins de type superposé dont les deux modèles, 215 216 Ibid., p. 52-53. Ibid., p. 63. 91 pouvoir/soumission ou dépendance/sacrifice, conduisent à la disparition d’un des deux «je». La relation dans le couple se doit plutôt d’être dialogale, au sens où chaque «je» est égal à l’autre et libre. Ce modèle qui nécessite une relation de réciprocité est, selon Bergeron, le fondement du couple comme lieu spirituel. Bien sûr, ce couple évolue dans sa relation : Ainsi donc, petit à petit l’éros, qui est initialement surtout sexuel et possessif, sera influencé par la philia et, grâce à elle, l’agapè viendra s’insérer en lui; sinon l’éros déchoit et perd sa nature même. Par ailleurs, l’être humain ne peut pas vivre exclusivement d’agapè, d’amour oblatif. Celui qui donne de l’amour doit en recevoir comme un don. Les trois formes de l’amour en interaction, qui façonnent l’amour conjugal, ne se laissent jamais séparer l’une de l’autre; elles sont appelées à trouver leur juste équilibre dans l’unique réalité de l’amour conjugal.217 On comprend que cet amour conjugal s’exprime à deux niveaux : l’amour dans le couple et l’amour du couple. Le premier niveau rend compte de la dynamique interne du couple tandis que le deuxième niveau est une sensibilité moins égocentrique sur ce qui lui est extérieur tout en étant plus ou moins proche, un dynamisme tourné vers les autres. C’est précisément à ce niveau que cette «transcendance immanente», «prend le relais de la religion et définit un nouvel espace du sacré»218. Cette spiritualité conjugale repose sur six piliers : l’attachement, le partage, la fidélité, le plaisir, la pureté et l’ouverture au monde. Si certains de ces piliers sont congruents avec ce que l’on associe à la notion de couple, d’autres demandent à être explicités. Ainsi, la fidélité est un pilier parce qu’elle est promesse dont la formulation même implique un don de soi. Ce don comporte une dimension sacrée et affirme la volonté de pérennité du couple dans un projet commun. Le plaisir, quant à lui, est une donnée essentielle du lien conjugal, notamment la sexualité qui revêt une importance non négligeable dans la vie d’un couple, et il ne doit pas être honni comme l’a longtemps fait la religion chrétienne. C’est son absolutisation qui pose problème, car on le confond dès lors avec le bonheur. Enfin, la pureté, que l’on a si souvent opposée à la sexualité, ne veut que rappeler la nécessité de respecter l’autre, d’être attentif à le considérer comme un sujet non pas comme un objet ou un moyen à ma disposition et d’agir en conséquence. 217 Ibid., p. 72-73. Ibid., p. 75. Signalons que Bergeron souligne l’influence de Luc Ferry dans sa réflexion sur le couple et il emprunte à André Comte-Sponville plusieurs définitions des notions sur lesquelles elle s’appuie. 218 92 Bergeron reconnaît emprunter dans sa réflexion sur le couple plus à la philosophie et à la psychologie qu’à la théologie. La spécificité du couple chrétien réside dans la référence à Jésus. Celui-ci donne une vision du monde et propose une manière de vivre qui peut servir d’inscription dans l’ici-maintenant. Ce choix de positionnement qui ajoute au couple, «réalité autonome intramondaine», du sens et le reconfigure dans une perspective chrétienne : La réalité naturelle du couple devient en christianisme un signe qui évoque, représente et incarne dans les coordonnées spatio-temporelles l’alliance humano-divine en Christ. L’amour conjugal renferme toujours quelque chose de sacramentel. Quand les conjoints sont chrétiens, le couple peut être réellement qualifié de sacramentel, quelle que soit la forme juridique, ou non, de leur engagement.219 Le parcours de Bergeron s’achève donc sur une ouverture à un christianisme inscrit dans la modernité. L’Église-institution n’arrive plus à assurer cette présence dans notre société et à répondre aux besoins spirituels de nos contemporains. C’est pourquoi Bergeron propose cette nouvelle pierre angulaire que pourrait être le couple moderne ayant Jésus comme référence et modèle. Cette pierre rejetée par les bâtisseurs pourrait refonder l’Église et être la réponse pour notre temps. Il faut signaler que le couple lui-même a une importante démarche réflexive à faire sur sa propre condition pour en arriver à un tel terme. Cela pose tout un défi au couple quand on tient compte du rythme effréné du monde dans lequel celui-ci évolue. Bergeron dessine ici un idéal qui doit passer le test de l’acceptabilité pour le couple pris dans cette mouvance, condition préalable à un autre test : celui de la réalité. De fait, la conception du couple dans notre société peut ne pas correspondre à cet idéal, la philosophe Claude Habib qui a étudié ce phénomène en a une toute autre perspective : Le couple comme unité économique… est plus facile à concevoir que le couple contemporain qui se forme plutôt comme une unité de dépense et de distraction : les membres du premier sont tenus par le besoin, qui est une corde solide; ceux du second ne tiennent que par le désir de cultiver l’entente pour le plaisir de l’entente. Ce sont de faibles liens…220 219 220 Ibid., p. 127. Claude Habib, Le goût de la vie commune, Paris, Flammarion, 2014, p. 122. 93 Dès lors, faire du couple un nouveau lieu spirituel demande de se donner une assise, une maturité, plus solide que ce que dénote cette tendance. Ce qui n’empêche cependant pas de le proposer comme une avenue possible. Le livre de Bergeron suscitera très peu de commentaires, peut-être en raison de la marginalité, de plus en plus accentuée, d’un discours arrivé à son terme. Signalons-en un quand même : ce livre est une réflexion «originale et dense»221 qui fait appel à l’histoire, à la sociologie et à l’expérience personnelle de l’auteur. La tradition chrétienne a associé le couple à autre chose pour juger de sa valeur, alors qu’il a une valeur intrinsèque. Il est un foyer d’un dynamisme spirituel et un lieu d’épanouissement qui en fait un «état de perfection» aussi valable que le célibat consacré ou la vie religieuse. À la différence de ces deux états, l’amour conjugal intègre les trois sortes d’amour (eros, philia et agapè), il «apparaît alors comme une grande aventure spirituelle profondément humain et humanisante». L’ouverture de Bergeron envers différents modèles de couples présentés comme autant de processus d’humanisation, si elle est en phase avec l’évolution de la culture occidentale moderne, pourrait être taxée d’ethnocentrisme par d’autres. En tous les cas, le couple comme lieu spirituel tel que proposé ici n’est pas recevable par l’Église institution. Ce livre parle de la gestion du prochain, de l’autre : comment sortir de soi et faire communauté en un nouveau lieu spirituel redessiné? La démarche de Bergeron était auparavant personnelle, il lui faut maintenant être inclusif afin de retrouver le vivreensemble, fondement de toute Église. L’ultime préoccupation de Bergeron est donc de réfléchir au lieu même où il vit désormais sa vie chrétienne. Il se sent obligé en quelque sorte de boucler l’approfondissement intellectuel débuté avec la recherche doctorale dans les années soixante, et de donner enfin une réponse personnelle à sa question existentielle. Il portait en lui cette dernière question depuis longtemps et il fallait s’attendre à ce qu’il s’exprime intellectuellement à ce sujet. Il s’agit donc du huitième et dernier moment repéré grâce à cette lecture phénoménologique. 221 Réjean Plamondon, Le livre du mois : Richard Bergeron, Le couple comme nouveau lieu spirituel, Montréal, Novalis, 2011, paru sur le site web du réseau Culture et Foi, août 2012 (consulté le 14 mai 2014). 94 3. Le fil conducteur: jouer le jeu En fait, le problème vient de l’écart ressenti entre le message de Jésus et la pratique institutionnelle de l’Église. Le message de Jésus est libérateur, intégrateur. La pratique de l’Église est discriminante, excluante. D’où le fameux slogan : «Jésus, oui; l’Église, non.»222 Cette citation illustre bien une des causes du désintérêt grandissant, même dans la communauté des croyants, envers l’institution, elle ne fait que relever un des défis qui attendent l’Église et dont le principal semble être sa rencontre avec la modernité. Le survol des travaux de Bergeron a permis de mieux comprendre la réflexion d’un homme de foi qui cherche à se situer, à se donner des repères dans ce nouvel environnement. Nous avons tenté jusqu’ici de cerner sa contribution dans la tentative de résolution de ce débat. Débat qu’il incarne d’une certaine façon parce qu’il se veut en même temps représentatif d’une vague de fond persistante. Nous avons maintenant à qualifier cette contribution dont nous avons suivi le développement en suivant le fil chronologique. 3.1 Se sortir du jeu sans quitter l’enjeu Il n’y a que des histoires, les théories sont des histoires endimanchées. 223 Richard Bergeron a toujours considéré les questions auxquelles il cherche à répondre comme étant des questions existentielles, en lien avec sa situation particulière : Ma théologie a toujours été en relation dynamique avec un milieu concret, un terrain précis. J'ai reçu mes questions et mes interpellations des autres et des conjonctures socio-historiques plus que des livres. Les livres ont été d’un grand secours pour nommer, comprendre, interpréter les questions qui fondaient sur moi. Les autres ont ébranlé mes certitudes et m’ont forcé à penser autrement.224 Si cette dernière affirmation peut s’expliquer lorsque le hasard d’une affectation comme professeur d’université l’amène à s’intéresser aux nouvelles religions, il n’en demeure pas moins que Bergeron porte en lui une question fondamentale : l’obéissance à l’Église222 Bruno Chenu, L’Église sera-t-elle catholique?, Paris, Bayard, 2004, p. 25. Maurice Bellet, Les allées du Luxembourg, Paris, DDB, 2004. Cité en exergue par Fernand Dumont dans son livre Récit d’une émigration, Montréal, Boréal, 1997. 224 Bergeron, «Mon parcours théologique…», p. 78. La prochaine citation est tirée de la page 79. 223 95 institution ou, plus exactement, envers le cadre imposé par l’institution. La question est d’autant plus importante qu’elle a structuré les choix de vie de Bergeron dès sa prime jeunesse. De fait, la question de la fidélité harcèle Bergeron et c’est cette question qui se déploie en théologie, d’abord au sein de l’Église, puis en dehors de ce cadre. Qualifiant d’ailleurs sa théologie de «viscérale», il s’investit tout entier dans cette enquête et il formule une réponse de plus en plus fouillée, documentée, en raison de son statut d’intellectuel et de sa longue carrière d’universitaire. Cela étant, le fait de prendre en compte la subjectivité le conduit à une contestation plus radicale, absente au début, en lien avec cette remise en question : car «…toute théologie qui a son point de départ dans la subjectivité prend figure d’une théologie de la résistance». Par ailleurs, la lecture phénoménologique a permis de mettre au jour les intentionnalités de Bergeron au fur et à mesure que paraissaient ses principales publications. Celles-ci sont autant de moments, d’étapes, dans la structuration de son développement personnel et intellectuel. C’est ainsi qu’il défend, suivant en cela le fil chronologique de la maturation de son évolution personnelle, le caractère dynamique de la notion d’Église (premier moment) pour s’en servir comme levier afin de revendiquer son autonomie (deuxième moment) jusqu’à l’affirmation d’une liberté pleine et entière envers l’institution (troisième moment). L’exercice de cette liberté nouvelle suppose l’authenticité de la démarche (quatrième moment) qui demande à être objectivée (cinquième moment) afin de redessiner un cadre (sixième moment) qui puisse en justifier une praxis spirituelle (septième moment) et être susceptible de recréer d’autres types de communautés (huitième moment). La démarche phénoménologique révèle dès lors une cohérence que la vie de Bergeron peut ne pas exprimer dans un premier regard. En outre, cette maturation avait abouti, au sens où Bergeron ne souhaitait plus publier, si ce n’est une réflexion sur la condition de disciple, considérant qu’il avait dit ce qu’il avait à dire225. Pour le formuler autrement, en reprenant son affirmation à l’effet qu’il répondait à ses propres questions existentielles par ses travaux, il avait vécu ce qu’il avait à vivre. La dernière réflexion non écrite sur la condition de disciple était déjà, en fait, inscrite dans son parcours de vie. Cela peut expliquer pourquoi Bergeron n’aura pas d’autre choix que de s’exclure d’un cadre qu’il juge obsolète alors qu’il se veut fidèle et obéissant à un Jésus qu’il redessine. Ainsi, il fait, en quelque sorte, le chemin inverse de Newman, son maître à penser. En partant d’un même point de départ, le christianisme tel qu’il se vit, la compréhension d’un christianisme idéal amène Newman à se convertir au catholicisme alors que cette compréhension pousse Bergeron hors de cette même Église. Malgré les failles du 225 Affirmation faite par Bergeron lors de la première rencontre où il était question de ce projet d’écriture avec l’auteur. 96 catholicisme dont il avait pleinement conscience, Newman jugeait cette religion comme étant le plus près de cet idéal, donc comme la meilleure voie d’accès à Dieu. Bergeron juge que les failles sont trop importantes et qu’elles compromettent l’idéal 226. Toutefois, même à l’écart, il reste près de l’Église. Par ailleurs, un retour à la métaphore du jeu peut être éclairant au niveau de la cohérence du parcours de Bergeron. Ainsi, en un premier temps, Bergeron a conscience que le jeu adopté, être homme d’Église, le sort de la vie courante. Il cherche alors à respecter les règles, en testant les limites afin de pouvoir occuper tout l’espace de (du) jeu. Dans un deuxième temps, le consentement volontaire de Bergeron au jeu fait défaut. Les règles n’étant plus acceptables de son point de vue, Bergeron se déclare hors-jeu. Or, selon Roger Caillois227, si la convention du jeu n’est plus respectée, un joueur peut adopter quatre attitudes différentes : ambitionner de triompher grâce à son seul mérite (il ne compte maintenant que sur lui-même); démissionner (il compte sur tout sauf sur lui-même); revêtir une personnalité étrangère (un autre que lui s’invente un univers fictif) ou, enfin, poursuivre dans le vertige (en acceptant de ruiner sa stabilité et son équilibre de façon passagère…). Ne retrouve-t-on pas ici plusieurs attitudes-type de religieux confrontés à leur défaut de consentement, conscient ou non? De fait, Bergeron opte pour la quatrième attitude en reconnaissant que son défaut de volonté a comme origine la conception que l’institution se fait de la vie religieuse et de ce qu’est l’obéissance à l’autorité. C’est pourquoi, tout en reconstruisant sa stabilité, Bergeron continue de vouloir jouer, à la différence de bien d’autres qui ont suivi le même cheminement et qui ont décidé d’abandonner. Il le fait en affirmant l’authenticité de sa démarche. Or, «…l’idéal de l’authenticité exige que nous découvrions et que nous formulions notre propre identité»228. Ainsi, il se construit toujours comme sujet fidèle (obéissant), mais en lien avec un nouveau cadre qui n’est plus la fidélité à l’Église : il est fidèle à soi engagé chrétiennement. Au sein de cette nouvelle réalité, certaines modalités de l’ancien cadre ne conviennent plus. Par exemple, d’un idéal de vie en communauté qu’il a tenté d’adapter, Bergeron le redessine en fonction de la vie de couple. N’est-ce pas là cependant le retour du même? Bergeron tente de répondre toujours au même désir en tentant de le réaliser autrement en raison d’un constat d’échec. Plutôt que de renoncer 226 A contrario, Emmanuel Carrère, un distant de la foi, écrit: «Ce qui m’étonne le plus, ce n’est pas que l’Église se soit à ce point éloignée de ce qu’elle était à l’origine. C’est au contraire que, même si elle n’y parvient pas, elle se fasse à ce point un idéal d’y être fidèle. Jamais ce qui était à l’origine n’a été oublié» (Emmanuel Carrère, Le Royaume, Paris, P. O.L., 2014, p. 615). Le jugement de Bergeron est certes en lien avec une exigence personnelle, ce qui n’entache pas sa légitimité. 227 Roger Caillois, Les jeux et les hommes…, p. 102-103. 228 Charles Taylor, Grandeur et misère de la modernité, Montréal, Bellarmin, 1992, p. 103. 97 à son désir, Bergeron se réapproprie l’appel originel qu’il se reconnaît avoir. Ce faisant, il légitime une nouvelle fidélité par la compréhension, qu’il prétend renouvelée, de ce qui est proposé comme cadre d’un choix de vie religieux, un peu à l’image du cheminement du fondateur de sa communauté d’appartenance. Ayant pris sa retraite de l’université en 1995, Bergeron continue ses activités de recherche et de conférencier invité. Cependant, au fur et à mesure que ces prises de position et ses choix de vie l’éloignent du cadre de l’institution, l’accueil dans les instances catholiques officielles se fait plus rare229. Il sera plutôt invité dans les organisations en marge de l’Église catholique, celles qui gravitent autour de l’institution. Être ce proche-lointain correspond à sa propre perception. En effet, dans un texte paru en 1999, Bergeron écrit «Je pars sans vous quitter…»230. Cette affirmation constitue le noyau dur de son identité comme personne, religieux et théologien à la fin de son parcours. La suite de sa réflexion confirme qu’il s’est tenu dans cette posture, pour le moins, inconfortable : «… je me dois pourtant de déconstruire (je ne dis pas détruire), pour construire du neuf». De quelle manière a-t-il assumé cette posture? D’abord, on doit reconnaître que Bergeron ne s’est jamais départi de son rôle d’éducateur au sens noble du terme conformément à la description que fait Paul Valadier de cette profession : Non pas endoctriner, non pas imposer une morale, fut-elle laïque, mais expliquer, montrer les enjeux, trouver des clés d’analyse, donc motiver le «peuple» et susciter son adhésion réfléchie aux décisions envisagées.231 Nul besoin ici de rappeler le pouvoir d’influence de l’éducateur. Également, comme il s’agit d’un éducateur qui est en même temps chercheur, dans la façon de répondre à ses questions et de les reprendre, il élabore une réflexion qui se construit et qui s’approfondit comme en spirale. Pour ce faire, Bergeron a une démarche qui reprend les plus importants points en les approfondissant sous des angles complémentaires. Cette méthode permet l’approfondissement des thèmes dans ce qui semble être une répétition, mais qui en est, de fait, une élaboration plus précise232. Une telle méthode s’inspire des sciences humaines quand il s’agit d’appréhender la réalité : il lui faut procéder par catégorisation afin de dresser une cartographie de l’objet étudié avec ce 229 Bergeron constatera la même réserve auprès de son ancienne communauté d’appartenance. Richard Bergeron, «Pour la suite de ma vie….», dans En Bref, bulletin de liaison des Franciscains, novembre 1999. 231 Paul Valadier, L’intelligence…, p. 108. 232 Bergeron parle ainsi de sa méthode à propos de son livre Renaître à la spiritualité…, p. 13. On peut facilement la généraliser à son œuvre. 230 98 souci de ne pas rejeter ou oublier le sujet233, surtout dans un domaine aussi singulier que celui de la spiritualité. Un tel processus évolutif ne peut jamais être tout à fait définitif pour celui qui l’a initié. Ainsi, les conclusions provisoires de ce processus, parfois éloigneront Bergeron, parfois le rapprocheront de l’Église. Car, C’est ici, bien sûr, que se pose l’enjeu de l’éducation. Éduquer veut dire, si on se réfère à l’étymologie du mot, conduire en dehors de l’aliénation et de l’illusion. Ce n’est pas une entreprise banale et ce n’est pas parce que les institutions du sens commun se disent éducatives qu’elles éduquent. Celui qui s’éduque, en effet, est appelé à passer de l’hétéronomie du sens commun à l’autonomie d’un sens dont il se rend responsable, dans l’histoire humaine.234 Toutefois, une constante se dégage : la nécessité de l’existence de l’Église, voire son utilité, n’est jamais remise en question, car elle donne accès à une Parole qu’elle préserve, tout en l’interprétant, en même temps qu’elle donne des repères, des balises en lien avec cette interprétation235. Le défi que s’est donné Bergeron est d’écouter cette Parole dans une nouvelle perspective, plus large que la théologie de l’institution, afin de se déterminer des repères différents. D’ailleurs, cette partie de la démarche s’apparente plus à une philosophie de la religion, au sens où c’est le phénomène de la religion qui est sous examen. Le projet du monde de Bergeron consiste à concevoir la religion comme structure d’humanisation et de relever ce qui entrave le passage d’un «soi originel» vers un «soi final»236, totalement humain. Il cherche plutôt à affirmer la présence du divin comme constitutive de la nature/essence de l’être humain et cela, malgré le caractère subjectif d’une telle assertion. Cet appel de Bergeron à l’expérience du divin que fait chaque être humain s’avère constituer un fondement fragile à un fait que l’on veut objectif. Malgré ce détour que constitue le recours à la philosophie de la religion, Bergeron demeure théologien de par la fin qu’il poursuit. Il va même plus loin. Son christianisme affiché, qu’il justifie par l’empreinte que Jésus a laissée dans la conscience humaine, est un modèle incontournable. L’ouverture de Bergeron est en fonction de sa référence : il part sans quitter. Cela repousse un peu plus loin, mais n’écarte pas complètement le reproche qui pourrait lui être fait d’exclusivisme et d’absoluité. 233 Cette préoccupation est manifestée depuis les travaux qui ont amené à la parution du Cortège des fous de Dieu… Voir en particulier à ce sujet p. 12. 234 Raymond Lemieux, «Croire, à l’épreuve des sociétés contemporaines», Lumen Vitae, no 4, 2004, p. 389. 235 À ce sujet, on lira avec profit Gérard Siegwalt, «Pourquoi l’Église?», Positions luthériennes, 1969, p. 217-225. Cette conférence de Siegwalt résume bien les contours de cette question de l’utilité de l’Église. 236 Nous reprenons ici la formulation de Marc Renault, voir note 141. 99 Enfin, c’est un lieu commun que d’affirmer que le spirituel est aussi politique. En effet, la cité de Dieu, lorsqu’elle se réalise à l’échelle humaine, a une incidence sur la cité des hommes par le vivre-ensemble qu’elle propose. D’où les réactions à une telle présence dans la cité des hommes. Les réponses apportées par Bergeron à ce sujet en sont une confirmation. Il accepte cette présence avec certaines réserves. C’est ainsi qu’il s’associe à des théologiens qui contestent l’Église institution, tout au moins sa volonté centralisatrice et son passéisme, selon le jugement qu’ils en font. Par exemple, il sera l’un des signataires d’une lettre ouverte adressée aux évêques et au peuple croyant en 2005. Cette lettre revendique la décentralisation, la codécision, l’égalité entre les sexes, l’accueil de toutes les personnes et une orientation clairement œcuménique237. Il y a là des enjeux politiques indéniables qui sont affirmés au nom d’une spiritualité qui se veut «éclairée». 3.2 La perspective de Bergeron : entre rétrospective et prospective. On pourrait dire en tout cas qu’il y a une causalité réciproque entre réflexion théorique et choix de vie. La réflexion théorique va dans un certain sens grâce à une orientation fondamentale de la vie intérieure, et cette tendance de la vie intérieure se précise et prend forme grâce à la réflexion théorique.238 À la fin de ce parcours sommaire du cheminement de Richard Bergeron en ce qui a trait à l’enjeu de l’Église, on ne peut que constater un changement radical de perspective qui l’amène à faire son nid en marge de l’institution. Ce changement de perspective, Bergeron en donne la raison : La grande partance se situe dans un processus de passage du Dieu objectif de la religion instituée, du dogme de la loi et de la morale, au Dieu imprévisible de la subjectivité. Le Dieu objectif est immuable dans ses paroles et ses exigences; il est rassurant parce que prévisible. La théologie et le clergé en ont fait le tour et en connaissent les volontés. C’est un Dieu qu’on peut amadouer, domestiquer, mettre au service de ses besoins et de ses désirs. Au contraire, le Dieu de la subjectivité échappe à toute prise de l’intelligence et du cœur, de la morale et des vertus. C’est un Dieu libre comme l’air, imprévisible, étonnant indomptable. C’est le Dieu de la question, mystère innommable, qui a une parole particulière 237 Voir la « Lettre aux évêques», paru sur le site web du réseau Culture et foi, avril 2005 (consulté le 21 novembre 2011). 238 Pierre Hadot, La Philosophie comme manière de vivre, Paris, éd. Albin Michel, 2001, p. 168. 100 pour chacun, interpelle chacun de façon originale et pose sur chacun une exigence spécifique.239 Bergeron a pris résolument le virage d’une théologie de l’objectivité à une théologie de la subjectivité, comme la suite de ses livres l’a montré. Il s’agit du même coup du passage d’une théologie de la tradition constituée à celle d’une théologie qui s’improvise au fil des questions que la parole de Dieu pose à ceux et à celles qui acceptent de se laisser interroger par elle. Par ailleurs, Bergeron ne se fait pas d’illusion sur le sort qui lui est réservé au terme d’un tel parcours : La partance spirituelle stigmatise socioreligieusement le partant : «C’est un utopiste, dit-on, un rêveur qui n’ira nulle part, un irresponsable qui est infidèle à ses engagements, un révolutionnaire qui ébranle les structures, un hérétique qui s’éloigne de la vérité, un loup dans la bergerie. Allons, tuons-le…».240 Cette description pourrait nous amener à considérer la perspective de Bergeron comme étant proche d’un quelconque prophétisme, au sens où il emploie ce mot à propos de la parole de Jésus241 : sa perspective est dans «l’ici-maintenant et ouvre toute histoire, individuelle et collective». Ce prophétisme comporte son lot de dangers, comme le mentionne Bergeron. Il nous apparaît cependant que ce changement de perspective est en continuité avec la démarche qu’il a fait sienne. En effet, Bergeron demeure avec Jésus comme modèle de référence, modèle revu et corrigé. Toutefois, ce christocentrisme assumé pose ici problème, si l’on fait toujours de Bergeron un cas type de transformation similaire à ce qu’a vécu la société québécoise. En effet, l’adhésion de la société québécoise au modèle proposé par Bergeron est loin d’être certaine. Le Bergeron des jeunes années garde quand même une valeur d’exemplarité au niveau socioreligieux : les accommodements qu’il conçoit, de part et d’autre, au début de la prise de conscience d’une certaine fracture entre la cité de Dieu et la cité des hommes; la prise de distance en lien avec la rencontre des autres religions qui ouvre sur le monde; voire, la décision de sortir du cadre imposé par l’institution; toutes ces phases sont véritablement en synchronie avec l’évolution de la société québécoise envers l’Église catholique. On pourrait également concéder que cette société a fait une large place à d’autres dimensions religieuses, à l’accueil de nouvelles spiritualités qui, dans un premier temps, comblaient un vide; et qui ensuite sont devenues des réservoirs de sens 239 Richard Bergeron, «La grande partance», Itinérances spirituelles…, 2002, p. 31-32. Ibid., p. 38. 241 Richard Bergeron, Et pourquoi pas Jésus…, p. 308. 240 101 répondant à des besoins à la carte, des spiritualités qui, à ce titre, ne peuvent plus jouer un rôle unificateur, identitaire au sein de cette société. Ce qui ne va plus, ce qui se révèle a contrario de cette évolution en symbiose avec la société québécoise, c’est le retour qu’opère Bergeron à «Maître Jésus» comme le modèle de référence. De fait, la société québécoise s’est donné plusieurs voies d’expression de la spiritualité et elle ne s’est pas donné le moyen de discriminer entre ces différentes voies. C’est ainsi que toute spiritualité qui ne va pas en contradiction avec l’exercice des droits de la personne est permise. La société québécoise se veut très tolérante dans ce domaine et cette ouverture au pluralisme religieux fait consensus. Tout au plus fait-on vaguement appel à une préférence pour un «humanum» minimal, pour reprendre l’expression consacrée par Bergeron, auquel on s’attend et qui permettrait d’en juger pour soi-même. Pourtant, sans quitter, Bergeron va plus loin : il faut refonder l’Église sur de nouvelles bases, l’institution ayant perdu de sa pertinence. En même temps, il affirme que quelque chose d’elle doit demeurer afin de préserver un magistère assurant que la référence à Jésus ne soit pas n’importe quel bricolage sans rapport avec l’enseignement du personnage. Il faut cependant être prudent avec le fantasme de l’origine dans ce référentiel et s’en tenir à une assise solide dont l’Église actuelle demeure le dépositaire. Il ne s’agit donc pas simplement de détruire le temple et d’en construire un nouveau, mais de reconstruire sur la même fondation. Dans cet esprit, faire du couple un nouveau lieu spirituel, comme le sont la vie religieuse et la vie consacrée, apparaît pour le moins original, mais congruent avec la modernité. Ce nouveau lieu spirituel doit, en amont, répondre à deux défis. Le premier défi est l’articulation couple et spiritualité : le couple, baignant dans une société séculière et étant constamment sollicité par le quotidien, pourrait ne pas voir, sauf exception, la valeur ajoutée de cette articulation. Le deuxième défi est cette connaissance minimale de ce modèle de «Maître Jésus», connaissance préalable à l’adhésion du couple : comment l’acquérir et comment faire vivre suffisamment ce modèle afin qu’il puisse être considéré dans le choix des possibles pour deux personnes qui souhaitent se donner une spiritualité commune? Ici, les réponses sur cette avenue sont partielles et il ne peut en être autrement, car il s’agit d’une situation inédite. Pour les premières générations d’une société qui se sécularise, il reste peut-être assez de prégnance pour une référence au modèle, mais cette prégnance s’estompe rapidement. Ce nouveau lieu spirituel n’est donc pas très solide en ce qui a trait à sa pérennité. Somme toute, Bergeron reprend ainsi l’héritage de l’Église catholique au Québec dans un regard rétrospectif synthétique en même temps qu’il tente de donner un nouveau souffle à cet héritage, et cela a pour effet de donner à sa perspective une dimension 102 prospective qui ouvre à un avenir qui peut sembler vouloir s’éteindre s’il n’y a pas une forme quelconque d’institutionnalisation. À cet égard, il y a lieu de s’interroger si, depuis Les Pros de Dieu, Bergeron ne se livre pas à une analyse psychanalytique de l’Église-institution en lien avec le traumatisme de son institutionnalisation comme religion et de sa propre instrumentalisation comme clerc. En tous les cas, sa méthode s’apparente à celle de la psychanalyse. En poursuivant dans l’interprétation psychanalytique, on pourrait certes établir un lien avec une autre instrumentalisation liée à son histoire personnelle242 : lorsque, à pied levé, le petit Richard remplace l’aîné pour aller au séminaire, il devient, en raison du refus de l’aîné d’assumer cette charge, le prêtre de remplacement que souhaitaient probablement les parents. On pourrait soupçonner que sa résistance à l’obéissance est une séquelle de cette obéissance première qui allait à tout jamais changer sa vie. D’autant plus, comme nous l’avons vu précédemment, que la famille est une des images, un «archétype», de l’Église. La résistance exprimerait alors une inversion tardive de ce qui n’a pas pu et ne pouvait pas être verbalisé à l’époque. Ce questionnement ne préjuge en rien de l’appel vocationnel que Bergeron se reconnaît avoir eu. Mais cela explique sa ténacité à résoudre cette question. Afin de mieux cerner cette quête, on peut également s‘intéresser au cheminement spirituel de Bergeron, à la façon dont il a vécu sa propre conversion à la spiritualité séculière. D’abord, comme il l’a reconnu lui-même, en tant que jeune religieux, Bergeron entretenait une relation mimétique avec son modèle. Il comprenait sa vocation comme étant de devenir un autre Christ à la manière de St-François, fondateur de son ordre religieux. La structure du cadre religieux l’en a empêché alors même qu’elle devait en favoriser l’éclosion. Ensuite, à son insu, comme il l’avoue lui-même, il a quitté le mimétisme pour la théologie. Il est ainsi passé de la foi vécue à la raison croyante. Ce déplacement de posture n’est pas anodin, car ces éléments ne semblent pas s’additionner chez lui : il est de moins en moins question d’imiter, mais de plus en plus de comprendre. D’ailleurs, s’il participe aux liturgies, durant plusieurs années Bergeron ne souhaitera pas en officier243. La cohabitation de ces postures était-elle possible ou fallait-il nécessairement que l’une remplace progressivement l’autre? Il semble bien que ce dernier cas illustre la façon dont cela s’est passé. Toutefois, Bergeron ne renonce pas à les faire se converger, mais autrement : 242 243 Voir à ce sujet l’Annexe 1, La chronologie des événements de vie de Bergeron, année 1945. Entretien de l’auteur avec Richard Bergeron en 2012. 103 Après plusieurs années de dialogue et plusieurs volumes (Vivre au risque des nouvelles religions -1997, Les Pros de Dieu -2000, Renaître à la spiritualité -2002 et Hors de l’Église, plein de salut -2004), j’en arrive aujourd’hui à me définir chrétiennement de la façon suivante : je suis et je veux être un spirituel 1) à l’écoute du Christ Maître intérieur, 2) en référence prioritaire à la tradition des spirituels qui se sont mis ou sont à son écoute et 3) en dialogue avec tous les groupes chrétiens et toutes les traditions religieuses.244 Cette définition a certes des conséquences importantes, dont la rupture avec l’institution qui revendique l’absoluité et l’exclusivisme. Ainsi, L’identité chrétienne interreligieuse pose de graves questions au système catholique. Elle fait particulièrement pression sur les dogmes concernant l’absoluité et l’unicité du Christ et de l’Église : un seul Christ, un seul sauveur, une seule révélation, une seule Église. Certes il ne faut pas trop se hâter de rejeter ces formulations devenues difficiles; il faut continuer à leur prêter une attention religieuse même si momentanément on peut ne plus être capable d’y adhérer dans leur teneur officielle. On ne décroche pas un vieux cadre parce qu’il ne dit plus rien : peut-être qu’un jour il nous parlera. Enfin, avec sa propre mise hors-jeu, Bergeron a complété son cheminement de la raison croyante à propos de Jésus par une nouvelle manière de vivre que l’on retrouve dans l’enseignement de «Maître Jésus». Cette troisième étape est philosophique au sens où l’entendait la philosophie ancienne245. D’ailleurs, les références des derniers livres sont principalement tirées d’œuvres philosophiques plutôt que de traités de théologie. Comme si la raison croyante se trouvait trop à l’étroit dans la discipline théologique pour rendre compte de la totalité du fait religieux et du renversement de perspective de Bergeron. Il peut vivre sa foi autrement à l’intérieur de ce nouveau paradigme. Il apparaît donc que cette sagesse obtenue par la philosophie permet à la raison croyante d’articuler un mimétisme qui prend acte des acquis de la modernité. Bergeron refait donc le chemin qu’il a suivi et répond ainsi à l’appel de ses jeunes années en 244 Cette citation et la suivante sont tirées d’une conférence de Richard Bergeron prononcée à la rencontre annuelle de Culture et Foi (2005) : «Dialogue et identité chrétienne. Évocation d’un cheminement», sur le site web du réseau Culture et foi, p. 3 et p. 5 (consulté le 11 novembre 2011). On retrouve les mêmes affirmations écrites de façon plus schématique dans le Bulletin du Réseau Culture et foi 11, no 2, octobre 2005, p. 9-10 (consulté le 23 mars 2015). 245 Voir à ce sujet Pierre Hadot, La Philosophie comme manière... D’ailleurs, signalons qu’Hadot, comme Bergeron, a été influencé par Newman, voir p. 102 : « Le real assent, c’est quelque chose qui engage tout l’être : on comprend que la proposition à laquelle on adhère va changer notre vie.» Une telle description correspond à une manière de faire qu’ont certains philosophes de l’antiquité. 104 concordance avec l’esprit de ce temps. En plus de redéfinir sa vocation originelle, Bergeron ouvre une voie qu’il pressent comme étant la voie dans laquelle notre société séculière doit cheminer. En ce sens, son œuvre peut avoir une valeur prospective. Il faut noter également que l’analogie faite par Bergeron entre sa quête et celle d’Abraham246, évoque à tout le moins une sortie individuelle de la communauté d’appartenance, en l’occurrence l’Église catholique. Si le chemin est individuel, le «journal de bord» de cette aventure est partagé; il crée ainsi une communauté, mais qui ne fait pas «Église». Un peu à l’image du couple comme nouveau lieu spirituel, on pourrait penser à un cheminement avec un compagnon ou une compagne alors qu’on se serait attendu à la fondation d’une communauté de base comme lieu de discussion, d’exploration et d’incarnation de ce renouveau. Parti de l’Église sans la quitter, Bergeron ne souhaite pas la reconstruire à la manière de Saint-François, son modèle et son inspiration. Il n’est pas un réformateur. 3.3 L’enjeu de l’Église au Québec : qui est le maître du jeu? La majorité des Canadiens français en ont soupé, paraît-il, des histoires de bavettes et de cornettes. Il faut bien pourtant parler de religion. Il n’y a pas d’autre problème sérieux.247 Cette citation illustre bien que des hommes très différents dans leurs parcours religieux, comme le sont Bergeron et Jean-Paul Desbiens, issus de la même génération à quelques années près, font le même constat et partagent une même préoccupation quant à la présence de la religion dans la cité. La réponse de Bergeron à cette situation est cependant jugée par certains théologiens comme trop individualiste, elle ne prend pas en compte la rencontre avec les autres et délaisse trop rapidement leur héritage religieux : Je me demande comment une personne vouée à la vie spirituelle telle que Richard Bergeron, si humble et si gentille par ailleurs, a pu décider de se dresser contre l’Église catholique même en concevant que la vie mystique puisse parfaitement s’inscrire dans la tradition catholique. Derrière ce choix, je crois 246 En cela Bergeron s’inscrit dans une tradition : «Porter son agir vers le regard de l’Autre, comme l’y incitent les traditions abrahamiques, est …plus que l’autonomie. C’est aussi laisser place… à une possibilité de sens qui soit acte de transcendance sans cesse renouvelé…» (Raymond Lemieux, «Croire, à l’épreuve…», p. 390). 247 Jean-Paul Desbiens, Les insolences du frère Untel, Montréal, éd. de L’Homme, 1960, p. 63. 105 entendre l’appel de Fernand Dumont suppliant : «De grâce, pas de monopole!»248 Force est de constater, malgré la tentative de réconciliation tentée par Bergeron avec «Maître Jésus» en lieu et place de l’institution, que le Québec en a encore soupé de sa relation avec la religion et se satisfait très bien de reléguer le plus possible la chose à la sphère privée. Pourtant, en quoi est-ce un problème sérieux, si ce l’est encore, alors que le Québec a connu un développement économique, social et culturel des plus importants depuis la Révolution tranquille? On peut apporter plusieurs réponses selon que nous nous situons au niveau individuel, au niveau de la cité ou encore au niveau de la civilisation occidentale. Chaque réponse demanderait de longs développements pour rendre justice à la question posée. Ce n’est pas le lieu pour le faire, mais nous relèverons toutefois quelques éléments à prendre en compte dans toute tentative de réponse. Comme notre société n’exige pas une adhésion à une religion, il s’agit d’un choix individuel. Encore que, phénoménologiquement, avoir la foi ne se présente pas comme une décision réfléchie, mais plutôt comme ce que les croyants appellent un «don» et qui se présente dans la vie concrète comme une responsabilité qui peut avoir été reçue d’une tradition culturelle, ou encore provenir d’un appel indéfinissable mis au compte de Dieu. Par ailleurs, le cas échéant, il se peut que cette foi reçue finisse par ne plus se reconnaître dans la religion-institution. Dès lors, le croyant, soit l’accepte quand même telle qu’elle est, soit milite à sa transformation, soit encore se refuse à reconnaître l’institution qui incarne cette foi. Dans les deux premiers cas de figure, on pourrait associer respectivement Jean-Paul Desbiens et Richard Bergeron. Cela ne s’est pas fait sans difficulté, à un point tel que Bergeron est sorti du cadre qui était le sien afin de pouvoir mieux proposer une redéfinition de l’institution. Il faut cependant admettre que le choix qui est fait a une répercussion sociale et politique. Il en est de même pour ces catholiques non pratiquants qui ne s’associent en rien à l’enseignement de l’Église, mais 248 Gregory Baum, Vérité et pertinence. Un regard sur la théologie catholique au Québec depuis la Révolution tranquille, Montréal, Fides, 2014, p. 168-169. Signalons que Baum s’intéresse également au théologien André Naud (p. 273-279) qui a connu un cheminement semblable à celui de Bergeron. Est-ce le fait d’une génération de théologiens vivant dans un contexte précis? La question peut se poser. Citons ce que Naud disait de lui-même : «… mes livres et mes articles témoignent des nombreux malaises qui m’habitaient. Peut-être puis-je dire que ces malaises étaient de deux sortes. Les uns portaient principalement sur la manière dont le Magistère concevait son rôle et s’imposait aux croyants. Les autres portaient sur la manière dont je vivais moi-même, au quotidien, les relations entre foi et raison en rapport avec les questions les plus variées.» (André Naud, Les dogmes et le respect de l’intelligence. Plaidoyer inspiré par Simone Weil, Montréal, Fides, 2002, p. 27). Voir aussi la thèse de doctorat de Gilles Bouchard, «André Naud, témoin de sa génération…et prophète?» Québec, Université Laval, 2011. 106 qui souhaitent conserver le minimum de rituels pour leur propre vie (baptême, mariage, funérailles…). Cette adhésion implicite est loin de l’engagement explicite envers l’institution. De fait, dans une société comme le Québec, la religion catholique assurait une cohésion sociale : elle était un «liant» qui assurait la concorde. Bergeron adhérait d’ailleurs à cette vision. Pour cette raison, certains souhaitent sa réaffirmation : C’est donc un raccommodement souhaitable de raviver notre rapport à la religion et plus particulièrement au catholicisme. Pour nous Québécois, c’est notre ancrage et notre repère le plus avéré. C’est le berceau de nos origines et, comme disait Tocqueville, «l’homme est pour ainsi dire tout entier dans les langes de son berceau».249 Le christianisme dans notre société serait nécessaire parce qu’il agirait à la manière du sel donnant saveur au plat, pour reprendre la métaphore évangélique. Or, bien des Québécois, dont Bergeron, ne se reconnaissent pas dans un plat ainsi apprêté : On est bien loin de l’unanimité culturelle et de l’homogénéité religieuse d’hier, mais plutôt dans une société pluraliste, pluralisme qu’on retrouve au sein même de l’Église. Redisons-le, les catholiques ne sont pas une secte qui, on le sait, se voudrait totalement unanime et en opposition au monde extérieur. Toute Église doit au contraire tenir compte de la société dans laquelle elle s’inscrit. Aujourd’hui, le confessionnalisme tout terrain décrédibilise tout autant l’Église catholique et ses membres que le christianisme lui-même. Historiquement, celuici a été porteur d’une riche diversité culturelle et religieuse, et de nombreuses traditions. Cela s’est estompé avec la «chrétienté» où Église, société et culture uniforme faisaient qu’un. On a connu cela chez nous. Conserver ce modèle, cette posture, y compris au sujet de l’école, ce serait pour les catholiques s’aliéner eux-mêmes du nouveau contexte que je viens d’évoquer.250 C’est pourquoi Richard Bergeron et Fabrice Blée, professeur à la Faculté de théologie de l’Université St-Paul, écrivent en lien avec leur appréhension du temps présent : «on ne peut plus être catholique sans être œcuménique, et être œcuménique, c’est être catholique autrement»251. Ce qui amène à devoir considérer la modernité de façon 249 Louis-André Richard, «Nation et raccommodement raisonnable», dans Louis-André Richard (dir.), La nation sans la religion. Le défi des ancrages au Québec, Québec, P. U.L., 2009, p. 22. La citation de Tocqueville est tirée de De la démocratie en Amérique(I), Paris, éd. ML et frères, 1864, p. 41. 250 Jacques Grand’Maison, Société laïque et christianisme, Montréal, Novalis, 2010, p. 131. 251 Richard Bergeron et Fabrice Blée, «La prière chrétienne interreligieuse : de la praxis à la théologie», dans Prier Dieu dans un monde sans Dieu, Montréal, Médiaspaul, 2006, p. 31. 107 inclusive et à en faire un préalable à toute discussion sur l’avenir de l’Église du Québec. Ce phénomène n’est pas exclusif au Québec, il est à peu près le même dans l’Occident chrétien. Malgré tout, ce fait ne devrait pas trop inquiéter, car la sécularisation n’est pas sans parenté252 avec le christianisme et celui-ci ne devrait pas désespérer de celle-là : Le christianisme a engendré un monde qui le conteste ou qui peut se passer de lui; mais un monde avec lequel il demeure en connivence matricielle et auquel il a toutes les chances de demeurer associé, moyennant évolution et adaptation. La modernité est son autre, il s’y est senti violemment étranger, il l’a rejeté – côté catholique surtout… Et puis, ce combat d’arrière-garde épuisé, il s’avère que le fait chrétien possède une affinité occulte avec le plus moderne du moderne. Probablement même, si l’on pousse l’analyse, le christianisme est-il la seule religion en l’état compatible jusqu’au bout avec la modernité. Même chose avec l’Église : l’institution typique que la modernité est vouée à contester; mais une institution indépassablement enracinée dans l’histoire qui la conteste. Il faut sensiblement complexifier les antagonismes qui nous sont familiers si l’on veut entrer dans l’intelligence effective de tels phénomènes…253 Le travail de Bergeron est en droite ligne avec cette volonté d’adapter ce qu’il en est de l’Église : partir sans quitter, ne pas (re)nier son enracinement et surtout ne pas enlever trop rapidement le «vieux cadre», car il pourrait «parler» à nouveau. En outre, comme l’écrit Yvan Lamonde à propos de la situation au Québec : Dans un régime de séparation de l’État avec l’Église et de neutralité de l’État, la distinction qui s’impose ici veut que cette majorité ne constitue pas une majorité politique; dans la perspective de la vie civile démocratique moderne, la religion n’est pas un marqueur civil ou politique et ne l’est qu’au risque de l’intolérance latente de sociétés où l’absolu de la croyance peut mener à un prosélytisme dogmatique sinon à l’intégrisme. Dans une société donnée, telle religion majoritaire parmi d’autres à un moment, a tout à gagner, eu égard à son droit d’existence et de manifestation d’une croyance, à concevoir que la sauvegarde de la spiritualité et du sacré est d’autant plus assurée que ce droit ne se réduit pas à l’institutionnalisation, à la recherche du pouvoir politique et à l’exclusion. N’a-t-on pas appris au Québec qu’à 252 Nous empruntons cette expression à Jacques Grand’Maison, Une spiritualité laïque au quotidien, Montréal, Novalis, 201, p. 8. 253 Marcel Gauchet, «Retour du religieux», dans Un monde désenchanté?, Paris, Les Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, 2004; Paris, éd. Pocket, 2007, p. 192-193. Les pages référent à l’édition de 2007. 108 trop vouloir sauver l’institution et son pouvoir, on a aussi jeté le catholicisme et peut-être – c’est la question lancinante et plus grave – le sens du sacré?254 Bergeron, bien ancré dans la société québécoise, pouvait en mesurer la conséquence, ce que décrit bien un grand penseur de l’évolution du Québec contemporain comme Gregory Baum : … la société ne reste vivante et non répressive que si elle est ouverte à la transcendance. Non pas une transcendance au-dessus de la communauté, mais une transcendance immanente à la substance. À défaut de s’ouvrir à la transcendance, la société fera de sa vision et de ses valeurs une idéologie fixée, elle sacralisera ses pratiques et se verra comme une manifestation de l’absolu. À défaut de s’ouvrir à la transcendance, la société deviendra une idole.255 Voilà pourquoi il s’agit d’un problème sérieux auquel il faut apporter une réponse, non pas seulement pour nous-mêmes, mais pour notre nation. À défaut de l’avoir nommé, Bergeron s’est fait l’explorateur d’une société séculière qui peut réactualiser un espace pour le sacré. Il pressentait que ce qui est arrivé à l’Église d’ici pouvait préfigurer ce qui pourrait arriver à la société québécoise. 3.4 Le jeu en valait-il la chandelle? En guise de conclusion En me voyant, on devrait pouvoir dire : c’est du Bergeron, mais c’est aussi du Jésus.256 Malgré le fait que Bergeron se donne en exemple en tant qu’annonciateur d’une société québécoise ouverte à une spiritualité, fut-elle séculière, il semble bien que la cité de Dieu ne sera plus jamais amalgamée à la cité des hommes, tout au moins en Occident chrétien, hormis le fait d’un héritage ou d’un patrimoine, accolé à cet espace géographique et historique. De même, il ne faut pas espérer, à court ou à moyen terme – qui peut dire ce qu’il en sera dans le long terme? – , que la religion redevienne un «liant» fondamental à l’identité d’une nation. Le Québec ne fait pas ici exception et on pourrait même soutenir que la dilapidation du patrimoine chrétien est plus rapide au Québec que dans bien des nations. 254 Yvan Lamonde et Bruno Demers, Quelle Laïcité?, Montréal, Médiaspaul, 2013, p. 28-29 Gregory Baum résume ainsi la conclusion de Fernand Dumont (celle de son livre Raisons communes Montréal, Boréal, 1995) dans Fernand Dumont, un sociologue se fait théologien, Montréal, Novalis, 2014, p. 153. 256 Richard Bergeron, Et pourquoi pas…, p. 152. 255 109 Alors le jeu en valait-il la chandelle? Le parcours de Bergeron a-t-il été inutile? C’est plutôt le contraire en ce qui le concerne personnellement : un tel parcours lui a permis de retrouver le sens d’un engagement spirituel qui lui permet de partir sans quitter. Par ailleurs, explorer la voie ouverte par Bergeron afin d’y trouver une nouvelle articulation entre religion et nation ne donne pas le résultat probant que l’on espérait trouver au départ. Il faut reconnaître qu’une telle ambition n’était pas une visée de ses travaux, mais elle aurait pu nous y conduire, Bergeron lui-même se présentant comme un cas représentatif de l’évolution de notre société. Toutefois, si l’on veut bien comprendre l’enjeu de l’Église en lui-même et pour notre société qui se transforme, si l’on souhaite se donner quelques éléments permettant de renouer le dialogue entre une institution figée et une communauté de croyants au sein de cette cité résolument moderne, le travail du théologien Bergeron est un guide sans pareil. En effet, Richard Bergeron a voulu adapter sa foi aux nouvelles exigences de la modernité. Il ne se départit pas de sa vocation seconde pour le faire, ses qualités d’enseignant et de chercheur sont mises à contribution. Nous pouvons qualifier son point de vue de chrétien-catholique. Son option est radicalement chrétienne en référence à un cadre catholique qu’il passe au tamis de son jugement critique, jugement construit par son expérience de vie de même que par ses formations intellectuelle, religieuse et spirituelle ainsi que par son appartenance forte à une société en mouvement. Ce filtre fait qu’il ne peut adhérer à la totalité de l’enseignement de cette Église et qu’il se distancie de même de l’institution où toutes les responsabilités majeures sont dévolues à des clercs. La perspective de Bergeron est christocentrique avant que d’être ecclésiologique. Ce qui lui permet d’amoindrir les contradictions que soulève son appartenance au catholicisme. En ce sens, il ne peut plus être le représentant de l’institution et il en a tiré la conclusion qui s’imposait. Ce choix de chrétien-catholique lui permet d’éviter cependant les écueils d’une «non-affiliation » à une religion organisée. Ainsi s’il ne s’affirmait que comme chrétien, Bergeron aurait pu être tenté par le prophétisme ou encore le spiritualisme. On reconnaît d’ailleurs certains accents en ce sens au fil de son œuvre. Bergeron choisit plutôt la fidélité dans le renoncement : il demeure dans le sillage de l’Église qu’il quitte et lui propose une nouvelle lecture de son rôle à la lumière des défis du temps présent, tout en étant solidaire de la société dans laquelle il évolue. En fait, malgré ce qu’il a pu écrire à ce sujet, Bergeron ne souhaite pas la destruction du Temple. Il en ébranle les colonnes afin de lui donner une meilleure assise. Ainsi, faire que l’Église délaisse l’exclusivisme pour s’ouvrir au relationnel avec les autres religions ouvre la voie à un relativisme qui n’est pas pour autant absolu : une réciprocité 110 asymétrique est possible. De même, le retour à un enseignement consensuel minimal entre les religions chrétiennes permettrait un point de rencontre et une redéfinition commune de ce qu’est l’Église sans empêcher une Église particulière d’avoir sa propre couleur. Proposer un nouveau lieu spirituel en complément aux lieux spirituels existants est également une tentative de réponse originale à une adaptation nécessaire aux besoins spirituels de notre temps. Enfin, faire du Christ le «Maître Jésus» est audacieux : Bergeron propose la sagesse de Jésus comme aboutissement de la foi chrétienne et cela donne un élément discriminant qui permet de juger des situations religieuses et humaines qui se présentent sur la route du croyant, cela afin de développer son humanité intégrale. Une question demeure en lien avec cette dernière proposition, celle de la «suivance» : quel cadre organisationnel peut engendrer une suite, constituée de personnes autonomes sur le plan de la foi et de la raison, à «Maître Jésus»? Mais, même si tout n’est pas attaché, cela a le mérite d’interpeller notre société. Toutefois, même si Bergeron se considère comme un exemple à suivre, voire comme le prototype de ce qui émergera de l’évolution spirituelle de notre société, il s’agit plus d’une traversée en solitaire en lien avec son histoire personnelle qu’avec celle de notre société. Sa réinterprétation de ce que sont la fidélité à l’Église et la fidélité à Jésus est le fait d’un parcours atypique qui s’insère à l’intérieur de l’évolution de la société québécoise. Elle en est enrichie. Nul doute, après cette récapitulation, que le jeu en valait la chandelle… 111 Annexe I Chronologie de Richard Bergeron • 1933 Naissance de Richard dans une famille religieuse et instruite du Saguenay : il y avait déjà des prêtres dans la famille. Les parents de Richard auront sept enfants : il sera le troisième enfant et le deuxième garçon. L’aînée sera appelée à s’occuper de la famille avec sa mère alors que, parmi les autres, il y aura deux prêtres et une religieuse. • 1943 Installation de la famille à Clermont dans Charlevoix. • 1945 Richard entre au séminaire des Franciscains à la suite d’un concours de circonstances. D’abord, il s’agissait d’assurer les études d’Alphonse l’aîné des garçons. Les parents ont choisi ce séminaire en raison du coût de la pension (15$/mois au lieu de 30$/mois au séminaire de Chicoutimi). Or, celui-ci refuse d’y aller. On propose de le remplacer par Richard, ce qui est accepté. Richard ira donc au séminaire de Trois-Rivières à l’âge de onze ans et demi comme pensionnaire. Il reviendra à la maison deux fois par année comme c’était la coutume. Richard sera identifié à son arrivée comme l’Alphonse attendu. Élève appliqué, très bon sportif, notamment au hockey, Richard doublera quand même une année. Il rencontre au séminaire des maîtres très instruits et passionnés par leur discipline. • 1952 Le 2 août, c’est l’entrée au noviciat de Sherbrooke à 18 ans et demi. • 1953 Richard fera Philo I et Philo II au monastère de l’Alverne à Québec. Il y rencontre des Franciscains plus libéraux qui l’influenceront. 113 • 1956 Bergeron prononce ses vœux solennels. Il s’agit du moment décisif dans son choix vocationnel. Cette décision est l’aboutissement d’une longue démarche. Formation théologique à Montréal (Rosemont). • 1960 26 juin : ordination sacerdotale. Bergeron éprouve une immense joie. C’est un geste cohérent de la communauté qui offre la prêtrise à ceux qui «ont des études». Toutefois, Bergeron se voit d’abord comme un Franciscain, c’est sa «façon d’être au monde». Bergeron ne fera pas de ministère en paroisse, ni non plus de confession (il arrêtera après un an). Il arrêtera même de célébrer la messe durant plusieurs années, préférant y assister en fraternité ou en paroisse. Son ministère sera plus de l’ordre prophétique par l’enseignement universitaire (théologie) et par les nombreux prêches en paroisse et dans les communautés religieuses (théologie spirituelle). Maîtrise en théologie à l’Université d’Ottawa. • 1961 Retour au séminaire des Franciscains à Trois-Rivières comme directeur du niveau «Éléments latins» (première année du secondaire). • 1962 Études doctorales à Strasbourg et obtention du titre de docteur en 1965. • 1965 Nomination comme professeur au scolasticat de Montréal. • 1966 Fermeture du scolasticat. Enseignement religieux au collège Édouard-Montpetit et engagement en cours d’année comme professeur au Grand Séminaire. Alors que son intérêt et ses études portent sur l’ecclésiologie (il voulait mieux comprendre la notion d’obéissance), on lui demande de donner au scolasticat un cours de christologie qui fut fort apprécié. Or, le Sulpicien qui dispensait ce cours au Grand 114 Séminaire tomba gravement malade et on demanda à Bergeron de le remplacer. Il y avait 95 étudiants à ce cours, dont Mgr Ouellet. Les Franciscains, sous la pression de certains de leurs membres dont Bergeron, louent et achètent des maisons, ouvrent des petites fraternités en s’inspirant de ce qui se fait dans d’autres pays. Bergeron est responsable d’une des fraternités située près de l’Université de Montréal, rue McKenna. Ces fraternités auront à inventer leur style de vie. Il y aura même la création de la Fraternité régionale du Centre-sud de Montréal regroupant trois maisons et organisant ensemble des week-ends de réflexion et des célébrations. • 1967 À la fin du cours au Grand Séminaire, le doyen de la nouvelle Faculté de théologie de l’Université de Montréal lui offre un poste de professeur, qu’il accepte. • 1966-67 Bergeron enseigne à mi-temps au Grand Séminaire et à l’Université, car il travaille un autre mi-temps à la Faculté d’éducation permanente de l’Université de Montréal à la mise en oeuvre d’une nouvelle catéchèse. Il démissionnera par la suite de ce travail. • 1967-68 (jusqu’en 1994-95) Enseignement à temps plein à l’Université. Deux cours de christologie lui sont assignés : Histoire et destinée de Jésus (Christologie ascendante) et Mystère du Christ (christologie descendante). Des versions tapuscrites de ces cours existent. En plus de son enseignement, de sa participation à la vie universitaire (secrétaire de la Faculté, vice-doyen, etc.), de ses recherches et de ses publications, il fera beaucoup d’études sur différents sujets souvent à la demande du milieu, comme l’exige sa tâche de professeur d’université. • 1971 Parution des Abus de l’Église selon Newman. • 1972 Visiting Fellow à Cambridge (congé sans solde). Ce congé correspond à une remise en question profonde de ses vœux. 115 • 1973 Bergeron décide de vivre seul dans un appartement très modeste sur Alexandre-deSève. Ce sera une période d’intense ouverture à la dimension sociale. • 1976 Avril. Le doyen Léonard Audet réunit les professeurs du département afin d’identifier un problème contemporain à analyser. Habituellement, c’est la sécularisation ou la laïcisation qui est choisie. Cette fois, ce sera le phénomène des nouvelles religions. Bergeron se porte volontaire pour y travailler. Juillet. Premier cours (d’été) donné sur les nouvelles religions. Bergeron continuera par la suite l’enseignement et la recherche dans ce domaine. Il organisera d’ailleurs plusieurs colloques et deux congrès internationaux. Il est captivé à tel point par ce thème qu’il ne republiera en christologie qu’à sa retraite. Parution d’Obéissance de Jésus et vérité de l’homme. Ce livre a été écrit en un mois et demi à Cambridge en 1972. Le délai dans la parution est dû à un Nihil Obstat obtenu avec difficulté. De fait, le comité de lecture québécois censure le livre comme n’étant pas orthodoxe jusqu’à une réévaluation par un autre comité, français celui-là. Bergeron ne recevra pas de droits d’auteur en raison du caractère litigieux du volume. • 1977 Pendant trois ans, Bergeron participe à l’aventure de Quo Vadis, commune d’accueil animée par des Franciscains hébergeant d’ex-prisonniers et d’ex-drogués de Montréal. On leur propose même un séjour sur une ferme. Bergeron aura une chambre au centre qu’il devra parfois partager avec des bénéficiaires. • 1979 Parution de Faites vos jeux! Résurrection et Réincarnation. • 1980 Installation dans une nouvelle fraternité sur la rue De Lorimier, et par la suite sur la rue Laurier. Un incendie le fera déménager vers Longueil en 1989. • 1981 Parution de L’Attrait du mystérieux. Bible et ésotérisme. 116 • 1982 Parution du Cortège des fous de Dieu. • 1984 Fondation par Bergeron du Centre d’information sur les nouvelles religions (CINR) sous l’instigation de Roland Chagnon et d’Irénée Beaulieu. Ce centre autonome analyse les nouvelles religions dans une perspective chrétienne. Bergeron sera président du centre pendant dix ans. Il sera membre du conseil d’administration pendant les quatre années suivantes (jusqu’en 1998). Durant sa présidence, il s’occupera, bien sûr, des orientations du centre, de son financement et de la publication des travaux du centre. • 1985 Parution de Un chrétien face à la réincarnation, une version complètement révisée de Faites vos jeux! Résurrection et réincarnation, 1979. • 1986 La part d’héritage de ses parents est versée dans une fiducie (15,000$). Cet argent lui permet d’acheter un terrain dans Charlevoix. Bergeron construit avec des amis et de la parenté sur ce site un petit chalet qui deviendra son refuge. • 1987 Parution des Fondamentalistes et la Bible. • 1988 Parution de Damné Satan. • 1990 Année sabbatique. Bergeron se désengage partiellement du CINR, même s’il continue son implication jusqu’en 1996. • 1991 Parution de Légende du grand Initié. • 1992 Parution de Nouvel Âge en question (en collaboration). 117 • 1995 Retraite de l’université. Parution des Nouvelles religions. Guide pastoral. De mars à juillet, Bergeron enseigne au Zaïre et à Madagascar. Le 28 mai, Bergeron est proclamé Professeur émérite de l’Université de Montréal en son absence. En octobre, première rencontre avec Sylvia, qui deviendra par la suite son épouse. Bergeron partagera son temps entre Montréal et Charlevoix où il a sa maison. • 1996 En avril : prédication d’une retraite à Edmonton. Rencontre décisive avec Sylvia. En mai, Bergeron donne deux entretiens-choc au chapitre des Franciscains qui a lieu à St-Jérôme : «La foi : faut perdre la foi» et «L’identité franciscaine». En juillet, Bergeron rencontre le supérieur provincial de sa communauté. Il se sent «débordé». En conséquence, Bergeron utilisera divers moyens pour surmonter cette crise : cours à l’Institut de pastorale sur la façon de gérer son agenda (septembre); pratique de la méditation (début octobre) et thérapie avec un psychologue (fin octobre à fin décembre, avec une autre rencontre le 25 mars 1997). • 1997 Parution de Vivre au risque des nouvelles religions. Conformément aux statuts de sa communauté, Bergeron demande un temps de réflexion : un congé sabbatique de neuf mois lui est accordé. D’avril à la mi-septembre, il fait une retraite complète dans un endroit isolé avec seulement les Évangiles et les écrits de François d’Assise. De la mi-septembre à la mi-octobre, il se déplace en forêt au Lac Coyottes (mont Élie). De la mi-novembre à la mi-décembre, il demeure en solitude, mais cette fois dans le désert du Nevada. Il lit, durant la période 1997-98, Drewerman et Durkheim, ces auteurs seront déterminants pour la suite des choses. Il prend alors la décision de quitter les Franciscains et de fréquenter Sylvia. Il élabore aussi un projet de vie qui précise ce que sera son nouveau mode de vie. • 1998 Parution de Croyances et Société. Bergeron est directeur de la publication. 118 Bergeron obtient en février un congé d’absence du provincial des Franciscains, ce qui a pour effet de le libérer de ses vœux pour un temps. En mai, Bergeron suit avec Sylvia deux sessions de perfectionnement au centre Durkheim en France. • 1999 Bergeron demande sa laïcisation en début janvier, elle lui est accordée le 14 septembre. Bergeron signe le rescrit de laïcisation en novembre, mais il le regrette en prenant connaissance du contenu du document (rédigé en latin). Il fera même appel au cardinal Turcotte en vue d’en dénoncer le contenu. À la mi-novembre, Bergeron fait paraître une adresse à ses frères Franciscains afin d’expliquer son départ : «Pour la suite de ma vie…» et ré-exprimer son attachement à François d’Assise. Ce texte se termine par cette exhortation de François : «Mes frères, jusqu’ici nous n’avons rien fait. Commençons.» Bergeron aura été franciscain pendant 43 ans depuis ses vœux solennels. Bergeron recevra un montant de sa communauté (30,000$) et on lui donnera la voiture dont il se sert afin de l’aider dans sa nouvelle vie. • 2000 Parution d’un nouveau livre : Les pros de Dieu. Bergeron assiste à un congrès en Corée. Bergeron procède à l’agrandissement du refuge de Charlevoix afin d’accueillir Sylvia qui y emménage. C’est le début de sa vie de couple. • 2002 Parution d’Itinérances spirituelles. Bergeron est directeur de la publication avec Guy Lapointe et Jean-Claude Petit. Parution de Renaître à la spiritualité. • 2004 Parution de Hors de l’Église, plein de salut! Le 28 juillet, ce sont les fiançailles. 119 • 2007 Le 18 août, c’est le mariage civil avec une célébration à l’Église de St-Joseph-de-la-Rive. • 2008 Parution de La vie à tout prix! En quête d’un art de vivre intégral. Parution de Prier dans un monde sans Dieu : Bergeron est directeur de la publication. • 2009 Parution de Et pourquoi pas Jésus? • 2011 Parution de Le couple comme nouveau lieu spirituel. 2014 2 juin : Décès de Richard Bergeron à la suite d’une longue maladie. Il a écrit sa notice nécrologique et rédigé un texte décrivant le déroulement de la cérémonie de ses funérailles. Richard Bergeron a tout prévu, comme à son habitude. «Tu nous laisses en héritage la beauté de ta vie, la profondeur de ta foi, le courage de ton engagement, la qualité de ton esprit de service, ta passion inépuisable pour la vérité et la liberté et ton amour du pauvre et du petit.» Tiré du rite d’accueil composé pour ses propres funérailles. Sur son signet funéraire, il a écrit : «Il n’y a pas de meilleur lieu qu’ici, ni de meilleur moment que le maintenant. Chaque situation est la meilleure occasion pour s’éveiller, désirer et grandir en humanité, en subjectivité et en liberté.» 120 Annexe II Bibliographie des documents cités autres que les documents de Richard Bergeron Augustin, La Cité de Dieu, 3 tomes, Paris, éd. du Seuil, 1994. Baril, René, compte rendu de Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après Newman, Montréal, Bellarmin, 1971, paru dans Studies in Religion/Sciences religieuses 2, no 4, 1973, p. 356-359. 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MacDonald) «Christmas and the Pasch», Studium 12, no 4, p. 210-221. 1959 : «Réflexion sur l'acte missionnaire», Studium 13, no 2-3, p. 118-138. «L'Eucharistie dans la vie de saint François», La Revue Franciscaine 74, no 11-12, p. 306-308; 332-334. 1960 : «L'Eucharistie dans la vie de saint François (suite)», La Revue Franciscaine 75, p. 68-70; 112-114; 145-147; 175-177; 211-213; 249-250; 289-290. «Le binôme parole-Église et la théologie de la mission», Intermissi, p. 9-13. 1961 : «Reflections on the Missionnary Act», Theology Digest 9, p. 150-154. «Deux prières pour l'unité», La Vie des Communautés Religieuses 19, p. 14-20. 1966 : «Le problème de l'Antichrist et la conversion de Newman», dans Mémorial Doucet-Longpré, Québec, Éditions de la Revue Culture, p. 189-201. «La prière d'intercession chez Newman», Évangile Aujourd'hui 54, p. 59-63. «Idéal et Structure», La vie des Communautés Religieuses 24, p. 34-40. 1966 : «Communauté '66», La Vie des Communautés Religieuses 24, p. 231-244. 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Fisichella (éd.), Dictionnaire de théologie fondamentale, Montréal, Bellarmin-Cerf, p. 1207-1211. «Réincarnation et résurrection», Appoint 25, p. 10-15. «Le retour du religieux», Nouveau Dialogue 89, p. 14-16. «Au coeur du Nouvel Âge», Présence (avril), p. 13-17. 132 1992 : «Le Nouvel Âge : le cristal ou la croix», Présence Magazine (avril), p. 13-21. 1993 : «Gustavo Gutiérrez», Bulletin de la Faculté de Théologie de Montréal 8, p. 6-8. «La figura di Gesù el Rosacrocianesimo», Sette e Religioni 12, p. 112-127. 1994 : «An Alternative to Anti-Cult Movement : Groupe-Alliance in Canada», dans A. Shupe et D. Bromley (éd.), Anti-cult mouvements in Cross-Cultural perspective, New York, Franland Publishing, p. 77-92. «Les religions sont-elles des demeures de Dieu?», dans J.-C. Petit et A. Myre (éd.), Où demeures-tu?, Montréal, Fides, p. 461-485. «Les sectes religieuses dans le Montréal métropolitain» dans G. 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Un saint nous quitte», En bref… Bulletin des Franciscains 42 (décembre), p. 46-50. «Méditer-Écouter», Échos du silence 16 (automne), p. 6-8. 2009 : «Le règne de la violence», La Nouvelle Revue Franciscaine 114 (septembreoctobre), p. 4-5. 2010 : «Libérés pour être libres», La Nouvelle Revue Franciscaine 115 (juillet-août), p. 10-11. «Jacques Grand-Maison : Identité : prêtre séculier», La Nouvelle Revue Franciscaine 115 (mai-juin), p. 10-11. «Le silence, c’est plein de vie», Prêtre et Pasteur (septembre), p. 450-455 «Le pluralisme, quelle richesse!», La Nouvelle Revue Franciscaine 115 (novembre-décembre), p. 10-11. 2011 : «La joie de Dieu», La Nouvelle Revue Franciscaine 116 (septembre-octobre), p. 10-11. «Des églises à vendre», La Nouvelle Revue Franciscaine 116 (septembreoctobre), p. 20-21. «Prêtres demandés», La Nouvelle Revue Franciscaine 116 (novembre-décembre), p. 20-21. 136 Recensions257 1955 : La Communauté sacerdotale de Saint-Séverin, La Messe, les chrétiens autour de l’autel, paru dans Culture 16, p. 472-474. 1956 : Pierre Williamson (trad.), Frère Pierrick, le Revenant, paru dans Studium 10, p. 214-215. 1957 : Th. Dehau, Le contemplatif et la croix, paru dans Studium 11, p. 58-59. Léonce Celier, Frédéric Ozanam, paru dans Studium 11, p. 183. «L’Anneau d’or», numéro spécial 1957, Seigneur, apprends-nous à prier, paru dans Studium 11, p. 256-257. Robert Claude, Frassati parmi nous, paru dans Studium 11, p. 246. G. Siewerth, L’homme et son corps, paru dans Culture 18, p. 463. 1958 : Frères Universels..., paru dans Studium 12, p. 56-57. Mgr Chappoulie, Luttes de l’Église. t.2, Exigences de chrétienté, paru dans Studium 12, p. 235-236. 1959 : Parole et Mission, paru dans Studium 13, p. 71-72. Raphaël Brown, Notre Dame et saint François, paru dans Studium 13, p. 75. Paul C. Perotta, Pope John XXIII, his Life and Character, paru dans Studium 13, p. 200. Liceo Franciscano, Fr. Alfonso de castro: IV centenario de su muerte 1556-1958, paru dans Studium 13, p. 205-206. 1966 : J. Honoré, L’itinéraire spirituel de Newman, paru dans Revue des Sciences Religieuses 40, p. 85-87. 1986 : Jacques Doyon, L’option fondamentale de Jésus, paru dans Science et Esprit 38, p. 264. 1987 : Roland Chagnon, Trois Nouvelles Religions de la lumière et du son, paru dans Science et Esprit 38, p. 412-414. 257 La description des livres recensés est incomplète, mais il a été impossible pour le moment d’être plus complet. 137 Textes manuscrits 1973 : «La Préface à la troisième édition de la VIA MEDIA de Newman», traduction avec introduction, commentaire et notes, 126 p. 1979 : «Phénomène des sectes et des gnoses». Document préparé pour Le Centre de formation pastorale de Valleyfield, 10 p. 1981 : «Histoire et destinée de Jésus» (notes de cours), 136 p. 1982 : «Mystère du Christ» (notes de cours), 90 p. 1988 : «Le Groupe Alliance», (avec Diane LABELLE), Centre d'information sur les nouvelles religions, Montréal, 70 p. 1989 : «Le Sens de l’espérance», retraite au Groupe Monde et Espérance, 10-13 août, 50 p. 1991 : «Nouvel Âge, nouvelles religions», Journée des supérieurs à La Maison JésusOuvrier, 9-10 avril, 30 p. 1992 : «Le Kérygme aux non-croyants», Sentiers de foi, Montréal, 47 p. Études commandées 1987 : «Considération sur le livre de Jean-Luc Hétu : Réincarnation et foi chrétienne» expertise qui lui est demandée par le Collège Marie-Victorin en tant que témoinexpert dans la cause contre Jean-Luc Hétu, 15 janvier 1987, 22 p. «Réincarnation et Foi Chrétienne», expertise qui lui est demandée par le Collège Marie-Victorin en tant que témoin-expert dans la cause contre Jean-Luc Hétu, 15 janvier 1987, 23 p. «De la compétence de M. Jean-Luc Hétu», expertise qui lui est demandée par le Collège Marie-Victorin en tant que témoin-expert dans la cause contre Jean-Luc Hétu, 20 mai 1987, 4 p. «Les manuels Quatratout», étude qui lui est commandée par la commission scolaire de l’Argile bleue, 19 juin 1987, 20 p. 138 1988 : «Proctor and Gamble Co. et l’Église de Satan», étude qui lui est commandée par le Centre d'information sur les nouvelles religions, 1988, 6 p. «Nostra Aetate», article commandé par le Ministère de l’Éducation et publié presque intégralement dans le livre du maître d’enseignement moral et religieux catholique (5e secondaire), 10 décembre 1988, manuscrit, 22 p. 1989 : «L’ésotéro-occultisme dans le manuels Quatratout et Symphonie des cinq sens», étude qui lui est commandée par le Comité catholique du Ministère de l’Éducation, 22 mai 1989, 26 p. «Le mouvement Mgr Mathieu», étude qui lui est commandée par Mgr Fortier, évêque de Sherbrooke, 5 juin 1989, 19 p. «L’affaire Père Blais» , étude qui lui est commandée par Mgr Saint-Gelais, évêque de Nicolet, 24 novembre 1989, 18 p. 1991 : «Nouvel Âge et pensée chrétienne», étude qui lui est commandée par l'A.É.Q. (Assemblée des Évêques du Québec), 47 p. «Nouvel Âge : pistes pastorales», étude qui lui est commandée par l'A.É.Q., 19 p. «L'éducation de la foi et ses priorités», étude qui lui est commandée par l'A.É.Q., 3 p. 1994 : «Les apparitions de l’Avenir» (en collaboration avec Bertrand Ouellet), étude qui lui est commandée par Mgr Saint-Gelais, évêque de Nicolet, 18 p. «Projet de refondation», étude qui lui est commandée par les Sœurs de SainteAnne, 10 p. «La cause El-Boustani», étude qui lui est commandée par Samir El-Boustani pour une cause devant la cour, 10 p. ------------------------------------------------------------------------------------------ 139