l`enjeu de l`église chez richard bergeron ou partir sans quitter

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L’ENJEU DE L’ÉGLISE CHEZ RICHARD BERGERON
OU
PARTIR SANS QUITTER
Mémoire
Marcel Côté
Maîtrise en sciences des religions
Maître ès arts (M.A.)
Québec, Canada
© Marcel Côté, 2015
Résumé
Richard Bergeron (1933-2014) a été un théologien important au Québec. En raison de
l’expertise qu’il a également développée sur les nouvelles religions, sa réputation finit
par dépasser largement l’auditoire habituellement intéressé par la théologie. On peut
même dire que son parcours de vie de même que plusieurs de ses publications
témoignent d’une évolution personnelle comparable à celle qu’a connue le Québec dans
le domaine religieux. Bergeron a d’ailleurs lui-même évoqué ce parallélisme.
D’un côté, nous suivrons la chronologie de son évolution en nous fondant sur ses
principales publications, tout en évoquant la transformation de la religion au Québec.
De l’autre, un regard phénoménologique nous permettra de dégager de ces écrits un fil
conducteur et de manifester la cohérence de la réflexion de cet auteur en lien avec son
parcours de vie.
On peut conclure que Bergeron a oscillé entre une réappropriation et une
désappropriation de l’Église-institution, ce qui l’a amené à présenter les grandes lignes
d’un nouveau lieu d’expression du religieux. La conclusion qu’il a tirée de son expérience
est la suivante : pour pleinement se réaliser en tant que personne croyante, il lui fallait
paradoxalement sortir de cette Église, mais sans la quitter tout à fait.
On trouvera à la fin de cette étude une chronologie de la vie de Richard Bergeron ainsi
que la bibliographie complète de ses écrits.
iii
Table des matières
Résumé
iii
Épigraphe
vii
Remerciements
ix
Avant-propos
xi
1. Vivre en Église comme mise au jeu
1
2. Le fil chronologique : principaux moments d’une évolution
2.1
Les anciennes règles du jeu : Hors de l’Église, point de salut!
11
1950-1965
11
2.1.1 L’effort d’intégration : les abus de l’Église d’après Newman (1971)
13
2.1.2 L’effort de réforme
23
2.1.2.1 Obéissance de Jésus et vérité de l’homme (1976)
1965-1995
23
2.1.2.2 Le cortège des fous de Dieu (1982)
2000
33
2.2
Richard Bergeron hors-jeu : Les pros de Dieu (2000)
43
2.3
Les nouvelles règles du jeu : hors de l’Église, plein de salut!
54
2.3.1 L’effort de réforme
1995-2005
55
2.3.1.1 Renaître à la spiritualité (2002)
55
2.3.1.2 Hors de l’Église, plein de salut (2004)
69
2.3.2 L’effort d’intégration
2005-2011
80
2.3.2.1 Et pourquoi pas Jésus? (2009)
80
2.3.2.2 Le couple comme nouveau lieu spirituel (2011)
88
3. Le fil conducteur : jouer le jeu
1933-2014
95
3.1
Se sortir du jeu sans quitter l’enjeu
95
3.2
La perspective de Bergeron : entre rétrospective et prospective.
100
3.3
L’enjeu de l’Église au Québec : qui est le maître du jeu?
105
3.4
Le jeu en valait-il la chandelle? En guise de conclusion
109
Annexe I : Chronologie de Richard Bergeron
113
Annexe II : Bibliographie des documents cités autres que les documents de Richard Bergeron
121
v
Épigraphe
Me voici restitué à ma rive natale...
Il n’est d’histoire que de l’âme, il n’est d’aisance que de l’âme.
St-John Perse, «Exil V»,
Œuvres complètes, Paris, Gallimard (coll. La Pléiade), 1972, p. 130.
vii
Remerciements
Je souhaite remercier trois personnes qui m’ont appuyé dans ce projet :
-
Richard Bergeron, mon inspiration, ce mémoire veut témoigner de son
audace, de son honnêteté intellectuelle et, surtout, de son courage;
-
Natacha Giroux, mon épouse, dont j’admire le grand cœur, la droiture et la
femme de tête;
-
André Couture, mon directeur, de qui je salue la rigueur et la disponibilité
pour l’encadrement de ce mémoire.
ix
Avant-propos
Ma rencontre avec Richard Bergeron remonte aux années 2000. Même si je connaissais
ses travaux sur les nouvelles religions, ce sont les lectures successives des Pros de Dieu
et de Renaître à la spiritualité qui ont suscité mon intérêt, car elles rejoignaient mes
préoccupations d’alors : trouver une spiritualité adaptée à la modernité qui ne fasse pas
l’économie de la situation particulière du Québec contemporain.
Depuis, j’ai eu le privilège de m’entretenir à quatre reprises avec Richard Bergeron lors
de courtes rencontres. La première fois, nous avons discuté des livres mentionnées plus
haut et de sa situation personnelle. J’ai par la suite gardé contact en commentant
chaque nouvelle parution de ses livres, soit par un petit mot, soit par un compte rendu,
jusqu’au moment où j’ai décidé d’approfondir sa pensée de façon plus systématique. Ce
projet a fait en sorte que j’ai sollicité trois autres rencontres (22 juillet 2012, 23 mars
2013 et 25 mai 2013) afin d’établir la chronologie des événements de sa vie, de clarifier
certains de ces événements et certaines idées de ses communications écrites, et
finalement afin de produire une bibliographie exhaustive. Ces documents sont en
annexe.
Une cinquième rencontre devait avoir lieu. Elle fut reportée à quelques reprises et
finalement annulée; la maladie empêchant chaque fois Bergeron de me recevoir. Il est
décédé le 2 juin 2014 à l’âge de 80 ans.
xi
1.
Vivre en Église comme mise au jeu
Le Christ a annoncé le Royaume, mais c’est l’Église qui est
venue.1
Alfred Loisy
Cette mise au jeu se veut d’abord un rappel : le mot Église vient du mot grec ekklesia qui
signifiait à l’origine l’«assemblée du peuple». Or, ce mot est très vite utilisé, même dans
la Septante, pour traduire la notion de communauté de Dieu ou encore celle de la
synagogue; communauté qui aura besoin, dès son origine, d’un encadrement minimal
qui s’est formalisé et cristallisé avec le temps. Au départ, il s’agissait simplement de
désigner l’organisation des communautés locales centrées autour des anciens
(«presbytes») afin d’assurer quatre fonctions («ministères») : apôtres, pasteurs, diacres
et docteurs. Ces différentes communautés se rencontraient et discutaient sur un mode
collégial qui sera supplanté dès la fin du premier siècle par l’épiscope, ce «gardien»
d’une communauté hiérarchisée qui comprenait des presbytes et des diacres. La trame
de cet ordonnancement, qui s’est développé jusqu’à nos jours, a connu des
développements inégaux et quelque peu différents dans le cours de l’histoire du
christianisme.
Très vite, le regard des chrétiens sur un tel ordonnancement a donné lieu à une
métaphorisation dont la forme la plus achevée au XXe siècle est l’Église catholique,
même si ses tenants et aboutissants ne sont pas partagés par tous.
La fameuse boutade de Loisy, placée en exergue à cette section, résume bien les
reproches formulés à l’Église de ce temps-là, et même à celle de notre temps. De fait,
cette image trouve un écho singulier dans ce qui est véhiculé au sujet de l’Église,
particulièrement au Québec. L’Église-institution2 n’a plus la cote. Le nombre effarant de
1
Alfred Loisy, L’Évangile et l’Église, Paris, Alphonse Picard et fils, 1902, p. 110-112. Cette phrase de Loisy
est citée comme une boutade, souvent reprise dans l’opinion populaire, sans rapport avec le contexte
dans lequel elle était formulée. D’après Bernard Sesboüé, elle «renvoie à la perplexité des premiers
chrétiens devant le fait que la fin du monde et le retour du Christ, annoncés, tardaient à venir. Elle nous
ramène aussi au début du XXe siècle, en exprimant la nouvelle perplexité des exégètes et des théologiens
devant les premiers résultats de la recherche sur Jésus et la relation entre lui et l’Église». Voir à ce sujet :
Bernard Sesboüé, La théologie au XXe siècle et l’avenir de la foi : Entretien avec Marc Leboucher, Paris,
DDB, 2007, p. 159-160.
2
Pour reprendre Yves Congar (Vraie et fausse réforme dans l’Église, Paris, Cerf, 1968, p. 92), l’institution
est cet «ensemble de moyens par lesquels Jésus a voulu se susciter et s’unir des fidèles». En ce sens,
l’institution existe avant la communauté. Ce qui est en jeu ici c’est la forme particulière qu’a prise cette
institution dans le catholicisme et la manière dont elle s’est incarnée au Québec.
1
livres publiés sur le sujet depuis quelques années est une illustration probante de ce
déni.
Nous voulons comprendre ce qui se joue dans cette désaffection ainsi que les
répercussions de tous ordres que cela a ou peut avoir. Ce point de vue n’est pas
désincarné ou désintéressé, tant s’en faut :
C’est (donc) la condition même du philosophe, de son autonomie, qui est en jeu
dans le problème de l’Église. De toute façon, il doit justifier son appartenance à
une Église ou, comme Jaspers, son rejet d’une Église, synonyme de foi
philosophique. Encore une fois, il n’y a rien qui soit donné à la philosophie à
comprendre, «même la religion». La philosophie a le droit de regard sur tout, et
elle l’exerce. La philosophie de la religion, en tant que partie intégrante de
l’encyclopédie des sciences philosophiques, fait nécessairement appel à l’Église,
à l’assemblée visible des croyants, à leur foi commune, au lien qui les unit. Pour
être fidèle à l’autocompréhension de l’Église, elle doit faire appel aux notions de
liberté et d’autorité, d’organisme et de corps mystique, de symbole et de sacré.3
C’est dans cette perspective philosophique que se situe cette réflexion sur la notion
d’Église dans le contexte du Québec contemporain. Ce qui nous amène nécessairement
à certaines considérations de l’ordre de la philosophie politique.
Certes, dans l’histoire du Québec, on peut comprendre l’attachement à l’Église, car il
s’agissait alors d’une affirmation identitaire essentielle à la survie de la société
canadienne-française en même temps que de la reconnaissance de la présence d’une
élite bienveillante dans un environnement menaçant. Bien sûr, cela ne s’est pas déroulé
sans heurts : d’aucuns souhaitaient une émancipation de l’omniprésence de l’Église
dans la société civile. Toutefois, pour une majorité de la population, cet attachement à
l’Église ne s’est jamais démenti jusqu’à la Révolution tranquille des années 60. Le
Canadien français du Québec reconstruisit alors son identité sur un fond religieux, mais
surtout sur un espace (le Québec) et une culture communs à ses habitants. En même
temps que l’instruction devenait accessible, les «Québécois» ont délaissé peu à peu les
lumières de la religion pour éclairer leurs conduites collectives et individuelles. Durant
cette période, l’État a remplacé progressivement les communautés religieuses dans la
dispensation des services de base à offrir à la collectivité (instruction, santé, soutien aux
personnes dans le besoin, etc.), l’Église s’est vue ainsi confinée à un rôle
complémentaire à l’État, rôle plus restreint et moins visible. Depuis, cette
complémentarité est, à toutes fins utiles, disparue. Les quelques religieux qui s’occupent
3
Xavier Tillette, L’Église des philosophes, de Nicolas de Cuse à Gabriel Marcel, Paris, Cerf, 2006, p. 19.
2
encore de répondre à de tels besoins le font à l’intérieur d’instances non
confessionnelles ou alors multiconfessionnelles. L’Église a même maintenant peine à
répondre aux besoins de ses propres communautés. Il faut également mentionner
l’impact du concile Vatican II sur la société québécoise, cette nouvelle façon d’être en
Église a suscité de vifs débats et a accéléré des prises de position fermes et contrastées
envers l’institution. Au fil du temps, la société québécoise s’est largement
déconfessionnalisée à un point tel que ce qu’écrivait Julien Green, alias Théophile
Delaporte, à propos des catholiques de la France en 1924 a une résonnance comparable
dans le Québec contemporain :
Les catholiques de ce pays sont tombés dans l’habitude de leur religion, au point
qu’ils ne s’inquiètent plus de savoir si elle est vraie ou fausse, s’ils y croient ou
non; et cette espèce de foi machinale les accompagne jusqu’à la mort. 4
Si la distanciation de la religion est un fait dans le temps présent, elle a des
conséquences non négligeables sur le plan social et politique. Les enjeux philosophiques
souterrains qui ont favorisé cette distanciation sont à être explicités, mis au jour, avant
que l’on puisse vouloir se conformer à l’esprit de ce temps en toute connaissance de
cause. Bien sûr, il ne s’agit pas d’identifier ces enjeux afin de les disqualifier, mais plutôt
de reconsidérer dans une perspective plus large la source et les effets de la
distanciation. De fait, on doit le constater : l’effritement du religieux dans la société
fragilise le fondement identitaire de ceux qui reconnaissent appartenir à cette Église et,
par conséquent, ébranle la cohésion des individus qui composent ce groupe social.
Tout se passe comme si la confrontation entre la cité de Dieu et la cité des hommes
était une cause entendue, un non-débat à notre époque. Cette opposition, formulée par
St-Augustin5, a aussi une implication politique qui oblige à porter la réflexion à
l’extérieur de ce cadre. Ainsi, le lien réciproque unissant ces deux cités, qui sont
4
Théophile Delaporte (Julien Green), «Pamphlet contre les catholiques de France», dans Œuvres
complètes, t. 1, Paris, Gallimard (coll. La Pléiade), 1972, p. 879. Il s’agit des premières lignes de ce
pamphlet.
5
Saint-Augustin formule pour la première fois cette opposition dans son livre La Cité de Dieu dont
l’écriture débute en 413 pour se terminer en 426. Voici comment il envisage les deux cités :
«Deux amours ont donc bâti deux cités : l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu, la cité de la Terre,
l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi, la cité de Dieu. L'une se glorifie en soi, et l'autre dans le Seigneur.
L'une demande sa gloire aux hommes, l'autre met sa gloire la plus chère en Dieu, témoin de sa
conscience. L'un, dans l'orgueil de sa gloire, marche la tête haute ; l'autre dit à son Dieu : ‘Tu es ma gloire
et c'est toi qui élèves ma tête.’ Celle-là, dans ses chefs, dans ses victoires sur les autres nations qu'elle
dompte, se laisse dominer par sa passion de dominer. Celle-ci nous représente ses citoyens unis dans la
charité, serviteurs mutuels les uns des autres, gouvernants tutélaires, sujets obéissants. Celle-là, dans ses
princes, aime sa propre force. Celle-ci dit à son Dieu : ‘Seigneur, mon unique force, je t'aimerai.’ » (XIV, 28,
1), tome 2, Paris, éd. du Seuil, 1994, p. 191-192.
3
coextensives à l’humanité entière (pour parler le langage théologique), s’appuie sur leur
prétention à l’universalité et à la primauté exclusive de l’une par rapport à l’autre. Force
est de constater que la philosophie politique contemporaine a réduit cette dualité à
l’unique cité des hommes, l’autre cité étant reléguée à la sphère du privé6.
Le Québec fut un lieu protégé où les deux cités ont coexisté, chaque cité tirant avantage
de l’existence de l’autre. Toutefois, le changement de relevance des institutions, l’Église
laissant à la société civile plusieurs des responsabilités qu’elle assumait auprès de la
population, a produit l’effritement d’une de ces cités.
L’un des effets importants de cette mouvance est que d’une «ecclésiologie sociétaire»7,
pas toujours respectueuse des origines chrétiennes, plusieurs théologiens de l’Église
québécoise passent à une ecclésiologie qui se rapproche de la communauté et du
peuple pour en arriver à une ecclésiologie éclatée ou à la carte :
L’Église est renvoyée à plus tard, elle n’est pas la préoccupation immédiate. On
se pose des questions de foi, mais la réalisation d’une communauté est située
dans un état postérieur. «Réglons les questions fondamentales. Ensuite, peutêtre pourra naître une communauté».8
On en arrive ainsi à cette Église à la carte qui n’oblige pas à accepter ce «témoignage à
porter». Or la foi, même si elle a un caractère privé, n’en a pas moins une dimension
publique : «En tant que pratique, la foi se réalise dans la condition de disciple, dont la
structure interne est mystique et politique»9. Cet engagement responsable en société
est, pour le disciple, «la suite du Christ» et celle-ci renvoie indéniablement à la sphère
politique.
C’est pourquoi nous souhaitons observer l’évolution de cette relégation dans la sphère
privée qui s’accompagne d’une perte de crédibilité et d’autorité. Nous le ferons en
suivant la trajectoire du théologien Richard Bergeron. Notre choix revêt un intérêt
double. D’une part, Bergeron pourrait être un cas type. Il se situe à un moment
charnière. Son expérience témoigne d’une situation plus générale, mais qui se vivait
autour de lui en silence. Il est représentatif de ce qui s’est passé. D’autre part, il a vécu
dans sa chair ce retournement avec le grand avantage de l’avoir verbalisé, théorisé. Il
est un témoin dans l’acception forte du terme. Certes, ce témoignage sur l’évolution
6
André de Muralt, L’unité de la philosophie politique de Scot, Ocam et Suarez au libéralisme
contemporain, Paris, Vrin, 2002, p. 14.
7
Bernard Sesboüé, La théologie au XXe siècle…, voir le chap. V intitulé «Le siècle de l’Église», p. 159-200.
8
Bruno Chenu, Au service de la vérité, Paris, Bayard, 2013, p. 245.
9
Pierre-Yves Materne, La condition de disciple. Éthique et politique chez J. B. Metz et S. Hauerwas, Paris,
Cerf, 2013, p. 15.
4
religieuse et spirituelle ne fait pas toujours écho à la dimension politique structurante
qui la recouvre comme enjeu central. Ce qui est présent en filigrane dans le texte fera
l’objet de notre attention la plus vive.
Donc, d’une ecclésiologie sociétaire où la politique est inféodée à un lâcher-prise qui
aboutit à une ecclésiologie individuelle, que reste-t-il de la «suivance»10 comme élément
structurant du politique? Ayant perdu cette qualité, l’Église-institution est-elle dépassée
au niveau individuel et au niveau social? Peut-elle être refondée autrement? Suivre à la
trace les travaux de Bergeron ouvre différentes avenues qui sont autant de réponses à
ces questions fondamentales. L’analyse à laquelle nous procéderons nous permettra
d’identifier finalement les principales conséquences de cette transformation
socioreligieuse.
Il ne s’agit pas ici de faire œuvre de théologien dans cette analyse, mais plutôt
d’appréhender cet enjeu de l’Église du Québec par l’histoire personnelle du théologien
Bergeron. En fait, la démarche se veut phénoménologique, au sens où nous cherchons
«à mieux comprendre ce que l’homme religieux entend faire, et comment il entend le
faire»11. Bien sûr, cet homme religieux qu’est Bergeron a des motivations conscientes
dans ce faire, mais il a également des motivations moins conscientes qui sont à l’œuvre
dans la structuration profonde de ce faire. En fait, l’approche phénoménologique veut
prendre en compte les perceptions du sujet à l’égard du monde extérieur en tentant de
comprendre l’«en-deçà» de ce qui est manifesté spontanément12. Ainsi, un événement
devient compréhensible s’il peut être éclairé «par les visées qui forment le projet du
monde au sein duquel il surgit»13.
La compréhension de ce projet du monde, pour être la plus complète possible, doit se
faire à partir d’une trame, d’une histoire. Cette dernière permet d’examiner «le rôle
joué par la trajectoire que suivent les acteurs afin de mieux comprendre les
phénomènes»14. Le point de vue historique est ici un regard complémentaire :
…un individu n’est pas qu’un individu : il est une totalité universalisée par son
époque, il est le produit de son temps en même temps que le temps est produit
10
Ibid., p. 14. La notion de «suivance», dans la théologie récente, veut désigner «la suite de Jésus».
Voir la synthèse fort éclairante sur ce sujet d’André Couture, «Quelques réflexions en marge d’un
nouveau programme de culture religieuse dans les écoles du Québec», présentée à l’Assemblée des
professeurs de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, décembre 2005,
document disponible sur www.religion.qc.ca , p. 6-9.
12
Jean-Pierre Pourtois et Huguette Desmet, Épistémologie et instrumentation en sciences humaines,
Bruxelles, éd. Pierre Mardage, 1988, p. 23.
13
Robert Legros, «Phénoménologie et question de l’homme» dans La liberté de l’esprit. Qu’est-ce que la
phénoménologie?, Hachette, no 15, 1986-1987, p. 78.
14
Jean-Pierre Pourtois, Épistémologie…, p. 26.
11
5
par lui. Le chercheur doit être capable de saisir la synthèse réciproque de la
personne et du système social dans lequel elle vit.15
De fait, l’histoire personnelle et la trajectoire intellectuelle de Bergeron, intimement
liées, ne sont pas à négliger, car elles peuvent éclairer la cohérence de ce «projet du
monde». Cherchant à évaluer la cohérence de l’ensemble du parcours de Bergeron en
reliant chacune des séquences de sa réflexion, nous optons pour une démarche qui
permet de faire ressortir la part d’investissement existentiel et les éléments structurants
qui lui ont permis de mieux se définir comme religieux. Ces applications de l’esprit à un
tel objet, ce sont, en phénoménologie, des intentionnalités16 qui peuvent être des
contenus latents que les contenus manifestes ne formulent pas17 : il faut alors les faire
advenir, c’est-à-dire lire entre les lignes afin d’accéder à ce deuxième niveau et trouver
le sens caché de ce contenu latent. L’attention se dirige alors sur ce qui est révélateur
dans les écrits de Bergeron de la construction de sa cohérence personnelle en ce qui a
trait à son lien avec l’Église. C’est pourquoi nous avons identifié les livres où Bergeron
articulait sa pensée sur cette notion. Chaque livre porte sur un thème précis que
Bergeron décortique avant de reconstruire. L’analyse serrée du thème et de son
développement nous permet de dégager le noyau central de sa réflexion qui répond à la
question existentielle en amont. Cette intentionnalité correspond elle-même à une
élaboration partielle du «projet du monde» de Bergeron.
De plus, nous cherchons à présenter le contexte socio-religieux, non pas en lui-même,
mais tel que perçu par Bergeron : c’est «son» Église qu’il met en jeu en assumant la
subjectivité de son analyse et non pas l’Église en soi (qui ne se retrouve jamais tout à
fait dans les différents visages qu’on peut lui prêter). Nous cherchons simplement à
resituer Bergeron, autant que faire se peut, dans la complexité du réel tel qu’il le
percevait et à évaluer la cohérence de sa posture sans référer à une «réalité objective»
qui permettrait d’en juger.
Enfin, l’utilisation de la métaphore du jeu comme canevas de notre exploration met en
lumière la toile de fond sur laquelle Bergeron agit, exerce sa liberté. En effet, selon
Johan Huizinga, le jeu est
une action ou une activité volontaire, accomplie dans certaines limites fixées de
temps et de lieu, suivant une règle librement consentie, mais complètement
15
Jean-Pierre Deslauriers, Recherche qualitative; guide pratique, Montréal, McGraw-Hill, 1991, p. 17-18.
L’intentionnalité est, selon Husserl, la «particularité de la conscience d’être conscience de quelque
chose». Voir Henri Duméry, «Intentionnalité, philosophie», sur le site web d’Encyclopaedia Universalis,
consulté le 2 septembre 2015.
17
Sur la distinction entre contenus manifestes et contenus latents, voir François Dépelteau, La démarche
d’une recherche en sciences humaines, Québec, Presses de l’Université Laval, 1998, p. 297-298.
16
6
impérieuse, pourvue d’une fin en soi, accompagnée d’une sentiment de tension
et de joie, et d’une conscience d’être autrement que dans la vie courante.18
En ayant cette définition comme point d’appui, on peut ainsi imager le parcours de
Bergeron comme être humain religieux au sein d’une communauté religieuse où l’on
doit respecter des règles. Selon différents sens de ce mot19, le jeu est une activité
spécifique qui s’exerce dans un ensemble complexe; il désigne également le style ou la
manière d’interpréter malgré l’encadrement imposé. On le constate, le jeu fait appel à
des notions corollaires telles que les règles, les limites, la totalité, le risque, la liberté et
l’invention : on peut « avoir beau jeu, jouer serré, montrer son jeu, dissimuler son
jeu…». Préalablement, il faut accepter de «jouer le jeu» dans un ordre établi, imposé du
dehors, qui se veut englobant (totalisant) pour le joueur. Une telle comparaison avec le
jeu nous aide à mieux comprendre «l’espace de jeu» qui s’ouvre pour l’être humain qui
engage sa liberté dans un cadre semblable et ce qui lui reste d’autonomie. Une
meilleure compréhension, en lien avec le «style de jeu» de Bergeron20 comme religieux
peut se dégager et éclairer de l’intérieur son parcours, complétant ainsi notre démarche
phénoménologique.
Ainsi donc, pour arriver à la saisie de l’intentionnalité, nous nous inspirons des travaux
de Ninian Smart sur la phénoménologie méthodologique21. L’empathie, inhérente à
cette démarche, permet de cerner la totalité d’un phénomène sans en négliger les
dimensions sociale, doctrinale et rituelle22 et sans perdre de vue la dimension
expérientielle engendrée par l’intégration des autres dimensions mentionnées, et qui
les bonifie en retour. Conformément à cette démarche phénoménologique, il s’agit de
faire émerger les intentionnalités, qui sont autant de moments dans la maturation de la
pensée de Bergeron, permet de rendre présent ce qui est immanent dans son propos et
qui est au fondement même de sa posture. Enfin, s’appuyer sur une histoire
personnelle, suivre une évolution faite d’allers-retours, de jalons, de tentatives
d’intégration et de réforme, met au jour un fil conducteur auquel il arrive de vibrer au
diapason du cheminement de la société québécoise. Cette dernière affirmation se
vérifiera à l’accueil que les milieux spécialisés ont fait aux écrits de Bergeron au fur et à
18
Johan Huizinga, Homo Ludens : Essai sur la fonction sociale du jeu, Paris Gallimard, 1951, p. 57-58
Roger Caillois, Les jeux et les hommes, Paris, Gallimard, 1967, p. 12-20.
20
Pour la petite histoire, Bergeron excellait au jeu de hockey : il aurait pu jouer dans une ligue
professionnelle. Par ailleurs, il n’a pas désavoué cette métaphore lorsque nous la lui avons présentée.
21
Ninian Smart, Concept and Empathy. Essays in Study of Religion, New York, New York University Press,
1986, p. 211-212.
22
Les dimensions mythique et éthique sont moins présentes en raison de l’angle choisi dans le traitement
de l’enjeu.
19
7
mesure de leurs publications23. De cette lecture se dégage l’enjeu d’une histoire
personnelle, que nous serons en mesure d’évaluer à la fin du parcours.
De fait, le théologien Richard Bergeron a vécu intensément cette évolution de la société
québécoise à l’égard de la religion. D’ailleurs, lui-même juge son cheminement
représentatif de ce qui s’est passé au Québec. Il s’exprime très clairement à ce sujet :
… mon parcours est, d’une part, une bonne illustration du chemin parcouru par
nombre de collègues de mon âge et, d’autre part, un reflet de l’évolution de la
théologie et de la problématique religieuse au Québec au cours des cinquante
dernières années.24
Né en 1933, Bergeron a connu le Québec d’avant la Révolution tranquille, s’est fait
instruire par l’Église et a fait partie de son élite en tant que religieux/théologien. Durant
sa formation théologique, la fracture entre la religion catholique et la société
québécoise est devenue plus importante. Sa réflexion théologico-philosophique
témoigne sans complaisance de cet éclatement :
Qu’est-il advenu de la bonne vieille Église catholique et de son art de vivre
chrétien qui a connu tant d’heures de gloire? Dans la cacophonie actuelle, elle
continue timidement à enseigner, souvent dans une langue de bois, un art de
vivre inventé par d’autres pour d’autres temps. En contexte de modernité,
séculière et pluraliste, l’Église croit toujours savoir. Son discours, toujours le
même, ne rejoint plus les gens devenus séculiers qui ne se reconnaissent plus
dans cet art de vivre étranger et jugé désuet. Les tentatives de renouvellement
enclenchées à Vatican II ont été outrageusement muselées et compromises par
des autorités qui s’obstinent à vouloir refermer la porte timidement ouverte sur
la modernité. Certains, plus conservateurs, s’accrochent désespérément et
tentent de vagues restaurations qui apparaissent davantage comme des
reviviscences du passé, genre village québécois ou acadien d’antan. D’autres,
plus libéraux, croient toujours valable l’art de vivre chrétien, mais à condition de
le soumettre à un périlleux processus de réinterprétation. D’aucuns plus
critiques, désespèrent de l’institution ecclésiale tout en cherchant, en continuité
avec le grand phylum chrétien, à se mettre à l’écoute de Maître Jésus. Nombre
23
Pour ce faire, nous avons interrogé plusieurs moteurs de recherche et différentes bases de données
dont ATLA et Érudit. Cette recherche permet de constater que les comptes rendus et les recensions à
propos des livres de Bergeron ne sont pas très nombreux et que l’intérêt suscité par ses publications
semble se limiter passablement au Canada-français, malgré une traduction en portugais de Hors de
l’Église, plein de salut.
24
Richard Bergeron, «Mon parcours théologique (1950-2000) ou le passage du dogme au sujet», dans Des
Théologies en mutation. Parcours et trajectoires, Montréal, Fides, 2002, p. 64-80.
8
de nos contemporains font résolument l’opting-out; ils cherchent, en dehors de
l’institution et de la sphère chrétienne, un art de vivre pertinent. Ils se tournent
souvent vers les nouvelles religions, les spiritualités et thérapies modernes dans
l’espoir de trouver une voie vivifiante.25
D’ailleurs, on peut penser que le choix de Bergeron de faire un doctorat26 sur les abus
de l’Église n’était pas un choix innocent et pouvait être une ultime tentative de
justification/réconciliation en ces temps où s’opérait cette fracture entre l’Église et la
société québécoise. Bergeron cherchera à traduire une fidélité réelle au message
évangélique s’incarnant dans la communauté malgré la rigidité de l’Église dans un
contexte social et politique où le Québec était en ébullition, alors qu’il vivait sa
«révolution tranquille». Ses travaux plus récents réfèrent au désenchantement qui
frappe le catholicisme et suggèrent des pistes de sortie de crise. Or, l’intérêt réside dans
l’originalité de sa pensée qui, grâce à son expertise concernant les nouvelles religions,
est d’une sensibilité particulière envers les courants spirituels contemporains.
Notre hypothèse de recherche est que, dans un premier temps, Bergeron cherche à
réconcilier l’esprit du temps avec le christianisme, notamment le catholicisme d’ici. Ce
qui était conforme à ce que vivait la société québécoise. Dans un deuxième du temps,
par un mouvement inverse initié par les constats de cette tentative de réconciliation, il
veut inscrire le christianisme dans l’esprit du temps et en montrer toute la pertinence. Il
va même au-delà de l’Église-institution afin de reformuler une vie spirituelle chrétienne
en cohérence avec les avancées de la théologie contemporaine. Toutefois, cette volonté
serait en marge de cette évolution dont il se veut représentatif.
Il apparaît donc pertinent de suivre le fil chronologique des principales publications de
Bergeron afin de bien circonscrire l’évolution de sa pensée. Chaque section de cette
deuxième partie est intitulée du titre d’un de ses livres et elle est datée afin de bien
marquer les étapes de l’évolution de sa réflexion. En plus de rendre compte de cette
évolution par le contenu du livre, nous contextualiserons, autant que faire se peut, les
circonstances de certaines publications dans la vie personnelle de Bergeron. Il s’y
révélera une tension entre un désir d’adhérer à l’ecclésiologie catholique, et donc une
volonté de s’y inclure, et un refus de cette même ecclésiologie, et par conséquent un
effort pour s’en séparer et s’en distinguer. Cette tension entre l’intégration dans
l’institution et la réforme de cette même institution fait écho au cheminement même de
la société québécoise dans son ensemble qui hésite, elle aussi, entre l’acceptation et la
25
Richard Bergeron, La vie à tout prix! En quête d’un art de vivre intégral, Montréal, Médiaspaul, 2006,
p. 36-37.
26
Bergeron entreprend en 1962 des études doctorales à Strasbourg avec Maurice Nédoncelle sur
Newman. Il obtiendra le titre en 1965. Sa thèse sera publiée en 1971. Ce sera son premier livre.
9
contestation de l’institution, bien que Bergeron, dans son retour final à des valeurs
chrétiennes renouvelées, marque paradoxalement un désaccord profond avec ce qu’est
devenue cette même société.
Signalons que le premier livre portant sur les abus de l’Église revêt ici une importance
particulière, car il balisera le parcours réflexif et discursif de Bergeron.
10
2.
Le fil chronologique : principaux moments d’une évolution
Nous l’annoncions précédemment, c’est en suivant le fil chronologique des principales
publications de Bergeron que nous essaierons de suivre le développement de sa pensée
sur l’enjeu de l’Église. La démarche phénoménologique nous permettra d’appréhender,
à un niveau plus profond, l’intentionnalité à l’œuvre dans chacun de ses livres. Cela
pourra permettre de mieux saisir l’articulation de cette pensée sur un enjeu que l’on
peut qualifier d’existentiel pour notre auteur.
La réflexion de Bergeron, dans ses trois premières publications (Les abus de l’Église
d’après Newman, Obéissance de Jésus et vérité de l’homme, Le cortège des fous de
Dieu), se déploie d’abord à l’intérieur du cadre de l’Église-institution. Par la suite,
Bergeron prend lui-même position envers l’institution dans un livre (Les pros de Dieu)
que l’on peut considérer comme charnière. En lien avec cette prise de position,
Bergeron propose une redéfinition du spirituel (Renaître à la spiritualité, Hors de
l’Église, plein de salut!) qui recadre sa compréhension d’une institution renouvelée (Et
pourquoi pas Jésus?, Le couple comme nouveau lieu spirituel).
Pour chacune des publications, nous présenterons l’intention de Bergeron et la manière
dont il structure sa réflexion. Nous ferons une courte synthèse de sa pensée en lien avec
notre thème et nous en dégagerons, autant que faire se peut, les intentionnalités qui
jalonnent le développement de sa pensée.
2.1
Les anciennes règles du jeu : Hors de l’Église, point de salut!
Hors de l’Église, point de salut. L’homme doit prendre position. Il doit accepter ou
refuser. Il n’y a pas d’option médiane. Celui qui accepte s’en remet totalement à
cette institution pour son salut. En elle, il se sait sauvé par le dynamisme d’une
présence mystérieuse. Son acceptation ne peut qu’être absolue; elle est un
abandon inconditionnel.27
Cette citation, placée ici en exergue, réaffirme le statut unique de l’Église catholique
dans sa prétention implicite à l’absoluité et à l’exclusivisme qui explique la timidité avec
laquelle cette Église accompagne l’évolution des sociétés vers le pluralisme religieux et à
la rencontre des autres religions. Elle clôt en quelque sorte toute discussion. Se
distancier de cette position, un tant soit peu, peut obliger à payer le prix fort, c’est-àdire à être sanctionné par l’exclusion. Cette épée de Damoclès est venue à bout de bien
27
Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après Newman, Bellarmin, Montréal, 1971, p. 214. Bergeron
présente dans ce chapitre l’influence de la préface du livre de Newman sur Friedrich Von Hügel.
11
des récalcitrants et a permis d’assurer l’obéissance à des décisions qui pouvaient être
controversées. Par contre, n’était-ce pas l’occasion manquée d’un questionnement
nécessaire, d’un repositionnement? De fait, on reprochera à l’Église catholique d’en
faire l’économie. Dépositaire et gardienne du message, cette institution n’a pas à faire
de compromis, à adapter le message à l’esprit du temps, à moins qu’elle le fasse avec
beaucoup de réserve. Cette position sera également partagée par les Églises nationales.
Un peu à l’étroit dans une Église catholique canadienne-française figée, en symbiose
avec l’institution sur ce sujet, le jeune Franciscain Richard Bergeron s’y épanouit quand
même grâce à une formation spirituelle et intellectuelle poussée donnée par des
maîtres de grande qualité. D’ailleurs, en étant encouragé par la communauté
franciscaine à poursuivre des études supérieures, le religieux apprend à répondre de
manière approfondie aux interrogations que lui pose la société. Tout au long de sa
formation, le jeune religieux n’hésite pas à partager ses interrogations : il dit tout haut
ce que la plupart pensent et chuchotent.
Précurseur d’une remise en question de l’Église, qui le poursuivra toute sa vie, Richard
Bergeron trouve de premières réponses qui sont en phase avec les avancées les plus
progressistes du Concile. Par la suite, ces réponses deviendront plus personnelles,
originales, distantes de l’institution.
Nous voulons rendre compte du dynamisme de ce cheminement. Ainsi, de la simple
acceptation d’être dans une Église imparfaite, dans un effort pour vraiment faire partie
de cette Église et de s’y intégrer (effort d’intégration), ce théologien franciscain passe
insensiblement à une volonté de réformer cette même Église (effort de réforme) de
façon à se rendre plus capable d’affronter les défis contemporains. Cet effort de
réforme s’appuie, pour une part, sur une exploration de ce que doit être la véritable
obéissance en Église, sur le vivre-en-Église et en communauté; et, d’autre part, sur un
nouveau regard sur ce vivre-Dieu obtenu par l’exploration d’autres religions et des
spiritualités qui en émergent. Ce qui a pour effet de revisiter la signification même
d’être en Église. Telles sont les deux aspects de la réflexion de Richard Bergeron que ce
travail tente de mettre en évidence, tout en en montrant les liens étroits avec
l’évolution de la société québécoise en même temps que les dissonances avec cette
évolution.
12
2.1.1 L’effort d’intégration : les abus de l’Église d’après Newman (1971)
Une religion purement sentimentale n’est pour moi qu’un
rêve ou une parodie de religion.28
Bergeron, jeune franciscain, obtient la permission de faire des études doctorales à
Strasbourg. C’est un jeu de circonstances qui lui permet de poursuivre ses études
universitaires dans un ordre religieux dont ce n’est habituellement pas la priorité : le
supérieur du moment appuie de telles demandes parce qu’il a lui-même bénéficié de ce
type de formation. Bergeron a vingt-neuf ans et il a déjà passé dix-sept ans avec les
Franciscains, si l’on inclut sa formation depuis le pensionnat du niveau secondaire. Parti
en 1962, il obtient son doctorat en 1965, les années mêmes où s’ouvre et se conclut
Vatican II. Ce séjour à l’étranger coïncide également avec l’amorce de la Révolution
tranquille au Québec de même qu’avec l’émergence de débats de fond sur les
orientations de l’ordre franciscain. La culture franciscaine est en effet confrontée au
courant dit «mouvement des spirituels»29 qui exerce une fascination certaine en lien
avec l’aggiornamento de l’Église. Toute cette période d’avant 1965 est qualifiée par
Bergeron même de la «phase dogmatique»30 de son cheminement. La formation
acquise lors de cette période lui permet de soutenir la cohérence du modèle et
d’expliquer les dérives de cette Église sinon de les justifier. Cette exploration de la
pensée de Newman l’outillait pour faire face aux bouillonnements causés par le Concile
et absorber les bouleversements d’une société québécoise en pleine maturation. La
visée de Bergeron dans ce livre est formulée clairement : il veut apporter une
«interprétation théologique des abus et des corrections de l’Église» 31 dans le but
implicite de la réformer. Mais toute tentative de cet ordre doit commencer «par une
intelligence profonde de la structure ou du système à redresser». Pour ce faire,
Bergeron analysera les fonctions de l’Église catholique présentées par Newman de façon
systémique en identifiant les principes régulateurs des différentes fonctions et les
tensions générées par ces fonctions au sein de l’institution. C’est d’ailleurs l’architecture
même du livre. Or, Newman est un géant de la pensée chrétienne32 qui introduit une
réflexion sur la foi vécue consciemment et sur ce que suppose un réel assentiment alors
qu’on réclame de lui une qu’il croie aveuglément. Cela l’amène à réfléchir sur une
28
John Henry Newman, «Apologia Pro vita sua IV », dans History of my religious opinions from 1841-1845.
Les Spirituels franciscains voulaient vivre la règle de Saint-François dans sa littéralité et non pas selon les
interprétations qui en ont été faites par les autorités ecclésiastiques.
30
Richard Bergeron, «Mon parcours théologique (1950-2000) ou le passage du dogme au sujet», dans Des
Théologies en mutation. Parcours et trajectoires…, p. 64-67.
31
Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après Newman. Étude de la Préface à la troisième édition de La
via Media, Montréal, Bellarmin, 1971, p. 15. La prochaine citation est tirée de la page 14.
32
Keith Beaumont, Petite vie de John Henry Newman, Paris, DDB, 2010, p. 5.
29
13
institution qui brime les consciences. Le choix de Newman par Bergeron n’est donc pas
arbitraire et Maurice Nédoncelle en 1971 marque bien l’utilité de ce propos dans la
préface du livre : «Les abus de l’Église! À notre époque de crise et de contestation, y a-til un mot plus retentissant?»33. Cette question allait alimenter les réflexions de Bergeron
pour les quarante années suivantes. À tel point que, le chemin modifiant l’homme et le
théologien, la posture de départ ne sera peut-être plus celle de l’arrivée. Nous referons
donc ce parcours en prêtant une attention spéciale au commencement, car le
commencement (d’une réflexion) est, dit-on, la moitié de tout34.
Comme Newman sera le modèle de référence de Bergeron tout au long de son parcours
intellectuel, nous devons le présenter succinctement.
John Henry Newman (1801-1890) a contribué au renouveau de l’anglicanisme puis du
catholicisme après sa conversion en 1845. Écrivain prolifique, Newman est l’auteur
d’une quarantaine de livres et d’une énorme correspondance (32 volumes). Il est un
penseur original et profondément actuel qui prend en compte la subjectivité pour
proposer «l’abolition (ou le dépassement) de la pure subjectivité par le contact de
l’homme intérieur avec la vérité divine»35. En effet, il est impossible de croire en sa
propre existence sans croire à l’existence qui vit dans sa conscience36. D’ailleurs, Benoît
XVI, dans son homélie de Noël de 2009, fera une allusion directe à Newman en
déclarant que la raison peut entrevoir Dieu à travers la création et au moyen de sa
conscience. Pourtant le don de la foi doit s’accompagner de la volonté pour en arriver à
être vécu véritablement, comme l’explique Newman à une correspondante :
Je désire que vous vous demandiez sérieusement si vous avez une exacte notion
de la manière dont on acquiert la foi. C’est, nous le savons, un don de Dieu, mais
j’en parle comme d’un processus humain et atteint par des moyens humains. La
foi donc n’est pas une conclusion tirée de prémisses, mais le résultat d’un acte
de la volonté consécutif (following upon) à la conviction que croire est un devoir.
(Notons bien ici l’intervention de la volonté, non dans l’acquisition de la
conviction, mais dans l’exécution de ce que la conviction a vu.) La simple
question que vous avez à vous poser est celle-ci : «Ai-je la conviction que je dois
accepter la foi catholique romaine comme la parole de Dieu?» Sinon, au moins
33
Les abus de l’Église…, p. 9.
Proverbe attribué à Pythagore.
35
Joseph Ratzinger, voir le chapitre «Conscience et vérité» dans La communion de foi, vol. 2 Discerner et
agir, Paris, Parole et silence, 2009, p. 194-197.
36
Résumé de John Henry Newman, «Apologia Pro vita sua», Bergeron a utilisé la version des Textes
Newmaniens 5 (traduction par L. Michelin Delimoges), Paris, 1967. Une édition revue et corrigée est parue
aux éditions Ad Solem en 2010.
34
14
«Est-ce que je tends vers une conviction de ce genre?» ou «En suis-je proche?»
Car, dès que vous avez la conviction que vous devez croire, la raison a fait sa
partie, et ce qu’il faut alors pour la foi, c’est, non de la preuve, mais de la
volonté. Nous sommes responsables de ce que nous choisissons de croire; si
nous croyons à la légère, ou si nous sommes durs à croire, dans l’un et dans
l’autre cas, nous avons tort.37
Newman écrit cette lettre en 1848 et cela, même s’il avait une vision claire des abus du
catholicisme de son époque avant sa conversion :
Pendant son voyage à travers l’Italie et la Sicile, au début de 1833, il avait
constaté l’état déplorable du système romain; il l’avait trouvé «misérablement
corrompu», polythéiste, dégradant et idolâtre». Il y avait rencontré beaucoup
«d’infidélité et d’impiété», beaucoup de «timidité, de paresse et d’esprit
séculier». Partout c’était le règne de la superstition; partout on traite les choses
religieuses avec une «frivolité misérable». La religion populaire était encore plus
païenne qu’on pouvait l’imaginer.38
Après sa conversion, il cherchera à expliquer pourquoi, nonobstant de tels abus, le
catholicisme demeure la religion la plus fidèle au christianisme originel. Pour ce faire,
afin de démontrer la validité de cette démarche, il écrira une œuvre inclassable,
Grammaire de l’assentiment39, qui en expose, espère-t-il, la solidité.
Dans son livre, Bergeron relève l’insistance de Newman sur le caractère différent du
catholicisme par rapport à l’anglicanisme, différence que ce dernier situait au niveau de
l’éthos : le catholicisme est une religion de l’excès alors que l’anglicanisme «pèche par
défaut». Au-delà de cet état de fait en lien avec les conceptions de ces religions qui
conduisent à des pratiques différentes, il fallait juger de la fidélité de l’Église à l’idée
chrétienne originale et, dans cette perspective, Bergeron souligne que Newman
reconnaît une équivalence entre le catholicisme vécu et le christianisme intégral40. Pour
établir cette équivalence, il s’agit de constater l’existence d’un faisceau de
vraisemblances qui, par l’accumulation et la convergence des probabilités confirmées
par des indices historiques, conduisent à une certitude morale41.
37
Cité dans l’introduction de Marie-Martin Olive à Grammaire de l’assentiment (voir la référence plus
bas), p. 26 où l’on cite une lettre écrite à Madame Froude datée du 27 juin 1848.
38
Richard Bergeron, Les abus de l’Église…, p. 50-51.
39
John Henry Newman, Grammaire de l’assentiment, Introduction et traduction par Marie-Martin Olive,
Paris, Ad Solem, 2010.
40
Richard Bergeron, Les abus de l’Église…, p. 34.
41
Voir à ce sujet Newman, Grammaire…, chap. VII, «La certitude», p. 281-331.
15
Alors pourquoi, se demande Bergeron, à la suite de Newman, doit-il y avoir «contraste»
ou divergence en lien avec la certitude acquise? Cela s’expliquerait par des tensions
entre les différentes fonctions de l’Église. Mais avant d’aller plus avant dans cette voie,
Bergeron rappelle la liste des éventualités à la base des différends qui ont émaillé
l’histoire de ces Églises et qui ont un caractère inévitable et nécessaire42 :
1. La dureté de la théologie;
2. La primauté relative de l’édification dans la religion;
3. Les conditions de la recherche scientifique pour les questions religieuses;
4. Les exigences de la charité;
5. La loi de la réserve («concealment»);
6. L’usage de l’économie dans le domaine de la religion;
7. L’exemple de l’Église apostolique;
8. La connexion du christianisme avec le système sacramentel;
9. L’enracinement naturel du culte;
10. Le caractère subjectif de la dévotion;
11. L’usage de l’économie dans le domaine du gouvernement;
12. La mission polyvalente de la fonction royale;
13. La primauté occasionnelle de l’opportunité.
Il s’agit là d’autant de sujets possibles de malentendus qui peuvent naître entre l’ÉgliseInstitution et l’Église-communauté. Toutefois, il ne faut pas s’attendre à de grandes
transformations de la part du système ecclésial en ce qui a trait à ces sujets, car
l’autorité et l’institution freinent de telles tentatives. Ce sont plutôt les individus qui
enseignent, prônent, des possibilités de transformation en développant l’idée
chrétienne et qui, grâce à leur influence personnelle, remplissent un rôle considérable
dans le christianisme. Cette affirmation est nuancée toutefois : «Dieu nous sauve autant
par l’un que par l’autre. L’institution est aussi nécessaire que l’événement»43.
Ce que Bergeron redécouvre chez Newman, c’est l’idée que l’Église a trois fonctions et
cette analyse du fonctionnement ecclésial l’aide à comprendre la complexité de ce qu’il
vit alors, mais également à entrevoir que cette Église possède les ressorts lui permettant
d’évoluer. L’Église a donc trois fonctions qui ont chacune leur dynamisme propre : la
fonction prophétique introduit et conserve la vérité de Dieu; la fonction sacerdotale
accueille le don de Dieu à travers les signes et, en retour, l’homme pose des gestes
d’adoration ou d’action de grâces; enfin, la fonction royale consiste à accueillir les
42
Ibid., p. 37.
Ibid., p. 99. Newman reprend ici certaines idées de Jean Calvin dans Institution de la religion chrétienne,
dont la version finale en français paraît en 1560.
43
16
hommes et les structurer en un seul peuple pour en assurer l’unité. Ces fonctions
interagissent entre elles et ces interactions entraînent des frictions parce que l’Église est
«de façon indivise philosophie, religion et corps sociopolitique»44. Newman affirmait
même que, comme la conscience est l’essence d’une religion naturelle, la suprématie
d’un apôtre ou d’un pape ou d’une Église est l’essence de la religion révélée. Bergeron
reprend les explications que donnait alors Newman : l’Église est une réalité prophétique
qui doit contrôler sa révélation. Toutefois, la liberté théologique est également
nécessaire parce que la controverse permet d’approfondir cette révélation. Si la
controverse persiste, il faut la présenter à une instance, évêque ou faculté de théologie,
qui puisse en disposer. Rome est ici un recours de dernière instance. En fait, «la
théologie protège la vérité contre le dogmatisme de l’autorité»45, insiste alors Bergeron.
L’Église aurait ainsi une double infaillibilité : une infaillibilité active avec le collège
épiscopal et une infaillibilité passive avec l’assemblée des fidèles, dont les théologiens.
Bergeron retient l’analyse de Newman selon laquelle la dialectique activité-passivité est
toujours restée au cœur des difficultés du développement de l’idée chrétienne.
Qui plus est, Bergeron poursuit une réflexion inspirée de Newman sur le principe
d’économie, utilisé par l’Église : il peut engendrer des tensions en étant la source de
quiproquos importants. On veut par ce principe enseigner la vérité pour qu’elle soit
vérité pour l’autre et pas seulement pour soi. Bergeron souligne que l’on veut «la vérité
certes, mais pas forcément toute la vérité : telle est la règle de la vie en société». Le but
ici n’est pas de taire la vérité, ni de tromper, mais de la présenter sous une forme plus
appropriée à l’autre, sans la dénaturer. On copie ici la pédagogie utilisée par Dieu avec
l’homme : ainsi le paganisme, le judaïsme et le christianisme ont dévoilé Dieu par
approximations successives46. Le Christ a fait de même. L’Église le fait également dans
l’exercice de ses fonctions, mais surtout dans sa fonction prophétique, car elle doit
respecter ses membres. Elle sera patiente et condescendante47. Newman parle
d’ailleurs du théologien catholique en ces termes que cite Bergeron :
Il ne pense pas à lui-même, mais à une multitude d’âmes, les unes malades, les
autres coupables, entraînées par le péché, envahies par le mal; et il essaie de
toutes ses forces d’arriver à les sauver de leur état misérable. Afin de leur
épargner des fautes encore plus détestables, il essaie, en allant aussi loin que sa
conscience le lui permet, de fermer les yeux sur certaines fautes qui, tout en
44
Ibid., p. 101.
Ibid., p. 120.
46
Ibid., p. 122.
47
Ibid., p. 129.
45
17
restant fautes, sont cependant d’un caractère moins grave et d’une importance
moindre.48
Bergeron conclut de ce principe d’économie ad intra qu’il ne saurait être question
d’imposer à tous les membres de l’Église les mêmes normes de religion et de morale.
S’appuyant sur la condescendance charitable, l’économie fait appel à la prudence dans
son application. Elle se trouve même à contrebalancer la suprématie de la théologie.
Cette coexistence aura donc selon Bergeron une conséquence déterminante : «…dans
une religion aussi universelle que le catholicisme, il y aura toujours une doctrine
ésotérique, développée par la Schola Theologorum, et une doctrine exotérique,
enseignée au peuple»49.
Les tensions sont aussi présentes avec les autres fonctions de l’Église. Ainsi en est-il
entre la fonction prophétique et la fonction sacerdotale. Bergeron souligne que, pour
Newman, l’éthos du catholicisme étant caractérisé par l’excès, le décalage entre le
croire et l’agir peut être aussi une source de tension. Celui-ci peut déformer le spirituel,
le dégrader, voire le pousser vers la superstition50. Par ailleurs, la religion vit de ce qui
est édifiant et cela peut être difficilement conciliable avec une démarche rationnelle de
foi. À tel point que «la vérité doit parfois reculer au nom de la religion»51.
C’est pourquoi, dans sa fonction prophétique, l’Église doit prendre en compte les
requêtes du principe d’économie qui doit la gouverner. Ainsi, en tenant compte
seulement de la fonction prophétique, le théologien fera une interprétation stricte.
Toutefois, il pourra avoir le souci d’en faire une interprétation minimaliste afin de
rendre le principe plus tolérable. Il en est de même de l’exégèse qui pourra aussi
proposer une interprétation minimisante d’un axiome comme «hors de l’Église, point de
salut»52. Cette interprétation est dictée par la charité. Sans la modération introduite par
l’utilisation de ce principe d’économie, l’Église serait tyrannique. Or, même si l’Église
repose sur le dogme, elle n’en vit pas et il n’y a pas pire tyrannie que le dogmatisme.
Parce que toute discussion théologique doit se faire entre gens compétents, Bergeron
constate que Newman ne souhaite pas qu’elle se fasse sur la place publique. Cette
recherche de vérité ne doit pas devenir une «pierre d’achoppement» pour le peuple
48
Ibid., p. 130.
Ibid., p. 133.
50
Voir les pages 140 à 153.
51
Ibid., p. 158.
52
Ibid., p. .162. Cette formule vient de Cyprien de Carthage (IIIe siècle). Cyprien affirmait la validité des
sacrements de l’Église («ministre» des sacrements) à l’encontre des chrétiens qui, en toute connaissance
de cause, se joignaient à des sectes chrétiennes dissidentes. On donne ici un tout autre sens à la notion
d’exclusion : c’est l’appartenance à la bonne Église qui est le critère déterminant.
49
18
chrétien, c’est pourquoi on préconise un certain ésotérisme : «malheur à celui par qui le
scandale arrive». Toutefois, même si certaines nouveautés théologiques sont proscrites
afin de préserver la masse, on ne devrait pas pour autant les qualifier d’hérétiques. En
effet, les hérétiques font, malheureusement, bien souvent valoir la dimension
intellectuelle sans se soucier de la dimension pastorale. Pourtant, cette dimension
pastorale est importante, car elle permet à la théologie de ne pas sombrer dans le
rationalisme et l’hérésie.
Quant à la tension entre la fonction prophétique et la fonction royale, le fait que l’Église
ait une structure à l’image de l’état (impérial) indique que le Christ a confié ses sujets à
des représentants qui le gouvernent. La papauté est garante de l’unité. Bergeron en
signale cependant la limite :
Quand ce souci authentique de l’unité se conjugue avec la soif du pouvoir, on
aboutit fatalement à l’identification pratique de réalités fort différentes : l’unité
devient uniformité, monolithisme et centralisation. C’est le recul de la liberté au
profit du droit, de la législation et de l’administration. L’Église présente alors le
spectacle choquant d’un pouvoir centralisateur hypertrophié, amenuisant la
liberté et l’initiative des individus. La centralisation excessive aboutit
nécessairement à la bureaucratie, à l’absolutisme, au despotisme et à la
dépersonnalisation des rapports humains; elle marque le triomphe de
l’administratif et du canonique sur la liberté évangélique, du système sur
l’influence; du dogmatisme sur la recherche théologique.53
Bergeron résume Newman qui fait de la catholicité le deuxième trait de l’Église
impériale : comme «philosophie», cette catholicité est apostolique alors que comme
religion, elle est sainte. C’est cette caractéristique qui assure l’indépendance de l’Église
et sa souveraineté. L’attachement à Dieu peut faire en sorte que bien des personnes
renoncent aux biens matériels pour les remettre à l’Église en signe de gratitude. Il y a
donc une perception de richesses, de biens accumulés. De plus, comme l’Église prône
les vertus civiques et par voie de conséquence la stabilité sociale, cela profite également
à son développement. C’est pourquoi, conclut Bergeron à la suite de Newman, un
conservatisme préconisant le maintien de l’ordre établi peut devenir une tentation pour
les autorités ecclésiastiques qui pourront même obtenir de cette Église des avantages
personnels :
Par une étonnante dialectique, la richesse de l’Église s’accroît au rythme même
de son détachement; et cette prospérité devient presque immanquablement une
53
Ibid., p. 177.
19
occasion de conservatisme pour les responsables ecclésiastiques. L’Église semble
enfermée dans un cercle vicieux : détachement-prospérité-conservatismespoliation. Et le cycle recommence.54
Par conséquent, le principe directeur du gouvernement de l’Église est la convenance
dans l’action. Cet intérêt pour le bien commun qui guide son action est bien différent de
la connaissance de la vérité, but de la théologie. La vérité a une valeur absolue alors que
ce qui est opportun à faire connaître peut varier d’un pays à l’autre. On comprend
facilement la tension entre ces deux pôles. Tension qui peut avoir un aspect bénéfique :
la théologie est ainsi protégée du danger de l’autoritarisme alors que la convenance de
l’action protège de l’hérésie.
Certes, l’autorité peut réduire la théologie au silence, car il peut n’être pas opportun de
discuter d’un sujet. Cette interdiction peut être une occasion de progrès spirituel et
théologique pour l’intimé alors que le souci de l’opportunité peut aussi être un facteur
de progrès dogmatique parce qu’il affirme une «primauté occasionnelle» sur la
théologie55.
Chaque fonction de l’Église ayant sa visée propre, une visée est parfois incompatible
avec les deux autres visées, l’équilibre est toujours menacé par le dynamisme des
fonctions.
Il va sans dire qu’en dehors de ce problème organique lié à l’existence même de l’Église,
la nature même de l’être humain explique aussi les abus de l’Église.
Newman était même allé plus loin : le croyant est un autre Christ et il est ainsi
également Église. Il vit donc de telles tensions intérieurement et elles sont au cœur du
développement de sa personnalité religieuse.
Bergeron juge l’explication de Newman valable, mais incomplète56. Il note en plus qu’il
ne faut pas négliger les tensions qui cohabitent à l’intérieur même de chacune des
fonctions. Ainsi, la fonction prophétique doit trouver un équilibre entre parole de Dieu
et tradition; la fonction sacerdotale, entre la communication du salut de Dieu et le
retour des hommes (par exemple, la liturgie incarne cette tension); et, la fonction
royale, entre catholicité (élargir la base des croyants) et unité (structurer cette base).
Les tensions internes à chaque fonction peuvent déboucher sur des abus aussi graves
54
Ibid., p. 186.
Ibid., p. 191.
56
Ibid., p. 222.
55
20
que les tensions externes57 et Bergeron se sert ici des distinctions opérées par Newman
pour en tirer des applications nouvelles.
Pour le croyant qui cherche à comprendre son appartenance à l’Église, ce n’est pas
simple : en plus de comprendre en lui-même et pour lui-même le jeu d’équilibre des
trois fonctions, il se doit en plus d’arbitrer les tensions relatives à chacune des fonctions.
Il y aussi cette question lancinante qui traverse ces situations d’abus de l’Église : ces
tensions, lorsqu’exacerbées, sont-elles les signes de son déclin ou de son
développement? Seraient-elles des idées chrétiennes en train d’aboutir? Bergeron laisse
supposer qu’il croit à cette affirmation de Newman. Mais, ces mêmes idées, ne
participant plus à un quelconque développement de l’Église-institution, pourraient peutêtre trouver leur résolution en marge du cadre proposé ou imposé.
Ce premier livre de Bergeron, de facture plutôt académique, reprend à son compte la
pensée de Newman. Ainsi, on ne peut s’empêcher de déceler dans ce travail la volonté
de Bergeron de répondre à un problème bien réel dans son histoire personnelle au sujet
de la manière d’obéir à une Église-institution qui n’est pas conforme à certaines
attentes. L’idée maîtresse du livre est cette reconnaissance qu’il peut être du devoir du
chrétien de s’attaquer à la restauration de l’institution, mais avec cette réserve qu’il ne
doit pas remettre en cause l’édifice même dont l’existence se justifie par ailleurs. Cet
appel à la prudence sera difficilement entendu par Bergeron. La rénovation de l’Église
en cours en ce moment-là avec Vatican II suscite déjà d’énormes attentes et beaucoup
d’impatience envers les résistances au changement qui en ralentissent l’élan.
Comme en témoignent les comptes rendus de l’époque, le livre a reçu un bon accueil.
Jean-Guy Pagé58 souligne que la sagesse de Newman devrait inspirer les théologiens
d’aujourd’hui : souhaiter restaurer une partie de l’édifice n’autorise pas à ébranler toute
la construction. Ce «bon ouvrage de théologie positive» est d’actualité, car il aborde «un
problème qui se repose aujourd’hui, celui des abus de l’Église et du scandale qu’ils
provoquent…». Avec le recul du temps et en considérant l’œuvre du théologien
d’aujourd’hui qui a écrit ce livre, cette dimension a certainement été au cœur de ses
préoccupations. Gilles Bourdeau59 vante le mérite de Bergeron de continuer encore
aujourd’hui le débat sur les abus de l’Église. Toutefois, il déplore que Bergeron ait
recours à des catégories d’analyse du XIXe siècle, celles de Newman, sans les
57
Ibid., p. 225.
Jean-Guy Pagé, compte rendu de Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après Newman, Montréal,
Bellarmin, 1971, paru dans Laval théologique et philosophique, 28, no 3, 1972, p. 312-313.
59
Gilles Bourdeau, compte rendu de Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après Newman, Montréal,
Bellarmin, 1972, paru dans Science et Esprit, 24, no 3, 1972, p. 393-396
58
21
questionner, ainsi que la vision romantique que celui-ci présentait de l’Église. Richard
P. Hardy60 juge que Bergeron livre un portrait partiel du questionnement de Newman
sur ce thème : il aurait été intéressant de connaître la réponse du théologien Newman à
ce type de questions plutôt que de s’en tenir à la description intellectuelle de ce qui en
est la cause. Enfin, René Baril61, Franciscain lui-même, souligne que la parution du livre
marque une date importante : le travail objectif de Bergeron permet de mieux
comprendre l’écart entre ce que l’Église est et ce qu’elle prétend être. Ce qui aide «à
voir avec plus de sérénité les abus de notre Église».
En fait, ce livre répond chez Bergeron à une préoccupation pressante au cœur de son
existence : concilier l’autorité de l’Église avec l’autonomie de celui qui doit obéir. De fait,
comme Newman62, Bergeron traite ce problème comme une question existentielle et
comme un drame personnel avant qu’il devienne pour lui une question intellectuelle.
C’est la posture qu’il adoptera dans la poursuite de cette réflexion. Toutefois, la réponse
telle que formulée par Newman sera revue périodiquement par Bergeron au cours de
son cheminement de vie jusqu’à un renversement de perspective. D’ailleurs, cette
révision sera déjà à l’œuvre après la parution de ce livre, si bien que les deux
publications suivantes de Bergeron manifesteront une première volonté de réforme :
l’écart entre la réalité et l’idéal peut s’expliquer, mais comment peut-on arriver à
l’amoindrir?
Enfin, on peut identifier sous-jacente à cette thèse, une préoccupation qui n’est pas
énoncée explicitement, mais qui est la première à émerger d’une lecture
phénoménologique des principaux écrits de Bergeron. Il s’agit du premier des moments
repérés au cours de ce mémoire. C’est une recherche du sens, le besoin de donner du
sens à ce qui n’en a plus : l’institution. Défendre le caractère fondamentalement
dynamique de ce qui apparaît statique pourrait ouvrir sur une évolution possible en
phase avec la modernité. Là où le livre arrête, à partir de cette explication originelle,
Bergeron a ce qu’il faut pour se mettre en route.
60
Richard P. Hardy, compte rendu de Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après Newman, Montréal,
Bellarmin, 1971, paru dans Église et théologie, 3, no 3, 1972, p. 438-441. Le texte est en anglais.
61
René Baril, compte rendu de Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après Newman, Montréal,
Bellarmin, 1971, paru dans Sciences religieuses/Studies in religion, 2, no 4, 1973, p. 356-359.
62
Voir l’introduction à Les abus de L’Église…, p. 15.
22
2.1.2 L’effort de réforme
Disparue du domaine public, la religion est souvent considérée comme
une épave du passé, un témoin d’une époque révolue; et elle a besoin,
pour son existence, de la tolérance de l’opinion publique.63
Bergeron devient de plus en plus sensible à l’impact de la Révolution tranquille sur
l’institution-Église, car elle est en synchronie avec son évolution personnelle. Dans son
nouveau métier de théologien qu’il exerce depuis 1967 à la Faculté de théologie de
l’Université de Montréal, il déploie sa vision de la raison croyante en se donnant deux
points d’ancrage pour redéfinir le lieu de son appartenance : le véritable sens de
l’obéissance envers l’Église et la rencontre envers les nouvelles religions, phénomène
alors en émergence. Son premier point sera dans la continuité de sa réflexion sur
Newman tandis que le deuxième point sera plutôt une tentative de réponse à ce
nouveau défi rencontré par une société québécoise déjà plus ouverte sur l’extérieur,
celui du pluralisme religieux. Cet effort de réappropriation de la part de Bergeron est
encore une démarche à l’intérieur de l’Église-institution, mais elle le marginalisera
progressivement.
2.1.2.1 Obéissance de Jésus et vérité de l’homme (1976)
…retrouver la signification originelle de l’obéissance chrétienne et la situer
à l’intérieur de la démarche existentielle de l’homme…64
L’obéissance a toujours été un nœud gordien dans la vie religieuse de Richard
Bergeron : d’une obéissance aveugle à l’institution, peut-on en venir à une «obéissance
éclairée »? Le Concile sera l’occasion par excellence d’un tel débat qui, on le devine, ne
se fera pas sans heurts dans les communautés religieuses, notamment dans son lieu
d’appartenance, la communauté franciscaine québécoise. Cette agitation était, de fait,
propice à une redéfinition de la vie communautaire, même si cela ne se fait pas sans
déchirement, comme nous l’illustrerons plus loin, au sein même de la communauté de
Bergeron. C’est dans Obéissance de Jésus et vérité de l’homme, publié en 1976, que l’on
retrouve le substrat de la réflexion de Bergeron à ce sujet.
63
Richard Bergeron, Obéissance de Jésus et vérité de l’homme : une interpellation, Montréal, Fides, 1976,
p. 229.
64
Ibid., p. 23.
23
La visée du livre de Bergeron est de «retrouver la signification originelle de l’obéissance
chrétienne…», car «la conception actuelle de l’obéissance ne résiste pas si on la
confronte à l’événement Jésus»65. Ainsi, afin de marquer la différence, le livre est en
deux parties : l’obéissance du point de vue de Jésus et l’obéissance du point de vue de
l’être humain. Pour bien faire comprendre ce qui est en jeu dans cette notion, Bergeron
déploie la question de l’obéissance sur la toile de fond du triple rapport qu’a l’être
humain dans le monde avec autrui, le cosmos et «l’englobant». Or le rapport que
l’homme a avec le cosmos est déterminant dans le lien avec autrui ou «l’englobant»,
rapport qui peut varier également selon l’évolution humaine. De fait, cette évolution
peut se dérouler sur trois grandes périodes même si elles s’entremêlent, car une
période ne se substitue pas nécessairement à la précédente : il s’agit des périodes
mythique, cosmologique et anthropologique. Le modèle de la première période est
Prométhée, bienfaiteur des hommes, mais qui doit assumer la colère des dieux parce
qu’il a désobéi. Dans la deuxième période, le cosmos est en quelque sorte le révélateur
de Dieu et l’instrument de sa volonté. L’obéissance est ici en lien avec les lois de la
nature. La troisième période naît quand la société des hommes se structure afin de
favoriser le bien commun. Ce tableau permet de situer l’obéissance chrétienne :
C’est sur cet arrière-fond cosmologique que l’obéissance chrétienne a été
comprise et pratiquée au cours des siècles. L’obéissance est vue
traditionnellement comme l’attitude fondamentale de l’homme, attitude qui
correspond à sa nature et à sa vocation d’être créé. En obéissant à la volonté
divine, l’homme devient parfait comme le Père céleste. Cette obéissance se
réalise concrètement par la sujétion à toute autorité — ecclésiale, familiale, civile
— et à toutes les lois naturelles, sociales et religieuses.66
L’obéissance à l’Église est remise en question par la vision anthropologique qui, en
raison de la science et de la technologie, sort Dieu du cosmos jusqu’au moment où l’on
pourra conclure à sa mort. Il faut donc fonder l’obéissance sur de nouvelles bases et la
légitimer autrement. Pour le chrétien, ce sera l’obéissance de Jésus à faire la volonté de
Dieu qui sera cette nouvelle fondation. Jésus révèle un Dieu Roi et Père. La royauté
suggère l’autorité, la justice et la miséricorde alors que la paternité peut être associée à
la souveraineté, au jugement et à la prévenance. Héritier de la tradition du Père, Jésus
vit d’abord une expérience de filiation : agir en fils c’est obéir au père en toute liberté
par respect. Reconnaître la royauté de ce Jésus comme «Fils de Dieu», c’est suivre ses
lois et non pas celles des hommes, non plus que celles de puissances mauvaises. Obéir
ici, c’est «renoncer à l’ordre des choses proposé par l’homme pour entrer totalement
65
66
Ibid., p. 23 pour la première citation et p. 24 pour la deuxième.
Ibid., p. 15.
24
dans l’éthos de Dieu»67. Que signifie dès lors faire la volonté de Dieu pour l’être
humain? Cette volonté est existentielle, car elle le rejoint dans son existence concrète :
«le royaume de Dieu coïncide avec la plénitude personnelle et communautaire de
l’homme»68.
En fait, selon Bergeron, Jésus n’est pas venu démolir l’appareil cultuel de son époque
même s’il en annonce la destruction prochaine. Ce qui lui importe, c’est de «mettre
Dieu en liberté», en le délivrant d’un système qui musèle celle-ci et d’une hiérarchie qui
la domestique. Bergeron juge que l’Église en est arrivée là : il n’est plus possible de
«suivre les déploiements imprévisibles» de la volonté divine. «La purification du Temple,
c’est pour aujourd’hui»69, remarque-t-il de façon abrupte.
L’éthique développée par le judaïsme dont le catholicisme est tributaire et qui se veut
obéissance à la loi, n’est pas non plus celle qui convient dans une véritable relation
d’obéissance à Dieu. Dans une telle éthique, ce qui est important est le fait que cela soit
prescrit et non ce qui est prescrit. L’action de suivre la prescription devient alors une
action droite et lorsque de telles actions s’accumulent, celles-ci forment un capital de
bonne conduite. Une telle soumission n’est pas la véritable obéissance :
L’homme ne se sent guère concerné par ce qu’il fait, mais il le fait quand même.
Reste encore quelque chose qui n’obéit pas, qui n’est pas soumis à la volonté de
Dieu. L’homme ne peut alors être totalement obéissant, car il n’est pas
totalement dans son action. Pour qu’il y ait obéissance radicale, il faut 1) que
l’homme comprenne et approuve lui-même intérieurement ce qui est
commandé; 2) qu’il reconnaisse dans ce qui est demandé une volonté de Dieu;
3) qu’il s’investisse totalement dans l’action qu’il pose. Dans l’obéissance
radicale, l’homme n’agit pas par obéissance, il est obéissance dans son être
même.70
L’exemple type de cette manière d’obéir est Jésus dont l’action est «création dans la
tradition, projet dans le souvenir»71, une action qui respecte le passé tout en ne faisant
pas de compromis avec les exigences du présent. À la limite, obéir peut même vouloir
dire descendre aux enfers, sans aucun enthousiasme, comme le fait Jésus :
L’enthousiasme n’a rien à faire avec l’obéissance, pas plus d’ailleurs que la
résistance physique ou psychique ni que la maîtrise de soi. Devant la souffrance,
67
Ibid., p. 51.
Ibid., p. 56.
69
Ibid., p. 66.
70
Ibid., p. 76. Bergeron évoque ici le théologien Bultman.
71
Ibid., p. 95.
68
25
Jésus a éprouvé moins d’enthousiasme que bien des martyrs; il a manifesté
moins de résistance physique et psychique que bien des héros et des torturés; il
a fait preuve de bien peu de maîtrise de soi, si on le compare à Socrate.
L’obéissance ne se jauge pas à la profondeur des émotions. Le «il faut» arrache
l’obéissance au monde du subjectivisme, de psychologisme et du déterminisme
pour la transférer dans la sphère de la volonté libre et souveraine de Dieu.72
Comment donc obéir à Dieu alors que celui-ci ne se manifeste que par la nature et
l’histoire? L’être humain ne pouvant s’élever jusqu’à lui, il a fallu que Dieu descende
jusque dans les limites de l’humanité pour se faire voir. Jésus exprime ainsi les contours
du vouloir divin.
La tradition chrétienne propose à l’homme d’imiter l’obéissance de Jésus. Est-on
conscient que cette obéissance est une désobéissance radicale par rapport à l’esprit de
ce monde? De fait, elle annihile toute volonté de puissance qui pourrait advenir soit par
esprit d’indépendance soit par esprit de domination du sujet. C’est ainsi que cette
obéissance radicale serait «l’instance révélatrice du péché»73. Elle affirme l’autonomie
d’un sujet incapable de s’associer à la portée salutaire du vouloir divin. D’ailleurs, celuici n’est pas l’abdication de ce qu’est l’être humain :
L’obéissance de Jésus nous révèle que l’homme est une créature théandrique. Si
telle est son essence originelle, l’obéissance à Dieu ne sera en définitive que
fidélité au moi ultime, que réponse aux requêtes primordiales de l’être profond.
La centration sur Dieu impliquée dans l’obéissance, loin d’être source
d’aliénation, est véritablement centration sur ce qu’il y a de plus essentiel et de
plus ultime dans l’homme.74
Bergeron en conclut que, aucunement statique, l’obéissance à la volonté divine s’avère
donc dynamique. Il applique ses conclusions à la vie communautaire. L’obéissance dans
la communauté doit se vivre dans le présent, elle n’est pas soumission à un code de lois,
mais respect de ce dynamisme qui se traduit par une fidélité au principe de vie plutôt
que conformité à la loi. Ainsi, cela peut signifier se tenir debout face à l’État, la société
et la culture ambiante dans la communauté ou à l’extérieur de celle-ci. Elle ne se veut ni
un quelconque triomphalisme se fondant sur la certitude d’avoir raison, ni la
manifestation d’une volonté de puissance, une occasion de pécher.
72
Ibid., p. 119.
Ibid., p. 159.
74
Ibid., p. 182.
73
26
L’obéissance radicale peut être entravée par des structures sociales statiques qui sont
des objectivations, des réponses, à d’anciennes requêtes. Elles peuvent exercer une
influence tyrannique sur le présent même si elles étaient des réponses radicales en leur
temps :
…les vertus cléricales ont donné naissance à des comportements sociaux qui ont
été sanctionnés par la coutume et le droit canon. Un prêtre doit faire ceci et non
cela. Ainsi en est-il pour le religieux. Dans chaque communauté la spiritualité a
fait naître des comportements qui devenus des structures juridiques servant à
mouler toute vie spirituelle. Un «bon religieux» doit faire telle chose. Les
structures objectives de comportement supplantent les aspirations personnelles
et les qualités spirituelles. Les valeurs sont vécues avec intensité et proclamées
avec force par les génies et les saints – par des hommes animés d’une aspiration
créatrice. Mais on les objective dans des lois, des monuments, des structures.75
L’objectivation a comme effet de réduire l’être humain à l’unidimensionnalité et de le
vider de son intériorité. Il peut être broyé par ce système. Un tel cadre ne favorise pas
l’obéissance radicale, car celle-ci suppose que l’être humain est libre de ses choix,
capable de personnaliser l’obéissance afin de répondre en toute liberté à l’appel de la
situation présente. Une telle réponse peut même conduire à une suspension des valeurs
en place. Dieu n’étant pas réductible à l’ensemble des valeurs, Il peut transcender
celles-ci.
L’obéissance de Jésus fait donc éclater notre conception traditionnelle de l’obéissance :
«Rien n’est plus étranger que la soumission, la subordination, la résignation, la sujétion.
Les termes qui en évoquent le mieux les dimensions profondes sont : fidélité, créativité,
accueil, réceptivité»76. De fait, un tel concept n’est pas adapté au monde contemporain
qui cherche l’efficacité alors que, sans évacuer cette facette, Bergeron soutient qu’il
faudrait aussi prendre en compte la fécondité de cette obéissance parce qu’elle doit
être processus de vie, cheminement de vie.
En même temps qu’une telle conception de l’obéissance est inadaptée au monde actuel,
force est de constater que les conditions pour la réaliser sont véritablement réunies
pour la première fois : la sécularisation a purifié, nettoyé, l’idée de Dieu; de même,
l’être humain se sait maître de l’univers, il est libre et responsable; enfin, cet être libre
peut dire oui ou non à Dieu sans que ce choix lui soit imposé :
75
76
Ibid., p. 213.
Ibid., p. 225.
27
Plus rien ne le force à appartenir à l’Église, Il est acculé à une décision
personnelle pour ou contre le Dieu de Jésus-Christ. Ce n’est que dans la liberté
d’une conscience adulte qu’il peut opter pour Dieu et entrer dans l’obéissance
radicale de Jésus.77
Réflexion qui sera en quelque sorte la pierre d’assise d’une conception du rapport à
l’autorité pour la suite de sa vie personnelle, même s’il ne cessera de questionner son
appartenance ou sa manière de l’être au sein de l’Église.
Si le livre est l’aboutissement de la réflexion de Bergeron, il faut signaler qu’il a vécu le
questionnement sur l’obéissance dans le tumulte que ce débat provoquait au sein de sa
communauté, débat auquel il participait pleinement. C’est ainsi que, dès 1966, à 33 ans,
après plus de vingt années de vie en communauté selon un déroulement chronologique,
Bergeron publie les amorces de cette réflexion dans des textes à l’intention de sa
communauté qui susciteront un très vif débat. Dans le premier texte intitulé «Idéal et
structure»78, il écrit que «c’est un crime de lèse-majesté (que) de subordonner la
personne à la fonction ou à une structure; c’est diviniser la loi…». C’est donc un mauvais
choix que d’être en communauté pour servir un système. Il ira même plus loin :
Puisque la fidélité au Christ, à soi-même et au fondateur d’un ordre est une
donnée dynamique, elle commande un renouvellement incessant du système
dans lequel elle doit s’exprimer. Tout le monde s’accorde pour dire qu’il faut
faire une réforme.79
Certes, cette conclusion, jugée hâtive, sera invalidée partiellement au sein même de sa
communauté. Mais l’enthousiasme de Bergeron à souhaiter une réforme n’ira pas en
diminuant. C’est ainsi que, dans un second article, il explore le portrait d’une
communauté modèle qui s’adapterait aux exigences du temps en «s’ouvrant aux valeurs
nouvelles et (en cherchant) à les intégrer dans la structure de la communauté, ou mieux
à faire jaillir des structures nouvelles à partir des valeurs nouvelles »80. Ces valeurs
réfèrent, bien sûr, à celles préconisées par Vatican II, en lien avec l’œcuménisme,
l’avancement des sciences religieuses et les travaux récents en philosophie et en
théologie. Les valeurs qui émergeront des discussions en communauté appelleront un
changement de structures donnant le jour à une nouvelle spiritualité se démarquant de
77
Ibid., p. 230.
Paru dans Vie des communautés religieuses, no 2, février 1966, p. 34-40. La citation qui suit: p. 37.
79
Ibid., p. 39.
80
«Communauté ’66», Vie des communautés religieuses, no 8, octobre 1966, p. 231-244. La citation est
tirée de la page 235.
78
28
la «devotio moderna», mouvement spirituel du XIVe siècle dont le livre phare est
l’Imitation de Jésus-Christ.
Bergeron schématise les oppositions entre ces deux formes de spiritualité. La spiritualité
«égocentrique» cherchant le salut est supplantée par une spiritualité ecclésiale, où la
relation personnelle est inscrite dans une relation d’alliance du peuple avec Dieu. La
différence se joue entre ma perfection et celle de mon service. D’une spiritualité aliturgique, on passe à une spiritualité liturgique, la vie de la communauté s’y recentrant.
D’une spiritualité du silence dont l’oraison est un exemple, on s’inscrit maintenant dans
une spiritualité de la Parole, de Dieu et des hommes, dans la communauté. Enfin, d’une
spiritualité d’ascèse où l’on meurt à soi-même, on propose maintenant une spiritualité
d’illumination où la rédemption est présente.
Dès lors, ce schéma ouvre à un renversement de la notion d’obéissance : le supérieur
n’est pas le représentant de Dieu à qui l’on doit obéir sans autre raison. Il doit prendre
en compte la spiritualité de la vocation personnelle de chacun, son rôle étant ici
d’accompagner chaque religieux dans cette découverte. Cette interprétation suppose
une nouvelle compréhension de l’autorité, une démocratisation. Il n’est plus question
d’être à l’écart du monde, il faut s’engager dans le monde, s’y intégrer : «le chrétien est
envoyé vers le monde»81.
Pour toutes ces raisons, Bergeron conclut qu’on ne peut pas rapiécer la communauté
telle qu’elle se vit actuellement, il faut la réformer à partir des exigences spirituelles
d’aujourd’hui.
Cette volonté de s’attaquer aux structures existantes rencontrera de la résistance, au
premier chef, au sein même de la communauté franciscaine. Il s’agit de parcourir le
bulletin de liaison Entre-nous de la communauté durant cette période agitée pour bien
saisir l’intensité du débat ainsi provoqué et des remises en question qu’il a suscitées. Le
dialogue n’est pas serein. On juge sévèrement les écrits de Bergeron : celui-ci est accusé
d’être «tout à la fois» plutôt que «tout à Dieu», de se faire mondain plutôt que d’être
préoccupé par Dieu seul, théologien dans le vent qui invite à désobéir alors que c’est
l’obéissance au Mystère, la soumission au supérieur et le vœu à cet effet qui importent.
Bergeron répond à ses détracteurs que la confrontation se situe entre deux conceptions
de Dieu et du Salut qui génèrent deux positions existentielles différentes et il en appelle
à plus de compréhension des positions réciproques. Cette invitation ne sera pas
acceptée d’emblée si l’on se fie à des interventions subséquentes suivantes : «c’est
quand les hommes cessent d’obéir à l’Église que sa mission de guider ou enseigner
81
Ibid., p. 243.
29
devient inopérante». En fait «l’autorité de l’Église doit être absolument acceptée»82. De
telles affirmations ne vont certes pas dans le sens du dialogue proposé.
En 1969, Bergeron réplique sur le même thème en lien avec l’arrivée d’une nouvelle
génération de religieux83 au Québec. Il dresse de ceux-ci un portrait sans complaisance,
dans le but de bien camper les positions et de faire avancer le débat. Les jeunes
religieux contestent les aînés par leurs valeurs et leurs attitudes. Ils sont authentiques,
solidaires, voire anticléricaux, car ils supportent mal le cléricalisme comme manière
d’être. Ces jeunes ne croient plus en l’autorité du supérieur lorsqu’il s’agit de lui confier
leurs volontés. Bergeron se fait l’écho de ces constats et pose la question suivante : ces
jeunes ont-ils perdu le vrai sens de l’obéissance? Selon Bergeron, il n’est pas
positivement moral de confier sa liberté à la gérance d’une volonté étrangère. C’est
vider la personne de son autonomie. Or, le supérieur ou le cadre de vie communautaire
tel qu’il existe présentement ne peuvent être des exigences objectives de la volonté de
Dieu. Par ailleurs, la soumission à certaines règles du cadre imposé ne constitue pas
l’essence de l’obéissance religieuse; elle est plutôt nécessaire au fonctionnement d’une
collectivité. En effet, il faut distinguer l’obéissance au supérieur, voire le cadre de vie
communautaire imposé, à l’obéissance radicale à Dieu. Les exigences évangéliques ne
sont pas du même type que celles d’une adhésion à une forme de vie qui veut les
favoriser. C’est pourquoi on peut ainsi questionner la forme de vie sans renier le but
visé84. L’enjeu est de vivre l’obéissance dans un «contexte plus humain» où l’autorité du
supérieur suppose lucidité, courage, compétence, prudence, psychologie et animation.
Bref, l’autorité, au service des personnes dans la vérité et dans la charité, cherche le
consensus sans compromission, dans la transparence avec tolérance, audace et
ouverture sur le monde :
… le mariage est facile entre l’autorité et la structure, les deux font facilement
bon ménage, (…) elles se suivent et se protègent mutuellement : la structure
sécurise l’autorité et garantit son pouvoir; l’autorité assure à la structure la
82
Pour un aperçu du débat, il faut consulter les bulletins Entre-nous de la communauté franciscaine du
28 février, 15 mars et 30 mars 1967. Dans le bulletin du 28 février, trois courts articles réagissent
négativement à l’exposé de Bergeron : « Les jeunes religieux face à l’autorité». Bergeron répond le 15
mars en dénonçant l’inquisition et la censure dont il fait l’objet. Cette réponse fera elle-même réagir. Les
citations, tirées d’un texte du 30 mars intitulé «Orthodoxie et prudence» d’Henri Langlois, témoignent de
cette réaction.
83
« Les «nouveaux» religieux face à l’obéissance et à l’autorité», Vie des communautés religieuses 27,
no 5, mai 1969, p. 130-145.
84
Ibid., p. 132-133.
30
protection de son prestige et de sa puissance et lui permet de demeurer intacte
en dépit de la critique.85
Une telle conception de l’autorité est résolument plus dynamique que statique et
permet d’éviter le piège de l’obéissance aveugle.
L’engagement incessant de Bergeron dans cette réflexion fera en sorte qu’il écrira
Obéissance de Jésus et vérité de l’homme en moins de deux mois lors d’un congé de
perfectionnement à Cambridge. Toutefois, la publication du livre va se heurter à des
embûches de taille, car ses positions ne sont pas considérées comme orthodoxes par
l’autorité ecclésiastique. Il faudra le jugement d’un comité de lecture français pour que
la publication en soit autorisée quatre ans plus tard. Ses supérieurs décideront alors
qu’aucun droit d’auteur du livre ne lui sera versé en raison du traitement du sujet jugé
trop tendancieux86. Pourtant, même si cette réflexion de Bergeron avait toute sa
pertinence et aurait dû avoir une résonnance au sein de l’Église, on en trouve peu de
traces. Pourquoi? Deux hypothèses sont possibles : il se peut que cela soit en raison de
la réputation suspecte dévolue au livre avant même sa publication au sein de de
l’institution ou, encore, que le momentum était perdu en raison du décalage entre le
moment de son écriture alors que le débat battait son plein et le moment de sa
publication où le sujet n’était plus à l’ordre du jour. Signalons quand même que, dans
une étude fouillée sur l’obéissance religieuse87, Micheline D’Allaire, professeure à
l’Université d’Ottawa, montre que l’obéissance religieuse au Canada s’est transformée
en contexte canadien de 1965 à 1995 malgré la volonté contraire du Vatican. L’auteure
qualifie les analyses de Bergeron de «rafraichissantes» tout en constatant que «dans
l’ensemble du monde religieux, le problème de l’autorité et la définition de l’obéissance
demeurent confus»88.
Fort de cette réflexion sur l’obéissance, Bergeron entreprend son cheminement de vie
en religieux autonome, bref en homme libre.
De fait, Bergeron promeut une spiritualité ecclésiale qui suppose un renversement de la
compréhension de la notion d’obéissance prévalant jusque-là au sein de l’Église
québécoise. Sa position converge avec l’évolution de la société québécoise appelée à de
85
Ibid., p. 145.
Il n’est pas sans intérêt de noter que Bergeron dédie à ses parents ce volume qui traite de l’obéissance.
Par ailleurs, ajoutons que Bergeron, en exergue du volume, cite Balthazar à l’effet que l’obéissance se
révèle être la donnée fondamentale de la christologie, champ d’intérêt qu’il privilégie durant cette
période de maturation intellectuelle.
87
Micheline D’Allaire, «L’obéissance religieuse : discours romain, attitudes canadiennes», Études d’histoire
religieuse 63, 1997, p. 97-111.
88
Ibid., p. 107.
86
31
grands défis sociopolitiques par sa révolution tranquille : l’État remplace rapidement
l’Église dans les services offerts à la collectivité. Il faut le mentionner également,
l’encyclique Humanae Vitae, promulguée le 25 juillet 1968, a donné lieu à un
ressentiment certain et a provoqué une crise de confiance envers l’Église-institution
chez les catholiques québécois. Un tel contexte devenait un terreau fertile pour en
questionner l’autorité. D’ailleurs, durant cette période, plusieurs religieux demandent
leur laïcisation, certains tirant les conclusions d’une vocation qui était plus à caractère
sociologique que l’objet d’un véritable appel, d’autres ne pouvant plus accepter la façon
dont s’exerce l’autorité dans le domaine religieux.
La réflexion de Bergeron permet de revisiter la notion d’obéissance. Elle ne fait pas
appel à une objectivité fondée sur une vision verticale descendante (tout part de Dieu),
mais plutôt, en conformité avec une conception moderne, à une subjectivité fondée sur
une vision ascendante qui demande une adhésion pleinement consciente de la
personne au sein de sa communauté afin de permettre à celle-ci de s’élever vers Dieu.
Bien sûr, cette dernière conception aura ses détracteurs et la confrontation conduira à
des accommodements qui ne satisferont personne, qui seront l’occasion de fractures
sans réparation possible. L’emprise de l’autorité de l’Église se fragilise donc
dangereusement. En même temps, cette effervescence permet l’émergence de
nouvelles communautés religieuses ou laïques qui s’appuient soit sur une vision
ascendante, soit sur une vision descendante. En outre, les Québécois ont également
accès à de «nouvelles religions» appartenant à l’une ou l’autre tendance et qui
proposent une pratique religieuse, une spiritualité, différente de ce qu’ils avaient alors
connu.
C’est dans cet état d’esprit et dans ce contexte social singulier que Bergeron va à la
rencontre des nouvelles religions, presque par hasard. Quant à sa situation personnelle
durant cette période, elle tient du compromis qui illustre bien l’ambivalence qui
l’habite : il sera un religieux, répondra à un supérieur, mais, de 1973 à 1977, il vivra seul
en dehors de sa communauté.
Au fil de la lecture phénoménologique des écrits de Bergeron émerge maintenant une
préoccupation qui finit d’ailleurs par s’imposer chez lui : une affirmation de soi qui est
une revendication d’autonomie. Il s’agit en fait pour Bergeron de se libérer du cadre
institutionnel statique qui impose une façon de vivre en Église. C’est le deuxième
moment repéré au cours de cette analyse.
32
2.1.2.2 Le cortège des fous de Dieu (1982)
Chacun est appelé à être le pasteur de son âme : il doit donner un sens
religieux aux étapes importantes de sa vie et faire à la spiritualité sa place
nécessaire dans le quotidien. Allons-nous le faire en puisant dans les
ressources de la religion qui est traditionnellement la nôtre? Ou dans le
cadre de nouvelles religions qui offrent leurs services sur la place
publique? C’est à chacun de choisir.89
C’est un concours de circonstances qui a conduit Richard Bergeron à s’intéresser au
domaine des nouvelles religions. Professeur à la Faculté de théologie de l’Université de
Montréal depuis 1967, il enseignait essentiellement la christologie alors que son champ
d’intérêt premier était plutôt l’ecclésiologie, souhaitant ainsi répondre au problème de
l’obéissance exigée du chrétien envers l’Église catholique. À ce stade-ci, Bergeron sent
confusément un malaise. Cette obéissance est habituellement justifiée par le recours
aux dogmes. Or, il s’insurgera bientôt contre le caractère pathologique du dogmatisme,
voie bien souvent empruntée par une autorité doctrinale infaillible90.
En avril 197591, le doyen de la Faculté de théologie, Léonard Audet, réunit les
professeurs afin de préparer la nouvelle année. La Faculté devait identifier la
problématique contemporaine en lien avec la religion devant faire l’objet d’une
attention particulière pendant les prochaines années. Après s’être intéressée aux
phénomènes liés à la sécularisation avec un chercheur chevronné comme Jacques
Grand’Maison, elle décida de retenir pour les années suivantes la question des
nouvelles religions. Comme personne n’avait d’expertise particulière pour investiguer ce
champ qui prenait de plus en plus d’importance au Québec depuis les années 1970,
Bergeron se porta alors volontaire. En juillet 1975, il donnait donc en cours d’été sa
première leçon sur les nouvelles religions. De façon empirique, le matériau de départ
allait être une dizaine de dépliants de «nouvelles religions» qui avaient pignon sur rue à
Montréal. Cette cueillette d’informations se poursuivra et débouchera finalement en
1982 sur la création d’une typologie qui servira de grille d’analyse théorique. Le but
ultime était de dégager les caractéristiques de ces groupes et de les jauger à l’étalon de
l’Église catholique.
89
Richard Bergeron, «Dossier sur les nouvelles religions», Revue Notre-Dame (RND), septembre 1996,
p. 13.
90
Voir «Mon parcours théologique (1950-2000) ou le passage du dogme au sujet» dans Des théologies en
mutation; parcours et trajectoires, Montréal, Fides, 2002, p. 64-80, en particulier, p. 64-65. Il désignera
son malaise comme étant «une hétéronomie totale de la personne au nom d’un Dieu aliénant…»
91
Renseignements obtenus lors d’un entretien avec Richard Bergeron, le 23 mars 2013.
33
Bergeron ignorait à ce moment-là que ce détour par les nouvelles religions déboucherait
sur une reconsidération de son intérêt originel pour l’ecclésiologie et lui donnerait une
perspective différente pour appréhender les contours de l’Église. De plus, sa renommée
comme théologien deviendra vite fort importante au Québec et ailleurs, en partie grâce
à l’expertise unique qu’il acquiert à un moment où le besoin de compréhension de ce
nouveau phénomène revêt un caractère d’urgence au sein de nos sociétés occidentales
en raison de l’attrait exercé par ces nouvelles religions auprès de la population. On ne
compte plus le nombre d’interventions publiques de Bergeron dans ce domaine de 1984
à 1994, durant les années où il fut directeur du Centre d’information sur les nouvelles
religions92 et s’occupait à la fois des orientations de ce centre, de son financement et de
la publication d’une collection consacrée à ces travaux spécialisés93.
Cette recherche comportait en elle-même des difficultés théoriques, mais elle exigeait
aussi de la part du chercheur des talents d’équilibriste exceptionnels pour être conduite
en tout respect du point de vue de l’Église à ce sujet. Une telle recherche s’appuyait sur
des éléments observables :
La religion n’est pas seulement une affaire privée se limitant à une expérience
intérieure et à une relation verticale individuelle avec le divin. Puisque l’être
humain n’existe que socialement, toute religion se présente nécessairement
comme un corps social avec son système doctrinal, ses structures, ses rites et ses
lois destinées à gérer les rapports entre les membres et les relations avec la
société.94
C’est sur cette toile de fond que se déroule la recherche sur les nouvelles religions.
Comme nous le savons, avant Vatican II, les autorités de l’Église catholique trouvaient
bien peu de vertu à l’œcuménisme, sinon celle de faire cheminer les autres religions
vers la Voie et la Vérité que l’Église prétendait incarner. Il s’agissait plutôt de débusquer
les erreurs doctrinales et/ou les comportements erratiques afin de ramener les brebis
égarées à l’intérieur du bercail. Le Québec des années 1950 et même 1960 était
d’ailleurs une pépinière de missionnaires dont le but était de sauver ces âmes qui, au
meilleur des cas, iraient au purgatoire faute de ne pas avoir rencontré la religion vraie.
92
Bergeron sera membre du conseil d’administration par la suite de 1994 à 1998.
Cette collection, sous la responsabilité du Centre d’information sur les nouvelles religions, était publiée
par Fides. Il s’agissait de courtes études sur des thèmes en lien avec les nouvelles religions.
94
Vivre au risque des nouvelles religions, Montréal, Médiaspaul, 1997, p. 12-13.
93
34
Certes, un nouveau ton sera adopté après le concile Vatican II, comme en fait foi la fin
du paragraphe 2 de la Déclaration Nostra aetate95 sur les relations de l’Église avec les
religions non chrétiennes :
L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions non
chrétiennes. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de
vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des
rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un
rayon de la vérité qui illumine tous les hommes. Toutefois, elle annonce et elle
est tenue d’annoncer sans cesse le Christ qui est la Voie, la Vérité, la Vie, dans
lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel
Dieu s’est réconcilié toutes choses.
Ce nouveau ton était beaucoup moins limitatif que ce que pouvait exprimer l’Église
d’avant le Concile à propos d’une possible rencontre avec les autres religions. Mais la
question restait entière : quelle devait être la tâche dévolue au chercheur Bergeron s’il
voulait respecter l’esprit de ce document ? L’Église
… exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et charité, par le dialogue et par
la collaboration avec les adeptes d’autres religions, et tout en témoignant de la
foi et de la vie chrétienne, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les
valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles, qui se trouvent en eux.
Connaître, comprendre dans un portrait d’ensemble, expliquer la différence, retrouver
le semblable et témoigner de la nature totalisante de sa propre religion (et donc d’une
supériorité qui passe de l’explicite à l’implicite dans les documents conciliaires) : telles
étaient les principales tâches qui balisaient la route.
Certes, la manière est différente, la rencontre plus respectueuse, mais elle s’appuie sur
une affirmation indépassable : «Dans l’Église catholique seule est l’unique Église du
Christ», affirmation faite par la Congrégation de la doctrine de la foi dans une
déclaration ultérieure (Dominus Iesus, 2007). Cette position veut préciser l’esprit de la
constitution dogmatique sur l’Église qu’est Lumen Gentium (1964) : les fidèles
catholiques « …ne pourraient-ils pas être sauvés, ceux qui, sans ignorer que Dieu, par
Jésus-Christ, a établi l’Église catholique comme nécessaire, refuseraient cependant d’y
95
Passée en dernière lecture lors de la quatrième session du concile, et approuvée par 2 221 voix contre
88, cette Déclaration est immédiatement promulguée (28 octobre 1965) par le pape Paul VI. «Nostra
Ætate est le plus court des documents de Vatican II : il en est peut-être également le plus révolutionnaire,
car il ouvre l’Église au dialogue interreligieux, il veut renouveler entièrement les relations que les
catholiques souhaitent établir avec les juifs, musulmans, bouddhistes, hindous et même ceux qui suivent
les autres religions» (Source Wikipédia, consultée le 25 septembre 2013).
35
entrer ou de demeurer en elle »96. Enfin, pour les chrétiens non catholiques, le même
document fera état de l’exigence de l’unité à reconstruire.
Dans un texte bilan paru en 200297, Bergeron fait une synthèse du déploiement de sa
recherche d’une quinzaine d’années qui seront, de son propre aveu, parmi les plus
prolifiques de sa carrière. En effet, au cours de cette période, il publie sept livres, une
quantité impressionnante d’articles investiguant cette nébuleuse des nouvelles religions
en plus d’organiser plusieurs colloques et au moins deux congrès internationaux. Avec la
publication du Cortège des fous de Dieu98 en 1982, Bergeron est devenu l’autorité en la
matière au Québec. Certaines de ces publications s’intéressent à un aspect singulier
d’un point de cette nébuleuse alors que d’autres esquissent une vue d’ensemble. Les
publications du début laissent apparaître une démarche scientifique qui tâtonne, alors
que celles de la fin seront des essais qui, délaissant quelque peu la méthode, visent à
ouvrir de nouvelles avenues.
D’ailleurs, il faut mentionner que le Cortège des fous de Dieu est l’aboutissement d’une
recherche intensive de six ans. Ce livre de plus de 500 pages, qui se veut une étude
terrain portant sur les nouvelles religions au Québec, est constitué de cinq parties au
développement inégal en raison même de l’importance accordée aux descriptions des
nouvelles religions : la première partie porte sur la méthode utilisée; la deuxième dresse
une topographie des nouvelles religions; la troisième propose des schèmes théoriques
de la secte et de la gnose contemporaine; la quatrième donne des jalons pour une
interprétation chrétienne de ce phénomène; et la cinquième se veut une interpellation
des chrétiens qui rencontrent les nouvelles religions.
Comme on le constate, l’articulation du livre suit l’orientation souhaitée par l’Église
envers les nouvelles religions et Bergeron l’affirme d’emblée dès l’introduction :
Notre perspective se veut chrétienne. (…) Nous tenterons de les comparer au
christianisme et de les comprendre dans une vision chrétienne. C’est en qualité
de chrétien que nous abordons ce problème.99
96
Voir à ce sujet le Catéchisme de l’Église catholique, 846 à 848. L’interprétation que donne le Catéchisme
de ces textes peut différer d’autres interprétations possibles quand on se réfère à l’esprit même des
textes. Il s’agit ici d’en donner une interprétation usuelle. Ce que le Catéchisme fait.
97
«Mon parcours théologique (1950-2000)…», p. 70 à 72. Bergeron citera deux références à ces écrits
comme les plus représentatifs de cette période : Le cortège des fous de Dieu (Montréal, éd. Paulines,
1982, 511 pages) et «Les religions sont-elles des demeures de Dieu?», dans Jean-Claude Petit (dir.), Où
demeures-tu? (Montréal, Fides, 1994, p. 461-485).
98
Voir la note précédente pour la référence complète.
99
Cortège…, p. 14-15.
36
Pour ce faire, Bergeron utilise une méthode qu’il qualifie de typologie dynamique et qui
consiste à élaborer des types de religion, à les comparer, à les confronter au type
chrétien. Cette méthode comporte en fait quatre étapes :




Analyser un certain nombre de religions particulières pour en faire ressortir des
caractéristiques communes;
Faire apparaître, en s’inspirant de ces caractéristiques communes, une typologie
qui permet de comprendre les rapports entre ces religions;
Vérifier la pertinence du modèle afin d’inclure ou non tel groupe sous un type
particulier (révision du découpage géographique et historique qui permet de
délimiter un tel type);
Procéder à une analyse comparative plus générale et à une interprétation
théologique des types de religion.
Voilà où devait mener cette investigation. La quatrième étape devait permettre, dans
une perspective chrétienne, « de poser de solides questions aux groupes et de leur
adresser des critiques pertinentes, ainsi que de recevoir leurs contestations et leurs
interpellations »100.
Pourtant, une telle méthode a son revers et certains écueils sont rétrospectivement
identifiés par Bergeron. Cette méthode simplifie le réel au point parfois de le trahir. De
même, Bergeron signale la difficulté herméneutique : le chercheur pressent l’unité des
religions dans la multiplicité; il affirme cette unité et il fait un retour à la multiplicité
dans une analyse critique qui réaffirme cette unité. Chacun de ces passages de la
multiplicité à l’unité et de l’unité à la multiplicité peut cacher des failles. Toutefois, il
faut reconnaître à ce type d’analyse une utilité pratique : présentant les traits distinctifs
d’une nouvelle religion, elle les situe selon une cartographie des religions qui permet
tout au moins d’en mesurer les différences.
Même si cette étude «à maints égards impressionnante» aurait pu être complétée par
une étude sur la manière dont les adeptes des nouvelles religions concilient celles-ci
avec une possible appartenance chrétienne101, il y a aussi un écueil épistémologique
qu’il faut prendre en compte. Ainsi, André Couture, dans une Note102 consacrée au livre,
100
Ibid., p. 16.
Roland Chagnon, compte rendu de Richard Bergeron, Le cortège des fous de Dieu, Montréal, Paulines,
1982, paru dans Sciences religieuses/Studies in Religion, 12, no 1, 1983, p. 92-94.
102
André Couture, «Sectes et gnose au Québec, Note sur le Cortège des fous de Dieu de Richard
Bergeron», Laval théologique et philosophique, 39, no 2, 1983, p. 215-219. À la suite de la parution de ce
texte, Bergeron a rencontré Couture, et a convenu des problèmes qu’il recélait quand on regardait ce
travail du point de vue des sciences des religions (propos rapportés par André Couture, février 2015).
Dans un long article portant sur l’opposition entre réincarnation et résurrection («Réincarnation ou
101
37
soulignera que la démarche de Bergeron, qui «se veut rigoureuse», reste située
résolument dans une perspective chrétienne avec les limites d’une telle position.
L’analyse de Bergeron s’inspire également d’une «certaine philosophie de la religion»103
qui se retrouve également dans l’élaboration de sa méthode de typologie dynamique.
En fait, les nouvelles religions se trouvent jugées ici à l’aulne d’un christianisme idéal, en
l’occurrence le catholicisme. Couture voit parfois en Bergeron un philosophe qui
réfléchit sur les sectes à partir d’un savoir immuable :
…on a parfois l’impression que le croyant Bergeron ne devient philosophe de la
religion que pour soudain se retrouver en possession d’une haute connaissance
de tous les principes secrets susceptibles de rendre compte de la présence
encombrante des divers groupes religieux autres que le catholicisme. Ce
christianisme philosophique déjà réduit à l’état de schème abstrait fonctionne en
pratique comme une gnose unifiante…
C’est pourquoi Couture en arrive à mettre en doute la pertinence d’une classification
des nouvelles religions imposée d’autorité et qui en arrive à «court-circuiter» la
recherche. Malgré cette réserve, à titre de pionnier dans ce domaine, Couture affirme
que le travail de Bergeron n’en garde pas moins sa valeur. Ce que souligne également
Alain Bouchard en insistant sur le fait que, pour Bergeron, le phénomène des sectes est
la «conséquence du retrait de l’Église catholique de la sphère publique»104 .
Être interpellé, selon l’usage courant, c’est susciter un intérêt, un écho105. Bergeron ne
pouvait pas ne pas être sensible aux questions soulevées par les interpellations des
nouvelles religions. Ces interpellations renvoyaient, par ailleurs, à une question
fondamentale : l’Église institutionnelle serait-elle dépassée? Sinon, elle se devait de
« retrouver sa crédibilité et sa pertinence dans la modernité séculière »106. C’est
pourquoi Bergeron se devait d’aller plus loin, non plus à la manière d’un analyste, mais à
résurrection? Revue d’un débat et amorce d’une recherche», Science et Esprit 36, no 3, 1984, p. 351-374
ainsi que 37, no 1, p. 75-96), Couture a également critiqué la brochure rédigée en 1979 par Bergeron sur
ce thème (Faites vos Jeux! Résurrection et Réincarnation). En 1985, Bergeron réécrira son texte sous le
titre Un chrétien face à la réincarnation en tirant le maximum de profit des remarques qui étaient faites
dans cet article, tout en se situant clairement du point de vue théologique. On peut dire que Bergeron est
devenu un spécialiste des religions un peu par défaut, ce qui ne veut pas dire qu’il n’ait pas fait œuvre
utile. Mais il reste avant tout un théologien. En fait, cette exploration des nouvelles religions l’a peu à peu
conduit à réfléchir à des questions de théologie des religions.
103
Ibid., p. 217. La prochaine citation de Couture est à la page 219. Notons qu’André Couture constate,
dans l’élaboration théorique de ce livre, une certaine filiation avec les travaux de Mircea Eliade.
104
Alain Bouchard, «Les nouveaux mouvements religieux et le phénomène des sectes», dans Jean-Marc
Larouche et Guy Ménard, L’étude de la religion au Québec, Québec Presses Université Laval, 2001, p. 221.
105
Petit Robert 2006 au mot «interpeller», p. 1390.
106
Revue Notre-Dame, sept. 1996..., p. 11
38
la façon d’un anthropologue qui, voyant les limites du descriptif et du comparatif,
s’engage à connaître de l’intérieur en pratiquant l’observation participante. Certes, une
personne n’en sort jamais indemne, mais n’est-ce pas le lot de tout travail intellectuel
qui touche des enjeux personnels?
Bergeron ira donc à la rencontre des autres cultures religieuses dans un esprit de
véritable dialogue : il aura des échanges avec leurs représentants, il lira leurs textes
fondateurs et il se livrera à différentes pratiques de méditation issues de ces traditions.
Cette posture dialogale, pour être sincère, avait comme conséquence d’obliger
Bergeron à mettre en parenthèses les exigences d’exclusivisme de l’Église catholique.
C’est ainsi que Bergeron allait connaître une nouvelle étape dans sa vie d’homme
d’Église : après les phases dogmatique et existentielle, il entrait dans sa phase
«pluraliste». Bergeron prend alors vraiment en compte la pluralité religieuse. Il en
conclut que les religions sont moins des moyens de salut que des dépositaires d’une
tradition de révélation qui aident l’être humain à trouver sa propre voie de salut. Une
telle vision suppose que la vérité religieuse est relative, relationnelle et plurielle. Le
critère pour en décider n’est plus le Christ ou le dogme, c’est l’humanum, c’est-à-dire
«Jésus en tant qu’il représente, aux yeux du chrétien, la meilleure révélation de
l’humain devant Dieu». Le changement de perspective est radical. L’approche sera
dorénavant un «modèle pluraliste théocentrique de type basileucentrique»107, un
modèle qui lui est propre. Les problèmes investigués au cœur d’un tel modèle sont, bien
sûr, la question de Dieu et de son règne, la fonction du Christ (unicité, singularité,
universalité) et l’ecclésiologie (notamment la mission de l’Église).
Bergeron poussera même plus loin sa réflexion dans un article intitulé «Les religions
sont-elles des demeures de Dieu?»108, publié en 1994. Il part du constat que l’époque
contemporaine a chambardé la conception que la conscience humaine a d’elle-même :
elle se sait maintenant historique et planétaire. Ce qui a des conséquences sur la
compréhension des religions, même d’un point de vue chrétien.
D’une part, puisque les humains ont conscience de vivre dans une histoire, cela veut
dire que l’absolu du Christ est saisi également dans la relativité de son histoire. Toute
vérité chrétienne est donc elle-même relative aux formules qui essaient de la dire. C’est
107
Mon parcours…, p. 72. Dans un entretien récent, 18 avril 2013, Bergeron trouvait la formule
malheureuse. Le seul centre qu’il voulait considérer : les manifestations du Royaume de Dieu. La
formulation n’est-elle pas indicatrice d’une ambiguïté dans sa réflexion à cette époque? Délaisser le
théocentrisme avait des répercussions importantes selon le point de vue adopté. Signalons que cette
notion de «basileucentrique» sera abandonnée par Bergeron parce qu’elle n’a pas la puissance explicative
souhaitée en ce qui a trait au phénomène religieux.
108
«Les religions sont-elles les demeures de Dieu?»…, nous résumons ici les pages 463 à 485.
39
ainsi que l’exclusivisme ecclésiologique ne peut se fonder que sur un absolu relationnel,
la vérité du christianisme étant relative à ce qu’il y a de vrai dans les autres religions. Il
ne saurait donc y avoir a priori d’exclusion ou d’inclusion.
D’autre part, puisque les humains ont maintenant une conscience planétaire, les
chrétiens doivent accepter la dimension transculturelle de leur foi chrétienne et se
rendre compte que cette foi va au-delà de la chrétienté et de la culture occidentale.
Dès lors, Bergeron propose d’explorer une théologie de la religion qui dépasserait la
perspective théocentrique du modèle pluraliste et cela, sans préjuger des
transformations du christianisme que pourrait causer la rencontre avec d’autres
religions.
Des balises minimales sont formulées aux fins de cette exploration :







Dieu est au-delà de toute pensée et formule;
Dieu se révèle à chacun sous un angle ou selon un aspect particulier dans le
cosmos et/ou dans l’histoire;
Les révélations, même si elles sont variées, comportent toutes une promesse de
salut;
Les religions sont des réponses humaines, des moyens institutionnalisés pour
indiquer la voie du salut;
Tout révélateur authentique est homme de Dieu;
Jésus est l’unique médiateur entre les humains et Dieu en tant que Père;
« Toute religion doit être soumise à la norme de l’expérience révélationnelle
fondatrice qui lui a donné le jour et non à la norme d’une autre religion ou d’une
autre expérience fondatrice»109.
La religion est présentée ici comme une réponse de l’être humain à la suite d’une
révélation d’un Dieu inconnaissable. Elle peut prendre de multiples formes. Ces
révélations, qui sont autant de promesses de salut, sont valables si elles sont
authentiques. Elles doivent être jugées pour elles-mêmes. La question de l’authenticité
est certes au cœur de cette exploration.
La fréquentation des autres religions, pour peu qu’on le fasse honnêtement, ne peut
donc qu’influencer la perspective chrétienne qui s’en enrichit. Bergeron, conscient du
risque, s’en fera l’écho, car il ne s’agit plus maintenant d’avoir un étalon pour juger
d’une religion, encore moins de référer à son lieu d’appartenance;
109
40
Ibid., p. 485.
Apprendre à vivre la pluralité religieuse d’une manière adulte et responsable
n’est pas chose facile. À l’école du pluralisme, on ne fait pas ses classes sans y
mettre beaucoup d’intelligence et de doigté, parce que la situation n’est pas très
œcuménique et que le terrain est souvent piégé.110
Dans sa réflexion théologique, de par son histoire personnelle, Richard Bergeron s’est
toujours questionné sur le type de rapport qu’il devait avoir envers l’Église-institution.
La rencontre de nouvelles religions a certainement permis au théologien de revenir sur
cette question lancinante, mais également de s’ouvrir à des compréhensions différentes
d’un tel enjeu et de résoudre ce problème de manière originale et singulière pour luimême.
Ainsi, l’investissement du chercheur Bergeron ne s’est pas fait à coût nul. Il a payé de sa
personne dans ce dialogue qu’il devait inventer afin d’entrer véritablement en relation :
M’est avis que la personne s’implique toujours personnellement dans son acte
de connaître : toute connaissance comporte nécessairement des éléments
subjectifs. L’expérience religieuse personnelle est un lieu herméneutique
privilégié pour comprendre l’expérience de l’autre.111
De fait, Bergeron ne s’est pas «préservé» : il n’a pas gardé la distance requise par
l’institution. En effet, il n’est plus seulement un théologien catholique qui investigue les
autres religions, mais un croyant qui entre en relation avec d’autres croyances de
manière personnelle. Procéder ainsi, en marge, revient à s’exposer à la marginalisation.
Tel sera son destin par la suite. Parler du lieu de son expérience religieuse personnelle
peut disqualifier le théologien qui s’inscrit dans une tradition.
L’Église catholique accueille les autres religions, mais sa prétention à l’absoluité et à
l’exclusivisme fait en sorte que tout dialogue est compromis. La rencontre ne peut avoir
lieu. Toutefois, une retombée non négligeable du Concile a été cette nouvelle
disposition à la tolérance envers la différence de l’autre, et Bergeron a misé sur cette
ouverture pour s’impliquer personnellement dans le dialogue.
Les travaux de Bergeron obligent à reconsidérer l’angle mort de la rencontre des
religions d’un point de vue chrétien. Contre toute attente, ils ont redéfini ce point de
vue. En effet, ce dialogue avec les nouvelles religions ne peut plus être le même qu’en
ces débuts. Il faut en prendre acte.
110
Texte de Richard Bergeron dans Centre d’Information sur les Nouvelles Religions (dir.), Nouvel Âge…
Nouvelles croyances, Montréal, Paulines & Médiaspaul, 1989, p. 49.
111
Vivre au risque des nouvelles religions…, p. 225.
41
Cette période consacrée à l’étude des nouvelles religions fut très fructueuse au plan
professionnel pour Richard Bergeron. Elle lui a d’ailleurs valu une notoriété appréciable
en ce domaine : il était l’expert, reconnu par l’institution, appelé à analyser ces types de
phénomènes lorsque le besoin se faisait sentir. Le théologien laissait ainsi la place à
l’historien des religions ou encore au sociologue des religions. Par voie de conséquence,
cette période a été moins profitable au plan de la réflexion théologique qu’il avait
initiée. Bien sûr, sur le plan existentiel, cette exploration a permis d’expérimenter,
d’ouvrir de nouvelles avenues en même temps qu’elle a laissé entrevoir toute la
distance existant entre la religion catholique et les autres religions dans la perspective
d’une ouverture au dialogue. Reprenant le cours de son questionnement existentiel, le
théologien s’est préoccupé de cette distance en cherchant à la diminuer le plus possible.
On peut penser aussi que la fréquentation des nouvelles religions, dont plusieurs
exigent une obéissance radicale, a contribué à remettre la question de l’obéissance au
cœur de sa réflexion.
Ainsi, Bergeron, en tant que théologien, mais non plus en tant qu’homme d’Église,
reprendra sa recherche et tentera de la solutionner par le dialogue interreligieux dans
une perspective anthropocentrique où la construction d’une spiritualité inscrite dans la
sécularité et le pluralisme lui permettra de prendre en compte tous les types de
manifestation du religieux112.
Ce qui, en dernier ressort, caractérise Bergeron dans les travaux de cette période, et
sans que cela soit formulé clairement, c’est la volonté de sortir du cadre institutionnel
tout en prétextant chercher à le bonifier. La démarche phénoménologique que nous
utilisons nous permet de repérer un troisième moment dans l’évolution de Bergeron, et
une troisième préoccupation : l’autonomie de l’être humain s’affirme ici comme liberté
de choisir en lieu et place de l’institution.
112
42
Ce sera le sujet de son livre Hors de l’Église, plein de salut!, Montréal, Médiaspaul, 2004.
2.2
Richard Bergeron hors-jeu : Les pros de Dieu (2000)
Purifier le Temple, c’est extirper du dedans de soi les structures
objectivantes juridicolégales de la religion et se convertir à la
subjectivité.113
À la fin des années 80, après toutes les secousses engendrées par le refus des autorités
ecclésiastiques de s’ouvrir à la théologie de la libération qui avait reçu, par ailleurs, un
accueil assez favorable de la part d’une partie de l’Église du Québec, une nouvelle onde
de choc, presque un tsunami, va ébranler l’institution, et encore plus ses représentants.
Cette attaque frontale sur le statut de clercs que constitue la parution de Fonctionnaires
de Dieu114 questionne la structure même de l’Église. Le best-seller de Drewermann
paraît en 1989, et sa traduction française en 1993. Cet ouvrage agira comme un
révélateur. Là où, il n’y a pas si longtemps encore, Bergeron tentait de proposer des
aménagements, il en viendra à une conclusion radicale : c’est l’Église elle-même que l’on
se doit de reconstruire sur de nouvelles bases. Si Drewermann a un tel impact chez
Bergeron, c’est que de tels travaux sont en phase avec sa propre démarche. Un tel
basculement est aussi en lien avec la prise en compte de la subjectivité dans la réflexion
théologique. La subjectivité en était le point aveugle, de même qu’elle l’était également
dans le cheminement de vie qui est le sien. Le cadre de référence théorique dans lequel
évoluait la pensée de Bergeron perdait de facto de sa pertinence. Il fallait en revoir les
fondations. Ce qui ne pouvait pas ne pas avoir de conséquences sur les deux dimensions
de Bergeron, le clerc et l’homme. C’est ainsi qu’il se référera à ce tournant dans un texte
personnel de 1997 où il fait le bilan de sa vie et où il esquisse les prochains défis qu’il
choisit d’affronter en cohérence avec son cheminement. Il intitule fort justement ce
texte Projet de vie115. Cette remise en question majeure aboutira à sa sortie de la
communauté franciscaine en 1998, à l’âge de 65 ans, et à une demande formelle de
laïcisation en 2000. Elle se reflétera graduellement dans ses publications qui se
distancieront de l’Église de l’époque en même temps qu’elles s’en rapprocheront pour
en arriver à une formulation plus personnelle de son lien avec l’institution, moins
antagoniste, mais pas pour autant fidèle à l’orthodoxie en cette matière.
113
Richard Bergeron, Les Pros de Dieu, Montréal, Médiaspaul, 2000, p. 210.
Eugen Drewermann, Fonctionnaires de Dieu, Paris, Albin Michel, 1993, 758 p. D’entrée de jeu, l’auteur
écrit : «…on ne saurait rendre sa crédibilité à l’état clérical que si on réussit à reconstituer «l’unité de
Narcisse et Golmund», à vivre cette unité. Ainsi seulement le clerc pourra correspondre à l’exemple de
Jésus…» (p. 22). L’outil privilégié pour refaire cette unité est la psychanalyse, et Drewermann puise son
exemple dans le célèbre roman du même nom (Herman Hesse, 1930). Bergeron fait peu allusion à cette
méthode même si, dans son parcours personnel, il y aura brièvement recours.
115
Ce texte, que nous avons pu consulter, n’a jamais été publié: Bergeron souhaitait en préserver le
caractère privé.
114
43
Cette démarche mûrement réfléchie, qui prendra plus de trois ans avant d’aboutir à une
conclusion définitive, poussera Bergeron «hors jeu». C’est ainsi que sa voix autorisée par
un triple statut de prêtre, religieux et théologien, et dont la crédibilité était reconnue
par tous, n’aura plus du tout la même audience. Les invitations à prendre la parole en
tant que théologien qu’il reçoit de la part de l’Église se réduiront comme une peau de
chagrin. Du fait de sa prise de retraite, le théologien s’éloignait des circuits où il
intervenait régulièrement, mais le fait de quitter les ordres le coupait plus radicalement
encore de l’audience qui avait été la sienne jusqu’alors. Ainsi, presque du jour au
lendemain, son expertise n’était plus recherchée; ses talents de conférencier n’étaient
plus sollicités par les communautés et les paroisses. Les quelques tribunes qui avaient
recours à lui le sollicitaient en raison de ses liens avec le milieu théologique. L’homme,
qui avait énormément perdu de son influence, n’a cependant jamais douté avoir gagné
en cohérence personnelle. C’est à ce titre que ses publications ultérieures ont connu un
succès certain. Ainsi, d’homme de confiance qu’il était, Bergeron suscitait maintenant la
méfiance en Église, ses choix pouvant être le signe d’une «faille» doctrinale, voire d’une
«faillite» doctrinale, dont il fallait préserver la communauté. Toutefois, il demeurait un
intellectuel respecté au sein de la société québécoise.
À l’âge où l’on prend habituellement la retraite afin de couler des jours paisibles dans le
sillage de ce qu’on a fait, Bergeron change donc radicalement de vie. Cette renaissance,
pleinement assumée, n’allait pas sans deuils. D’abord, le deuil de l’appartenance :
quitter sa communauté, s’en exclure, pour vivre en périphérie, c’est se distancier de sa
famille spirituelle et accepter la précarité de l’autonomie individuelle. Ensuite, le deuil
du statut sacerdotal : ne plus être prêtre, c’est se voir même interdire toute fonction
d’accompagnement pastoral alors que les ouvriers sont de moins en moins nombreux.
Ces deuils se sont accompagnés d’autres deuils déjà enclenchés comme la retraite de
l’université et l’éloignement, à son corps défendant, de sa participation à son centre
d’études sur les nouvelles religions. Malgré tous ces deuils à vivre en raison de sa quête
d’authenticité, Bergeron ne renonce pas à l’intelligence de la foi, d’une foi enracinée
dans une conviction profonde d’avoir choisi la vie :
On se quitte et on part parce qu’on est devenu étranger autant à soi-même qu’à
son monde religieux et à son environnement social. La grande partance
commande le réaménagement des rapports qui définissent sa vie : rapport à soi,
aux autres, au monde et, à travers ces rapports, relation à Dieu. Le familier
produit l’usure : la répétition, le sommeil; l’agitation, la dispersion; l’activisme,
l’essoufflement. Au cœur de l’expérience du dépaysement et du sentiment
d’étrangeté, gît un puissant dynamisme de renouveau qui fait de l’étranger un
pèlerin, un itinérant en marche vers son inaccessible Compostelle. Quand notre
44
propre masque nous devient étrange, que Dieu nous paraît bizarre et que le
monde cesse de nous convenir, c’est l’heure du grand départ. Aussi longtemps
que Dieu, le dogme, le monde et notre personnage nous sont familiers, rien ne
se passe. Pas de questions. Que des réponses. Or, c’est dans le mouvement que
la recherche de la vérité chemine et se révèle à la fois. La question possède une
force dont est dépourvue la réponse. Et toute réponse qui ne pose pas une
nouvelle question fausse le cheminement; elle court-circuite la force du
mouvement; elle se suicide en devenant une fin, c’est-à-dire une vérité qui se
meurt parce que personne n’a plus de question à lui poser. C’est dans cette
ouverture au questionnement que nous nous livrons à nous-mêmes, aux autres
et à l’Autre, dans la certitude de demeurer à nous-mêmes un mystère
inépuisable dont nous ignorons le chiffre.116
Bergeron résume ici la posture que prend désormais sa quête à la suite de ces derniers
travaux. Nous avons déjà esquissé à grands traits cette posture : elle se veut une
recherche existentielle en lien avec un drame personnel avant que d’être une question
intellectuelle. Un pas de plus est franchi dans la compréhension de cette posture par le
partage de son drame personnel, il en fait même un cas d’école. Cette quête n’a pas de
fin, elle est incessante comme s’il fallait qu’il en soit ainsi afin de purifier le chercheur
des idées reçues, voire de son conditionnement culturel. Ce qui peut advenir de mieux
pour Richard Bergeron est à ce prix, car il est trop à l’étroit dans le cadre défini par
l’Église-institution. Une telle posture se situe d’ailleurs en ligne droite avec le constat
d’un Paul Valadier :
Un rôle majeur des religions est de mettre les sociétés devant un Absolu qu’elles
ne peuvent pas domestiquer, mais qui au contraire les ouvre à un au-delà de leur
quiétude. Aider toute société à se vouloir «ouverte», plutôt que «close», tel est
sans doute un rôle éminent que joue toute religion.117
Nous retrouvons, dans le livre Les pros de Dieu, une première conséquence d’une telle
transformation, ce livre étant la première partie d’une sorte de triptyque sur le même
thème118. Il s’agit d’un livre-bilan aux accents parfois vindicatifs, parfois pamphlétaires,
mais toujours autocritique et fortement inspiré par Drewermann : d’entrée de jeu,
116
Richard Bergeron, «La grande partance» dans Richard Bergeron, Guy Lapointe et Jean-Claude Petit
(dir.,), Itinérances spirituelles, Montréal, Médiaspaul, 2002, p. 36.
117
Paul Valadier, L’intelligence de croire, Paris, Salvator, 2014, p. 21.
118
Voir Marcel Côté, compte rendu de Richard Bergeron, Les pros de Dieu, Montréal, Médiaspaul, 2000;
Renaître à la spiritualité, Montréal, Fides, 2002; Itinérances spirituelles, Montréal, Médiaspaul, 2002; paru
dans Science et Esprit, vol. 56, no 1, 2004, p. 131-133 : «Ce triptyque permet, par approches
concentriques, d’arriver le plus près possible de la démarche spirituelle que propose Bergeron», p. 131.
45
Bergeron juge son texte «sans fard et sans nuance, cléricalement non correct,
théologiquement impertinent et religieusement inconvenant»119. De fait, il remet en
question les trois facettes de son être historique qui sont autant de personnalités
institutionnelles de l’Église : le prêtre, le théologien et le religieux. D’ailleurs ce livre de
plus de 170 pages est divisé en trois parties correspondant à ces personnalités
institutionnelles. En cela, il ramène le lecteur au cœur de la triade des fonctions de
l’Église telles que décrites par Newman : les fonctions royale, prophétique et
sacerdotale. Ces personnalités institutionnelles sont des «pros» en raison du pouvoir
qu’elles exercent sur les choses au nom de Dieu (personnalité royale), du savoir qu’elles
détiennent (personnalité prophétique) et du mode de vie consacrée qu’elles érigent en
modèle (personnalité sacerdotale). Or, ces prétentions ont leurs revers :
Le premier «officie», et parce qu’il œuvre ex opere operento, il se croit du côté
de Dieu; le deuxième «sait», et parce qu’il sait, il pense connaître Dieu; et le
troisième, «il l’a l’affaire», et parce qu’il est vertueux, il se croit saint. Ce qui fait
leur grandeur et leur donne avantage sur le chrétien ordinaire, c’est exactement
ce qui peut constituer leur entrave.120
D’où la question fondamentale à laquelle est renvoyée Bergeron : peut-on posséder
Dieu sans en abuser? Question qui renvoie elle-même à une autre question plus
personnelle : peut-on prétendre posséder Dieu sans s’abuser soi-même? Ce qui n’est
pas sans interroger également le regard que l’on peut avoir sur la religion. Car, Bergeron
le note, «la religion révèle sa vraie nature par l’effet bénéfique ou maléfique qu’elle
produit sur l’homme quand elle parle de Dieu»121. Cette affirmation fait réfléchir
lorsqu’on dresse un bilan des différents effets produits par l’Église depuis sa fondation.
Certains de ces effets n’ont pas été heureux, certains ont même été contre-productifs.
Or, ce bilan, l’Église en est d’autant plus responsable qu’elle a donné à ses
représentants, ses clercs, la garde exclusive des fonctions qui lui sont associées.
C’est dans cette perspective que Bergeron ira même plus loin et formulera un vœu qu’il
qualifie de sacrilège : l’Église doit connaître une destruction analogue à celle du Temple
de Jérusalem122, cette destruction ayant été pour le judaïsme l’occasion d’une
renaissance en raison de l’abolition de la caste cléricale et de la fin de son hégémonie
sur la nation juive. Bergeron pense que le même bouleversement serait souhaitable
pour l’Église catholique. Malgré le choc des ultimes décisions, Bergeron reste fidèle à
Newman et la réflexion qui guide cette étape cruciale de son cheminement rejoint les
119
Pros de Dieu…, p. 7.
Ibid., p. 10-11.
121
Ibid., p. 13.
122
Ibid., p. 17.
120
46
postulats qu’il a avancés dans ses premières années de théologie. Ainsi, il suggère
qu’une telle refondation pourrait s’inspirer des principes constitutifs d’un christianisme
authentique selon Newman : les principes historique, sacramentel et dogmatique. Le
principe historique assure la fonction royale par ses responsables locaux, régionaux et
une autorité centrale garante de l’unité dans la diversité. Le principe sacramentel
recouvre la fonction sacerdotale en tenant compte du temps, du lieu et de la culture,
car la forme du sacrement doit être adaptable, si l’on veut en préserver l’efficacité et le
sens symbolique. Le principe dogmatique est au fondement de la fonction prophétique,
cette dernière étant «la façon chrétienne de dire Dieu et sa relation aux humains»123.
C’est là, au cœur même de cette fonction prophétique, que se situent l’enseignement et
la recherche. Selon Bergeron, il faut briser le monopole qu’exerce le haut-clergé sur les
trois fonctions; leur cumul est néfaste et étouffe la liberté des croyants. Favoriser la
séparation des pouvoirs qui ont par la suite à s’harmoniser était ce que préconisait déjà
Newman, et Bergeron le rappelle :
Que le pouvoir ecclésial fonctionne à partir du principe qui est le sien propre,
c’est-à-dire l’opportunité, au sens noble du terme. Que le doctrinal fonctionne à
partir de son principe propre qui est la vérité; le judiciaire, à partir de son
principe qui est la loi; et le pastoral, à partir de son principe propre : l’édification,
c’est-à-dire ce qui est de nature à construire l’être humain intégral. Déjà au siècle
dernier, Newman avait réclamé cette distinction dans son document Prophetical
Office of the Church.124
Si cette distinction n’est pas faite, ce qui est véhiculé alors, c’est l’image d’un Dieu du
passé qui n’a même plus rien à voir avec le Dieu des premières communautés
chrétiennes. Tout se passe comme si l’Église reproduit ce sur quoi elle s’est heurtée en
ses commencements, et Bergeron y insiste :
Comment ce Dieu «arthritique», qui ne peut plus bouger, ce Dieu incapable
d’agir dans un mode autre que celui de sa Royale jeunesse, ce Dieu souffreteux
qui supporte mal les courants d’air de la nouveauté. Ce Dieu frileux qui ne sort
plus de son paradis douillet pour venir nous visiter dans les froids hivers de nos
vies, ce Dieu radoteux qui se répète à l’infini alors que nous mourons d’entendre
une parole nouvelle qui ferait vivre; comment ce Dieu de la structure et des
gardiens de l’institution peut-il être au service de la vie? Comment ce Dieu des
pères-évêques-papes-prêtres peut-il intéresser la jeunesse qui vit une profonde
rupture avec la tradition, avec le monde des adultes et avec les valeurs
123
124
Ibid., p. 20.
Ibid., p. 21.
47
chrétiennes- en un mot avec ce qui évoque le symbole du père? C’est au nom du
Dieu des pères que les prêtres d’Israël ont rejeté Jésus et, par ce rejet, ils ont
dénoncé comme démoniaque le Dieu qu’il annonçait. Obnubilé par le Dieu des
pères, comment le prêtre peut-il accéder à la connaissance du Dieu de Jésus? Au
prix de quels dépouillements de son être, de quels bris de son personnage, de
quels écroulements de façade peut-il prendre le chemin risqué et insécurisant du
Dieu des Évangiles? Du Dieu nouveau et futur de Jésus.125
Il s’agit donc de la compréhension même du Dieu des évangiles qui est à l’origine de
cette méprise. Celui-ci est pure subjectivité : il trouve en lui-même la raison de son
vouloir et de son action, il se soucie de tous sans distinction – le statut ne compte pas.
Ainsi, la religion a pour fonction de promouvoir l’humanisation126. Or, donner au Christ
un caractère absolu bloque cette avenue parce qu’un absolu dans une perspective de
logique se définit en un rapport d’inclusion ou d’exclusion alors qu’il faudrait concevoir
ce caractère d’absolu en termes relationnels : cet absolu qui fait devenir un meilleur
humain.
Le fait que le haut-clergé se soit accaparé de toutes les fonctions laisse peu de place à
une parole qui vienne du peuple, une parole qui témoigne de la vie d’aujourd’hui pour
aujourd’hui. Bergeron en est convaincu et ne craint pas de le répéter :
Le bas-clergé, c’est-à-dire le prêtre de paroisse, est souvent coincé entre une
«Parole de Dieu» qui monte d’en bas, du peuple habité par l’Esprit et une
«Parole de Dieu» qui vient d’en haut, du haut-clergé détenteur du pouvoir
magistériel : parole qui descend du Père sur Jésus, de Jésus sur les apôtres et des
apôtres sur les évêques, qui ont la garde du dépôt. Le discours magistériel
renvoie à l’autorité de Dieu; il se réclame d’une révélation divine est soucieux de
fidélité à la tradition. Le magistère parle en énoncés dogmatiques irréformables,
son approche dogmatique de la vérité révélée implique une absolutisation de la
vérité et une négation de la relativité de l’histoire; elle projette sur le plan divin
ce qui est de l’ordre des contingences concrètes. Cette approche aboutit à la
fétichisation de la forme rituelle et dogmatique, à la disjonction entre
l’enseignement et la vie, à la formalisation du contenu des doctrines et des
professions de foi, et à la mise au point minutieuse de tous les énoncés
doctrinaux.127
125
Ibid., p. 23.
Ibid., p. 39.
127
Ibid., p. 48.
126
48
Afin d’éviter les dérapages qu’engendre l’«absolutisation» du Christ, ou simplement
pour donner à la foi une assise solide, cette Église répond par avance aux questions
comme elle le fait dans le catéchisme et exige l’adhésion par des serments, comme le
sont les serments antimoderniste ou de fidélité. Ce qui peut s’interpréter comme une
religion qui fait de Dieu un objet extérieur. Ce qui n’aide pas à proposer l’Église comme
réponse aux interpellations de notre monde contemporain.
Par ailleurs, selon Bergeron, force est de constater que les gens veulent vivre une
expérience de foi plutôt que de subir un encadrement au nom de la foi. Les premiers
chrétiens participaient de cette volonté lorsqu’ils parlaient d’une voie qu’il faut avoir
parcourue afin de pouvoir aider les autres. Ce type de parcours singulier conférant une
autorité spirituelle est maintenant reconnu chez les figures laïques au détriment des
représentants officiels de l’Église.
Bergeron poursuit son raisonnement en l’appliquant à la fonction prophétique. Il
soutient qu’il est possible d’être prophète et de faire de Dieu une sorte d’absolu
complètement déconnecté de la vie des gens. Ces théologiens parlent d’un Dieu dont ils
n’ont pas eu l’expérience ou, encore, ils figent leur expérience du divin dans une théorie
abstraite.
Ce danger d’objectivation a comme conséquence la fragmentation de ce qui est étudié,
mais surtout l’exclusion du sujet dans cette démarche. Or,
…la théologie ne peut être que l’apanage d’un sujet croyant, qui ne peut
comprendre sa propre expérience de foi qu’en l’éclairant par la tradition
d’interprétation de la communauté et qui ne peut comprendre la foi de la
communauté qu’en référence à son expérience personnelle. C’est dire que
l’expérience subjective de foi devient le foyer herméneutique de l’intelligence de
la foi communautaire.128
Cette théologie ne perd pas pour autant sa scientificité parce qu’elle répond aux
nouvelles exigences de l’épistémologie contemporaine qui prennent en compte le sujet
observateur.
Afin de mieux mesurer le défi qui est posé à l’Église, Bergeron oppose croyance et foi. Le
croyant pense avoir la foi. Or, la foi est ouverture au mystère alors que la croyance,
formulée en doctrine, en arrive à masquer, à voiler le mystère. La portée d’une telle
affirmation n’est pas négligeable lorsque l’on sait que les croyances se transmettent; la
128
Ibid., p. 79.
49
foi, non. Elle est un don. Il est facile de s’abuser soi-même ici, de prendre l’ombre pour
la proie, la croyance pour la foi.
C’est pourquoi il n’est pas si étonnant d’expliquer ce qui est arrivé au Jésus historique à
la lumière de cette distinction. Ce sont les puissants, les prêtres, les pharisiens et les
théologiens qui s’opposent à Jésus : « c’est au nom de leur profession et de leur
responsabilité, au nom de leur savoir, de leur vertu et de leur religion, enfin au nom de
leur conscience que tous ces experts de Dieu ont rejeté Jésus »129. Ces figures dans cette
histoire sont archétypales, trois d’entre elles reprennent les voies traditionnelles pour
aller vers Dieu que sont la religion, la vertu et la connaissance. Or, ces voies,
lorsqu’incarnées dans des rôles dévolus à certaines catégories de personnes, voilent
parfois la saisie du présent et peuvent ainsi devenir un empêchement à progresser alors
qu’elles appellent à un dépassement. Même cet appel au dépassement qui se veut un
chemin vers l’excellence, a son côté sombre, car il peut générer la médiocrité, voire la
perversion. S’engager à exceller ne va pas sans le danger de dévier et l’abus devient
alors prétexte ou conséquence.
Bergeron renvoie toujours à Newman. L’Église catholique se veut un lieu d’excellence
qui finit par abriter les effets de ce côté sombre. Elle est capable du meilleur comme du
pire :
Newman a inféré de l’axiome Corruptio optimi pessima une conséquence
heuristique surprenante. Pendant longtemps, le grand théologien d’Oxford a été
littéralement choqué et scandalisé par les corruptions et les abus de l’Église
romaine dans les pays latins. À ses yeux, il n’y avait pas plus grande corruption
du christianisme. À côté du romanisme tout boursouflé de coutumes magiques
et de dévotions bizarres, tout empêtrée dans une papauté hypertrophiée et
congelée dans une idéologie rêche conspuant toute nouveauté, l’Anglicanisme
paraissait drapé de beauté et de dignité et respirait un air plus salubre. Pendant
longtemps, les défigurations du romanisme ont retenu Newman dans
l’Anglicanisme, même si l’apostolicité de l’Église catholique exerçait une forte
séduction sur lui. Jusqu’au jour où se produisit l’insight : si le catholicisme est, de
fait, le modèle ecclésiastique le plus corrompu, c’est qu’il doit être, de droit et
par essence, la meilleure forme du christianisme. Grâce au principe d’inférence –
qu’il exposera plus tard dans sa Grammar of Assent, il a pu faire le saut
existentiel et se joindre à l’Église de Rome. À la fin de sa vie, dans l’introduction
catholique à la troisième édition de sa Via Media anglicane, il explique les abus
du catholicisme par la forte tension qui existe entre les trois grandes fonctions de
129
50
Ibid., p. 156.
l’Église : royale, prophétique et pastorale. Chaque fonction peut être déformée
par la faute d’individus faibles, inconscients, mal intentionnés ou pervers. Elle
peut l’être davantage lorsque se trouvent rompues les tensions qui doivent
exister entre les fonctions; Alors se produisent mille déformations sur tout le
corps de l’Église. Église-grosse-tête : papauté hypertrophiée. Église-gros-bras :
juridisme excessif. Église-grande-bouche : dogmatisme, excès d’enseignement,
manque d’écoute. Église-gros-cœur : dévotions exagérées.130
Ce qui menace l’Église n’est pas sans incidence sur la société dans laquelle elle se
déploie, surtout lorsqu’elle a des prétentions à faire coïncider la cité de Dieu avec celle
des hommes. Devant ces dangers, il faut être particulièrement sain de corps et d’esprit.
Prendre véritablement la religion au sérieux dans sa vie engendre des tensions qui
peuvent avoir des conséquences néfastes sur l’équilibre psycho-spirituel du croyant. Les
Pros de Dieu ne sont pas à l’abri de tels dérapages131.
Alors que faire? Purifier le temple. Comment? En n’en renforçant pas le caractère
objectif et en l’arrimant aux structures de la subjectivité. On ne doit pas se vouer
exclusivement à la construction du Temple extérieur, mais se soucier également du
Temple intérieur. Ce dernier ne doit pas s’édifier, se structurer de l’extérieur, car il
pourrait échapper difficilement à l’aliénation qui détruit l’humain. Encore ici Bergeron
se fait incisif :
Cela veut dire que le prêtre doit se libérer du «grand prêtre» en lui; le
théologien, faire mourir le «scribe» en lui; le religieux, étouffer le «pharisien»
toujours vivant en lui. C’est à ce prix qu’ils seront des êtres vivants, capables de
faire vivre et de conduire à la connaissance du vrai Dieu.132
Sortir du paraître public pour en arriver à la transparence de ce qu’est l’être humain
imparfaitement, de ce vers quoi il aspire, plutôt que de lui faire jouer un rôle dans des
habits trop grands pour lui, qui cachent et qui favorisent le déni du manque et qui
masquent le côté sombre qui l’habite aux autres et à lui-même.
Ce bilan offre à Bergeron l’occasion de faire une confession :
…je voudrais reconnaître en toute simplicité que j’ai été solidaire et même
complice des «grands prêtres», des «scribes» et des «pharisiens». J’ai été moimême un pro de Dieu. J’ai consacré ma vie à la théologie dans le sacerdoce et la
vie religieuse. Il va de soi qu’on ne peut vivre 45 ans de vie religieuse, 40 ans de
130
Ibid., p. 166-167.
Ibid., p. 168-169.
132
Ibid., p. 210.
131
51
sacerdoce et 30 ans de carrière théologique sans s’être écorché soi-même et
sans avoir blessé des gens.133
Au soir de sa vie, Bergeron reprend donc la route en délaissant l’extérieur de ce qu’il
paraît, la position avantageuse que lui confère le Temple extérieur, afin de prendre en
charge son Temple intérieur. Un tel dépouillement l’autorise à prendre le risque de la
subjectivité sans avoir à se soucier outre mesure, pour un temps, de l’extérieur.
La publication des Pros de Dieu suscitera plusieurs réactions dans les milieux spécialisés.
D’abord, tous s’accordent pour le qualifier d’«ouvrage-choc» : «cri du cœur qui surgit de
l’expérience de l’auteur». Ce livre
…mérite d’être lu par tous ceux qui veulent comprendre la situation actuelle de la
religion, et spécialement des «professionnels de Dieu», dans la société
québécoise. C’est un livre d’espérance joyeuse et non un réquisitoire
acrimonieux…134
Par ailleurs, Bergeron invite à un examen de conscience lucide et relève avec force que
les fonctions des grands prêtres (hiérarchie ecclésiastique), des docteurs de la loi (les
théologiens institués) et des pharisiens (religieux) peuvent être des handicaps dans la
découverte du «mystère de Dieu révélé en Jésus»135.
Le livre a aussi le défaut de sa qualité : s’agissant d’un «cri du cœur», «les éléments
d’analyse et certaines lignes argumentatives manquent de nuance»136. Malgré tout, il
conserve sa pertinence :
…la mise en garde qui est faite aux Pros de Dieu ne vaut-elle pas pour tout croyant
catholique, convaincu que lui possède la vérité définitive sur Dieu et que toute
autre religion, tout autre système de croyances ne peut être que dans l’erreur… Le
rapport de Dieu aux individus et aux religions du monde n’est-il pas beaucoup plus
riche et mystérieux?137
Cette parution constitue un moment charnière pour le théologien Bergeron. D’une
recherche objective qui s’interdisait la prise en compte d’une histoire personnelle dans
133
Ibid., p. 211.
Jean-Guy Vaillancourt, compte rendu de Richard Bergeron, Les Pros de Dieu, Montréal, Médiaspaul,
2000, paru dans Religiologiques 23, 2001, p. 311-313.
135
Jacques Gauthier, compte rendu de Richard Bergeron, Les Pros de Dieu, Montréal, Médiaspaul, 2000,
paru dans Sciences pastorales/Pastoral Sciences 20, no 1, 2001, p. 333-336.
136
François Nault, compte rendu de Richard Bergeron, Les Pros de Dieu, Montréal, Médiaspaul, 2000, paru
dans Laval théologique et philosophique 58, 2002, p. 395.
137
Claude Giasson, compte rendu du livre Pros de Dieu, Montréal, Médiaspaul, 2000, paru sur le site web
de Culture et Foi, février 2001 (consulté le 25 juin 2014).
134
52
la formulation de la question même de l’Église-institution, Bergeron adresse maintenant
cette question dans tous ses tenants et aboutissants.
Enfin délestée de ce poids, de ce déni qui empêchait de pousser plus loin, la subjectivité,
souci omniprésent dans la modernité, prendra la place qui lui revient comme elle le fait
dans toutes les sciences. Elle fera dorénavant partie de l’équation. En conséquence,
Bergeron renonce à une réponse achevée, «objective», l’inachèvement étant constitutif
de la réalité qu’il explore.
L’analyse qui vient d’être faite des Pros de Dieu montre à l’évidence que le nouveau
Bergeron puise encore sa cohérence théologique dans le Newman qui s’est imposé dans
le travail de thèse. Mais c’est un Bergeron qui a longuement cheminé et qui a
maintenant découvert, à son corps défendant, le pôle subjectif de sa réflexion
théorique. La lecture phénoménologique qui est faite ici met en lumière une quatrième
difficulté qu’a dû affronter l’homme Bergeron et qui l’a obligé à revoir de fond en
comble son parcours de vie. Il s’agit désormais pour lui d’être vrai plutôt que fidèle à un
engagement extérieur pris dans les jeunes années. Une authenticité sans compromis qui
constitue désormais à la fois une préoccupation de tous les instants et l’enjeu central de
ses méditations. Il s’agit du quatrième moment qu’a permis d’isoler cette analyse.
53
2.3
Les nouvelles règles du jeu : hors de l’Église, plein de salut!
Oser une spiritualité chrétienne porteuse de promesses d’avenir.138
En 1999, Richard Bergeron quitte la vie religieuse. Il a 67 ans. Il aura passé près de 55
ans en communauté, si on inclut les années de formation au pensionnat. Voilà
consommée la rupture avec l’Église-institution après différentes tentatives d’explication
et de conciliation. Il faudra maintenant vivre cette rupture, l’assimiler, avant de pouvoir
tenter une réconciliation. De fait, après la destruction du Temple extérieur, il ne s’agit
pas d’abandonner à leur sort les habitués du Temple, mais de leur proposer une
nouvelle demeure plus propice à leur édification dans le temps présent.
Toutefois, dans un premier temps, avant d’y parvenir, il faut marquer les différences,
discerner les points d’achoppement. Bergeron s’y emploiera en proposant deux
réflexions majeures, la première, plus introspective; la deuxième, plus sociologique. Il
fallait commencer par (re)construire le Temple intérieur afin de «renaître à la
spiritualité» et de se reconnaître dans une société changeante et ouverte. Dans un
deuxième temps, au-delà des différences profondes, il y a des points de convergence
dont le message de Jésus à propos de Dieu est certes le plus important et la manière
nouvelle d’en témoigner. Quatre nouveaux livres donc, qui sont comme autant de
propositions en réponse à cette tâche omniprésente dans le parcours réflexif de
Bergeron.
Bien sûr, d’autres publications, livres et articles139, investiguent certains éléments de
cette quête140 : soit ils demeurent en marge, soit ils sont intégrés aux livres phares de
cette section qui proposent une autre manière de vivre l’Institution-Église pour notre
société. Le problème théologico-politique de l’Église sous-jacent n’est pas pour autant
résolu par la sortie individuelle du jeu, voire par la mise hors jeu. La cité des hommes
continue à construire des cités de Dieu. Quel sens donner à tout cela dans une société
moderne comme le Québec? C’est une question centrale dans les nouvelles publications
de Bergeron.
138
Richard Bergeron, Renaître à la spiritualité, Montréal, Fides, 2002, p. 12.
C’est le cas notamment pour La vie à tout prix! En quête d’un art de vivre intégral, Montréal,
Médiaspaul, 2006.
140
Itinérance… On se rappellera le parallèle que Bergeron fait entre la quête d’Abraham et sa propre
quête dans ce texte.
139
54
2.3.1 L’effort de réforme
Toutes les réponses n’ont pas encore été données à la parole de Jésus. À
l’instar de la culture grecque, au premier siècle de notre ère, la culture
séculière est appelée à formuler sa propre réponse bien à elle.141
Bergeron cherche ses nouvelles marques dans son rapport avec l’Église-institution.
Désormais hors jeu, prenant acte de la sécularisation de la société québécoise, il prend
en compte la modernité. C’est pourquoi, dans un premier temps, il introduit le fait de la
subjectivité dans toute quête spirituelle et, dans un deuxième temps, il mesure les
conséquences qui s’ensuivent, notamment la disqualification de la prétention à
l’exclusivisme qui caractérisait jusqu’alors les religions. L’assimilation de ces deux blocs
que constituent la subjectivité et ses conséquences est en soi un projet radical de
réforme dans la reconstruction d’une Église dont il s’est distancié.
Selon Fabrice Blée, théologien et compagnon de route de Bergeron dans cette
exploration, cette dernière question lance un défi à la théologie : «mettre en question
ses fondements et (…) relire l’histoire de l’ouverture chrétienne pour jeter les bases
d’une spiritualité du dialogue»142. Bergeron prend sur lui de proposer des tentatives de
réponse dans Renaître à la spiritualité et dans Hors de l’Église, plein de salut. Il s’agit ici
du premier bloc.
2.3.1.1 Renaître à la spiritualité (2002)
À mesure que l’espace public devenait profane, la référence au divin
reculait et l’homme passait à l’avant-scène. (…) Une spiritualité non pas
horizontale et plafonnée à l’humain; mais une spiritualité d’en-bas qui
s’inscrit dans un mouvement ascendant vers … l’innommable. 143
Avant de présenter les éléments-clés de ce livre qui marque véritablement un
revirement dans la façon de Bergeron d’appréhender la question de l’institution, nous
souhaitons décrire, en amont, le terreau de cette réflexion. L’Église n’étant pas capable
de répondre à ces questions, Bergeron part donc à la recherche d’un «nouveau modèle»
de spiritualité pour le laïc qu’il est devenu. Il le fera un peu à tâtons, par une démarche
circulaire qui appréhende ce qui se dérobe en raison du conditionnement reçu depuis
tant d’années. Cette circularité permet aussi d’ajouter des informations
141
Renaître…, p. 279.
Fabrice Blée a rédigé la préface au livre de Bergeron Hors de L’Église, plein de salut. Ce livre est
présenté dans la deuxième partie de cette section. La citation est tirée de la page 9.
143
Renaître..., p. 12-13.
142
55
complémentaires à des avancées faites lors des premières formulations de sa recherche.
Bergeron part du constat qu’ayant perdu son pouvoir spirituel, l’Église n’a plus d’effet
attractif dans le nouveau contexte sociopolitique et culturel du Québec des années
2000. N’y a-t-il pas lieu de reconstruire ainsi des passerelles entre la cité des hommes et
la cité de Dieu? Par ailleurs, c’est la première fois qu’il y a dissociation entre le spirituel
et le religieux au sein de cette dernière cité. Le spirituel s’édifie en parallèle avec le
religieux, voire en réaction contre lui, malgré une connivence certaine entre les deux.
Cette distinction entre le spirituel et le religieux revient régulièrement dans les écrits de
Bergeron. Elle peut avoir été inspirée par l’histoire même de la communauté
franciscaine qui a formé Bergeron : comme on le sait, le mouvement spirituel, qui s’est
propagé dès la mort de saint François, souhaitait revenir à l’esprit de la règle telle
qu’écrite sans référer aux interprétations qui en étaient faites par les supérieurs de
l’ordre. Ce mouvement, qui contestait l’autorité (et la crédibilité) des successeurs de
François, fut condamné par le pape Jean XXII en 1318. Lors du bouleversement de la
communauté québécoise causé par le concile Vatican II et la Révolution tranquille, le
mouvement spirituel a exercé un attrait certain au sein de la communauté. Bergeron a
pris part à ce débat. Plus tard dans ses recherches, Bergeron aurait découvert que les
premiers chrétiens étaient désignés sous l’appellation «spirituels chrétiens». De là à
associer le spirituel à l’esprit, parce qu’étant plus proche de l’origine, et à l’opposer à la
lettre, à la tradition, il n’y a qu’un pas, bien vite franchi. Bergeron a ainsi tendance à
valoriser le spirituel au détriment du religieux, même s’il reconnaît l’importance de
celui-ci afin d’assurer la pérennité de celui-là. Une telle dissociation est bien présente au
Québec selon Bergeron :
Au Québec, cette crise est particulièrement très marquée. Elle s’apparente à la
crise qui a secoué la première communauté chrétienne, lorsqu’elle s’est
détachée du judaïsme pour passer à l’Empire romain. Cette dissociation du
spirituel et du religieux a été favorisée ici par le grief que l’âme québécoise
formule contre l’Église.
Même les jeunes qui n’ont jamais pratiqué éprouvent ce grief. En fait, la plupart
des gens ont remplacé leur sentiment d’appartenance à l’Église par un sentiment
d’indifférence, de rejet plus ou moins militant.144
Quel est ce grief? Les abus de l’Église du temps qu’elle exerçait sa mainmise sur la
société québécoise et le fait qu’elle n’a pas favorisé la promotion humaine, notamment
en ce qui a trait à la place des femmes. Bergeron se met alors à la tâche dans le but de
144
56
«L’être humain est un être spirituel», Revue Notre-Dame, décembre 2001, p. 21.
réunir à nouveau spiritualité et religion, mais cela ne pourra pas être de la même
manière qu’auparavant.
Pour ce faire, dans Renaître à la spiritualité, Bergeron en rend compte dans une analyse
comportant quatre grands axes : le constat de la panne spirituelle, l’œuvre spirituelle, la
relation spiritualité-religion et la spiritualité de l’avenir. Ces axes constituent les
principales parties du volume.
Premier axe : nous sommes en panne. Notre temps est un temps de crise spirituelle.
Notre société, tout investie dans la production et la consommation, ne voit plus
l’humain comme un sujet, mais plutôt comme un «objet de savoir, une force de travail,
une machine à consommer ou un numéro matricule»145. C’en est fini de l’individualité,
de la personne. En conséquence, afin de contrer cet effacement qui le menace à plus ou
moins brève échéance, l’individu ne s’intéresse qu’au moment présent, se raccroche à
de petites évasions qui lui permettent de se sentir vivant (la toxicomanie, le jeu, la
mode, etc.) et qui, finalement, seront autant d’aliénations. Or, cette crise du Québec
d’aujourd’hui a déjà été vécue par l’Église-institution. C’est peut-être pour cette raison
qu’elle ne peut être une réponse, un recours, dans cette chute qui semble inexorable.
De fait, l’expérience Jésus des premiers chrétiens s’est institutionnalisée, structurée
avec le temps qui passait, et ce fut un passage obligé vers l’objectivation : «l’idée initiale
s’est transmuée en idéologie»146. Ainsi, peu à peu, imperceptiblement, l’expérience
initiale a été remplacée par un cadre qui en est venu à dicter ce qui doit être fait sans
jamais prendre en compte la situation concrète de l’individu. Au sujet libre, on barre la
connaissance de Dieu, on crée une distance avec l’expérience, car, avant de connaître ce
Dieu, on doit arpenter un domaine déjà tenu par l’institution. Cet arpentage a mis à mal
la liberté et l’autonomie du sujet, car il nécessite la servitude (volontaire) du sujet
comme condition de l’accès à la connaissance de Dieu.
Au fil du temps, le cadre, de minimaliste qu’il était au temps des premiers chrétiens,
s’est renforcé à tel point qu’il est devenu plus important que l’expérience du Jésus des
origines, une expérience à laquelle tous devaient se conformer. Le cadre s‘est développé
et est devenu un modèle d’organisation. Cette «Cité de Dieu», construite par des
hommes et s’inspirant de la structure de pouvoir qui avait cours au moment de
l’élaboration du cadre, est maintenant proposée comme la cité idéale des hommes.
Le modèle étant arrêté, on comprendra que toute évolution est difficile et toute
nouveauté, menaçante, donc suspecte. La philosophie et la théologie scolastiques ne
145
146
Renaître..., p. 21.
Ibid., p. 24.
57
laissent aucune place à d’autres constructions, à d’autres modèles d’explication du
monde dans lequel vit le chrétien147. C’est ainsi que le peu d’espace laissé à l’émergence
de nouveaux modèles n’a pas permis la cohabitation avec la modernité. Or, ce refus
d’accueillir la modernité a entraîné le discrédit de l’institution de même que le
désintérêt pour un groupe qui ne se renouvelait plus et, surtout, ne faisait plus vivre.
L’objectivation de l’individu comme effet du cadre imposé et l’épuisement du réservoir
de sens proposé face à la séduction de la modernité ont engendré une crise spirituelle
profonde, sans précédent, qui n’a pas reçu de réponse. Ce qui a prévalu en réaction à
cette crise, c’est le chacun pour soi, une réponse individuelle à se donner sans avoir une
idée de la direction pour arriver à la bonne destination, d’où les écueils, les récifs à
l’origine de bien des naufrages individuels et collectifs. De la religion que l’on
abandonne, on passe au spirituel avec une certaine méfiance envers une raison qui a
joué un grand rôle dans l’élaboration d’un cadre qui ne répondait plus aux
préoccupations du temps. C’était une façon de sortir de l’impasse que de revenir à soi
plutôt que de vouloir changer des structures en remontant à l’origine, ce qui aurait
supposé une certaine ouverture de l’institution, ou que de s’occuper des autres en les
aidant ou en voulant les changer, ce qui aurait supposé également de sortir de la docilité
du cadre et d’assumer son autonomie. Bref, cet effritement du religieux affecte
considérablement le sujet qui doit se (re)construire.
Deuxième axe : la panne spirituelle conduit à un désir d’unification. Se recentrer est en
soi faire œuvre spirituelle :
L’homo spiritualis cherche la passe dans la métamorphose personnelle. Il s’agit
de renaître à son être véritable, de faire vivre ou revivre ce qui est mort ou
moribond, de réveiller ce qui est endormi au fond de soi. Revenir chez soi,
retourner à son centre, unifier son être divisé, ramener ses morceaux éparpillés,
remodeler son humanité dépenaillée : telle est l’œuvre spirituelle à accomplir.
L’individu est le sujet et l’objet de l’œuvre spirituelle. L’œuvre à réaliser c’est soimême. L’homo spiritualis se donne pour projet de sculpter sa propre humanité
grandeur nature. Il cherche à advenir dans sa subjectivité et à rescaper son
humanité bafouée. Toute détermination extrinsèque et toute motivation
extérieure n’aboutissent qu’à la sujétion. Être par soi et pour soi, voilà le défi du
spirituel. Aussi longtemps que l’action est déterminée de l’extérieur et vise le
monde objectif, on n’est pas encore dans le champ du spirituel.148
147
148
58
Ibid., p. 28.
Ibid., p. 36-37.
Une telle déclaration peut s’interpréter comme un retour à l’individualisme, à tout le
moins comme un parti pris pour l’individualisme, mais peut, d’un autre point de vue,
être une prise de conscience que l’individu fait partie d’un tout, mais selon une direction
précise : on va à Dieu en passant par soi, non pas en sortant de soi, pour aller ensuite
vers les autres. Ce qui est en jeu ici, c’est ce qui façonne la spiritualité et ce qui permet
d’accomplir son humanité : doit-on partir de l’extérieur ou de l’intérieur pour y
parvenir? Le passage par l’intérieur, tel qu’interprété par Richard Bergeron, implique un
processus imbriquant quatre dynamismes chez l’individu : une prise de conscience, un
désir, le courage d’être et la quête.
La prise de conscience fait constater l’impasse. Certes, on peut continuer sa route en en
faisant plus ou apporter quelques améliorations qui donneront l’illusion d’avancer. On
peut aussi choisir le déni, l’oubli ou le divertissement. Enfin, on peut aussi décider de
prendre un temps d’arrêt et de faire face.
Toutefois, cela ne suffit pas. Ce temps d’arrêt doit déclencher chez l’individu un désir
particulier, le désir d’être qui débouche sur l’autocréation accompagnée d’une volonté
de résistance et de déconstruction. La panne socioreligieuse, qui est le lot des sociétés
contemporaines, a comme conséquence la destruction des structures internes au plan
individuel, mais aussi au plan collectif des structures sociopolitiques, économiques et
religieuses. Cette panne amène à vivre l’effondrement en soi et à l’extérieur de soi et
peut causer cette prise de conscience. D’où l’avènement d’un désir de changement. Or,
«le désir est le moteur de la spiritualité»149.
Le processus enclenché par le désir demande du courage : courage d’affirmer ce que
l’on est, sa vraie nature, envers et contre tout. Cet effort exige de sortir de la facilité
d’une vie purement extérieure, de «perdre sa vie», selon l’expression biblique.
Enfin, le dernier dynamisme désigné par Bergeron est la quête : c’est passer à l’action,
se mettre en route sans connaître la destination finale. Cette quête veut répondre à cet
appel intérieur de devenir pleinement humain malgré les embûches. C’est ici et
maintenant que cela commence et il est impossible de différer150.
Ce processus va affecter le sujet qui le vit. Car la condition en est que cette reprise en
main du sujet par lui-même demande une déconstruction des structures objectivantes
sur lesquelles il s’appuie. Ce faisant, n’est-ce pas remettre en question les structures
extérieures qui agissent en trompe-l’œil en conférant au sujet une solidité artificielle?
149
150
Ibid., p. 47.
Ibid., p. 57.
59
Toutefois, n’y a-t-il pas le danger, déjà évoqué, de glisser du sujet vers un individu sans
rapport avec sa communauté, vers l’individualisme au sens strict?
En fait, le sujet spirituel vit sa croissance sous les pressions exercées par les dimensions
de l’individuel, du relationnel et du cosmique. Si l’équilibre fragile entre ces dimensions
est rompu dans le sujet, on devient un être humain trop individualiste, trop grégaire ou
trop matérialiste avec les détournements qui s’ensuivent. Ce qui peut altérer toute
tentative de (re)construction. Le sujet est donc constamment en ballotage même si le
spirituel renvoie à l’être humain tout entier, comme «essence et nature». Par ailleurs,
cela n’est pas une manière de penser acquise dans la société :
D’entrée de jeu, toute réflexion sur le spirituel doit prendre acte de ces
nombreuses conceptions qui circulent dans notre espace public et pénètre (sic)
le vieil héritage catholique. Elle doit également se soucier de ce que la
conscience québécoise francophone a été profondément marquée par une
intelligence dualiste du spirituel. Le spirituel, c’est ce qui s’opposait au corporel,
au charnel, au sexuel. (…) Toute réflexion sur le spirituel doit tenir compte de
cette tradition dualiste.151
Le processus de spiritualisation peut prendre divers chemins et au cours de celui-ci, il
peut y avoir des abandons et des échecs. Il n’est pas infaillible en raison même de l’écart
qui existe entre une prise de conscience par le sujet de ce qu’il est et de ce qu’il est
appelé à être. Cette non-correspondance, qui est le lieu même du désir, se révèle
comme un espace de fragilité dans cette mise en route. Le but visé est de faire l’unité en
soi. Or, ce qui peut unifier le sujet est le sens, dans ses acceptions de signification et de
direction prise, qu’on donne à sa vie. Le sujet adopte alors des valeurs pour lui-même,
sans imposition de l’extérieur, et les vit. Certaines sont absolues et l’on peut choisir de
mourir afin de les respecter. En cela, le sujet est appelé à se dépasser. C’est dans la
liberté et l’autonomie, en toute conscience, que le sujet devient spirituel152. Qu’en est-il
de son rapport avec l’institution dans un tel contexte?
Toute spiritualité est politique. Elle est amenée à définir un rapport aux
structures qui permet l’avènement de l’homo spiritualis, ce rapport devant être
compris, lui aussi, à l’intérieur de l’espace spirituel. Ici la hauteur signifie qu’il
faut redonner à toute structure sa visée anthropocentrique fondamentale. Le
Sabbat est pour l’homme et non l’homme pour le Sabbat. Telle est la façon dont
le Maître de Nazareth parle de la hauteur dans l’ordre du rapport aux structures.
151
152
60
Ibid., p. 84.
Ibid., p. 122.
Toute institution ou loi qui perd sa visée humaine se tourne rapidement contre la
personne et devient un fardeau qui écrase, une lettre qui tue, une entrave qui
casse l’élan. La catégorie de la hauteur est proprement révolutionnaire. En
posant l’intangible dans l’humanum, elle relativise toute institution et engage
inévitablement un processus de résistance contre toute structure aliénante.153
Selon les chemins empruntés, souvent en accord avec la personnalité de l’individu, les
spiritualités peuvent alors être de trois types : cosmique, prophétique ou mystique. À
partir de ces trois types peut être associée la filiation des religions. Le premier type se
caractérise par la relation à l’univers, à ce qui l’entoure, comme le sont par exemple les
religions amérindiennes ou l’hindouisme védique. Le deuxième type s’intéresse à la
relation à l’autre et il regroupe les religions du Livre : judaïsme, christianisme et
islamisme. Enfin, le troisième type met l’accent sur le rapport à soi, comme le fait le
bouddhisme ou l’hindouisme des Upanishads.
Les religions du deuxième type sont l’objet d’un intérêt particulier parce que l’on y
retrouve le christianisme, les religions prophétiques s’inscrivent dans l’ordre moral ou
dans l’ordre du service social. Un trop grand investissement dans ces ordres peut
conduire à des déviations de la trajectoire spirituelle : on en arriverait ainsi à la
moralisation ou à la politisation qui donnent lieu à des structures objectivantes.
Troisième axe : après être passé par la panne spirituelle qui conduit à faire œuvre
spirituelle, il faut situer cette œuvre en lien avec la religion chrétienne comme elle se
définit. De fait, qu’en est-il du religieux dans cette quête de spiritualité? Alors que la
quête dynamise l’individu et le conforte avec tout ce que cela implique de tension, le
religieux l’encadre, car la vie religieuse est, pour l’humain, la recherche de son
accomplissement par une relation libre et consentie avec la Réalité transcendante154. En
ce sens, elle est une démarche d’humanisation, mais aussi, selon Bergeron, un
processus de «divination». La religion est pourtant plus qu’une affaire privée, car elle se
donne une structure qui s’exprime socialement. Rappelons la définition fonctionnelle
qu’en donne Bergeron :
…la religion est présentée comme une voie structurée d’humanisation
individuelle et communautaire (salut, réalisation, libération) qui consiste dans la
mise en place d’un univers de sens et d’un système de pratiques individuelles et
sociales, destinés l’un et l’autre à mettre l’individu en rapport avec le divin (le
153
154
Ibid., p. 136.
Ibid., p. 156.
61
Sacré, l’Ultime, l’Un) et à lui permettre de s’arracher dès maintenant à une
existence aliénante.155
La religion serait donc une voie d’humanisation et la religion instituée, un univers de
sens particulier qui implique une gestuelle symbolique. Elle s’exprime socialement et
elle a une structure normative qui lui est propre. C’est à l’intérieur de cette structure
objective que peut s’inscrire une vie religieuse en raison de l’adhésion de l’individu, par
la foi et le cœur, afin de réaliser l’humain intégral.
Traditionnellement, le spirituel se vit à l’intérieur du religieux institutionnel qui, luimême, en favorise l’émergence, l’institution procurant une assise au spirituel qui, en
retour, le dynamise et l’approfondit. Sous cet angle, la vie spirituelle est faite de
dialogues entre l’individu spirituel et le cadre religieux qu’il accepte. Toutefois, ce
dialogue est à la source de conflits en lien même avec cette institutionnalisation.
Bergeron en identifie quatre : la formulation de la foi, le sacramentel comme étant son
expression, la morale qui en découle ainsi que l’autorité qui en a la garde.
Toute formule de foi «objective» la vérité religieuse, mais peut devenir dogmatisme,
voire idéologie. Or, le Dieu du spirituel chrétien est subjectif, non objectif. Parce que
l’expérience que l’on a de Dieu permet d’agir en conscience en respectant les lois
profondes de son être comme «nature et créature»156; ce qui ne veut pas dire
nécessairement en cohérence avec l’institution.
Le sacramentel est l’expression cultuelle de la foi. Provenant de l’institution ou de la
communauté, cette expression fait parfois écran à une véritable compréhension de ce
qu’elle veut représenter. Le spirituel chrétien cherchera à nettoyer le cultuel de
représentations traditionnelles qui font moins sens dans une société donnée, tout en
préservant le sacramentel.
Si, pour le spirituel chrétien, les préceptes moraux peuvent lui servir de garde-foi
essentiel, le spirituel peut également dépasser la morale lorsqu’il s’est pleinement
réalisé au plan spirituel. Ce garde-foi peut conduire au totalitarisme moral et on doit y
être attentif, car c’est ainsi qu’une religion prophétique se transforme en un simple
moralisme.
Enfin, les autorités ecclésiastiques se méfient des nouveautés que peut apporter le
spirituel. C’est pourquoi elles cherchent à l’encadrer afin d’en limiter la puissance
novatrice. Ce qui a pour effet d’alourdir plutôt que d’alléger l’institution, car cela donne
155
156
62
Ibid., p. 159. Bergeron reprend sa définition que l’on retrouve dans Le cortège des fous de Dieu, p. 22.
Ibid., p. 176.
lieu à la multiplication de règles qui n’ont d’autre but que de bien circonscrire la
nouveauté et de la ramener à l’intérieur de l’institution :
Au cours du dernier millénaire, l’Église catholique incarnée dans le système
romain est devenue une institution moins soucieuse de transformer ses fidèles
en spirituels que d’en faire des sujets soumis (l’institutionnel), orthodoxes (le
dogmatique), pratiquants (le sacramentel) et moralement corrects (l’éthique).
Qu’est devenu l’homo moralis? Quoi d’autre qu’un prisonnier oublié au donjon
par des pouvoirs trop soucieux de gouverner, d’enseigner, de sacramentaliser et
de faire la morale.157
Lorsqu’on quitte l’Église, on s’affranchit également de certaines structures. Cela conduit
vers une spiritualité de type laïc dont les contours seront en porte-à-faux en rapport à
ceux proposés par l’institution, qu’on peut camper de façon un peu caricaturale comme
étant la pratique dominicale de même que l’obéissance aux commandements de Dieu et
de l’Église. La spiritualité était un domaine réservé aux clercs.
En fait, ce n’est qu’au XVIe siècle que l’intérêt pour la spiritualité a pris un essor au sein
de la population chrétienne. Elle a revêtu plusieurs formes qui ont cohabité et qui se
sont même parfois mélangées. Il y a la piété expiatrice, l’humain pécheur qui a à se faire
pardonner; la piété ascétique, comme humain qui méprise le monde et le corps; la piété
dévotionnelle, comme humain qui manifeste sa ferveur sans nécessairement chercher à
comprendre. La religiosité populaire s’est exprimée aussi par des cultes qui sont
toujours vivants aujourd’hui : le culte eucharistique, dissocié de la messe; le culte
marial, valorisation de la chasteté et dénigrement de la sexualité; et le culte des papes,
une façon de justifier l’ultramontisme en réaction au gallicanisme158. Cette religiosité,
comme on le constate, est marquée au coin de la peur en lien avec la culpabilité et
propose une vision pessimiste de l’existence humaine qui n’est que souffrance. La foi
catholique est vécue dans l’hostilité à ce qui est autre, notamment à la modernité, une
foi qui est donc exclusive et, par voie de conséquence, missionnaire. La spiritualité
populaire émergente était alors inféodée à l’institution et sous haute surveillance.
D’ailleurs, la création des instituts séculiers par l’Église a été une concession parce
qu’une variété de plus en plus grande de spiritualités apparaissait et qu’il fallait les
endiguer. C’est ainsi que l’on retrouve aujourd’hui au sein de ces mêmes instituts, mais
aussi en marge, des spiritualités de type évangélique, avec Jésus au cœur de sa vie et de
son action; de type historique, le Jésus des origines; de type contemplatif; de type
157
Ibid., p. 189.
Le gallicanisme préconisait l’allégeance à l’autorité nationale avant toute allégeance à l’autorité
pontificale.
158
63
solidaire, auprès des démunis; voire, de type féministe, étant une critique des structures
de domination des femmes à partir d’une relecture des Évangiles. Cette effervescence
spirituelle n’était pas exclusive à l’Église catholique, de telle sorte que ces enjeux furent
largement débattus dans l’espace public, mais elle la contaminait. L’institution n’était
plus maîtresse du jeu.
De l’apparition de la religiosité populaire, le glissement s’est fait tranquillement vers une
spiritualité séculière. Une telle spiritualité séculière se soustrait à «l’influence directe et
au contrôle d’une religion établie»159, conclut Richard Bergeron. Cette dissociation
radicale du spirituel et du religieux institutionnel résultait du discrédit associé à celui-ci
en même temps qu’était assumée une autonomie nouvelle par rapport aux règles de vie
imposées. Le modèle d’une Cité de Dieu à l’échelle de la société éclatait de toutes
parts :
Voilà que le principe spirituel déploie ses ailes et prend le grand large. Sous son
impulsion prend forme un nouveau modèle spirituel : la spiritualité séculière.
Cette spiritualité n’est pas confessionnelle; elle ne s’inscrit pas à l’intérieur d’une
foi ou d’un système de croyance particulière. Ni religieuse : elle ne s’inscrit pas
non plus dans le cadre d’une religion instituée, nouvelle ou ancienne. Elle n’est
pas pour autant agnostique, athée ou non théiste, bien qu’elle puisse prendre
l’une ou l’autre de ces formes. Une spiritualité est dite séculière quand elle
trouve son fondement non plus en Dieu ou dans une religion, mais dans l’être
humain lui-même et quand elle s’inscrit dans les grands schèmes de l’humanisme
séculier.160
Ces lieux d’ancrage se retrouveront donc dans tous les domaines qui peuvent
développer l’humain intégral, sans égard à une adhésion à l’idée d’un Dieu. Chaque
personne est appelée à suivre son maître intérieur; cet appel est un itinéraire à adopter,
un point de départ plutôt qu’un point d’arrivée.
Quatrième et dernier axe : la redéfinition de la spiritualité exige d’en comprendre la
portée. Bergeron qualifie cette spiritualité séculière de «spiritualité de l’avenir». Elle
offre un enracinement en même temps qu’elle se positionne comme résistance à l’esprit
du temps. Pour l’humain occidental, une telle spiritualité prend sa source dans trois
découvertes déterminantes pour la vie spirituelle : la réalité du monde, la centralité du
sujet humain et l’autonomie de la société. La première découverte détermine le rapport
de l’être humain avec le monde, la deuxième met en perspective la liberté et la
159
160
64
Ibid., p. 217.
Ibid., p. 221-222.
responsabilité de chaque être humain tandis que la troisième met fin à l’emprise de la
religion sur la société :
Dorénavant la vie publique échappe au contrôle religieux. On ne reconnaît plus à
la religion sa pertinence dans la définition et la gérance des institutions sociales.
La société devient séculière, la culture également. Elles s’organisent, l’une et
l’autre, sans référence au divin, au religieux, au sacré ou au transcendant.
Résolument profanes, elles proposent une manière de vivre sur un horizon
terrestre en dehors de toute référence supramondaine. Conséquences graves :
effondrement de toutes les légitimations religieuses de l’ordre sociopolitique,
perte de la pertinence sociale de la religion, effritement de la crédibilité des
institutions et des symboles religieux. D’où grave crise d’identité collective et
individuelle.
La sécularisation ne touche pas que les structures objectives de la société, elle
atteint l’âme et la conscience individuelles qui deviennent séculières à leur tour.
L’homme moderne cherche à se comprendre selon les seules exigences de la
raison autonome en faisant appel à la philosophie et aux sciences humaines.161
En fait, toute spiritualité porteuse d’avenir tient compte des acquis de la modernité ainsi
que de ses impacts. Elle cherche à transformer l’homme concret à partir de sa situation
actuelle.
Cette spiritualité protège contre les dérives de la modernité. Par son accent sur la
technique, la modernité a développé une rationalité instrumentale et une attitude
objectivante qui peut désinvestir la subjectivité de l’humain. Elle est source
d’individualisme où l’on fait peu de cas de la solidarité humaine. Enfin, elle peut
engendrer un sécularisme antireligieux qui peut amener à nier cette dimension de l’être
humain. Cette spiritualité doit prendre aussi en charge le problème de la souffrance,
sinon elle est dans le déni et conduit à une position spirituelle illusoire.
Bergeron identifie même les dépassements que cette spiritualité séculière doit
accomplir. Elle devra dépasser le rapport sujet-objet dans l’acte de connaître ainsi que
les oppositions homme-nature et âme-corps. Elle se doit également d’être dialogale, car
elle sera confrontée à différentes religions et spiritualités, de même qu’aux sciences
dont la psychologie et à la philosophie, et ne doit pas craindre d’entrer en conversation
avec elles. Cette confrontation n’est pas source de peur, mais plutôt ouverture à la
nouveauté.
161
Ibid., p. 237.
65
Que devient Jésus dans cette nouvelle perspective? Il demeure un incontournable en
raison de l’empreinte qu’il a laissée dans notre culture. On en a fait un Christ
dogmatique et moralisateur à partir de systèmes philosophiques «en désuétude». Ce
Christ est devenu incompréhensible à notre époque. Mais, grâce entre autres à la
recherche exégétique, il pourrait encore retrouver de la pertinence :
Les Évangiles sont un écho fidèle de la voix du Maître. En les fréquentant, l’homo
spiritualis contemporain peut y percevoir un message antique aux résonnances
nouvelles et apporter une réponse originale, inédite. Toutes les réponses n’ont
pas encore été données à la Parole de Jésus. À l’instar de la culture grecque, au
premier siècle de notre ère, la culture séculière est appelée à formuler sa propre
réponse bien à elle.162
Bergeron poussera plus loin la réflexion amorcée dans ce livre sur trois aspects
centraux de cette remise en question : le pluralisme religieux, le cas Jésus dans un tel
contexte et le couple comme nouveau lieu spirituel, en réaction à une démarche
individuelle conventionnelle. Chaque aspect fera l’objet d’une étude particulière de la
part de Bergeron et sera publié sous forme de livres.
Une telle réflexion marque certainement un tournant : après Les Pros de Dieu, Bergeron
devait se donner de nouvelles marques. Son point de départ est sa lecture de l’état
socio-religieux du Québec. Mais, alors que pour la majorité des Québécois, cette
mutation de la société a comme conséquence un lâcher-prise, Bergeron s’emploie à
réinvestir cette même société d’une dimension spirituelle dans l’espérance probable
que cet apport original dans la cité des hommes aide à redéfinir une nouvelle cité de
Dieu, plus acceptable que le modèle ancien. Or, cette invitation à la reconstruction n’a
pas eu de suite. Délaissant même la spiritualité à la carte, la plupart des Québécois sont
restés fidèles aux rites associés à la religion traditionnelle (naissance, mariage et mort)
tout en se désintéressant d’une pratique en lien avec cette affiliation religieuse. Il n’est
donc pas certain qu’une telle évolution conduise nécessairement à une spiritualité
séculière telle que décrite par Bergeron. Si la reconnaissance des droits et libertés de la
personne a fait consensus au sein de cette société, Il est moins certain que le
développement intégral de la personne soit un souci collectif et, encore moins, que
Jésus soit, pour les Québécois, le modèle incontournable d’un tel développement.
162
66
Ibid., p. 27.
Renaître à la spiritualité a fait l’objet d’appréciations diverses. On soulignera d’emblée
qu’il s’agit d’un «nouvel éclairage» qui permet de mieux comprendre la spiritualité sans
que ce livre aide à mieux la vivre163.
Un texte critique de Marc Renault164, ancien Franciscain lui-même, fera certaines
réserves selon deux différents points de vue, philosophique et théologique. D’abord,
rejoignant en cela ce que nous avons affirmé à l’effet que Bergeron a un parcours
similaire à celui de Newman, Renault fait état d’une anthropologie bergeronnienne qui
est une «décantation réflexive d’une existence qui a précédé l’effort discursif». Si tel
avait été le cas, Bergeron aurait dû mieux argumenter certaines affirmations. À titre
d’exemple, sa définition de l’humain, sur laquelle pourtant il prend appui, ne peut être
que provisoire, car elle ne saurait être une «nature humaine». En fait, l’astuce de
Bergeron réside dans sa notion d’humanum : une notion confuse165 qui joue à la fois sur
la nature et l’essence du sujet166. Cela peut s’expliquer par le fait que, passant d’une
anthropologie néo-scolastique à la phénoménologie, il emprunte à l’une et à l’autre ce
dont il a besoin aux fins de sa démonstration. Il fait ainsi l’économie d’une position
complètement phénoménologique, laquelle supposerait de se prononcer sur des enjeux
qui pourraient compromettre cette même démonstration. Ainsi, Renault constate que
Bergeron présente un discours anthropologique sur un mode phénoménologique qui va
se muer en ontologie (cette prise en compte de cette fameuse essence ou nature qui
émerge de l’expérience). L’effort discursif est ici miné par la question existentielle. En
fait, Bergeron aurait pu juger non pertinent un tel effort en l’absence de la question
existentielle.
En lien avec cette critique de Renault, rappelons que, pour Bergeron, la «nature
humaine est divine dans son fondement» et que, par conséquent, une démarche vers
soi est une démarche vers Dieu. Trouver ainsi les sources de la religion en soi permet le
dialogue avec l’extérieur. Par ailleurs, la définition même de la spiritualité pose
également problème : est-ce un simple travail de soi sur soi ou est-ce l’intégration
163
Sophie Tremblay, «Le livre du mois : Richard Bergeron, Renaître à la spiritualité, Montréal, Fides, 2002,
sur le site web Spiritualité 2000, webzine tenu par les dominicains (consulté le 24 septembre 2014).
164
Marc Renault, «Réactions au livre de Richard Bergeron, Renaître à la spiritualité, Montréal, Fides,
2002,» dans la section Textes critiques sur le site web du réseau Culture et Foi (consulté le 24 septembre
2014). M. Renault, formé en théologie et en philosophie, a enseigné à l’Université du Québec à TroisRivières et dans plusieurs collèges. Il a publié notamment La liberté confisquée. Essai sur le cléricalisme
(Montréal, l’Hexagone, 2000). Ce livre revisite en profondeur la notion de liberté chrétienne. On
comprend dès lors son intérêt pour les travaux de Bergeron, d’autant plus qu’ils ont dû se côtoyer au sein
de la communauté franciscaine.
165
Voir sur la question des notions confuses : Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca, Traité de
l’argumentation. La nouvelle rhétorique, Éditions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1976, p. 176-178.
166
Renault écrit : «Ce concept ne fonctionne pas comme sujet logique d’attribution mais comme
connaissance de la substance, et même de la substance en son existence même» (voir note 144).
67
d’éléments qui ne sont pas d’origine humaine? Pour reprendre cette question en termes
théologiques, comme le fait Renault, Bergeron privilégie le sujet ascendant alors que la
foi peut aussi être ouverture à une anthropologie descendante (ce qui peut être
représenté ici par l’Incarnation) qui, par la suite, «se coule» dans le mouvement
ascendant. Cette dernière difficulté sera reprise dans les derniers livres de Bergeron qui
se veulent un effort d’appropriation dirigé vers le religieux institutionnel, malgré la
rupture.
Pierre Pelletier167 soutiendra que Bergeron ne fait que reprendre la thèse de SaintThomas voulant que tout être humain a un élan naturel de voir Dieu lorsqu’il propose
une spiritualité universelle pour le troisième millénaire dont l’assise est la «nature»
même de l’être humain. D’après Pelletier, le fondement sur lequel s’appuie cette
assertion est fort semblable168 à celui de Thomas d’Aquin et cela indique une proximité
de pensée avec la théologie classique, dont Bergeron n’a peut-être pas tout à fait
conscience.
Deux constats s’imposent. D’abord, l’auditoire auquel s’adresse Bergeron dans ce livre
change radicalement par rapport aux publications précédentes : il ne s’adresse plus à un
auditoire spécialisé, «chrétien», mais plutôt à un auditoire universel169, l’homo
spiritualis, plus à même de cheminer à l’intérieur de ce parcours. Ce changement n’est
pas anodin, il permet d’écarter du cadre référentiel, certaines opinions qui pourraient
s’opposer à l’argumentaire : Bergeron, en s’adressant à un nouvel auditoire, peut ainsi
«transcender les quelques oppositions dont il a conscience». Du coup, l’auditoire
spécialisé est moins concerné par les avancées de Bergeron. Ensuite, la question
centrale de l’humanum, cette nature/essence qui permet d’objectiver certaines
données de l’être humain dans un monde qui affirme toute connaissance comme étant
subjective, réintroduit, certes en la balisant, la pierre d’assise nécessaire à la
reconstruction du vivre-ensemble la spiritualité (la religion). Bergeron fait appel à
l’expérience de chaque être humain pour en assurer le fondement, ce qui rend le tout
facilement contestable.
La lecture phénoménologique fait émerger ici la tendance de Bergeron à objectiver sa
démarche, malgré la prise en compte affirmée de la subjectivité. Ce qui pourrait être
une étape normale dans tout travail intellectuel devient plutôt une pierre angulaire. En
effet, une telle objectivation cherche à donner une substance permanente à ce qui n’a
qu’une existence évanescente selon la modernité ou à justifier ce qui pourrait
167
Pierre Pelletier, «Richard Bergeron sort de ses gonds» dans Présence 21, octobre 2003, p. 33-34.
Thomas d’Aquin, Somme théologique, partie 1, 4.
169
Sur les différentes sortes d’auditoire et leurs impacts dans l’argumentation, voir Perelman et
Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation…, p. 40-46. La citation plus bas est tirée de la page 43.
168
68
apparaître comme un choix personnel. Ce retour à la nécessité de l’objectivité est le
cinquième moment de cette lecture phénoménologique.
2.3.1.2 Hors de l’Église, plein de salut (2004)
Être spirituel, c’est être libre.170
Avant de proposer un nouvel objectif de vie avec une affirmation aussi forte que celle
qui servira de titre au livre et qui prend le contre-pied de l’adage bien connu, encore
faut-il bien comprendre d’où viennent cette institution et les différents changements
subis au cours des siècles. Bergeron s’emploiera donc dans ce nouveau livre à cerner ce
qui est accessoire par rapport ce qui est à l’origine même de l’Église. Le but recherché
est de voir comment ce noyau dur de l’origine peut se concilier avec les défis de l’Église
dans notre monde contemporain. C’est pourquoi le livre, de plus de 200 pages, est
divisé en trois parties : la première partie s’intéresse aux origines de la spiritualité
chrétienne, la deuxième partie porte sur la spiritualité chrétienne en contexte pluraliste
et la troisième partie appelle une théologie, absente actuellement, qui puisse en rendre
compte.
Bergeron commence donc par tracer à grands traits le début du christianisme ainsi que
son évolution. Nous l’y suivrons afin de mieux saisir l’ouverture au pluralisme religieux
qu’il pouvait y avoir à la naissance de cette religion.
Le christianisme, c’est avant tout un mouvement prophético-apocalyptique qui a pris
naissance au sein du judaïsme socioculturel et religieux. Ce mouvement qui s’inscrit
dans la tradition prophétique de la religion d’Israël, est dynamisé par un esprit de liberté
et de libération face aux structures et conventions qui ont cours alors. Ceux qu’on
désignait déjà à Antioche comme des «spirituels chrétiens»171, d’après ce qu’affirme
Bergeron, ont été perçus très vite comme une menace à l’intégrité de la foi juive.
L’expulsion de ces spirituels chrétiens des lieux d’expression de la foi juive les forcera à
se donner une nouvelle forme religieuse adaptée au dynamisme nouveau dont ils font
preuve. Ils le feront en empruntant certains traits à des structures existantes tout en se
les réappropriant : ainsi, on s’inspire du système philosophique de Platon; on
170
Richard Bergeron, Hors de l’Église, plein de salut. Pour une théologie dialogale et une spiritualité
interreligieuse, Montréal, Médiaspaul, 2004, p. 7. Nous citons ici la première ligne de la préface du livre
écrite par Fabrice Blée.
171
Cette appellation, déjà utilisée dans le livre précédent, est présentée ici par Bergeron comme étant un
fait établi alors que ce n’est pas le cas, si l’on consulte différentes traductions de la Bible. Bergeron
semble donc forcer le texte ou, du moins, le réinterpréter.
69
réinterprète les fêtes rituelles romaines; on s’adonne aux pratiques du stoïcisme et on
réfère pour certaines interprétations de ce nouveau courant religieux à celles d’autres
religions existantes, tout en voulant être le plus possible fidèle à l’intuition première,
aux différents éléments fondateurs. La spiritualité chrétienne se développe donc sur la
place publique en contact avec le terreau juif et la culture païenne.
Se reconnaissant comme descendants d’Abraham, les spirituels chrétiens forment le
nouvel Israël dont la pierre d’assise est l’agapè. Jésus en a fait son mode de vie :
À côté de l’éros qui est un amour de convoitise et de la philia qui est un amour
d’amitié, il y a l’agapè. Cet amour de charité et de bienveillance qui ignore son
intérêt se traduit par la désappropriation et le détachement; il prend la forme de
l’accueil inconditionnel et du service des affligés et se fait contestation des
structures aliénantes et provocation des défenseurs de tout ce qui s’érige contre
l’humain. L’agapè est un amour qui exclut l’idée de retour, de gratification et de
mérite.
Cette distinction (éros, philia, agapè), qui nous permet de voir dans l’agapè une
forme d’amour spécifique, est utile, mais reste insuffisante. Il faut encore
compléter en distinguant deux formes d’agapè : l’amour du prochain et l’amour
du lointain.172
Ce nouvel Israël qui pratique l’agapè, n’est pas rattaché à une nation particulière.
Ouvert à tous, il se caractérise par l’amour du prochain de même que par l’amour du
lointain (de l’Autre). Il propose un engagement non violent contre l’oppression et envers
la justice par une option préférentielle envers les démunis et les pauvres. Ce
mouvement et ses effets collatéraux prennent racine dans l’expérience concrète d’un
Dieu que l’on désigne comme Père en raison même de cette sorte particulière d’amour.
Jésus a témoigné de cela.
Par ailleurs, outre ce fondement commun, même en ses débuts, la connaissance établie
de l’identité véritable de Jésus varie selon les premières communautés qui en font
mémoire. Pour la communauté galiléenne, il est un prophète. Pour la communauté
jérusalémite, il est ressuscité et en attente d’un retour. Cette communauté prend des
repas en commun en souvenir de Jésus. La communauté judéo-hellénique mettra
l’accent sur la charité fraternelle qui découle de l’amour du prochain à la manière de
Jésus et du lointain dont, là aussi, comme Jésus, elle doit se faire proche. Malgré les
différences, des traits originaux rassemblent ces communautés, entre autres : la
communion avec la passion de Jésus, l’importance de l’Esprit promis et donné qui
172
70
Ibid., p. 24.
confère la filiation et la liberté aux membres ainsi que la promesse d’un Royaume à
venir ou celle d’un Royaume réalisé dès aujourd’hui dans le cœur des chrétiens
spirituels. Ni Juifs, ni Grecs, ceux-ci se considèreront comme le nouveau peuple élu173.
Cette foi nouvelle passera le test d’une rationalité minimale cohérente avec le
développement de l’humain. En effet, il existe une convergence de vues entre les appels
à l’agapè de Jésus et les exigences d’une raison universelle telles que formulées par le
stoïcisme. On propose même que la théologie naturelle des grandes philosophies trouve
son achèvement dans le christianisme : le verbe-logos déjà présent avant l’apparition de
Jésus offrait auparavant une explication valable, mais partielle.
La rencontre avec la romanité sera plus difficile parce que la religion est une affaire
d’État pour l’Empire : «toute l’organisation religieuse vise à mettre la cité et les individus
en accord avec les volontés divines »174. Or, malgré une tolérance envers toutes les
religions, il fallait pour s’assurer de cet accord que tous les citoyens sacrifient
minimalement pour la fortune de Rome et pour César, ce que les chrétiens refuseront.
Nous connaissons la suite.
Bref, la religion chrétienne fait beaucoup d’emprunts à ce qui est son environnement,
notamment dans l’univers religieux du moment qu’est le paganisme. Bergeron cite ici
Newman qui énumère l’idée de trinité, le baptême, les rites sacrificiels, la doctrine du
logos, l’incarnation, l’ordre sacerdotal, la vertu sacramentelle, l’idée d’une nouvelle
naissance, Noël, les anges, l’obligation du célibat, etc. C’est pourquoi, selon Newman, il
faudrait parler du caractère divin du paganisme, celui-ci exprimant certains aspects de la
vérité révélée. Bergeron inverse la perspective : tous ces éléments sont païens et la
religion chrétienne les a récupérés en les transformant pour son bénéfice :
Ainsi donc, le mouvement spirituel chrétien, au contact de la romanité, a pris la
forme d’une religion; il s’est fabriqué un système religieux original, adapté à son
genre et capable de servir de lieu d’inscription de la spiritualité chrétienne. La
religion chrétienne offrait un cadre institutionnel, doctrinal, moral et cultuel apte
à encadrer la vie spirituelle des chrétiens, à la protéger contre les dérapages
illuministes et gnostico-ésotériques, à lui assurer une place dans l’espace public
et à garantir la fidélité à la tradition d’interprétation.175
En fait, la rencontre avec le politique sera déterminante et structurante pour le
développement du christianisme. Devenu religion officielle au IVe siècle, le christianisme
173
Nous résumons ici les pages 25 à 50.
Ibid., p. 59.
175
Ibid., p. 62.
174
71
s’est intégré au pouvoir politique et il unifie l’empire romain. D’ailleurs, les premiers
conciles sont convoqués pour la plupart par les empereurs afin de mettre un terme à
des querelles qui menaçaient cette unité. L’effet en retour sera d’arriver à une
formulation dogmatique décrétée par l’autorité qui entraîne la condamnation ou la
disparition des autres formulations qui permettaient une certaine diversité dans
l’expression de cette foi chrétienne. La religion chrétienne deviendra ainsi une
institution sociopolitique fortement arrimée au code juridique romain. Un tel statut
générera l’exclusivité et, par voie de conséquence, l’intolérance176. Cette perspective
culminera avec le dogme de l’absoluité exigeant la soumission au pape, les autres
religions n’ayant plus droit de cité :
L’interprétation totalitariste du «Hors de l’Église, point de salut» prétend se
fonder sur certains textes de l’Écriture (Mt 28, 18-20; Jn 6, 53; Ac 4,2), sur des
raisons de cohérence théologique et sur la distinction radicale, voire l’opposition,
entre la foi chrétienne qui est un don de Dieu et la croyance religieuse qui est un
acte de l’homme. À mon avis, elle découle bien davantage d’une connaissance
imparfaite sinon caricaturale des autres religions, qui étaient considérées, au
mieux, comme de vaines recherches de Dieu et, au pire, comme des
contrefaçons de la vérité ou des entreprises magiques, idolâtriques et
sataniques.177
On comprendra, avec une telle attitude, une fermeture systématique au dialogue de la
part de l’Église jusqu’à Vatican II, même si certains spirituels faisaient montre
d’ouverture :
Aussi longtemps qu’ont perduré le régime de chrétienté et la domination de la
civilisation occidentale, seule était possible une spiritualité catholique de type
anti-dialogal et exclusiviste. Les énoncés dogmatiques, les grands principes
christologiques et ecclésiologiques posaient un absolu exclusif qui ne laissait
guère de place à d’autres modèles de spiritualité. De surcroît, les pays de
chrétienté constituaient un milieu uniforme et homogène dominé par la religion
catholique ou protestante qui imposait le sens, définissait les valeurs et dictait la
conduite. Pas de place pour la différence religieuse et spirituelle. Pas de place
pour le pluralisme à l’intérieur d’une même aire géopolitique. Une spiritualité
exclusiviste cadrait bien avec ce milieu uniforme et religieusement homogène.178
176
Ibid., p. 64.
Ibid., p. 68.
178
Ibid., p. 72.
177
72
Afin de pouvoir accueillir les autres religions au sein de sa culture et de leur donner une
place, Bergeron propose qu’on ne parle plus des religions comme des voies de
libération, mais plutôt comme des lieux qui proposent, favorisent et encadrent ces
voies. Ce qui permet de mieux distinguer le médium du message179. Cette distinction
serait capitale pour favoriser la rencontre des religions et les échanges entre elles.
Bergeron présente ici la rencontre avec la politique romaine et le mouvement spirituel
chrétien comme ayant été une perte pour ce dernier : le courant spirituel se muant dès
lors en mouvement totalitaire arrimé sur le modèle existant à Rome. Cette opposition,
qui demanderait à tout le moins certaines nuances, va structurer l’argumentation de
l’auteur : d’une spiritualité qui était souple, le catholicisme est devenu une religion
contraignante, bloquée à tout pluralisme.
Or, selon Bergeron, dans l’espace public, force est de constater que l’existence même
d’une pluralité religieuse amène à l’acceptation du pluralisme religieux. Ce pluralisme
suppose la cohabitation pacifique des religions et leur droit d’exister socialement. De
fait, on ne peut pas affirmer la supériorité juridique de l’une par rapport à l’autre dans
un tel contexte. Ce constat neutralise en quelque sorte la double prétention que peut
avoir une religion à la vérité et au statut particulier, d’où la reconnaissance de la liberté
civile en matière religieuse.
Selon Bergeron, le pluralisme fait écho à la pluralité que l’on retrouve dans la nature et
dans l’humanité. Il est «inscrit dans la destinée historique de l’être humain» 180. Or, nous
percevons le pluralisme comme un mal et nous voulons faire l’unité. Il faut y arriver sans
renier la pluralité en s’ouvrant à la possibilité d’un «pluralisme unitif». Il s’agit d’adopter
une nouvelle compréhension de ce que nous entendons par unité religieuse. C’est dans
la dimension de profondeur de chacune des religions que l’on peut refaire l’unité. Cette
compréhension exige toutefois l’ouverture au dialogue et un attachement non exclusif à
sa propre religion. Cela change considérablement la perspective d’une telle quête : on
passe de la catholicité occidentale à une mondialité chrétienne en devenir. Cette
mondialité doit éviter cependant les deux écueils que sont l’inculturation et le
syncrétisme religieux, ce dernier écueil étant déjà évoqué dans Le cortège des fous de
Dieu.
Toute religion est porteuse d’une vision totalisante pour une culture donnée. Afin
d’entrer en dialogue, elle doit dépasser cette vision en acceptant son historicité afin de
179
Ibid., p. 83. La liste des voies de libération selon Bergeron : l’amour, la connaissance (gnose), la
conscience, le service des pauvres et l’engagement sociohistorique, la dévotion, l’éthique et l’union avec
le cosmos.
180
Ibid., p. 89.
73
la dissocier de sa forme actuelle pour s’en tenir au lieu de l’expérience spirituelle : cela
pourrait être la base de véritables échanges. Car Bergeron se pose ici une question clé :
…Le dialogue entre des conceptions totalisantes et universalistes est-il possible?
Je parle d’un dialogue qui ne soit pas un banal échange d’opinions où l’on tait
soigneusement ce qui est essentiel et obligatoire pour les uns et pour les autres,
d’un dialogue qui renonce à la volonté de puissance et au désir de convertir
l’autre. N’est-ce pas là exiger ce qui est contraire à l’essence même d’une
conception religieuse qui se pose toujours comme absolue et universelle? Le
dialogue est-il voué à l’échec? Ou bien faut-il que les religions renoncent à leur
prétention de posséder une vérité universellement valable?181
Qu’advient-il alors de l’identité chrétienne? Cette entreprise demande de remonter aux
origines, de découvrir ou d’accepter de nouvelles filiations, d’enrichir cette identité.
Cette entreprise relativise à coup sûr cette identité, mais elle est porteuse d’avenir
parce qu’elle oblige à se donner une nouvelle cohérence en lien avec la reconnaissance
de ce pluralisme.
Dès 1976, Bergeron s’est ouvert au pluralisme religieux en lien avec la recherche
entreprise sur les nouvelles religions. Il lui a fallu vivre au risque de ce pluralisme et
redéfinir sa foi dans ce nouvel horizon :
J’ai acquis la conviction que la spiritualité populaire proposée par le système
catholique ne peut plus fonctionner, car elle est en complet décalage avec la
culture séculière et pluraliste. Par ailleurs, les grandes spiritualités chrétiennes
dont se nourrissent les communautés dites religieuses ne deviendront porteuses
d’avenir que si elles se soumettent à un difficile et périlleux processus
d’adaptation, d’inculturation et d’interprétation. De toute façon, un grand
nombre de chrétiens cherchent de nouvelles sources spirituelles hors frontières
et les jeunes ne sont plus attirés par les communautés religieuses traditionnelles.
Faut-il dès lors revenir à la spiritualité primitive, antérieure aux
formulations dogmatiques et au christianisme impérial? Ces modèles judéochrétien et pagano-chrétien de spiritualité étaient adaptés à leur milieu culturel
respectif. Il serait mal avisé d’effectuer un simple retour en arrière. Certes, le
ressourcement biblique et patristique du siècle dernier a permis de revivifier la
spiritualité chrétienne. Mais on ne peut retourner aux spiritualités judéo-paganochrétiennes comme à des modèles normatifs absolus. Il faut se garder
d’absolutiser quelque moment de l’histoire en l’arrachant à sa relativité
181
74
Ibid., p. 103.
historique et en le posant hors de l’espace-temps, comme s’il était capable de se
tenir en lui-même d’une manière transhistorique, transculturelle et
transfrontalière.182
Le retour aux sources du christianisme afin de contourner la difficulté du pluralisme ne
semble donc pas une solution, car on absolutise, on idéalise, le moment fondateur alors
que tout cela exigerait d’être contextualisé183. Dès lors, que serait une spiritualité
chrétienne pluraliste? Elle serait fondée sur l’agapè, sur la considération avec laquelle
on doit se comporter envers l’autre dans sa propre vie, un peu à la manière d’en traiter
qu’ont Martin Buber et Emmanuel Lévinas184 :
Les travaux de Buber et Lévinas ont analysé la radicale altérité de l’autre, c’est-àdire son irréductible différence, mais aussi sa capacité relationnelle spécifique
par laquelle il nous confronte, nous interpelle et nous révèle à nous-mêmes.
L’autre est donc important pour mon propre advenir en humanité.
Richard Bergeron en conclut que le chrétien doit accepter l’autre même dans son
altérité religieuse. Cette acceptation exige qu’il fasse du Dieu-Père, fondement de sa
liberté, le Père de toute l’humanité. Une telle perspective oblige à la tolérance et à la
sympathie. Même si elle doit être limitée par la dangerosité effective d’une religion
pour le bien commun, la tolérance ramène aux principes fondateurs que sont la
révélation, l’inspiration et la Parole de Dieu pour chacune des religions. Ce qui suppose,
bien sûr, de s’entendre sur une méthode exégétique qui puisse être acceptée de tous.
Quant à la sympathie, elle conduit au dialogue intérieur ou plutôt au «trialogue» : les
deux religions qui se rencontrent et une entité qui reste cachée, mais qui peut recevoir
le nom de Dieu. L’effet d’une véritable rencontre entre religions peut inciter à intégrer
certains éléments de l’autre système, à reconfigurer sa propre pratique spirituelle et à
partager l’expérience religieuse de l’autre, au point de vivre une double appartenance.
Une nouvelle alliance des religions devient alors possible.
Par contre, il faudrait accepter que le livre où Dieu parle aux chrétiens soit un livre parmi
d’autres, qu’il ne faut pas s’en tenir à la simple lettre du texte. Même si le Livre
détermine la spiritualité d’une personne, les autres Livres peuvent l’enrichir. On
comprend qu’une telle compréhension aille à l’encontre des positions dogmatiques de
l’Église actuelle où Jésus est donné comme l’Absolu de la vie et la Bible, comme l’unique
182
Ibid., p. 117.
Voir à ce propos la conférence inaugurale d’André Couture prononcée à l’automne 2013 devant les
professeurs et les étudiants de la faculté de théologie de l’Université Laval : «Le syncrétisme, ou la
revendication d’une religion pure de tout amalgame». Cette question d’une origine fantasmée y est
soulevée.
184
Ibid., p. 121.
183
75
Parole de Dieu; il n’y a plus d’absoluité, d’unicité ou d’exclusivisme pour l’Église qui
tienne :
Point de salut en dehors du Christ et de l’Église. Tel est, dépouillé des subtilités
théologiques, le dogme de l’absoluité du christianisme. En dehors de l’Église,
principalement de l’Église catholique, y a-t-il encore place pour une autre
institution religieuse, chrétienne ou non, qui soit porteuse de salut? Quand on
occupe tout l’espace, les autres sont refoulés dans un non-lieu. L’affirmation de
l’absoluité catholique n’implique-t-elle pas la négation de l’autre, le refus de le
reconnaître dans sa différence et, tout simplement, le déni de son droit
d’exister?185
Ainsi, ce n’est pas tant dans le contenu de la foi que le bât blesse, mais dans
l’interprétation qui en a été faite : elle ne fait aucune place aux autres religions, ni ne
prend en compte le fait de la conscience historique et, encore moins, n’assume une
conscience mondiale. Refuser l’interprétation traditionnelle n’implique pas une perte de
la foi. Le chrétien doit cependant se doter des structures dialogales qui lui permettront
de reconnaître l’autre, l’égalité entre les croyants, la validité des religions et le respect
de leurs différentes expressions. Or, le devoir d’adhésion à l’interprétation traditionnelle
viole la liberté de conscience et contredit la liberté fondamentale qu’exige la foi. C’est
pourquoi l’obéissance aveugle au magistère doit être proscrite au profit d’une attention
respectueuse à ce que celui-ci propose. Cette même circonspection est aussi valable
pour les autres religions en dialogue avec le christianisme : rien ne doit entraver le
dialogue.
Bergeron suggère qu’une théologie interreligieuse, qui donnerait un cadre à cette
nouvelle réalité, pourrait être une voie pertinente. Toutefois, si cela était, son statut
épistémologique serait incertain. Une telle théologie devrait pouvoir accueillir les autres
religions, même les nouvelles, malgré la fermeture habituelle au dialogue qui prévaut à
leur naissance.
L’exclusivisme chrétien n’a donc plus la cote et ne peut plus être prôné. D’autant que,
même s’il y a eu des interprétations plus souples,
L’adage «Hors de l’Église, point de salut» suscite un grand malaise. Il est clair que
le concile de Florence et, après lui, le magistère ecclésiastique ont donné un sens
obvie et littéral à l’axiome classique : hors des limites spatio-temporelles de
l’Église catholique et hors de la soumission au pape, il n’y a pas de salut. Le sens
était on ne peut plus clair, mais l’interprétation traditionnelle étant devenue
185
76
Ibid., p. 151.
gênante, on a ouvert progressivement le sens de l’axiome et on lui a fait dire
exactement le contraire de ce qu’il énonce.186
Une interprétation nouvelle de cet adage est de soutenir que ce n’est pas de l’Église,
mais plutôt du Christ que dépend notre salut. Or, Jésus n’est pas venu accomplir toutes
les religions. S’il en était ainsi, les autres religions pourraient avoir cette même
prétention à propos de leur fondateur.
On pourrait également mettre de l’avant la complémentarité des religions en acceptant
qu’il y a plus de vérité en les additionnant que dans une seule pour parler de Jésus ou de
Dieu. Toutefois, cela n’est pas possible, car certaines religions ne sont pas théistes.
En fait, afin de pouvoir considérer le phénomène des religions dans sa totalité, il faut
quitter le point de vue de Dieu pour adopter le point de vue de l’humain. La perspective
anthropocentrique permet même de se donner un critère pour les juger ou, du moins,
les analyser : la réalisation de l’humain intégral. Si la religion favorise la réalisation de
l’humain, on peut en parler dans l’absolu, à la condition que ce terme ait une
connotation analogique et relationnelle. De fait, l’analogie est un mode de connaissance
à privilégier dans la connaissance de Dieu, certes, mais aussi dans l’appréhension des
religions, car elle peut faire cohabiter les contraires sans qu’ils s’excluent mutuellement.
Bergeron souhaite établir la distance entre ce qu’était l’Église en ses débuts et ce qu’elle
est devenue : les multiples emprunts faits au cours du temps aux autres religions, au
cadre politique et à la philosophie, font écran et ne permettent pas au chrétien d’aller
véritablement à la rencontre des autres religions. Bergeron tente ici de cerner les
éléments fondamentaux du Jésus des origines qui permettraient peut-être une telle
ouverture et d’en arriver à un partage réel pouvant aller jusqu’à permettre l’intégration
de certains éléments d’autres religions. Selon Bergeron, cette remontée à l’origine ne
doit pas être absolutisée pour autant, car tout n’est pas à rejeter dans le
développement qu’a connu l’institution. Cette nuance a son importance dans le
parcours réflexif de Bergeron.
Et Jésus dans tout cela?187 Il serait un médiateur auprès de l’absolu. Son message est
destiné à toutes les nations même s’il faut l’adapter aux différentes cultures afin de
comprendre comment il incarne le meilleur de l’Humanum et comment il appelle à
réaliser ce meilleur.
186
Ibid., p. 168. Bergeron associe l’interprétation de son époque comme étant l’interprétation
«traditionnelle».
187
Ibid., p. 221.
77
À l’issue de la lecture de ce livre, il devient clair que, pour Bergeron, la notion
d’humanum apparaît comme le pivot central du dialogue entre les religions. Or, la
réalisation de l’humain intégral, qui passe par la reconnaissance d’une essence divine
dans l’être humain, demande à être explicitée. On devine que cette réalisation rejoint la
conception humaniste laïque (séculière) du développement humain. Toutefois, on peut
se demander si une telle conception n’est pas, elle-même, un héritage judéo-chrétien?
Le critère de jugement s’en trouve alors biaisé, étant associé à une conception
provenant d’une culture particulière.
Ce livre de Bergeron recevra des échos plutôt positifs. Ainsi, dans un compte rendu,
Francis Brassard juge que ce livre est «un plaidoyer en faveur d’un retour à une attitude
religieuse qui a bien servi les premiers chrétiens»188. Cela pourrait se faire par une
théologie dialogique telle que préconisée par Bergeron, mais une question demeure
pour Brassard : cette «fossilisation» qu’a connue l’Église est-elle, somme toute, un
appauvrissement ou une maturation? Cette question ouvre sur deux perspectives
différentes en ce qui a trait à l’Église-Institution. Or, la dernière perspective n’a pas été
considérée par Bergeron.
De même, dans un autre compte rendu, Yvon Théroux en tire la conclusion suivante :
Richard Bergeron interpelle toutes les personnes de bonne volonté et répond à
certaines questions. L’expérience spirituelle est le noyau essentiel de toutes les
traditions religieuses. Mais quand l’institution — de n’importe laquelle des
traditions religieuses — risque de banaliser ce noyau, c’est peut-être le
symptôme d’une trahison mortifère. Et chez les chrétiens, il est sans nul doute
extrêmement difficile de devoir assumer la mort pour refaire l’expérience de la
résurrection. D’autant que la résurrection est surtout affaire d’espérance.189
Théroux va même plus loin dans cette réflexion :
Si la mort annoncée et imminente d’un catholicisme perçu, dans sa forme
externe, comme désuet et obsolète doit en même temps laisser entrevoir de
nouveaux surgeons, les filons dégagés par Richard Bergeron devraient présager
d’un renouveau sans pareil.
Si dans ce livre, Bergeron prend le large en rapport à son adhésion à l’Église-institution,
il continue d’accorder une place prééminente au médiateur Jésus et il s’en expliquera
188
Francis Brassard, compte rendu de Richard Bergeron, Hors de l’Église, plein de salut!, Montréal,
Médispaul, 2004, dans Religiologiques, no 31, p. 243-246. La citation est tirée de la page 246.
189
Yvon R. Théroux, compte rendu de Richard Bergeron, Hors de l’Église Plein de salut, Montréal,
Médiaspaul, 2004, dans Religiologiques, no 31, p. 246-251. Les citations sont tirées de la page 251.
78
longuement dans son prochain livre. De fait, Hors de l’Église, plein de salut est une
transition dans le parcours réflexif de Bergeron. Plutôt que de s’en tenir à ce que l’Église
affirme de Jésus, Bergeron idéalise le Jésus des origines, le spiritualise, afin de le rendre
cohérent avec sa présentation du spirituel qu’il oppose à la religion conventionnelle. Il
propose de cette manière un nouveau cadre de référence. L’élaboration de ce cadre de
référence devient le sixième moment identifié par notre lecture phénoménologique.
79
2.3.2 L’effort d’intégration
Aussi longtemps qu’on est en route, étranger à soi-même et loin de sa
propre humanité, il est téméraire de faire l’économie de magistères
extérieurs. Aussi longtemps que l’on demeure sous la gouverne du «petit
moi», on ne peut se dispenser d’indications objectives qui pointent vers le
but et dirigent les pas vers la terre promise. Il n’y a que chez le spirituel
accompli que s’accomplit la syntonisation parfaite de la voix subjective et
de la voix du Maître intérieur.190
La rupture de Bergeron avec l’Église-institution est consommée depuis la publication des
Pros de Dieu. Par la suite, il tente de discerner ce qu’il faut retenir comme l’essence de
l’enseignement de l’Église afin de la reconstruire. Toutefois, en attendant que cet
élagage soit terminé, Bergeron reconnaît la nécessité de se référer à cette Église pour ne
pas se perdre dans les dédales d’un cheminement spirituel. À cet égard, Jésus demeure
pour lui un modèle de référence. Un tel effort d’intégration se veut un recentrement
annonçant le prélude d’une réappropriation qui fera de Bergeron, ce nouveau lointain,
un proche de l’Église. Autant Bergeron cherchait auparavant à modifier une Église
instituée par Jésus, à laquelle il adhérait aveuglément, autant maintenant, à partir de la
redécouverte de son intériorité, il cherche à modifier le modèle de référence afin de
rendre cohérente sa démarche.
2.3.2.1 Et pourquoi pas Jésus? (2009)
Quant à moi, je cherche, comme tant d’autres, un type de référence à
Jésus qui soit délesté, en partie du moins, de son cadre religieux et qui
prenne sérieusement en compte les requêtes de la sécularité et de la
pluralité culturelle et spirituelle.191
Ainsi, alors que la démarche entreprise par Bergeron aurait dû tout naturellement le
conduire à s’exclure de l’Église de même que de son magistère, Bergeron opère
désormais un retour à Jésus. Il réaffirme haut et fort son lieu d’appartenance. Bien sûr, il
s’agit de dépasser la représentation traditionnelle qui en est faite, également de
reconnaître l’empreinte qu’un tel passage a laissé dans notre civilisation :
La fidélité à Jésus ne peut s’inscrire que dans ce processus de dépassement. À
mesure qu’on franchit les âges de la vie et qu’on affronte luttes et blessures, on
est appelé à revoir son appartenance à Jésus. Cette appartenance ne désigne pas
190
191
80
Bergeron, La vie à tout prix! …, p. 178.
Richard Bergeron, Et pourquoi pas Jésus?, Novalis/Médiaspaul, Montréal, 2009, p. 108.
seulement que j’appartiens à Jésus, mais qu’il m’appartient, non seulement que
je suis à lui et pour lui, mais qu’il est à moi et pour moi. Une appartenance
mutuelle ouverte à tous et non une possession exclusiviste.
De plus, quittant la sphère subjective et regardant l’histoire occidentale, je
constate que la référence à Jésus a été d’une fécondité extraordinaire. De Jésus
est sorti un souffle impétueux et créateur qui a détruit les idoles, fécondé les
cultures, créé une civilisation avec ses œuvres d’art, son patrimoine culturel, sa
raison philosophique et ses inventions. Je continue à me référer prioritairement
à celui qui a été l’initiateur de cet immense mouvement créateur d’humanité.192
Pourquoi encore se référer à ce Jésus? On ne peut s’empêcher de constater le désir de
Bergeron de refaire Église à partir du Jésus des origines : un «christianisme idéal» qui
serait source d’inspiration, mais aussi étalon dans le jugement à porter en ce domaine et
qui sort le chrétien qu’il demeure d’une spiritualité de soi à soi. Bergeron se fait ici
archéologue à la recherche d’une nature/essence qui soit un au-delà de la subjectivité.
Comme modèle, Jésus est une source d’inspiration qui a donné un art de vivre singulier
permettant de mieux développer l’humanité des personnes qui l’accueillent. Ce qui
n’est pas le cas de tous les maîtres, ni non plus de tous les arts de vivre que l’on
rencontre. C’est pourquoi il faut baliser la vie de l’être humain en l’ayant comme repère.
Il faut ici suivre le cheminement de Bergeron à l’intérieur de ce livre afin de mieux saisir
le sens précis de cette reformulation de la figure de Jésus et ses conséquences pour sa
conception de l’Église. Et pourquoi pas Jésus, livre de 300 pages, a comme but de
présenter Jésus en dehors de toute structure religieuse, ce que Bergeron fait en deux
parties : la première porte sur le difficile accès à Jésus en dehors de cette structure et la
deuxième, sur le maître Jésus revu et corrigé. De plus, Bergeron fait différents constats
portant sur l’évolution de cette cohabitation de la religion avec la société québécoise.
Toutefois, il n’est pas certain que cette société emprunte le chemin suggéré par
Bergeron dans la redéfinition de son rapport avec la religion.
Selon notre auteur, la figure de Jésus est dans l’ici et le maintenant. Il soutient que cette
figure aide à se départir du mirage qu’entretient le moi à son sujet et elle ramène au
«je», lieu de la singularité et de la subjectivité. La prise de conscience du «je»
permettrait de dépasser le moi égocentrique et narcissique afin d’accomplir l’hommepour-les-autres, au service des autres. Ce dépassement, déjà évoqué dans Hors de
l’Église, plein de salut!, est d’ailleurs le meilleur chemin pour soi-même, libéré de
192
Ibid., p. 22.
81
l’aliénation193. Cette voie ouvre à un face-à-face avec Dieu à partir duquel on peut
évaluer son adhésion à la Parole de Dieu et ses actes en lien avec la sagesse de l’amourAgapè. Bergeron formule de cette manière l’humanité que propose Jésus dans ses
gestes et dans ses paroles :
Dans son aujourd’hui, il aime Dieu de tout son cœur, de toute son âme et toutes
ses forces (le devant-Dieu), et le prochain (le pour-les-autres) comme soi-même
(le pour-soi). Face au maintenant, son amour prend la forme de l’attention (éveil,
vigile, sentiment d’urgence); face à Dieu, il prend la forme de l’obéissance au bon
plaisir divin; face aux autres, il prend celle du service diaconal; et par rapport à
soi-même, il prend la forme de l’écoute kénotique de son «je» profond. Pour
Jésus, s’écouter, c’est être attentif à soi ici et maintenant, servir les autres et
obéir à Dieu. L’unification de son être est parfaitement réussie.194
Jésus redevient alors pour Bergeron un cadre de référence, mais c’est un Jésus qui
oscille entre deux pôles : le «je» et le Jésus de la tradition chrétienne. L’aller-retour
entre ces deux pôles chez l’être humain engendre un processus qui permet une
meilleure connaissance de soi-même. Or, à l’intérieur de la tradition chrétienne, on
imagine Jésus de diverses façons : le Nazaréen, le Jésus de l’histoire, le Jésus-Christ, le
Jésus dogmatique (institutionnel), le Jésus ésotérique, le Jésus politique ou
psychologique, le Jésus qui réalise le modèle spirituel d’une autre religion, le Jésus des
disciples/pierre angulaire d’une association ou encore le Jésus des démunis. Cette
multitude de représentations oblige à reconnaître qu’il faut distinguer entre le Jésus réel
et, celui de l’histoire, le Jésus construit, façonné par des siècles de christianisme.
Une telle entreprise demande de retourner au Jésus de l’histoire et à l’événement
fondateur lui-même ainsi qu’à l’interprétation qu’en ont donné les disciples195. Afin
d’accéder au Jésus réel, Bergeron énumère les quatre exigences suivantes : il faut partir,
bien sûr, des évangiles; avoir recours à la tradition d’interprétation; se donner une
interprétation toute personnelle (quelle signification Jésus a pour moi?); et considérer
Jésus encore vivant, ce qui était au cœur de la foi primitive («Jésus est au milieu de
nous»). Certes, il faut se méfier du dogmatisme dans le recours à l’interprétation et ne
pas se priver d’un regard neuf à partir d’une vision moderne du monde, des cultures et
des autres religions. Cette manière de faire est déstabilisante, car elle demande à
chaque personne de répondre pour elle-même à la question fondamentale de ce
processus : qui est Jésus dans ma vie? Répondre n’est pas sans avoir de conséquences :
193
Ibid., p. 33.
Ibid., p. 37.
195
Ibid., p. 62.
194
82
on le sait, Jésus a été politiquement et religieusement dangereux pour l’ordre établi; il
faut même dire que «l’expérience chrétienne est caractérisée par la référence radicale à
Jésus»196. Pourquoi cette radicalité? Elle est inhérente à l’expérience Jésus. Le récit des
miracles197 dans les Évangiles illustre bien les étapes d’une telle expérience. Lors d’une
situation de détresse, on reconnaît l’autorité de Jésus à pouvoir dénouer cette situation
et l’on fait une démarche subjective pour lui demander de l’aide. Alors quelque chose
d’extraordinaire advient qui donne lieu à l’étonnement et à la louange. Cette expérience
de vie change la personne jusque dans son rapport à la société.
L’expérience de Jésus a fait naître plusieurs façons de s’y référer, ou encore plusieurs
types de référence, qui sont autant de voies d’accès expérimentées par Bergeron,
connues des chrétiens, mais pas nécessairement empruntées par tous. Ainsi, la
dévotion, l’observance des commandements, la contemplation, l’engagement
évangélique (l’action apostolique) ou encore mimétique (l’imitation de Jésus), la
théologie comme raison croyante sont autant de voies auxquelles peuvent être accolés
des noms de grands spirituels de différentes époques. Le parcours de Bergeron
s’appuiera successivement sur deux de ces voies :
J’ai été initié à la référence mimétique dans l’ordre des Frères mineurs qui en a
modelé les exigences selon les goûts et besoins des diverses époques. La
référence mimétique n’arrivait plus, hélas!, à se dire adéquatement à travers des
structures conventuelles qui rendaient l’imitation «matérielle» pratiquement
impossible, la confinaient dans des pratiques internes au cloître et l’encadraient
canoniquement dans des règles juridiques (règle, constitutions, coutumier, etc.)
et la structure des trois vœux. Le principe mimétique se trouvait domestiqué et
rendu «raisonnable». Adaptation oblige. Tout en voulant imiter Jésus et
conformer ma vie à la sienne, je n’ai à peu près pas connu la pauvreté, le
manque d’argent, l’insécurité, l’itinérance, le dénuement, le mépris, la minorité,
ni le lavement des pieds — ni la joie parfaite qu’engendre cette austère
imitation.198
Insidieusement, cet encadrement conventuel souple qui répondait imparfaitement à
l’exigence du mimétisme allait être remplacé chez Bergeron par la voie théologique : «à
mon insu, la référence théologique a supplanté la référence mimétique dans ma
196
Ibid., p. 91.
Ibid., p. 80-90. Bergeron fait remarquer qu’on peut également faire l’expérience de Jésus par les
miracles : la guérison d’aveugles suppose l’accès à la Lumière; de sourds, à la Parole; d’infirmités diverses,
au Relèvement /à la résurrection; d’éléments déchaînés de la nature, à la Transcendance de monde; de la
guérison physique, à la Libération. Autant d’aspects qui sont associés à Jésus.
198
Ibid., p. 101. La citation du paragraphe suivant est tirée de la même page.
197
83
recherche de Jésus». De l’imitation de Jésus, Bergeron passe au savoir sur Dieu. Il
n’intègre pas l’un et l’autre. Ainsi, il délaisse ce qu’on pourrait qualifier de praxis
spirituelle et en fait une question intellectuelle, qui met en abîme cette praxis. Ce sera
après une réappropriation existentielle qu’émergera le besoin d’une nouvelle praxis.
Les voies d’accès à Jésus seront différentes selon qu’elles soient populaires, comme les
deux premières, ou privilégiées, comme les trois dernières, parce qu’elles s’adressent à
une certaine élite en retrait du monde. L’Église a encadré ces voies et les a toutes
traduites en termes religieux aux niveaux juridique et théologique. Or, ce que suggère
Bergeron, c’est de dissocier Jésus de l’Église, les références n’étant pas exclusives à
l’institution199, afin d’en dégager un Jésus séculier, plus en phase avec le monde
moderne.
Bergeron se met donc à la recherche d’une nouvelle façon de se référer à Jésus. Une
telle référence se devra d’être authentique et fidèle au cœur même de son message, à
savoir le caractère normatif de l’événement Jésus et le principe d’exemplarité qui en
découle. En effet, l’homme d’aujourd’hui se veut authentique et veut développer
l’intégralité de son humanité. Il s’agit là d’une vision anthropocentrique. Lorsque cet
homme contemporain expérimente le manque et les difficultés, une prise de conscience
peut se faire qui sert de déclencheur pour une rencontre avec Jésus dans un contexte de
dialogue avec les autres religions, car ces religions font maintenant partie de l’horizon
de sens de chacun de nos contemporains. Ces références à l’autre sont essentielles à
une meilleure compréhension de soi. Dans ce contexte, la vérité religieuse est plurielle
et relationnelle dans une réciprocité asymétrique où Jésus demeure ou devient en
quelque sorte une boussole contre les errements : «en un mot, la référence
préférentielle et prioritaire à Jésus joue le rôle d’aimant contre les égarements, de port
d’attache contre le non-lieu, d’ancre contre les dérives et de point focal contre
l’éparpillement»200. Il est une référence objective dans un monde de subjectivité. Quant
au principe d’exemplarité, où l’on veut ressembler à Jésus, il a été très présent dans le
christianisme sous différentes formes et certaines n’étaient pas des plus heureuses si
l’on pense au pharisaïsme, au littéralisme ou à l’intégrisme pour n’en nommer que
quelques-unes. En situation de chrétienté, l’exemplarité doit être conforme à ce qu’en
pense l’Église sous peine d’être taxé d’hérésie. La modernité a changé la perspective,
l’humain idéal est à venir et non pas à puiser dans le passé. Il n’y a pas de place pour de
l’imitation, car la source vient de soi. L’exigence d’authenticité disqualifie tout référent
extérieur201. L’être humain intégral se crée à partir de ses propres matériaux sans autre
199
Ibid., p. 106.
Ibid., p. 118.
201
Ibid., p. 141.
200
84
référence. La contemplation de Jésus peut servir ici seulement comme référence
esthétique qui fait jaillir une impulsion créatrice concomitante permettant à l’être
humain de devenir lui-même dans sa singularité. Jésus, de modèle à imiter, devient
inspiration libre pour l’humain qui se construit.
L’écoute devient le «mode privilégié de référence à Jésus»202 sur laquelle peut se
déployer l’exemplarité dans un processus dynamique qui permet de se connaître et de
se transformer. La Parole qu’on écoute, on l’écoute pour soi. Cette écoute oblige à faire
silence. Par la suite, on peut choisir de s’y conformer, comme dans l’expression
répandue «ainsi soit-il», et, ainsi, de la réaliser. Le vrai disciple est celui qui écoute Jésus,
qui fait advenir cette Parole dans sa vie :
Ils peuvent être dispersés aux quatre coins de la terre et partager diverses
croyances religieuses; ils forment pourtant ce grand réseau planétaire des
authentiques porteurs de la parole de Jésus. Certes chaque Église a la prétention
d’être la vraie, la seule vraie ou, à tout le moins, la meilleure gardienne de la
parole de Jésus. Et dans chaque Église, certains sont mandatés pour en être les
ministres officiels. Au-delà de toutes ces prétentions d’ecclésiastiques patentés,
la parole de Jésus demeure vivante en ceux qui en vivent plutôt qu’en ceux qui la
mettent en formules; en ceux qui l’écoutent plutôt qu’en ceux qui l’enseignent.
Les vrais serviteurs de la parole de Jésus sont ceux qui l’écoutent et la mettent
en pratique, quelles que soient leur culture, leur race et leur religion. Ce sont eux
qui l’ont gardée vivante au cours des siècles et qui l’ont portée jusqu’à nous. Et
ils l’ont portée enrichis de leur interprétation, de leur expérience et de leur
accomplissement. La parole immémoriale de Jésus ne peut rester vivante
qu’interprétée et inculturée.203
Ainsi, la tradition d’écoute fait que le texte parle au lecteur de façon personnelle à la
manière d’un récit symbolique tiré de sa propre vie. Cette réappropriation de la Parole
de Jésus unifie dans les faits deux paroles : coïncidence de la volonté du lecteur et de
celle qui l’a prononcée. Ainsi, l’écoute conduit au maître, crée le maître intérieur. Par
cette coïncidence même, le maître est devenu intérieur et n’est plus imposé de
l’extérieur, comme pourrait l’être, par exemple, un maître à penser :
D’où la conclusion très importante pour notre propos : pour accéder à la vraie
connaissance spirituelle, on ne doit pas partir des mots et des enseignements
des maîtres extérieurs. C’est la démarche inverse qui s’impose. Le véritable
202
203
Ibid., p. 182. Bergeron associe une telle démarche à la Lectio divina.
Ibid., p. 172-173.
85
maître est intérieur, au-dedans de chacun, au-dedans de moi. C’est lui qui me
communique la vraie connaissance de moi-même, de ma voie vers l’humanité et
de mon chemin vers Dieu.204
Bergeron signale deux freins à l’écoute : d’abord, l’agitation qui cause l’éparpillement et
ne permet pas à la personne de se ramasser; ensuite, la liberté blessée, due à des
expériences passées ou à des situations de vie, peut générer des blocages importants.
La modernité a permis à la raison de devenir autonome par rapport à la foi 205, il faut en
prendre acte. Pourtant, l’Église n’a cessé de réaffirmer «son droit de gérance de la
raison» et d’imposer un magistère. Elle tolère le pluralisme plus qu’elle ne l’accepte. Elle
se doit maintenant d’entrer véritablement en dialogue, d’être, elle aussi, à l’écoute, car
la Parole de Jésus n’est pas exclusive à cette institution, comme elle a pu le prétendre
auparavant.
Le titre de maître que l’on a donné à Jésus de son vivant et après sa mort fait écho à
différentes facettes de ce que ce personnage représente. Il a été d’abord un rabbi
atypique dont la Parole avait des effets surprenants. Cette Parole annonçait le
Royaume, guérissait, rassemblait et disait comment vivre. Il a été récupéré par les Grecs
et les Romains qui, en se l’appropriant, ont refondé le christianisme206, modifiant ainsi la
fondation originelle. Jésus est alors apparu comme un «maître philosophe». Les
disciples reconnaissaient l’autorité que lui-même affirmait et ils consentiront librement
à lui obéir et à le servir en se ralliant à cette proposition de l’amour-agapè.
Ces disciples étant de plus en plus nombreux, cette croissance n’ira pas sans
conséquence au niveau politique. Si, au commencement, les chrétiens étaient soumis
aux autorités, la conversion de l’Empire romain les entraîne ailleurs. Ils se refusent à
reconnaître la divinité de l’empereur, mais la souveraineté de celui-ci participe dès lors à
l’autorité de Jésus. Cela aura comme effet que l’Église se structurera sur le modèle de
l’empire et en adoptera le code. La chute de l’empire fera en sorte que le nouveau
dépositaire de cette souveraineté sera la papauté. La cité des hommes passera ainsi
sous l’autorité de la cité de Dieu pour engendrer une «christocratie». À partir de la
Renaissance, la cité des hommes reprendra graduellement ses droits même si l’Église
essaiera de maintenir sa souveraineté. Vatican II opèrera un changement de cap : il
réaffirme la souveraineté du Christ, mais celle-ci s’exerce dans le service plutôt que dans
le pouvoir et la force207. Ce changement est en fait un retour à la conception originelle
204
Ibid., p. 193-194.
Ibid., p. 289 et suivantes.
206
Ibid., p. 280.
207
Ibid., p. 299.
205
86
de l’autorité et de la seigneurie de Jésus qui ne se fonde pas sur le pouvoir, mais plutôt
sur le consentement, sans aucune contrainte.
Au terme de ce livre, Bergeron résume ainsi ce qu’il entend par le magistère de son
Jésus séculier, si différent de celui du Jésus institutionnel :
La parole magistérielle de Jésus, on l’a dit, présente quatre caractéristiques
fondamentales : elle est tout à la fois prophétique, sapientielle, curative et
rassembleuse. En tant que prophétique, elle pose le Règne de Dieu dans l’icimaintenant et ouvre toute histoire, individuelle et collective. Sapientielle, elle
propose un art de vivre en réponse aux exigences de la présence du Règne
toujours à venir. Curative, elle est capable de sauver en guérissant toute espèce
de manques et en délivrant de toute entrave aliénante. Rassembleuse, elle vise à
réunir l’humanité entière en une communauté fraternelle au-delà des frontières
de race, de religion, de culture, au-delà de tous les cénacles de pseudo-élus qui
s’isolent d’un monde qu’ils jugent indignes, et au-delà de tout clivage opéré par
la prétention à la rectitude morale, religieuse et sociopolitique.
Ces quatre caractéristiques de la parole de Maître-Jésus servent de discernement
de toute parole dite ou entendue. Elles permettent de reconnaître ou non, dans
les discours que je tiens ou que j’entends, ceux qui sont des échos authentiques
de la parole de Jésus se réverbérant à travers les âges. Tout discours qui ferme
l’histoire et désespère d’une personne ou d’une situation, qui propose des
antivaleurs et une contre-sagesse de vie, qui blesse et détruit les individus dans
leur être psycho-corporel et spirituel ou encore qui isole les gens, les dresse les
uns contre les autres ou les ostracise, tous ces discours ne peuvent pas être
l’écho de la parole de Maître-Jésus, même si ceux qui les tiennent prétendent se
réclamer de lui ou citent les évangiles à pleine bouche.208
On constate que ce Jésus séculier se définit par rapport à l’autre Jésus, qui garde ainsi
une certaine pertinence. Il permet d’actualiser cette nouvelle façon de recevoir le
message de Jésus.
Ce livre a fait l’objet de peu de réactions. Il sera reçu comme le témoignage d’un
parcours intellectuel évolutif. Raymond Légaré caractérise ce parcours comme étant
…marqué par une évolution de la perception de Jésus qui au départ dogmatique
est devenue au fil du temps théocentrique pour être remplacée plus récemment
208
Ibid., p. 308.
87
par une vision de Jésus immanente, c’est-à-dire anthropocentrique. Il synthétise
une quête spirituelle fondée sur des options constamment réévaluées.209
Cette démarche rigoureuse qui utilise parfois un vocabulaire quelque peu ésotérique et
qui fait allusion à certains éléments de vie, fait de ce livre un travail plus personnel et
péri-scientifique. Cela pourrait expliquer, selon un commentaire de Légaré, certaines
généralisations hâtives qui font bon marché de la diversité des lecteurs.
Bergeron a proposé une vision de Jésus renouvelée qui, de son point de vue, prend en
compte la subjectivité de l’être humain. Cette vision « idéale » lui permet une pleine
adhésion à la foi qui l’habite.
Notre lecture phénoménologique à propos de ce livre de Bergeron permet de bien
mesurer ce qui se joue ici : après avoir redessiné le modèle de référence qu’est Jésus, ce
nouveau moment dans son évolution, le septième, fait apparaître une nouvelle
préoccupation qui est l’autojustification de son cheminement. Conformément à ce qu’il
affirme ici, son cheminement réalise ce qu’il estime être le développement de l’humain
intégral, il ne pouvait y accéder auparavant en raison même des contraintes de
l’institution. Par cela, il s’approche du maître intérieur.
2.3.2.2 Le couple comme nouveau lieu spirituel (2011)
Seul le couple qui se pose comme lieu spirituel… peut être le
porteur et l’agent d’une spiritualité séculière appelée à dépasser
les limites du couple lui-même, de la famille et de l’espace privé
pour s’inscrire dans le tissu social et politique et, éventuellement,
se traduire en humanisme et en humanitaire.210
Dans son dernier livre, Bergeron explique que sa sortie de la religion a été l’occasion de
découvrir un nouveau modèle spirituel qui pourrait faire croître l’adhésion à cette foi
renouvelée. Ainsi, dans son livre Le couple comme nouveau lieu spirituel, il souhaite
inscrire la spiritualité séculière à l’intérieur du couple. Cette réalité du couple est
devenue la sienne depuis l’année 2000 et il l’a officialisé par un mariage civil en 2007.
Bien sûr, dans cette réflexion, on retrouve la préoccupation qu’a Bergeron de se recréer
un lieu d’ancrage au niveau de la spiritualité depuis son départ de la communauté
franciscaine. On peut y voir aussi, en quelque part, la volonté de donner une voie
209
Raymond Légaré, Le livre du mois : Richard Bergeron, Et pourquoi pas Jésus?, Montréal, Novalis, 2009,
paru sur le site web du réseau Culture et Foi, janvier 2010 (consulté le 25 juin 2014).
210
Richard Bergeron, Le couple comme nouveau lieu spirituel, Montréal, Novalis, 2012, p. 123.
88
nouvelle à la Parole rassembleuse du Maître-Jésus au moment où les regroupements
traditionnels que propose l’Église-Institution ne suscitent plus d’engouement. Ce
délaissement est causé autant par le fait de la marginalité des positions d’un Jésusséculier dessiné précédemment par Bergeron en rapport aux diktats officiels que par
celui des difficultés de vivre en Église en région : elle peine à assurer une présence
minimale auprès des populations locales. Mais il y a plus et c’est la raison qui nous fait
investiguer d’un peu plus près cet ouvrage. Bergeron soutient que «…dans la mesure où
il se structure comme lieu spirituel. Le couple moderne devient (…) l’agent principal
d’une spiritualité séculière»211. Une telle inscription du couple moderne dans la
spiritualité à la fin du parcours de Bergeron mérite donc toute notre attention. Ce livre,
d’un peu plus de 120 pages, est à la fois un témoignage sur ce que peut être un «couple
spirituel» comme le Bergeron le vit et une quête d’une nouvelle communauté, d’un
vivre-ensemble chrétien.
D’entrée de jeu, Bergeron souligne que l’Église a valorisé la famille et l’union qui la
précède, au point d’en faire un sacrement qui sera institué autour de l’an mil. Le
mariage avait comme but de procréer et ce n’est qu’avec la parution de l’encyclique
Casti Connubii212 en 1930 qu’il est également fait mention que c’est un lieu de soutien
mutuel et de perfectionnement pour les conjoints. De l’avis de Bergeron, cette situation
a voilé la réalité du couple et ses potentialités spirituelles. De fait, le modèle que l’on
proposait jusque-là était celui de la Sainte Famille, une image elle-même refaite sous
l’influence de la spiritualité monastique. Un tel modèle de famille se résumait en une vie
consacrée à Dieu et hors du monde. Il n’est pas surprenant que, traditionnellement,
l’image de la famille proposée représente une Église en miniature, et que l’image du
mariage représente une alliance humano-divine à la manière du Christ avec l’Église. Le
couple n’a ici de sens que par la famille. Il ne pouvait être un lieu spirituel à lui seul, car
il a une part d’ombre : les soucis occasionnés par le fait de vivre dans le monde, les
relations sexuelles de même que la possibilité de perdition que l’on associe à la femme
depuis Ève –il aurait fallu une vierge pour que ce lieu soit «pur».
La grande faiblesse de cette approche est de refuser de considérer le couple
comme une grandeur autonome et de n’en chercher la valeur spirituelle que
dans sa qualité de signe et de symbole d’une réalité autre, transcendante. C’est à
proprement parler «la figure qui constitue le lieu spirituel», Pour poser la valeur
spirituelle du couple, on part d’une réalité autre que le couple lui-même, soit le
sacrement de mariage, soit une image de Dieu et de son dessein d’alliance, soit
211
212
Ibid., p. 123.
Sous le pontificat de Pie XI.
89
une vision du Christ et de sa relation à l’Église ou encore les impératifs
«magistériels» concernant la sexualité et la planification des naissances.213
La modernité a fait du couple toute autre chose et les différences sont ici importantes.
D’abord, il s’agit d’une union d’amour entre deux personnes. Ensuite, la transformation
des conditions de vie a permis l’émergence de l’intimité entre ces personnes. De même,
l’amour parental a dépassé ce qui était attendu du traditionnel devoir des parents. De
plus, comme l’amour du couple moderne est profane, il ne se fonde en rien sur Dieu.
Enfin, l’apparition du couple homosexuel a ajouté à la compréhension que nous devions
avoir de cet amour entre deux personnes. Tenant compte de ces nouvelles réalités,
Bergeron présente le couple, en tant que lieu spirituel pour les personnes en cause :
Je reconnais comme lieu spirituel le couple qui correspond à la description
suivante : une association intime entre deux personnes, fondée sur l’amour
réciproque et sur le consentement mutuel et impliquant engagement, durée et
vie commune.214
Comme lieu spirituel, le couple doit rendre possible la vie spirituelle dont les éléments
constitutifs sont un projet de vie, une ouverture à une transformation qui structure
l’humain et le dépassement de soi. Cela suppose que ce lieu est un lieu de croissance de
la vie spirituelle, ce qui n’est pas nécessairement le cas de tous les lieux qui se
présentent comme spirituels. Alors que l’Église avait mis de l’avant le célibat consacré et
la vie religieuse comme pouvant être de tels lieux, Bergeron ajoute le couple moderne
comme nouveau lieu à la suite de l’expérience qu’il en fait et des conclusions qu’il en
tire. Il faut mentionner qu’il fait ici l’économie de couples qui ont été salués par l’Église,
par exemple Anne et Joachim ou encore les Martin, parents de Sainte-Thérèse-del’enfant-Jésus. Mais la question se pose : où se vit la vie sainte? Le couple, comme la
communauté, peut y aider.
Ainsi, le couple, pour les personnes qui y sont impliquées, se présente comme un cadre
où le «je» et le «tu» deviennent «nous» dans l’ici-maintenant. À la différence d’un cadre
comme celui de la vie religieuse, le couple n’existait pas avant la décision des personnes
de le former et il n’existera plus après sa dissolution. De ce fait, celui-ci doit s’inventer
lui-même un cadre qui lui soit propre. Le couple peut être également envisagé comme
une école de vie spirituelle exigeante, car il s’agit d’un engagement quotidien où la vie
relationnelle est constamment revue en fonction du couple : l’autre l’obligeant à refaire
l’unité de sa personne. Enfin, l’amour conjugal est propice au partage. L’amour de
213
Ibid., p. 21-22. Bergeron résume ici J. C. Sagne, L’Itinéraire spirituel du couple, Versailles, Éd. Saint-Paul,
2001, p. 32.
214
Ibid., p. 28.
90
l’autre n’est jamais acquis de façon définitive et ce processus dynamique transforme
même cet amour dans la relation que l’on a l’un devant l’autre et l’un par l’autre :
C’est un amour partagé, vécu dans la réciprocité et l’engagement libre qui
intègre les trois formes d’amour : l’éros qui revêt la forme de la passion, du
sentiment amoureux, du partage érotique, de la communion charnelle; la philia
qui est une amitié faite de réciprocité, de communion des cœurs et des âmes, de
partage, de souci de l’autre et de tendresse; l’agapè qui est don de soi sans
espoir de retour, pouvant aller jusqu’au sacrifice de soi. L’amour conjugal
épanoui est une merveilleuse combinaison des trois ailes de l’amour intégral. En
mûrissant, il prend les traits de l’agapè, tout en conservant les attributs
mystérieux de l’éros. Il est donc un puissant moteur de la vie spirituelle.215
L’amour conjugal se veut fécond et il se construit sur la différence sexuelle pour
l’englober dans un amour de type androgyne. Le couple s’insère dans un processus
évolutif dont le point de départ est la décision du «je» de quitter père et mère ainsi que
sa vie antérieure afin de former, au terme de ce processus, un «nous» avec un «tu» qui
décide également de participer à un même projet. La voie empruntée pour y arriver est
l’amour que le «je» et le «tu» éprouvent réciproquement l’un pour l’autre. Il s’agit d’un
itinéraire spirituel parce que les parties cherchent dans ce processus à s’accomplir
humainement même si ce projet ne va pas sans difficulté :
Partir, c’est s’arracher à ce qui peut être bon, précieux, délectable; c’est s’en
détacher. L’arrachement et le détachement évoquent toujours l’idée d’effort, de
peine, de sacrifice. Il en est de même en spiritualité. L’arrachement-détachement
est le côté «violent» de la démarche spirituelle, il soulève toujours des
résistances, des refus, des regrets. D’où la tentation de regarder en arrière.
Quitter père, mère, famille, gang de chums, ville, patrie, style de vie de
célibataire, fréquentations frivoles, vie libertine et existence dissipée, c’est
finalement libérer l’espace pour permettre l’avènement d’autre chose : le
couple. Cet arrachement n’est pas forcément rupture, mais il implique toujours
la transformation radicale des liens et du mode de vie antérieurs.216
On doit être également vigilant avec le but que l’on donne à la vie de couple. Il ne s’agit
pas d’être fusionnel ou symbiotique, car il y aurait dissolution complète des «je»; ni non
plus, un couple de type juxtaposé, où les «je», même s’ils sont ensemble, vivent de
façon parallèle; encore moins de type superposé dont les deux modèles,
215
216
Ibid., p. 52-53.
Ibid., p. 63.
91
pouvoir/soumission ou dépendance/sacrifice, conduisent à la disparition d’un des deux
«je». La relation dans le couple se doit plutôt d’être dialogale, au sens où chaque «je»
est égal à l’autre et libre. Ce modèle qui nécessite une relation de réciprocité est, selon
Bergeron, le fondement du couple comme lieu spirituel. Bien sûr, ce couple évolue dans
sa relation :
Ainsi donc, petit à petit l’éros, qui est initialement surtout sexuel et possessif,
sera influencé par la philia et, grâce à elle, l’agapè viendra s’insérer en lui; sinon
l’éros déchoit et perd sa nature même. Par ailleurs, l’être humain ne peut pas
vivre exclusivement d’agapè, d’amour oblatif. Celui qui donne de l’amour doit en
recevoir comme un don. Les trois formes de l’amour en interaction, qui
façonnent l’amour conjugal, ne se laissent jamais séparer l’une de l’autre; elles
sont appelées à trouver leur juste équilibre dans l’unique réalité de l’amour
conjugal.217
On comprend que cet amour conjugal s’exprime à deux niveaux : l’amour dans le couple
et l’amour du couple. Le premier niveau rend compte de la dynamique interne du
couple tandis que le deuxième niveau est une sensibilité moins égocentrique sur ce qui
lui est extérieur tout en étant plus ou moins proche, un dynamisme tourné vers les
autres. C’est précisément à ce niveau que cette «transcendance immanente», «prend le
relais de la religion et définit un nouvel espace du sacré»218. Cette spiritualité
conjugale repose sur six piliers : l’attachement, le partage, la fidélité, le plaisir, la pureté
et l’ouverture au monde. Si certains de ces piliers sont congruents avec ce que l’on
associe à la notion de couple, d’autres demandent à être explicités. Ainsi, la fidélité est
un pilier parce qu’elle est promesse dont la formulation même implique un don de soi.
Ce don comporte une dimension sacrée et affirme la volonté de pérennité du couple
dans un projet commun. Le plaisir, quant à lui, est une donnée essentielle du lien
conjugal, notamment la sexualité qui revêt une importance non négligeable dans la vie
d’un couple, et il ne doit pas être honni comme l’a longtemps fait la religion chrétienne.
C’est son absolutisation qui pose problème, car on le confond dès lors avec le bonheur.
Enfin, la pureté, que l’on a si souvent opposée à la sexualité, ne veut que rappeler la
nécessité de respecter l’autre, d’être attentif à le considérer comme un sujet non pas
comme un objet ou un moyen à ma disposition et d’agir en conséquence.
217
Ibid., p. 72-73.
Ibid., p. 75. Signalons que Bergeron souligne l’influence de Luc Ferry dans sa réflexion sur le couple et il
emprunte à André Comte-Sponville plusieurs définitions des notions sur lesquelles elle s’appuie.
218
92
Bergeron reconnaît emprunter dans sa réflexion sur le couple plus à la philosophie et à
la psychologie qu’à la théologie. La spécificité du couple chrétien réside dans la
référence à Jésus. Celui-ci donne une vision du monde et propose une manière de vivre
qui peut servir d’inscription dans l’ici-maintenant. Ce choix de positionnement qui
ajoute au couple, «réalité autonome intramondaine», du sens et le reconfigure dans
une perspective chrétienne :
La réalité naturelle du couple devient en christianisme un signe qui évoque,
représente et incarne dans les coordonnées spatio-temporelles l’alliance
humano-divine en Christ. L’amour conjugal renferme toujours quelque chose de
sacramentel. Quand les conjoints sont chrétiens, le couple peut être réellement
qualifié de sacramentel, quelle que soit la forme juridique, ou non, de leur
engagement.219
Le parcours de Bergeron s’achève donc sur une ouverture à un christianisme inscrit dans
la modernité. L’Église-institution n’arrive plus à assurer cette présence dans notre
société et à répondre aux besoins spirituels de nos contemporains. C’est pourquoi
Bergeron propose cette nouvelle pierre angulaire que pourrait être le couple moderne
ayant Jésus comme référence et modèle. Cette pierre rejetée par les bâtisseurs pourrait
refonder l’Église et être la réponse pour notre temps.
Il faut signaler que le couple lui-même a une importante démarche réflexive à faire sur
sa propre condition pour en arriver à un tel terme. Cela pose tout un défi au couple
quand on tient compte du rythme effréné du monde dans lequel celui-ci évolue.
Bergeron dessine ici un idéal qui doit passer le test de l’acceptabilité pour le couple pris
dans cette mouvance, condition préalable à un autre test : celui de la réalité.
De fait, la conception du couple dans notre société peut ne pas correspondre à cet idéal,
la philosophe Claude Habib qui a étudié ce phénomène en a une toute autre
perspective :
Le couple comme unité économique… est plus facile à concevoir que le couple
contemporain qui se forme plutôt comme une unité de dépense et de
distraction : les membres du premier sont tenus par le besoin, qui est une corde
solide; ceux du second ne tiennent que par le désir de cultiver l’entente pour le
plaisir de l’entente. Ce sont de faibles liens…220
219
220
Ibid., p. 127.
Claude Habib, Le goût de la vie commune, Paris, Flammarion, 2014, p. 122.
93
Dès lors, faire du couple un nouveau lieu spirituel demande de se donner une assise,
une maturité, plus solide que ce que dénote cette tendance. Ce qui n’empêche
cependant pas de le proposer comme une avenue possible.
Le livre de Bergeron suscitera très peu de commentaires, peut-être en raison de la
marginalité, de plus en plus accentuée, d’un discours arrivé à son terme. Signalons-en
un quand même : ce livre est une réflexion «originale et dense»221 qui fait appel à
l’histoire, à la sociologie et à l’expérience personnelle de l’auteur. La tradition
chrétienne a associé le couple à autre chose pour juger de sa valeur, alors qu’il a une
valeur intrinsèque. Il est un foyer d’un dynamisme spirituel et un lieu d’épanouissement
qui en fait un «état de perfection» aussi valable que le célibat consacré ou la vie
religieuse. À la différence de ces deux états, l’amour conjugal intègre les trois sortes
d’amour (eros, philia et agapè), il «apparaît alors comme une grande aventure
spirituelle profondément humain et humanisante».
L’ouverture de Bergeron envers différents modèles de couples présentés comme autant
de processus d’humanisation, si elle est en phase avec l’évolution de la culture
occidentale moderne, pourrait être taxée d’ethnocentrisme par d’autres. En tous les
cas, le couple comme lieu spirituel tel que proposé ici n’est pas recevable par l’Église
institution.
Ce livre parle de la gestion du prochain, de l’autre : comment sortir de soi et faire
communauté en un nouveau lieu spirituel redessiné? La démarche de Bergeron était
auparavant personnelle, il lui faut maintenant être inclusif afin de retrouver le vivreensemble, fondement de toute Église.
L’ultime préoccupation de Bergeron est donc de réfléchir au lieu même où il vit
désormais sa vie chrétienne. Il se sent obligé en quelque sorte de boucler
l’approfondissement intellectuel débuté avec la recherche doctorale dans les années
soixante, et de donner enfin une réponse personnelle à sa question existentielle. Il
portait en lui cette dernière question depuis longtemps et il fallait s’attendre à ce qu’il
s’exprime intellectuellement à ce sujet. Il s’agit donc du huitième et dernier moment
repéré grâce à cette lecture phénoménologique.
221
Réjean Plamondon, Le livre du mois : Richard Bergeron, Le couple comme nouveau lieu spirituel,
Montréal, Novalis, 2011, paru sur le site web du réseau Culture et Foi, août 2012 (consulté le 14 mai
2014).
94
3.
Le fil conducteur: jouer le jeu
En fait, le problème vient de l’écart ressenti entre le message de Jésus et
la pratique institutionnelle de l’Église. Le message de Jésus est libérateur,
intégrateur. La pratique de l’Église est discriminante, excluante. D’où le
fameux slogan : «Jésus, oui; l’Église, non.»222
Cette citation illustre bien une des causes du désintérêt grandissant, même dans la
communauté des croyants, envers l’institution, elle ne fait que relever un des défis qui
attendent l’Église et dont le principal semble être sa rencontre avec la modernité.
Le survol des travaux de Bergeron a permis de mieux comprendre la réflexion d’un
homme de foi qui cherche à se situer, à se donner des repères dans ce nouvel
environnement.
Nous avons tenté jusqu’ici de cerner sa contribution dans la tentative de résolution de
ce débat. Débat qu’il incarne d’une certaine façon parce qu’il se veut en même temps
représentatif d’une vague de fond persistante. Nous avons maintenant à qualifier cette
contribution dont nous avons suivi le développement en suivant le fil chronologique.
3.1
Se sortir du jeu sans quitter l’enjeu
Il n’y a que des histoires, les théories sont des histoires endimanchées. 223
Richard Bergeron a toujours considéré les questions auxquelles il cherche à répondre
comme étant des questions existentielles, en lien avec sa situation particulière :
Ma théologie a toujours été en relation dynamique avec un milieu concret, un
terrain précis. J'ai reçu mes questions et mes interpellations des autres et des
conjonctures socio-historiques plus que des livres. Les livres ont été d’un grand
secours pour nommer, comprendre, interpréter les questions qui fondaient sur
moi. Les autres ont ébranlé mes certitudes et m’ont forcé à penser autrement.224
Si cette dernière affirmation peut s’expliquer lorsque le hasard d’une affectation comme
professeur d’université l’amène à s’intéresser aux nouvelles religions, il n’en demeure
pas moins que Bergeron porte en lui une question fondamentale : l’obéissance à l’Église222
Bruno Chenu, L’Église sera-t-elle catholique?, Paris, Bayard, 2004, p. 25.
Maurice Bellet, Les allées du Luxembourg, Paris, DDB, 2004. Cité en exergue par Fernand Dumont dans
son livre Récit d’une émigration, Montréal, Boréal, 1997.
224
Bergeron, «Mon parcours théologique…», p. 78. La prochaine citation est tirée de la page 79.
223
95
institution ou, plus exactement, envers le cadre imposé par l’institution. La question est
d’autant plus importante qu’elle a structuré les choix de vie de Bergeron dès sa prime
jeunesse. De fait, la question de la fidélité harcèle Bergeron et c’est cette question qui
se déploie en théologie, d’abord au sein de l’Église, puis en dehors de ce cadre.
Qualifiant d’ailleurs sa théologie de «viscérale», il s’investit tout entier dans cette
enquête et il formule une réponse de plus en plus fouillée, documentée, en raison de
son statut d’intellectuel et de sa longue carrière d’universitaire. Cela étant, le fait de
prendre en compte la subjectivité le conduit à une contestation plus radicale, absente
au début, en lien avec cette remise en question : car «…toute théologie qui a son point
de départ dans la subjectivité prend figure d’une théologie de la résistance».
Par ailleurs, la lecture phénoménologique a permis de mettre au jour les
intentionnalités de Bergeron au fur et à mesure que paraissaient ses principales
publications. Celles-ci sont autant de moments, d’étapes, dans la structuration de son
développement personnel et intellectuel. C’est ainsi qu’il défend, suivant en cela le fil
chronologique de la maturation de son évolution personnelle, le caractère dynamique
de la notion d’Église (premier moment) pour s’en servir comme levier afin de
revendiquer son autonomie (deuxième moment) jusqu’à l’affirmation d’une liberté
pleine et entière envers l’institution (troisième moment). L’exercice de cette liberté
nouvelle suppose l’authenticité de la démarche (quatrième moment) qui demande à
être objectivée (cinquième moment) afin de redessiner un cadre (sixième moment) qui
puisse en justifier une praxis spirituelle (septième moment) et être susceptible de
recréer d’autres types de communautés (huitième moment). La démarche
phénoménologique révèle dès lors une cohérence que la vie de Bergeron peut ne pas
exprimer dans un premier regard. En outre, cette maturation avait abouti, au sens où
Bergeron ne souhaitait plus publier, si ce n’est une réflexion sur la condition de disciple,
considérant qu’il avait dit ce qu’il avait à dire225. Pour le formuler autrement, en
reprenant son affirmation à l’effet qu’il répondait à ses propres questions existentielles
par ses travaux, il avait vécu ce qu’il avait à vivre. La dernière réflexion non écrite sur la
condition de disciple était déjà, en fait, inscrite dans son parcours de vie.
Cela peut expliquer pourquoi Bergeron n’aura pas d’autre choix que de s’exclure d’un
cadre qu’il juge obsolète alors qu’il se veut fidèle et obéissant à un Jésus qu’il redessine.
Ainsi, il fait, en quelque sorte, le chemin inverse de Newman, son maître à penser. En
partant d’un même point de départ, le christianisme tel qu’il se vit, la compréhension
d’un christianisme idéal amène Newman à se convertir au catholicisme alors que cette
compréhension pousse Bergeron hors de cette même Église. Malgré les failles du
225
Affirmation faite par Bergeron lors de la première rencontre où il était question de ce projet d’écriture
avec l’auteur.
96
catholicisme dont il avait pleinement conscience, Newman jugeait cette religion comme
étant le plus près de cet idéal, donc comme la meilleure voie d’accès à Dieu. Bergeron
juge que les failles sont trop importantes et qu’elles compromettent l’idéal 226. Toutefois,
même à l’écart, il reste près de l’Église.
Par ailleurs, un retour à la métaphore du jeu peut être éclairant au niveau de la
cohérence du parcours de Bergeron. Ainsi, en un premier temps, Bergeron a conscience
que le jeu adopté, être homme d’Église, le sort de la vie courante. Il cherche alors à
respecter les règles, en testant les limites afin de pouvoir occuper tout l’espace de (du)
jeu. Dans un deuxième temps, le consentement volontaire de Bergeron au jeu fait
défaut. Les règles n’étant plus acceptables de son point de vue, Bergeron se déclare
hors-jeu. Or, selon Roger Caillois227, si la convention du jeu n’est plus respectée, un
joueur peut adopter quatre attitudes différentes : ambitionner de triompher grâce à son
seul mérite (il ne compte maintenant que sur lui-même); démissionner (il compte sur
tout sauf sur lui-même); revêtir une personnalité étrangère (un autre que lui s’invente
un univers fictif) ou, enfin, poursuivre dans le vertige (en acceptant de ruiner sa stabilité
et son équilibre de façon passagère…). Ne retrouve-t-on pas ici plusieurs attitudes-type
de religieux confrontés à leur défaut de consentement, conscient ou non? De fait,
Bergeron opte pour la quatrième attitude en reconnaissant que son défaut de volonté a
comme origine la conception que l’institution se fait de la vie religieuse et de ce qu’est
l’obéissance à l’autorité.
C’est pourquoi, tout en reconstruisant sa stabilité, Bergeron continue de vouloir jouer, à
la différence de bien d’autres qui ont suivi le même cheminement et qui ont décidé
d’abandonner. Il le fait en affirmant l’authenticité de sa démarche. Or, «…l’idéal de
l’authenticité exige que nous découvrions et que nous formulions notre propre
identité»228. Ainsi, il se construit toujours comme sujet fidèle (obéissant), mais en lien
avec un nouveau cadre qui n’est plus la fidélité à l’Église : il est fidèle à soi engagé
chrétiennement. Au sein de cette nouvelle réalité, certaines modalités de l’ancien cadre
ne conviennent plus. Par exemple, d’un idéal de vie en communauté qu’il a tenté
d’adapter, Bergeron le redessine en fonction de la vie de couple. N’est-ce pas là
cependant le retour du même? Bergeron tente de répondre toujours au même désir en
tentant de le réaliser autrement en raison d’un constat d’échec. Plutôt que de renoncer
226
A contrario, Emmanuel Carrère, un distant de la foi, écrit: «Ce qui m’étonne le plus, ce n’est pas que
l’Église se soit à ce point éloignée de ce qu’elle était à l’origine. C’est au contraire que, même si elle n’y
parvient pas, elle se fasse à ce point un idéal d’y être fidèle. Jamais ce qui était à l’origine n’a été oublié»
(Emmanuel Carrère, Le Royaume, Paris, P. O.L., 2014, p. 615). Le jugement de Bergeron est certes en lien
avec une exigence personnelle, ce qui n’entache pas sa légitimité.
227
Roger Caillois, Les jeux et les hommes…, p. 102-103.
228
Charles Taylor, Grandeur et misère de la modernité, Montréal, Bellarmin, 1992, p. 103.
97
à son désir, Bergeron se réapproprie l’appel originel qu’il se reconnaît avoir. Ce faisant, il
légitime une nouvelle fidélité par la compréhension, qu’il prétend renouvelée, de ce qui
est proposé comme cadre d’un choix de vie religieux, un peu à l’image du cheminement
du fondateur de sa communauté d’appartenance.
Ayant pris sa retraite de l’université en 1995, Bergeron continue ses activités de
recherche et de conférencier invité. Cependant, au fur et à mesure que ces prises de
position et ses choix de vie l’éloignent du cadre de l’institution, l’accueil dans les
instances catholiques officielles se fait plus rare229. Il sera plutôt invité dans les
organisations en marge de l’Église catholique, celles qui gravitent autour de l’institution.
Être ce proche-lointain correspond à sa propre perception. En effet, dans un texte paru
en 1999, Bergeron écrit «Je pars sans vous quitter…»230. Cette affirmation constitue le
noyau dur de son identité comme personne, religieux et théologien à la fin de son
parcours. La suite de sa réflexion confirme qu’il s’est tenu dans cette posture, pour le
moins, inconfortable : «… je me dois pourtant de déconstruire (je ne dis pas détruire),
pour construire du neuf».
De quelle manière a-t-il assumé cette posture? D’abord, on doit reconnaître que
Bergeron ne s’est jamais départi de son rôle d’éducateur au sens noble du terme
conformément à la description que fait Paul Valadier de cette profession :
Non pas endoctriner, non pas imposer une morale, fut-elle laïque, mais
expliquer, montrer les enjeux, trouver des clés d’analyse, donc motiver le
«peuple» et susciter son adhésion réfléchie aux décisions envisagées.231
Nul besoin ici de rappeler le pouvoir d’influence de l’éducateur. Également, comme il
s’agit d’un éducateur qui est en même temps chercheur, dans la façon de répondre à
ses questions et de les reprendre, il élabore une réflexion qui se construit et qui
s’approfondit comme en spirale. Pour ce faire, Bergeron a une démarche qui reprend les
plus importants points en les approfondissant sous des angles complémentaires. Cette
méthode permet l’approfondissement des thèmes dans ce qui semble être une
répétition, mais qui en est, de fait, une élaboration plus précise232. Une telle méthode
s’inspire des sciences humaines quand il s’agit d’appréhender la réalité : il lui faut
procéder par catégorisation afin de dresser une cartographie de l’objet étudié avec ce
229
Bergeron constatera la même réserve auprès de son ancienne communauté d’appartenance.
Richard Bergeron, «Pour la suite de ma vie….», dans En Bref, bulletin de liaison des Franciscains,
novembre 1999.
231
Paul Valadier, L’intelligence…, p. 108.
232
Bergeron parle ainsi de sa méthode à propos de son livre Renaître à la spiritualité…, p. 13. On peut
facilement la généraliser à son œuvre.
230
98
souci de ne pas rejeter ou oublier le sujet233, surtout dans un domaine aussi singulier
que celui de la spiritualité. Un tel processus évolutif ne peut jamais être tout à fait
définitif pour celui qui l’a initié. Ainsi, les conclusions provisoires de ce processus,
parfois éloigneront Bergeron, parfois le rapprocheront de l’Église. Car,
C’est ici, bien sûr, que se pose l’enjeu de l’éducation. Éduquer veut dire, si on se
réfère à l’étymologie du mot, conduire en dehors de l’aliénation et de l’illusion.
Ce n’est pas une entreprise banale et ce n’est pas parce que les institutions du
sens commun se disent éducatives qu’elles éduquent. Celui qui s’éduque, en
effet, est appelé à passer de l’hétéronomie du sens commun à l’autonomie d’un
sens dont il se rend responsable, dans l’histoire humaine.234
Toutefois, une constante se dégage : la nécessité de l’existence de l’Église, voire son
utilité, n’est jamais remise en question, car elle donne accès à une Parole qu’elle
préserve, tout en l’interprétant, en même temps qu’elle donne des repères, des balises
en lien avec cette interprétation235. Le défi que s’est donné Bergeron est d’écouter cette
Parole dans une nouvelle perspective, plus large que la théologie de l’institution, afin de
se déterminer des repères différents. D’ailleurs, cette partie de la démarche s’apparente
plus à une philosophie de la religion, au sens où c’est le phénomène de la religion qui
est sous examen. Le projet du monde de Bergeron consiste à concevoir la religion
comme structure d’humanisation et de relever ce qui entrave le passage d’un «soi
originel» vers un «soi final»236, totalement humain. Il cherche plutôt à affirmer la
présence du divin comme constitutive de la nature/essence de l’être humain et cela,
malgré le caractère subjectif d’une telle assertion. Cet appel de Bergeron à l’expérience
du divin que fait chaque être humain s’avère constituer un fondement fragile à un fait
que l’on veut objectif. Malgré ce détour que constitue le recours à la philosophie de la
religion, Bergeron demeure théologien de par la fin qu’il poursuit.
Il va même plus loin. Son christianisme affiché, qu’il justifie par l’empreinte que Jésus a
laissée dans la conscience humaine, est un modèle incontournable. L’ouverture de
Bergeron est en fonction de sa référence : il part sans quitter. Cela repousse un peu plus
loin, mais n’écarte pas complètement le reproche qui pourrait lui être fait
d’exclusivisme et d’absoluité.
233
Cette préoccupation est manifestée depuis les travaux qui ont amené à la parution du Cortège des fous
de Dieu… Voir en particulier à ce sujet p. 12.
234
Raymond Lemieux, «Croire, à l’épreuve des sociétés contemporaines», Lumen Vitae, no 4, 2004, p. 389.
235
À ce sujet, on lira avec profit Gérard Siegwalt, «Pourquoi l’Église?», Positions luthériennes, 1969,
p. 217-225. Cette conférence de Siegwalt résume bien les contours de cette question de l’utilité de
l’Église.
236
Nous reprenons ici la formulation de Marc Renault, voir note 141.
99
Enfin, c’est un lieu commun que d’affirmer que le spirituel est aussi politique. En effet, la
cité de Dieu, lorsqu’elle se réalise à l’échelle humaine, a une incidence sur la cité des
hommes par le vivre-ensemble qu’elle propose. D’où les réactions à une telle présence
dans la cité des hommes. Les réponses apportées par Bergeron à ce sujet en sont une
confirmation. Il accepte cette présence avec certaines réserves. C’est ainsi qu’il s’associe
à des théologiens qui contestent l’Église institution, tout au moins sa volonté
centralisatrice et son passéisme, selon le jugement qu’ils en font. Par exemple, il sera
l’un des signataires d’une lettre ouverte adressée aux évêques et au peuple croyant en
2005. Cette lettre revendique la décentralisation, la codécision, l’égalité entre les sexes,
l’accueil de toutes les personnes et une orientation clairement œcuménique237. Il y a là
des enjeux politiques indéniables qui sont affirmés au nom d’une spiritualité qui se veut
«éclairée».
3.2
La perspective de Bergeron : entre rétrospective et prospective.
On pourrait dire en tout cas qu’il y a une causalité réciproque entre
réflexion théorique et choix de vie. La réflexion théorique va dans un
certain sens grâce à une orientation fondamentale de la vie intérieure, et
cette tendance de la vie intérieure se précise et prend forme grâce à la
réflexion théorique.238
À la fin de ce parcours sommaire du cheminement de Richard Bergeron en ce qui a trait
à l’enjeu de l’Église, on ne peut que constater un changement radical de perspective qui
l’amène à faire son nid en marge de l’institution. Ce changement de perspective,
Bergeron en donne la raison :
La grande partance se situe dans un processus de passage du Dieu objectif de la
religion instituée, du dogme de la loi et de la morale, au Dieu imprévisible de la
subjectivité. Le Dieu objectif est immuable dans ses paroles et ses exigences; il
est rassurant parce que prévisible. La théologie et le clergé en ont fait le tour et
en connaissent les volontés. C’est un Dieu qu’on peut amadouer, domestiquer,
mettre au service de ses besoins et de ses désirs. Au contraire, le Dieu de la
subjectivité échappe à toute prise de l’intelligence et du cœur, de la morale et
des vertus. C’est un Dieu libre comme l’air, imprévisible, étonnant indomptable.
C’est le Dieu de la question, mystère innommable, qui a une parole particulière
237
Voir la « Lettre aux évêques», paru sur le site web du réseau Culture et foi, avril 2005 (consulté le 21
novembre 2011).
238
Pierre Hadot, La Philosophie comme manière de vivre, Paris, éd. Albin Michel, 2001, p. 168.
100
pour chacun, interpelle chacun de façon originale et pose sur chacun une
exigence spécifique.239
Bergeron a pris résolument le virage d’une théologie de l’objectivité à une théologie de
la subjectivité, comme la suite de ses livres l’a montré. Il s’agit du même coup du
passage d’une théologie de la tradition constituée à celle d’une théologie qui
s’improvise au fil des questions que la parole de Dieu pose à ceux et à celles qui
acceptent de se laisser interroger par elle.
Par ailleurs, Bergeron ne se fait pas d’illusion sur le sort qui lui est réservé au terme d’un
tel parcours :
La partance spirituelle stigmatise socioreligieusement le partant : «C’est un
utopiste, dit-on, un rêveur qui n’ira nulle part, un irresponsable qui est infidèle à
ses engagements, un révolutionnaire qui ébranle les structures, un hérétique qui
s’éloigne de la vérité, un loup dans la bergerie. Allons, tuons-le…».240
Cette description pourrait nous amener à considérer la perspective de Bergeron comme
étant proche d’un quelconque prophétisme, au sens où il emploie ce mot à propos de la
parole de Jésus241 : sa perspective est dans «l’ici-maintenant et ouvre toute histoire,
individuelle et collective». Ce prophétisme comporte son lot de dangers, comme le
mentionne Bergeron. Il nous apparaît cependant que ce changement de perspective est
en continuité avec la démarche qu’il a fait sienne. En effet, Bergeron demeure avec
Jésus comme modèle de référence, modèle revu et corrigé. Toutefois, ce
christocentrisme assumé pose ici problème, si l’on fait toujours de Bergeron un cas type
de transformation similaire à ce qu’a vécu la société québécoise. En effet, l’adhésion de
la société québécoise au modèle proposé par Bergeron est loin d’être certaine.
Le Bergeron des jeunes années garde quand même une valeur d’exemplarité au niveau
socioreligieux : les accommodements qu’il conçoit, de part et d’autre, au début de la
prise de conscience d’une certaine fracture entre la cité de Dieu et la cité des hommes;
la prise de distance en lien avec la rencontre des autres religions qui ouvre sur le
monde; voire, la décision de sortir du cadre imposé par l’institution; toutes ces phases
sont véritablement en synchronie avec l’évolution de la société québécoise envers
l’Église catholique. On pourrait également concéder que cette société a fait une large
place à d’autres dimensions religieuses, à l’accueil de nouvelles spiritualités qui, dans un
premier temps, comblaient un vide; et qui ensuite sont devenues des réservoirs de sens
239
Richard Bergeron, «La grande partance», Itinérances spirituelles…, 2002, p. 31-32.
Ibid., p. 38.
241
Richard Bergeron, Et pourquoi pas Jésus…, p. 308.
240
101
répondant à des besoins à la carte, des spiritualités qui, à ce titre, ne peuvent plus jouer
un rôle unificateur, identitaire au sein de cette société. Ce qui ne va plus, ce qui se
révèle a contrario de cette évolution en symbiose avec la société québécoise, c’est le
retour qu’opère Bergeron à «Maître Jésus» comme le modèle de référence. De fait, la
société québécoise s’est donné plusieurs voies d’expression de la spiritualité et elle ne
s’est pas donné le moyen de discriminer entre ces différentes voies. C’est ainsi que
toute spiritualité qui ne va pas en contradiction avec l’exercice des droits de la personne
est permise. La société québécoise se veut très tolérante dans ce domaine et cette
ouverture au pluralisme religieux fait consensus. Tout au plus fait-on vaguement appel à
une préférence pour un «humanum» minimal, pour reprendre l’expression consacrée
par Bergeron, auquel on s’attend et qui permettrait d’en juger pour soi-même.
Pourtant, sans quitter, Bergeron va plus loin : il faut refonder l’Église sur de nouvelles
bases, l’institution ayant perdu de sa pertinence. En même temps, il affirme que
quelque chose d’elle doit demeurer afin de préserver un magistère assurant que la
référence à Jésus ne soit pas n’importe quel bricolage sans rapport avec l’enseignement
du personnage. Il faut cependant être prudent avec le fantasme de l’origine dans ce
référentiel et s’en tenir à une assise solide dont l’Église actuelle demeure le dépositaire.
Il ne s’agit donc pas simplement de détruire le temple et d’en construire un nouveau,
mais de reconstruire sur la même fondation.
Dans cet esprit, faire du couple un nouveau lieu spirituel, comme le sont la vie religieuse
et la vie consacrée, apparaît pour le moins original, mais congruent avec la modernité.
Ce nouveau lieu spirituel doit, en amont, répondre à deux défis. Le premier défi est
l’articulation couple et spiritualité : le couple, baignant dans une société séculière et
étant constamment sollicité par le quotidien, pourrait ne pas voir, sauf exception, la
valeur ajoutée de cette articulation. Le deuxième défi est cette connaissance minimale
de ce modèle de «Maître Jésus», connaissance préalable à l’adhésion du couple :
comment l’acquérir et comment faire vivre suffisamment ce modèle afin qu’il puisse
être considéré dans le choix des possibles pour deux personnes qui souhaitent se
donner une spiritualité commune? Ici, les réponses sur cette avenue sont partielles et il
ne peut en être autrement, car il s’agit d’une situation inédite. Pour les premières
générations d’une société qui se sécularise, il reste peut-être assez de prégnance pour
une référence au modèle, mais cette prégnance s’estompe rapidement. Ce nouveau lieu
spirituel n’est donc pas très solide en ce qui a trait à sa pérennité.
Somme toute, Bergeron reprend ainsi l’héritage de l’Église catholique au Québec dans
un regard rétrospectif synthétique en même temps qu’il tente de donner un nouveau
souffle à cet héritage, et cela a pour effet de donner à sa perspective une dimension
102
prospective qui ouvre à un avenir qui peut sembler vouloir s’éteindre s’il n’y a pas une
forme quelconque d’institutionnalisation.
À cet égard, il y a lieu de s’interroger si, depuis Les Pros de Dieu, Bergeron ne se livre pas
à une analyse psychanalytique de l’Église-institution en lien avec le traumatisme de son
institutionnalisation comme religion et de sa propre instrumentalisation comme clerc.
En tous les cas, sa méthode s’apparente à celle de la psychanalyse. En poursuivant dans
l’interprétation psychanalytique, on pourrait certes établir un lien avec une autre
instrumentalisation liée à son histoire personnelle242 : lorsque, à pied levé, le petit
Richard remplace l’aîné pour aller au séminaire, il devient, en raison du refus de l’aîné
d’assumer cette charge, le prêtre de remplacement que souhaitaient probablement les
parents. On pourrait soupçonner que sa résistance à l’obéissance est une séquelle de
cette obéissance première qui allait à tout jamais changer sa vie. D’autant plus, comme
nous l’avons vu précédemment, que la famille est une des images, un «archétype», de
l’Église. La résistance exprimerait alors une inversion tardive de ce qui n’a pas pu et ne
pouvait pas être verbalisé à l’époque. Ce questionnement ne préjuge en rien de l’appel
vocationnel que Bergeron se reconnaît avoir eu. Mais cela explique sa ténacité à
résoudre cette question.
Afin de mieux cerner cette quête, on peut également s‘intéresser au cheminement
spirituel de Bergeron, à la façon dont il a vécu sa propre conversion à la spiritualité
séculière.
D’abord, comme il l’a reconnu lui-même, en tant que jeune religieux, Bergeron
entretenait une relation mimétique avec son modèle. Il comprenait sa vocation comme
étant de devenir un autre Christ à la manière de St-François, fondateur de son ordre
religieux. La structure du cadre religieux l’en a empêché alors même qu’elle devait en
favoriser l’éclosion. Ensuite, à son insu, comme il l’avoue lui-même, il a quitté le
mimétisme pour la théologie. Il est ainsi passé de la foi vécue à la raison croyante. Ce
déplacement de posture n’est pas anodin, car ces éléments ne semblent pas
s’additionner chez lui : il est de moins en moins question d’imiter, mais de plus en plus
de comprendre. D’ailleurs, s’il participe aux liturgies, durant plusieurs années Bergeron
ne souhaitera pas en officier243. La cohabitation de ces postures était-elle possible ou
fallait-il nécessairement que l’une remplace progressivement l’autre? Il semble bien que
ce dernier cas illustre la façon dont cela s’est passé. Toutefois, Bergeron ne renonce pas
à les faire se converger, mais autrement :
242
243
Voir à ce sujet l’Annexe 1, La chronologie des événements de vie de Bergeron, année 1945.
Entretien de l’auteur avec Richard Bergeron en 2012.
103
Après plusieurs années de dialogue et plusieurs volumes (Vivre au risque des
nouvelles religions -1997, Les Pros de Dieu -2000, Renaître à la spiritualité -2002
et Hors de l’Église, plein de salut -2004), j’en arrive aujourd’hui à me définir
chrétiennement de la façon suivante : je suis et je veux être un spirituel 1) à
l’écoute du Christ Maître intérieur, 2) en référence prioritaire à la tradition des
spirituels qui se sont mis ou sont à son écoute et 3) en dialogue avec tous les
groupes chrétiens et toutes les traditions religieuses.244
Cette définition a certes des conséquences importantes, dont la rupture avec
l’institution qui revendique l’absoluité et l’exclusivisme. Ainsi,
L’identité chrétienne interreligieuse pose de graves questions au système
catholique. Elle fait particulièrement pression sur les dogmes concernant
l’absoluité et l’unicité du Christ et de l’Église : un seul Christ, un seul sauveur, une
seule révélation, une seule Église. Certes il ne faut pas trop se hâter de rejeter
ces formulations devenues difficiles; il faut continuer à leur prêter une attention
religieuse même si momentanément on peut ne plus être capable d’y adhérer
dans leur teneur officielle. On ne décroche pas un vieux cadre parce qu’il ne dit
plus rien : peut-être qu’un jour il nous parlera.
Enfin, avec sa propre mise hors-jeu, Bergeron a complété son cheminement de la raison
croyante à propos de Jésus par une nouvelle manière de vivre que l’on retrouve dans
l’enseignement de «Maître Jésus». Cette troisième étape est philosophique au sens où
l’entendait la philosophie ancienne245. D’ailleurs, les références des derniers livres sont
principalement tirées d’œuvres philosophiques plutôt que de traités de théologie.
Comme si la raison croyante se trouvait trop à l’étroit dans la discipline théologique
pour rendre compte de la totalité du fait religieux et du renversement de perspective de
Bergeron. Il peut vivre sa foi autrement à l’intérieur de ce nouveau paradigme.
Il apparaît donc que cette sagesse obtenue par la philosophie permet à la raison
croyante d’articuler un mimétisme qui prend acte des acquis de la modernité. Bergeron
refait donc le chemin qu’il a suivi et répond ainsi à l’appel de ses jeunes années en
244
Cette citation et la suivante sont tirées d’une conférence de Richard Bergeron prononcée à la
rencontre annuelle de Culture et Foi (2005) : «Dialogue et identité chrétienne. Évocation d’un
cheminement», sur le site web du réseau Culture et foi, p. 3 et p. 5 (consulté le 11 novembre 2011). On
retrouve les mêmes affirmations écrites de façon plus schématique dans le Bulletin du Réseau Culture et
foi 11, no 2, octobre 2005, p. 9-10 (consulté le 23 mars 2015).
245
Voir à ce sujet Pierre Hadot, La Philosophie comme manière... D’ailleurs, signalons qu’Hadot, comme
Bergeron, a été influencé par Newman, voir p. 102 : « Le real assent, c’est quelque chose qui engage tout
l’être : on comprend que la proposition à laquelle on adhère va changer notre vie.» Une telle description
correspond à une manière de faire qu’ont certains philosophes de l’antiquité.
104
concordance avec l’esprit de ce temps. En plus de redéfinir sa vocation originelle,
Bergeron ouvre une voie qu’il pressent comme étant la voie dans laquelle notre société
séculière doit cheminer. En ce sens, son œuvre peut avoir une valeur prospective.
Il faut noter également que l’analogie faite par Bergeron entre sa quête et celle
d’Abraham246, évoque à tout le moins une sortie individuelle de la communauté
d’appartenance, en l’occurrence l’Église catholique. Si le chemin est individuel, le
«journal de bord» de cette aventure est partagé; il crée ainsi une communauté, mais qui
ne fait pas «Église». Un peu à l’image du couple comme nouveau lieu spirituel, on
pourrait penser à un cheminement avec un compagnon ou une compagne alors qu’on se
serait attendu à la fondation d’une communauté de base comme lieu de discussion,
d’exploration et d’incarnation de ce renouveau. Parti de l’Église sans la quitter, Bergeron
ne souhaite pas la reconstruire à la manière de Saint-François, son modèle et son
inspiration. Il n’est pas un réformateur.
3.3
L’enjeu de l’Église au Québec : qui est le maître du jeu?
La majorité des Canadiens français en ont soupé, paraît-il, des histoires de
bavettes et de cornettes. Il faut bien pourtant parler de religion. Il n’y a
pas d’autre problème sérieux.247
Cette citation illustre bien que des hommes très différents dans leurs parcours religieux,
comme le sont Bergeron et Jean-Paul Desbiens, issus de la même génération à quelques
années près, font le même constat et partagent une même préoccupation quant à la
présence de la religion dans la cité. La réponse de Bergeron à cette situation est
cependant jugée par certains théologiens comme trop individualiste, elle ne prend pas
en compte la rencontre avec les autres et délaisse trop rapidement leur héritage
religieux :
Je me demande comment une personne vouée à la vie spirituelle telle que
Richard Bergeron, si humble et si gentille par ailleurs, a pu décider de se dresser
contre l’Église catholique même en concevant que la vie mystique puisse
parfaitement s’inscrire dans la tradition catholique. Derrière ce choix, je crois
246
En cela Bergeron s’inscrit dans une tradition : «Porter son agir vers le regard de l’Autre, comme l’y
incitent les traditions abrahamiques, est …plus que l’autonomie. C’est aussi laisser place… à une
possibilité de sens qui soit acte de transcendance sans cesse renouvelé…» (Raymond Lemieux, «Croire, à
l’épreuve…», p. 390).
247
Jean-Paul Desbiens, Les insolences du frère Untel, Montréal, éd. de L’Homme, 1960, p. 63.
105
entendre l’appel de Fernand Dumont suppliant : «De grâce, pas de
monopole!»248
Force est de constater, malgré la tentative de réconciliation tentée par Bergeron avec
«Maître Jésus» en lieu et place de l’institution, que le Québec en a encore soupé de sa
relation avec la religion et se satisfait très bien de reléguer le plus possible la chose à la
sphère privée. Pourtant, en quoi est-ce un problème sérieux, si ce l’est encore, alors que
le Québec a connu un développement économique, social et culturel des plus
importants depuis la Révolution tranquille? On peut apporter plusieurs réponses selon
que nous nous situons au niveau individuel, au niveau de la cité ou encore au niveau de
la civilisation occidentale. Chaque réponse demanderait de longs développements pour
rendre justice à la question posée. Ce n’est pas le lieu pour le faire, mais nous
relèverons toutefois quelques éléments à prendre en compte dans toute tentative de
réponse.
Comme notre société n’exige pas une adhésion à une religion, il s’agit d’un choix
individuel. Encore que, phénoménologiquement, avoir la foi ne se présente pas comme
une décision réfléchie, mais plutôt comme ce que les croyants appellent un «don» et qui
se présente dans la vie concrète comme une responsabilité qui peut avoir été reçue
d’une tradition culturelle, ou encore provenir d’un appel indéfinissable mis au compte
de Dieu. Par ailleurs, le cas échéant, il se peut que cette foi reçue finisse par ne plus se
reconnaître dans la religion-institution. Dès lors, le croyant, soit l’accepte quand même
telle qu’elle est, soit milite à sa transformation, soit encore se refuse à reconnaître
l’institution qui incarne cette foi. Dans les deux premiers cas de figure, on pourrait
associer respectivement Jean-Paul Desbiens et Richard Bergeron. Cela ne s’est pas fait
sans difficulté, à un point tel que Bergeron est sorti du cadre qui était le sien afin de
pouvoir mieux proposer une redéfinition de l’institution. Il faut cependant admettre que
le choix qui est fait a une répercussion sociale et politique. Il en est de même pour ces
catholiques non pratiquants qui ne s’associent en rien à l’enseignement de l’Église, mais
248
Gregory Baum, Vérité et pertinence. Un regard sur la théologie catholique au Québec depuis la
Révolution tranquille, Montréal, Fides, 2014, p. 168-169. Signalons que Baum s’intéresse également au
théologien André Naud (p. 273-279) qui a connu un cheminement semblable à celui de Bergeron. Est-ce le
fait d’une génération de théologiens vivant dans un contexte précis? La question peut se poser. Citons ce
que Naud disait de lui-même : «… mes livres et mes articles témoignent des nombreux malaises qui
m’habitaient. Peut-être puis-je dire que ces malaises étaient de deux sortes. Les uns portaient
principalement sur la manière dont le Magistère concevait son rôle et s’imposait aux croyants. Les autres
portaient sur la manière dont je vivais moi-même, au quotidien, les relations entre foi et raison en rapport
avec les questions les plus variées.» (André Naud, Les dogmes et le respect de l’intelligence. Plaidoyer
inspiré par Simone Weil, Montréal, Fides, 2002, p. 27). Voir aussi la thèse de doctorat de Gilles Bouchard,
«André Naud, témoin de sa génération…et prophète?» Québec, Université Laval, 2011.
106
qui souhaitent conserver le minimum de rituels pour leur propre vie (baptême, mariage,
funérailles…). Cette adhésion implicite est loin de l’engagement explicite envers
l’institution.
De fait, dans une société comme le Québec, la religion catholique assurait une cohésion
sociale : elle était un «liant» qui assurait la concorde. Bergeron adhérait d’ailleurs à
cette vision. Pour cette raison, certains souhaitent sa réaffirmation :
C’est donc un raccommodement souhaitable de raviver notre rapport à la
religion et plus particulièrement au catholicisme. Pour nous Québécois, c’est
notre ancrage et notre repère le plus avéré. C’est le berceau de nos origines et,
comme disait Tocqueville, «l’homme est pour ainsi dire tout entier dans les
langes de son berceau».249
Le christianisme dans notre société serait nécessaire parce qu’il agirait à la manière du
sel donnant saveur au plat, pour reprendre la métaphore évangélique. Or, bien des
Québécois, dont Bergeron, ne se reconnaissent pas dans un plat ainsi apprêté :
On est bien loin de l’unanimité culturelle et de l’homogénéité religieuse d’hier,
mais plutôt dans une société pluraliste, pluralisme qu’on retrouve au sein même
de l’Église. Redisons-le, les catholiques ne sont pas une secte qui, on le sait, se
voudrait totalement unanime et en opposition au monde extérieur. Toute Église
doit au contraire tenir compte de la société dans laquelle elle s’inscrit.
Aujourd’hui, le confessionnalisme tout terrain décrédibilise tout autant l’Église
catholique et ses membres que le christianisme lui-même. Historiquement, celuici a été porteur d’une riche diversité culturelle et religieuse, et de nombreuses
traditions. Cela s’est estompé avec la «chrétienté» où Église, société et culture
uniforme faisaient qu’un. On a connu cela chez nous. Conserver ce modèle, cette
posture, y compris au sujet de l’école, ce serait pour les catholiques s’aliéner
eux-mêmes du nouveau contexte que je viens d’évoquer.250
C’est pourquoi Richard Bergeron et Fabrice Blée, professeur à la Faculté de théologie de
l’Université St-Paul, écrivent en lien avec leur appréhension du temps présent : «on ne
peut plus être catholique sans être œcuménique, et être œcuménique, c’est être
catholique autrement»251. Ce qui amène à devoir considérer la modernité de façon
249
Louis-André Richard, «Nation et raccommodement raisonnable», dans Louis-André Richard (dir.), La
nation sans la religion. Le défi des ancrages au Québec, Québec, P. U.L., 2009, p. 22. La citation de
Tocqueville est tirée de De la démocratie en Amérique(I), Paris, éd. ML et frères, 1864, p. 41.
250
Jacques Grand’Maison, Société laïque et christianisme, Montréal, Novalis, 2010, p. 131.
251
Richard Bergeron et Fabrice Blée, «La prière chrétienne interreligieuse : de la praxis à la théologie»,
dans Prier Dieu dans un monde sans Dieu, Montréal, Médiaspaul, 2006, p. 31.
107
inclusive et à en faire un préalable à toute discussion sur l’avenir de l’Église du Québec.
Ce phénomène n’est pas exclusif au Québec, il est à peu près le même dans l’Occident
chrétien. Malgré tout, ce fait ne devrait pas trop inquiéter, car la sécularisation n’est pas
sans parenté252 avec le christianisme et celui-ci ne devrait pas désespérer de celle-là :
Le christianisme a engendré un monde qui le conteste ou qui peut se passer de lui;
mais un monde avec lequel il demeure en connivence matricielle et auquel il a
toutes les chances de demeurer associé, moyennant évolution et adaptation. La
modernité est son autre, il s’y est senti violemment étranger, il l’a rejeté – côté
catholique surtout… Et puis, ce combat d’arrière-garde épuisé, il s’avère que le fait
chrétien possède une affinité occulte avec le plus moderne du moderne.
Probablement même, si l’on pousse l’analyse, le christianisme est-il la seule religion
en l’état compatible jusqu’au bout avec la modernité. Même chose avec l’Église :
l’institution typique que la modernité est vouée à contester; mais une institution
indépassablement enracinée dans l’histoire qui la conteste. Il faut sensiblement
complexifier les antagonismes qui nous sont familiers si l’on veut entrer dans
l’intelligence effective de tels phénomènes…253
Le travail de Bergeron est en droite ligne avec cette volonté d’adapter ce qu’il en est de
l’Église : partir sans quitter, ne pas (re)nier son enracinement et surtout ne pas enlever
trop rapidement le «vieux cadre», car il pourrait «parler» à nouveau.
En outre, comme l’écrit Yvan Lamonde à propos de la situation au Québec :
Dans un régime de séparation de l’État avec l’Église et de neutralité de l’État, la
distinction qui s’impose ici veut que cette majorité ne constitue pas une majorité
politique; dans la perspective de la vie civile démocratique moderne, la religion n’est
pas un marqueur civil ou politique et ne l’est qu’au risque de l’intolérance latente de
sociétés où l’absolu de la croyance peut mener à un prosélytisme dogmatique sinon
à l’intégrisme. Dans une société donnée, telle religion majoritaire parmi d’autres à
un moment, a tout à gagner, eu égard à son droit d’existence et de manifestation
d’une croyance, à concevoir que la sauvegarde de la spiritualité et du sacré est
d’autant plus assurée que ce droit ne se réduit pas à l’institutionnalisation, à la
recherche du pouvoir politique et à l’exclusion. N’a-t-on pas appris au Québec qu’à
252
Nous empruntons cette expression à Jacques Grand’Maison, Une spiritualité laïque au quotidien,
Montréal, Novalis, 201, p. 8.
253
Marcel Gauchet, «Retour du religieux», dans Un monde désenchanté?, Paris, Les Éditions de
l’Atelier/Éditions Ouvrières, 2004; Paris, éd. Pocket, 2007, p. 192-193. Les pages référent à l’édition de
2007.
108
trop vouloir sauver l’institution et son pouvoir, on a aussi jeté le catholicisme et
peut-être – c’est la question lancinante et plus grave – le sens du sacré?254
Bergeron, bien ancré dans la société québécoise, pouvait en mesurer la conséquence, ce
que décrit bien un grand penseur de l’évolution du Québec contemporain comme
Gregory Baum :
… la société ne reste vivante et non répressive que si elle est ouverte à la
transcendance. Non pas une transcendance au-dessus de la communauté, mais une
transcendance immanente à la substance. À défaut de s’ouvrir à la transcendance, la
société fera de sa vision et de ses valeurs une idéologie fixée, elle sacralisera ses
pratiques et se verra comme une manifestation de l’absolu. À défaut de s’ouvrir à la
transcendance, la société deviendra une idole.255
Voilà pourquoi il s’agit d’un problème sérieux auquel il faut apporter une réponse, non
pas seulement pour nous-mêmes, mais pour notre nation. À défaut de l’avoir nommé,
Bergeron s’est fait l’explorateur d’une société séculière qui peut réactualiser un espace
pour le sacré. Il pressentait que ce qui est arrivé à l’Église d’ici pouvait préfigurer ce qui
pourrait arriver à la société québécoise.
3.4
Le jeu en valait-il la chandelle? En guise de conclusion
En me voyant, on devrait pouvoir dire : c’est du Bergeron, mais c’est aussi
du Jésus.256
Malgré le fait que Bergeron se donne en exemple en tant qu’annonciateur d’une société
québécoise ouverte à une spiritualité, fut-elle séculière, il semble bien que la cité de
Dieu ne sera plus jamais amalgamée à la cité des hommes, tout au moins en Occident
chrétien, hormis le fait d’un héritage ou d’un patrimoine, accolé à cet espace
géographique et historique. De même, il ne faut pas espérer, à court ou à moyen terme
– qui peut dire ce qu’il en sera dans le long terme? – , que la religion redevienne un
«liant» fondamental à l’identité d’une nation. Le Québec ne fait pas ici exception et on
pourrait même soutenir que la dilapidation du patrimoine chrétien est plus rapide au
Québec que dans bien des nations.
254
Yvan Lamonde et Bruno Demers, Quelle Laïcité?, Montréal, Médiaspaul, 2013, p. 28-29
Gregory Baum résume ainsi la conclusion de Fernand Dumont (celle de son livre Raisons communes
Montréal, Boréal, 1995) dans Fernand Dumont, un sociologue se fait théologien, Montréal, Novalis, 2014,
p. 153.
256
Richard Bergeron, Et pourquoi pas…, p. 152.
255
109
Alors le jeu en valait-il la chandelle? Le parcours de Bergeron a-t-il été inutile? C’est
plutôt le contraire en ce qui le concerne personnellement : un tel parcours lui a permis
de retrouver le sens d’un engagement spirituel qui lui permet de partir sans quitter. Par
ailleurs, explorer la voie ouverte par Bergeron afin d’y trouver une nouvelle articulation
entre religion et nation ne donne pas le résultat probant que l’on espérait trouver au
départ. Il faut reconnaître qu’une telle ambition n’était pas une visée de ses travaux,
mais elle aurait pu nous y conduire, Bergeron lui-même se présentant comme un cas
représentatif de l’évolution de notre société. Toutefois, si l’on veut bien comprendre
l’enjeu de l’Église en lui-même et pour notre société qui se transforme, si l’on souhaite
se donner quelques éléments permettant de renouer le dialogue entre une institution
figée et une communauté de croyants au sein de cette cité résolument moderne, le
travail du théologien Bergeron est un guide sans pareil.
En effet, Richard Bergeron a voulu adapter sa foi aux nouvelles exigences de la
modernité. Il ne se départit pas de sa vocation seconde pour le faire, ses qualités
d’enseignant et de chercheur sont mises à contribution. Nous pouvons qualifier son
point de vue de chrétien-catholique. Son option est radicalement chrétienne en
référence à un cadre catholique qu’il passe au tamis de son jugement critique, jugement
construit par son expérience de vie de même que par ses formations intellectuelle,
religieuse et spirituelle ainsi que par son appartenance forte à une société en
mouvement. Ce filtre fait qu’il ne peut adhérer à la totalité de l’enseignement de cette
Église et qu’il se distancie de même de l’institution où toutes les responsabilités
majeures sont dévolues à des clercs.
La perspective de Bergeron est christocentrique avant que d’être ecclésiologique. Ce qui
lui permet d’amoindrir les contradictions que soulève son appartenance au
catholicisme. En ce sens, il ne peut plus être le représentant de l’institution et il en a tiré
la conclusion qui s’imposait. Ce choix de chrétien-catholique lui permet d’éviter
cependant les écueils d’une «non-affiliation » à une religion organisée. Ainsi s’il ne
s’affirmait que comme chrétien, Bergeron aurait pu être tenté par le prophétisme ou
encore le spiritualisme. On reconnaît d’ailleurs certains accents en ce sens au fil de son
œuvre. Bergeron choisit plutôt la fidélité dans le renoncement : il demeure dans le
sillage de l’Église qu’il quitte et lui propose une nouvelle lecture de son rôle à la lumière
des défis du temps présent, tout en étant solidaire de la société dans laquelle il évolue.
En fait, malgré ce qu’il a pu écrire à ce sujet, Bergeron ne souhaite pas la destruction du
Temple. Il en ébranle les colonnes afin de lui donner une meilleure assise. Ainsi, faire
que l’Église délaisse l’exclusivisme pour s’ouvrir au relationnel avec les autres religions
ouvre la voie à un relativisme qui n’est pas pour autant absolu : une réciprocité
110
asymétrique est possible. De même, le retour à un enseignement consensuel minimal
entre les religions chrétiennes permettrait un point de rencontre et une redéfinition
commune de ce qu’est l’Église sans empêcher une Église particulière d’avoir sa propre
couleur. Proposer un nouveau lieu spirituel en complément aux lieux spirituels existants
est également une tentative de réponse originale à une adaptation nécessaire aux
besoins spirituels de notre temps. Enfin, faire du Christ le «Maître Jésus» est audacieux :
Bergeron propose la sagesse de Jésus comme aboutissement de la foi chrétienne et cela
donne un élément discriminant qui permet de juger des situations religieuses et
humaines qui se présentent sur la route du croyant, cela afin de développer son
humanité intégrale. Une question demeure en lien avec cette dernière proposition, celle
de la «suivance» : quel cadre organisationnel peut engendrer une suite, constituée de
personnes autonomes sur le plan de la foi et de la raison, à «Maître Jésus»? Mais, même
si tout n’est pas attaché, cela a le mérite d’interpeller notre société.
Toutefois, même si Bergeron se considère comme un exemple à suivre, voire comme le
prototype de ce qui émergera de l’évolution spirituelle de notre société, il s’agit plus
d’une traversée en solitaire en lien avec son histoire personnelle qu’avec celle de notre
société. Sa réinterprétation de ce que sont la fidélité à l’Église et la fidélité à Jésus est le
fait d’un parcours atypique qui s’insère à l’intérieur de l’évolution de la société
québécoise. Elle en est enrichie.
Nul doute, après cette récapitulation, que le jeu en valait la chandelle…
111
Annexe I
Chronologie de Richard Bergeron
•
1933
Naissance de Richard dans une famille religieuse et instruite du Saguenay : il y avait déjà
des prêtres dans la famille.
Les parents de Richard auront sept enfants : il sera le troisième enfant et le deuxième
garçon. L’aînée sera appelée à s’occuper de la famille avec sa mère alors que, parmi les
autres, il y aura deux prêtres et une religieuse.
•
1943
Installation de la famille à Clermont dans Charlevoix.
•
1945
Richard entre au séminaire des Franciscains à la suite d’un concours de circonstances.
D’abord, il s’agissait d’assurer les études d’Alphonse l’aîné des garçons. Les parents ont
choisi ce séminaire en raison du coût de la pension (15$/mois au lieu de 30$/mois au
séminaire de Chicoutimi). Or, celui-ci refuse d’y aller. On propose de le remplacer par
Richard, ce qui est accepté. Richard ira donc au séminaire de Trois-Rivières à l’âge de
onze ans et demi comme pensionnaire. Il reviendra à la maison deux fois par année
comme c’était la coutume. Richard sera identifié à son arrivée comme l’Alphonse
attendu.
Élève appliqué, très bon sportif, notamment au hockey, Richard doublera quand même
une année. Il rencontre au séminaire des maîtres très instruits et passionnés par leur
discipline.
•
1952
Le 2 août, c’est l’entrée au noviciat de Sherbrooke à 18 ans et demi.
•
1953
Richard fera Philo I et Philo II au monastère de l’Alverne à Québec. Il y rencontre des
Franciscains plus libéraux qui l’influenceront.
113
•
1956
Bergeron prononce ses vœux solennels. Il s’agit du moment décisif dans son choix
vocationnel. Cette décision est l’aboutissement d’une longue démarche.
Formation théologique à Montréal (Rosemont).
•
1960
26 juin : ordination sacerdotale.
Bergeron éprouve une immense joie. C’est un geste cohérent de la communauté qui
offre la prêtrise à ceux qui «ont des études». Toutefois, Bergeron se voit d’abord
comme un Franciscain, c’est sa «façon d’être au monde».
Bergeron ne fera pas de ministère en paroisse, ni non plus de confession (il arrêtera
après un an). Il arrêtera même de célébrer la messe durant plusieurs années, préférant y
assister en fraternité ou en paroisse. Son ministère sera plus de l’ordre prophétique par
l’enseignement universitaire (théologie) et par les nombreux prêches en paroisse et
dans les communautés religieuses (théologie spirituelle).
Maîtrise en théologie à l’Université d’Ottawa.
•
1961
Retour au séminaire des Franciscains à Trois-Rivières comme directeur du niveau
«Éléments latins» (première année du secondaire).
•
1962
Études doctorales à Strasbourg et obtention du titre de docteur en 1965.
•
1965
Nomination comme professeur au scolasticat de Montréal.
•
1966
Fermeture du scolasticat. Enseignement religieux au collège Édouard-Montpetit et
engagement en cours d’année comme professeur au Grand Séminaire.
Alors que son intérêt et ses études portent sur l’ecclésiologie (il voulait mieux
comprendre la notion d’obéissance), on lui demande de donner au scolasticat un cours
de christologie qui fut fort apprécié. Or, le Sulpicien qui dispensait ce cours au Grand
114
Séminaire tomba gravement malade et on demanda à Bergeron de le remplacer. Il y
avait 95 étudiants à ce cours, dont Mgr Ouellet.
Les Franciscains, sous la pression de certains de leurs membres dont Bergeron, louent et
achètent des maisons, ouvrent des petites fraternités en s’inspirant de ce qui se fait
dans d’autres pays. Bergeron est responsable d’une des fraternités située près de
l’Université de Montréal, rue McKenna.
Ces fraternités auront à inventer leur style de vie. Il y aura même la création de la
Fraternité régionale du Centre-sud de Montréal regroupant trois maisons et organisant
ensemble des week-ends de réflexion et des célébrations.
•
1967
À la fin du cours au Grand Séminaire, le doyen de la nouvelle Faculté de théologie de
l’Université de Montréal lui offre un poste de professeur, qu’il accepte.
•
1966-67
Bergeron enseigne à mi-temps au Grand Séminaire et à l’Université, car il travaille un
autre mi-temps à la Faculté d’éducation permanente de l’Université de Montréal à la
mise en oeuvre d’une nouvelle catéchèse. Il démissionnera par la suite de ce travail.
•
1967-68 (jusqu’en 1994-95)
Enseignement à temps plein à l’Université. Deux cours de christologie lui sont assignés :
Histoire et destinée de Jésus (Christologie ascendante) et Mystère du Christ (christologie
descendante). Des versions tapuscrites de ces cours existent.
En plus de son enseignement, de sa participation à la vie universitaire (secrétaire de la
Faculté, vice-doyen, etc.), de ses recherches et de ses publications, il fera beaucoup
d’études sur différents sujets souvent à la demande du milieu, comme l’exige sa tâche
de professeur d’université.
•
1971
Parution des Abus de l’Église selon Newman.
•
1972
Visiting Fellow à Cambridge (congé sans solde). Ce congé correspond à une remise en
question profonde de ses vœux.
115
•
1973
Bergeron décide de vivre seul dans un appartement très modeste sur Alexandre-deSève. Ce sera une période d’intense ouverture à la dimension sociale.
•
1976
Avril. Le doyen Léonard Audet réunit les professeurs du département afin d’identifier un
problème contemporain à analyser. Habituellement, c’est la sécularisation ou la
laïcisation qui est choisie. Cette fois, ce sera le phénomène des nouvelles religions.
Bergeron se porte volontaire pour y travailler.
Juillet. Premier cours (d’été) donné sur les nouvelles religions. Bergeron continuera par
la suite l’enseignement et la recherche dans ce domaine. Il organisera d’ailleurs
plusieurs colloques et deux congrès internationaux. Il est captivé à tel point par ce
thème qu’il ne republiera en christologie qu’à sa retraite.
Parution d’Obéissance de Jésus et vérité de l’homme. Ce livre a été écrit en un mois et
demi à Cambridge en 1972. Le délai dans la parution est dû à un Nihil Obstat obtenu
avec difficulté. De fait, le comité de lecture québécois censure le livre comme n’étant
pas orthodoxe jusqu’à une réévaluation par un autre comité, français celui-là. Bergeron
ne recevra pas de droits d’auteur en raison du caractère litigieux du volume.
•
1977
Pendant trois ans, Bergeron participe à l’aventure de Quo Vadis, commune d’accueil
animée par des Franciscains hébergeant d’ex-prisonniers et d’ex-drogués de Montréal.
On leur propose même un séjour sur une ferme. Bergeron aura une chambre au centre
qu’il devra parfois partager avec des bénéficiaires.
•
1979
Parution de Faites vos jeux! Résurrection et Réincarnation.
•
1980
Installation dans une nouvelle fraternité sur la rue De Lorimier, et par la suite sur la rue
Laurier. Un incendie le fera déménager vers Longueil en 1989.
•
1981
Parution de L’Attrait du mystérieux. Bible et ésotérisme.
116
•
1982
Parution du Cortège des fous de Dieu.
•
1984
Fondation par Bergeron du Centre d’information sur les nouvelles religions (CINR) sous
l’instigation de Roland Chagnon et d’Irénée Beaulieu. Ce centre autonome analyse les
nouvelles religions dans une perspective chrétienne. Bergeron sera président du centre
pendant dix ans. Il sera membre du conseil d’administration pendant les quatre années
suivantes (jusqu’en 1998). Durant sa présidence, il s’occupera, bien sûr, des orientations
du centre, de son financement et de la publication des travaux du centre.
•
1985
Parution de Un chrétien face à la réincarnation, une version complètement révisée de
Faites vos jeux! Résurrection et réincarnation, 1979.
•
1986
La part d’héritage de ses parents est versée dans une fiducie (15,000$). Cet argent lui
permet d’acheter un terrain dans Charlevoix. Bergeron construit avec des amis et de la
parenté sur ce site un petit chalet qui deviendra son refuge.
•
1987
Parution des Fondamentalistes et la Bible.
•
1988
Parution de Damné Satan.
•
1990
Année sabbatique. Bergeron se désengage partiellement du CINR, même s’il continue
son implication jusqu’en 1996.
•
1991
Parution de Légende du grand Initié.
•
1992
Parution de Nouvel Âge en question (en collaboration).
117
•
1995
Retraite de l’université.
Parution des Nouvelles religions. Guide pastoral.
De mars à juillet, Bergeron enseigne au Zaïre et à Madagascar. Le 28 mai, Bergeron est
proclamé Professeur émérite de l’Université de Montréal en son absence.
En octobre, première rencontre avec Sylvia, qui deviendra par la suite son épouse.
Bergeron partagera son temps entre Montréal et Charlevoix où il a sa maison.
•
1996
En avril : prédication d’une retraite à Edmonton. Rencontre décisive avec Sylvia.
En mai, Bergeron donne deux entretiens-choc au chapitre des Franciscains qui a lieu à
St-Jérôme : «La foi : faut perdre la foi» et «L’identité franciscaine».
En juillet, Bergeron rencontre le supérieur provincial de sa communauté. Il se sent
«débordé». En conséquence, Bergeron utilisera divers moyens pour surmonter cette
crise : cours à l’Institut de pastorale sur la façon de gérer son agenda (septembre);
pratique de la méditation (début octobre) et thérapie avec un psychologue (fin octobre
à fin décembre, avec une autre rencontre le 25 mars 1997).
•
1997
Parution de Vivre au risque des nouvelles religions.
Conformément aux statuts de sa communauté, Bergeron demande un temps de
réflexion : un congé sabbatique de neuf mois lui est accordé. D’avril à la mi-septembre,
il fait une retraite complète dans un endroit isolé avec seulement les Évangiles et les
écrits de François d’Assise. De la mi-septembre à la mi-octobre, il se déplace en forêt au
Lac Coyottes (mont Élie). De la mi-novembre à la mi-décembre, il demeure en solitude,
mais cette fois dans le désert du Nevada. Il lit, durant la période 1997-98, Drewerman et
Durkheim, ces auteurs seront déterminants pour la suite des choses.
Il prend alors la décision de quitter les Franciscains et de fréquenter Sylvia. Il élabore
aussi un projet de vie qui précise ce que sera son nouveau mode de vie.
•
1998
Parution de Croyances et Société. Bergeron est directeur de la publication.
118
Bergeron obtient en février un congé d’absence du provincial des Franciscains, ce qui a
pour effet de le libérer de ses vœux pour un temps.
En mai, Bergeron suit avec Sylvia deux sessions de perfectionnement au centre
Durkheim en France.
•
1999
Bergeron demande sa laïcisation en début janvier, elle lui est accordée le 14 septembre.
Bergeron signe le rescrit de laïcisation en novembre, mais il le regrette en prenant
connaissance du contenu du document (rédigé en latin). Il fera même appel au cardinal
Turcotte en vue d’en dénoncer le contenu.
À la mi-novembre, Bergeron fait paraître une adresse à ses frères Franciscains afin
d’expliquer son départ : «Pour la suite de ma vie…» et ré-exprimer son attachement à
François d’Assise. Ce texte se termine par cette exhortation de François : «Mes frères,
jusqu’ici nous n’avons rien fait. Commençons.» Bergeron aura été franciscain pendant
43 ans depuis ses vœux solennels.
Bergeron recevra un montant de sa communauté (30,000$) et on lui donnera la voiture
dont il se sert afin de l’aider dans sa nouvelle vie.
•
2000
Parution d’un nouveau livre : Les pros de Dieu.
Bergeron assiste à un congrès en Corée.
Bergeron procède à l’agrandissement du refuge de Charlevoix afin d’accueillir Sylvia qui
y emménage. C’est le début de sa vie de couple.
•
2002
Parution d’Itinérances spirituelles. Bergeron est directeur de la publication avec Guy
Lapointe et Jean-Claude Petit.
Parution de Renaître à la spiritualité.
•
2004
Parution de Hors de l’Église, plein de salut!
Le 28 juillet, ce sont les fiançailles.
119
•
2007
Le 18 août, c’est le mariage civil avec une célébration à l’Église de St-Joseph-de-la-Rive.
•
2008
Parution de La vie à tout prix! En quête d’un art de vivre intégral.
Parution de Prier dans un monde sans Dieu : Bergeron est directeur de la publication.
•
2009
Parution de Et pourquoi pas Jésus?
•
2011
Parution de Le couple comme nouveau lieu spirituel.

2014
2 juin : Décès de Richard Bergeron à la suite d’une longue maladie. Il a écrit sa notice
nécrologique et rédigé un texte décrivant le déroulement de la cérémonie de ses
funérailles. Richard Bergeron a tout prévu, comme à son habitude.
«Tu nous laisses en héritage la beauté de ta vie, la profondeur de ta foi, le
courage de ton engagement, la qualité de ton esprit de service, ta passion
inépuisable pour la vérité et la liberté et ton amour du pauvre et du petit.»
Tiré du rite d’accueil composé pour ses propres funérailles.
Sur son signet funéraire, il a écrit :
«Il n’y a pas de meilleur lieu qu’ici, ni de meilleur moment que le maintenant.
Chaque situation est la meilleure occasion pour s’éveiller, désirer et grandir en
humanité, en subjectivité et en liberté.»
120
Annexe II
Bibliographie des documents cités
autres que les documents de Richard Bergeron
Augustin, La Cité de Dieu, 3 tomes, Paris, éd. du Seuil, 1994.
Baril, René, compte rendu de Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après Newman,
Montréal, Bellarmin, 1971, paru dans Studies in Religion/Sciences religieuses 2, no 4,
1973, p. 356-359.
Baum, Gregory, Fernand Dumont : un sociologue se fait théologien, Montréal, Novalis,
2014.
—, Vérité et pertinence : un regard sur la théologie catholique au Québec depuis la
Révolution tranquille, Montréal, Fides, 2014.
Beaumont, Keith, Petite vie de John Henry Newman, Paris, DDB, 2010.
Bellet, Maurice, Les allées du Luxembourg, Paris, DDB, 2004.
Bouchard, Alain, «Les nouveaux mouvements religieux et le phénomène des sectes»,
dans Jean-Marc Larouche et Guy Ménard, L’étude de la religion au Québec, Québec,
Presses de l’Université Laval, 2001 sur le site web Érudit (consulté le 27 juin 2014).
Bouchard, Gilles, «André Naud, témoin de sa génération…et prophète?», thèse de
doctorat, Québec, Université Laval, 2011.
Bourdeau, Gilles, compte rendu de Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après
Newman, Montréal, Bellarmin, 1971, paru dans Science et Esprit 24, no 3, 1972, p. 393396.
Brassard, Francis, compte rendu de Richard Bergeron, Hors de l’Église, plein de salut,
Montréal, Médiaspaul, 2004, paru dans Religiologiques 31, 2005, p. 243-246.
Caillois, Roger, Les jeux et les hommes, Paris, Gallimard, 1967.
Carrère, Emmanuel, Le Royaume, Paris, P. O.L., 2014.
Catéchisme de l’Église catholique, sur le site web du Vatican, www.vatican.va (consulté
le 25 juin 2014).
121
Chagnon, Roland, compte rendu de Richard Bergeron, Le cortège des fous de Dieu,
Montréal, Paulines, 1982, paru dans Studies in religion/Sciences religieuses 12, no 1,
1983, p. 92-94.
Chenu, Bruno, Au service de la vérité, Paris, Bayard, 2013.
—, L’Église sera-t-elle catholique?, Paris, Bayard, 2004.
Congar, Yves, Vraie et fausse réforme dans l’Église, Paris, Cerf, 1968.
Côté, Marcel, compte rendu de Richard Bergeron, Les pros de Dieu, Montréal,
Médiaspaul, 2000; Renaître à la spiritualité, Montréal, Fides, 2002; Itinérances
spirituelles, Montréal, Médiaspaul, 2002, paru dans Science et Esprit 56, no 1, 2004,
p. 131-133.
Couture, André, «Le syncrétisme, ou la revendication d’une religion pure de tout
amalgame», conférence inaugurale prononcée à l’automne 2013 devant les professeurs
et les étudiants de la Faculté de théologie de l’Université Laval.
—, «Réincarnation ou résurrection? Revue d’un débat et amorce d’une recherche»,
Science et Esprit 36, no 3, 1984, p. 351-374; 37, no 1, 1985, p. 75-96.
—, «Sectes et gnose au Québec. Note sur le Cortège des fous de Dieu de Richard
Bergeron», Laval théologique et philosophique 39, no 2, 1983, p. 215-219.
D’Allaire, Micheline, «L’obéissance religieuse : discours romain, attitudes canadiennes»,
Études d’histoire religieuse 63, 1997, p. 97-111.
Delaporte, Théophile (Julien Green), «Pamphlet contre les catholiques de France» dans
Œuvres complètes, t. 1, Paris, Gallimard (coll. La Pléiade), 1972, p. 877-916.
Dépelteau, François, La démarche d’une recherche en sciences humaines, Québec,
Presses de l’Université Laval, 1998.
Desbiens, Jean-Paul, Les insolences du frère Untel, Montréal, Éditions de L’Homme,
1960.
Deslauriers, Jean-Pierre, Recherche qualitative; guide pratique, Montréal, McGraw-Hill,
1991.
Drewermann, Eugen, Fonctionnaires de Dieu, Paris, Albin Michel, 1993.
Duméry, Henri «intentionnalité, philosophie» sur le site web de Encyclopaedia
Universalis, (consulté le 2 septembre 2015).
122
Dumont, Fernand, Raisons communes, Montréal, Boréal, 1995.
—, Récit d’une émigration, Montréal, Boréal, 1998.
Gauchet, Marcel, «Retour du religieux» dans Un monde désenchanté?, Paris, Les
Éditions de l’Atelier/ Éditions Ouvrières, 2004; Paris, éd. Pocket, 2007, p. 191-203.
Gauthier, Jacques, compte rendu de Richard Bergeron, Les pros de Dieu, Montréal,
Médiaspaul, 2000, paru dans Pastoral Sciences/Sciences pastorales 20, no 2, 2001,
p. 333-336.
Giasson, Claude, compte rendu de Richard Bergeron, Les Pros de Dieu, Montréal,
Médiaspaul, 2000, paru sur le site web du réseau Culture et Foi, février 2001 (consulté le
25 juin 2014).
Grand’Maison, Jacques, Société laïque et christianisme, Montréal, Novalis, 2010.
—, Une spiritualité laïque au quotidien, Montréal, Novalis, 2013.
Habib, Claude, Le goût de la vie commune, Paris, Flammarion, 2014.
Hadot, Pierre, La Philosophie comme manière de vivre, Paris, Albin Michel, 2001.
Hardy, Richard P., compte rendu de Richard Bergeron, Les abus de l’Église d’après
Newman, Montréal, Bellarmin, 1972, paru dans Église et théologie 3, no 3, 1972, p. 438441.
Huizinga, Johan, Homo Ludens : Essai sur la fonction sociale du jeu, Paris Gallimard,
1951.
Lamonde, Yvan et Bruno Demers, Quelle Laïcité?, Montréal, Médiaspaul, 2013.
Légaré, Raymond, Le livre du mois : Richard Bergeron, Et pourquoi pas Jésus?, Montréal,
Novalis, 2009, paru sur le site web du réseau Culture et Foi, janvier 2010 (consulté le
25 juin 2014).
Legros, Robert, «Phénoménologie et question de l’homme» dans La liberté de l’esprit.
Qu’est-ce que la phénoménologie?, Hachette, no 15, 1986-1987.
Lemieux, Raymond, «Croire, à l’épreuve des sociétés contemporaines», Lumen Vitae,
no 4, 2004, p. 379-390.
Loisy, Alfred, L’Évangile et l’Église, Paris, Alphonse Picard et fils, 1902.
123
Materne, Pierre Yves, La condition de disciple : éthique et politique chez J. B. Metz et
S. Hauerwas, Paris, Cerf, 2013.
Muralt, André de, L’unité de la philosophie politique de Scot, Ocam et Suarez au
libéralisme contemporain, Paris, Vrin, 2002.
Naud, André, Les dogmes et le respect de l’intelligence. Plaidoyer inspiré par Simone
Weil, Montréal Fides, 2002.
Nault, François, compte rendu de Richard Bergeron, Les Pros de Dieu, Montréal,
Médiaspaul, 2000, paru dans Laval théologique et philosophique 58, no 2, 2002, p. 395.
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125
Liste complète des publications de Richard Bergeron
Livres
1971 : Les abus de l'Église d'après Newman, Préface de Maurice Nédoncelle, Tournai /
Montréal, Desclée et Cie/Bellarmin.
1976 : Obéissance de Jésus et vérité de l'homme, Une interpellation, Montréal, Fides.
1979 : Faites vos jeux! Résurrection et Réincarnation, Ottawa, Novalis.
1981 : L'attrait du mystérieux, Bible et ésotérisme, Ottawa, Novalis.
1982 : Le Cortège des fous de Dieu…, Un chrétien scrute les nouvelles religions,
Montréal/Paris, Éditions Paulines/Apostolat des Éditions.
1985 : Un chrétien face à la réincarnation, Ottawa, Novalis.
1987 : Les Fondamentalistes et la Bible, Montréal, Fides.
1988 : Damné Satan!, Montréal, Fides.
1991 : La légende du Grand Initié, Montréal, Fides.
1992 : Le Nouvel Âge en question (en coll. avec Alain Bouchard et Pierre Pelletier),
Montréal, éditions Paulines, (traduit en espagnol en 1993 et en portugais en
1994).
1995 : Les nouvelles religions, Guide pastoral, Montréal, Fides.
1997 : Vivre au risque des nouvelles religions, Montréal, Médiaspaul.
1998 : Croyances et société (R. Bergeron, dir.), Montréal, Fides.
2000 : Les pros de Dieu, Montréal, Médiaspaul.
2002 : Itinérances spirituelles, (R. Bergeron, dir.) Montréal, Médiaspaul.
Renaître à la spiritualité, Montréal, Fides.
2004 : Hors de l'Église, plein de salut!, Montréal, Médiaspaul (traduit en portugais en
2004).
126
2006 : La vie à tout prix! En quête d'un art de vivre intégral, Montréal, Médiaspaul.
Prier Dieu dans un monde sans Dieu, (R. Bergeron dir.), Montréal, Médiaspaul.
2009 : Et pourquoi pas Jésus?, Montréal, Novalis.
2011 : Le couple comme nouveau lieu spirituel, Montréal, Novalis.
Articles publiés dans des revues ou dans des ouvrages collectifs
1955 : «La philosophie de Sartre», Scola 1 (revue étudiante), p. 108-121.
1957 : «L'Office divin», Studium 11, no 2-3, p. 117-139.
1958 : «La famille face à la technique et aux loisirs», Culture 19, no 3, p. 100-106.
«Marie dans le mystère du Christ», Studium 12, no 2-3, p. 95-120.
(avec la collaboration de D. Currie et de D. MacDonald) «Christmas and the
Pasch», Studium 12, no 4, p. 210-221.
1959 : «Réflexion sur l'acte missionnaire», Studium 13, no 2-3, p. 118-138.
«L'Eucharistie dans la vie de saint François», La Revue Franciscaine 74, no 11-12,
p. 306-308; 332-334.
1960 : «L'Eucharistie dans la vie de saint François (suite)», La Revue Franciscaine 75,
p. 68-70; 112-114; 145-147; 175-177; 211-213; 249-250; 289-290.
«Le binôme parole-Église et la théologie de la mission», Intermissi, p. 9-13.
1961 : «Reflections on the Missionnary Act», Theology Digest 9, p. 150-154.
«Deux prières pour l'unité», La Vie des Communautés Religieuses 19, p. 14-20.
1966 : «Le problème de l'Antichrist et la conversion de Newman», dans Mémorial
Doucet-Longpré, Québec, Éditions de la Revue Culture, p. 189-201.
«La prière d'intercession chez Newman», Évangile Aujourd'hui 54, p. 59-63.
«Idéal et Structure», La vie des Communautés Religieuses 24, p. 34-40.
1966 : «Communauté '66», La Vie des Communautés Religieuses 24, p. 231-244. Repris
dans Donum Dei 12 (1967) sous le titre de «La tâche de l'adaptation», p. 79-99.
127
1967 : «Un saint-office miniature», Entre-Nous (Bulletin des Franciscains) (mars), p. 186189.
«Dieu serait-il conservateur?», Entre-Nous (mars), p. 190-193.
1968 : «L'image du Christ dans la conscience du peuple chrétien», Communauté
Chrétienne 38/39, p. 85-96.
«The Apostolic Formation of Future Priests», dans Les Actes du 48th Annual
Meeting of the Franciscan Educational Conference, St-Meinrad, Abbey Press,
p. 102-110.
1969 : «Jésus, l'homme qui est Dieu», dans Julien Harvey, Émile Legault et
collaborateurs, Le Temps s'ouvre, Montréal, Fides, p. 39-44.
«Jésus, l'un d'entre-nous déjà ressuscité» dans Julien Harvey, Émile Legault et
collaborateurs, Le Temps s'ouvre, Montréal, Fides, p. 63-68.
«Structure in Religion and the Needs of Contemporary Society», dans The
Christian Society: A Pastoral Vision, St-Meinard, Abbey Press, p. 71-92.
«Les ‘nouveaux’ religieux face à l'obéissance et à l'autorité», La Vie des
Communautés Religieuses 27, p. 130-146.
1970 : «La fonction eschatologique de la vie religieuse», La Vie des Communautés
Religieuses 28, p. 98-115.
1971 : «La fonction de Jésus-Christ dans les sacrements», Église de Saint-Jean, p. 1-12.
«La théologie au service des religieux», La Vie des Communautés Religieuses 29,
p. 156-158.
1972 : «Redécouvrir la Résurrection», Le Souffle 39, p. 50-69.
(en collab. avec Léonard Audet) «La lecture biblique du dimanche. Du 1er
dimanche du Carême à la Fête-Dieu», Communauté Chrétienne 61, p. 48-97.
1973 : «La doctrine eucharistique de l'Enarr. in Ps XXXIII d'Augustin», Revue des Études
Augustiniennes XIX , p. 101-120.
«Un Christ ‘pour la justice’. À propos de la Christologie», (en lien avec La
Christologie. Tome II : Le messie de Ch. Duquoc), Science et Esprit 25, p. 151-156.
128
«Le sentiment d'appartenance et le clivage des consciences», La Vie des
Communautés Religieuses 31, p. 118-125.
1974 : «Commentaires», dans Gregory Baum, M. Bouchard, Guy Bourgeault et collab.,
Les mutations chrétiennes de la foi, Montréal, Fides, p. 86-89.
(en collab. avec Léonard Audet, Paul-André Giguère, Laval Létourneau et autres)
Neuve est ta parole, Montréal, éditions Paulines, 246 p.
(en collab. avec Léonard Audet, André Charron, Jean-Louis d'Aragon et autres)
Vivante est ta Parole, Montréal, éditions Paulines, 292 p.
«Jésus, l'Église et les droits de l'homme», L'Église Canadienne 2, p. 44-45.
«Le péché de l'homme et l'obéissance de Jésus», La Vie des Communautés
Religieuses 32, p. 66-78.
«Un exemple de christologie organique : W.N. Pittenger», Revue de Sciences
Religieuses 48, p. 1-24.
1976 : «Le vie chrétienne dans l'espérance», Bulletin biblique 36, p. 5-7.
1978 : «Le Dieu paradoxal de Jésus-Christ», dans Guy Bourgeault, M.-G. Bulteau, Guy
Couturier et autres, Parole et Silence, Montréal, Fides, p. 153-168.
1979 : «Au risque de l'espérance», dans Alfred Rouleau, Gaétan Garreau et autres,
L'espérance au coeur du monde, Montréal, Fides, p. 112-128.
«La Seigneurie de Jésus dans l'Église Unie du Canada», L'Église Canadienne 4,
p. 109-111.
«Le mystère de la rédemption selon l’Encyclique Redemptor Hominis», Relations
447, p. 102-103.
«La gnose parmi nous», Nouveau Dialogue 30, p. 14-18.
«Les nouvelles sectes : essai de typologie», Relations 454, p. 336-340.
«La ruée vers l’âme», Esprit Vivant 5, p. 12-15.
129
1980 : Les Enfances de Jésus - Historiens et exégètes à Radio-Canada, Michel Gourges
(dir.), Montréal, Bellarmin, p. 74-77.
«Jésus et le fondement de la décision», Science et Esprit 32, p. 143-151.
«Jésus et les maganés», La Vie des Communautés Religieuses 38, p. 266-280.
1981 : «Les nouveaux groupes religieux au Québec», Critère 30, p. 39-58.
1982 : «Les nouvelles religions à l’heure de l’Apocalypse», Parabole 5, p. 12.
«Menus propos sur la réincarnation», Relations 480, p. 136-138.
«La transmission de la foi dans les nouvelles religions», Nouveau Dialogue 46,
p. 3-7.
«La transmission de la foi dans les évangiles (synoptiques)», Nouveau Dialogue
47, p. 3-7.
1983 : «Mystérieux Guénon. Notes de lecture», Nouveau Dialogue 48, p. 29-31.
«Pour une interprétation théologique des nouvelles religions», Concilium 181,
p. 139-146.
«Les sectes à l’heure de l’Apocalypse», Communauté Chrétienne 128, p. 182-191.
«Les sentiers de l’espérance», Prêtre et Pasteur 86, p. 266-273.
«Les nouvelles religions», Oratoire 72, p. 4-15.
1984 : «Pour un nouveau style : La collégialité», dans L.-A. Vachon, A. Parizeau, Mgr
Paul Grégoire et autres, Jean-Paul II. Une Église au rendez-vous, Montréal,
éditions Paulines, p. 114-115.
«Pleins feux sur la mort de Jésus», Communauté Chrétienne 23, p. 22-31.
«La Paix évangélique, quelle guerre!», Prêtre et Pasteur 87, p. 97-102.
«Réincarnation et foi chrétienne», Parabole 6 (avril-mai 1984), no 4, p. 10-11.
«The New Religions», The Oratory 58, p. 4-21.
«Le Centre d’information sur les nouvelles religions», Communauté Chrétienne
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«Les religions du Nouvel Âge», journal Le Devoir (8 septembre), p. IX.
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«Les sectes religieuses au Québec», Revue des Fermières 9, p. 20-21.
«Magasinez-vous pour une nouvelle religion?», Marie-Pier 3, p. 15-18.
1985 : «La mort violente de Jésus et la question de Dieu», dans Guy Couturier, André
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«La peur dans les sectes bibliques», dans Arthur Métayer et Jean-Marc Dufort
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1986 : «Les Nouvelles religions : Questions posées à la pastorale», dans L'Altérité. Vivre
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Dominicain 1984, Montréal, Bellarmin, Montréal, p. 271-282.
«Préface», dans Gilles Laverrière, Jean Vanier un prophète de notre temps,
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«La souffrance dans la pâque de Jésus», Prêtre et Pasteur 89, p. 130-137.
«Quand Rome s’occupe des sectes», Relations 522, p. 184-186.
«Où en est l’Église?», Vidéo-Presse 16 (septembre), p. 55-57.
«Le Québec des Nouvelles Religions», Vidéo-Presse 16 (octobre), p. 56-57.
«Les sectes bibliques», Vidéo-Presse 16 (novembre), p. 58-60.
«Jésus, un simple laïc», Parabole 9 (novembre), p. 10.
«Croyez-vous en la réincarnation?», Revue Franciscaine 97, p. 414-415.
1987 : «La religion de la connaissance absolue», Vidéo-presse XVII (mars), p. 54-55.
«Un centre bien affairé : Le Centre d’information sur les nouvelles religions»,
Rendez-Vous V (juin), Cap-de-la-Madeleine, p. 20-21 (Repris dans L’HebdoJournal 20, 16 juin, Trois-Rivières, p. 42).
«Deux voies spirituelles absolues», Medium 28-29 (automne), p. 13-17.
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1988 : «Une Église de baptisés», Revue Franciscaine 98, p. 384-386.
«Les chrétiens et le Sida. Approche pastorale d’une peur», Vie Ouvrière (juillet),
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«La référence fondamentaliste à la Bible», Œcuménisme 91 (septembre), p. 9-12.
1989 : Centre d'information sur les nouvelles religions (dir.), Nouvel âge ... Nouvelles
croyances : répertoire de 25 nouveaux groupes spirituels/religieux, Montréal,
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«Les nouvelles religions : un défi socio-ecclésial», Prêtre et Pasteur 94, p. 208215.
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«Jésus : des images à la réalité», Revue Franciscaine 99, p. 164-166.
1990 : «La volonté de Dieu, qu’est-ce à dire?», Prêtre et Pasteur 93, p. 82-88.
«Pèlerinage au Calvaire», Magazine Communauté Chrétienne (septembre), p. 1920.
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1992 : «À l'école du pluralisme», dans Yvan Poitras (éd.), Au bonheur de vivre, Montréal,
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1992 : «Le Nouvel Âge : le cristal ou la croix», Présence Magazine (avril), p. 13-21.
1993 : «Gustavo Gutiérrez», Bulletin de la Faculté de Théologie de Montréal 8, p. 6-8.
«La figura di Gesù el Rosacrocianesimo», Sette e Religioni 12, p. 112-127.
1994 : «An Alternative to Anti-Cult Movement : Groupe-Alliance in Canada», dans
A. Shupe et D. Bromley (éd.), Anti-cult mouvements in Cross-Cultural perspective,
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«Les religions sont-elles des demeures de Dieu?», dans J.-C. Petit et A. Myre
(éd.), Où demeures-tu?, Montréal, Fides, p. 461-485.
«Les sectes religieuses dans le Montréal métropolitain» dans G. Lapointe (éd.),
Société, Culture et religions à Montréal au XIXe et XXe siècle, Montréal, VLB
éditeur, p. 186-203.
«The Christian Receptions of the New Age», dans Robert Towler (éd.), New
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«Métier : professeur», Bulletin de la Faculté de Théologie de Montréal 8, p. 7-8.
«Des visages du Christ», Interfaces, Service de pastorale de l’Université de
Montréal, Vol. 2, p. 4-5.
«Jésus dans l’ésotérisme», Parabole 16 (mars-avril), p. 6-7.
1995 : «Dire ou taire Jésus», Revue Franciscaine 103 (janvier), p. 10-11.
«Et pourquoi pas les deux? (Résurrection ou réincarnation)», Parabole 17 (marsavril), p. 6-7.
«Des visages du Christ», La vie chrétienne 44 (avril-mai), p. 4-5.
1996 : «Une alternative à l’approche anti-sectes : Le Groupe Alliance», dans Massimo
Introvigne et J.-Gordon Melton (dir.), Pour en finir avec les sectes, Milano,
Cesnur- D. Giovanni, p. 221-230.
«Le lièvre et l’orignal», dans Denise Bilodeau et Robert Magé (dir.), Le lièvre et
l’orignal, Montréal, Médiaspaul, p. 11-14.
«Fondamentalisme, Bible et militance», Prêtre et Pasteur 99, p. 396-401.
«Il New Age nel Québec (Canada)», Religione e Sette 5, p. 71-93.
133
«Ce Dieu insaisissable», Ouvertures, Bulletin du C.I.N.R. 6, p. 15.
«Raison, passion», Présence Magazine (février), p. 12-14.
«Les nouvelles religions», Revue Notre-Dame (septembre), p. 1-13.
«Le corps, lieu de la rencontre de Dieu», Nouveau Dialogue (automne), p. 28-30.
1997 : «On vous a dit… moi je vous dis», Nouveau Dialogue (janvier-février), p. 28-30.
1998 : «Les sectes et l'Église catholique», dans Michael A. Fuss (éd.), Rethinking New
Religious Movements, Rome, Pontifical Gregorian University, p. 619-630.
«Vivre au risque des nouvelles religions», Nouveau Dialogue (mars-avril),
p. 17-19.
1999 : «Pour une spiritualité du 3e millénaire», Religiologiques 20, p. 231-246.
2000 : «Le Divin Étranger», La Revue Franciscaine 104 (mars-avril), p. 245-246.
«Jésus, hier, demain et aujourd’hui», La Revue Franciscaine 104 (mars-avril),
p. 232-244.
«Fondamentalisme et identité», Nouveau Dialogue (mai-juin), p. 22.
2001 : «Moi et l’autre on n’est pas pareil!», La Revue Franciscaine 106, (février), p. 4-6.
«Satan, c’est peut-être moi?», Prêtre et Pasteur (février), p. 75-81.
«Le dogme et le magistère subjectif», Prêtre et Pasteur (avril), p. 210-215.
«Dieu comme étranger», La Revue Franciscaine 106 (avril), p. 46-49.
«L’être humain un être spirituel», Revue Notre-Dame (décembre), p. 16-28.
«Le Centre d’information sur les nouvelles religions», La Revue Franciscaine
106 (décembre), p. 189.
2002 : «La grande partance», dans Richard Bergeron, J.-Claude Petit et Guy Lapointe
(dir.), Itinérances spirituelles, Montréal, Médiaspaul, p. 26-38.
«Mon parcours théologique (1950-2000) ou le passage du dogme du sujet», dans
Michel Beaudin, Anne Fortin et Ramon Martinez (dir.), Des théologies en
mutations, Montréal, Fides, p. 63-80.
134
«Frère François et ses frères les animaux», Théologiques 10 (printemps), p. 109129.
«Place aux spiritualités», La Nouvelle Revue Franciscaine 107 (septembreoctobre), p. 4-5.
«Descendre en soi pour rencontrer Dieu», La Nouvelle Revue Franciscaine 107
(septembre-octobre), p. 12.
2003 : «Cheminement spirituel et religieux», dans Le Comité sur les affaires religieuses
(éd.), Le développement spirituel en éducation, Actes du Colloque 2003, Québec,
Ministère de l’éducation, p. 49-63.
«Bricolage ou développement. Comment discerner?», Prêtre et Pasteur (avril),
p. 211-217.
«Cherchez-moi», La Nouvelle Revue Franciscaine 108 (juin), p. 4-5.
«La spiritualité, une sagesse de vie», La Revue Notre-Dame du Cap (novembre),
p. 10-13.
2004 : «La liberté comme devoir», La Nouvelle Revue Franciscaine 109 (janvier), p. 8-9.
«Pour une spiritualité en santé», La revue de l'Association québécoise de la
Pastorale de la Santé (février), p. 17-23.
«Dire son expérience aujourd'hui», Présence magazine 13 (mars-avril), p. 15.
2005 : «Notre héritage juif», La Nouvelle Revue Franciscaine 110, p. 10-11.
«Le lien de l'amour», Échos du silence 103, no 2, p. 4-5.
«Non, vraiment, je n'aime pas la mort!», La Nouvelle Revue Franciscaine 102
(octobre), p. 4-5.
2006 : «La prière chrétienne interreligieuse : de la paxis à la théologie», (en
collaboration avec Fabrice Blée) dans Richard Bergeron, N. Bouchard et J.-C.
Breton (dir.), Prier Dieu dans un monde sans Dieu, Montréal, Fides, p. 31-62.
«Aux commencements… Dieu», Cahiers de spiritualité ignatienne 116, p. 91-96.
«Parole et Spiritualité», La Revue de l'Association des Intervenants et
Intervenantes en soins spirituels du Québec (février), p. 12-21.
«L'identité au risque du dialogue», Échos du silence 14, no 2, p. 10-11.
135
2007 : «La fraternité dans la différence», La Nouvelle Revue Franciscaine 112 (février),
p. 8-9.
2008 : «Dieu comme question», La Nouvelle Revue Franciscaine 113 (octobre), p. 4-5.
«Une langue de bois», La Nouvelle Revue Franciscaine 113 (novembredécembre), p. 8-9.
«Léonce Hamelin (1920-2008). Un saint nous quitte», En bref… Bulletin des
Franciscains 42 (décembre), p. 46-50.
«Méditer-Écouter», Échos du silence 16 (automne), p. 6-8.
2009 : «Le règne de la violence», La Nouvelle Revue Franciscaine 114 (septembreoctobre), p. 4-5.
2010 : «Libérés pour être libres», La Nouvelle Revue Franciscaine 115 (juillet-août),
p. 10-11.
«Jacques Grand-Maison : Identité : prêtre séculier», La Nouvelle Revue
Franciscaine 115 (mai-juin), p. 10-11.
«Le silence, c’est plein de vie», Prêtre et Pasteur (septembre), p. 450-455
«Le pluralisme, quelle richesse!», La Nouvelle Revue Franciscaine 115
(novembre-décembre), p. 10-11.
2011 : «La joie de Dieu», La Nouvelle Revue Franciscaine 116 (septembre-octobre),
p. 10-11.
«Des églises à vendre», La Nouvelle Revue Franciscaine 116 (septembreoctobre), p. 20-21.
«Prêtres demandés», La Nouvelle Revue Franciscaine 116 (novembre-décembre),
p. 20-21.
136
Recensions257
1955 : La Communauté sacerdotale de Saint-Séverin, La Messe, les chrétiens autour de
l’autel, paru dans Culture 16, p. 472-474.
1956 : Pierre Williamson (trad.), Frère Pierrick, le Revenant, paru dans Studium 10,
p. 214-215.
1957 : Th. Dehau, Le contemplatif et la croix, paru dans Studium 11, p. 58-59.
Léonce Celier, Frédéric Ozanam, paru dans Studium 11, p. 183.
«L’Anneau d’or», numéro spécial 1957, Seigneur, apprends-nous à prier, paru
dans Studium 11, p. 256-257.
Robert Claude, Frassati parmi nous, paru dans Studium 11, p. 246.
G. Siewerth, L’homme et son corps, paru dans Culture 18, p. 463.
1958 : Frères Universels..., paru dans Studium 12, p. 56-57.
Mgr Chappoulie, Luttes de l’Église. t.2, Exigences de chrétienté, paru dans
Studium 12, p. 235-236.
1959 : Parole et Mission, paru dans Studium 13, p. 71-72.
Raphaël Brown, Notre Dame et saint François, paru dans Studium 13, p. 75.
Paul C. Perotta, Pope John XXIII, his Life and Character, paru dans Studium 13,
p. 200.
Liceo Franciscano, Fr. Alfonso de castro: IV centenario de su muerte 1556-1958,
paru dans Studium 13, p. 205-206.
1966 : J. Honoré, L’itinéraire spirituel de Newman, paru dans Revue des Sciences
Religieuses 40, p. 85-87.
1986 : Jacques Doyon, L’option fondamentale de Jésus, paru dans Science et Esprit 38,
p. 264.
1987 : Roland Chagnon, Trois Nouvelles Religions de la lumière et du son, paru dans
Science et Esprit 38, p. 412-414.
257
La description des livres recensés est incomplète, mais il a été impossible pour le moment d’être plus
complet.
137
Textes manuscrits
1973 : «La Préface à la troisième édition de la VIA MEDIA de Newman», traduction avec
introduction, commentaire et notes, 126 p.
1979 : «Phénomène des sectes et des gnoses». Document préparé pour Le Centre de
formation pastorale de Valleyfield, 10 p.
1981 : «Histoire et destinée de Jésus» (notes de cours), 136 p.
1982 : «Mystère du Christ» (notes de cours), 90 p.
1988 : «Le Groupe Alliance», (avec Diane LABELLE), Centre d'information sur les
nouvelles religions, Montréal, 70 p.
1989 : «Le Sens de l’espérance», retraite au Groupe Monde et Espérance, 10-13 août,
50 p.
1991 : «Nouvel Âge, nouvelles religions», Journée des supérieurs à La Maison JésusOuvrier, 9-10 avril, 30 p.
1992 : «Le Kérygme aux non-croyants», Sentiers de foi, Montréal, 47 p.
Études commandées
1987 : «Considération sur le livre de Jean-Luc Hétu : Réincarnation et foi chrétienne»
expertise qui lui est demandée par le Collège Marie-Victorin en tant que témoinexpert dans la cause contre Jean-Luc Hétu, 15 janvier 1987, 22 p.
«Réincarnation et Foi Chrétienne», expertise qui lui est demandée par le Collège
Marie-Victorin en tant que témoin-expert dans la cause contre Jean-Luc Hétu,
15 janvier 1987, 23 p.
«De la compétence de M. Jean-Luc Hétu», expertise qui lui est demandée par le
Collège Marie-Victorin en tant que témoin-expert dans la cause contre Jean-Luc
Hétu, 20 mai 1987, 4 p.
«Les manuels Quatratout», étude qui lui est commandée par la commission
scolaire de l’Argile bleue, 19 juin 1987, 20 p.
138
1988 : «Proctor and Gamble Co. et l’Église de Satan», étude qui lui est commandée par
le Centre d'information sur les nouvelles religions, 1988, 6 p.
«Nostra Aetate», article commandé par le Ministère de l’Éducation et publié
presque intégralement dans le livre du maître d’enseignement moral et religieux
catholique (5e secondaire), 10 décembre 1988, manuscrit, 22 p.
1989 : «L’ésotéro-occultisme dans le manuels Quatratout et Symphonie des cinq sens»,
étude qui lui est commandée par le Comité catholique du Ministère de
l’Éducation, 22 mai 1989, 26 p.
«Le mouvement Mgr Mathieu», étude qui lui est commandée par Mgr Fortier,
évêque de Sherbrooke, 5 juin 1989, 19 p.
«L’affaire Père Blais» , étude qui lui est commandée par Mgr Saint-Gelais,
évêque de Nicolet, 24 novembre 1989, 18 p.
1991 : «Nouvel Âge et pensée chrétienne», étude qui lui est commandée par l'A.É.Q.
(Assemblée des Évêques du Québec), 47 p.
«Nouvel Âge : pistes pastorales», étude qui lui est commandée par l'A.É.Q., 19 p.
«L'éducation de la foi et ses priorités», étude qui lui est commandée par l'A.É.Q.,
3 p.
1994 : «Les apparitions de l’Avenir» (en collaboration avec Bertrand Ouellet), étude qui
lui est commandée par Mgr Saint-Gelais, évêque de Nicolet, 18 p.
«Projet de refondation», étude qui lui est commandée par les Sœurs de SainteAnne, 10 p.
«La cause El-Boustani», étude qui lui est commandée par Samir El-Boustani pour
une cause devant la cour, 10 p.
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