
L'urgence : état d'exception ou excuse absolutoire ?
Tout semble justifier une définition de l'urgence éminemment contingente, telle une excuse
absolutoire. Les professionnels de la médecine peuvent-ils pour autant s'exonérer de toute
responsabilité juridique et de tout devoir éthique en raison de l'urgence ? Cette exonération
est-elle susceptible de couvrir tous les domaines de nature à mettre en jeu les responsabilités
médicales (en cas d'intervention per-opératoire non prévue par exemple) ?
De telles interrogations ont été abordées le 3 décembre 1999, au cours du colloque national
qui s'est déroulé au Palais du Luxembourg, sous le haut patronage du Sénateur Claude
Huriet sur le thème " Urgences, médecine et droit " 1. Ces questions traduisent en réalité une
série de problématiques juridiques liées notamment à l'émergence d'une prise en compte des
limites à l'activité médicale : insuffisance des moyens en termes institutionnels et humains,
absence de reconnaissance d'un statut de médecin urgentiste, approfondissement des
conditions et des modalités juridiques exonératoires du droit commun de l'information et du
consentement aux actes médicaux. À la grande variété d'urgences médicales correspond une
relative diversité des approches pratiques : a posteriori, le juriste peut contrôler cette activité
médicale du point de vue des normes habituelles du droit médical que sont le respect du
principe de proportionnalité et la protection du patient.
À cet autre regard normatif, s'ajoute la dimension éthique qui porte une appréciation
complémentaire sur l'acte médical urgent analysé sous les fourches caudines de la
requalification par les juristes en acte juridique (tout acte médical n'est-il pas aussi un acte
juridique ?). En effet, l'urgence ne saurait justifier n'importe quel type de dépossession
juridique, ni constituer un habillage astucieux autorisant tous les actes diagnostiques et
thérapeutiques.
L'urgence ne fait pas, en soi, le soin. Elle implique une pédagogie du discernement et de la
délibération en raison même du fait qu'elle traduit une crise, une tension entre règle et
exception, un état d'exception.
La tentation et l'utopie de la santé parfaite
Plus que toute autre discipline médicale qui prétend à la régulation 2, l'exercice de la
médecine d'urgence appelle une " approche protocolisée " au sens d'élaboration de schémas
de conduite professionnelle argumentée par référence au droit applicable et à la relation
éthique. La figure sociale de l'urgentiste, pressé, stressé, contraint par le temps de l'action,
pervertit la réponse technique à l'exigence de tels schémas. A contrario, l'erreur de diagnostic
commise par un praticien aux urgences peut être pénalement envisagée du seul fait de la
mise en cause d'un retard dans la mise en œuvre, par exemple, d'examens complémentaires
3. Dans le contexte d'hypertechnicité des pratiques médicales, la prise en compte des
dimensions juridiques et éthiques de l'exercice professionnel des urgences devrait cependant
permettre de conjurer la tentation et l'utopie de la santé parfaite.
Les notions d'incertitudes et de performances scientifiques se télescopent : au nom du bien-
fondé de l'interventionnisme médical des urgentistes, on semble oublier en réalité les