Ann. Soc. entomol. Fr. (n.s.), 2004, 40 (1) : 51-58. ARTICLE La larve du genre Cyanothemis Ris, 1915 (Odonata: Anisoptera: Libellulidae). Conséquences phylogénétiques Günther FLECK Département Systématique et Évolution, Muséum National d’Histoire Naturelle, 45, rue Buffon, F-75005 Paris, France, et Zoologisches Forschungsinstitut und Museum Alexander Koenig, Adenauerallee 160, D-53113 Bonn, Allemagne. Résumé – La larve du genre Cyanothemis Ris, 1915 est décrite et illustrée pour la première fois. L’étude des adultes et des larves des genres Lepthemis Hagen, 1861, Rhodothemis Ris, 1911 et Cyanothemis Ris, 1915 suggère qu’ils sont étroitement apparentés, comblant ainsi une lacune phylogénétique vieille de presque un siècle. Le genre Acisoma Rambur, 1842, bien que plus dérivé, doit également être considéré appartenir au clade (Cyanothemis + Lepthemis + Rhodothemis). Les genres Nannophya Rambur, 1842 et Nannothemis Brauer, 1868 placés traditionnellement dans les Brachydiplacinae et non dans les Sympetrinae pourraient être les adelphotaxons du clade (Acisoma + Cyanothemis + Lepthemis + Rhodothemis). L’utilisation de la nervation alaire, jusqu’alors prépondérante, montre certaines limites dans la systématique et la phylogénie des Libellulidae. Abstract – The larva of the genus Cyanothemis Ris, 1915 (Odonata: Anisoptera: Libellulidae). Phylogenetic consequences. – The larva of the genus Cyanothemis Ris, 1915 is described and illustrated for the first time. The comparison of the larva and adult of Cyanothemis with those of Lepthemis Hagen, 1861 and Rhodothemis Ris, 1911 suggests that these three genera are closely related, filling a phylogenetic gap which nearly goes back a century. The genus Acisoma Rambur, 1842, even if more derivated, has to be considered as belonging to the clade (Cyanothemis + Lepthemis + Rhodothemis). The genera Nannophya Rambur, 1842 and Nannothemis Brauer, 1868, put traditionally into Brachydiplacinae and not into Sympetrinae, could be the adelphotaxa of the clade (Acisoma + Cyanothemis + Lepthemis + Rhodothemis). Studying wing veination in systematics and phylogeny was till now preponderant, but seems to be limited for the Libellulidae. Cyanothemis simpsoni Ris, 1915 (fig. 1-9) Matériel étudié – Exuvie de dernier stade (élevage, 1 P), Gabon, route entre Lambaréné et Fougamou, juillet 2002, Fleck réc. Description du dernier stade larvaire – Larve d’apparence très robuste (fig. 1), partie dorsale sombre avec des motifs complexes de couleur brune, orangée ou rosâtre, partie ventrale presque entièrement noirâtre avec quelques taches rose-orangé sur l’abdomen et le thorax (fig. 9,10) ; corps dépourvu de grandes soies filiformes mais recouvert de petites soies épineuses, donnant un aspect « propre » et luisant à l’insecte. E-mail : [email protected] Accepté le 02-10-2003. Tête. Massive, presque deux fois plus large que longue ; antennes relativement courtes, la droite composée de sept articles, la gauche de six articles par fusion des deux derniers ; partie fonctionnelle des yeux proéminente, très étendue latéralement et surtout antérieurement ; partie fonctionnelle des yeux parcourue de lignes sombres verticales ; occiput assez bien développé, avec des marges latérales convergentes dans le sens antéro-postérieur, la marge postérieure longue et légèrement concave (fig. 1) ; masque large et court (fig. 2), l’articulation submentum-mentum atteignant juste le niveau des mesocoxae ; suture médiane du mentum peu marquée mais parfaitement visible côté ventral et atteignant la dépression articulaire (caractère rare chez les Libellulidae) ; face dorsale du mentum avec deux séries d’une quinzaine de soies (« mental setae »), les plus centrales petites et mal alignées ; frange de soies sur le tiers distal de la marge latérale du mentum, marge distale fortement projetée antérieurement, avec des soies effilées, plus nombreuses dans la partie la plus apicale, et souvent avec une alternance de petites et de 51 G. FLECK grandes soies (fig. 3) ; palpes avec 8 ou 9 soies palpales et de nombreuses soies formant une frange sur la moitié basale de la marge externe ; marge distale des palpi absolument sans échancrure, mais très finement crénelée, setae raptores rares dans le quart dorsal et de plus en plus abondantes ventralement (fig. 4) ; crochet articulé moyennement développé. Thorax. Long, très large, mais aussi remarquablement développé dans les sens dorso-ventral, permettant aux forts mésostigmata de s’élever au dessus du reste du corps ; bouclier du prothorax très incliné et ne recouvrant pas les mésostigmata, même chez l’animal vivant (fig. 1, 9) ; pattes très fortes et très courtes, sombres à l’exception du métatibia franchement orange et des deux premiers articles tarsaux jaunâtres à orange ; profémur à peine quatre fois plus long que large, profémur et protibia ensemble de longueur équivalente à la largeur de la tête, patte antérieure, complète, de longueur comparable à la largeur de l’abdomen ; longueur du métafémur inférieure à la largeur de la tête ; pro- et mésotibias pourvus côté externe de cinq ou six groupes de soies robustes, la taille des soies augmentant progressivement dans le sens proximo-distal au sein de chaque groupe (fig. 5) ; griffes courtes ; ptérothèques aux marges costales parallèles et sur la larve vivante, les postérieures dépassant la marge postérieure du segment 6. Abdomen. Large et court, de forme semi-circulaire en section transverse ; pas d’épines dorsales mais à leur place une touffe de soies assez fortes présente sur les segments 4 à 9, celle du segment 8 et surtout celle du segment 9 cependant peu marquées (fig. 6) ; Figures 2-5 Cyanothemis simpsoni. – 2, masque en vue ventrale. – 3, mentum et palpes labiaux en vue dorsale. – 4, palpe labial droit, en vue de face. – 5, partie distale de la patte antérieure gauche montrant la structure itérative des fortes épines du côté externe du fémur, et les très longues et fortes soies du côté interne. présence sur le segment 9 uniquement d’épines latérales faiblement développées, légèrement incurvées vers l’intérieur et ventralement (fig. 6 et 7) ; pyramide anale assez courte, paraproctes et épiprocte de taille comparable ; cerci relativement grands, leur longueur atteignant presque les deux tiers de celle de l’épiprocte ; paraproctes brutalement acuminés (fig. 7) ; tous les apex des éléments de la pyramide incurvés ventralement, faiblement pour les cerci, assez fortement pour les paraproctes (fig. 7). Mensurations. Longueur totale hors pattes, hors antennes, pyramide anale incluse : 19 mm ; largeur maximale de la tête : 6 mm; largeur maximale de l’abdomen : 7 mm (exuvie); longueur de l’abdomen, pyramide anale incluse : 11,5 mm (exuvie) ; longueur de la patte postérieure : 14,2 mm ; longueur du métafémur : 5,5 mm. Figure 1 Cyanothemis simpsoni, habitus général (exuvie, soies non représentées). 52 Diagnose générique larvaire – La larve de ce genre africain monospécifique est caractérisée par : (1) un corps très compact, de longueur inférieure à trois fois sa largeur et (2) dépourvu de grandes soies filiformes ; (3) une partie fonctionnelle des yeux très grande s’étendant aussi bien latéralement qu’antérieurement ; (4) une Caractères larvaires du genre Cyanothemis Conséquences phylogénétiques Les genres Rhodothemis Ris, 1911 et Lepthemis Hagen, 1861 Dès 1911, Ris signale à plusieurs reprises (p. 592, 595, 607) l’étroite et curieuse parenté entre le genre asiatique Rhodothemis Ris, 1911 et le genre américain Lepthemis (et Erythemis Hagen, 1861, considéré à l’époque comme un genre distinct de Lepthemis) : « Die Verwandtschaft Rhodothemis – Erythemis – Lepthemis ist zweifellos eine sehr enge, wobei das Vorkommen von Rhodothemis in der alten Welt ein interessantes Problem darstellt ». Ces deux genres, outre une nervation alaire fort peu différente, présentent : (1a) des yeux très disjoints, ne se rencontrant qu’en un point, chose assez remarquable pour la famille, (2a) des pattes particulièrement fortes avec des épines tibiales très robustes et réduites en nombre et avec des épines fémorales fortes et ne s’allongeant que brutalement dans la partie la plus distale, Figures 6-7 Cyanothemis simpsoni, partie distale de l’abdomen. – 6, en vue dorsale (chétotaxie partiellement représentée). – 7, en vue latérale (soies non représentées). marge distale des palpi droite, absolument sans échancrure ; (5) une remarquable frange de soies assez dense sur la bordure externe des palpi [ce caractère relativement fréquent chez les Corduliidae est beaucoup plus rare chez les Libellulidae] ; (6) un thorax et plus particulièrement des mesostigmata très développés et élevés au dessus du reste du corps ; (7) des pattes très courtes et très fortes, le profémur et le protibia ensemble de longueur comparable à la largeur de la tête, et la patte postérieure ne dépassant pas l’extrémité postérieure de l’abdomen ; (8) une organisation remarquable de soies épineuses sur la partie externe des protibias et mésotibias ; (9) des ptérothèques aux marges costales parallèles ; (10) l’absence d’épines dorsales (remplacées par des touffes de soies épineuses) ; (11) la présence d’épines latérales uniquement sur le segment abdominal 9, cellesci peu développées ; (12) une pyramide anale courte aux éléments pointant ventralement (particulièrement bien marqué pour les paraproctes) ; (13) un corps particulièrement coloré avec un fort mélanisme ventral. Figure 8 Fémurs de la patte postérieure : – a, Acisoma trifidum Kirby, 1889. – b, Rhodothemis rufa. – c, Cyanothemis simpsoni. – d, Lepthemis plebeja (Burmeister, 1839). 53 G. FLECK ainsi que (3a) un lobe prothoracique très développé et échancré en son milieu. Ris (loc. cit.) différencie ces genres par : (1b) la position relative du nodus, plus distale chez Rhodothemis, (2b) l’armature métafémorale des mâles, moins spécialisée chez Rhodothemis et (3b) le champ postdiscoïdal à l’aile antérieure, rétréci à deux rangées de cellules entre le triangle discoïdal et le nodus chez Rhodothemis. Kennedy, en 1923, propose un scénario Asie-Alaska pour expliquer le lien étroit unissant ces deux genres ainsi qu’une alternative – moins probable – africaine : « The location of Rhodothemis, the least specialized member of the series, in the East Indies suggests an Oriental origin for the group as the whole and that the stock of the American genera at some time in the past has spread into its present habitat. As the majority of the species are tropical into America may have taken place when the Asia-Alaska land-bridge had climate suitable for such species, which must have been in PreMiocene times. The other possibility is that they came across from Africa, but so far we have not recognized any African relatives of the group. » Lohmann, en 1984, décrit deux nouvelles espèces de Rhodothemis. Dans sa partie systématique, pour séparer le genre de Lepthemis, il se contente de reprendre les trois caractères déjà énoncés par Ris. Il reformule les caractères (1b) et (3b) et invalide le caractère (2b) car les espèces de Rhodothemis du groupe lieftincki (R. lieftincki, Fraser, 1954 et R. mauritsi Lohmann, 1984) montrent des armatures des pattes identiques à celles des espèces du genre Lepthemis. Son travail ne propose aucune hypothèse pour expliquer la parenté des deux genres et ne prend pas en considération les caractères larvaires, soit qu’ils n’aient pas été étudiés, soit qu’ils n’aient pas été retenus. La larve du genre Lepthemis est connue depuis le début du vingtième siècle (voir par exemple les travaux de Needham 1901 et de Calvert 1928). Celle de Rhodothemis est brièvement signalée et très sommairement caractérisée par Lieftinck en 1934, ses dessins, datant de 1930, ne seront publiés que bien plus tard. Ce sont finalement Nirmala Kumari & Balakrishnan Nair (1981) qui décriront la larve. Les larves de ces deux genres sont morphologiquement très semblables : (1c) corps très compact, de longueur inférieure à trois fois sa largeur ; (2c) tête forte, nettement trapézoïdale (partie antérieure des yeux au même niveau que la marge frontale, partie latérale des yeux bien alignée avec les marges latérales de l’occiput, marge postérieure de l’occiput longue et légèrement concave) ; (3c) yeux proéminents et avec des rayures colorées verticales ; (4c) masque large et court ; (5c) marge distale des palpi quasiment rectiligne ; (6c) pattes 54 au moins assez fortes ; (7c) thorax puissant, fortement élevé avec des mésostigmates hypertrophiés et surplombant le reste du corps ; (8c) ptérothèques très longues relativement à la longueur de l’abdomen, atteignant au moins le segment 7 ; (9c) épines abdominales dorsales absentes ; (10c) épines abdominales latérales absentes ou peu fortes, légèrement incurvées et présentes uniquement sur le segment 9 ; (11c) pyramide anale assez courte ; (12c) paraproctes larges à leur base et soudainement effilés et dirigés vers le bas à leur apex ; (13c) corps généralement parcouru de motifs colorés plus ou moins complexes, y compris face ventrale. La larve de Rhodothemis se différencie toutefois de celle de Lepthemis par : (1d) des yeux un peu moins étendus dans le sens antéro-postérieur, montrant ainsi une tête légèrement plus étirée transversalement ; (2d) un masque légèrement plus large au niveau de l’articulation submentum-mentum ; (3d) une frange de fortes soies bien développée sur la moitié basale de la marge externe des palpi (frange plus ou moins fortement réduite et constituée de soies moins fortes chez Lepthemis) ; (4d) des échancrures très faibles mais parfaitement distinctes sur toute la longueur de la marge distale des palpi (échancrures à peine ébauchées et confinées dans la partie supérieure de la marge chez Lepthemis) ; (5d) des pattes nettement moins fortes avec un rapport (longueur/largeur du profémur) proche de 6 (rapport inférieur ou égal à 5 chez Lepthemis) ; (6d) longueur de la patte postérieure comparée à celle de la patte antérieure moins disproportionnée, avec un rapport proche de 1,6 (rapport proche de 2 chez Lepthemis). Le genre Cyanothemis Ris, 1915 Lors de sa capture dans un petit cours d’eau lent en bordure de route, je m’étonnais de voir, en forêt africaine, la larve d’une espèce remarquablement proche de la larve du genre Rhodothemis ou du genre Lepthemis que j’avais eu l’occasion de récolter à plusieurs reprises en Malaisie ou en Guyane française. Je soupçonnais cette larve d’appartenir à Cyanothemis simpsoni. En effet l’adulte de cette espèce porte aussi les caractères (1a), (2a), et (3a), caractéristiques du groupe RhodothemisLepthemis, et montre une nervation alaire très proche de celle de Lepthemis vesiculosa (F., 1775). La larve, vorace et facile à élever, effectua ses mues sans problème. Elle donna, quelques quatre mois après sa capture, un parfait imago mâle attribuable à Cyanothemis simpsoni, confirmant ainsi mes supputations. La larve du genre Cyanothemis possède l’intégralité des caractères (1c) à (13c) communs au groupe Rhodothemis-Lepthemis. Elle se différencie de ce groupe par : (1e) un corps dépourvu de grandes soies filiformes ; Caractères larvaires du genre Cyanothemis Figure 9 Cyanothemis simpsoni : larve en vue dorsale. Figure 10 Cyanothemis simpsoni : larve en vue ventrale. (2e) des pattes postérieures ne dépassant pas l’extrémité postérieure de l’abdomen, conséquence d’un abdomen moins court et de pattes nettement moins longues ; (3e) des ptérothèques postérieures s’engageant très peu au dessus du segment abdominal 7, conséquence d’un abdomen moins court [chez Rhodothemis l’apex des ptérothèques postérieures se situe entre la moitié du segment 8 et la marge postérieure du segment 9, chez Lepthemis il se situe entre la moitié du segment 7 et la marge postérieure du segment 9] ; (4e) une organisation remarquable de soies épineuses sur la partie externe des protibias et mésotibias ; (5e) des mesostigmata moins fortement élevés et moins centrés vers l’axe sagittal [réversion partielle ?]; (6e) des paraproctes moins fortement recourbés vers le bas [réversion partielle ?] ; (7e) un rapport (longueur de la patte postérieure/longueur de la patte antérieure) intermédiaire (valeur de 1,85). Elle se rapproche de la larve de Lepthemis par : (1e') la forme de la tête et des yeux ; (2e') la forme de la marge des palpi [ce caractère est encore plus remarquable chez Cyanothemis puisque la marge est parfaitement droite, alors que de très fines ondulations sont généralement partiellement visibles chez certains Lepthemis] ; (3e') la suture médiane du mentum [visible sur certains specimens de Lepthemis, mais toujours plus faible et toujours interrompue avant l’articulation submentum-mentum] ; (4e') la très grande robustesse des pattes [ce caractère est encore plus marqué chez Cyanothemis, puisque le rapport (longueur/largeur du profémur) est proche de 4]. Elle se rapproche de la larve de Rhodothemis par : (1e") la dense frange de soies de la marge externe des palpi ; (2e") la forme générale du masque, très large au niveau de l’articulation submentum-mentum. Les caractères larvaires (1c) à (13c) et les caractères imaginaux (1a) à (3a) sont présents chez Cyanothemis. À l’exception du caractère (4c) difficile à orienter, il semblerait que tous ces caractères soient dérivés, la polarisation étant faite à partir des Corduliidae (groupe frère) et des Macrodiplacinae (considéré comme le groupe le plus basal des Libellulidae, élevé au rang de famille par certains auteurs). Bien que certains de ces caractères puissent se rencontrer ponctuellement dans d’autres genres a priori non apparentés, le genre Cyanothemis doit posséder des liens phylogénétiques très étroits avec le genre Rhodothemis et le genre Lepthemis et doit être considéré appartenir à ce groupe. Ris (1919) signale que l’imago de Cyanothemis a un habitus semblable à celui du genre Hadrothemis Karsch, 1891 (groupe II) et une forte ressemblance dans la nervation alaire avec les genres Crocothemis Brauer, 1868 et Bradinopyga Kirby, 1894 (groupe VI.2). Cependant, il place Cyanothemis dans le groupe VI.3 contenant entre autres les genres Rhodothemis et Lepthemis (et Erythemis) (groupe VI.3 EE) et indique la grande similarité de la 55 G. FLECK tête et du thorax avec Rhodothemis : « In Kopfbildung und Prothorax am nächstens Rhodothemis, von welcher Gattung sie die weniger differenzierte Armatur der Femora nicht unbedingt ausschliessen würde ». Pourtant il n’évoquera jamais un quelconque lien de parenté avec Rhodothemis ou avec Lepthemis. Ris paraît être victime à la fois de son système de classification et de l’importance donnée à la nervation alaire. Le groupe VI.3 EE est défini en premier point par une MP naissant sur MAb loin de l’angle postérieur du triangle discoïdal à l’aile postérieure. Comme Cyanothemis ne possède pas ce caractère il semble que Ris n’ait pas voulu l’intégrer dans ce groupe. Par la suite, des auteurs tels Kennedy (loc. cit.) ou Lohmann (loc. cit.) ne reviendront pas sur le statut de Cyanothemis imposé par Ris. Pourtant ce caractère apparaît variable d’un genre à l’autre à l’intérieur de sous-familles de Libellulidae, mais aussi – plus rarement – d’une espèce à l’autre à l’intérieur de certains genres (par exemple Brachythemis Brauer, 1868 et Erythrodiplax Brauer, 1868), voire exceptionnellement d’un individu à l’autre à l’intérieur de certaines espèces (par exemple Crocothemis servilia (Drury, 1773)). Remarques. Le métafémur adulte mâle de Cyanothemis possède une épine distale très puissante, surpassant en largeur et en longueur celle de Rhodothemis et Lepthemis, et les épines précédentes sont au moins aussi larges à leur base que celles des deux autres genres. Son organisation générale n’est pas sans rappeler celle de Lepthemis puisque trois ou quatre épines très fortes côté distal sont précédées d’une série de petites épines subégales côté proximal (fig. 8). Un caractère unique chez les Odonates, et qui a peutêtre contribué à « éloigner » Cyanothemis du groupe VI.3 EE, est la présence d’une anténodale incomplète à l’aile postérieure. Ce caractère a été établi par Ris à partir de quatre spécimens provenant de Sierra Leone et du Nigeria. Sur les quatre spécimens adultes que j’ai pu observer, provenant du sud Cameroun et du Gabon, un seul possède ce caractère à l’aile droite. Le genre Acisoma Rambur, 1842 La larve du genre Acisoma ressemble de façon étonnante à la larve de Lepthemis ou de Rhodothemis et possède les caractères (1c) à (12c). Dans son allure générale elle pourrait se comparer à une larve de Lepthemis de taille modeste aux pattes postérieures à peine plus courtes. Elle a en commun avec la larve de Rhodothemis le même type de masque avec les caractères (2d), (3d) et (4d). Pour ce dernier caractère, les échancrures tout en restant faibles sont légèrement plus marquées que chez Rhodothemis. 56 Le genre Acisoma est placé par Ris (1909) dans le groupe VI.1 qui réunit des genres aux espèces de taille assez petite. Fraser (1956) le déplacera des Sympetrinae vers les Brachydiplacinae, en position basale (« avant Chalcostephia et Hemistigma »), d’après la seule présence d’une anténodale distale complète à l’aile antérieure. Il replacera à nouveau le genre dans les Sympetrinae en 1957. Les ailes de Acisoma, toutes proportions gardées, sont plus larges que celles de Rhodothemis, Lepthemis et Cyanothemis, et sa nervation est sensiblement différente, avec un nombre d’anténodales et de postnodales plus réduit, un triangle discoïdal libre à l’aile antérieure ou encore des MP plus arquées. Toutefois Acisoma possède, comme ces trois genres, les caractères (1a) et (3a), de plus ses pattes sont également très fortes avec des épines tibiales robustes et réduites en nombre, et bien que semblant moins spécialisée, l’organisation des épines fémorales est à rapprocher de celle de Rhodothemis (fig. 8). Le genre Acisoma doit être considéré appartenir au groupe (Rhodothemis – Lepthemis – Cyanothemis), et ce en accord avec des données moléculaires qui indiquent Rhodothemis sp., Lepthemis sp. et Acisoma sp. (genre Cyanothemis non traité) appartenir à un petit clade monophylétique (Fleck et al., en prép.). Même si les liens de parenté à l’intérieur du groupe (Rhodothemis – Lepthemis – Cyanothemis – Acisoma) ne sont pas encore clairement définis, la présence du genre africain Cyanothemis et du genre africano-asiatique Acisoma rendent l’hypothèse « Asie-Alaska » de Kennedy (loc. cit.) nettement moins probable et, par voie de conséquence, l’hypothèse « africaine » beaucoup plus logique. Remarques. À l’instar de Rhodothemis et de Lepthemis, Acisoma possède une MP naissant sur MAb loin de l’angle postérieur du triangle discoïdal à l’aile postérieure. L’hypothèse d’une possible réversion pour ce caractère chez Cyanothemis n’est donc pas à exclure. La couleur bleue particulièrement intense chez Cyanothemis et un peu plus fade chez Acisoma n’est pas due à une pruinosité comme c’est très généralement les cas chez les Libellulidae. Fait rarissime pour cette famille (et même pour les Libelluloidea), elle est la conséquence de pigments sous-cuticulaires. Cette couleur n’est sans doute pas le résultat d’une convergence étant donnée la proximité phylogénétique des deux genres. Les genres Nannophya Rambur, 1842 et Nannothemis Brauer, 1868 L’habitus de la larve du genre Nannophya est très semblable à celui des larves du groupe (Rhodothemis – Lepthemis – Cyanothemis – Acisoma) ; son masque, par sa frange de soies de la marge externe des palpes et par la forme de la marge distale des palpes est comparable Caractères larvaires du genre Cyanothemis à celui de Acisoma. Sur le terrain, il m’est arrivé de confondre lors d’un tri rapide des larves de Acisoma panorpoides Rambur, 1842 de pénultième stade avec des larves de Nannophya pygmaea Rambur, 1842 de dernier stade ; toutefois ces dernières se différencient du groupe (Rhodothemis – Lepthemis – Cyanothemis – Acisoma) par des mesostigmata bien moins élevés et moins forts, des épines latérales sur les segments abdominaux 8 et 9, et des paraproctes généralement non recourbés vers le bas (certains spécimens montrent cependant la très courte épine apicale des paraproctes faiblement, mais distinctement dirigée vers le bas). Ces caractères considérés comme plésiomorphes ne devraient pas entraver les relations de parenté avec le groupe (Rhodothemis – Lepthemis – Cyanothemis – Acisoma), et indiqueraient que le genre Nannophya occupe une position basale dans le groupe, ou se place en groupe-frère. Des données moléculaires montrent Nannophya pygmaea groupe-frère du clade (Rhodothemis – Lepthemis – Acisoma) (Fleck et al., en prép.). L’adulte possède également des caractères en accord avec une position basale du genre puisque les pattes sont frêles et portent des épines tibiales fines, les yeux sont encore en contact sur une courte distance et le lobe prothoracique est particulièrement bien développé et porte une légère échancrure en son milieu. Le genre Nannophya est traditionnellement placé dans les Brachydiplacinae sans doute en raison de sa très petite taille, et de ses ailes montrant un triangle discoïdal à l’aile antérieure quadrangulaire, un champ postdiscoïdal à l’aile antérieure formé d’une seule rangée de cellules dans sa partie la plus proximale, une boucle anale mal définie, une Rspl parallèle à IR2 et rejoignant la marge postérieure et, bien que pas toujours vérifié dans le genre, un côté proximal du triangle discoïdal à l’aile postérieure quelque peu déplacé distalement par rapport à l’arculus (côté proximal du triangle aligné avec l’arculus chez N. dalei (Tillyard, 1908), en position très variable chez N. pygmaea), et une nervure transverse supplémentaire dans l’espace sous-médian également à l’aile postérieure (présente uniquement chez N. australis Brauer, 1866). Tous ces caractères sont assez fréquemment absents au sein des Brachydiplacinae, de surcroît, ils se retrouvent dans d’autres sous-familles comme par exemple les « Tetrathemistinae ». Enfin, le genre Nannophya ne possède pas de Bqs, qui est un caractère de la diagnose des Brachydiplacinae. Le genre Nannothemis semble occuper une position intermédiaire entre Nannophya et le groupe (Rhodothemis – Lepthemis – Cyanothemis – Acisoma). Sa larve ressemble fortement à celle de Nannophya (habitus général, masque, épines abdominales latérales etc.), néanmoins elle dispose de pattes légèrement plus fortes et d’une pyramide anale aux éléments dirigés vers le bas avec des paraproctes moyennement mais distinctement recourbés. L’imago possède des yeux particulièrement disjoints, au contact très réduit [caractère (1a) presque réalisé], un lobe prothoracique très développé et échancré en son milieu [caractère (1c)] et des pattes particulièrement fortes (l’organisation des épines est presque identique à celle de Nannophya, si ce n’est la présence d’épines tibiales à peine plus fortes). Le genre Nannothemis, placé dans les Brachydiplacinae dans les travaux récents (voir par exemple Steinmann 1997 et Silsby 2001), a une aile morphologiquement proche du genre Nannophya et plus particulièrement de Nannophya dalei, la seule différence notable étant la position de MP sur le triangle discoïdal. Certaines sous-familles de Libellulidae comme les Tetrathemistinae, les Onychothemistinae, les Trithemistinae ou les Zygonychinae ne constituent pas des groupes naturels et doivent être considérés comme polyphylétiques ou paraphylétiques (Fleck et al., soumis, en prép.). La présence de Nannophya et de Nannothemis (Brachydiplacinae) en groupe frère de Sympetrinae pro parte pose le problème de la monophylie des Brachydiplacinae et des Sympetrinae. Il est fort probable que la très « polymorphe » sous-famille des Brachydiplacinae soit polyphylétique comme semblent l’indiquer les premières analyses de données moléculaires et une étude préliminaire des larves (Fleck et al., en prép.). Les caractères utilisés jusqu’à maintenant dans la phylogénie et la systématique des Libellulidae sont presque exclusivement issus des adultes, et les caractères alaires montrent ici certaines limites (voir aussi Fleck et al., soumis). Cette famille, la plus grande des Odonates actuels, formée par un complexe énorme de genres et d’espèces à la morphologie, à l’écologie, à la biologie et au comportement remarquablement diversifiés, demande à être révisée et appréhendée dans son ensemble. Remerciements – Toute ma gratitude va au Dr P. Posso (CENAREST/IRET, Gabon) pour sa très précieuse aide logistique ainsi que pour sa gentillesse ainsi qu’à R. Sonnenberg (Museum de Bonn, Allemagne) pour sa patience sur le terrain. Je suis particulièrement reconnaissant au Dr K. Tennessen (EUA) pour la communication de précieux renseignements concernant la larve de Nannothemis. Je remercie également le Dr Che Salmah Md Rawi et toute son équipe (USM Penang) pour leur accueil et leur gentillesse tout au long de mon séjour en Malaisie ainsi que le Dr A. Nel (Museum de Paris, France) et Catherine Brunet pour la relecture du manuscrit. 57 G. FLECK RÉFÉRENCES CALVERT P.P. 1928 – Report on Odonata, including notes on some internal organs of the larvae collected by the barbados-Antigua Expedition from the University of Iowa in 1918. – University of Iowa Studies in Natural History, 12 : 3-44. FLECK G., MISOF B., BRENK M., soumis. – The discovery of the larva of Micromacromia camerunica Karsch, 1889 (Odonata : Anisoptera : Libellulidae). 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