La larve du genre Cyanothemis Ris, 1915 (Odonata: Anisoptera

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Ann. Soc. entomol. Fr. (n.s.), 2004, 40 (1) : 51-58.
ARTICLE
La larve du genre Cyanothemis Ris, 1915
(Odonata: Anisoptera: Libellulidae).
Conséquences phylogénétiques
Günther FLECK
Département Systématique et Évolution, Muséum National d’Histoire Naturelle,
45, rue Buffon, F-75005 Paris, France,
et Zoologisches Forschungsinstitut und Museum Alexander Koenig,
Adenauerallee 160, D-53113 Bonn, Allemagne.
Résumé – La larve du genre Cyanothemis Ris, 1915 est décrite et illustrée pour la première fois. L’étude
des adultes et des larves des genres Lepthemis Hagen, 1861, Rhodothemis Ris, 1911 et Cyanothemis
Ris, 1915 suggère qu’ils sont étroitement apparentés, comblant ainsi une lacune phylogénétique vieille
de presque un siècle. Le genre Acisoma Rambur, 1842, bien que plus dérivé, doit également être considéré appartenir au clade (Cyanothemis + Lepthemis + Rhodothemis). Les genres Nannophya Rambur,
1842 et Nannothemis Brauer, 1868 placés traditionnellement dans les Brachydiplacinae et non dans les
Sympetrinae pourraient être les adelphotaxons du clade (Acisoma + Cyanothemis + Lepthemis +
Rhodothemis). L’utilisation de la nervation alaire, jusqu’alors prépondérante, montre certaines limites dans
la systématique et la phylogénie des Libellulidae.
Abstract – The larva of the genus Cyanothemis Ris, 1915 (Odonata: Anisoptera: Libellulidae).
Phylogenetic consequences. – The larva of the genus Cyanothemis Ris, 1915 is described and illustrated for the first time. The comparison of the larva and adult of Cyanothemis with those of Lepthemis
Hagen, 1861 and Rhodothemis Ris, 1911 suggests that these three genera are closely related, filling a
phylogenetic gap which nearly goes back a century. The genus Acisoma Rambur, 1842, even if more
derivated, has to be considered as belonging to the clade (Cyanothemis + Lepthemis + Rhodothemis).
The genera Nannophya Rambur, 1842 and Nannothemis Brauer, 1868, put traditionally into Brachydiplacinae
and not into Sympetrinae, could be the adelphotaxa of the clade (Acisoma + Cyanothemis + Lepthemis
+ Rhodothemis). Studying wing veination in systematics and phylogeny was till now preponderant, but
seems to be limited for the Libellulidae.
Cyanothemis simpsoni Ris, 1915
(fig. 1-9)
Matériel étudié – Exuvie de dernier stade (élevage, 1 P), Gabon,
route entre Lambaréné et Fougamou, juillet 2002, Fleck réc.
Description du dernier stade larvaire – Larve d’apparence très
robuste (fig. 1), partie dorsale sombre avec des motifs complexes
de couleur brune, orangée ou rosâtre, partie ventrale presque
entièrement noirâtre avec quelques taches rose-orangé sur l’abdomen et le thorax (fig. 9,10) ; corps dépourvu de grandes soies
filiformes mais recouvert de petites soies épineuses, donnant un
aspect « propre » et luisant à l’insecte.
E-mail : [email protected]
Accepté le 02-10-2003.
Tête. Massive, presque deux fois plus large que longue ;
antennes relativement courtes, la droite composée de sept articles,
la gauche de six articles par fusion des deux derniers ; partie fonctionnelle des yeux proéminente, très étendue latéralement et
surtout antérieurement ; partie fonctionnelle des yeux parcourue de lignes sombres verticales ; occiput assez bien développé,
avec des marges latérales convergentes dans le sens antéro-postérieur, la marge postérieure longue et légèrement concave (fig. 1) ;
masque large et court (fig. 2), l’articulation submentum-mentum
atteignant juste le niveau des mesocoxae ; suture médiane du
mentum peu marquée mais parfaitement visible côté ventral et
atteignant la dépression articulaire (caractère rare chez les
Libellulidae) ; face dorsale du mentum avec deux séries d’une
quinzaine de soies (« mental setae »), les plus centrales petites et
mal alignées ; frange de soies sur le tiers distal de la marge latérale du mentum, marge distale fortement projetée antérieurement, avec des soies effilées, plus nombreuses dans la partie la
plus apicale, et souvent avec une alternance de petites et de
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G. FLECK
grandes soies (fig. 3) ; palpes avec 8 ou 9 soies palpales et de
nombreuses soies formant une frange sur la moitié basale de la
marge externe ; marge distale des palpi absolument sans échancrure, mais très finement crénelée, setae raptores rares dans le
quart dorsal et de plus en plus abondantes ventralement (fig. 4) ;
crochet articulé moyennement développé.
Thorax. Long, très large, mais aussi remarquablement développé dans les sens dorso-ventral, permettant aux forts mésostigmata de s’élever au dessus du reste du corps ; bouclier du
prothorax très incliné et ne recouvrant pas les mésostigmata,
même chez l’animal vivant (fig. 1, 9) ; pattes très fortes et très
courtes, sombres à l’exception du métatibia franchement orange
et des deux premiers articles tarsaux jaunâtres à orange ; profémur à peine quatre fois plus long que large, profémur et protibia ensemble de longueur équivalente à la largeur de la tête, patte
antérieure, complète, de longueur comparable à la largeur de
l’abdomen ; longueur du métafémur inférieure à la largeur de la
tête ; pro- et mésotibias pourvus côté externe de cinq ou six
groupes de soies robustes, la taille des soies augmentant progressivement dans le sens proximo-distal au sein de chaque groupe
(fig. 5) ; griffes courtes ; ptérothèques aux marges costales parallèles et sur la larve vivante, les postérieures dépassant la marge
postérieure du segment 6.
Abdomen. Large et court, de forme semi-circulaire en section
transverse ; pas d’épines dorsales mais à leur place une touffe de
soies assez fortes présente sur les segments 4 à 9, celle du segment
8 et surtout celle du segment 9 cependant peu marquées (fig. 6) ;
Figures 2-5
Cyanothemis simpsoni. – 2, masque en vue ventrale. – 3, mentum et palpes
labiaux en vue dorsale. – 4, palpe labial droit, en vue de face. – 5, partie
distale de la patte antérieure gauche montrant la structure itérative des fortes
épines du côté externe du fémur, et les très longues et fortes soies du côté
interne.
présence sur le segment 9 uniquement d’épines latérales faiblement développées, légèrement incurvées vers l’intérieur et ventralement (fig. 6 et 7) ; pyramide anale assez courte, paraproctes et
épiprocte de taille comparable ; cerci relativement grands, leur
longueur atteignant presque les deux tiers de celle de l’épiprocte ;
paraproctes brutalement acuminés (fig. 7) ; tous les apex des
éléments de la pyramide incurvés ventralement, faiblement pour
les cerci, assez fortement pour les paraproctes (fig. 7).
Mensurations. Longueur totale hors pattes, hors antennes,
pyramide anale incluse : 19 mm ; largeur maximale de la tête :
6 mm; largeur maximale de l’abdomen : 7 mm (exuvie); longueur
de l’abdomen, pyramide anale incluse : 11,5 mm (exuvie) ;
longueur de la patte postérieure : 14,2 mm ; longueur du métafémur : 5,5 mm.
Figure 1
Cyanothemis simpsoni, habitus général (exuvie, soies non représentées).
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Diagnose générique larvaire – La larve de ce genre
africain monospécifique est caractérisée par : (1) un
corps très compact, de longueur inférieure à trois fois
sa largeur et (2) dépourvu de grandes soies filiformes ;
(3) une partie fonctionnelle des yeux très grande s’étendant aussi bien latéralement qu’antérieurement ; (4) une
Caractères larvaires du genre Cyanothemis
Conséquences phylogénétiques
Les genres Rhodothemis Ris, 1911
et Lepthemis Hagen, 1861
Dès 1911, Ris signale à plusieurs reprises (p. 592, 595,
607) l’étroite et curieuse parenté entre le genre asiatique
Rhodothemis Ris, 1911 et le genre américain Lepthemis
(et Erythemis Hagen, 1861, considéré à l’époque comme
un genre distinct de Lepthemis) : « Die Verwandtschaft
Rhodothemis – Erythemis – Lepthemis ist zweifellos eine
sehr enge, wobei das Vorkommen von Rhodothemis in
der alten Welt ein interessantes Problem darstellt ». Ces
deux genres, outre une nervation alaire fort peu différente, présentent : (1a) des yeux très disjoints, ne se
rencontrant qu’en un point, chose assez remarquable
pour la famille, (2a) des pattes particulièrement fortes
avec des épines tibiales très robustes et réduites en
nombre et avec des épines fémorales fortes et ne s’allongeant que brutalement dans la partie la plus distale,
Figures 6-7
Cyanothemis simpsoni, partie distale de l’abdomen. – 6, en vue dorsale
(chétotaxie partiellement représentée). – 7, en vue latérale (soies non
représentées).
marge distale des palpi droite, absolument sans échancrure ; (5) une remarquable frange de soies assez dense
sur la bordure externe des palpi [ce caractère relativement fréquent chez les Corduliidae est beaucoup plus
rare chez les Libellulidae] ; (6) un thorax et plus particulièrement des mesostigmata très développés et élevés
au dessus du reste du corps ; (7) des pattes très courtes
et très fortes, le profémur et le protibia ensemble de
longueur comparable à la largeur de la tête, et la patte
postérieure ne dépassant pas l’extrémité postérieure de
l’abdomen ; (8) une organisation remarquable de soies
épineuses sur la partie externe des protibias et mésotibias ; (9) des ptérothèques aux marges costales parallèles ; (10) l’absence d’épines dorsales (remplacées par
des touffes de soies épineuses) ; (11) la présence d’épines
latérales uniquement sur le segment abdominal 9, cellesci peu développées ; (12) une pyramide anale courte aux
éléments pointant ventralement (particulièrement bien
marqué pour les paraproctes) ; (13) un corps particulièrement coloré avec un fort mélanisme ventral.
Figure 8
Fémurs de la patte postérieure : – a, Acisoma trifidum Kirby, 1889. – b,
Rhodothemis rufa. – c, Cyanothemis simpsoni. – d, Lepthemis plebeja
(Burmeister, 1839).
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G. FLECK
ainsi que (3a) un lobe prothoracique très développé et
échancré en son milieu. Ris (loc. cit.) différencie ces
genres par : (1b) la position relative du nodus, plus
distale chez Rhodothemis, (2b) l’armature métafémorale
des mâles, moins spécialisée chez Rhodothemis et (3b)
le champ postdiscoïdal à l’aile antérieure, rétréci à deux
rangées de cellules entre le triangle discoïdal et le nodus
chez Rhodothemis.
Kennedy, en 1923, propose un scénario Asie-Alaska
pour expliquer le lien étroit unissant ces deux genres
ainsi qu’une alternative – moins probable – africaine :
« The location of Rhodothemis, the least specialized
member of the series, in the East Indies suggests an
Oriental origin for the group as the whole and that the
stock of the American genera at some time in the past
has spread into its present habitat. As the majority of
the species are tropical into America may have taken
place when the Asia-Alaska land-bridge had climate
suitable for such species, which must have been in PreMiocene times. The other possibility is that they came
across from Africa, but so far we have not recognized
any African relatives of the group. »
Lohmann, en 1984, décrit deux nouvelles espèces
de Rhodothemis. Dans sa partie systématique, pour séparer le genre de Lepthemis, il se contente de reprendre les
trois caractères déjà énoncés par Ris. Il reformule les
caractères (1b) et (3b) et invalide le caractère (2b) car
les espèces de Rhodothemis du groupe lieftincki (R. lieftincki, Fraser, 1954 et R. mauritsi Lohmann, 1984)
montrent des armatures des pattes identiques à celles
des espèces du genre Lepthemis. Son travail ne propose
aucune hypothèse pour expliquer la parenté des deux
genres et ne prend pas en considération les caractères
larvaires, soit qu’ils n’aient pas été étudiés, soit qu’ils
n’aient pas été retenus.
La larve du genre Lepthemis est connue depuis le
début du vingtième siècle (voir par exemple les travaux
de Needham 1901 et de Calvert 1928). Celle de
Rhodothemis est brièvement signalée et très sommairement caractérisée par Lieftinck en 1934, ses dessins,
datant de 1930, ne seront publiés que bien plus tard.
Ce sont finalement Nirmala Kumari & Balakrishnan
Nair (1981) qui décriront la larve.
Les larves de ces deux genres sont morphologiquement très semblables : (1c) corps très compact, de
longueur inférieure à trois fois sa largeur ; (2c) tête forte,
nettement trapézoïdale (partie antérieure des yeux au
même niveau que la marge frontale, partie latérale des
yeux bien alignée avec les marges latérales de l’occiput,
marge postérieure de l’occiput longue et légèrement
concave) ; (3c) yeux proéminents et avec des rayures
colorées verticales ; (4c) masque large et court ; (5c)
marge distale des palpi quasiment rectiligne ; (6c) pattes
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au moins assez fortes ; (7c) thorax puissant, fortement
élevé avec des mésostigmates hypertrophiés et surplombant le reste du corps ; (8c) ptérothèques très longues
relativement à la longueur de l’abdomen, atteignant au
moins le segment 7 ; (9c) épines abdominales dorsales
absentes ; (10c) épines abdominales latérales absentes
ou peu fortes, légèrement incurvées et présentes uniquement sur le segment 9 ; (11c) pyramide anale assez
courte ; (12c) paraproctes larges à leur base et soudainement effilés et dirigés vers le bas à leur apex ; (13c)
corps généralement parcouru de motifs colorés plus ou
moins complexes, y compris face ventrale. La larve de
Rhodothemis se différencie toutefois de celle de
Lepthemis par : (1d) des yeux un peu moins étendus
dans le sens antéro-postérieur, montrant ainsi une tête
légèrement plus étirée transversalement ; (2d) un masque
légèrement plus large au niveau de l’articulation submentum-mentum ; (3d) une frange de fortes soies bien développée sur la moitié basale de la marge externe des palpi
(frange plus ou moins fortement réduite et constituée
de soies moins fortes chez Lepthemis) ; (4d) des échancrures très faibles mais parfaitement distinctes sur toute
la longueur de la marge distale des palpi (échancrures à
peine ébauchées et confinées dans la partie supérieure
de la marge chez Lepthemis) ; (5d) des pattes nettement
moins fortes avec un rapport (longueur/largeur du profémur) proche de 6 (rapport inférieur ou égal à 5 chez
Lepthemis) ; (6d) longueur de la patte postérieure comparée à celle de la patte antérieure moins disproportionnée, avec un rapport proche de 1,6 (rapport proche de
2 chez Lepthemis).
Le genre Cyanothemis Ris, 1915
Lors de sa capture dans un petit cours d’eau lent en
bordure de route, je m’étonnais de voir, en forêt africaine, la larve d’une espèce remarquablement proche de
la larve du genre Rhodothemis ou du genre Lepthemis que
j’avais eu l’occasion de récolter à plusieurs reprises en
Malaisie ou en Guyane française. Je soupçonnais cette
larve d’appartenir à Cyanothemis simpsoni. En effet
l’adulte de cette espèce porte aussi les caractères (1a),
(2a), et (3a), caractéristiques du groupe RhodothemisLepthemis, et montre une nervation alaire très proche
de celle de Lepthemis vesiculosa (F., 1775). La larve, vorace
et facile à élever, effectua ses mues sans problème. Elle
donna, quelques quatre mois après sa capture, un parfait
imago mâle attribuable à Cyanothemis simpsoni, confirmant ainsi mes supputations.
La larve du genre Cyanothemis possède l’intégralité
des caractères (1c) à (13c) communs au groupe
Rhodothemis-Lepthemis. Elle se différencie de ce groupe
par : (1e) un corps dépourvu de grandes soies filiformes ;
Caractères larvaires du genre Cyanothemis
Figure 9
Cyanothemis simpsoni : larve en vue dorsale.
Figure 10
Cyanothemis simpsoni : larve en vue ventrale.
(2e) des pattes postérieures ne dépassant pas l’extrémité
postérieure de l’abdomen, conséquence d’un abdomen
moins court et de pattes nettement moins longues ; (3e)
des ptérothèques postérieures s’engageant très peu au
dessus du segment abdominal 7, conséquence d’un
abdomen moins court [chez Rhodothemis l’apex des
ptérothèques postérieures se situe entre la moitié du
segment 8 et la marge postérieure du segment 9, chez
Lepthemis il se situe entre la moitié du segment 7 et la
marge postérieure du segment 9] ; (4e) une organisation remarquable de soies épineuses sur la partie externe
des protibias et mésotibias ; (5e) des mesostigmata moins
fortement élevés et moins centrés vers l’axe sagittal [réversion partielle ?]; (6e) des paraproctes moins fortement
recourbés vers le bas [réversion partielle ?] ; (7e) un
rapport (longueur de la patte postérieure/longueur de
la patte antérieure) intermédiaire (valeur de 1,85). Elle
se rapproche de la larve de Lepthemis par : (1e') la forme
de la tête et des yeux ; (2e') la forme de la marge des
palpi [ce caractère est encore plus remarquable chez
Cyanothemis puisque la marge est parfaitement droite,
alors que de très fines ondulations sont généralement
partiellement visibles chez certains Lepthemis] ; (3e') la
suture médiane du mentum [visible sur certains specimens de Lepthemis, mais toujours plus faible et toujours
interrompue avant l’articulation submentum-mentum] ;
(4e') la très grande robustesse des pattes [ce caractère
est encore plus marqué chez Cyanothemis, puisque le
rapport (longueur/largeur du profémur) est proche de 4].
Elle se rapproche de la larve de Rhodothemis par : (1e")
la dense frange de soies de la marge externe des palpi ;
(2e") la forme générale du masque, très large au niveau
de l’articulation submentum-mentum.
Les caractères larvaires (1c) à (13c) et les caractères
imaginaux (1a) à (3a) sont présents chez Cyanothemis.
À l’exception du caractère (4c) difficile à orienter, il
semblerait que tous ces caractères soient dérivés, la polarisation étant faite à partir des Corduliidae (groupe frère)
et des Macrodiplacinae (considéré comme le groupe le
plus basal des Libellulidae, élevé au rang de famille par
certains auteurs). Bien que certains de ces caractères
puissent se rencontrer ponctuellement dans d’autres
genres a priori non apparentés, le genre Cyanothemis
doit posséder des liens phylogénétiques très étroits avec
le genre Rhodothemis et le genre Lepthemis et doit être
considéré appartenir à ce groupe.
Ris (1919) signale que l’imago de Cyanothemis a un
habitus semblable à celui du genre Hadrothemis Karsch,
1891 (groupe II) et une forte ressemblance dans la nervation alaire avec les genres Crocothemis Brauer, 1868 et
Bradinopyga Kirby, 1894 (groupe VI.2). Cependant, il
place Cyanothemis dans le groupe VI.3 contenant entre
autres les genres Rhodothemis et Lepthemis (et Erythemis)
(groupe VI.3 EE) et indique la grande similarité de la
55
G. FLECK
tête et du thorax avec Rhodothemis : « In Kopfbildung
und Prothorax am nächstens Rhodothemis, von welcher
Gattung sie die weniger differenzierte Armatur der
Femora nicht unbedingt ausschliessen würde ». Pourtant
il n’évoquera jamais un quelconque lien de parenté avec
Rhodothemis ou avec Lepthemis. Ris paraît être victime
à la fois de son système de classification et de l’importance donnée à la nervation alaire. Le groupe VI.3 EE
est défini en premier point par une MP naissant sur
MAb loin de l’angle postérieur du triangle discoïdal à
l’aile postérieure. Comme Cyanothemis ne possède pas
ce caractère il semble que Ris n’ait pas voulu l’intégrer
dans ce groupe. Par la suite, des auteurs tels Kennedy
(loc. cit.) ou Lohmann (loc. cit.) ne reviendront pas sur
le statut de Cyanothemis imposé par Ris. Pourtant ce
caractère apparaît variable d’un genre à l’autre à l’intérieur de sous-familles de Libellulidae, mais aussi – plus
rarement – d’une espèce à l’autre à l’intérieur de certains
genres (par exemple Brachythemis Brauer, 1868 et
Erythrodiplax Brauer, 1868), voire exceptionnellement
d’un individu à l’autre à l’intérieur de certaines espèces
(par exemple Crocothemis servilia (Drury, 1773)).
Remarques. Le métafémur adulte mâle de Cyanothemis possède une épine distale très puissante, surpassant en largeur et en longueur celle de Rhodothemis et
Lepthemis, et les épines précédentes sont au moins aussi
larges à leur base que celles des deux autres genres. Son
organisation générale n’est pas sans rappeler celle de
Lepthemis puisque trois ou quatre épines très fortes côté
distal sont précédées d’une série de petites épines subégales côté proximal (fig. 8).
Un caractère unique chez les Odonates, et qui a peutêtre contribué à « éloigner » Cyanothemis du groupe VI.3
EE, est la présence d’une anténodale incomplète à l’aile
postérieure. Ce caractère a été établi par Ris à partir de
quatre spécimens provenant de Sierra Leone et du
Nigeria. Sur les quatre spécimens adultes que j’ai pu
observer, provenant du sud Cameroun et du Gabon, un
seul possède ce caractère à l’aile droite.
Le genre Acisoma Rambur, 1842
La larve du genre Acisoma ressemble de façon étonnante
à la larve de Lepthemis ou de Rhodothemis et possède les
caractères (1c) à (12c). Dans son allure générale elle
pourrait se comparer à une larve de Lepthemis de taille
modeste aux pattes postérieures à peine plus courtes.
Elle a en commun avec la larve de Rhodothemis le même
type de masque avec les caractères (2d), (3d) et (4d).
Pour ce dernier caractère, les échancrures tout en restant
faibles sont légèrement plus marquées que chez
Rhodothemis.
56
Le genre Acisoma est placé par Ris (1909) dans le
groupe VI.1 qui réunit des genres aux espèces de taille
assez petite. Fraser (1956) le déplacera des Sympetrinae
vers les Brachydiplacinae, en position basale (« avant
Chalcostephia et Hemistigma »), d’après la seule présence
d’une anténodale distale complète à l’aile antérieure. Il
replacera à nouveau le genre dans les Sympetrinae en
1957. Les ailes de Acisoma, toutes proportions gardées,
sont plus larges que celles de Rhodothemis, Lepthemis et
Cyanothemis, et sa nervation est sensiblement différente,
avec un nombre d’anténodales et de postnodales plus
réduit, un triangle discoïdal libre à l’aile antérieure ou
encore des MP plus arquées. Toutefois Acisoma possède,
comme ces trois genres, les caractères (1a) et (3a), de
plus ses pattes sont également très fortes avec des épines
tibiales robustes et réduites en nombre, et bien que
semblant moins spécialisée, l’organisation des épines
fémorales est à rapprocher de celle de Rhodothemis
(fig. 8). Le genre Acisoma doit être considéré appartenir au groupe (Rhodothemis – Lepthemis – Cyanothemis),
et ce en accord avec des données moléculaires qui indiquent Rhodothemis sp., Lepthemis sp. et Acisoma sp.
(genre Cyanothemis non traité) appartenir à un petit
clade monophylétique (Fleck et al., en prép.).
Même si les liens de parenté à l’intérieur du groupe
(Rhodothemis – Lepthemis – Cyanothemis – Acisoma) ne
sont pas encore clairement définis, la présence du genre
africain Cyanothemis et du genre africano-asiatique
Acisoma rendent l’hypothèse « Asie-Alaska » de Kennedy
(loc. cit.) nettement moins probable et, par voie de conséquence, l’hypothèse « africaine » beaucoup plus logique.
Remarques. À l’instar de Rhodothemis et de
Lepthemis, Acisoma possède une MP naissant sur MAb
loin de l’angle postérieur du triangle discoïdal à l’aile
postérieure. L’hypothèse d’une possible réversion pour
ce caractère chez Cyanothemis n’est donc pas à exclure.
La couleur bleue particulièrement intense chez
Cyanothemis et un peu plus fade chez Acisoma n’est pas
due à une pruinosité comme c’est très généralement les
cas chez les Libellulidae. Fait rarissime pour cette famille
(et même pour les Libelluloidea), elle est la conséquence
de pigments sous-cuticulaires. Cette couleur n’est sans
doute pas le résultat d’une convergence étant donnée la
proximité phylogénétique des deux genres.
Les genres Nannophya Rambur, 1842
et Nannothemis Brauer, 1868
L’habitus de la larve du genre Nannophya est très
semblable à celui des larves du groupe (Rhodothemis –
Lepthemis – Cyanothemis – Acisoma) ; son masque, par
sa frange de soies de la marge externe des palpes et par
la forme de la marge distale des palpes est comparable
Caractères larvaires du genre Cyanothemis
à celui de Acisoma. Sur le terrain, il m’est arrivé de
confondre lors d’un tri rapide des larves de Acisoma
panorpoides Rambur, 1842 de pénultième stade avec des
larves de Nannophya pygmaea Rambur, 1842 de dernier
stade ; toutefois ces dernières se différencient du groupe
(Rhodothemis – Lepthemis – Cyanothemis – Acisoma) par
des mesostigmata bien moins élevés et moins forts, des
épines latérales sur les segments abdominaux 8 et 9, et
des paraproctes généralement non recourbés vers le bas
(certains spécimens montrent cependant la très courte
épine apicale des paraproctes faiblement, mais distinctement dirigée vers le bas). Ces caractères considérés
comme plésiomorphes ne devraient pas entraver les relations de parenté avec le groupe (Rhodothemis – Lepthemis
– Cyanothemis – Acisoma), et indiqueraient que le genre
Nannophya occupe une position basale dans le groupe,
ou se place en groupe-frère. Des données moléculaires
montrent Nannophya pygmaea groupe-frère du clade
(Rhodothemis – Lepthemis – Acisoma) (Fleck et al., en
prép.). L’adulte possède également des caractères en
accord avec une position basale du genre puisque les
pattes sont frêles et portent des épines tibiales fines, les
yeux sont encore en contact sur une courte distance et
le lobe prothoracique est particulièrement bien développé et porte une légère échancrure en son milieu.
Le genre Nannophya est traditionnellement placé
dans les Brachydiplacinae sans doute en raison de sa très
petite taille, et de ses ailes montrant un triangle discoïdal à l’aile antérieure quadrangulaire, un champ postdiscoïdal à l’aile antérieure formé d’une seule rangée de
cellules dans sa partie la plus proximale, une boucle
anale mal définie, une Rspl parallèle à IR2 et rejoignant
la marge postérieure et, bien que pas toujours vérifié
dans le genre, un côté proximal du triangle discoïdal à
l’aile postérieure quelque peu déplacé distalement par
rapport à l’arculus (côté proximal du triangle aligné avec
l’arculus chez N. dalei (Tillyard, 1908), en position très
variable chez N. pygmaea), et une nervure transverse
supplémentaire dans l’espace sous-médian également à
l’aile postérieure (présente uniquement chez N. australis Brauer, 1866). Tous ces caractères sont assez fréquemment absents au sein des Brachydiplacinae, de surcroît,
ils se retrouvent dans d’autres sous-familles comme par
exemple les « Tetrathemistinae ». Enfin, le genre
Nannophya ne possède pas de Bqs, qui est un caractère
de la diagnose des Brachydiplacinae.
Le genre Nannothemis semble occuper une position
intermédiaire entre Nannophya et le groupe (Rhodothemis
– Lepthemis – Cyanothemis – Acisoma). Sa larve ressemble
fortement à celle de Nannophya (habitus général, masque,
épines abdominales latérales etc.), néanmoins elle dispose
de pattes légèrement plus fortes et d’une pyramide anale
aux éléments dirigés vers le bas avec des paraproctes
moyennement mais distinctement recourbés. L’imago
possède des yeux particulièrement disjoints, au contact
très réduit [caractère (1a) presque réalisé], un lobe prothoracique très développé et échancré en son milieu [caractère (1c)] et des pattes particulièrement fortes (l’organisation des épines est presque identique à celle de
Nannophya, si ce n’est la présence d’épines tibiales à peine
plus fortes). Le genre Nannothemis, placé dans les
Brachydiplacinae dans les travaux récents (voir par
exemple Steinmann 1997 et Silsby 2001), a une aile
morphologiquement proche du genre Nannophya et plus
particulièrement de Nannophya dalei, la seule différence
notable étant la position de MP sur le triangle discoïdal.
Certaines sous-familles de Libellulidae comme
les Tetrathemistinae, les Onychothemistinae, les
Trithemistinae ou les Zygonychinae ne constituent pas
des groupes naturels et doivent être considérés comme
polyphylétiques ou paraphylétiques (Fleck et al., soumis,
en prép.). La présence de Nannophya et de Nannothemis
(Brachydiplacinae) en groupe frère de Sympetrinae pro
parte pose le problème de la monophylie des
Brachydiplacinae et des Sympetrinae. Il est fort probable
que la très « polymorphe » sous-famille des Brachydiplacinae soit polyphylétique comme semblent l’indiquer
les premières analyses de données moléculaires et une
étude préliminaire des larves (Fleck et al., en prép.). Les
caractères utilisés jusqu’à maintenant dans la phylogénie et la systématique des Libellulidae sont presque exclusivement issus des adultes, et les caractères alaires
montrent ici certaines limites (voir aussi Fleck et al.,
soumis). Cette famille, la plus grande des Odonates
actuels, formée par un complexe énorme de genres et
d’espèces à la morphologie, à l’écologie, à la biologie et
au comportement remarquablement diversifiés, demande
à être révisée et appréhendée dans son ensemble.
Remerciements – Toute ma gratitude va au Dr P. Posso (CENAREST/IRET, Gabon) pour sa très précieuse aide logistique ainsi
que pour sa gentillesse ainsi qu’à R. Sonnenberg (Museum de
Bonn, Allemagne) pour sa patience sur le terrain. Je suis particulièrement reconnaissant au Dr K. Tennessen (EUA) pour la
communication de précieux renseignements concernant la larve
de Nannothemis. Je remercie également le Dr Che Salmah Md
Rawi et toute son équipe (USM Penang) pour leur accueil et
leur gentillesse tout au long de mon séjour en Malaisie ainsi que
le Dr A. Nel (Museum de Paris, France) et Catherine Brunet
pour la relecture du manuscrit.
57
G. FLECK
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