30 // FINANCE & MARCHES Mercredi 3 février 2016 Les Echos Le pétrole et les banques dépriment de nouveau les Bourses mondiales l Les Bourses européennes reculent dans le sillage du baril de brut américain. l Mais les banques, en repli de 4 %, ont aussi pesé sur la tendance. BOURSE quelquessemainesetpasseulement parce que les groupes énergétiques pèsent encore lourd en Bourse. La chute du baril est perçue comme le symboleduralentissementmondial et du fléchissement de la croissance des pays émergents, Chine en tête. Il n’a fallu que deux jours au baril de pétrole WTI pour effacer les 10 % de gains enregistrés la semaine dernières, sur des espoirs d’accord pour diminuer une production d’or noir largement excédentaire. Espoirs déçus. Le pétrole texan est donc repassé un temps sous les 30 dollars le baril. La conséquence ne s’est pas faitattendresurdesmarchésdeplus en plus corrélés au prix du pétrole. Après avoir rebondi de 4,86 % en deux semaines, l’indice CAC 40 a replongé, mardi, de 2,47 %, à 4.283,99 points, toutes les valeurs terminant dans le rouge. Lelienentreleprixdupétroleetle prixdesactionsestmanifestedepuis Coupes d’investissement Cette chute fragilise aussi tout un pan de l’économie américaine, portée ces dernières années par le développement faramineux du pétroleetdugazdeschiste.Or,explique Benjamin Melman chez Edmond de Rothschild AM, « les effets négatifs de la chute des cours du pétrole sont plus rapides à se diffuser dansl’économievialescoupesd’investissement que les effets positifs », en termesdepouvoird’achatparexemple. Ainsi, aux Etats-Unis, les ménages ont surtout épargné les économies réalisées à la pompe. Une situation qui pourrait s’inverser dans les prochains mois, selon Bruno Cavalier chez Oddo : « La baisse des prix du pétrole étant durable, les ménages peuvent considérer quelesoutienàleurrevenuestpermanent, encourageant la consommation. Secundo, après la purge réalisée, toute baisse additionnelle des dépenses en capital sera modeste. » Unautresecteuraaussipesésurla tendance en Europe et la chute du prix de l’or noir n’y est pour rien. L’indice STOXX Europe 600 Banks a ainsi plongé de 4,02 %. En cause, les résultats d’UBS décevants dans la banque d’investissement et la gestion de fortune. Un avertissement alors que, dans la zone euro, les marges dans la banque de détail sont comprimées par les taux durablementbasimposésparlabanquecentrale. Cela laisse présager des mauvaises nouvelles sur les résultats des banques de la zone euro. Les marchésserontunpeumieuxfixésenfin de semaine avec BNP Paribas, qui publiera les siens. Enfin, les investisseurs continuent de s’inquiéter pour la santé du secteur bancaire italien. Monte dei Paschi a ainsi encore plongé de 8,24 % mardi et Banca Popolare dell’Emilia Romagna de 6,80 %. En France, Société Générale aperdu6,35 %etBNPParibas5,67 %. UBS a chuté de 6,83 %. — P. Fay « La chute des matières premières va faire des victimes » Propos recueillis par Guillaume Benoit, Guillaume Maujean et François Vidal Pour les marchés, qu’elles en seraient les conséquences ? La désintermédiation à l’anglosaxonne a joué son rôle à plein DR Après une fin d’année 2015 compliquée pour les marchés, 2016 a déjà connu plusieurs soubresauts. Quel regard portez-vous sur la situation actuelle ? Noussommestrèsprudents.Depuis 2009, l’économie va mieux un peu partout dans le monde, les banques centrales ont rétabli la situation grâce à l’afflux de liquidités et les prix des actifs ont monté, qu’il s’agisse des actions, des obligations ou de l’immobilier. Mais plusieurs choses nous rendent aujourd’hui soucieux. A commencer par les matières premières et l’énergie. Il y a six mois, leur cours a enregistré une baisse violente, sans précédent. Cette chute des prix finira par bénéficieràl’économie,mais,avant,ilvay avoir des victimes. Pour l’instant, le contrecoup n’a touché que les entreprises du secteur pétrolier et le marchéaméricaindesobligations« high yield ». Mais de plus gros défauts pourraient survenir, au-delà des spécialistes du gaz de schiste ou des sables bitumineux. Petrobras, par exemple, qui porte une dette de 100 milliards de dollars, voit certaines de ses obligations s’échanger à 60 % de leur valeur nominale. Noble a acheté sa propre dette pour 40 % de sa valeur. Et il n’y a pas que le pétrole qui a dévissé. Le cuivre, le zinc, le nickel sont en chute libre. C’est l’ensemble du secteur minier qui nous inquiète. ANTOINE FLAMARION ET MATHIEU CHABRAN Fondateurs du groupe de gestion Tikehau régime. La dette de ces acteurs n’est plus dans les banques, mais sur le marchédesinvestisseursfinaux,les fonds de pension, les caisses de retraite, les assureurs… C’est une bonne nouvelle pour les banques, moins pour ces fonds. Jusqu’à présent, les gérants n’ont connu qu’une évolution un peu désagréable de la valeur de marché (« mark to market ») de leurs actifs. Mais le risque qu’une grande société industrielle, par exemple, fasse défaut n’est pas nul. Et, avant cela, elles risquent de voir leur note dégradée. Si d’autres émetteurs – encore « investment grade » – passent dans la catégorie « junk bonds », beaucoup de fonds vont devoir vendre leurs titres. Car leur règlement ne leur permet pas de détenir des obligations « non investment grade », ce qui mécaniquement provoquera des décalages de marché. Au-delà des valeurs liées à l’énergie et aux matières premières, y a-t-il d’autres secteurs qui vous paraissent préoccupants ? Il y a un enjeu de valorisation sur les sociétés technologiques américaines. Il ne faut pas confondre succès commercial et succès financier. Les niveaux de valeur ne tiennent que tant que tout le monde joue le jeu. Or ils commencent à chuter. Depuis 2013, l’action Twitter est passée de 73 dollars à 18 dollars. En moins d’un an, celle de Lending Club est passée de 28 dollars à 8 dollars. Aux Etats-Unis, il y a trois sources de richesses : l’immobilier, le pétrole et la technologie. A l’heure actuelle, ces deux dernières sont en difficulté. Comment jugez-vous la situation des pays émergents ? Elle est, bien sûr, préoccupante. La RussievamaletleBrésilestdansun contexte très difficile. En Chine, même de fins connaisseurs du pays peinent à comprendre ce qui se passe. Quant aux fameux « Next 11 » (l’Indonésie, le Nigeria, la Turquie, le Vietnam…), après avoir connu un afflux massif d’investissements, ils subissent des fuites de capitaux. La disparition de la liquidité sur certains segments de marché vous préoccupe-t-elle ? Oui. Les banques d’investissement ont arrêté de jouer leur rôle de teneur de marché. Les grands apporteurs de liquidité ont disparu. Toutefois, cela peut créer des opportunités en jouant sur ces baisses de prix. Mais la plupart des grands investisseurs ne sont pas équipés pour ce type de stratégie. Plus largement, le prix sur le marché secondaire de certaines obligations paraît difficilement compréhensible. La dette d’Areva traitaità73centimespour1euro,ily a quinze jours. Certes, depuis l’annonce du soutien de l’Etat, elle est remontée à 95 centimes. Mais il semblepeu probablequ’une société dont l’Etat est actionnaire fasse défaut. « C’est l’ensemble du secteur minier qui nous inquiète. » « Le risque qu’une grande société industrielle, par exemple, fasse défaut n’est pas nul. » Y a-t-il un risque que la crise des marchés se transmette à l’économie réelle ? Ce risque existe en effet, si la défiance qui grandit sur les marchés se propage. Des tensions se font déjà ressentir. Au Canada, les taux interbancaires se sont fortement écartés. Cela montre une baisse de la confiance entre établissements bancaires. En France, un certainnombredesituationsanxiogènes se développent, néanmoins nous pensons que les PME et ETI que nous accompagnons – moins sensibles à la volatilité des marchés financiers – sont par essence bien structurées pour s’adapter à des situations incertaines qui leur sont familières. n Les majors de l’énergie et des mines dans le viseur des agences de notation S&P et Moody’s ont abaissé leurs prévisions de prix des matières premières. Elles préviennent que le nombre d’abaissements de note va grimper. Muryel Jacque [email protected] JamaisladettedeRoyalDutchShell n’avait été aussi mal notée par Standard & Poor’s (S&P) depuis que celle-ci a commencé à suivre le géant pétro-gazier il y a vingtcinq ans. Mais la dérive des prix des matières premières, tombés au plus bas depuis plusieurs années, pousse les agences de notation à placer de plus en d’entreprises du secteur de l’énergie, comme des mines, sous surveillance négative. Total, Eni, BP, Repsol et Statoil pourraient ainsi voir leur note de crédit abaissée dans les semaines qui viennent, a prévenu mardi S&P. La veille, l’agence a dégradé le fabricant français de tubes en acier sans soudureVallourecdedeuxcrans(la passant de BB+ à BB–), en expliquant que la dégradation de la rentabilité opérationnelle du groupe devrait être bien plus marquée qu’estimé initialement. Elle a fait de même pour le numéro un mondial des mines, BHP Billiton, sort qu’elle avait aussi réservé avant le week-end au producteur de minerai de fer brésilien Vale. 40 DOLLARS Le prix du brent cette année, selon Standard & Poor’s. Moody’s, de son côté, a indiqué la semaine précédente qu’il était en train d’examiner les notations de quelque 120 compagnies pétrolières et gazières (en particulier celles opérant en Amérique du Nord) et de 55 entreprises minières en vue d’une possible dégradation. Pour la plupart, le verdict devrait tomber d’ici à la fin du trimestre. Le prix du pétrole a dévissé de 67 % depuis l’été 2014. C’est-à-dire depuis que le marché a pris conscience de l’ampleur du boom du schiste américain. L’Opep a choisi de ne pas réduire sa production, et les craintes de fort ralentissement mondial de la consommation ont fait le reste. Politiques de dividendes Les deux agences de notation ont donc revu en forte baisse leurs prévisions. S&P voit ainsi un baril de brent à 40 dollars pour le reste de 2016, à 45 dollars en 2017 et à 50 dollars au-delà. Plus pessimiste encore, Moody’s table sur un pétrole à 33 dollars cette année. Dans ces conditions de marché « très difficiles », souligne S&P, l’ajustement des coûts et des investissements de la plupart des majors pétrolières d’ici à la fin de l’année ne suffirapasàcompenserl’amplitude de la chute des prix, qui a été de 52 % enmoyenneen2015,rappelle-t-elle. S&P juge par conséquent que, en termes de perspectives de crédit, la décision des majors de réduire leurs investissements pour faciliter des distributions généreuses aux actionnaires est négative, car cela va pénaliser les actifs futurs générateurs de cash. Au sein des secteurs pétrolier et minier, la pression pour changer les politiques de dividendes se fait donc encore plus forte. n Comment Tikehau finance les entreprises, de la PME à la grosse ETI Le gestionnaire français a collecté 2,3 milliards d’euros l’an passé. Il prévoit de réaliser 40 embauches cette année, notamment à l’international. Malgré les incertitudes qui planent sur l’année 2016, Tikehau ne compte pas pour autant stopper son développement. Porté par une très bonne année 2015 – la collecte s’est élevée à 2,3 milliards d’euros, contre 1,3 milliard en 2014 – et un bon début d’année avec 200 millions d’euros levés sur les quinze premiers jours de janvier, le gestionnaire veut continuer à croître. Le groupe, qui compte 150 collaborateurs répartis entre Paris, Londres, Singapour, Bruxelles et Milan, prévoit cette année d’embaucher 40 nouvelles personnes. En termes de produits, l’offre de Tikehau va également être renforcée. « Nous avons créé de nouveaux véhicules d’investissement, dont un fonds de situations spéciales, pour investir dans de la dette d’entreprise décotée, en excluant les sociétés en situation de faillite », explique Mathieu Chabran, cofondateur de Tikehau. Toutefois, la plus grande part des investissements en dette des gérants se fait dans le financement d’entreprises. Avec un accent particulier sur les entreprises petites et moyennes qui ne peuvent pas accéder aux marchés de capitaux, aussi bien en dette qu’en fonds propres. « Le vrai enjeu pour nous est le financement des entreprises, de la PME à la grosse ETI, confirme Antoine Flamarion, cofondateur de Tikehau. Cela passe par des financementsobligataires,laparticipation à des montages de financement dans le cadre de rachat avec effet de levier (LBO) ou par des investissements en fonds propres via Salvepar. » Au travers des fonds Novo notamment, les gérants proposent aux entreprises des financements à 7 ans remboursables in fine, quand les grandes banques n’offrent généralement de la dette qu’à 5 ans, amortissables tout au long de la vie du prêt. Enfin, le groupe compte renforcer sa dimension internationale, l’un de ses principaux objectifs de l’année. Ce qui implique non seulement une augmentation des équipes locales, mais aussi l’élargissement de la base d’investisseurs de Tikehau, en Europe et au-delà. « Nous avons déjà engagé des discussions avec un fonds de pension canadien qui gère 500 milliards de dollars d’actifs, un fonds souverain et un investisseur asiatique, explique Antoine Flamarion. Pour l’Asie, Amundi nous accompagne. » Forte croissance de l’activité immobilière En termes de classe d’actifs, Tikehau continuera, sans surprise, à miser sur le financement des entreprises. Par ailleurs, son activité immobilière a connu une forte croissance, passant de 100 millions d’euros à 700 millions d’euros d’actifs en vingt-quatre mois, tendance qui devrait se renforcer dans les années à venir. Plus largement, les gérants souhaitent poursuivre le développement des investissements de longue durée. « Sur les 7,3 milliards d’actifs que nous avons sous gestion, seuls 2 milliards sont des OPCVM à liquidité quotidienne, souligne Mathieu Chabran. Le reste [des actifs], plus de 5 milliards d’euros, ce sont des investissements de long terme, avecdes véhiculesdont la durée de vie atteint ou dépasse quinze ans. » Une caractéristique qui permet d’amortir les périodes de crise. — G. Be.