FORMATION PROFESSIONNELLE NO. 4 REVUE EUROPEENNE
CEDEFOP
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de façon hégémonique. En revanche, en
Finlande et en Islande, la situation poli-
tique fut quelque peu différente en raison
d’une gauche divisée. La présence social-
démocrate y fut moins massive, mais tout
aussi permanente.
Ajoutons cependant que le clivage des
intérêts politiques s’opéra traditionnelle-
ment non seulement entre la gauche et la
droite, mais aussi entre intérêts des cam-
pagnes, régions de pêche côtières, régions
isolées d’une part, et intérêts des villes
d’autre part. Avec le débat actuel sur
l’internationalisation et l’européanisation
des systèmes économiques nordiques
cette dichotomie des intérêts ville-cam-
pagne réapparaît fortement.
L’avénement d’une hégémonie social-dé-
mocrate durable, dans la première moitié
du siècle, résulta elle-même de la conjonc-
tion des quatre facteurs politiques suivants.
Premièrement, on note l’absence histori-
que d’une alternative politique de droite
forte et unie sur laquelle le courant capi-
taliste aurait pu prendre appui. En
Norvège, hormis les armateurs, une classe
capitaliste nationale de poids fait même
défaut, l’économie étant au début du siè-
cle dominée par des investissements étran-
gers notamment dans le secteur primaire.
Si en Suède, on observe en revanche dans
la phase de l’industrialisation, un nombre
impressionnant d’employeurs suédois à la
tête d’industries manufacturières concen-
trées et exportatrices de produits finis, ces
derniers vont miser sur le développement
d’une confédération patronale puissante,
centralisée et autonome plutôt que sur un
relais politique direct. Quant à la situation
finlandaise, elle se différencie aussi à cet
égard des autres pays nordiques, le patro-
nat étant jusqu’à la deuxième guerre inti-
mement lié aux partis de droite: dans une
économie dominée par l’industrie fores-
tière jusqu’en 1950, c’est principalement
le patronat du secteur de la pâte à papier
qui, dans les années 1930 donna le ton,
en s’alliant avec les gouvernements de
droite pour réprimer les syndicats.
Deuxièmement, dans ces quatre pays
nordiques le mouvement social-démocrate
a, pour s’imposer durant le XXème siè-
cle, réussi à forger des alliances utiles
avec les partis dits agraires, représentant
agriculteurs, pêcheurs et travailleurs du
secteur forestier.
Troisièmement, l’existence d’un mouve-
ment syndical très tôt unifié, ayant des
liens étroits et privilégiés avec le parti
social-démocrate, a largement contribué
à asseoir le pouvoir de la social-démo-
cratie, tout au moins en Suède et en
Norvège. Toutefois, en Finlande et en
Islande, les liens entre syndicat et social-
démocratie furent jusque dans les années
1970 entachés par l’histoire des divisions
politiques qui traversèrent respectivement
leur principale centrale ouvrière confédé-
rale. Mais à partir de la décennie 1970,
on assista dans ces deux pays à la
réunification du mouvement syndical et
une coopération accrue des forces politi-
ques, ce qui engendra une convergence
plus grande avec la situation en Norvège
et en Suède.
Quatrièmement, la force essentielle de la
social-démocratie des pays nordiques ré-
sida dans son caractère et sa capacité ré-
formatrice qui donna corps au modèle
scandinave avec ses variantes nationales.
En échange de l’acceptation du dévelop-
pement technologique, des rationalisa-
tions des entreprises, de la mobilité sur le
marché du travail et de la modération
salariale devant contribuer à une crois-
sance active et à la stabilité des prix, le
projet réformiste de la social-démocratie,
fruit d’un compromis social entre syndi-
cats, employeurs et l’Etat, proposait le
plein-emploi, la solidarité salariale et les
avantages de l’Etat-Providence .
3. Outre la dimension politique, les mo-
dèles nordiques et le contrat social qui
les sous-tend doivent leur origine à l’exis-
tence dès le début du siècle d’acteurs syn-
dicaux et patronaux centralisés et puis-
sants . La première confédération syndi-
cale apparut en Suède en 1898 (LO), en
Norvège en 1899 (LO), en Finlande en
1907 (SAK) et en Islande en 1916 (FTI).
La menace de mouvements syndicaux
forts conduisit le patronat à s’organiser
très tôt, sur un mode centralisé similaire
à celui des syndicats ouvriers aussi bien
en Suède (création de SAF en 1902), en
Norvège (création de NAF en 1900), en
Finlande (STK en 1907), en Islande (créa-
tion du FEI en 1934). En Finlande certes,
la véritable centralisation du patronat
n’eut lieu que dans les années 50.
❏Ce choix des confédérations syndica-
les et patronales en faveur de la centrali-
“(…) durant la décennie
1980, les systèmes sociaux
des pays nordiques ont été
mis à rude épreuve, (…)
Plus récemment, la pers-
pective de l’intégration
européenne a constitué un
défi supplémentaire.”
“Historiquement, les
modèles nordiques sous
leurs différentes variantes
nationales, et partant des
systèmes de relations
professionnelles, furent
fondés en premier lieu sur
l’existence de compromis
de classe entre em-
ployeurs et syndicats (…)”
“Ajoutons (…) que le
clivage des intérêts politi-
ques s’opéra (…) aussi
entre intérêts des campa-
gnes, régions de pêche
côtières, régions isolées
d’une part, et intérêts des
villes d’autre part. Avec le
débat actuel sur l’inter-
nationalisation et l’euro-
péanisation des systèmes
économiques nordiques
cette dichotomie des
intérêts ville-campagne
réapparaît fortement.”
1) Cet article se fonde principale-
ment sur les conclusions d’une re-
cherche comparative plus vaste sur
les pays nordiques, financée par la
Commission des communautés
européennes. Elle a été publiée
sous le titre suivant: Les modèles
nordiques à l’épreuve de l’Europe,
La Documentation Française, Paris,
1994,147 p.