La saga des atomes froids L’atome devant son miroir : une sonde de champ proche Grâce aux progrès du refroidissement d’atomes par laser au cours des quinze dernières années, les physiciens sont aujourd’hui capables de contrôler le mouvement d’atomes. De cette maîtrise est née l’optique atomique qui, après l’optique électronique et l’optique neutronique, étend le champ de l’optique à des objets encore plus gros et plus complexes, et donc encore plus couplés à leur environnement. Nous nous sommes particulièrement intéressés à un composant optique de base, le miroir. Les atomes, en venant se réfléchir sur ce miroir, dans des conditions d’approche que nous pouvons très bien contrôler, nous informent sur leur interaction avec la surface. n était déjà habitué depuis plusieurs années à l’idée que les faisceaux laser peuvent servir non pas à chauffer mais à refroidir des gaz d’atomes neutres jusqu’à des températures extrêmement basses, du micro-voire du nanokelvin. L’agitation de ces atomes est ainsi considérablement réduite, ce qui les rend d’autant plus manipulables. On parle alors d’optique atomique. O Les rayons sont les trajectoires des atomes que l’on dévie, réfléchit ou focalise en utilisant toute une panoplie de forces exercées essentiellement par des faisceaux laser et des champs magnétiques. L’optique atomique a également ses ondes, et les longueurs d’onde de de Broglie associées sont d’autant plus grandes que les atomes sont plus lents, de moins d’un nanomètre à quelques centaines de nanomètres. Les premières réussites de l’optique atomique ont d’ailleurs été des interféromètres (voir Images de la Physique 1993), et les gyromètres atomiques sont actuellement en plein essor. La lithographie atomique a également obtenu des résultats remarquables, utilisant des – Institut d’optique théorique et appliquée, groupe d’optique atomique, centre scientifique d’Orsay, URA 14 CNRS, bât. 503, BP 147, 91403 Orsay Cedex. ondes laser stationnaires pour fabriquer des structures de dimensions nanométriques. Qu’il s’agisse d’interférométrie ou de focalisation, l’optique « lumineuse » utilise abondamment les miroirs : télescope de Newton, interféromètre de Michelson ou de FabryPerot, cavités laser. L’optique atomique dispose actuellement de deux types de miroirs : le miroir magnétique et le miroir à onde évanescente. C’est en cherchant à améliorer la qualité des miroirs à onde évanescente, et donc à mieux en comprendre le fonctionnement, que nous avons mis en évidence leur sensibilité à l’interaction de van der Waals ou à la rugosité d’une surface à l’échelle du nanomètre. COMMENT L’ATOME EST RÉFLÉCHI SUR UN MIROIR DE LUMIÈRE Le miroir est constitué d’un prisme de verre à la surface duquel on forme, en guise de traitement réfléchissant pour les atomes, une onde évanescente. Cette onde est obtenue par réflexion totale à l’intérieur du prisme de l’onde lumineuse monochromatique issue d’un laser saphirtitane (figure 1a). Il suffit, pour obtenir la réflexion totale, que l’angle d’incidence du faisceau laser dépasse un angle limite. La lumière ne peut plus alors se propager vers l’extérieur du prisme, mais la continuité du champ électrique à l’interface impose l’existence d’un champ électromagnétique non nul, qui décroît exponentiellement lorsqu’on s’éloigne de la surface et qui constitue une onde évanescente. Sa longueur de décroissance caractéristique -pour des valeurs d’angle ni très proches de l’angle limite, ni très rasantes- est de l’ordre de k/2p (k est la longueur d’onde d’émission du laser et vaut ici 780 nanomètres). Le prisme, couvert par l’onde évanescente, est placé dans une enceinte à vide. Lorsqu’un atome s’approche de la surface du prisme, il rencontre un champ électromagnétique d’intensité croissante et subit du fait de ce champ une force dipolaire, répulsive si la fréquence de l’onde laser est supérieure à la fréquence de résonance de la transition atomique (cf. encadré n°1). En terme d’énergie, l’onde évanescente crée une barrière de potentiel qui croît exponentiellement (comme le module carré du champ électrique) lorsque l’atome s’approche de la surface. Elle atteint une valeur maximale U0 sur la surface (fig. 1b). Un atome avec une énergie cinétique incidente inférieure à U0 rebrousse chemin avant d’atteindre la surface du prisme : il rebondit. En revanche, si l’énergie de l’atome est supérieure à U0, il tombe sur le prisme. Les intensités laser utilisées (quelques watts focalisés sur quelques mm2) correspondent à une 15 Notre source d’atomes froids est un piège magnéto-optique, combinaison de faisceaux lasers et de champ magnétique. Il permet de capturer 100 millions d’atomes dans une sphère d’un millimètre de diamètre, tout en les refroidissant à une température voisine de 10 microkelvin (cf. encadré 2). En coupant les faisceaux laser et le champ magnétique, on ouvre le piège et les atomes tombent sous l’effet de la pesanteur. Ils acquièrent ainsi une vitesse d’un demimètre par seconde au bout d’un centimètre de chute. Ils peuvent alors rebondir sur la surface horizontale du miroir à atomes. Pour observer la réflexion d’atomes, on les illumine avec un faisceau laser horizontal (sonde) placé entre le piège magnétooptique et la surface du miroir. Soit on détecte alors la très faible absorption de la sonde au passage des atomes, avant et après le rebond, soit on récolte la lumière diffusée par les atomes pour en former une image sur une caméra très sensible. SONDER L’INTERACTION DE L’ATOME AVEC SON IMAGE Figure 1 - a) Schéma de l’expérience du miroir à atomes. Le laser miroir crée une onde évanescente sur la surface d’un prisme en verre. Les atomes d’un piège magnéto-optique tombent et sont réfléchis par l’onde évanescente. On observe leur fluorescence avec une caméra lorsqu’ils traversent un faisceau laser sonde. b) Principe du miroir. L’onde évanescente crée un potentiel qui décroît exponentiellement en fonction de la distance au prisme. Si l’énergie cinétique des atomes est inférieure au maximum du potentiel U0, ils sont réfléchis. énergie U0 de l’ordre de 10–27 joule. Pour des atomes de rubidium, une énergie cinétique de 10-27 joule correspond à une vitesse incidente d’environ 1 m/s. Or, à température ambiante (300 K), la vitesse typique d’un atome est de quelques centaines de m/s. Pour faire rebondir les atomes, il faut diminuer la composante 16 de la vitesse normale à la surface. Cela peut être obtenu avec des atomes animés de vitesses thermiques ordinaires en incidence rasante ou, plus carrément, avec des atomes lents. Nous avons choisi la deuxième méthode, dans une expérience consistant à lâcher sur la surface un nuage d’atomes froids. En rebondissant sur le miroir atomique, les atomes s’approchent de la surface de verre à une distance voisine de la longueur de décroissance de l’onde évanescente, soit une centaine de nanomètres. A de telles distances, ils interagissent non seulement avec l’onde lumineuse, mais aussi avec la surface de verre ellemême. En l’absence d’onde évanescente, un atome neutre subit au voisinage d’une surface métallique ou diélectrique une force de van der Waals. Une image simple de cette force permet de se convaincre qu’elle est attractive. Plaçons un dipôle électrique permanent devant une paroi diélectrique. Il y induit un dipôle image renversé par lequel il est attiré. Un atome, dans son état fondamental, ne possède pas de moment dipolaire électrique permanent. Il subit tout de même une force attractive car les fluctuations d’origine quantique La saga des atomes froids Encadré 1 LE POTENTIEL DIPOLAIRE DANS LE CAS D’UN MIROIR OU D’UN RÉSEAU ATOMIQUE PRINCIPE DE LA FORCE DIPOLAIRE Un atome neutre plongé dans un champ électrique voit son nuage électronique déformé de sorte qu’un dipôle électrique est induit. La valeur de ce dipôle est le produit de l’amplitude du champ E par la polarisabilité α qui caractérise l’atome. L’interaction entre ce dipôle et le champ donne lieu à une 2 énergie potentielle U = − a u E u . Dans un champ inhomogène, un atome subit une force qui dérive de ce potentiel, et qui est dirigée vers les régions de champ élevé. Cet effet se produit aussi pour un champ oscillant comme celui d’une onde électromagnétique, et la polarisabilité dépend alors de la fréquence d’oscillation. Au voisinage d’une résonance atomique, la polarisabilité peut atteindre des valeurs importantes. Elle devient négative pour des fréquences plus élevées que celle de la résonance : c’est cette situation, où le dipôle induit oscille en opposition de phase par rapport au champ, qui est utilisée dans le miroir à atomes. Dans ce cas l’atome est expulsé des régions de champ fort par une force qui dépend de E2, c’est-à-dire de l’intensité du laser qui crée le champ. peut être réalisé en augmentant simultanément l’intensité du laser miroir et son écart de fréquence par rapport à la transition atomique. MODULATION DU POTENTIEL DIPOLAIRE DANS LE CAS D’UN RÉSEAU DE DIFFRACTION Calculons la dépendance spatiale du potentiel dipolaire pour un réseau de diffraction tel que celui de la figure 3. Le champ électrique évanescent dû au faisceau laser incident (de ik x − jz tandis que le champ pulsation x) s’écrit : E0 = Ee x électrique évanescent dû au faisceau réfléchi s’écrit − ik x − jz , où R est la réflectivité du miroir de E1 = =REe x 2 2 2 2 renvoi et où kx et j vérifient k x − j = x /c . Le potentiel dipolaire varie comme le module carré du champ total : U = − a u E0 + E1 u 2 − 2jx = − aE ~ 1 + R ! e 2 ~ 1 + e cos ~ 2 kx x ! ! où EFFET DE L’ÉMISSION SPONTANÉE Cette analyse suppose que le champ n’est pas exactement résonnant avec l’atome, ce qui permet de négliger la diffusion de la lumière par émission spontanée. Le phénomène d’émission spontanée donne lieu à une autre force, la force de pression de radiation, qui est importante dans le cas du piège magnéto-optique (cf. encadré 2). Pour le miroir à atomes, l’émission spontanée doit être au contraire réduite, ce qui produisent un dipôle fluctuant. Ce dipôle atomique a une valeur moyenne nulle, mais une valeur instantanée différente de zéro. Bien que les fréquences typiques de fluctuation soient très élevées (de l’ordre des fréquences optiques), le dipôle apparaît figé à l’échelle du temps de propagation des champs entre l’atome et la paroi lorsque la distance atome-paroi est petite devant la longueur d’onde optique. Ce dipôle fluctuant et son dipôle image donnent encore lieu à une force de van der Waals attractive. Lorsque l’on considère des distances atome-paroi qui ne sont plus e = 2 =R/~ 1 + R !. Pour un faible contraste e de l’interférence, les surfaces équipotentielles ont alors une équation de la forme : z = z0 + e cos ~ 2 kx x !. 2j − 1 Leur profondeur de modulation ej zek/2 p est donc beaucoup plus petite que leur période p/kx zk/2 (cf. figure 3). négligeables devant les longueurs d’onde des transitions atomiques, le calcul exact de la force d’interaction devient un problème complexe d’électrodynamique quantique. Il faut alors prendre en compte des effets de retard dus au temps de propagation aller et retour de la lumière entre l’atome et la surface. Il s’agit d’un sujet ouvert, où peu d’expériences précises ont pu être réalisées (cf. Images de la Physique 1993). Dans un miroir à atomes, on mesure la force attractive de van der Waals en l’équilibrant par la force dipolaire à une distance connue entre l’atome et la paroi. Sur la figure 2, nous avons tracé l’énergie potentielle qui correspond aux deux forces en fonction de la distance z à la paroi. Au potentiel dipolaire déjà présenté sur la figure 1b, s’ajoute le potentiel de van der Waals qui varie en 1/z3. La somme des deux potentiels, en trait plein sur la figure 2, présente un maximum pour une distance d’environ 50 nm. L’échantillon d’atomes froids permet de sonder la hauteur de cette barrière de potentiel. Dans une expérience de chute libre, l’énergie cinétique incidente des atomes est déterminée par l’alti17 Encadré 2 LE PIÈGE MAGNÉTO-OPTIQUE : UN OUTIL DE BASE Un aspect du progrès dans la manipulation des atomes par laser est la possibilité de diminuer la vitesse moyenne d’un échantillon d’atomes. Aujourd’hui on arrive couramment à des vitesses de l’ordre de la vitesse de recul vR, vitesse qu’un atome acquerrait si, initialement immobile, il absorbait ou émettait un seul photon laser. Dans certaines situations, on atteint même des vitesses inférieures à cette valeur (voir Images de la physique 1990 et 1994 et l’article n° 1 de ce numéro). Un autre enjeu important est l’augmentation de la densité de l’échantillon d’atomes. Pour optimiser la densité d’un nuage atomique, il ne suffıt pas de refroidir ; il faut aussi créer une force de rappel qui piège les atomes dans un petit volume. Plus la force de rappel est grande, et plus le nuage d’atomes est froid, plus la densité dans le piège sera élevée. Le piège magnéto-optique est un moyen de combiner refroidissement et piégeage. La force qui agit dans le piège est la pression de radiation, différente de la force dipolaire responsable du rebond atomique (encadré 1). Elle se comprend facilement en considérant la diffusion des photons d’un faisceau laser par un atome. A chaque diffusion est associé un changement de vitesse égal à la vitesse de recul vR dans la direction de propagation du faisceau laser, plus un changement de vitesse de module égal à vR dans une direction aléatoire (la direction du photon diffusé). En moyenne l’atome est poussé dans la direction du laser. Le taux de répétition de ce processus est d’autant plus élevé que la longueur d’onde du laser est proche d’une résonance atomique. Le fonctionnement du piège magnéto-optique est schématisé sur la figure ci-dessous, dans un cas simplifié à une dimension. Imaginons un atome avec un état fondamental de moment cinétique J = 0, et un état excité de J = 1. Grâce à l’effet Zeeman, un champ magnétique inhomogène, créé par exemple par deux bobines parcourues par des courants opposés, déplace les sous-niveaux de l’état excité en fonction tude initiale. On pourrait donc choisir d’augmenter cette hauteur jusqu’à ce que les atomes ne rebondissent plus. Dans la pratique, il est plus 18 de la position (figure a). On ajoute un laser de polarisation − circulaire r qui excite la transition vers m = − 1 (figure b) de fréquence inférieure à celle de la transition atomique en champ nul. Plus l’atome se déplace vers la droite, plus la fréquence de transition vers m = − 1 diminue et plus il absorbe la lumière de ce laser. Comme ce laser se propage vers la gauche, la pression de radiation qu’il exerce repousse l’atome vers le centre. De façon symétrique, + un deuxième laser de polarisation opposée r , et de sens de propagation opposé, ramène vers le centre un atome qui s’est déplacé vers la gauche. Ainsi on crée une force de rappel qui amène toujours l’atome au voisinage du champ magnétique nul. A cela s’ajoute la force de friction qui est à l’origine du refroidissement d’atomes, même en l’absence de champ magnétique (mélasse optique). A cause de l’effet Doppler, l’atome en mouvement voit le faisceau laser qui se propage en sens inverse avec une fréquence plus élevée, donc plus proche de sa résonance. La pression de radiation qui s’oppose à son mouvement est la plus forte. Le résultat est un système qui combine force de rappel et refroidissement par laser. Ce schéma, remarquablement simple et robuste, fonctionne également à trois dimensions (à condition d’utiliser trois paires de faisceaux lasers), et pour des transitions atomiques plus complexes que J = 0 → J = 1. C’est devenu l’outil de base des laboratoires qui utilisent des atomes refroidis par laser. Dans un tel piège, on atteint des températures de l’ordre du microkelvin, et des densités atomiques d’environ 1011 cm-3. C’est à partir de ce type de piège que plusieurs groupes ont chargé un piège magnétique pour diminuer encore la température et augmenter la densité en utilisant le refroidissement évaporatif, jusqu’à la condensation de Bose-Einstein. simple de fixer la hauteur de chute et de baisser l’intensité du laser, donc la valeur du potentiel dipolaire, jusqu’au seuil de réflexion des ato- mes. On mesure ainsi la valeur du maximum du potentiel total et, puisqu’on connaît la valeur du potentiel dipolaire, on obtient une mesure La saga des atomes froids ple qu’en éclairant une surface rugueuse avec un faisceau laser, on observe des tavelures, variations d’intensité dues à des phénomènes d’interférence de la lumière diffusée. On peut donc penser que de telles tavelures devraient conduire à une modification du potentiel dipolaire sur lequel rebondissent les atomes et donc à une modification de leurs trajectoires. Figure 2 - Le potentiel total auquel sont soumis les atomes (trait plein) est la somme du potentiel dipolaire et du potentiel de van der Waals (en pointillé). Il est représenté en fonction de la distance au prisme. L’unité d’énergie est \C où C/2 p = 6 MHz est la largeur naturelle de la transition atomique utilisée du rubidium. Les valeurs correspondent aux conditions de notre expérience. à une distance donnée (ici 50 nm environ) du potentiel de van der Waals. Il est intéressant de noter qu’il existe une zone de transition autour du seuil de réflexion, car l’atome a la possibilité de passer à travers la barrière (effet tunnel) ou d’être réfléchi audessus de la barrière (réflexion quantique). Dans notre expérience, cette zone de transition n’a pas été observée car sa largeur, quelques centièmes de l’énergie cinétique incidente, est masquée par la dispersion en énergie des atomes et les fluctuations d’intensité du laser. Le seuil de réflexion observé est en bon accord avec le modèle simple de l’interaction de van der Waals évoqué plus haut. En fait, pour la distance d’approche de 50 nm qui a été explorée, les effets de retard ne sont plus complètement négligeables : ils conduisent à une diminution de la force de van der Waals et donc à une augmentation du seuil de réflexion de 10 % environ. On constate que le seuil expérimental est en meilleur accord avec la théorie lorsqu’on prend en compte les effets de retard. Dans l’avenir, en contrôlant encore mieux les conditions d’approche des atomes à la surface, on devrait améliorer la précision de ces mesures et tester quantitativement la valeur de ces termes correctifs. MESURER DES RUGOSITÉS DE SURFACE PAR LA DIFFRACTION D’ATOMES Nous venons de voir que la distance d’approche des atomes réfléchis sur le miroir n’est jamais inférieure à 50 nm à cause de l’interaction de van der Waals. Nous avons donc été surpris d’observer qu’une variation très petite de cette distance, due à un défaut de planéité de la surface de l’ordre du nanomètre, modifiait de façon notable la trajectoire des atomes réfléchis. En fait, la rugosité de la surface se traduit non seulement par des variations de la distance atome-surface, mais aussi par une perturbation du champ lumineux de l’onde évanescente, par suite de la diffusion d’une fraction de la lumière incidente. On sait par exem- Afin d’étudier la sensibilité à la rugosité de la surface, nous faisons rebondir les atomes sur une structure régulière connue. Nous avons réalisé un réseau de diffraction à atomes via une modulation périodique de l’onde évanescente. Pour cela le faisceau laser est partiellement réfléchi sur luimême, ce qui crée par interférence avec l’onde aller une onde évanescente stationnaire. Il en résulte une modulation spatiale du potentiel répulsif de forme sinusoïdale (figure 3). La période de modulation est fixée, à environ la moitié de la longueur d’onde lumineuse, tandis que la profondeur des surfaces équipotentielles est réglable via la fraction R d’intensité réfléchie (cf. encadré 1). Comme il s’agit d’un effet d’interférence, la profondeur de modulation est proportionnelle à l’amplitude du champ réfléchi. Pour de faibles valeurs de R, la profondeur de modulation est une fraction e de la longueur d’onde lumineuse, où e ≈ 2=R est le contraste de l’interférence entre l’onde incidente et l’onde réfléchie. La photo de la figure 4 montre l’allure du nuage d’atomes (coupe horizontale par la sonde) après réflexion sur la structure périodique du champ. On voit bien le clivage du nuage d’atomes caractéristique du phénomène de diffraction. Point remarquable, ce profil a été obtenu avec une intensité réfléchie très faible, environ − 4 10 de l’intensité incidente. Pour comprendre une telle sensibilité, il faut remarquer que le paramètre important est la longueur d’onde de de Broglie (kdB = h/Mv) de l’onde atomique incidente, qui vaut 19 8 nm pour des atomes de rubidium qui arrivent à 0,5 m/s sur la surface du prisme. Pour que la diffraction soit efficace, il suffit que la profondeur de modulation des surfaces équipotentielles, qui jouent le rôle de miroir atomique et qui produisent donc la modulation des ondes atomiques réfléchies, soit de l’ordre de cette longueur d’onde de de Broglie. Celle-ci étant environ 100 fois plus petite que la longueur d’onde lumineuse, il suffit d’un contraste e de l’onde évanescente stationnaire de 1 %, ce qui correspond à une fraction d’intensité réfléchie inférieure à 1/10 000. Figure 3 - Réseau de diffraction à atomes. Une petite fraction de la lumière incidente est renvoyée vers le prisme, créant une onde évanescente légèrement modulée. La profondeur de la modulation ek/2p est beaucoup plus petite que sa période (cf. encadré 1). Une onde de de Broglie atomique subit une forte diffraction si kdB /2p ≈ ek/2p. Puisque kdB = 8 nmzk/100, les atomes sont sensibles à de très faibles déformations de l’onde évanescente. Figure 4 - Images en fausses couleurs des distributions de fluorescence détectées par la caméra pour une réflexion atomique sur un miroir (partie gauche) ou sur un réseau de diffraction (partie droite). Audessus de chaque image est présenté le profil de la tranche centrale, montrant l’intensité détectée en fonction de l’impulsion transverse de l’atome après le rebond, en unités de \kx . La fraction d’inten− 4 sité laser réfléchie pour obtenir cet effet de diffraction est de l’ordre de 10 . L’ordre 0 (réflexion spéculaire) est complètement supprimé (minimum de la fonction de Bessel d’ordre 0). Chaque pic correspond aux deux premiers ordres diffractés (en ± 2 \kx et ± 4 \kx) qui ne sont pas résolus. 20 Ces résultats débouchent sur la possibilité d’analyser la rugosité de la surface du prisme avec une sensibilité inférieure au nanomètre. En effet, le cas d’une surface rugueuse peut s’interpréter comme une multitude d’interférences entre l’onde lumineuse incidente et les ondes diffusées par les défauts de la surface. Ceci crée des réseaux de diffraction d’orientation et de périodes variables qui conduisent donc non plus à des ordres de diffraction bien distincts mais à un élargissement global du nuage d’atomes. L’analyse détaillée de cet élargissement permet de caractériser quantitativement la rugosité de la surface, en donnant accès à la « densité spectrale de rugosité ». Finalement, l’atome en train de rebondir est une sorte de sonde de champ proche, dont la résolution dans la direction perpendiculaire à la surface est de l’ordre de sa longueur d’onde de de Broglie (ou plus exactement une fraction de kdB/2p). A la différence des pointes « macroscopiques » des microscopes usuels de champ proche, l’atome perturbe très peu le champ analysé, ce qui constitue le grand intérêt de cette méthode. Le revers de la médaille est qu’il faut moyenner sur un grand nombre d’atomes pour obtenir un signal utilisable, ce qui donne accès seulement à des caractéristiques statistiques de la surface. La saga des atomes froids QUELLES CONSÉQUENCES POUR L’OPTIQUE ATOMIQUE ? Le miroir à atomes est finalement un objet plus complexe qu’il n’y paraissait a priori, et nous en connaissons maintenant de mieux en mieux les caractéristiques. Nous savons que la rugosité de la surface sur laquelle l’onde évanescente est créée joue un rôle crucial dans la qualité du miroir. Plus généralement, il faudra éliminer de façon drastique la lumière diffusée parasite, au niveau du millionième, si nous voulons réaliser une réflexion spéculaire, qui préserve la cohérence de l’onde atomique. Certaines des technologies nécessaires existent déjà pour d’autres applications comme les gyromètres à laser ou la détection d’ondes gravitationnelles. D’autres devront être développées et les atomes seront un test exigeant. Ce n’est qu’avec des composants de qualité ultime qu’on pourra réaliser les miroirs et les réseaux de diffraction atomiques cohérents utilisables dans des interféromètres ou des cavités Fabry-Perot atomiques, voire dans un laser à atomes basé sur un condensat de BoseEinstein. POUR EN SAVOIR PLUS « Refroidissement d’atomes par laser », Images de la Physique 1990, p. 74. « Un interféromètre atomique à effet Stern-Gerlach longitudinal », Images de la Physique 1993, p. 35. « Attraction entre un atome et un miroir diélectrique », Images de la Physique 1993, p. 45. « Cristallisation d’atomes sur un réseau de lumière », Images de la Physique 1994, p. 88. Landragin (A.), Courtois (J.Y.), Labeyrie (G.), Vansteenkiste (N.), Westbrook (C.), Aspect (A.), Phys. Rev. Lett., 77, 1464 (1996). Henkel (C.), Mølmer (K.), Kaiser (R.), Vansteenkiste (N.), Westbrook (C.), Aspect (A.), Phys. Rev. A55, 1160 (1997). Landragin (A.), Horvath (G.), Cognet (L.), Westbrook (N.), Westbrook (C.), Aspect (A.), Europhys. Lett. 39, 485 (1997). Article proposé par : Nathalie Westbrook, tél. 01 69 35 87 94, E.mail :[email protected], Chris Westbrook, tél. 01 69 35 87 09, Philippe Bouyer, tél. 01 69 35 87 98 et Alain Aspect, tél. 01 69 35 87 03. Ont contribué aux travaux décrits dans cet article : Laurent Cognet, Jean-Yves Courtois, Carsten Henkel, Gabriel Horvath, Robin Kaiser, Guillaume Labeyrie, Arnaud Landragin et Klaus Molmer. 21