La saga des atomes froids
L’atome devant son miroir :
une sonde de champ proche
Grâce aux progrès du refroidissement d’atomes par laser au cours des quinze dernières années,
les physiciens sont aujourd’hui capables de contrôler le mouvement d’atomes. De cette maîtrise est
née l’optique atomique qui, après l’optique électronique et l’optique neutronique, étend le champ de
l’optique à des objets encore plus gros et plus complexes, et donc encore plus couplés à leur
environnement. Nous nous sommes particulièrement intéressés à un composant optique de base, le
miroir. Les atomes, en venant se réfléchir sur ce miroir, dans des conditions d’approche que nous
pouvons très bien contrôler, nous informent sur leur interaction avec la surface.
O
n était déjà habitué depuis
plusieurs années à l’idée que
les faisceaux laser peuvent
servir non pas à chauffer mais à re-
froidir des gaz d’atomes neutres
jusqu’à des températures extrême-
ment basses, du micro-voire du na-
nokelvin. L’agitation de ces atomes
est ainsi considérablement réduite, ce
qui les rend d’autant plus manipula-
bles. On parle alors d’optique atomi-
que.
Les rayons sont les trajectoires des
atomes que l’on dévie, réfléchit ou
focalise en utilisant toute une pano-
plie de forces exercées essentielle-
ment par des faisceaux laser et des
champs magnétiques. L’optique ato-
mique a également ses ondes, et les
longueurs d’onde de de Broglie asso-
ciées sont d’autant plus grandes que
les atomes sont plus lents, de moins
d’un nanomètre à quelques centaines
de nanomètres. Les premières réussi-
tes de l’optique atomique ont
d’ailleurs été des interféromètres
(voir Images de la Physique 1993), et
les gyromètres atomiques sont actuel-
lement en plein essor. La lithographie
atomique a également obtenu des
résultats remarquables, utilisant des
ondes laser stationnaires pour fabri-
quer des structures de dimensions na-
nométriques.
Qu’il s’agisse d’interférométrie ou
de focalisation, l’optique « lumi-
neuse » utilise abondamment les mi-
roirs : télescope de Newton, interfé-
romètre de Michelson ou de Fabry-
Perot, cavités laser. L’optique
atomique dispose actuellement de
deux types de miroirs : le miroir ma-
gnétique et le miroir à onde évanes-
cente. C’est en cherchant à amélio-
rer la qualité des miroirs à onde
évanescente, et donc à mieux en
comprendre le fonctionnement, que
nous avons mis en évidence leur sen-
sibilité à l’interaction de van der
Waals ou à la rugosité d’une surface
à l’échelle du nanomètre.
COMMENT L’ATOME EST RÉFLÉCHI
SUR UN MIROIR DE LUMIÈRE
Le miroir est constitué d’un prisme
de verre à la surface duquel on
forme, en guise de traitement réflé-
chissant pour les atomes, une onde
évanescente. Cette onde est obtenue
par réflexion totale à l’intérieur du
prisme de l’onde lumineuse mono-
chromatique issue d’un laser saphir-
titane (figure 1a). Il suffit, pour obte-
nir la réflexion totale, que l’angle
d’incidence du faisceau laser dépasse
un angle limite. La lumière ne peut
plus alors se propager vers l’extérieur
du prisme, mais la continuité du
champ électrique à l’interface impose
l’existence d’un champ électro-
magnétique non nul, qui décroît ex-
ponentiellement lorsqu’on s’éloigne
de la surface et qui constitue une
onde évanescente. Sa longueur de dé-
croissance caractéristique -pour des
valeurs d’angle ni très proches de
l’angle limite, ni très rasantes- est de
l’ordre de k/2p(kest la longueur
d’onde d’émission du laser et vaut ici
780 nanomètres).
Le prisme, couvert par l’onde éva-
nescente, est placé dans une enceinte
à vide. Lorsqu’un atome s’approche
de la surface du prisme, il rencontre
un champ électromagnétique d’inten-
sité croissante et subit du fait de ce
champ une force dipolaire, répulsive
si la fréquence de l’onde laser est su-
périeure à la fréquence de résonance
de la transition atomique (cf. encadré
n°1). En terme d’énergie, l’onde éva-
nescente crée une barrière de poten-
tiel qui croît exponentiellement
(comme le module carré du champ
électrique) lorsque l’atome s’appro-
che de la surface. Elle atteint une
valeur maximale U
0
sur la surface
(fig. 1b). Un atome avec une énergie
cinétique incidente inférieure à U
0
rebrousse chemin avant d’atteindre la
surface du prisme : il rebondit. En re-
vanche, si l’énergie de l’atome est
supérieure à U
0
, il tombe sur le
prisme. Les intensités laser utilisées
(quelques watts focalisés sur quel-
ques mm
2
) correspondent à une
– Institut d’optique théorique et appliquée,
groupe d’optique atomique, centre scienti-
fique d’Orsay, URA 14 CNRS, bât. 503,
BP 147, 91403 Orsay Cedex.
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